[1,0] DE LA DOCTRINE DE PLATON - Livre I. [1,1] Platon fut ainsi nommé à cause de son extérieur ; car il s'appelait d'abord Aristoclès. On dit qu'il eut pour père Ariston ; et de l'autre côté Périctione, fille de Glaucus, fut sa mère. Ces deux auteurs rendent sa noblesse assez éclatante : car son père, Ariston, tirait par Codrus son origine de Neptune lui-même ; et le sage Solon, qui fonda les lois d'Athènes, était son ancêtre en ligne maternelle. Il en est qui donnent à Platon une généalogie plus auguste encore, prétendant qu'Apollon sous la figure d'un homme avait eu commerce avec Périctione. En outre, le philosophe naquit dans le mois appelé Thargélion chez les Attiques, et le jour où, dit-on, Latone avait enfanté Apollon et Diane dans l'île de Délos. On rapporte qu'il vint au monde le lendemain d'un anniversaire de la naissance de Socrate, et l'on cite même un songe bien remarquable de ce dernier. Il crut voir le petit d'un cygne s'envoler de l'autel qui est consacré à Cupidon dans l'Académie et venir s'abattre dans son propre sein ; ensuite ce cygne s'éleva à tire-d'aile dans les cieux, en charmant de ses accords pleins de mélodie et les dieux et les hommes. Comme Socrate racontait ce songe au milieu de ses disciples, précisément Ariston venait derrière lui pour lui présenter le petit Platon. Dès que le maître eut envisagé cet enfant, et que d'après son extérieur il eut reconnu le fond de sa belle âme : “Voilà, mes amis, dit-il, quel était mon cygne du Cupidon de l'Académie !” [1,2] Né de tels auteurs et sous de tels auspices, Platon ne s'éleva pas seulement au-dessus de la vertu des demi-dieux ; il atteignit encore à la puissance des dieux eux-mêmes. En effet, Speusippe, qui avait recueilli sur son compte des détails de famille, vante la facilité de perception et l'admirable modestie qui le caractérisaient dans son enfance. Il rapporte que dès sa première jeunesse, Platon s'étant pénétré de l'amour du travail et d'habitudes sérieuses, ces vertus se développèrent chez lui ainsi que toutes les autres quand il fut devenu homme. Il eut deux autres frères germains, Glaucus et Adimante. Ses maîtres furent, pour les premiers principes, Denis ; pour la gymnastique, Ariston d'Argos : et dans ce dernier genre d'exercice il fit de si grands progrès, qu'il disputa le prix de la lutte aux jeux Pythiens et aux jeux Isthmiques. Il ne dédaigna pas l'art de la peinture. Il se mit en état de composer des tragédies et des dithyrambes ; et déjà, encouragé par la confiance qu'il avait dans son talent poétique, il voulait se mettre sur les rangs pour disputer cette palme. Mais Socrate bannit de sa pensée cette ambition misérable, et prit soin de lui inspirer l'amour de la véritable gloire. Il s'était d'abord pénétré des principes de la secte d'Héraclite ; mais quand il se fut livré à Socrate, non seulement il surpassa en génie et en instruction les autres socraticiens, mais son travail et l'élégance de son esprit acquirent plus d'éclat encore à la sagesse qu'il reçut du philosophe : ses efforts tendirent à la populariser ; et l'élégance de son esprit la rehaussa singulièrement par les charmes et par la majesté du style. [1,3] Mais lorsque Socrate eut quitté les hommes, Platon chercha où il pourrait profiter, et il s'appliqua à la doctrine de Pythagore. Tout en reconnaissant qu'elle était l'ouvrage d'une raison aussi exacte qu'élevée, il se proposait plutôt d'imiter la continence et la chasteté qui la caractérisent. Ainsi, comme il remarquait que les pythagoriciens fortifiaient leur intelligence par d'autres études, il se rendit à Cyrène auprès de Théodore, pour apprendre la géométrie : il alla chercher l'astrologie jusque dans l'Égypte, pour s'y instruire même de la religion des prêtres. Il revint encore en Italie, s'attachant à Euryte de Tarente et au vieil Archytas, tous deux pythagoriciens. Il aurait même tourné ses vues du côté de l'Inde et des mages, s'il n'en eût été empêché par les guerres dont l'Asie était alors le théâtre. C'est pour cela qu'ayant fait des principes de Parménide et de Zénon une étude spéciale, il remplit ses ouvrages de toutes les beautés que ces philosophes offraient isolément à l'admiration. La philosophie jusque-là divisée en trois sections fut réunie par lui en un seul corps : et il démontra que ces diverses parties étaient mutuellement indispensables les unes aux autres ; que non seulement elles ne se combattaient pas, mais qu'encore elles se prêtaient un mutuel secours. En effet, bien qu'il eût emprunté à différents maîtres ces différentes parties de la science philosophique, à savoir, ce qui regardait la nature à Héraclite, la logique à Pythagore, la morale à Socrate même ; de tous ces éléments détachés il sut pourtant faire un seul corps, qui était en quelque sorte sa propre création. Et tandis que les chefs de ces écoles n'avaient livré à leurs auditeurs que des pensées mal polies et ébauchées, lui, en les soumettant à sa critique judicieuse et en les revêtant du charme puissant de son style enchanteur, leur donna une perfection véritablement admirable. [1,4] Un grand nombre de ses auditeurs de l'un et de l'autre sexe se firent un nom célèbre en philosophie. Le patrimoine qu'il laissa consistait en un petit jardin attenant à l'Académie, en deux esclaves, en une coupe avec laquelle il accomplissait ses dévotions envers les dieux, et en autant d'or qu'en portent comme insigne à leur oreille les enfants de famille noble. Pour ce qui est de ses trois voyages en Sicile, la malveillance les a quelquefois calomniés, et on a cherché à accréditer diverses opinions. Mais la première fois il y alla comme naturaliste, pour étudier la nature de l'Etna et les éruptions de ce volcan ; la deuxième fois, ce fut sur la demande de Denys, pour assister les Syracusains et donner à leur contrée des institutions avec un gouvernement. La troisième, ce fut pour rendre à la Sicile Dion, qui avait été exilé de sa patrie, et dont Denys lui avait accordé la grâce. Nous entreprenons de faire connaître ici les méditations, ou, comme on dirait en grec, les dogmes que ce grand philosophe a laissés pour l'utilité du genre humain, en matière de physique, de morale, et de dialectique. Nous avons déjà dit que le premier il parvint à coordonner entre elles les trois parties constitutives de la philosophie. Nous allons parler de chacune d'elles séparément, en commençant par la philosophie naturelle. [1,5] Platon pense qu'il existe trois principes de toutes choses, à savoir : Dieu, la matière, et les formes des choses qu'il appelle encore idées, lesquelles ne sont qu'ébauchées, informes, n'ayant ni apparence ni qualités précises et caractéristiques. Son opinion sur Dieu, c'est qu'il est incorporel. Lui seul, dit-il, est incommensurable, g-aperimetros; c'est lui qui est le créateur de l'univers, qui embellit toutes choses ; toute béatitude réside en lui et part de lui : il est essentiellement parfait ; il n'a besoin de rien, et c'est lui qui donne tout. Il l'appelle être céleste, être ineffable, être sans nom, g-aoraton, g-adamaston. Il ajoute qu'il est difficile de découvrir sa nature, et que si on y est parvenu on ne saurait la révéler au milieu de beaucoup d'hommes. Ce sont les termes mêmes de Platon : g-theon g-heurein g-te g-ergon, g-heuronta g-te g-eis g-pollous g-ekpherein g-adynaton. Pour la matière, il déclare qu'elle est incréable, incorruptible : n'étant ni feu, ni eau, ni tout autre principe ou élément parfait ; mais que, de ce qui existe, c'est elle qui est avant tout capable de prendre une figure et susceptible d'être modifiée. Primitivement informe et sans configuration caractéristique, elle reçoit de Dieu, l'artiste par excellence, sa conformation générale. Platon la nomme infinie, parce que sa grandeur ne connaît point de bornes. Car le propre de l'infini, c'est de n'être pas borné dans son étendue ; et comme la sienne, en effet, ne l'est pas, il est permis de l'appeler infinie. La matière est-elle corporelle ? est-elle incorporelle ? Il n'accorde ni l'un ni l'autre. Il ne la croit pas corps, parce que tout corps ne saurait se passer d'une apparence quelconque : il ne peut pas non plus dire qu'elle soit sans corps, parce qu'un corps ne présente rien d'incorporel. Si donc quelque considération la lui fait regarder comme corporelle, c'est la force des choses et le raisonnement. Mais par le fait seul et par le seul témoignage des sens, on ne saurait arriver à cette dernière croyance ; en effet les corps, en raison de leur évidence matérielle, sont reconnus au moyen d'un jugement qui lui-même est en quelque sorte matériel ; tandis que ce qui n'a pas une substance corporelle n'est vu que par la pensée. Il faut donc, selon lui, combiner ces deux opinions, et admettre que l'essence de la matière est ambiguë. [1,6] Pour les idées, autrement dit les types de toutes choses, elles sont simples, éternelles, immatérielles. C'est dans leur nombre que Dieu a pris les modèles de ce qui existe ou qui existera. Entre ces différents modèles on ne peut trouver qu'une seule apparence pour chaque création ; et tout ce qui naît est comme une cire molle qui reçoit de l'empreinte de ces types sa conformation et sa figure. Il existe deux essences, g-ousias, comme il les nomme, par la vertu desquelles tout, et le monde lui-même est créé. L'une d'elles n'est conçue que par la pensée, l'autre peut tomber sous les sens. Mais celle qui est saisie par les yeux de l'esprit est toujours une, toujours semblable et pareille à elle-même ; c'est celle qui existe véritablement. L'autre ne peut être reconnue que par les sens, par une perception tout irrationnelle ; c'est celle-là qu'il dit naître et mourir. Et de même que la première est dite exister véritablement, on peut dire de la seconde qu'elle n'existe vraiment point. La première substance, ou première essence, comprend d'abord Dieu, puis la matière, puis les formes des choses, et enfin l'âme. La seconde substance comprend tout ce qui reçoit une forme ; tout ce qui est engendré et qui tire son origine d'un des types de la substance précédente ; tout ce qui peut subir des changements, des métamorphoses ; tout ce qui s'écoule et s'échappe à l'instar de l'eau des fleuves. De plus, la substance intelligente dont j'ai parlé, étant solidement assise, mérite, comme les conséquences qui en découlent, une croyance complète et un respect inébranlable ; la seconde substance, au contraire, qui n'est en quelque sorte que l'ombre et l'image de la précédente, n'a pour base, aussi bien que les arguments et les mots qui la soutiennent, qu'une théorie tout à fait incertaine. [1,7] Le principe de tous les corps, dit donc notre philosophe, est la matière, laquelle reçoit sa figure de l'empreinte des types. De là sont nés les premiers éléments, l'eau et le feu, la terre et l'air ; et, attendu que ce sont des éléments, ils doivent être simples, et ne sauraient être combinés les uns avec les autres, comme seraient des syllabes ; ce mélange ne pouvant avoir lieu que pour les substances mixtes, dont la composition est le résultat de divers principes. Les quatre éléments, selon notre philosophe, étaient primitivement confus et désordonnés ; ce fut Dieu qui, en construisant l'univers, leur assigna un rang, des nombres, une figure, et décrivit leurs contours. De plus, les divers éléments se ramènent à un même type ; c'est-à-dire que le feu, l'air et l'eau empruntent leur mode de formation au triangle rectangle scalène, et que la terre l'emprunte au triangle rectangle isoscèle. En effet, il existe trois modifications de la première de ces deux figures : la pyramide, l'octaèdre, l'icosaèdre ; or, la forme de la pyramide représente le feu, celle de l'octaèdre l'air, celle de l'icosaèdre l'eau. Pareillement le triangle rectangle isocèle forme le carré ; le carré forme le cube, et celui-ci représente proprement la terre. Maintenant la forme mobile de la pyramide a été donnée au feu, parce que la mobilité de la figure offre de l'analogie avec l'agitation de l'élément. L'octaèdre étant susceptible d'un mouvement moins rapide a été attribué à l'air, dont la rapidité et la légèreté viennent après celle du feu. L'icosaèdre est placé en troisième lieu, parce que sa forme fluide et arrondie a paru se rapprocher davantage de l'eau. Reste la forme cubique ; et cette dernière, en raison de sa fixité, a servi à reproduire celle de notre univers. Il y a peut-être à découvrir encore d'autres principes, connus des dieux ou de celui que les dieux chérissent ; [1,8] Mais c'est des éléments primordiaux, de l'eau, du feu et des autres, que se composent spécialement les êtres animés et les êtres inanimés. Ce monde est fait de toute l'eau, de tout le feu, de tout l'air, de toute la terre qui existent ; et non seulement il n'en reste aucune parcelle hors de cet univers, mais encore l'influence ne s'en retrouve nulle part hors de ce globe. Ces éléments sont entre eux dans des rapports de connexité et de juxtaposition. C'est ce qui explique la localité qu'occupent l'eau, la terre, le feu et l'air. Comme l'air se rapproche du feu par sa similitude, ainsi la terre et l'eau sont juxtaposés. De là, le monde ne fait qu'un ; tout y est contenu ; et il ne reste ni espace où un autre monde trouverait à se placer, ni autres éléments qui pourraient le construire. En outre, une jeunesse éternelle et une vigueur inaltérable lui ont été attribuées. C'est pour cela que rien en dehors du système n'a été laissé qui pût altérer sa constitution ; et même quelque chose eût-il été laissé, l'influence en serait nulle : car l'ensemble est de toutes parts tellement organisé, tellement réglé, que rien ne saurait ou vicier sa nature ou contrarier sa marche. Dans la composition de ce monde, chef-d'oeuvre de perfection et de beauté, figure si belle et si parfaite, Dieu s'est principalement attaché à ce que rien n'y laissât à désirer, à ce qu'il recouvrît tout, contînt tout ; à ce que, dans son admirable beauté, il se ressemblât, se correspondît à lui-même. Or, des sept mouvements selon lesquels on peut se diriger, en avant, en arrière, à droite, à gauche, en haut, en bas, enfin le mouvement circulaire et sphérique, les six premiers ont été par lui écartés, pour qu'il ne restât à l'univers que le mouvement de rotation, mouvement particulier à la raison et à la prudence, et pour que sa révolution même indiquât la sagesse. Platon dit tantôt que ce monde n'a point de commencement, et d'autres fois qu'il a une origine, une naissance. Pour établir qu'il n'a pas eu de commencement, il argumente de ce qu'il a toujours existé ; et pour prouver qu'il a dû naître, il s'appuie sur ce que tout ce qui constitue sa substance et sa nature a lui-même eu une naissance. De là vient qu'il est tangible, visible, et qu'il tombe sous les sens. Mais, en tous cas, parce que c'est de Dieu qu'il tient le principe de sa naissance, il est destiné à jouir d'une durée éternelle. [1,9] L'âme de tous les animaux est immatérielle ; elle est par dessus tout impérissable, attendu qu'elle est tout à fait distincte du corps, qu'elle est antérieure à tous les objets créés. En conséquence elle domine et dirige ce dont le soin et la surveillance rentrent dans ses attributions. Elle a un mouvement éternel et spontané, qu'elle communique elle-même à la matière inerte et immobile. Mais il existe encore une autre âme céleste, source de toutes les âmes, essentiellement parfaite, essentiellement sage, force génératrice, qui reconnaît à son tour les lois de Dieu son créateur, et se plie à toutes ses combinaisons. La substance de cette âme se compose de nombres, de modes, d'accroissements qui se combinent et se modifient indéfiniment, soit qu'elle les tire d'elle-même ou hors d'elle. C'est le jeu de tous ces ressorts qui fait ainsi mouvoir le monde en musique et avec mélodie. Il y a deux natures pour les choses, l'une qui peut être vue par l'oeil, touchée par la main : Platon l'appelle sensible, g-doxasten; l'autre se révèle à l'esprit : elle est du ressort de la réflexion, de l'intelligence. (Qu'on me pardonne ces alliances de mots commandées par l'obscurité du sujet.) La première de ces natures est sujette aux changements et facile à voir. L'autre, au contraire, qui est reconnue par les yeux de l'esprit, qui est saisie et perçue par la pénétration de l'intelligence, est inaltérable, immuable, constante, éternelle, toujours la même. De là deux raisons, deux logiques, d'après Platon. L'une visible, résultant de perceptions qui ne sont que fortuites et isolées ; l'autre intelligible, dont l'existence s'appuie sur la base vraie, durable et constante de la raison. [1,10] Le temps, cette image de l'éternité, marche tandis que l'éternité est essentiellement fixe et immobile. Il va s'y réunir, et c'est comme un gouffre immense où il peut s'anéantir et s'abîmer, si telle est jamais la décision du créateur de l'univers. C'est par la mesure du temps que l'on peut apprécier les lois qui président aux révolutions du monde, et qui régissent le globe du soleil, celui de la lune, ainsi que les étoiles, faussement appelées par nous errantes et vagabondes ; car disons en passant que les contradictions de nos théories sur les courses de ces dernières peuvent être attribuées aux erreurs de notre intelligence. Du reste, le grand économe a établi les révolutions des astres, leurs levers, leurs couchers, leurs oscillations, leurs retards, avec une précision telle, qu'il ne saurait y avoir lieu à la moindre erreur. Les jours avec les nuits complètent les mois ; les mois à leur tour s'enferment dans le cercle des années. Ce ne fut que quand ces signaux commencèrent à briller dans la voûte lumineuse du firmament que l'on put assujettir le temps à des calculs. Mais les observations qui se rattachent à ces calculs mêmes auraient été perdues, si un aussi admirable concert avait été suspendu une fois dans le cours antique des âges. En effet, c'est pour que la mesure et la révolution des temps fussent connues, pour que le mouvement de rotation de l'univers fût visible, qu'a été allumé ce brillant soleil ; et, réciproquement, c'est pour qu'un sommeil désiré vînt rafraîchir les créatures, que les ténèbres de la nuit ont été imaginées. Les mois sont complets quand la lune, ayant parcouru sa courbe elliptique, est revenue au point d'où elle était partie. Pour l'année, elle a terminé son cours lorsque le soleil a passé successivement par les quatre saisons et qu’il est revenu au même signe du zodiaque. L'énumération de ces corps lumineux, qui retournent sur eux-mêmes pour repartir ensuite, est du reste une découverte que Platon doit à la force de son intelligence et de son raisonnement. Quant aux étoiles, il pense que leur marche n'est pas moins certaine, et qu'elles conservent sans interruption une route régulière difficilement comprise par l'esprit humain. Grâce à cette régularité, on conçoit ce que c'est que la grande année. C'est celle dont la durée aura été accomplie par cela seul que le cortège mouvant des étoiles aura atteint un seul et même terme, pour recommencer dans les champs de l'espace une nouvelle carrière, un nouveau chemin. [1,11] Les globes célestes, liés entre eux par une affinité réciproque, reconnaissent pour maître souverain celui qui passe pour n'éprouver aucun égarement. Tous les autres gravitent dans sa sphère d'attraction. Le premier rang a été donné aux astres non errants ; le second à Saturne, le troisième à Jupiter ; Mars occupe le quatrième, Mercure le cinquième, Vénus le sixième ; le septième est celui du Soleil à la course lumineuse, le huitième celui de la ponctuelle Phébé. Après cette première catégorie, les éléments et les principes occupent l'univers. D'abord le feu est placé au dessus des autres : c'est ensuite la place de l'air, puis celle de l'eau ; enfin le globe terrestre est placé exactement au centre, où il est fixe et sans mouvement. Les astres, qui sont placés au ciel, se meuvent d'un cours perpétuel et infatigable. Platon les appelle des dieux animés. C'est le feu qui entre dans la substance et dans la composition de leurs natures. Les espèces d'animaux à leur tour sont divisées en quatre classes. Une d'elles est d'une nature identique au feu que nous voyons dans le Soleil, dans la Lune et dans les étoiles du firmament. Une autre tient de l'air ; c'est celle que notre philosophe appelle encore démons. La troisième et la quatrième se composent d'eau et de terre : ce sont les créatures mortelles qui se subdivisent en êtres territoriaux et êtres terrestres (car il les nomme ainsi : g-engeion et g-epigeion). Les êtres territoriaux sont les arbres et les autres productions fixées au sol ; les êtres terrestres sont ceux que nourrit et porte la terre. Platon reconnaît trois espèces de dieux : dans la première il fait figurer comme étant seul et unique le dieu souverain, qu'aucun monde ne renferme, que n'enchaîne aucun corps ; c'est lui que nous montrons comme père, comme architecte de ce divin univers. Une autre espèce est celle des astres et des autres puissances que nous appelons divinités célestes. La troisième est celle des dieux que les anciens Romains appellent Médioxymes, attendu que par leur essence, leur place et leur pouvoir, ils sont inférieurs aux dieux souverains, mais incontestablement supérieurs à la nature humaine. [1,12] Tout ce qui arrive selon les lois de la nature, et par conséquent avec régularité, s'opère par les soins de la providence, et on ne pourrait imputer à Dieu la cause d'aucun mal. Il ne faut donc pas non plus, selon notre philosophe, rapporter tout à la fatalité du destin ; car voici la distinction qu'il établit : La providence est l'expression d'une sympathie toute divine, conservatrice de la prospérité des êtres pour qui elle a entrepris un tel office ; le destin par qui s'accomplissent les inévitables projets et les plans de Dieu, c'est l'expression de sa loi divine. Conséquemment, si une chose est maintenue par la providence, c'est qu'elle est également faite par le destin, et ce que le destin accomplit doit paraître garanti également par la providence. Or, il existe une première providence, celle du premier, du plus excellent de tous les dieux, qui non seulement a créé une hiérarchie entre les dieux du ciel dispersés par lui dans toutes les parties de l'univers pour le protéger et pour l'embellir, mais qui encore a institué pour un temps des dieux mortels qui l'emportassent en sagesse sur les autres créatures terrestres. Ainsi, après avoir fondé les lois, il a laissé aux autres dieux la disposition et le maintien de tout ce qui restait à faire journellement. De là viennent les attributs des dieux d'une providence secondaire ; providence si active, que tout ce qui dans les cieux frappe les regards des mortels, conserve immuablement l'état primitif où l'a placé le père souverain. Les Démons, que nous pouvons appeler Génies et Lares, sont à ses yeux les gardiens et les interprètes des hommes, quand ceux-ci veulent quelque chose des dieux. Platon, nous l'avons dit, est loin de penser pourtant que tout doive être rapporté à l'empire du destin ; mais il croit qu'il y a quelque chose qui dépend de nous, et quelque chose aussi qui dépend de la fortune. Il avoue que les catastrophes imprévues de la fortune sont ignorées de nous, parce que, d'ordinaire, des contretemps irréguliers et soudains viennent se jeter au travers des entreprises les mieux raisonnées et les mieux combinées, pour les empêcher d'arriver à leur fin. Dans le cas où ces incidents proviennent d'une manière utile, cela s'appelle du bonheur ; si au contraire ce sont des obstacles, on dit que c'est du malheur. Mais, de toutes les créatures terrestres, la providence n'a rien créé de supérieur à l'homme. [1,13] Aussi Platon dit-il avec justesse, que l'âme humaine est la reine du corps. Il existe, selon lui, trois parties de l'âme : le principe raisonnable, à savoir la portion la plus noble, dont le siège est dans la tête ; le principe irascible, qui loin de la raison réside dans le coeur, lequel principe doit obéir à la sagesse et ne répondre qu'à ses appels ; la passion et les appétits sont la dernière portion de l'âme, et occupent les régions inférieures de l'abdomen, espèces de tavernes, de latrines sombres où résident le désordre et la luxure. Si cette partie a été reléguée si loin de la sagesse, il semble que ce soit de peur qu'importunée d'un tel voisinage, la raison, qui de là-haut veille sur la conservation de l'ensemble, n'éprouvât quelque désordre dans l'économie de ses utiles réflexions. L'homme est tout entier dans la tête et dans la face ; car la sagesse et toutes les pensées ne sont contenues nulle part ailleurs que dans cette partie du corps. Les autres membres sont les serviteurs, les esclaves de la tête, lui procurant les aliments et les diverses substances. Le chef est placé en haut comme un maître, un guide, qui par sa prévoyance écarte tous périls. Les différents organes dont les sens sont pourvus, afin d'apprécier, de juger les quantités et les qualités, sont également disposés dans la tête, véritable palais, véritable métropole ; et tous agissent dans les intérêts de la raison, dans le but de seconder la perception et l'intelligence. [1,14] Les sens eux-mêmes sont admirablement disposés par la nature pour les objets sensibles, et leurs propriétés s'y rattachent par de remarquables analogies. D'abord les deux yeux, qui ont leur prunelle transparente et comme éclairée par la lumière de la vision, sont chargés de voir. L'ouïe, qui participe de la nature aérienne, perçoit les sons par des messagers aériens. Le goût, ne s'appliquant qu'aux objets solubles, ne perçoit que les matières humides et aqueuses. Le toucher, qui est tout positif, tout matériel, s'applique aux corps solides que l'on peut atteindre et heurter. Les objets même qui s'altèrent par corruption ont en leur faveur un mode de perception à part. En effet, au milieu du visage, la nature a placé les narines, par le double conduit desquelles l'odorat circule avec la respiration. Ce sont les modifications et les altérations subies par les corps qui donnent lieu d'exercer ce sens, quand ils sont corrompus, ou brûlés, ou moisis, ou en fermentation, attendu que dans ces différents états il s'en exhale ou de l'air, ou un fumet qui fournit l'occasion de reconnaître et d'apprécier la présence de l'odeur; car, si les corps sont intacts, et que l'atmosphère conserve sa pureté, jamais ces exhalaisons ne se répandent dans les airs. Tels que nous venons de les énumérer, les sens nous sont communs avec les autres animaux. Mais, grâce à un bienfait divin, les facultés spéciales à l'homme ont plus d'énergie et de développement, parce que son ouïe et sa vue ont un degré supérieur de perfection. Avec ses yeux, en effet, l'homme a mesuré le ciel, les révolutions des astres, leur lever, leur coucher, les espaces qu'ils parcourent, l'influence qu'ils exercent ; et ces connaissances sont une source admirable et féconde de philosophie. Pour parler de l'ouïe, l'homme pouvait-il recevoir un plus précieux bienfait ? A l'aide de cette faculté, il peut apprendre la prudence et la sagesse, mesurer le nombre dans le discours, établir la cadence, devenir lui-même tout musique, tout harmonie. Ajoutez la langue, le rempart des dents, les lèvres aux gracieux baisers. Données aux autres animaux pour les aider à assouvir le besoin de manger et à introduire les aliments dans l'estomac, les lèvres et la langue sont plutôt chez l'homme l'organe de la droite raison et l'instrument de cette voix si douce. Grâce à elles, ce que dans sa prudence le cœur a conçu, le discours peut en produire l'expression. [1,15] L'ensemble de tout le corps se compose d'organes de formes différentes, dont les uns ont un rang plus relevé, les autres des fonctions moins nobles. Les inférieurs reconnaissent la suprématie de ceux qui l'emportent ; et ce sont eux qui se chargent du ministère de l'alimentation. Des pieds jusqu'aux épaules, tout obéit à la tête. Les sourcils sont un rempart qui protège les yeux, afin que d'en haut rien ne tombe qui puisse troubler l'organe de la vue, si délicat et si susceptible. Les poumons, par l'endroit qu'ils occupent et par leur nature, sont de la dernière utilité pour le coeur. Quand celui-ci s'enflamme de colère, et que des palpitations trop accélérées font jaillir à son sommet un sang qui l'inonde, les poumons, toujours altérés, reçoivent ce sang dans leur masse spongieuse et l'y rafraîchissent. Si la rate est placée dans le voisinage du foie, ce n'est pas sans utilité : c'est pour qu'elle remédie à la plénitude de ce dernier par des absorptions réciproques ; pour qu'elle en purifie les liquides et le garantisse de toute lésion, ce qui est absolument indispensable. Le ventre contient les circonvolutions des intestins, et ceux-ci sont roulés en replis nombreux, de peur que les aliments liquides et les solides ne circulent avec trop de promptitude et ne s'évacuent aussitôt, précipités qu'ils seraient par leur pesanteur. Car alors, ils ne pourraient être d'aucune utilité à l'animal par leur introduction ; à chaque instant, nous serions tourmentés du besoin de prendre quelque nourriture, et ce deviendrait nuit et jour notre occupation. [1,16] La charpente osseuse est recouverte par les viscères, et elle est attachée d'une manière solide par des ligaments. Toutefois, les organes qui sont les intermédiaires du sentiment sont revêtus par ces viscères de façon que l'épaisseur de ces derniers ne neutralise pas leur énergie ; et les parties osseuses, qui sont attachées par des jointures et par des cartilages, ne présentent que peu de ces mêmes viscères, afin de se mouvoir avec promptitude et facilité. Regardez enfin le sommet de la tête elle-même : il est recouvert d'un cuir peu épais, et fourni de cheveux qui le garantissent contre l'excès du froid et celui de la chaleur. Les parties les plus charnues sont celles sur lesquelles porte le poids du corps, comme les cuisses à l'endroit où l'on s'assied. Parlerai-je des aliments eux-mêmes ? Reçus dans différents tubes partis de l'estomac et qui sont joints au foie par des vaisseaux, ils se décomposent en un sang que de ce point la nature fait habilement circuler dans toutes les parties du corps. De la région du coeur partent en effet, comme autant de canaux, des veines qui transportent par les appareils respiratoires des poumons le principe vital qu'elles ont reçu du coeur ; et de nouveau, ces veines se partageant tous les membres par leurs ramifications animent et vivifient le corps entier. De là vient la respiration qui s'exhale et se reprend par alternatives, pour que les deux mouvements opposés ne se contrarient pas. Il est des veines qui ont un autre usage : celui de servir à la procréation ; nées de la région cervicale, elles parcourent le parenchyme des reins, et s'épanouissent aux aines, pour donner issue au sperme générateur qui féconde l'espèce humaine. [1,17] Platon dit que le corps entier se compose de diverses substances. La première est formée du feu, de l'eau et des autres éléments ; une deuxième, de parties analogues entre elles, des viscères, des os, du sang et des autres parties du corps ; la troisième, de membres à fonctions tout à fait contraires et opposées ; à savoir, de la tête, du ventre, et d'organes fort différents les uns des autres. Il en résulte, que si la substance composée d'éléments simples est du dehors satisfaite en ses besoins de nourriture comme il convient à chaque espèce de ces éléments, elle garantit à l'individu la conservation de sa qualité et de son tempérament. Les parties analogues entre elles lui garantissent la force. Celles qui, comme nous l'avons dit, sont dissemblables, entretiennent sa beauté. C'est cet équilibre du sec et de l'humide, du chaud et du froid, qui donne la santé, la force, la fraîcheur ; de même que, si ces principes sont mélangés irrégulièrement et sans mesure, l'ensemble entier se vicie, et l'individu ne tarde pas à ressentir les funestes effets de cette altération. [1,18] Platon dit encore que l'âme se compose de trois parties. La première est la partie raisonnable ; la seconde, la partie incandescente ou l'irritabilité ; la troisième, la partie appétitive, que nous pouvons appeler du nom général de passion. La créature jouit de sa santé, de ses forces, de sa beauté, quand la raison gouverne l'âme entière ; quand les deux autres parties secondaires, à savoir la colère et la volupté, s'accordent entre elles, et qu'elles n'ont aucun appétit, aucun élan jugé inutile par la raison. L'âme étant constituée dans un tel équilibre, jamais le corps n'éprouvera de perturbation. Mais il y aura faiblesse, prostration, désordre dans le cas contraire, c'est-à-dire s'il y a inégalité de proportions ; si l'irascibilité et la prudence ont été soumises et dominées par la passion ; enfin, si cette raison qui doit être la reine et la maîtresse se laisse subjuguer par le despotisme de l'irascibilité, la passion restât-elle même obéissante et paisible. L'état de la maladie de l'âme, selon notre philosophe, est la sottise, qu'il classe en deux espèces : il appelle l'une impéritie, l'autre folie. L'impéritie vient d'une prétention orgueilleuse, lorsqu'ignorant une chose on se donne faussement pour la posséder et pour en être instruit. Quant à la folie, elle est d'ordinaire le résultat de mauvaises habitudes et d'une vie débauchée. Elle tient du reste à une constitution vicieuse, comme, par exemple, lorsque ce qui est disposé pour la raison dans les parties supérieures de la tête, se trouve resserré à l'étroit et comprimé d'une manière nuisible. Quand l'homme est-il parfait ? lorsque l'âme et le corps s'harmonisent, se conviennent et s'entendent parfaitement ; lorsque la force de l'intelligence n'est pas inférieure à l'énergie de la matière. Dans cet heureux état le corps prend ses développements naturels, parce que la portion de santé qui lui est nécessaire lui est habilement ménagée et n'a rien d'excessif ; parce que cette santé n'est pas accablée par l'excès de travaux extérieurs, par la trop grande abondance d'une nourriture immodérément répandue et distribuée dans tout l'individu. Alors en effet les membres et les organes conservent dans son activité et dans ses proportions la force qui leur est nécessaire ; tout ce qui doit contribuer à la conservation du corps entier présente une fusion homogène, un équilibre parfait ; mais quand cette régularité n'existe plus, la destruction du corps s'ensuit toujours infailliblement. - - -.