[18,0] XVIII. NAISSANCE DES ROSES. 1 C'était le printemps et après la mordante fraîcheur du matin, le jour vermeil exhalait sa caresse. Une brise plus vive avait précédé le char de l'aurore et conseillé de devancer la chaleur du jour. Errant dans les allées entre 5 les carrés du jardin mouillé, je voulais que me vivifiât la vigueur matinale. Je vis la bruine condensée suspendue à l'herbe ployante, ou déposée au sommet des légumes, 10 et sur les larges choux se former des gouttes luisantes... J'ai vu les roseraies, qui se plaisent à la culture de Paestum, couvertes de rosée au lever nouveau de l'étoile matinale. Par endroits une perle blanchissait sur les buissons détrempés, destinée à disparaître aux premiers rayons du jour. On ne sait si l'Aurore prend leur éclat aux 15 roses, ou si elle leur donne le sien et si c'est le lever du jour qui colore les fleurs. Même rosée, même teinte, même matin pour les deux; car pour l'astre et pour la fleur même reine, Vénus. Peut-être encore même parfum; mais là-haut il se dissipe dans l'espace; il s'exhale mieux 20 ici près de nous. Celle qu'on adore à Paphos, à la fois déesse de l'étoile et déesse de la fleur, veut pour l'une et l'autre la même pourpre. C'était l'instant où les bourgeons naissants des fleurs s'ouvraient à la fois. L'une 25 verdoie, protégée par une étroite coiffure de feuilles; l'autre sous une feuille mince marque la rougeur de la pourpre. L'une fend le bout effilé de son premier bouton et dégage la pointe de sa tête empourprée; cette autre déplie le voile rassemblé sur son front, toute prête à faire 30 compter ses pétales. En hâte elle a ouvert le trésor de son riant calice et laisse voir le pollen épais, couleur de safran, qu'il enfermait. Une qui tantôt rutilait de tous les feux de sa chevelure, pâlit délaissée par ses pétales qui tombent. Je voyais avec étonnement la rapidité des dégâts produits 35 par la fuite du temps, et ces roses qui, sitôt nées, vieillissent. Voici que se détache la rouge chevelure de la fleur vermeille au moment où je parle, et le sol se tapisse d'une pourpre brillante. Que de formes, de naissances et de 40 changements variés commencés en un seul jour et, ce même jour, terminés ! Nous nous plaignons, nature, que brève soit tant de grâce; tu montres à nos regards et, tout de suite, tu nous ravis tes présents. Ce que dure une journée, c'est ce que dure la vie des roses; leur adolescence touche à leur courte vieillesse. Celle qu'à peine née 45 a regardée l'astre éclatant du matin, le soir, à son retour tardif, il la voit flétrie. Mais tant pis ! car s'il lui faut peu de jours pour mourir, ses rejetons prolongent son existence. Cueille, jeune fille, les roses, tandis que la fleur est nouvelle, [18,50] que nouvelle est ta jeunesse, et rappelle-toi que ton bel âge passe comme elle.