LECTURE : Francis BACON (1561-1626) reprend un jugement sur les Grecs cité par Platon à l'occasion d'une réplique faite à Solon: Vous, Grecs, vous serez toujours des enfants. Francis Baco, Réfutation des systèmes philosophiques, ch. 5 : Doctrina uestra, ut dictum est, fluxit a Graecis. Qualis natio? Nil mihi rei cum conuitio est, filii ; itaque quae de ea dicta sunt ab aliis, nec repetam nec imitabor. Tantum dico eam nationem fuisse semper ingenio praeproperam, more professoriam ; quae duo sapientiae et ueritati sunt inimicissima. Nec praeterire fas est uerba sacerdotis AEgyptii, praesertim ad uirum e Graecia excellentem prolata, ab authore etiam nobili e Graecia relata. Is sacerdos certe uerus uates fuit, cum diceret, "Vos Graeci semper pueri". Annon bene diuinatum est ? Verissime certe, Graecos pueros aeternos esse ; idque non tantum in historia et rerum memoria, sed multo magis in rerum contemplatione. Quidni enim sit instar pueritiae ea philosophia, quae garrire et causari nouerit, generare et procreare non possit? Disputationibus inepta operibus inanis ? Mementote ergo (ut ait propheta) rugis ex qua excisi estis, et de natione cuius authoritatem sequimini, quod Graeca sit, interdum cogitate. Votre doctrine, comme je l'ai déjà dit, vous est venue des Grecs. Quel était le caractère de cette nation? Je n'entrerai pas, mes fils, dans les causes de sa décadence; je ne répéterai ni n'imiterai les raisonnements que d'autres ont déjà faits à ce sujet. Je dirai seulement que ce fut toujours un peuple brouillon et bavard, caractère tout-à-fait contraire à la sagesse et à la vérité. Et ici je dois rapporter les paroles adressées par un grand-prêtre égyptien à un des plus grands hommes de la Grèce {Solon} , et citées par un illustre écrivain {Platon} de la même nation. Ce grand-prêtre sans doute les caractérisa avec une admirable justesse quand il dit : "Grecs, vous serez toujours des enfants." {Platon, Timée, p. 22b} N'a-t-il pas deviné juste? très juste en vérité; car les Grecs ont été éternellement des enfants, et cela non seulement dans l'histoire et dans leurs récits, mais beaucoup plus encore dans la contemplation de la nature. Et comment cette philosophie ne ressemblerait-elle pas aux contes de l'enfance, quand elle n'a su que babiller, sans avoir jamais pu rien trouver ni produire? Ne s'est-elle pas toujours montrée ridicule dans ses discussions et pauvre dans ses oeuvres? Souvenez-vous donc, comme dit le prophète, avec quelle pierre vous avez été ciselés, et rappelez-vous parfois que la nation qui vous sert de modèle est grecque. Référence : PLATON, Timée, p. 22b : « Il y a en Égypte, dit Critias, dans le Delta, à la pointe duquel le Nil se partage, un nome appelé saïtique, dont la principale ville est Saïs, patrie du roi Amasis. Les habitants honorent comme fondatrice de leur ville une déesse dont le nom égyptien est Neith et le nom grec, à ce qu’ils disent, Athéna. Ils aiment beaucoup les Athéniens et prétendent avoir avec eux une certaine parenté. Son voyage l’ayant amené dans cette ville, Solon m’a raconté qu’il y fut reçu avec de grands honneurs, puis qu’ayant un jour interrogé sur les antiquités les prêtres les plus versés dans cette matière, il avait découvert que ni lui, ni aucun autre Grec n’en avait pour ainsi dire aucune connaissance. Un autre jour, voulant engager les prêtres à parler de l’antiquité, il se mit à leur raconter ce que l’on sait chez nous de plus ancien. Il leur parla de Phoroneus, qui fut, dit-on, le premier homme, et de Niobé, puis il leur conta comment Deucalion et Pyrrha survécurent au déluge ; il fit la généalogie de leurs descendants et il essaya, en distinguant les générations, de compter combien d’années s’étaient écoulées depuis ces événements. Alors un des prêtres, qui était très vieux, lui dit : "ὦ Σόλων, Σόλων, ῞Ελληνες ἀεὶ παῖδές ἐστε, γέρων δὲ ῞Ελλην οὐκ ἔστιν." ἀκούσας οὖν, 'πῶς τί τοῦτο λέγεις;' φάναι. 'νέοι ἐστέ,' εἰπεῖν, 'τὰς ψυχὰς πάντες· οὐδεμίαν γὰρ ἐν αὐταῖς ἔχετε δι' ἀρχαίαν ἀκοὴν παλαιὰν δόξαν οὐδὲ μάθημα χρόνῳ πολιὸν οὐδέν. « Ah ! Solon, Solon, vous autres Grecs, vous êtes toujours des enfants, et il n’y a point de vieillard en Grèce. » A ces mots : « Que veux-tu dire par là ? demanda Solon. — Vous êtes tous jeunes d’esprit, répondit le prêtre ; car vous n’avez dans l’esprit aucune opinion ancienne fondée sur une vieille tradition et aucune science blanchie par le temps. ...