[0] Les origines du peuple romain. Les origines du peuple romain, depuis les fondateurs, Janus et Saturne, à travers l’histoire des grands hommes qui se sont succédé jusqu’au dixième consulat de Constance. Oeuvre composée d’après l’autorité de Verrius Flaccus, d’Antias (puisque Verrius lui-même a préféré la graphie Antias à celle d’Antia), ensuite d’après les annales des pontifes ; en outre d’après Cincius, Égnatius, Véranius, Fabius Pictor, Licinius Macrus, Varron, César, Tubéron, et tous les historiens anciens ; puis, pour les époques suivantes, d’après les affirmations de chacun des modernes, c’est-à-dire Tite-Live et Victor l’Africain. [1] I, 1. On croit que le premier qui vint en Italie fut Saturne, ainsi que l’atteste aussi la Muse virgilienne, dans ces vers connus : Le premier qui vint de l’Olympe céleste fut Saturne, fuyant les armes de Jupiter, etc. I, 2. Les hommes des temps anciens, au moins jusqu’à cette époque, étaient, d’après la tradition, simples, au point que, si des étrangers arrivaient chez eux, capables de les aider par leur sagesse et leur jugement, de manière qu’ils puissent améliorer leurs conditions de vie et affiner leurs moeurs, parce qu’ils ne connaissaient d’eux ni l’origine ni les ancêtres, ils les croyaient nés du Ciel et de la Terre, et les donnaient aussi pour tels à leurs descendants ; ainsi déclarèrent-ils Saturne lui-même né du Ciel et de la Terre. I, 3. En dépit de de cette tradition, il est certain que Janus arriva en Italie avant Saturne, qu’à son arrivée il accueillit ensuite. I, 4. Ainsi faut-il comprendre que Virgile qualifie Saturne de « premier », non par ignorance de l’histoire ancienne, mais parce que tel était le sens qu’il donnait habituellement à ce mot : il ne voulait pas dire que personne ne l’avait précédé, mais qu’il était le personnage principal, comme dans les mots « qui le premier des rivages de Troie. » I, 5. Il ne fait aucun doute qu’Anténor aborda en Italie avant Énée et qu’il fonda la ville de Padoue, non sur la côte proche du rivage, mais à l’intérieur des terres {c’est-à-dire en Illyrie}, comme Virgile le dit lui-même dans les vers qu’il prête à Vénus, lorsque la déesse se plaint à Jupiter des épreuves de son enfant Énée : Anténor, lui, après avoir échappé aux Achéens, a pu pénétrer dans les golfes d’Illyrie et gagner en toute quiétude le coeur, etc. I, 6. Pourquoi donc Virgile a-t-il ajouté «en toute quiétude » ? Nous avons essayé de l’éclaircir, de manière approfondie, à l’endroit voulu, dans le commentaire que nous avons commencé à rédiger, d’après la documentation fournie par le livre intitulé L’origine de Padoue. I, 7. Dans le cas présent, primus est utilisé avec un sens identique à celui qu’on trouve au deuxième livre de l’Énéide, dans l’énumération de ceux qui sortent du cheval de bois. I, 8. Après avoir cité Thersandre, Sthénélos, Ulysse, Acamas, Thoas, Néoptolème, le poète ajoute « primusque Machaon » (et Machaon le premier). I, 9. On peut alors se poser la question : comment peut-il être qualifié de primus, celui qui est mentionné après tant d’autres ? Mais nous comprendrons primus dans le sens de personnage éminent, précisément parce que Machaon, suivant la tradition, a été, en son temps, d’une habileté exceptionnelle dans l’art de la médecine. [2] II, 1. Mais revenons au sujet qui nous occupe. On raconte que Créüse, la fille d’Érechthée, roi d’Athènes, jeune fille d’une grande beauté, fut violée par Apollon, et mit au monde un enfant mâle qui fut ensuite envoyé à Delphes pour y être élevé. Quant à Créüse, son père, qui ignorait tout, la donna {ou l’unit} en mariage à un proche, un certain Xouthos. II, 2. Comme il n’arrivait pas à avoir d’enfants de Créüse, il se rendit à Delphes afin d’interroger l’oracle sur ce qu’il convenait de faire pour pouvoir devenir père. Le dieu lui répondit d’adopter celui qu’il trouverait sur sa route, le jour suivant. II, 3. Il rencontra justement cet enfant, dont nous venons de dire qu’il était le fils d’Apollon, et Xouthos l’adopta. II, 4. Quand il fut parvenu à l’adolescence, mécontent du règne de son père, Janus fit voile vers l’Italie avec une grande flotte ; arrivé dans le Latium, il s’installa sur une hauteur et y fonda une cité, qu’il appela Janicule, à partir de son nom même. [3] III, 1. Tandis que Janus régnait sur des indigènes frustes et incultes, Saturne, chassé de son royaume, trouva refuge en Italie, où on lui accorda une bienveillante hospitalité ; non loin du Janicule, il fonda une citadelle et, de son nom, il l’appela Saturnia. III, 2. Le premier il enseigna l’agriculture ; ces hommes frustes, et habitués à vivre de rapines, il les conduisit vers une forme de vie organisée, comme le dit Virgile dans le livre VIII de l’Énéide : Habitaient ces bois les Faunes et les Nymphes indigènes, ainsi qu’une race d’hommes nés du tronc de chênes durs, êtres sans coutumes ni culture, qui ne savaient ni atteler des taureaux, ni amasser des richesses, ni épargner ce qu’ils avaient acquis ; la cueillette et la chasse des bêtes sauvages assuraient leur subsistance. III, 3. Se détournant de Janus, qui ne lui avait rien enseigné, hormis les rites du culte divin et les cérémonies religieuses, la population préféra se lier à Saturne, qui inculqua dans ces esprits encore sauvages une conception plus élevée de vie et de comportement moral, dans l’intérêt général ; comme nous l’avons déjà dit, il enseigna l’art de cultiver la terre ; c’est à quoi se réfèrent ces deux vers : Il rassembla cette race indocile et dispersée en haut des collines, pour lui imposer des lois. Il choisit d’appeler ce lieu Latium, etc. III, 4. Suivant la tradition, Saturne introduisit également l’usage de travailler le bronze et de battre la monnaie sur un coin : sur une face figurait la tête de Janus, sur l’autre l’effigie du navire qui l’avait amené en cette terre. III, 5. C’est pourquoi, encore aujourd’hui, les joueurs présentent à leurs adversaires une pièce de monnaie, en la couvrant de la main, et en les invitant à deviner ce qu’il y a au- dessous, la tête ou le navire (ce mot, dans le langage courant, a été déformé en navia). III, 6. Aujourd’hui encore la maison qui se trouve sur les pentes du Capitole, où il tenait caché son argent, est appelée « Trésor de Saturne ». III, 7. Toutefois, comme nous l’avons déjà dit, Janus était arrivé avant lui : aussi, quand il fut décidé, après leur disparition, de leur distribuer à tous deux les honneurs divins, dans toutes les cérémonies sacrées, la première place fut donnée à Janus ; même lorsqu’on leur sacrifie en même temps qu’aux autres dieux, après que l’encens a été répandu sur l’autel, Janus est nommé le premier ; et on accolle à son nom l’épithète de Père, ainsi que l’atteste aussi notre poète : La première fut fondée par le dieu Janus, l’autre par Saturne; ajoutant aussitôt après : L’une fut appelée Janicule, l’autre Saturnia. III, 8. À lui, Janus, parce qu’il possédait l’admirable capacité de rappeler le passé et aussi de prévoir le futur... (Virgile) a dit : Le roi Latinus, bien vieux déjà, régnait sur des villes et des campagnes depuis longtemps pacifiées et sereines. Pendant son règne, selon Virgile, les Troyens arrivèrent en Italie. III, 9. On se demande comment Salluste a pu écrire : « et avec eux les Aborigènes, race d’hommes agrestes, sans lois, sans gouvernement, libre et sans contrainte ». [4] IV, 1. Certains, pour leur part, rapportent que, quand les terres étaient recouvertes un peu partout des eaux du déluge, de nombreux hommes, de diverses régions, s’établirent sur les montagnes où ils avaient trouvé refuge ; puis, certains d’entre eux, en quête d’un nouveau domicile, arrivèrent en Italie et furent appelés « Aborigènes », d’un mot venant du grec, car en cette langue les sommets des montagnes sont dits g-oreh. IV, 2. Selon d’autres, ils se seraient tout d’abord appelés « Aberrigènes » parce qu’ils arrivèrent en ce lieu après avoir erré : par la suite, une lettre ayant changé, une autre ayant été ôtée, ils prirent le nom d’« Aborigènes ». IV, 3. Picus les accueillit et leur permit de vivre comme ils le voudraient. IV, 4. En Italie, après Picus, régna Faunus ; son nom dériverait du verbe fari, (dire), car il avait coutume de prédire l’avenir, en des vers que nous appelons « saturniens » ; ce genre de vers fut utilisé, pour la première fois, dans une prophétie faite à Saturnie. IV, 5. Ennius en témoigne, quand il déclare : En des vers qu’autrefois chantaient faunes et devins. IV, 6. Ce Faunus, dont il est question, la plupart l’identifie à Silvain, dont le nom vient de silva, ou au dieu Inuus, certains même à Pan. [5] V, 1. Sous le règne de Faunus, quelque soixante ans avant la venue d’Énée en Italie, l’Arcadien Évandre, fils de Mercure et de la nymphe Carmentis, y aborda avec sa mère. V, 2. Cette dernière, aux dires de certains, portait tout d’abord le nom de Nicostrata, puis celui de Carmenta, de carmen, car, très versée dans les lettres et capable de prévoir le futur, elle avait coutume de faire des prédictions en vers ; la plupart estime encore que ce n’est pas le nom de Carmenta qui vient de carmen, mais bien que ce sont les carmina qui ont été appelés ainsi, de celle qui les récitait. V, 3. Évandre, donc, vint en Italie sur les conseils de sa mère et, grâce à son extraordinaire culture et à sa connaissance de l’alphabet, en peu de temps il s’acquit l’estime de Faunus. Après avoir reçu de lui une hospitalité bienveillante, il obtint en récompense un territoire assez vaste où s’établir. Il le partagea entre ses compagnons, et leurs domiciles furent construits sur la montagne qu’ils appelaient alors Pallanté, du nom de Pallas, et que nous, ensuite, nous avons appelé le Palatin. Il y consacra un temple à Pan, qui est un dieu cher aux Arcadiens, comme l’atteste Virgile en disant : Pan, dieu de l’Arcadie, te séduisit et te trompa, ô Lune, et aussi : Pan, même, au tribunal de l’Arcadie, se mesurait avec moi Pan, même, au tribunal de l’Arcadie, s’avouerait battu. V, 4. Le premier, Évandre enseigna aux habitants de l’Italie à lire et à écrire avec un alphabet qu’il avait en partie appris auparavant ; il leur montra la culture des céréales, découverte pour la première fois en Grèce ; il leur enseigna l’art de semer, et fut le premier en Italie à atteler les boeufs pour labourer la terre. [6] VI, 1. Sous le règne d’Évandre, un certain Tricaranus, d’origine grecque, arriva dans le Latium ; c’était un berger d’une taille gigantesque et d’une grande force, qu’on appelait Hercule parce qu’il dépassait tout le monde pour l’aspect et le courage. VI, 2. Tandis que ses troupeaux paissaient le long des rives du fleuve Albula, Cacus, un esclave d’Évandre, mauvais, rusé, et de surcroît très cupide, déroba quelques génisses à Tricaranus et, pour ne laisser aucun indice, il les traîna dans une grotte en les tirant par la queue. VI, 3. Tricaranus parcourut les régions voisines et explora les cachettes possibles mais, à la fin, désespérant de les retrouver, et résigné désormais à subir sereinement leur perte, il avait décidé d’abandonner la région. VI, 4. Quand Évandre, homme d’une très grande justice, apprit comment les faits s’étaient produits, il fit punir l’esclave et restitua les génisses volées. VI, 5. Tricaranus consacra alors, aux pentes de l’Aventin, un autel au Père Inventeur, lui donna le nom de Maxima, sur lequel il offrit ensuite la dixième partie de son troupeau. VI, 6. L’usage le plus ancien était de donner aux souverains la dixième partie des récoltes ; mais il parut à Tricaranus plus juste que les dieux profitent de cette offrande, plutôt que les rois. De là vint la coutume de consacrer la dîme à Hercule ; c’est à quoi Plaute se réfère, à travers l’expression « la part d’Hercule », qui signifie précisément le dixième. VI, 7. Tricaranus, donc, dédia l’Ara Maxima et consacra la dîme ; et comme, quoique invitée, Carmenta ne se présenta pas, il établit qu’aucune femme n’aurait le droit de se nourrir de ce qui avait été offert sur cet autel ; et, de fait, les femmes furent sans exception exclues du rite. C’est ce que Cassius raconte dans son premier livre. [7] VII, 1. Cependant, dans les livres des Questions pontificales, on rapporte qu’Hercule, le fils de Jupiter et d’Alcmène, après sa victoire sur Géryon, emmenant avec lui son célèbre troupeau, et désireux d’introduire en Grèce des boeufs de cette race, arriva par hasard dans le Latium et, ayant admiré la richesse du pâturage, il décida de s’y arrêter un moment afin que les hommes qui l’accompagnaient, mais aussi les animaux, puissent récupérer des fatigues du long voyage. VII, 2. Les animaux furent mis à paître, librement, là où se trouve aujourd’hui le Cirque Maxime, car on pensait que nul n’oserait toucher au bien d’Hercule. Or, un brigand de la région, qui dépassait tout le monde par son aspect physique et son courage, tira huit génisses dans une grotte en les traînant par la queue, afin de ne pas laisser de trace de son larcin. VII, 3. Quand Hercule, en partant, poussait le reste de son troupeau, par hasard il passa près de la grotte, et les génisses qui s’y trouvaient renfermées bleuglèrent au moment où les autres passèrent devant elles : ainsi le vol fut découvert. VII, 4. Quand il apprit qu’Hercule avait tué Cacus, Évandre alla le trouver pour le remercier d’avoir libéré son territoire d’un si grand fléau ; et dès qu’il apprit quels étaient ses parents, Évandre rapporta à Faunus comment s’était déroulée toute cette histoire. Alors Faunus désira ardemment devenir son ami. Cette version des événements n’a pas été suivie par notre Virgile. [8] VIII, 1. Celui qui consacra le Grand Autel au Père Découvreur, qu’il s’agisse de Tricaranus ou d’Hercule, fit venir deux Italiens, Potitius et Pinarius, afin de leur enseigner comment célébrer ce culte suivant un rituel précis. VIII, 2. Mais tandis que Potitius, arrivé le premier, fut autorisé à brûler les viscères des victimes, Pinarius, qui vint avec du retard, fut exclu du festin, lui et tous ses descendants. Aujourd’hui encore, la règle veut qu’aucun membre de la famille de Pinarius puisse consommer durant le sacrifice. VIII, 3. Il y en a qui soutiennent que les Pinarius s’appelaient auparavant d’une autre façon, et qu’ensuite ils prirent leur nom du grec , parce que des sacrifices de ce genre, où ils ne touchaient pas à la nourriture, ils sortaient affamés. VIII, 4. Jusqu’à la censure d’Appius Claudius, l’usage resta en vigueur, que les Pinarius soient admis au sacrifice seulement après que les Potitius, qui le célébraient, se furent alimentés des chairs du boeuf immolé, c’est-à-dire au moment où il ne restait plus rien. VIII, 5. Cependant, Appius Claudius convainquit, avec de l’argent, les Potitius qu’ils enseignent aux esclaves publics le rituel public institué par Hercule, et aussi qu’ils y admettent les femmes. VIII, 6. On raconte, qu’à la suite de cela, dans le laps de temps de trente jours, toute la famille des Potitius, qui jusqu’alors avait détenu la priorité dans la célébration du sacrifice, s’éteignit, et le devoir passa aux Pinarius ; ces derniers, soit par crainte de la divinité, soit par religieuse dévotion, furent ensuite les fidèles gardiens de ces rites. [9] IX, 1. Après Faunus, alors que son fils Latinus régnait en Italie, Ilion était prise par les Grecs à cause de la trahison d’Anténor et d’autres princes troyens : Énée, portant devant lui les dieux Pénates, son père Anchise sur les épaules, et tirant par la main son petit enfant, pendant la nuit essaya de fuir ; le jour étant venu, il fut reconnu par ses ennemis, lesquels, le voyant chargé d’un si pieux fardeau, ne l’arrêtèrent pas ; davantage : le roi Agamemnon lui permit d’aller où il le voudrait. Énée se dirigea vers le mont Ida, où il équipa une flotte et, sur le conseil de l’oracle, il partit vers l’Italie en compagnie de nombreux hommes et femmes : tout cela, Alexandre d’Éphèse le raconte dans le premier livre de son oeuvre La guerre Marse. IX, 2. Lutatius, quant à lui, rapporte que non seulement Anténor mais aussi Énée trahit sa patrie. IX, 3. Le roi Agamemnon lui accorda d’aller où il voudrait, et de prendre avec lui ce qu’il estimait le plus précieux ; il emporta uniquement les dieux Pénates, son père et ses deux petits enfants, comme certains disent ; selon d’autres, cependant, son unique fils, qui s’appela d’abord Iule et, par la suite, Ascagne. IX, 4. Impressionnés par tant de piété, les chefs grecs permirent à Énée de revenir chez lui et d’emporter ce qu’il voudrait ; il quitta Troie avec de grandes richesses et en compagnie de nombreux compagnons de l’un et l’autre sexe ; il arriva en Italie, au terme d’un long trajet en mer, et après avoir touché de nombreuses terres. Tout d’abord, il débarqua en Thrace, où il fonda la cité d’Énus, qu’il appela ainsi à partir de son nom. IX, 5. Ensuite, ayant découvert la perfidie de Polymestor à la suite de la mort de Polydoros, il s’éloigna et atteignit l’île de Délos ; il repartit après avoir épousé Lavinia, la fille d’Anios, prêtre d’Apollon, de laquelle prirent le nom les littoraux laviniens. IX, 6. Il franchit de nombreux océans, il débarqua sur le promontoire de la côté italique près de Baies, dans le voisinage du lac d’Averne, où il ensevelit son pilote Misène, mort de maladie ; ce dernier donna son nom à la ville de Misène, comme l’écrit aussi César dans le premier livre de ses Questions Pontificales, même s’il affirme que ce Misène n’était pas pilote mais trompette. IX, 7. Justement, Virgile tient compte des deux versions, lorsqu’il écrit : Alors le pieux Énée fit dresser un tombeau de dimensions énormes en l'honneur de l'homme, avec ses armes et ses rames et sa trompette. IX, 8. Même si certains assurent, sur l’autorité d’Homère, qu’au temps de la guerre de Troie l’usage de la trompette était encore inconnu. [10] X, 1. Certains historiens ajoutent que, sur ce littoral, Énée célébra les funérailles de Baia, la mère d’Euxinus, son compagnon, morte d’une vieillesse avancée, près de l’étang situé entre Misène et le lac d’Averne : ce lac prit son nom. Ayant ensuite appris que dans le voisinage, dans la ville qui s’appelle Cimmérium, une Sibylle prédisait le futur aux mortels, il s’y rendit pour l’interroger sur sa situation future. Il obtint la réponse, et il lui fut interdit d’ensevelir sur le sol italique l’une de ses parentes. X, 2. Après qu’Énée fut de retour à sa flotte et trouva morte Prochytas, une parente qu’il avait laissée en bonne santé, il lui donna une sépulture sur une île voisine, qui aujourd’hui encore conserve son nom, comme l’écrivent Lutatius, Acilius et Pison. X, 3. Parti de là, il arriva à une localité, que nous appelons le port de Caiète, du nom de la nourrice d’Énée qui y mourut et y fut enterrée. X, 4. Toutefois, César et Sempronius affirment que Caiète n’est pas un nom mais un surnom qui lui fut donné, car les femmes troyennes, conseillées et exhortées par Caiète, fatiguées du long voyage, mirent en ce lieu le feu aux navires : le nom viendrait du grec qui signifie « incendier ». X, 5. Ensuite Énée arriva dans la région d’Italie, où régnait alors Latinus, appelée laurente du nom de la plante du laurier. Avec son père Anchise, avec tous ses compagnons, descendus des navires, il s’étendit sur le rivage et, quand il eut consommé toute la nourriture qu’il possédait, il mangea aussi la croûte des galettes de froment qu’il emportait pour les sacrifices. [11] XI, 1. Alors Anchise conjectura qu’ils étaient arrivés au terme de leurs souffrances et de leurs errances ; il se souvenait en effet qu’autrefois Vénus lui avait prédit que le jour où, sur le rivage d’un pays étranger, poussés par la faim ils dévoreraient même les tables consacrées, précisément en ce lieu, par la volonté du destin, ils devraient fonder leur nouvel établissement. XI, 2. En outre, une truie pleine, menée du navire à terre pour être immolée, se libéra des mains des sacrificateurs ; Énée se rappela alors la réponse d’un oracle ancien, qu’un quadrupède le guiderait jusqu’au lieu où il fonderait la nouvelle ville. XI, 3. C’est pourquoi il se mit à la suivre, en emportant aussi les images des dieux pénates ; sur le sol où la bête se coucha et mit bas trente porcelets, Énée, après avoir pris les auspices et immolé la truie, fonda une cité, qu’il appela Lavinium, comme l’attestent César dans son premier livre, et Lutatius dans son second livre. [12] XII, 1. Selon Domitius il ne s’agissait pas de galettes de froment, comme écrit plus haut, mais de branches de persil, abondantes en ce lieu, qui furent utilisées pour manger, en guise de tables. Quand ils eurent fini le repas, ils mangèrent également le persil, et aussitôt ils comprirent qu’il s’agissait là des tables que, selon la prédiction, ils devaient manger. XII, 2. La truie ayant été immolée, et tandis qu’il faisait un sacrifice sur le rivage, on rapporte qu’Énée s’aperçut par hasard de l’arrivée d’une flotte grecque où se trouvait Ulysse. Craignant de courir un danger, s’il était reconnu par ses ennemis, mais jugeant comme le pire sacrilège d’interrompre la cérémonie, il se couvrit le visage d’un voile et mena à terme le sacrifice sans rien négliger. C’est ainsi que naquit la coutume, observée par les descendants, de sacrifier le visage couvert, comme l’écrit Marcus Octavius dans son premier livre. XII, 3. Dans son premier livre, Domitius nous informe au contraire qu’Énée, suivant le conseil de l’oracle de Délos, devait se diriger vers l’Italie et fonder une ville, là où il trouverait deux mers et, en plus de son repas, où il mangerait aussi les tables. XII, 4. Quand Énée débarqua dans le territoire laurente, qu’il s’éloigna un peu du rivage, il arriva près de deux étangs d’eau salée, voisins l’un de l’autre. Il s’y lava et s’y restaura en mangeant également le persil qu’il avait utilisé comme table ; et comprenant qu’il s’agissait sans aucun doute des deux mers, car l’eau des étangs était saline, et qu’il avait consommé les tables — formées par une couche de persil — il fonda la cité en ce lieu et l’appela Lavinia, parce qu’il s’était lavé dans un étang. Par la suite, Latinus, le roi des Aborigènes, lui donna cinq cents arpents de terre pour qu’il y habite. XII, 5. Caton, pour sa part, dans ses Origines du peuple romain, raconte ceci : une truie mit bas trente porcelets où se trouve à présent Lavinium ; Énée, qui avait décidé de construire là-même une cité, déplorait la pauvreté du terrain ; mais en songe lui apparurent les images des dieux pénates : ils l’exhortèrent à poursuivre son projet de fonder la cité, qu’il avait commencé : après autant d’années que la truie avait mis bas de porcelets, les Troyens se transféreraient dans des lieux fertiles et dans un territoire plus riche, en fondant une cité au nom clair entre tous, en Italie. [13] XIII, 1. Quand on annonça à Latinus, le roi des Aborigènes, qu’un grand nombre d’étrangers, venus de la mer, avaient envahi le territoire laurente, il mena sans tarder ses troupes contre ces ennemis imprévus et inattendus. Avant d’engager la bataille, il remarqua que les Troyens étaient dotés de tout l’équipement nécessaire au combat, alors que ses sujets étaient armés de pierres et de bâtons, et protégés seulement par des tuniques et des peaux qu’ils tenaient enroulés autour du bras gauche pour se défendre. XIII, 2. Aussi Latinus suspendit l’affrontement et vint parlementer avec les Troyens ; il leur demanda qui ils étaient, et ce qu’ils voulaient, cette décision ayant été prise sur ordre de la divinité ; maintes fois en effet, les entrailles des victimes et les visions qu’il avait eues en songe l’avaient averti qu’il se garderait mieux de ses ennemis s’il unissait ses forces à des étrangers. XIII, 3. Quand il apprit qu’Énée et Anchise, chassés de leur patrie à cause de la guerre, erraient avec les simulacres des dieux en quête d’un lieu où s’établir, il conclut avec un eux un pacte d’amitié ; ils se jurèrent réciproquement qu’ils auraient des amis et des ennemis communs. XIII, 4. Ainsi les Troyens commencèrent à fortifier leur cité, qu’Énée appela Lavinium, du nom de son épouse, la fille du roi Latinus, qui dans un premier temps avait été promise à Turnus. XIII, 5. Cependant, la reine Amata, la femme de Latinus, tolérait mal que Lavinia, ayant répudié Turnus, qui était son cousin, épouse un étranger troyen ; elle incita Turnus à prendre les armes. Il rassembla l’armée des Rutules et attaqua le territoire laurente : le roi Latinus, avec Énée, se porta contre lui mais, au milieu des combats, il fut encerclé et tué. XIII, 6. Après la mort de son beau-père, Énée continua de résister aux Rutules, et il tua même Turnus. XIII, 7. Ayant défait et mis en fuite ses ennemis, il rentra en vainqueur à Lavinium avec ses soldats, et, à l’unanimité, il fut proclamé roi des Latins, comme l’écrit Lutatius dans son troisième livre. XIII, 8. Pison soutient pour sa part que Turnus était le cousin d’Amata, et qu’après la mort de Latinus au combat, elle s’ôta la vie. [14] XIV, 1. Donc, Énée, après avoir tué Turnus, s’empara du pouvoir. Comme il ressentait encore de la colère envers les Rutules, il décida de les harceler sans trêve, par des actions de guerre ; ils implorèrent de l’Étrurie l’aide de Mézence, le roi d’Agylla, avec la promesse qu’en cas de victoire, tout ce qui appartenait aux Latins lui serait cédé. XIV, 2. Comme ses soldats étaient en infériorité numérique, Énée mit à l’abri dans la cité tout ce qu’il devait impérativement sauver ; il établit son camp sous Lavinium, et plaça son fils Euryléon au commandement ; quant à lui, ayant choisi le moment opportun pour attaquer, il fit avancer ses soldats en ordre de bataille près de l’étang formé par les eaux du Numicius. Tandis que l’on combattait âprement en ce lieu, le ciel s’obscurcit à cause d’une tourmente subite, et aussitôt une pluie battante commença de tomber, accompagnée de tonnerres et d’éclats d’éclairs, au point que non seulement les yeux étaient aveuglés, mais les esprits également troublés. Les combattants des deux camps ne désiraient pas autre chose que mettre fin à la bataille ; néanmoins, Énée, enlevé dans le bouleversement de cette tempête imprévue, n’apparut plus parmi les mortels. XIV, 3. On rapporte par ailleurs qu’il ne se doutait pas être près du fleuve et, poussé depuis le rivage, il tomba dans l’eau ; ainsi la bataille prit-elle fin. Dans la suite, toutefois, quand les nuées s’écartèrent et se dissipèrent, et que resplendit le ciel clair, on crut qu’il avait été admis vivant au ciel. XIV, 4. Plus tard, Ascagne et quelques autres affirmèrent qu’ils l’avaient vu au-dessus de la rive du fleuve Numicius avec les mêmes vêtements et les mêmes armes avec lesquelles il était entré dans la bataille ; cela servit à renforcer la réputation de son immortalité. Aussi en ce lieu un temple lui fut-il consacré, et on le vénéra en tant que Père Indigète. XIV, 5. Ensuite son fils Ascagne, appelé aussi Euryléon, fut proclamé roi avec le consentement de tous les Latins. [15] XV, 1. Quand il eut obtenu le pouvoir suprême sur les Latins, Ascagne décida de continuer sans trêve la guerre contre Mézence, dont le fils, Lausus, s’empara de la colline qui constitue la citadelle de Lavinium ; comme la cité se trouvait serrée de toutes parts par les troupes du roi, alors les Latins envoyèrent à Mézence une ambassade pour lui demander à quelles conditions il accepterait leur reddition. XV, 2. Or Mézence, entre autres lourdes exigences, ajouta aussi qu’on lui donne, durant plusieurs années, tout le vin produit dans les terres latines ; alors sur le conseil et l’autorité d’Ascagne, on préféra risquer de mourir en défendant sa liberté, plutôt que de subir une pareille servitude. XV, 3. Ainsi, après avoir consacré à Jupiter, par un voeu public, le vin de toute la vendange, les Latins se jetèrent hors de la cité et, ayant défait les assiégeants et tué Lausus, ils contraignirent Mézence à la fuite. XV, 4. Ce dernier, par la suite, par l’envoi d’une ambassade, obtint l’amitié et l’alliance des Latins, comme l’atteste Lucius César dans son premier livre, et également Aulus Postumius, dans son oeuvre L’arrivée d’Énée, dédiée à - - -. XV, 5. Admirant le grand courage d’Ascagne, les Latins, non seulement estimèrent qu’il était le descendant de Jupiter, mais ils l’appelèrent d’abord Iole, abrégeant et transformant un peu son nom, puis Iule : de lui descendit la famille Giulia, comme l’écrivent César dans son deuxième livre, et Caton dans les Origines. [16] XVI, 1. Laissée enceinte par Énée, Lavinia, par crainte de l’hostilité d’Ascagne, se réfugia dans une forêt, auprès de Tyrrhus, berger des troupeaux de Latinus. Elle y mit au monde un fils, qui fut appelé Silvius, d’après la nature du lieu. XVI, 2. Mais le peuple des Latins, imaginant que Lavinia avait été tuée en secret par Ascagne, conçut une grande animosité à son égard, au point de le menacer avec les armes. XVI, 3. Alors Ascagne tenta de se disculper, par des serments, mais cela ne lui servit à rien. Il réussit toutefois à apaiser un peu la colère populaire, en demandant un certain délai afin d’entreprendre des recherches, et il promit qu’il comblerait de récompenses considérables celui qui la retrouverait. Très vite Lavinia fut retrouvée, et il la ramena à Lavinium avec son fils, et il l’aima et l’honora comme sa mère. XVI, 4. Cela lui fit regagner la faveur du peuple, comme l’écrivent {Gaius} Cesare et {Sextus} Gellius dans ses Origines du peuple romain. XVI, 5. D’autres, au contraire, racontent que, quand le peuple entier cherchait à contraindre Ascagne à rendre Lavinia, et que lui jurait de ne pas l’avoir tuée, et de ne pas savoir où elle se trouvait, le berger Tyrrhus, ayant demandé le silence, déclara à cette nombreuse assemblée qu’il pouvait lui donner des renseignements, s’il obtenait la promesse que leur sécurité, à lui, à Lavinia et à son enfant, serait assurée. Ces garanties obtenues, il ramena Lavinia et son fils dans la cité. [17] XVII, 1. Après ces événements, trente ans s’étant écoulés à Lavinium, Ascagne se rappela que le moment était venu de fonder la nouvelle ville, conformément au nombre des porcelets nés de la truie blanche. Observant attentivement la région alentour, il fut frappé par la montagne, qui aujourd’hui s’appelle mont Albain, du nom de la cité qui s’y dresse ; Ascagne y fonda une ville, que, d’après sa forme, il appela Longue, parce qu’elle s’étend en longueur, et Blanche, de la couleur de la truie. XVII, 2. Il y transporta les simulacres des pénates ; mais ces derniers, le jour suivant, réapparurent à Lavinium ; ils furent reportés à Albe et, on disposa je ne sais combien d’hommes pour les garder, ils retournèrent de nouveau à Lavinium, dans leur ancien domicile. XVII, 3. Personne n’osa plus les déplacer une troisième fois, comme il a été écrit dans le quatrième livre des Annales des Pontifes, dans le second de Cincius et de César, dans le premier de Tubéron. XVII, 4. À la mort d’Ascagne, un différend s’éleva, pour l’obtention du pouvoir, entre Iule, son fils, et Silvius Postumius né de Lavinia ; on s’interrogeait sur celui à qui il devait revenir, du fils ou du petit-fils d’Énée. La décision incomba au peuple, qui proclama Silvius roi, à l’unanimité. XVII, 5. Ses descendants, qui s’appelèrent tous Silvius, régnèrent sur Albe jusqu’à la fondation de Rome, comme il est écrit dans le quatrième livre des Annales des Pontifes. XVII, 6. Sous le règne de Latinus Silvius, des colons s’établirent à Préneste, Tibur, Gabies, Tusculum, Cora, Pométa, Labici, Crustumium, Caméria, Bovillae, et dans les autres cités environnantes. [18] XVIII, 1. Tibérius Silvius, le fils de Silvius {Postumus}, lui succéda. Il fit la guerre aux populations voisines qui l’attaquaient ; mais lors d’un combat, il fut poussé dans les eaux du fleuve Albula, et y périt ; et ce fut la raison pour laquelle on changea le nom du fleuve, comme l’écrivent Lucius Cincius dans son premier livre, et Lutatius dans son troisième. XVIII, 2. Après lui régna Arémulus Silvius qui, dit-on, se distingua par son arrogance, non seulement envers les hommes, mais aussi envers les dieux, au point qu’il se proclamait supérieur à Jupiter lui-même ; il commandait à ses soldats, quand le ciel tonnait, de frapper sur leurs boucliers avec leurs armes, et il prétendait qu’il savait produire un son plus éclatant encore. XVIII, 3. Mais il fut puni bien vite : frappé par la foudre, et saisi dans un tourbillon de vent, il fut précipité dans le lac d’Albe, comme il est écrit dans le quatrième livre des Annales des Pontifes, et dans le second des Épitomes de Pison. XVIII, 4. Aufidius, pourtant, dans ses Épitomes, et Domitius, dans son premier livre, rapportent qu’il ne mourut pas foudroyé, mais que son palais s’écroula lors d’un tremblement de terre, et qu’il fut emporté et traîné avec les ruines de l’édifice dans le lac d’Albe. XVIII, 5. Après lui régna Aventinus Silvius ; attaqué par les peuples voisins, lors de la bataille il fut encerclé par les ennemis ; il mourut et fut enseveli au pied de la montagne qui prit son nom, comme l’atteste Lucius César dans son deuxième livre. [19] XIX, 1. Après Aventinus, le roi d’Albe, Silvius Procas, laissa pour héritiers, à parts égales, ses deux fils, Numitor et Amulius. XIX, 2. Alors Amulius mit d’un côté le seul pouvoir royal, de l’autre tout le patrimoine et les richesses de leur père, et il laissa Numitor, qui était l’aîné, le droit de choisir ce qu’il préférait. XIX, 3. Au pouvoir, Numitor préféra la tranquillité privée avec ses richesses, et ainsi Amulius obtint le règne. XIX, 4. Pour renforcer son propre pouvoir, il fit tuer le fils de Numitor, durant une partie de chasse ; il décréta en outre que Rhéa Silvia, sa soeur, devînt prêtresse de Vesta, feignant d’avoir eu une vision, où la déesse elle-même lui demandait cela. En réalité, il prit cette décision parce qu’il estimait dangereux que de Rhéa Silvia naisse une descendance, qui vengerait les torts subis par leur aïeul, comme l’écrit Valérius Antias dans son premier livre. XIX, 5. Marcus Octavius et Licinius Macer rapportent au contraire que ce fut Amulius lui- même, l’oncle de la vestale Rhéa Silvia, qui, pris de passion pour elle, la viola dans le bois sacré de Mars, profitant d’un ciel sombre et obscurci par les nuages, quand la jeune fille, aux premières lueurs de l’aube, sortit pour puiser l’eau destinée au culte. Le temps normal s’étant écoulé, deux jumeaux naquirent. XIX, 6. L’ayant appris, Amulius, afin que sa faute ne fût pas connue, ordonna que la prêtresse fût condamnée à mort, et que les jumeaux lui fussent remis. XIX, 7. Alors Numitor, en espérant que dans l’avenir ses petits-enfants, devenus grands, vengeraient les offenses subies, leur substitua d’autres nouveaux-nés, et confia ses vrais petits-fils à Faustulus, le chef des bergers, pour qu’il les élève. [20] XX, 1. Au contraire, Fabius Pictor, dans son premier livre, et Vennonius racontent que la jeune fille était sortie, selon l’usage rituel, pour puiser l’eau nécessaire au culte, à une fontaine qui se trouvait dans le bois sacré de Mars. Quand ses compagnes se dispersèrent en fuyant, à cause d’une pluie soudaine et de tonnerres, elle fut violée par Mars, et elle en demeura profondément troublée ; mais le dieu la réconforta en lui révélant son identité, et en lui promettant qu’elle donnerait naissance à une descendance digne de son père. XX, 2. Dès qu’il sut que la prêtresse avait accouché de deux jumeaux, le roi Amulius ordonna immédiatement qu’ils soient portés au bord du fleuve, et abandonnés. XX, 3. Ceux chargés d’exécuter l’ordre placèrent les enfants dans une petite barque, et les abandonnèrent dans le Tibre, au pied du Palatin, où un étang s’était formé, en raison des pluies abondantes. Faustulus, un porcher de la région, les aperçut en train d’exposer les enfants ; lorsque les eaux se furent retirées, il vit que la petite barque avec les enfants s’était immobilisée auprès d’un figuier. Attirée par les pleurs des bébés, une louve, qui venait de mettre bas, commença par les lécher, puis elle leur offrit ses mamelles afin de les soulager. Alors Faustulus s’approcha, recueillit les petits et les porta à sa femme, Acca Larentia, pour qu’elle les nourrisse, comme l’écrivent Ennius dans son premier livre, et César dans le second. XX, 4. Certains ajoutent que, tandis que Faustulus observait encore, un pivert également vola vers les enfants, le bec plein de nourriture, qu’il leur donna ; d’où la conviction que le loup et le pivert sont placés sous la protection de Mars. L’arbre, près duquel les enfants furent abandonnés dans le fleuve, est appelé « figuier ruminal », parce que sous son ombre le bétail a l’habitude de ruminer pendant le repos de l’après-midi. [21] XXI, 1. Valérius raconte au contraire qu’Amulius confia les enfants nés de Rhéa Silvia à son esclave Faustulus pour qu’il les supprime ; mais celui-ci, prié par Numitor de n’en rien faire, les donna à élever à Acca Larentia, sa maîtresse, qu’on appelait « louve », parce qu’elle avait l’habitude de se prostituer pour de l’argent. XXI, 2. On sait en effet que ce terme désigne les femmes qui font commerce de leur corps, et de là vient l’usage d’appeler lupanars les lieux où elles sont logées. XXI, 3. Par la suite, quand ils furent en mesure de recevoir une éducation libérale, les jumeaux demeurèrent à Gabies, pour y apprendre les lettres grecques et latines : leur aïeul Numitor, en secret, pourvoyait à tout. XXI, 4. Dès qu’ils atteignirent l’adolescence, Romulus apprit, d’une révélation de Faustulus, qui était son grand-père, qui était sa mère et quel destin il avait enduré : il se dirigea aussitôt vers Albe avec une troupe de bergers armés, tua Amulius et restitua le pouvoir royal à Numitor. XXI, 5. Le nom de Romulus vient de sa grande force et de sa valeur : en grec, on l’exprime par la parole . Son frère, pour sa part, fut appelé Rémus, à cause de sa lenteur, parce que les hommes d’une telle nature, autrefois, étaient nommés remores. [22] XXII, 1. Après les événements qui viennent d’être exposés, ayant célébré un sacrifice dans le lieu qu’on appelle aujourd’hui Lupercal, Romulus et Rémus, coururent joyeusement, en frappant, avec les peaux des victimes immolées, tous ceux qu’ils rencontraient sur leur passage, et ils décrétèrent que ce sacrifice solennel reste en vigueur pour eux-mêmes et pour leurs descendants, et ils donnèrent des noms différents à leurs propres compagnons : Rémus les appela Fabius, Romulus Quintilius. Ces noms sont encore en usage aujourd’hui au cours de cette cérémonie. XXII, 2. Dans le second livre des Questions pontificales, au contraire, on lit qu’Amulius envoya quelques-uns de ses sujets pour capturer le berger Rémus, mais, n’osant pas le capturer par la force, ils choisirent le moment opportun pour lui tendre une embuscade. En l’absence de Romulus, ils feignirent de proposer un concours pour savoir qui d’entre eux, les mains liées derrière le dos, serait capable de porter le plus loin possible, en la tirant avec les dents, la pierre que l’on utilisait pour peser la laine. XXII, 3. Sûr de sa force, Rémus promit qu’il la porterait jusqu’à l’Aventin ; mais dès qu’il eut accepté de se faire ligoter, il fut emmené comme prisonnier à Albe. À son retour, Romulus, informé de ce qui s’était passé, réunit aussitôt un grand nombre de bergers ; il les divisa en groupes de cent hommes auxquels il distribua des perches ; des manipules de foin, de formes variées, étaient attachés à leur extrémité, pour que tous puissent plus facilement reconnaître et suivre leur propre chef. De là vient le nom de « manipulaires », donné aux soldats qui appartiennent au même groupe. XXII, 4. Ainsi, ayant tué Amulius, Romulus libéra son frère et rendit le règne à son aïeul Numitor. [23] XXIII, 1. Romulus et Rémus projetèrent de fonder une ville, dans laquelle tous deux régneraient avec un pouvoir égal ; Romulus estimait que l’endroit le mieux adapté était le Palatin, et il voulait l’appeler Rome, alors que Rémus indiquait une autre colline distante de cinq milles du Palatin, et dont il voulait que le lieu prenne, d’après son nom, le nom de Rémoria. Comme la controverse s’éternisait, leur aïeul Numitor ayant été pris pour arbitre, on décida de laisser les dieux trancher ce différend : celui des deux frères qui, le premier, aurait des auspices favorables, fonderait la cité, lui donnerait son nom et en deviendrait roi. XXIII, 2. Pour prendre les auspices, Romulus se plaça sur le Palatin, et Rémus sur l’Aventin ; à Rémus, tout d’abord, apparurent six vautours qui volaient ensemble, qui venaient de la gauche. Il envoya annoncer à son frère qu’il avait déjà eu l’auspice qui lui commandait de fonder la ville ; qu’il se dépêche, donc, de venir auprès de lui. XXIII, 3. Dès qu’il fut arrivé, Romulus demanda quel avait été l’auspice, et Rémus lui répondit que, tandis qu’il prenait l’auspice, il lui était apparu six vautours groupés. « Mais moi, maintenant, je t’en montrerai douze ! » Et subitement apparurent dans le ciel douze vautours, accompagnés d’un éclair et d’un coup de tonnerre. XXIII, 4. Alors Romulus ajouta : « Pourquoi, ô Rémus, vanter ce que tu as vu avant, quand maintenant tu vois cela ? » Alors Rémus, comprenant que le règne lui avait été soustrait : « En cette ville », s’exclama-t-il, « de nombreux espoirs et des présomptions audacieuses se réaliseront de façon très heureuse. » XXIII, 5. Au contraire, Licinius Macer, dans son premier livre, raconte que le différend se conclut tragiquement, parce qu’aussi bien Rémus que Faustulus, qui voulaient résister, furent tués. XXIII, 6. Au contraire, Égnatus, dans son premier livre, nie la fin tragique de Rémus, et soutient qu’il vécut plus longtemps que Romulus.