[15,665] LIVRE QUINZIÈME. CHAP. I. (665a) Mon cher Timocrate, je dirai avec le très sage Euripide : « Quand Dieu me donnerait l'éloquence séduisante de Nestor, et du Phrygien Anténor » je ne pourrais vous raconter tout ce qui s'est dit dans toutes les circonstances de ces repas somptueux, tant on y varia et les discours et les choses nouvelles qu'on semblait imaginer à chaque instant. Nous avons parlé (665b) nombre de fois de l'ordonnance des services. Quant à ce qui se faisait après le repas, et que j'aurais bien de la peine à me rappeler de suite, le voici comme un de nos convives l'exposait par ce passage des Lacons de Platon le comique : « A. Tous les convives ont déjà fini de manger ; pourquoi n'as-tu pas l'attention d'ôter les tables ? B. Pour moi je viens apporter de quoi se laver. C. Et moi je vais balayer ; mais quand j'aurai fait les libations, j'apporterai le cottabe. (665c) A. Cette fille devrait avoir déjà ses flûtes aux mains, et en jouer. Va donc chercher du parfum, et répands d'abord de celui d'Égypte, ensuite de celui d'iris. Après cela je donnerai à chacun de tous les convives une couronne qu'il emportera chez lui. Qu'on nous mêle encore du vin et de l'eau. (665d) B. Il y en a déjà de prêt. A. Jette l'encens sur la braise. C. Où en est-on ? dis moi. B. Le vin est bientôt expédié. Le scolie est chanté. On sort le cottabe à la porte. Une jeune fille joue sur ses flûtes un air de Carie aux convives. J'en ai vu une autre qui tient un trigone, et qui s'accompagne avec en chantant une chanson ionienne. » 2. Après cela, il fut question; je pense, et du cottabe (665e) et de ceux qui s'amusaient de ce jeu, un des médecins qui étaient de nos convives, pensait que ces joueurs de cottabe étaient de ces hommes qui, après s'être baignés, prenaient une amystis pour se vider l'estomac ; usage, disait-il, qui n'était pas ancien : car, selon lui, personne dans l'antiquité n'avait employé de tel moyen pour se purger; [15,666] c'est pourquoi Erasistrate, dans (666a) sa Pratique générale, blâmait ceux qui en usaient, parce que cette opération était nuisible à la vue, et resserrait trop le ventre. Alors Ulpien prit la parole : « Va donc, dit-il, Esculape ! Le puissant Charon t'appelle. » C'est avec justice certes, que quelqu'un a dit à un de nos amis : « Il n'y aurait rien de plus fou qu'un grammairien, s'il n'y avait pas de médecin. » Qui de nous ignorait que les anciens ne connaissaient pas cette espèce d'apocottabisme ; à moins que tu ne penses, toi médecin, que les Cottabistes d'Ameipsias sont aussi des gens qui se font vomir. Mais comme tu me parais ne pas connaître ce dont il s'agit, apprends donc (666b) de moi, d'abord que l'invention du jeu de cottabe est due aux Siciliens, et c'est ce que dit Critias, fils de Calleschre, dans ce passage de ses Élégies : « Le cottabe est la belle invention des Siciliens, et le but vers lequel nous lançons nos latages. » Dicéarque de Milet, disciple d'Aristote, dit dans son ouvrage sur Alcée, que latage est un mot sicilien. (666c) Or, on entend par latage, ce qui reste de vin dans le gobelet qu'on a vidé : ce reste était lancé dans le bassin du cottabe par les joueurs qui, pour cet effet, tournaient la paume de leur main en haut. Selon Clitarque, dans son Traité des Gloses, les Thessaliens et les Rhodiens appellent aussi latage, le cottabe qui reste des gobelets qu'on a bus. 3. On donnait encore le nom de cottabe au prix que gagnait le vainqueur dans une partie de vin. C'est ce que fait voir Euripide dans son Œnée : « Ils lançaient nombre de traits bachiques contre la tête du vieillard ; et je fus choisi pour couronner le vainqueur en lui donnant un cottabe pour prix. » (666d) Ce mot désignait aussi le vase dans lequel on lançait les latages, comme Cratinus le dit dans sa Némésis. Platon fait voir dans son Jupiter irrité, que le cottabe était un jeu bachique, où ceux qui jouaient maladroitement, perdaient leurs vases. « A. Je veux que vous vous divertissiez au cottabe, pendant que j'apprêterai le repas. J'ai envoyé mon esclave chercher en courant un mortier. Apporte le donc toi ; prends de l'eau. Vous, servez (666e) des vases. B. Jouons des baisers. A. Je ne veux pas qu'on joue indécemment. Je vous mets donc pour prix les pantoufles de cette jeune fille et ton cotyle. B. Corbleu ! voilà un lutteur plus redoutable que ceux des jeux de l'Isthme. » CHAP. II. 4. On appelait en outre catactes certains cottabes. Ces catactes étaient des chandeliers qu'on remontait et baissait. Eubule les rappelle dans son Bellérophon : « Qui me saisira la jambe pour me tirer en bas? (666f) car je suis enlevé comme un cottabion. » Antiphane dit dans sa Naissance de Vénus : « A. Voila ce que je dis ; mais toi, tu ne me comprends pas : le cottabe est ce chandelier, fais-y attention; je donnerai cinq œufs pour le prix de la victoire ; et c'est pour cela que vous vous divertirez au cottabe. B. De quelle manière ? A. Je vais te le montrer, il s'agit de faire descendre ce cottabe sur le bassin. B. Lequel? A. Celui qui est placé au dessus. B. Quoi, ce petit plat est celui que tu indiques. [15,667] (667a) A. Oui c'est celui qui décide de la victoire. B. Mais comment saura-t-on si l'on a gagné? A. Si tu es assez adroit pour le frapper, il tombera sur le manès (esclave), et je te jure qu'il se fera un grand bruit au cottabe. B. Il y a donc là aussi un manès qui fait fonction d'esclave. » Et peu après : « B. Montre-moi donc comment il faut prendre ce vase. A. Il faut que tu écartes les doigts en les courbant un peu, comme pour jouer de la flûte ; que tu verses du vin dans le vase, mais fort peu : (667b) ensuite tu le lanceras. B. De quelle manière? A. Tiens, comme cela; regarde bien ici. B. O Neptune ! qu'il a lancé haut! A Fais donc de même. B. Mais je n'atteindrais pas là avec une fronde. A. Il ne s'agit que d'apprendre à le faire. » 5. Or, pour lancer le cottabe (le latax), il fallait beaucoup courber la main, et cependant avec grâce, selon Dicéarque. Aussi dans le Jupiter irrité de Platon, un acteur avertit Hercule, « De ne pas tenir la main roide lorsqu'il va jouer au cottabe. » (667c) Le jet du cottabe était appelé g-ap' g-ankylees ou de la courbure, parce qu'il fallait fléchir la main en dedans pour lancer le latax. D'autres disent que l'ankyle était l'espèce de vase dont on se servait Bacchilide qui dit dans ses Érotiques : « Au moment où elle lance en courbant la main ; mais en tendant un beau bras blanc aux jeunes gens. » Eschyle donne l'épithète d'ankylète aux cottabes dans ses Ostologes : « C'est un autre Eurymaque qui m'a fait des injures aussi grandes et aussi sensibles. Ma tête, lorsqu'il jouait au cottabe, était toujours pour lui le but de (667d) ce jeu ankylète ... » Antiphane que j'ai cité, nous a déjà dit qu'il y avait un prix destiné à celui qui serait vainqueur au cottabe. Or, ce prix était des œufs, des pâtisseries, des tragèmes. C'est ce que racontent aussi Céphisodore dans son Trophonius; Callias ou Dioclès dans le Cyclope; Eupolis, Ermippe dans les Iambes. Quant au catacte du jeu de cottabe, voilà comment il est fait : c'est une espèce de chandelier élevé qui portait ce qu'on appelait le manès, sur lequel devait tomber le bassin qu'on avait fait descendre en frappant ; de là le manès frappé par le cottabe, devait tomber dans un plat qui était dessous : or, le coup qu'il fallait porter demandait beaucoup de dextérité. Nicocarès fait mention du manès dans ses Lacons. 6. Mais il y a encore une espèce de jeu dont on s'amusait dans un grand plat ou bassin. On le remplissait d'eau, et l'on y faisait nager des espèces de gondoles ou de saucières vides. Alors, on lançait dans ces gondoles le vin qui restait dans les carchèses ou vases à boire, pour les couler à fond ; de sorte que la victoire était pour celui qui en avait coulé le plus. (667f) Ameipsias en parle dans ses Joueurs de cottabe ou sa Manie : « Apporte des saucières et des canthares (gondoles), et emplis d'eau le bassin à laver les pieds. » Cratinus dit dans sa Némésis. « Ils proposaient des cottabes en l'honneur de Jupiter protecteur de leur patrie, selon leurs lois. Cela consistait à faire couler à fond une saucière vide avec certain bruit; et celui qui réussissait le plus en se conformant à l'usage, obtenait le prix. » Aristophane a présenté divers prix pour ce jeu dans ses Détalées : « Mais moi j'ai destiné un chaudron pour prix du cottabe, et des branches de myrte. » [15,668] (668a) Ermippe dit dans ses Parques : « Les robes mollettes sont mises de côté ; on boutonne les cuirasses ; on chausse les bottes ; on ne veut plus de souliers blancs. Tu verras la verge du cottabe roulée dans la paille; il n'y a plus de manès ; oui tu verras même le malheureux bassin des latages jeté dans les ordures près de la porte du jardin ! » Achée parlant des satyres dans son Linus, dit : « Ils renversaient, jetaient dehors, brisaient même tout, (668b) en disant : O ! que voilà un charmant latax pour Hercule. » Or, ce mot en disant est relatif aux personnes qu'on aimait et dont on rappelait le nom en jouant au cottabe. C'est pourquoi Sophocle écrit dans son Inachus, que le latax est consacré à Vénus. « Le brillant latax consacré à la blonde Vénus s'insinue dans les maisons. » Euripide dit dans son Plisthène: « Le bruyant cottabe de Vénus fait retentir dans les maisons des airs harmonieux. » Callimaque dit aussi: « Nombre d'amant, en bien buvant, lancèrent de leurs gobelets, (668c) vers la terre, les latages de Sicile. » Il y avait encore une autre espèce de cottabion ou de prix qui se proposait dans les veilles ou les fêtes pannychides, et dont parle Callippe dans sa Pannychis ou Veilles. « Celui qui passera la nuit sans dormir recevra pour cottabions ou prix de cottabe cette grande galette, et baisera la fille qu'il voudra. » Il se faisait aussi des gâteaux dans les Pannychides ou veilles, où l'on passait presque toute la nuit à danser ; ces gâteaux se nommaient charisies, à cause de la joie (chara) de ceux qui les gagnaient. Eubule en parle dans son Ankylion : « Il y a longtemps qu'elle fait cuire les gâteaux qui doivent être le prix des vainqueurs. » Il dit peu après : « Je sautai à l'instant comme une femme qui fait cuire le charisie. » Mais Eubule ajoute que le baiser était aussi une des récompenses du vainqueur : « pourvu qu'il s'y trouve aussi des femmes, afin que vous puissiez danser toute cette nuit qui est la dixième de l'enfant. Je donnerai pour prix de la victoire trois bandelettes, cinq pommes et neuf baisers. » Que les Siciliens fussent passionnés pour ce jeu, (668e) c'est ce qu'on voit par les salles qu'ils faisaient construire exprès pour s'y divertir au cottabe, comme le rapporte Dicéarque sur Alcman. Ce n'est donc pas mal-à-propos que Callimaque a donné l'épithète de sicilien au latax. Denys surnommé Chalchoûs ou d'Airain a fait mention des latages et des cottabes dans ses Vers élégiaques : « Pour nous qui sommes de malheureux amants, nous te voulons établir là (668f) un troisième cottabe, qui tiendra lieu de ballon, pour ce gymnase bachique. Vous tous qui êtes ici, empoignez bien le contour de vos calices; mais avant de lancer le latage, mesurez bien de l'oeil la courbe que l'air doit lui faire décrire, et jusqu'à quel point la force du latage lui permet d'arriver. » 8. Après ces détails, Ulpien demanda à boire dans un grand calice, en ajoutant le récit de plusieurs autres vers du même poète. [15,669] (669a) « Verse du vin ou plutôt des hymnes dans nos vases, en partant de la droite, tant pour ton avantage que pour le nôtre ; et nous mènerons au terme de la gloire, en ramant de nos langues, cet homme que tu chéris, quoiqu'étranger parmi nous. L'esprit et les grâces de ses discours nous feront partir sur les bancs comme autant de Phéaciens, mais pour n'être que les rameurs des Muses. » En effet, Cratinus le jeune dit dans son Omphale: « Il vaut mieux boire quand on jouit d'une vie heureuse ; (669b) et laisser à d'autres à s'occuper des combats et du travail. » CHAP. III. Cynulque, continue l'antagoniste du Syrien, et qui ne négligeait aucune occasion de le quereller, lui dit, en voyant le tumulte qui régnait parmi tous les convives: « Qu'est-ce donc que cette assemblée ? Ne dirait-on pas qu'il n'y a ici qu'une bande de tapageurs. Eh ! bien, je vais aussi vous citer quelques-uns des vers dont je me souviens, afin qu'Ulpien ne soit pas le seul qui se glorifie de tirer des prix de cottabe, de ce que les Homérides ont mis en réserve. « Ça ! venez ici apprendre une bonne nouvelle. Cessez de vous quereller en buvant ; (669c) prêtez-moi quelque attention, et apprenez de moi ces choses-ci, qui conviennent on ne peut mieux à ce dont il est question ; car je vois déjà les valets nous apporter des couronnes et des parfums. Or, pourquoi dit-on qu'un homme est amoureux, quand par hasard sa couronne vient à se dissoudre : c'est une des observations que je fis dès ma première jeunesse, en lisant les épigrammes de Callimaque; et je cherchai à savoir la raison de ce que ce poète de Cyrène avançait. (669d) « Les feuilles des rosés, dit-il, se détachaient des couronnes de tous les amants, et tombaient toutes a terre. » C'est à présent à toi, érudit Démocrite, de nous résoudre cette question que je me suis faite depuis tant d'années, et de nous dire pourquoi les amants mettent des couronnes aux portes de ceux qu'ils aiment. 9. Démocrite répond: Théodore, car c'est ton véritable nom, je vais te rappeler d'abord un passage des vers élégiaques de Denys surnommé Chalcous, poète et orateur, qui fut ainsi appelé pour avoir conseillé aux Athéniens de se servir de monnaie de cuivre. (669e) C'est Callimaque qui le dit, en produisant même dans son Recueil des Orateurs, le discours que fit ce Denys. Reçois donc cette santé que je te porte. « --- C'est à toi d'abord que j'envoie ces vers, en mêlant les grâces avec les grâces ; et toi, en recevant ce présent verse-moi à ton tour des chansons, pour honorer le festin, et t'honorer toi-même. » (669f) Tu me demandes donc pourquoi l'on dit qu'une personne est prise d'une belle passion, lorsque sa couronne se dissout ; je réponds : ne serait-ce point parce que l'amour étant censé ôter aux amants l'honneur résultant de la pureté des mœurs, de même, lorsque quelqu'un perd l'ornement de sa couronne, on regarde cela, (selon Cléarque, l. I de ses Érotiques), comme un signe sinistre, qui avertit que cette personne a perdu tout l'éclat résultant de cette même pureté des mœurs; ou serait-ce, parce qu'on a tiré de cet événement un présage de cette sorte, comme on l'a fait à l'égard de mille autres choses. [15,670] (670a) En effet, l'ornement résultant d'une couronne, étant de peu de durée, peut être regardé comme le signe d'une passion inconstante, quels que soient les ornements dont elle est accompagnée. Or, tel est l'amour ; car ce sont surtout les amants qui affectent la parure. Peut-être aussi serait-ce parce que la nature, étant une espèce de divinité qui règle chaque chose avec justice, ne veut pas que les amants soient couronnés, avant de posséder l'objet de leur passion; c'est-à-dire, d'être délivrés de leurs désirs inquiets, après avoir joui de la personne qu'ils aiment; et pour cette raison, cette couronne qui se détache, nous paraît indiquer qu'il y a encore à combattre. (670b) Peut-être même que l'amour ne voulant pas que l'on soit couronné et proclamé vainqueur sans le mériter de sa part, leur ôte lui-même leur couronne, faisant entendre ainsi aux autres qu'ils lui sont encore asservis; ce qui donne lieu de croire à tous ceux-ci, que ceux-là sont pris d'une belle passion. Ou l'on dira que tout ce qui se délie est supposé lié auparavant, et qu'ainsi l'amour de ceux qui sont couronnés, est une espèce de lien qui les tient. Or, de tous ceux qui sont dans des liens, il n'y a que les amants qui désirent d'être couronnés; ainsi, la couronne qui se délie, étant regardée comme le signe du lien dans lequel l'amour retient l'amant, on en conclut avec raison que ceux à qui cela arrive, sont vraiment amoureux. Ou les amants étant assez souvent comme extasiés, (670c) leur couronne se détache, comme cela doit arriver dans le trouble où la passion jette leur esprit; et de là on conclut qu'ils sont réellement amoureux, parce que l'on suppose que leur couronne ne se détacherait pas, s'ils n'aimaient pas. Ou est-ce parce qu'aucun lien ne pouvant se détacher que de ceux qui sont liés, et surtout des amants, on regarde une couronne qui se détache, comme le lien de celui qui l'avait sur la tête, et l'on en conclut qu'il est amoureux ; car les amants sont dans de vrais liens. Peut-être dira-t-on que (670d) les amants devant être couronnés par l'amour, la couronne qu'ils portaient auparavant ne pouvaient leur rester sur la tête ; en ce qu'il est bien difficile qu'une petite couronne, telle quelle, puisse être posée solidement où il doit se trouver un jour une couronne bien plus grande et posée par un dieu. Quant aux couronnes et aux guirlandes dont les amants ornent les portes des personnes qu'ils aiment, ils les y mettent ou pour leur rendre des honneurs, comme couronnant le porche d'une divinité ; ou, c'est à l'amour qu'ils les offrent en les posant, et non aux personnes qui sont aimées ; car ces personnes sont pour les amants les images mêmes du dieu d'amour; et la maison où elles demeurent en étant le temple, c'en est aussi le porche qu'ils ornent de couronnes, en les mettant aux portes de ces personnes. Voilà aussi pourquoi on immole quelquefois des victimes aux portes des personnes qu'on aime. Ou, l'on dira plutôt (670e) avec vérité que les amants ayant été dépouillé de ce qui faisait l'ornement de leur âme, ils se dépouillent aussi de l'ornement de leur corps, et viennent en faire hommage dans la passion qui s'est emparé d'eux. C'est ce que fait tout amant; mais si la personne qu'ils aiment n'est pas présente, cet obstacle leur fait consacrer cet hommage à la porte. C'est pourquoi Lycophronide met ceci dans la bouche d'un chevrier amoureux : « Toi qui étais l'objet charmant de mes pensées ! Je t'offre cette rose, ces sandales, ce bonnet, cette lance si redoutable aux bêtes féroces : car mon esprit se porte ailleurs (670f) vers une belle fillette, et chérie des grâces. » 10. Mais le divin Platon propose, lv. 7 de ses Lois, un problème relatif aux couronnes : or, ce problème mérite bien d'être résolu. Le voici: « Distribuer des pommes ou des couronnes à plus ou moins de convives également et sans reste? » [15,671] C'est-à-dire qu'il veut qu'on trouve un nombre de couronnes ou de pommes, par le moyen duquel on donnera aux convives, à mesure qu'ils entreront, certain nombre de couronnes ou de pommes ; (671a) de sorte que ceux qui auront déjà partagé, n'en auront pas plus que les derniers. Or, je dis que le nombre soixante peut être divisé également sans reste entre six convives. Cependant rappelons-nous qu'il a été dit dans les livres précédents qu'on ne soupait jamais plus de cinq ensemble; néanmoins il est clair que nous sommes ici en très grand nombre. Quoiqu'il en soit, le nombre soixante pourra remplir la condition, divisé entre six convives, qui feront le nombre complet requis dans un repas. Voilà donc la progression en commençant par le premier; il entre et prend les soixante couronnes ; le second entre, il lui en donne moitié, et ils en ont chacun trente; (671b) le troisième entre, ils divisent en vingt, et ils ont les soixante entre eux trois; partageant ensuite avec le quatrième, ils ont chacun quinze, d'où résulte encore le nombre total; le cinquième entre, et le nombre est divisé en douze ; enfin le sixième vient, et de six fois dix pour chacun, résulte encore le nombre soixante. C'est donc ainsi que les couronnes sont partagées sans reste et avec égalité. 11. Après ce discours de Démocrite, Ulpien fixa ses regards sur Cynulque, et lui dit: « Avec quel philosophe m'a-t-il donc fait habiter pour me servir des mêmes termes que Théognète dans son Apparition. (671c) « O scélérat ! c'est sous de bien malheureux auspices que tu as acquis quelques connaissances ! les livres n'ont servi qu'à te faire donner dans le travers. Tu as parlé au ciel et à la terre; mais ils ne se sont pas souciés de tes discours. » D'où t'est jamais venu ce chœur de criailleurs ? Quel homme digne d'être cité, a parlé d'un pareil chœur de musiciens? Eh ! bien, mon cher Ulpien, répond Cynulque, je ne te le dirai, qu'après avoir reçu de toi une récompense convenable ; car je ne m'amuse pas à tirer toutes les épines des livres, comme tu le fais; je n'en extrais que ce qu'il y a de plus utile et digne d'être retenu. A cette réponse, Ulpien irrité s'écria en citant ce passage du Soupçon d'Alexis : « Non cela ne serait pas permis chez les Triballiens où, dit-on, celui qui sacrifie, montre à ceux qu'il a invités, le repas qu'il faudrait faire ; mais qui le leur vend pour le lendemain après le leur avoir montré. » Ces mêmes vers sont aussi dans le Sommeil d'Antiphane. CHAP. IV. Cynulque, lui répartit Ulpien, puisqu'on est à parler de couronnes, (671e) dis-moi ce qu'on doit entendre par couronne naucratite, dans le charmant Anacréon ? Car ce poète plein de grâce dit : « Chaque homme avait trois couronnes, deux de roses et une naucratite. » Apprends-moi aussi pourquoi quelques personnages se couronnent quelquefois d'agnus castus dans le même poète ? Car il dit l. 2. de ses Chansons : (671f) « Le jovial Mégisthès porte déjà depuis dix mois une couronne de vitex, et il boit d'excellent vin. » Mais une couronne de vitex est une chose qui me semble absurde : car cet arbrisseau n'est propre qu'à faire des liens et des tissus grossiers. Donne-nous donc à ce sujet quelques détails qui méritent d'être entendus, et ne vas pas t'amuser à éplucher mille mots inutiles. 12. Comme Ulpien se taisait et semblait rêver sur cette question, Démocrite prit la parole : [15,672] « Mon cher, Aristarque, cet habile grammairien, dit, en exposant ce passage, (672a) que les anciens se couronnaient de vitex. Tènaros dit que le vitex servait à faire des couronnes aux gens de la campagne : quant aux autres interprètes, ils ne produisent que des futilités sur ce dont il s'agit ici; mais moi, étant tombé sur l'ouvrage de Ménodote de Samos, intitulé des Choses les plus remarquables dans Samos, j'y trouvai la solution de ce que l'on cherche. « Admète, dit-il, fille d'Eurystée, s'étant sauvée d'Argos, vint à Samos ; y ayant fixé ses regards sur la façade du temple de Junon, et voulant lui témoigner sa reconnaissance de ce qu'elle s'était sauvée de chez elle sans danger, elle s'était consacrée au soin (672b) de ce temple qui subsiste encore ; il fut originairement bâti par les Lélèges et les nymphes. Les Argiens n'apprirent pas cette fuite, sans en être très fâchés; ils gagnèrent donc des Tyrrhéniens avec de l'argent, et leur persuadèrent d'aller dans leurs pirateries ordinaires, enlever la statue de ce temple, pensant bien que s'ils réussissaient, Admète éprouverait quelque mauvais procédé de la part des Samiens. Les Tyrrhéniens partirent et débarquèrent au port de Junon, pour exécuter aussitôt leur dessein. Comme le temple était sans porte, (672c) ils enlevèrent sur le champ la statue, l'emportèrent sur le bord de la mer, où ils la mirent dans leur esquif. Ils levèrent l'ancre, détachèrent les câbles, et voulurent forcer de rames ; mais inutilement : s'imaginant bien que c'était un effet de la divinité, ils débarquèrent la statue de ce temple, et la déposèrent sur le bord, lui offrirent des gâteaux pour l'apaiser, et partirent, encore tout saisis de frayeur. Admète, dès l'aurore, fit savoir qu'on avait enlevé la statue: on la chercha, et on la trouva sur le bord de l'eau. (672d) Les Samiens, gens aussi grossiers que les Cariens dont ils descendaient, s'imaginant que la statue s'était enfui d'elle-même, la dressèrent dans le creux d'un tronc de vitex ; et tirant de chaque côté les branches les plus longues, les tournèrent autour pour l'enfermer ; mais Admète la dégagea de ces liens, la purifia et la remit sur sa base, comme elle y était auparavant. Voilà pourquoi on promène tous les ans cette statue jusqu'au rivage, d'où on la fait disparaître subitement; on lui présente alors des gâteaux, et l'on appelle cette fête les Tonées, (672e) parce que la statue fut enfermée g-syntonoos ou fortement par ceux qui allèrent la chercher la première fois qu'elle disparut. 13. On rapporte que dans le même temps, ces Cariens de Samos, inquiétés par des scrupules superstitieux, envoyèrent consulter l'oracle du dieu d'Hybla, sur ce qui leur était arrivé. Voici ce qu'Apollon leur répondit. « Il faut faire une satisfaction à la volonté de la déesse, et ne pas vous exposer au malheur que Jupiter fît si tristement éprouver autrefois à Prométhée pour avoir dérobé le feu du ciel ; mais dont il le délivra ; en le détachant des chaînes qui le tenaient accablé.» En effet, Prométhée lui offrant une satisfaction à son gré, s'il était délivré de ses douleurs, le chef des dieux lui répondit qu'il avait celle-ci à lui imposer. Voilà pourquoi Prométhée depuis ce temps-là, porta une couronne faite de vitex, et les hommes, à qui il avait procuré le bienfait du feu, s'en couronnèrent aussi, à son exemple. Ce fut donc conformément à cet usage de se couronner de vitex, que l'oracle répondit à ces Cariens, d'en prendre des rameaux, et de s'en ceindre la tête, comme ils en avoient entouré la statue de la déesse : [15,673] (673a) il leur enjoignit aussi de renoncer à toute autre espèce de couronnes, excepté celle de laurier, qu'il voulait qu'on réservât pour les ministres de la déesse, comme une faveur particulière. « Si vous observez ponctuellement, ajouta-t-il, aux théores, ce que je vous enjoins, vous n'éprouverez aucun malheur; pourvu cependant que dans vos festins, vous donniez à la déesse cette satisfaction qui lui sera due désormais. » Les Cariens voulant se conformer à l'oracle, abolirent l'usage de toute autre espèce de couronnes qu'ils portaient auparavant. Ainsi, personne n'a chez eux que des couronnes de vitex, excepté les ministres de la déesse, (673b) à qui, jusqu'à ce jour, il a été permis d'en porter de laurier. 14. L'usage des couronnes de vitex semble être rappelé dans une épigramme de Nicénète, poète épique qui était de ce même pays-là, et qui se plaisait à faire mention de ce qui concernait sa patrie. Voici ce qu'il dit: « Mon cher Philothère je ne veux pas manger à la ville, mais sur la plaine, rafraîchi par le souffle délicieux du zéphir ; et il me suffit de m'étendre sur la terre qui me présente un lit. (673c) J'en trouve facilement un, tout près de ce tamarisque indigène : le vitex ancienne couronne des Cariens, ne m'y manquera pas. Qu'on m'apporte donc du vin, et la lyre aimable des muses. Nous boirons avec joie, pour chanter l'illustre épouse de Jupiter, divinité tutélaire de notre île. » Nicénète parle avec équivoque dans ces vers; de sorte qu'on ne sait pas s'il dit qu'il se contente de vitex pour un lit ou pour une couronne. (673d) Mais quand il appelle le vitex ancienne couronne des Cariens, il établit clairement le fait dont il s'agit. L'usage de se couronner de vitex a duré jusqu'au temps de Polycrate ; ainsi, l'on peut présumer que ce végétal est fort commun dans cette île. Voilà donc pourquoi Anacréon a pu dire: « Depuis dix mois Mégisthe se couronne de vitex, et boit du vin délicieux. » 15. Or, j'atteste les dieux que c'est moi qui ai découvert ceci le premier dans Alexandrie, où j'ai acquis le petit écrit de Ménodote, et que j'ai montré à nombre de personnes la solution de la difficulté dont il s'agit, d'après le passage d'Anacréon. (673e) Mais Ephestion qui reproche à tous les écrivains d'être plagiaires, s'en est attribué la solution, et a publié un écrit intitulé « De la couronne de vitex, dont parle Anacréon. » Je viens même de le retrouver encore tout récemment à Rome, chez Démétrius Antimottyra : c'est donc ainsi que s'est comporté l'écrivain Ephestion, tant envers moi, qu'envers notre bon ami Andrante. En effet, celui-ci avait publié cinq livres touchant les questions qu'on pourrait faire sur les morales de Théophraste, considérées tant du côté des détails, que de la diction ; un sixième, sur les équivoques des morales qu'Aristote adresse à Nicomachus (673f) ; un autre ouvrage, sur le Plexippe d'Antiphon le tragique, et sur Antiphon lui-même, outre plusieurs autres traités; mais Ephestion osa s'approprier tout cela, et publia un écrit sur l'Antiphon, qui paraît lv. I. c. 5. des Dits Mémorables de Socrate par Xénophon, sans néanmoins avoir rien ajouté de son propre fonds. Il écrivit aussi sur la couronne de vitex, se contentant de dire, [15,674] comme une observation qui lui est particulière, que Phylarque a connu et rappelé lv. 7 de ses Histoires, (674a) ce qui concerne la couronne de vitex ; mais que cet historien ayant ignoré ce qu'en ont dit Nicénète et Anacréon, a parlé à plusieurs égards différemment de ce qu'en a dit Ménodote. On pourrait dire plus simplement ; à l'égard du vitex, que Mégiste s'en couronnait, parce qu'il en croissait beaucoup sous sa main dans l'endroit où il prenait son repas, et qu'il était à même de s'en ceindre les tempes. En effet, les Lacédémoniens ne se couronnent-ils pas de roseaux, à la fête des Promachies, comme Sosibius le rapporte dans ce qu'il a écrit sur les Sacrifices de Lacédémone ? Voici ses termes : « Il arrive à cette fête qu'on se ceint la tête d'une couronne de roseau de la contrée, ou d'une bande de peau ; mais les enfants qui sont encore occupés de leur éducation, suivent les autres sans couronne. » 16. Aristote lv. 2 de ses Érotiques, et Ariston le péripatéticien, natif de Chio, lv. 2. de ses Entretiens érotiques, disent que les anciens ayant cru éprouver qu'un lien serré autour des tempes les soulageaient dans les cas de céphalalgies avec tension, produite par l'effet du vin, imaginèrent de se bander ainsi la tête dans de pareilles circonstances. Dans un âge postérieur on leur ajouta quelque ornement, convenable au plaisir de la bouteille, et l'on se fit des couronnes avec certain art. (674c) Cependant tous les sens répondant à la tête comme à un siège commun, il vaut mieux la couronner pour se garantir des effets du vin que de la couvrir, et de se serrer les tempes, dans la vue d'en tirer le même avantage. On se couronnait aussi le front, comme le disait le charmant Anacréon. « Mettons-nous de légères couronnes d'ache au-dessus des sourcils; et faisons une partie joyeuse de bouteille en l'honneur de Bacchus. » CHAP. V. Mais on couronnait aussi la poitrine et l'on y versait des parfums ; parce que c'est le siège du cœur. On appelait même g-hypothymiades les guirlandes dont on se ceignait le cou; comme on le voit par ce passage d'Alcée ; « Ça, que l'on nous mette autour du cou des g-hypothymiades faites en rouleau avec de l'aneth. » Et Sapho : « Il y avait quantité d' g-hypothymiades faites en rouleau, et des fleurs, pour être mises autour du cou. » Et Anacréon ; « Ils se mirent autour de la poitrine des g-hypothymiades roulées, faites de lotus. » Eschyle dit clairement dans son Prométhée délié; « C'est en l'honneur de Prométhée que nous nous mettons autour de la tête une couronne, pour lui donner satisfaction de ses liens. » Le même dit dans son Sphinx : (674e) « Mais quant à cet hôte je le ceins de l'ancienne couronne de vitex de Prométhée, lien qui est devenu notre bonheur. » Sapho nous apprend plus simplement d'où nous vient l'usage de nous couronner. Voici ce qu'elle dit: « Mais toi qui as une voix si charmante, mets-toi des couronnes à ton aimable chevelure, en ceignant tes tendres mains de jeunes branches avec de l'aneth : car plus on est paré de fleurs plus on est sûr de plaire aux dieux en offrant un sacrifice ; mais ils se détournent de ceux qui n'ont pas de couronnes. » Elle nous avertit donc qu'on est d'autant plus agréable aux dieux en sacrifiant, qu'on est plus couronné de fleurs. (674f) Aristote dit dans son banquet « nous n'offrons rien de défectueux ou de mutilé aux dieux, mais ce qui est parfait et entier dans toutes ses parties. » Observons ensuite que le mot plein se dit aussi de ce qui est entier, et que le mot stephein (couronner) signifie aussi quelque fois rendre plein ; (et conséquemment entier). C'est ainsi qu'Homère a dit : « De jeunes gens couronnaient de vin les cratères. » Et ailleurs on lit : [15,675] « Mais Dieu couronne la figure par des paroles: c'est-à-dire que l'art de persuader en parlant, supplée à la difformité de la figure. (675a) Or tel est le but auquel la couronne semble tendre. Voilà aussi pourquoi nous paraissons faire tout le contraire dans le deuil : car dans l'intention où nous sommes de compatir aux douleurs de celui qui est affligé, nous nous mutilons à certain point en nous rasant les cheveux, et en nous ôtant nos couronnes. » 17. Mais écoutons ce que dit le médecin Philonide dans son ouvrage sur les parfums et les couronnes. « Lorsque Bacchus eut apporté la vigne, de la mer rouge, en Grèce, nombre de gens se jetèrent immodérément sur la liqueur qu'on en fît, et sans y mêler d'eau. (675b) Les uns devenus maniaques ne savaient plus ce qu'ils disaient, les autres tombèrent comme morts par la stupeur léthargique que le vin leur causa : mais quelques-uns se trouvant à boire sur le bord de la mer, il vint à tomber de la pluie qui obligea les rioteurs de se retirer, et remplit d'eau le cratère où il était resté un peu de vin. » « Le beau temps revint bientôt : les convives étant retournés à leur boisson, goûtèrent de ce mélange qu'ils trouvèrent bienfaisant; et ils en burent sans en être incommodés. Voilà pourquoi les Grecs saluent d'abord le Bon-démon avec le vin pur qu'on leur sert pendant le repas, comme inventeur de cette boisson (or ce bon-démon est Bacchus) : (675c) mais après le repas ils saluent, avec le premier gobelet de vin détrempé qu'on leur sert, Jupiter sauveur, comme inventeur de ce mélange innocent, et qu'ils supposent présider aux pluies. » On sentit donc qu'il fallait trouver quelques moyens de soulager ceux qui avaient la tête frappée des fumées du vin. Or le plus facile de tous parut être de la serrer ; d'autant plus que la nature semblait l'indiquer. En effet, André dit « qu'une personne ayant mal à la tête, la serra et s'en trouva soulagée : ce qui fit imaginer ainsi de remédier à ce mal en se servant d'un lien ; et l'on prit l'usage de serrer ainsi la tête de ceux qui étaient étourdis des fumées du vin, comme un moyen de les soulager. » (675d) « De ce lien on passa aux couronnes de lierre qui croît partout en grande quantité ; d'autant plus qu'il ne déplaît pas à la vue, et qu'il ombrage bien le front par ses larges feuilles et ses espèces de grappes. D'ailleurs ils soutient une tension assez considérable, et il rafraîchit sans répandre d'odeur assoupissante. » Je pense donc que c'est pour cette raison que l'on a consacré cette couronne à Bacchus, voulant qu'il fût le médecin des maux qu'il cause par le vin, comme il en a été lui-même l'inventeur. Mais par la suite on ne fit plus qu'un objet de plaisir de (675e) la couronne qui avait pour but l'utilité, et qui devait remédier aux maux causés par l'ivresse ; et l'on ne songea plus qu'à ce qui flattait la vue ou l'odorat. Voilà pourquoi on imagina la couronne de myrte, qui, il est vrai, a certaine qualité astringente, et peut discuter les fumées du vin : on en fit aussi de roses. Cependant cette couronne calme un peu les douleurs de tête et procure certain rafraîchissement. Il ne faut pas non plus regarder comme étrangère aux parties de bouteille la couronne de laurier : mais on en éloignera celle de giroflée comme portant à la tête, celle de marjolaine, et toutes celles qui pourraient causer de l'assoupissement, ou une pesanteur de tête par quelque cause que ce soit. Apollodore a produit les mêmes détails, avec les mêmes termes, dans son traité des parfums et des couronnes. Voilà donc (675f) mes amis ce que j'avais à dire à ce sujet. CHAP. VI. 18. Quant à la couronne naucratite, après bien des recherches, et après avoir questionné nombre de personnes sur la nature des fleurs dont elle était faite, je n'avais pu rien savoir de certain. Enfin je tombai, quoique longtemps après, sur l'ouvrage de Polycharme de Naucrate, et qui a pour titre de Vénus; or voici ce qui y est écrit à ce sujet. « Vers la vingt-troisième olympiade, Érostrate un de mes concitoyens, marchand de profession, et qui avait déjà fait nombre de voyages par mer, [15,676] aborde à Paphos, (676a) ville de Chypre, y achète une petite statue de Vénus d'un empan de haut, et d'un ouvrage ancien; puis il s'en retourne et l'emporte à Naucrate. Comme il approchait de l'Égypte, il fut accueilli d'une tempête subite. Ne pouvant même apercevoir près de quelle côte était son vaisseau, lui et ses compagnons eurent tous recours à cette statue de Vénus, la priant de les sauver de ce danger. La déesse qui aima toujours les Naucratites fit croître dans tout l'espace qui était autour d'elle une verdure de myrtes, (676b) qui répandit l'odeur la plus agréable, au moment où tout le monde désespérait de sauver le vaisseau, vu le vomissement considérable dont on y fut pris. Mais ce vomissement cessa, le temps devint serein, on aperçut du vaisseau les côtes voisines, et l'on arriva enfin à Naucrate. Érostrate sautant aussitôt hors du vaisseau avec sa statue, et tenant les myrtes qui y avaient poussé subitement, alla les déposer dans le temple de Vénus. Il offrit un sacrifice à la divinité, lui consacra la petite statue, invita au repas, qu'il donna dans le temple, (676c) ceux qu'il convenait et ses amis les plus familiers, et leur donna à chacun une couronne de myrtes, qu'ils appelèrent à l'instant Naucratite.» Voilà donc ce que dit Polycharme ; et je le crois d'autant plus, que la couronne naucratite n'est faite que de myrtes selon moi : car c'est celle qu'Anacréon portait entrelacée de roses. Phylonide ajoute à cela que la couronne de myrte est propre à dissiper les vapeurs du vin; et que celle de rose, outre qu'elle est calmante dans les cas de Céphalalgie, a encore une qualité rafraîchissante. Ainsi c'est se rendre ridicule que de dire que la couronne naucratite est celle qui se fait de papier coronaire, comme l'appellent les Égyptiens. (676d) On s'appuie mal-à-propos d'un passage de Théopompe lv. 3. de son histoire de la Grèce. Selon cet écrivain, Agésilas de Sparte étant arrivé en Égypte, les habitants lui envoyèrent plusieurs présents, et entre autres une couronne de papyrus coronaire. Pour moi je ne sais quel avantage ou quel plaisir on peut avoir à se couronner de papyrus entrelacé de roses ; à moins que ceux qui le font n'en trouvent aussi à se couronner d'ail et de roses. Je n'ignore pas non plus que nombre de personnes soutiennent que la couronne de marjolaine est la naucratite. Il est vrai que cette fleur est fort commune en Égypte. (676e) Quant au myrte, celui d'Égypte a une odeur bien différente de celle du myrte de toute autre contrée, comme le rapporte Théophraste. 19. On allait continuer sur cette matière, lorsque des valets survinrent dans la salle, apportant des couronnes des plus belles fleurs de la saison. Myrtile prend la parole : « Charmant Ulpien dis-nous donc tous les noms des couronnes; » car, selon ce que dit Chérémon dans son Centaure : « Les valets préparent des couronnes que les prières font marcher devant les dieux, pour annoncer nos hommages. » (676f) Le même poète dit aussi dans son Bacchus: « Faisant des couronnes, messagères de nos hommages. » Ne vas cependant pas nous produire ce qu'a dit Elius Asclépiade dans son traité des couronnes, comme si nous n'en avions pas entendu parler : mais dis-nous quelque chose dont il n'ait pas fait mention. D'abord tu ne pourras pas nous montrer que quelqu'un ait dit, sans un accord d'adjectif avec un substantif, g-rhôdoon g-stephanon couronnes de roses, ou g-ioon g-stephanon couronne de violettes : car si Cratinus a dit ainsi g-narkissou g-helikiscous de petites guirlandes de narcisse, c'est en badinant. Ulpien se prit à rire, et dit: [15,677] Semus de Délos nous apprend lv. 3. de sa Déliade que l'on appela d'abord chez les Grecs g-stephanos (couronne) ce qui chez nous est nommé g-stephos, (677a) et chez d'autres g-stemma.... C'est pourquoi après avoir mis cette première couronne, nous nous ceignons de celle de laurier. C'est du mot g-stephos qu'on a fait g-stephanos. Mais toi, Thessalien, babillard, penses-tu que je vais parler de ces choses vulgaires et qui ont été redites cent fois? puisque tu as la langue (g-glootta) si bien pendue, je vais parler de la couronne hypoglottide dont Platon fait mention dans son Jupiter irrité. « Oui certes vous avez de la langue jusque dans vos chaussures, et dans vos couronnes hypoglottides, lorsque vous êtes à boire ; (677b) et si vous offrez un sacrifice en action de grâce la langue y est encore, en ce que vous envoie une bonne langue. » Pamphile croit dans son traité de la liaison des noms que Théodore range l'hypoglottide parmi les espèces de couronnes, dans ses gloses attiques. Apprends-le donc de moi. Car selon Euripide « Dans toute chose celui qui a le talent de la parole peut parler pour et contre. » 20. Couronne isthmiaque. Aristophane a jugé à propos de rappeler cette couronne dans ses Tagénistes. Voici le passage. « A. Qu'allons-nous donc faire ? B. Il n'y a qu'à prendre la chlamyde blanche, (677c) avec la couronne Isthmiaque, comme les chœurs, et nous chanterons les louanges de notre maître. » Silène dans ses gloses à dit couronne isthmienne. Philétas écrit couronne... Mais les différents sens de ce mot, qui est le même pour désigner plusieurs choses, le font appliquer d'une manière équivoque. Car on dit l'isthme de la tête; l'isthme de l'anus, l'isthme des mamelles. J'ajoute même que l'on appelle isthme la margelle d'un puits, en ce qu'elle forme l'entrée à la partie supérieure ; et l'isthme d'un poignard, c'est-à-dire la poignée, ou ce que la main empoigne entre la lame et le pommeau. Timachidas et Simmias, tous deux de Rhodes ont dit l'un et l'autre couronne isthmïenne ; et Callixène (677d) qui était aussi de Rhodes en parle en ces termes dans son histoire d'Alexandrie.... 21. Mais puisque j'ai fait mention d'Alexandrie, je connais une couronne que l'on appelle dans cette belle ville la couronne d'Antinoüs, et qui se fait de la plante qu'on y nomme lotus. Ce lotus croît dans les marais pendant la saison de l'été. Il y en a de deux couleurs ; l'une est analogue à celle de la rose; et c'est de celle-ci qu'on fait la couronne dite d'Antinoüs. L'autre couronne se nomme simplement de lotus; elle est de couleur bleue. (677e) Lorsque l'empereur Adrien était à Alexandrie d'Égypte, certain Pancrate, poète du pays, lui montra comme une grande merveille un de ces lotus couleur de rose, disant qu'il fallait donner le nom d'Antinoüs à cette plante, parce que la terre l'avait produite lorsqu'elle avait été arrosée du sang de ce lion de Mauritanie que l'empereur avait couché par terre à la chasse dans la partie de la Libye voisine d'Alexandrie. C'était un animal énorme, qui avait longtemps ravagé la Libye, au point d'en avoir rendu une grande partie déserte. Adrien flatté de la pensée ingénieuse du poète, et de la vue de cette plante qui était nouvelle pour lui, ordonna que Pancrate serait nourri au musée de cette ville. (677f) Cratinus le comique a donné le nom de g-stephanooma ou couronne au lotus dans ses Ulysses ; suivant en cela l'usage des Athéniens qui donnent aussi ce nom à toute plante qui se garnit de feuillage. Quant à Pancrate il dit fort ingénieusement dans son poème; il y avait « Du serpolet crépu, du lys blanc, de la jacinthe pourprée, des pétales de la fleur chélidoine, de la rose, toujours prête à s'ouvrir au souffle des zéphirs du printemps : car la fleur d'Antinoüs n'existait pas encore. » [15,678] 22. g-Pyleoon. Selon Pamphile c'est ainsi qu'on appelait la couronne que les Lacédémoniens mettaient à leur Junon. Je sais aussi qu'il y avait une couronne que les Sicyoniens appelaient g-iaccha, selon les gloses de Timachidas. Cette couronne des Sicyoniens avait une bonne odeur, comme l'indique Philétas dans ces vers: « Elle s'arrêta près de son père, pour lui mettre autour de sa chevelure une belle couronne, g-iaccha, qui repandait une odeur suave. » Selon les gloses de Seleucus on appelait g-ellootis une couronne faite de myrtes, de vingt coudées de tour. (678b) On la portait en pompe à la fête des Elloties, en même temps que les os ou les reliques d'Europe, qui avait le nom d'Ellotis à Corinthe où se célébrait cette fête en son honneur. Thyréatiques, c'était le nom de certaines couronnes chez les Lacédémoniens, comme le dit Sosibius dans son traité des sacrifices : il ajoute qu'on les appelait de son temps Psilines et qu'on les faisait de feuilles de palmier. Ceux qui présidaient aux chœurs (678c) de la fête des gymnopédies portaient ces couronnes en mémoire de la victoire que les Lacédémoniens avoient remportée à Thyrée. Il y avait deux chœurs; l'un des enfants, était celui qui marchait en avant; l'autre, celui des plus courageux citoyens. Ils dansaient nus et chantaient des chansons de Thalétas et d'Alcman, et les péans de Dionysodote Lacédémonien. Melilotines. Alexis rappelle ces couronnes dans son Cratévas ou pharmacopole. « Nombre de couronnes mélilotines suspendues. » Epithymides. Selon Seleucus, c'est le nom général qu'on donne à toutes les couronnes. Mais Timachicîas restreint ce nom à celles de toute espèce que peuvent porter les femmes. (678d) Hypothymis et Hypothymiades. Ce sont chez les Éoliens et les Ioniens les guirlandes qu'on se met autour du cou, comme on peut le voir clairement par les poésies d'Alcée et d'Anacréon. Mais Philétas dit dans ses Atactes que « Les Lesbiens appellent hypothymiade une branche de myrte, autour de laquelle on attache des violettes et autres fleurs. » Hypoglooitis. C'est aussi une espèce de couronne. Selon les gloses attiques de Théodore c'est une espèce de couronne entrelacée, dans le Jupiter irrité de Platon. (678e) CHAP. VII. 22. Je trouve aussi dans les comiques certaine couronne cyliste ou en rouleau. Archippe en parle dans son Rhinon. « Il s'en va impunément après avoir ôté son habit, et se retire chez lui ayant une couronne de l'espèce des cylistes. » Alexis écrit dans son Agoonis ou Hippisque, « Ce troisième à une couronne cyliste de figues : mais il aimait ce fruit pendant sa vie. » On lit encore dans son Sciron « Comme une couronne cyliste suspendue. » Antiphane en parle aussi dans son amoureux de soi-même. (678f) Eubule les rappelle pareillement dans son Enomaüs, ou Pelope : « Il ressemblait à une couronne cyliste, entouré de plats comme il l'était. » Mais quelle est cette couronne cyliste? Je sais que Nicandre de Thyatire a dit dans ses noms attiques: « des couronnes ekkylistes, et surtout celles de roses.» Mais Cynulque, j'en cherche encore la forme. Ne vas pas me dire qu'il faut entendre par là les couronnes épaisses, car tu es un homme qui non seulement recueilles ce qu'il y a de plus difficile à comprendre dans les livres; mais qui fouilles, comme ces philosophes que Caton produit dans sa comédie intitulée le Trompeur complice, et dont Sophocle a parlé dans ses Convives, gens qui te ressemblent assez. Voici le passage : [15,679] (679a) « II ne convient pas à un homme qui a déjà la barbe ointe, et qui est sorti de l'enfance, surtout étant bien né, d'être esclave de son ventre puisqu'il est de condition libre. » Mais comme tu t'es déjà rempli de cette tête de glauque et de cette herbe immortelle dont le dieu d'Anthédon ne se fut pas plutôt rassasié qu'il devint immortel de plongeur marin qu'il était ; dis-nous donc quelque chose sur ce dont il s'agit : autrement nous te déclarons déjà métamorphosé comme tu le seras après ta mort, selon ce que dit le divin Platon dans son traité de l'âme. Or il dit que « les gloutons, les insolents, (679b) les ivrognes, et ceux qui n'auront eu aucun respect humain seront, comme il est juste, changés en ânes, et en autres brutes semblables. » 24. Cynulque ne sachant que répondre, Ulpien lui dit : ça, passons à une autre couronne que l'on appelait g-strouthion dont Asclépiade fait mention en citant ce passage des Bouquetières d'Eubule : « Ô ! femme que tu es heureuse d'avoir dans ta petite maison du g-struthion agité au gré de l'air, très délié et propre aux nouveaux époux. Cette plante agréable à la vue croît ça et là en s'élevant au printemps comme un roseau sur une tige fort velue, (679c) lorsque la hulotte sèche d'amour. » Or la couronne de g-struthion se fait des fleurs de cette plante, dont parle aussi Théophraste lv. 6. de son histoire des plantes. « L'iris, dit-il, fleurit au printemps, de même que ce qu'on appelle g-struthion. Celle-ci fait une fleur belle à voir, mais sans odeur. » Galène de Smyrne écrit g-strythion. Pothos. C'est encore le nom de certaine couronne, selon les gloses de Nicandre de Colophon. On la faisait probablement des fleurs de ce nom. Théophraste en parle lv. 6. de ses plantes. Voici le passage : (679d) « surtout les fleurs d'été, comme la lychnis coronaire, l'ancolie, le lys, l'asphodèle, la marjolaine de Phrygie, et ce qu'on appelle pathos ou la tubéreuse. Il y en a de deux sortes : l'une a la fleur semblable à celle de la jacinthe; l'autre tire sur un blanc terne, et l'on en met sur les tombeaux. » Eubule rapporte le nom de plusieurs couronnes. « A. Egidion, tu te mettras cette couronne, bigarrée de nombre de fleurs différentes, et bien faite pour attirer dans ta nasse, E. Oui-dà, elle est charmante! Et comment n'embrassera-t-on pas celle qui la porte ! » (679e) il dit ensuite « Vous voulez peut-être des couronnes ? Est-ce de serpolet, de myrte ou de fleurs entremêlées? ou --- nous en voudrions bien de ces myrtes; ainsi vends toutes les autres, excepté celles de --- myrtes que nous voulons pour nous. » 25. Couronne de tilleul. Xenarque dit dans son Soldat : « L'enfant avait autour de sa tête une couronne de tilleul, sans feuilles.» Il y a aussi les couronnes qu'on appelle torses, telles que celles qu'on voit encore à Alexandrie. Chérémon poète tragique en parle dans ce passage de son Bacchus. « Des couronnes faites de lierre, de narcisse --- tortillées en triple cercle. » Hellanicus parle ainsi dans ses Égyptiaques des couronnes qui sont toujours fleuries en Égypte. « Il y a sur le Nil une ville nommée Tindion, où se tient l'assemblée des dieux. Au milieu de cette ville est un grand temple et très respectable, bâti en pierres, comme les porches. Au dehors croissent des épines blanches et noires, [15,680] sur lesquelles on met des couronnes (680a) de fleur d'acanthe, de grenades entrelacées avec de la vigne ; et c'est ainsi que ces couronnes sont toujours en fleur. Les dieux déposèrent tous leurs couronnes en Égypte, apprenant que Babys, autrement Typhon; y était devenu roi. » Mais Démétrius dit dans son ouvrage sur l'Égypte que ces épines sont situées près de la ville d'Abyle. Voici le passage : « Il y a, dit-il, dans la partie inférieure une épine qui fait une espèce d'arbre. Elle porte un fruit rond sur de petites branches qui prennent une forme circulaire. (680b) La fleur s'y montre au printemps, et n'a qu'une couleur terne. On raconte l'histoire suivante à ce sujet. Les Éthiopiens que Tithon envoyait au secours de Troie ayant appris que Memnon était mort, jetèrent dans ce lieu-là leurs couronnes sur les épines, et les branches sur le lesquelles poussent les fleurs prennent depuis ce temps- là une forme de couronne. » Hellanicus cité précédemment rapporte qu'Amasis, de simple particulier qu'il était, et même d'une condition assez basse, (680c) devint roi d'Égypte par le moyen d'une couronne qu'il fit des plus belles fleurs du printemps, et qu'il envoya pour présent à Partamis régnant alors en Égypte : celui-ci célébrait le jour de sa naissance. Partamis, flatté de la beauté de cette couronne, invita Amasis à souper, le mettant au nombre de ses amis ; et lui donna le commandement de l'armée qu'il fit marcher contre les Égyptiens rebelles. Mais la haine qu'on avait conçue contre Partamis fit déclarer Amasis roi. 26. Couronnes synthematies. Ce sont des couronnes que l'on commande, et qu'on obtient pour certain prix. Aristophane en parle dans ses thesmophores. « fais vingt couronnes synthematies. » (680d) CHAP. VIII. g-Choroonon. Apion dit dans son ouvrage sur la langue des Romains, qu'il y avait anciennement une couronne connue sous le nom de g-choroonos ; en conséquence de l'usage que les danseurs en faisaient sur le théâtre, où ils exécutaient leurs danses, ayant une couronne sur la tête. On la retrouve sous ce nom dans les épigrammes de Simonide. « Phébus a enseigné aux Tyndarides l'art de chanter; et les cigales, qui chantent sans cesse, l'ont couronné d'une chôroone.» Couronnes akinnies. Les couronnes qu'on appelait ainsi étaient faites d'une plante nommée g-akinon, comme le dit le médecin Andron. Parthenius fils de Denys cite son texte lv. 1. des mots employés par les historiens. 27. « Quant aux plantes dont on faisait des couronnes, voici celles que cite Théophraste, la violette, l'ancolie, l'asphodèle, la flambe, le lys émérocale. Il dit que c'est la giroflée qui fleurit la première de toutes, avec celle qu'on appelle flambe sauvage; après cela paraît le narcisse, le lirion ou faux narcisse, (et entre les trois espèces d'anémone celle qu'on appelle horion ou de montagne), le bulbocodion; car quelques-uns l'insèrent avec les autres fleurs dans les couronnes : après cela l'œnanthe, la violette foncée ; et entre les plantes sauvages, l'élichrise ou immortelle, et parmi les anémones celle des prés, (680f) l'iris de Perse et la jacinthe. » « La rose, après ces fleurs, et elle passe avant elles. Quant aux fleurs d'été ce sont surtout la lychnis coronaire, l'ancolie, le lys, l'asphodèle, la marjolaine de Phrygie et la tubéreuse appelée pothos. » Théophraste dit encore dans le même endroit. « Si quelqu'un porte cette couronne d'immortelles, et l'arrose de parfum, il acquiert de la célébrité. » Alcman fait aussi mention d'immortelles dans ce passage-ci. [15,681] (681a) « Je t'adresse mes vœux en te présentant ce pyleon d'Elichryse et d'immortel Souchet. » Et Ibycus, « Des myrtes, des violettes, de l'élichryse, des pommes et de tendres lauriers. » Gratinus dit dans ses Onanistes ; « Avec du serpolet, du safran, de la jacinthe, et des branches d'élichryse. » Cette fleur est semblable à celle du lotus. Themistagoras d'Éphèse dit, dans son ouvrage intitulé le livre d'or, que cette fleur (681b) eut son nom de la nymphe Elichryse, qui la cueillit la première. Selon Théophraste il y a aussi des lys, couleur pourpre. Et Philinus dit que les uns appelaient le lys, lirion, et d'autres ion. Les Corinthiens le nomment ambrosie, selon les gloses de Nicandre. Dioclès appelle la marjolaine amaracos dans son traité des poisons décidément mortels, tandis que d'autres la nomment sampsychon. 28. Cratinus fait mention des cosmosandales dans ses onanistes. Voici ses termes. « Avec des faux narcisses, des roses, des lys et des cosmosandales. » Cléarque lv. 2. de ses vies, dit : Vois les Lacédémoniens qui ont les premiers découvert la cosmosandale. Après avoir foulé aux pieds l'ancien ordre de la constitution politique, ils se sont cassé le cou: c'est pourquoi le comédien Antiphane a dit fort sensément à leur sujet dans son cithariste ; « Les Lacédémoniens ne se glorifiaient-ils pas autrefois d'être inexpugnables? mais à présent ils ont des réseaux pourpres qui les tiennent comme en otage. » Icésius dit lv. 2. de sa matière médicale, que la giroflée blanche qui a une vertu médiocrement astringente, a aussi une odeur beaucoup plus agréable que les autres espèces, (681d) et qui en flattant l'odorat ne durent cependant que très peu : d'un autre côté, ajoute-t-il, la noire a la même vertu, mais sa bonne odeur se soutient plus longtemps. Apollodore, dans son traité des animaux venimeux la nomme chamaipytis ; les Athéniens ionia ; et ceux d'Eubée syderitis. Quant à Nicandre je rapporterai ce qu'il dit lv. 2. de ses géorgiques, quand je ferai le détail de toutes les fleurs qui s'emploient dans les couronnes. Du reste ce sont, selon lui, les nymphes d'Ionie qui ont fait connaître la violette, par le présent qu'elles en firent à Ion. Théophraste, 1. 6. hist. Plant, (681e) dit que le Narcisse se nomme aussi lirion; mais un peu plus loin, il les présente comme distingués l'un de l'autre. Selon l'herbier d'Eurymachus de Corfou, le narcisse se nommait aussi acacallis et crotale. Cratinus rappelle dans ses Onanistes la fleur que l'on appelle emérocalle ou lys asphodèle, qui se fane la nuit et refleurit au lever du soleil: « Et avec l'emérocalle chérie. » Quant au serpolet sauvage (681f) les Sicyoniens vont le prendre dans les montagnes; et les Athéniens sur le mont Hymette, et on le plante dans les jardins. Dans d'autres contrées les montagnes sont pleines de cette fleur, par exemple en Thrace. Selon Philinus le serpolet se nomme aussi zygis. La lychnis, dit Amerias de Macédoine dans son herbier, est née du bain où s'était lavée Vénus en sortant des bras de Vulcain avec qui elle avait couché. La plus belle se trouve en Chypre, à Lemnos ; et en outre à Strongyle, Eryce et Cythère. L'iris, dit Théophraste, fleurit l'été; et c'est la seule qui ait une odeur délicate parmi les fleurs de l'Europe. La meilleure est en Illyrie dans les parties élevées qui avoisinent la mer. [15,682] (682a) Selon Philinus on appelle loups les fleurs d'iris, parce qu'elles ont de la ressemblance avec les lèvres de loup. Nicolas de Damas rapporte, lv. 108. de ses Histoires, que dans le voisinage des Alpes il y a un lac de plusieurs stades, autour duquel il vient tous les ans les fleurs les plus agréables et des plus belles couleurs, semblables à celles qu'on appelle calchas. Alcman fait mention des calchas dans ce passage, « Ayant un collier de couleur d'or fait des fleurs des minces calchas. » (682b) Épicharme les rappelle aussi dans son Campagnard. 29. A l'égard des roses, Théophraste dit lv. 6. qu'il y en a de plusieurs espèces. La plupart, selon lui, sont à cinq feuilles, d'autres à douze, et quelques-unes à cent feuilles, près de la ville de Philippi. On va en prendre sur le mont Pangée pour les cultiver chez soi ; car il y en a là beaucoup : mais les feuilles intérieures sont fort petites. Elles poussent de manière que les unes sont intérieures, les autres extérieures. Du reste elles n'ont pas de bonne odeur; et elles sont assez petites. Celles à cinq feuilles ont plus d'odeur, et leur partie inférieure rude au toucher. (682c) Les plus odorantes sont celles de Cyrène; voilà pourquoi le parfum de roses qu'on y fait est extrêmement suave. Quant aux autres fleurs qui y croissent, elles sont aussi belles que l'odeur en est excellente ; surtout celle du safran. Timachidas dit que les Arcadiens appellent la rose euomphale, au lieu d'euosmon (de bonne odeur). Apollodore, lv. 4. de ses Parthiques, décrit certaine fleur qu'on appelle philadelphe chez les Parthes. Voici ce qu'il dit. On y trouve différentes sortes de myrtes, du mïlax, et la plante qu'on appelle philadelphe, dénomination convenable à sa nature. (682d) En effet, lorsque les rameaux éloignés viennent à se rencontrer, ils s'unissent en s'embrassant comme s'ils étaient animés, et restent dans cet état, de sorte qu'elles paraissent venir d'une même racine. Alors elles continuent à s'étendre et à se propager ensemble. On en fait des haies pour les endroits cultivés. On en retranche les scions les plus minces, et on les plante en rond autour des jardins en les entrelaçant comme un filet. Croissant alors ainsi entrelacés ils forment par la suite une enceinte difficile à pénétrer. 30. (682e) Egésias ou Stasinus, auteur, l'un ou l'autre, des Cypriaques, fait mention des fleurs employées dans les couronnes : car Déodamas d'Halicarnasse ou de Milet, cite ces vers dans son ouvrage sur Halicarnasse, et dit que l'auteur était de cette ville. Quel qu'en soit l'auteur voici ce qu'il dit liv. l, 1. « Ce furent les grâces et les zéphirs qui firent ses habits, et les teignirent dans des fleurs du printemps ; telles que les heures les produisent; savoir dans le safran, la jacinthe, la violette toute fraîche, la belle et odorante fleur du rosier, les calices du lys, les fleurs du narcisse dont les émanations sont si flatteuses ; (682f) et l'on eût dit Vénus revêtue des habits parfumés de toutes sortes d'odeurs. » Ce même poète paraît avoir connu l'usage des couronnes, comme on le voit dans ce passage : « La riante Vénus fit avec les femmes de sa suite, des couronnes odoriférantes, des fleurs de la terre : les nymphes élégamment coiffées, et les grâces les lui posèrent sur la tête, et s'accordant avec. Vénus, elles formèrent le plus beau concert sur les coteaux de l'Ida, d'où coulaient nombre de fontaines. » [15,683] (683a) 31. CHAP. IX. Mais citons le passage du lv. 2. des Géorgiques de Nicandre. Voici donc les fleurs dont il fait le dénombrement et ce qu'il dit des nymphes de l'Ionie et des roses. « Mais semez et plantez des fleurs dans la saison. Il y en a de deux sortes en Ionie : l'une est pâle, l'autre brillante comme l'or à la vue. Qu'elles soient telles que celles dont les nymphes d'Ionie, devenues amoureuses d'Ion, lui en présentèrent une superbe couronne, dans les campagnes de Pisé ; lorsqu'il y tua un terrible sanglier, en le poursuivant avec des chiens : après quoi il alla aux eaux de l'Alphee se laver et se nettoyer les membres du sang noir dont ils étaient souillés, (683b) pour aller passer la nuit avec les nymphes. « Ainsi pour planter des brins de rosier épineux, faites une petite fosse, plantez-les dedans, laissant entre chaque un espace de deux palmes. Les premières roses qui quittèrent l'Ionie, où régnait Thémis sur le Parnasse, ont été cultivées dans les campagnes d'Emathie : elles sont toujours de soixante feuilles. « La seconde espèce est celle de Mégare surnommée Nisée. Mais celle de Phasilis, ni celle qui se plaît sur les bords (683c) du fleuve Léthée, dont les eaux coulent près des murs de Magnésie, ne doivent pas être méprisées par ceux qui admirent la rose de Ténédos, autrefois Leucophrys. « Plantez aussi dans des fosses des branches de lierre qui jette beaucoup de racines. Souvent même vous pourrez planter une couronne de lierre avec ses corymbes, et il donnera beaucoup d'ombre en faisant courir ses branches de tous côtés. C'est à ceux-ci que vous devez couper des brins, mais après les avoir coupés, plantez-les sous des paniers d'osiers tout neufs. Arrangez-les bien, afin que les deux corymbes (683d) jaunes s'assujettissant l'un à l'autre se réunissent par le milieu des brins, et montrent une tête altière sous l'ombrage verdoyant qui formera une couverture de part et d'autre. Leurs calices portent une tête où se trouve renfermée la semence prolifique ; et sont parés de pétales brillants dont le milieu a une couleur de safran. « Quant au lys, que d'autres poètes appellent lirion, d'autres ambroisie, et plusieurs, joie de Vénus, il plaît par sa couleur, mais au milieu (683e) il y a une arme d'âne qui saille beaucoup au dehors. « L'Iris qui se plaît à propager ses racines est analogue à la jacinthe née du sang d'Ajax. Elle s'élève avec une fleur semblable à celle de la chélidoine, et qui concourt avec le retour des hirondelles qui répandent de leur estomac dans leurs nids les feuilles de celle plante. Ces petits ont toujours le bec ouvert comme les calices des plantes. Ajoutez-y la lychnis; mais non la thryallis : qu'on ne recommande pas non plus les camomilles qui n'ont qu'un vain éclat ; ni l'œil de bœuf qui élève une tête qui dure toute l'année ; ni la flambe qui se montre lorsque les rayons du soleil reparaissent. (683f) « Mais plantez le serpolet dans une terre humide afin qu'il s'abreuve, et rampe en étendant ses longues branches, et s'élève comme flottant au-dessus des eaux des nymphes aimables. « Ayez soin d'effeuiller les pavots, pour en garantir les têtes de devenir la proie des pucerons ; car cette engeance les gâte tous ; [15,684] en se fixant sur ceux qui sont épanouis, (684a) ils dévorent ces têtes qui sont tendres comme rosée, et remplies d'un fruit (graine) plus doux que le miel. Ainsi dès que les fleurs seront ôtées, des flammes les auront bientôt chassées ailleurs en les frappant et brûlant leurs corps : car ils ne pourraient alors s'y établir solidement ; (Observons que Nicandre entend par thria, non les feuilles du figuier, mais celles du pavot). « ni prendre aucune nourriture. Souvent au contraire ils tombent en voulant grimper sur les têtes lisses et dures. (684b) Les jeunes plantes se fortifient dans un fond gras, et portent beaucoup de graine, telles que celles de marjolaine et de romarin; et toutes celles qui fournissent dans les jardins des couronnes aux cultivateurs assidus. Quant aux minces fougères et aux pédérotes, elles sont vivaces comme le peuplier; et le cyperus (souches), le vellon, et toutes les belles plantes que la prairie nourrit dans ses eaux courantes; l'œil-de-bœuf, le Diosanthos ou lychnis, (684c) le chalcas, les violettes rampantes, que Proserpine a rendues plus noires que les autres fleurs : ensuite la haute dent-de-lion, et tous les glaïeuls qu'on répand sur les tombeaux des jeunes vierges nouvellement ensevelies. En outre les jeunes anémones qui attirent par l'éclat de leur couleur perçante. (684d) « Qui que vous soyez, vous pouvez cueillir de l'aunée, de l'étoile brillante : jonchez-les devant les temples qui sont le long des chemins, ou mettez-les aux statues qui se présenteront à vous. Souvent aussi vous cueillerez de beaux g-holkia, et le bouton d'or, du narcisse sauvage qui meurt sur les cippes des tombeaux ou de la barbe de bouc, et de la cyclamine qui aime à se tortiller en rampant, de la nielle appelée particulièrement la couronne de l'infernal Agésilaos. » 32. Il paraît par ces vers que la chélidoine est différente (684e) de l'anémone ; quoique plusieurs avancent que c'est la même fleur. Téophraste dit lv. 7. hist. pi. que les fleurs paraissent selon le cours et l'influence des astres ; comme celles de l'héliotrope, et de la chélidoine qui paraît au retour des hirondelles. Carystius décrit dans ses commentaires historiques certaine fleur qu'il nomme ambroisie, et cite ce passage de Nicandre. « La fleur, dit Nicandre, qu'on appelle ambroisie est née de la tête de la statue d'Alexandre, laquelle est dans l'île de Coos. J'en ai parlé précédemment et j'ai dit qu'on donne ce nom au lys en plusieurs endroits.» (684f) CHAP. X. Timachidas, lv. 7. de son Souper, décrit une fleur qui porte le nom de Thésée : « La tendre et très belle fleur de Thésée, semblable à une pomme et dont il avait fait hommage à Leucoroée qu'il aimait plus que toute autre. » On dit que la couronne d'Ariadne était faite de ces fleurs. [15,685] Phérécrate, (685a) ou l'auteur du drame intitulé les Perses, parle ainsi en rappelant quelques fleurs employées dans des couronnes. « Ô ! toi qui contemples ces mauves, flaires cette jacinthe, parles de Melolot, ris à la vue de ces roses ; O! toi qui aimes la marjolaine, mais en préférant l'ache, et qui marches comme le cosmosandale, verse du vin et crie la troisième fois selon l'usage.» L'auteur de la pièce intitulée les Mines, qu'on attribue aussi au même dit : « Ils foulaient aux pieds de tendres aspalathes (685b) dans une prairie où croissaient le lotus, le souchet plein de rosée, le cerfeuil, des tapis de violettes, et du trèfle. » Or je demande ce que c'est que le trèfle : car on attribue à Démarète un petit poème intitulé le Trèfle. Phérécrate ou Strattis dit dans la pièce intitulée les Bons. « Mais après s'être baignés à la pointe du jour, ils jasent les uns ayant des couronnes, les autres étant parfumés, touchant la menthe crépue et les cosmosandales. » Cratinus dit dans ses Onanistes : « « J'ai la tête couronnée de toutes sortes de fleurs, (685c) de faux narcisses, de roses, de lys, de cosmosandales, de violettes, de menthe sauvage, de calyces printaniers d'anémone, de serpolet, de jacinthe, d'immortelles, de branches de fîlipendule ; de charmant lys asphodèle, de cerfeuil ; et j'ai la chevelure ornée de mélilot qui se garde toujours. Le cytise quitte son maître pour venir de lui-même à moi. » 33. Lorsqu'on introduisit l'usage des couronnes et des parfums dans les festins, on les servit d'abord avant les secondes tables : c'est ce que montre Nicostrate dans son Pseudostigmatias: (685d) « Et toi couvre-nous une seconde table, et que cela soit fait bien proprement. Garnis-la de toutes sortes de tragèmes : prends du parfum, des couronnes, de l'encens, et qu'il y ait une joueuse de flûte. » Philoxène poète dithyrambique fait commencer le repas par la couronne. Voici ce qu'il dit : « Un esclave, jeune et joli, vint apporter dans une aiguière de l'eau pour les mains. Ensuite il apporta de minces couronnes de myrtes très fragiles, et qu'on ne peut arranger que difficilement. » (685e) Eubule dit dans ses Nourrices : « Aussitôt que les vieillards furent entrés au logis, on se plaça sur les lits. Incontinent parurent les couronnes. On apporta la table toute servie ; et l'on mit à côté des convives une maze bien pétrie : rien n'était si charmant à voir. » C'était aussi la coutume parmi les Égyptiens, comme le montre Nicostrate dans son Usurier : car voici ce qu'il fait dire en supposant que cet usurier est un Égyptien : « A. Nous y rencontrâmes un marchand de femmes prostituées, et deux (685f) autres qui avaient à la main une couronne qu'ils venaient de prendre. B. fort bien mon cher Chéréphon. » Quant à toi Cynulque, remplis ta panse, et après cela dis-nous pourquoi Cratinus a dit du mélilot; « Le mélilot qui se garde toujours. » Mais comme je te vois déjà g-exoinos (mot dont se sert Alexis dans son Eisoikizomene pour désigner un homme qui a trop bu), je ne te harcèlerai pas davantage; et je vais donner mes ordres aux esclaves avec ce passage des convives de Sophocle : [15,686] (686a) « Apportez la table, qu'on l'essuie : et qu'on verse plein ce profond cratère : car celui qui mange beaucoup avant de boire, agit comme un bœuf qui laboure. » Or selon Aristias de Phlionte qui parle ainsi dans ses Crétois ; « Cynulque est un convive fait pour manger avec des matelots, ou avec un gueux qui demande son pain ; un convive d'enfer qui a un ventre insatiable. » Ainsi puisqu'il ne répond rien à ce que je viens de dire, je demande avec les Jumeaux d'Alexis qu'en lui mettant une couronne de fleurs sans choix, on le chasse du banquet. (686b) Voici le vers du poète comique : « De ces couronnes faites de fleurs ramassées au hasard (g-chydaioon.) » Mais je ne parle plus de la journée, et je laisse le champ libre à ceux qui voudront parler des parfums. Cependant j'ordonne à ce valet de m'apporter pour récompense de ce que j'ai dit sur les couronnes, « Deux des plus belles couronnes, (686c) et une torche allumée à un bon feu. » Pour parler avec Antiphane : par ce moyen je terminerai mon discours comme une pièce de théâtre. » Le silence que Cynulque garda dans ce moment-là semble avoir été le présage de son silence éternel ; car peu de jours après, il mourut heureusement sans avoir eu le temps d'être malade, et nous laissa beaucoup de regrets à tous. 34. Des valets apportèrent alors des parfums dans des vases d'albâtre et dans d'autres d'or. Un des convives, apercevant que Cynulque dormait, lui oignit le visage de parfum. S'étant éveillé, il s'écria sans trop avoir repris ses sens : (686d) « Juste ciel ! qu'est-ce donc que cela? quoi ! quelqu'un ne viendra pas, avec une éponge, m'essuyer le visage que j'ai tout sali de je ne sais quelles vilenies ? ou ne savez-vous pas ce que le charmant Xénophon fait dire à Socrate dans son Banquet? « Par Jupiter ! Callias ; tu nous traites complètement ! non seulement tu nous fais servir un repas où rien ne manque, tu nous fais venir aussi des baladins, et nous procures les plus agréables spectacles; mais que ne nous apporte-t-on des parfums, afin que nous nous repaissions aussi de quelque excellente odeur? » « Point du tout, dit Socrate. Il en est des parfums comme des habits. Les uns conviennent aux femmes, les autres aux hommes. (686e) Un homme ne se parfume pas non plus pour un homme : mais les femmes usent de parfums pour plaire aux hommes, surtout si elles sont nouvellement mariés; comme celles de Nicérate et de Critobule. Aussi en exhalent-elles. Mais l'odeur de l'huile dont on se frotte dans les gymnases, et la présence des hommes sont bien plus agréables aux femmes que celle d'un parfum quelconque ; elles en sont même privées avec bien plus de peine. Quant aux hommes, que ce soit un esclave ou un libre qui se parfume, l'odeur est toujours la même. Celles au contraire qui s'exhalent des hommes libres (686f) après les exercices et le travail, demandent d'abord que les sujets soient honnêtes, et ensuite beaucoup de temps, pour devenir agréables, et sentir l'homme bien né. » L'admirable Chrysippe dit que le mot g-myron, parfum, vient de g-moros fou, parce que les parfums ne se préparent qu'avec beaucoup de travail fou, g-morou, et insensé. Les Lacédémoniens chassèrent les parfumeurs et les teinturiers de Sparte, parce que les premiers corrompaient les huiles, et les seconds parce qu'ils ôtaient aux laines leur blancheur. [15,687] Solon avait aussi défendu aux hommes, par ses lois, de vendre des parfums. 35. « Mais à présent dit Cléarque, lv. 2 de ses Vies, ce ne sont pas seulement les parfums, dont usent les hommes, qui les efféminent, mais encore les couleurs dont ils affectent de se frotter avec tant de mollesse. Penseriez-vous donc que cette délicatesse puisse avoir quelque chose de flatteur sans la vertu ? Sappho qui était vraiment femme, et qui faisait de si bons vers, regardait comme un devoir agréable de toujours distinguer l'honnêteté d'une molle délicatesse. Voici ce qu'elle disait : (687b) « J'aime la volupté, mais j'ai toujours eu en partage l'amour de l'honnêteté, en même temps que celui de l'éclat ou du beau : » Montrant ainsi à tout le monde que désirant de vivre à son gré, elle a cependant toujours aussi aimé l'honnêteté en même temps que l'éclat. Voilà ce qui caractérise la vertu. Parrhasius, ce peintre qui aimait la volupté plus qu'il ne convenait à son art, et qui voulut tirer de ses pinceaux (g-rhabdioon) et de ses encaustères, l'honneur et la gloire qui n'est que le partage des gens bien nés et distingués par leurs qualités, rendit cependant hommage à la vertu : en effet voici ce qu'il écrivit sur tous ceux de ses ouvrages qui étaient à Linde. « Parrhasius, homme livré à une vie très voluptueuse, mais honorant la vertu, à peint ceci. » Un homme ingénieux et honnête, à ce qu'il me semble, se fâchant de ce que Parrhasius ternissait ainsi (687c) le nom de la vertu, si beau, si respectable, en le joignant grossièrement à celui d'un art qui n'a été appris aux hommes que pour servir à la volupté, écrivit à côté g-rhabdodiaitatos « qui ne mérite de vivre qu'à coups de verges. » Cependant souffrons ceci dans Parrhasius en considération de la vertu qu'il dit d'honorer. Tel est le détail de Cléarque. Sophocle présente dans ses Crétois la déesse Vénus sous l'emblème de la volupté, toute parfumée, se considérant dans un miroir, et lui oppose Minerve sous celui de la vertu, s'oignant d'huile, et faisant les exercices de la gymnastique. 36. (687d) Masurius lui coupant la parole « Mais mon cher, ignores-tu que les sensations que le cerveau éprouve par des odeurs agréables, y répandent le calme et y remettent tout dans l'ordre ? écoute ce passage d'Alexis : il est pris de sa Méchante ; « C'est une chose bien importante pour la santé que d'affecter le cerveau par d'agréables odeurs. » Alcée, cet homme aussi valeureux que bon poète, dit aussi : « Il nous répandit sur la poitrine un parfum des plus agréables. » (687e) Le sage Anacréon disait : « Où fuis-tu après avoir parfumé ce sein plus creux qu'une syringe? » Il recommande là de parfumer le sein sous lequel est placé le cœur, dans l'idée que le parfum y porte le calme, par ses agréables émissions. Or on pratiquait cet usage, non seulement parce que les émissions agréables du parfum se portent naturellement de la poitrine à l'odorat, mais parce qu'on pensait que l'âme avait son siège dans le cœur, (687f) selon la doctrine de Praxagoras et de Philotime, qui étaient tous deux médecins. Homère dit dans le même sens ; « S'étant frappé la poitrine, il parla ainsi à son cœur. » Et ailleurs. « Son cœur aboie dans sa poitrine. » Et dans ce passage ; « L'âme d'Hector s'agitait violemment dans sa poitrine. » Ce qui montre que le siège particulier de l'âme est surtout placé là. En effet ne se sent-on pas le cœur palpiter avec force lorsqu'on est dans une grande perplexité à l'occasion des suffrages qu'on voit ballotter ? [15,688] (688a) Agamemnon dit dans Homère : « Je crains fort pour les Grecs; mon cœur n'est pas rassuré ; mais je suis dans une grande perplexité : mon coeur semble vouloir sortir de ma poitrine, et mes membres quelque robustes qu'ils soient tremblent tous. » Sophocle fait ainsi parler des femmes délivrées du danger ; « Phèdre, la fille de la terreur ne saute plus dans mon âme. » Anaxandride prête ce langage à un homme effrayé, qui apostrophe ainsi son cœur. (688b) « Ô cœur scélérat ! que tu prends de plaisir aux maux de mon corps ! tu sautilles dès que tu me vois saisi de frayeur. » Platon dit que l'auteur de l'univers a placé le poumon près du cœur, en le faisant mol et dépourvu de sang, et d'ailleurs percé de cavités comme une éponge, afin que le cœur qui palpite fréquemment dans la crainte de quelque mal, ne frappe que contre une partie molle, et qui puisse céder. » Quant aux couronnes hypothymiades, ainsi appelées par les poètes, elles ont eu ce nom (688c) des émissions odorantes qu'elles envoient, mais non de ce que l'âme s'appelle aussi g-thymos en grec ; comme quelques-uns l'ont pensé. 37. C'est Archiloque qui s'est servi le premier du mot g-myron, parfum. Voici le passage : « Puisqu'elle est vieille, elle ne se servira pas de parfums : g-myroisi. » Il dit ailleurs : « Elle se parfume les cheveux et le sein, depuis que ce vieux barbon en est amoureux. » On a dit myrrha et smyrna, la myrrhe, chez les Éoliens, parce que la plupart des parfums se préparaient avec de la myrrhe. La stactée n'est même autre chose que de la myrrhe seule. Homère connaissait aussi l'usage des parfums ; (688d) mais il les appelle huiles (non myrha) avec une épithète. « II le frotta d'huile suave. » Il emploie ailleurs le mot g-tethyoomenon pour parfumé. Quant à ceux qu'on faisait avec des aromates, et qu'on appelait g-thyoomata, il les rappelle ainsi dans ce passage en parlant de Junon. « Elle ôta d'abord avec de l'ambroisie tout ce qu'il y avait de saletés sur son beau corps, se répandit ensuite sur toute la peau un fluide (688e) d'ambroisie (g-tethyoomenon) qu'elle avait imprégné d'aromates, et qui, répandu dans la maison d'airain de Jupiter, exhalait son odeur, du ciel jusque sur la terre.» 38. Il se fait des onguents excellents, mais particuliers selon chaque pays, comme le dit Hérophile. Voici le passage de son traité des parfums. « Celui d'Iris est excellent en Eliade et à Cyzique. Celui de rose est le plus odorant à Phasélis, à Néapolis (Naples) et à Capoue; celui de safran à Soli de Cilicie et à Rhodes ; celui de nard à Tarse; celui d'Œnanthe en Chypre et dans Adramytte ; celui de marjolaine à Coos et à Mélos; (688f) quant à celui de Troène, on préfère celui d'Égypte ; ensuite vient celui de Chypre, de Phénicie et proprement de Sidon. Le panathénaïque se fait à Athènes. Le métopion et le mendésion se font excellents en Égypte. Le métopion se compose avec de l'huile extraite des amandes amères. Ce sont l'habileté de ceux qui les font, la matière, et non les lieux qui rendent chacun de ces parfums excellents. [15,689] CHAP. XII. (689a) « On dit qu'Éphèse était autrefois fort renommée pour les parfums, surtout pour le megallion. Les parfums d'Alexandrie eurent autrefois une grande vogue, vu la richesse de cette ville et la faveur qu'ils obtinrent par les soins de Bérénice et d'Arsinoé. On faisait aussi d'excellent parfum de roses à Cyrène du temps de Bérénice la grande. Celui qu'on faisait d'Oenanthe à Adramytte fut d'abord assez médiocre, mais il obtint ensuite le premier rang, par le moyen de Stratonis, femme d'Eumène. « La Syrie fournissait autrefois des parfums qui étaient tous excellents, surtout celui de fenugrec : mais à présent il n'y en a plus. On en faisait de supérieur à Pergame. (689b) C'était avec de l'encens, dont un parfumeur avait imaginé de le composer : ce qui ne s'était fait nulle part auparavant. Il ne s'en fait plus à présent dans cette ville. « Si l'on verse de bon parfum sur un de moindre qualité, le bon surnage. Mais au contraire si l'on jette de bon miel sur du miel inférieur en qualité, le meilleur va au fond, et le moins bon vient se fixer à la superficie. » 39. Achée fait mention du parfum d'Égypte dans ses Combats gymniques. « A celui qui a la main argentée, ils donneront de quoi se parer avec des parfums d'Égypte, qu'ils tireront d'un pot de marbre de Chypre. » Didyme demande s'il ne s'agit pas là de la stactée, ou larme de la myrrhe, (689c) à cause de la myrrhe qu'on amène d'abord en Égypte, et qui est ensuite transportée chez les Grecs. Icésius, lv. 2. de sa matière médicale, distingue entre les parfums employés en liniments, et ceux qui servaient aux frictions. Quant aux vertus des parfums, celui de roses, comme celui de myrtes et de coings sont bons quand on boit. Ce dernier est un bon stomachique et utile dans les cas de léthargie. Celui d'œnanthe est aussi stomachique et tient l'esprit en liberté. Ceux de marjolaine et de serpolet conviennent quand on veut boire ; de même que celui de safran, mais sans beaucoup (689d) de myrrhe. Celui de stactée et de nard sont utiles pour les mêmes vues. Le parfum de fenugrec est doux et délicat. Quant à celui de giroflée, il est d'une agréable odeur, et favorise beaucoup la digestion. Théophraste dit dans son traité des odeurs. « On compose des parfums avec des fleurs, tels que ceux de roses, de giroflée, de lys, autrement appelé susin ; en outre celui de sisymbryon et de serpolet. On fait aussi de celui de lys en Chypre ; il est très bon dans l'île d'Égine et dans la Cilicie. Ceux de myrte et d'œnanthe se font avec les feuilles de la plante. L'oenanthe croît dans les montagnes en Chypre; et y a beaucoup d'odeur. On n'en fait pas de parfum en Grèce parce qu'elle n'a pas d'odeur. (689e) Ceux d'iris et de nard se font avec les racines, de même que le parfum de marjolaine en y mêlant du costus. » 40. Les anciens apportaient la plus grande attention, et faisaient toutes les recherches et les expériences possibles, pour composer les parfums : c'est ce qu'on voit par les différentes espèces qu'ils en avaient faites pour chaque membre ou partie du corps humain. Antiphane le montre par ce passage-ci de ses Thoriciens. « A. Elle se lave vraiment ? B. Comment cela ? A. Les pieds et les mains dans un bassin plaqué en or avec du parfum d'Égypte; pour ses joues et son sein elle en prend de Phénicie ; (689f) pour ses bras, de menthe crépue ; pour ses sourcils et ses yeux, de marjolaine ; pour ses genoux et son cou, de serpolet. » Et Cephisodore dans son Trophonius. « A. Ensuite, ma chère Xanthia, ça ! achète-moi du parfum d'iris pour m'en frotter le corps. Ajoutes-y de celui de rose ; et outre cela prends aussi du baccaris pour m'en frotter les pieds. B. Bardache que tu es! du baccaris pour tes pieds? Moi! oui! va, infâme, je t'achèterai du baccaris ! » Anaxandride dit dans son Prolésilas : [15,690] « Du parfum de chez Péron, cet Égyptien si cher, qui en donna (690a) cependant hier à Ménalope, et avec lequel celui-ci frotte les pieds de Callistrate. » Théopompe fait mention de ce Péron dans son Admète ou Hedycharis. Antiphane le rappelle aussi dans son Antéa : « Je l'ai laissé chez le parfumeur Péron ; et il va faire le marché avec lui, et vous apporter ces parfums de cannelle et de nard. » 41. Nombre de poètes comiques ont rappelé ce parfum de baccaris : voici un passage d'Hipponax à ce sujet : (690b) « Je me frottai les narines avec du baccaris, qui est analogue à celui de safran. » Achée dit dans son Aethon satyrique ; « Étant oint de baccaris, et ayant relevé le devant de sa chevelure en forme de deux éventails. » Ion dans son omphale: « Il est plus avantageux de connaître les baccaris, les parfums, et tout ce que la Lydie fournit pour embellir la peau, que les mœurs du Péloponnèse. » Comme les Lydiens étaient renommés pour leur volupté, Anacréon les appelle (690c) Lydopathes pour Hedypathes, voluptueux. Sophocle parle aussi du baccaris. Magnés dit dans ses Lydiens : « Il faut après s'être baigné et oint de baccaris. » Mais serait-il vrai que baccaris ne fût pas le nom d'un parfum ? Car Eschyle les oppose l'un à l'autre dans son Amymone : « Et moi tes baccaris et tes parfums. » Et Simonide : « Et nous sommes frottés de baccaris, et de parfums et d'aromates pour des fumigations. » Aristophane dans ses Thesmophores : (690d) « Ô ! Jupiter, dieu vénérable ! que ce maudit sac m'exhala une odeur de parfum et de baccaris. » 42. Phérécrate fait mention d'un parfum qu'il appelle brenthion dans ses Badinages : « Je m'arrêtai, et j'ordonnai qu'on nous versât à tous deux dans nos vases du parfum, brenthion, afin qu'il en versât à ceux qui partaient. » Cratès parle de parfum royal dans ses Voisins : « Ô ! Jupiter que ce parfum royal est suave ! » Sapho rappelle le brenthion et le royal ensemble, dans cette expression : « Avec du brenthion royal. » Aristophane dit dans ses Détalées ; « Çà, que je sache quel parfum tu veux que je te donne. Aimes-tu le g-psagdas ? » Eupolis écrit dans sa Marique ; « Il exhalait le g-psagdas en rotant. » Eubule dans ses Vendeuses de couronnes ; « S'étant lavée trois fois avec du g-psagdas Égyptien. » Polémon dans son ouvrage adressé à Adée, dit : « il y a chez les Éléens certain onguent qu'on appelle g-plangonion, du nom de son inventeur. Sosibius dit la même chose dans ses Similitudes ; (690f) et que ce nom lui a été donné comme au g-megallion de Mégallus, natif de Sicile. Selon d'autres ce Mégallus était Athénien. Aristophane le rappelle dans ses Telmisses; et Phérécrate dans sa Pétale. Strattis le nomme aussi dans ce passage de sa femme Mède : « Et dis-lui que tu lui apportes du parfum tel que Mégalle n'en a jamais composé ; et que Dinias l'Égyptien n'en a pas vu non plus, ni possédé de pareil. » [15,691] (691a) CHAP. XIII. Amphis fait mention du mégallion dans son Ulysse : « Vous garnirez les murs de tapisserie de milet, ensuite vous vous frotterez de parfum g-mégallion, vous ferez des fumigations avec le mindax royal : eh ! bien, maître ; avez-vous jamais ouï parler de cette fumigation ? » Anaxandride dit dans son Terée : « Mais elle se parfume le corps avec du g-mégallion, comme une jeune épouse et reine. » Ménandre rappelle le parfum de nard dans son kekryphale : (691b) « A. Ce parfum, mon enfant, est des plus suaves. B. des plus suaves? Eh ! comment ne le serait-il pas? c'est du nard. » 43. Alcée s'est servi du verbe g-myrisai dans ses Palestres pour dire se frotter le corps avec de tel parfum. « Après s'être parfumé, il s'enferma furtivement à cause d'elle. » Aristophane a dit g-myroomasi pour g-myrismasi dans ses Concionatrices : « Moi qui me suis parfumé la tête avec des g-myromasi ou parfums. » (691c) Epilycus rappelle le sagdas dans son Coracisque. Or ce sagdas est aussi un parfum. « Du baccaris avec du sagdas. » Aristophane le nomme aussi dans ses Détalées ; et Eupolis dans sa Marisque ; en disant d'un homme : « Il exhale le sagdas en rotant. » Cette expression dit Nicandre de Thyatire s'applique à ceux qui vivent avec une extrême mollesse. Mais Théodore dit que le sagdas est destiné aux fumigations d'aromates. 44. La cotyle de parfum se vendait fort cher à Athènes. Hypparque dit même dans sa Veille, qu'elle y valait cinq mines ; Ménandre la met à dix dans son Mysogyne. Antiphane parle ainsi de la Stactée dans son Phréarre : « A. Deux mines pour la stactée! cela ne me convient nullement. » Les habitants de Sardes n'étaient pas seuls passionnés pour les parfums, comme Alexis le dit dans son Faiseur de coupes : « Les habitants de Sardes sont toujours amis des parfums. » Les Athéniens ne leur cédaient en rien à cet égard ; car, inventeurs de tout ce qu'il y avait de meilleur pour la vie, et faisant le plus grand cas des parfums, comme il a déjà été dit, ils les employaient fréquemment, de même que nous, (691e) qui en avons des plus chers et des meilleurs, de sorte que ceux dont parle Alexis dans ce passage de son Eisoikizomène ne sont rien en comparaison : « Il ne nous parfuma pas avec un vase d'albâtre, comme on le faisait du temps de Saturne ; fi ! donc. Mais il lâcha quatre pigeons trempés non dans le même parfum, mais chacun dans un particulier. Or ces pigeons qui voltigeaient nous arrosaient en même temps les habits et les tapis. (691f) Vous qui l'emportez sans contredit sur tous les Grecs, ne me portez pas envie. J'ai été frotté de parfum d'iris : on m'en a même fait une fumigation. » 46. Juste ciel! mes amis; quel plaisir est-ce-Ià? ou plutôt qu'elle voluptueuse prodigalité, que de salir, des habits, tandis qu'il était possible de puiser ces parfums; et de s'en frotter le corps avec les mains; mais surtout la tête comme nous le faisons ici. [15,692] En effet considérons le but des parfums. Or voici ce que Myronide dit à cet égard dans son traité des parfums et des couronnes. « On a imaginé de se frotter (692a) la tête de ces matières, lorsqu'on voulait boire plus de vin que de coutume, parce que si la tête se trouve dans un état de sécheresse, tout ce qu'on prend intérieurement fait monter des vapeurs au cerveau. Voilà pourquoi aussi dans les cas de fièvres accompagnées de chaleur brûlante, on fomente la tête avec quelque liquide, de peur que vu la sécheresse et le grand vide qui se fait à la tête, la force de la maladie ne se fasse violemment sentir aux parties voisines. C'est pour la même raison que dans les parties de table, on a jugé à propos de frotter la tête de quelque matière onctueuse, de peur que le vin ne portât à cette partie. Ainsi l'on a voulu en modérer la force, en commençant par oindre la tête. (692b) Mais l'homme ajoutant toujours au simple nécessaire ce qui tend à augmenter sa jouissance en lui procurant des plaisirs, il a passé promptement à l'usage des parfums. Il faut donc, mon cher Théodore, lorsqu'on veut se livrer à la bouteille, se servir des parfums les moins capables de causer de la stupeur; mais de ceux qui peuvent donner plus de ton en même temps qu'ils rafraîchissent un peu. Le savant Aristote demande, dans ses problèmes physiques, pourquoi les cheveux de ceux qui usent de parfums blanchissent davantage? Est-ce, dit-il, parce que le parfum est composé d'aromates, et par-là dessicatif; et qu'ainsi le dessèchement rend les cheveux plus blancs ? Car soit que cette blancheur des cheveux vienne de sécheresse, soit de défaut de chaleur, il est certain que la sécheresse épuise la substance nutritive des cheveux ; (692c) et conséquemment les chapeaux ou bonnets les font plus tôt blanchir si l'on en porte toujours; car ils attirent l'humeur qui doit particulièrement les alimenter. 46. C'est avec plaisir, mes amis, que lisant le lv. 28, des Histoires de Posidonius, j'y ai observé quelque chose de relatif aux parfums; or ce qu'il dit n'est pas étranger à notre banquet. Voici donc le passage de ce philosophe. « Lorsqu'on a distribué les couronnes aux festins des rois de Babylone et de Syrie, des gens arrivent portant des parfums de cette première ville dans de petites outres. Ils font alors le tour des convives sans en approcher, et répandent ces parfums sur leurs couronnes, (692d) en forme de rosée ; n'en laissant même pas tomber une goutte ailleurs. » Mais, puisque nous avons poussé la conversation jusqu'ici, je vais ajouter une petite chanson pour l'Amour, comme parle le poète de Cythère (Philoxène) savoir que c'est Janus, (honoré comme dieu parmi nous, et que nous appelons Père) qui est l'inventeur des couronnes. C'est ce que rapporte Dracon de Corfou dans son traité des Pierres. « Janus, dit-il, passe pour avoir deux visages, l'un par-devant, l'autre par derrière. C'est de lui que le mont où il habita, et le fleuve qui coulait auprès, eurent le nom de Janus. (692e) Il inventa les couronnes, les radeaux, les navires, et il imprima le premier des figures sur de la monnaie. Voilà pourquoi plusieurs villes de la Grèce, de l'Italie et de la Sicile ont fait frapper des médailles où l'on voit d'un côté une tête à deux faces, et au revers ou un radeau, ou une couronne, ou un vaisseau. Il épousa sa sœur Camise, de laquelle il eut un fils nommé Aitheeba, et une fille qu'il appela Olistène. Formant alors de plus grands projets, il passa par mer (692f) en Italie, et alla fixer sa demeure sur le mont voisin de Rome. Ce mont en eut le nom de Janicule. » 47. Voilà donc tout ce que j'avais à raconter de nos discours sur les parfums. CHAP. XIV. La plupart des convives demandant après cela la coupe du bon démon, d'autres celle de Jupiter sauveur, d'autres celle de l'Hygiée, enfin d'autres indiquant d'autres objets de leur respect, j'ai jugé à propos de vous présenter les passages des poètes qui ont fait mention de ces différentes santés, autant que je pourrai m'en souvenir. Antiphane dit dans ses Campagnards : « On célébrait Armodius, on chantait Péan ; quelqu'un prit la grande gondole de Jupiter sauveur. » Alexis dans son Usurier, ou son Menteur convaincu ; [15,693] « Çà verse-lui la coupe de Jupiter sauveur. Car il est le plus utile de tous les dieux. Devrais-je en crever, allons, vite : fais ce que je te dis hardiment ! » Nicostrate dans son Pandrose ; « A. Et moi ma chère : mais verse-lui la coupe d'usage, après qu'on s'est lavé les mains. Pour toi prends celle de l'hygiée. Çà ! à la bonne fortune : car c'est la fortune qui conduit toutes choses. B. Eh ! oui mon père, toute notre prévoyance est aveugle, et ne peut régler rien avec sûreté ! » (693b) Il rappelle aussi le coup du bon démon dans la même pièce, comme presque tous les poètes de l'ancienne comédie. Voici donc ce que dit Nicostrate: « Mais que cette femme verse au plus tôt la coupe du bon démon, et qu'elle m'ôte cette table de devant moi. J'ai assez mangé. Je bois la santé du bon démon. Ça emporte cette table. » Xénarque dit dans ses Jumeaux : « O Jupiter ! je commence à m'assoupir aussi : (693c) car cette coupe du bon démon que j'ai avalée m'avait déjà ébranlé toute la tête, mais celle de Jupiter sauveur a perdu le nautonier, et m'a plongé au fond, comme tu vois. » Eriphe dans sa Mêlibée : « Vide cette coupe avant de prendre celle du bon démon, et même avant celle de Jupiter sauveur. » 48. Théophraste parle ainsi à ce sujet dans son traité de l'Ivresse ; « Le vin qu'on donne à boire par-dessus les repas (696d) et qu'on appelle la santé du bon démon, se présente en petite quantité, 1°. afin qu'en le goûtant seulement on se souvienne de sa force, et que c'est le présent d'un dieu. 2°. On le donne lorsqu'on est déjà rassasié, afin qu'on en boive le moins qu'il est possible ; 3°. on le prend sur la table après avoir rendu hommage à la divinité, et comme pour lui demander la grâce de ne rien faire de malhonnête ; en outre de n'être pas porté sans mesure pour cette boisson ; et de n'en user qu'avec décence et pour l'utilité. » Philochore lv. 2. de son Attique, dit qu'il avait été établi par une loi de présenter seulement du vin pur aux convives (693e) après le repas, comme pour en goûter, et connaître quelle était la puissance du bon démon: mais que d'ailleurs le vin se buvait mêlé d'eau; parce que les nymphes passaient pour avoir été les nourricières de Bacchus. Denys de Syracuse nous apprend par un trait de son impiété que l'usage était d'enlever les tables après qu'on avait présenté la coupe du bon démon. Il y avait à Syracuse une table d'or devant la statue d'Esculape : Denys alla un jour porter à ce dieu la santé du bon démon, et fit ensuite emporter la table. Phylarque dit, lv. 12 de ses Histoires, que ceux des Grecs qui sacrifient au Soleil, (693f) font les libations avec du miel, sans jamais présenter de vin à ses autels, parce que selon eux un dieu qui renferme tout dans sa course, qui domine sur tout le monde autour duquel il roule, ne doit pas être susceptible de prendre plaisir au vin. 49. Scolies. Plusieurs écrivains ont fait mention de ces scolies Attiques, dont je crois devoir aussi vous parler, tant à cause de l'ancienneté et de la simplicité de ceux qui les ont faits que de ceux qui ont été célébrés par ce genre de poésie. Or ce sont surtout Anacréon et Alcée, [15,694] comme Aristophane nous le montre dans ses Détalées. « Chante-moi, dit-il, quelque scolie, soit que tu le prennes dans Alcée, soit dans Anacréon. » Praxilla de Sicyone fut aussi très admirée pour les scolies qu'elle fit. On les appelait scolies non eu égard au mode de la mélopée, qui est proprement tortueux : car l'opinion vulgaire est de regarder comme scolies les chansons qui se chantaient dans les repas un peu libres. Mais comme il y a trois espèces de scolies (selon ce que dit Artémon de Cassandrie, lv. 2. de l'usage des scolies, dans lesquels sont compris ceux qui se chantaient dans les parties de table,) voici les trois différences qu'on observait dans la manière de les chanter. La première espèce était celle des scolies que tout le monde chantait; les seconds (694b) étaient chantés par tout le monde, cependant à la ronde, un convive succédant à l'autre ; les troisièmes se chantaient, non avec l'ordre de tous les autres ; et tous les convives n'étaient pas admis à chanter ; il n'y avait que ceux qui étaient plus habiles à cet égard, et selon que le hasard les avait placés à table. Or cette espèce de chanson étant la seule qui ne suivît pas l'ordre des autres, et ne se chantant pas de suite à la ronde, mais comme on se trouvait placé, fut pour cette raison appelée tortueuse ou scolie. Or ces scolies se chantaient lorsque tout le monde avait pris à table tout ce qu'il lui fallait : alors chacun, des plus habiles en ce genre, entonnait quelque belle chanson. (694c) On la regardait comme telle lorsqu'elle paraissait renfermer quelque sage avis, une sentence utile au bonheur de la vie. 50. Chacun de nos convives chanta donc l'un un scolie, l'autre un autre. Voici tous ceux qui furent chantés. SCOLIES. 1. « Pallas, Tritogénie, o ! reine Minerve, dirigez cette ville-ci et ses habitants; préservez-les de douleurs, de séditions et de morts prématurées : et toi aussi père Jupiter. » 2. « Je chante Cérés Olympie (frugifère) mère de Pluton, dans la saison où l'on porte des couronnes. Proserpine, fille de Jupiter, salut ! protégez toutes deux cette ville. » 3. « Latone accoucha jadis de deux enfants à Délos; de Phébus ApolIon, ce roi aux cheveux d'or, et de Diane cette chasseresse qui frappe les cerfs de ses traits ; et qui a la plus puissante influence sur les femmes. » (694d) 4. « Ô Pan ! qui règnes sur la célèbre Arcadie, danseur qui accompagnes les nymphes riantes de Bacchus, o Pan ! viens seconder mes chants et prendre part à mes plaisirs. » 5. « Nous avons vaincu comme nous le désirions; et les dieux nous ont accordé de porter la Victoire, du temple de Pandrose à celui de notre protectrice Minerve. » 6. « Plût au ciel qu'on pût ouvrir la poitrine de chaque homme, (694e) et en considérer intimement l'âme pour savoir ce qu'il est ; mais le refermer aussi, pour dire ensuite si l'on peut le regarder comme un véritable ami, et sans détour. » 7. « Le plus grand avantage de l'homme est la santé; le second d'être bien fait; le troisième d'être riche et sans avoir trompé; le quatrième de passer sa jeunesse avec des amis de même âge. » Ce dernier scolie ne fut pas plutôt chanté, à la grande satisfaction de l'assemblée, qu'on se rappela que le bon Platon en avait parlé, comme de chose très bien dite. Mais Myrtille fit observer qu'Anaxandride avait persiflé ces vers dans son Trésor. Voici le passage. (694f) « A. Celui qui a composé ce scolie, quel qu'il fût, a dit avec raison que la santé était ce qu'il y avait de meilleur. Mais mettre ensuite un bel extérieur, et les richesses au troisième rang! Qu'en penses-tu ? B. Ma foi il extravaguait ; car après la santé les richesses l'emportent sur tout. Quelle vilaine bête qu'un bel homme qui a faim ! » [15,695] CHAP. XV. Après cela on chanta les scellés suivants : 8. « C'est sur terre qu'il faut considérer si l'on a des forces,et de la vigueur : car lorsqu'on est une fois en mer, il faut aller au gré des vents. » Cratinus a dit 9. « As-tu pris un serpent ? lâche-le. » 10. « L'amitié demande de la franchise, non des détours. » 11. « Je porterai mon épée dans un rameau de myrte, comme Armodius et Aristogiton, lorsqu'ils tuèrent le tyran, et rétablirent la juste balance des lois dans Athènes. Cher Armodius, non tu n'es pas encore mort : on dit que tu es dans les îles fortunées où est Achille léger à la course, et où l'on place aussi Diomède fils de Tydée. Oui je porterai mon épée dans des rameaux de myrtes, comme Armodius et Aristogiton, lorsqu'ils égorgèrent le tyran Hipparque dans Athènes, pendant les sacrifices : (13) votre gloire, chers Armodius et Aristogiton, s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre, parce que vous avez tué le tyran, et rétabli la balance de la justice dans Athènes. » 12. (14) « L'ami apprends ce que disait Admète : aime les bons ; fuis les méchants, persuadé qu'il y a peu de reconnaissance chez les méchants. » 13. (15) « Fils de Télamon, belliqueux Ajax, on dit que tu étais après Achille, le plus courageux de tous les Grecs qui allèrent à Troie. (16) On dit aussi que Télamon vint le premier à Troie, toi après lui; et que tu fus le plus brave des Grecs après Achille. » 14. (17) « Que ne suis-je belle lyre d'ivoire, afin que de beaux musiciens me portent aux chœurs de Bacchus ! (18) Que ne suis-je un précieux joyau d'or pur, pour être porté par une femme vertueuse ! » 15. (19) « Bois avec moi; sois jeune avec moi ; aime avec moi ; couronne-toi avec moi ; sois fou avec moi ; et sage quand je suis sage. » 16. (20) « Mon ami, sous chaque pierre peut se cacher un scorpion : prends garde qu'il ne te pique : le dol est toujours la suite des manœuvres secrètes. » 17. (21) « Le porc qui mange un gland, en veut bientôt un autre ; (695e) de même moi, j'ai une belle maîtresse, mais je veux en prendre une autre. » 18. (22) « La grisette et le baigneur font constamment la même chose; ils lavent le bon et le méchant dans le même bassin. » 19. (23) « Verse dans un cothon, crois moi ; et n'y manque jamais, si c'est à d'honnêtes gens que tu dois verser du vin. » 20. (24) « Hélas ! Leipsydrion qui as trahi tes amis, quels hommes tu as perdus! ces braves combattants, ces zélés amis de la patrie, ont montré de quels parents ils étaient nés. » (695f) 21. (25) « Celui qui est fidèle à ses amis est, selon moi, digne des plus grands honneurs aux yeux des hommes et des dieux. » 22. « Ma longue lance, mon épée, ma belle rondache, rempart de mon corps, font ma richesse. [15,696] C'est moyennant cette armure que je laboure, que je moissonne, que je foule (696a) le doux jus de la treille, et que le Mnoias me respecte comme son maître : mais ceux qui n'osent porter une lance, une épée, une belle rondache, rempart du corps, viennent tous en tremblant à mes genoux me présenter leurs hommages, et m'appellent grand roi. » 51. CHAP. XVI. On fînissait sur cette matière, lorsque Démocrite suivit la conversation, et parla du prétendu Péan que le très savant Aristote avait fait sur Ermias d'Atarnée. Mais ce n'est pas un Péan comme le prétendit Dëmophile, qui osa accuser Aristote d'impiété pour l'avoir fait ; et pour le chanter toutes les fois qu'il se trouvait à un repas. J'observe en outre que ce fut Eurymédon qui porta Démophile à cette dénonciation, pour y donner plus de poids. Quoiqu'il en soit, cette chanson n'a aucune apparence de Péan, et je vais vous montrer clairement qu'il suffît de l'entendre pour la ranger parmi les scolies. « Vertu si pénible pour les mortels, acquisition la plus précieuse de toutes, vierge ! c'est pour tes charmes (696b) ravissants que la Grèce vole sans hésiter à la mort, ou supporte avec un courage inébranlable les plus durs travaux, tant tu leur inspires le désir de l'immortalité, fruit que tu leur présentes, plus agréable que les richesses de Crésus, plus attrayant que la tendresse d'un père et d'une mère, plus doux que le calme d'un doux sommeil qui fait cesser toute douleur. C'est pour toi qu'Hercule fils de Jupiter, et les deux fils de Léda ont soutenu tant de travaux, voulant jouir de tous les avantages après leurs glorieux exploits : (696d) c'est par le désir de te posséder qu'Achille et le fils d'Ajax ont sacrifié leur vie. C'est aussi pour tes charmes ravissants que le nourrisson d'Atarnée s'est privé de la lumière du jour. Devenu célèbre par ses hauts faits, il sera consacré au temple de l'immortalité par les Muses, filles de Mnémosyne. Elles chanteront son respect pour Jupiter hospitalier, et récompenseront ainsi son amitié inaltérable. » 52. Or, mes amis, je ne vois pas ce qu'on peut apercevoir (696e) ici d'analogue au caractère du Péan: car l'auteur de cette chanson avoue clairement qu'Ermias était mort. Voici ses termes : « C'est pour tes charmes ravissants que le nourrisson d'Atarnée s'est privé de la lumière du jour. » D'ailleurs il n'y a pas le refrain ordinaire des Péans, comme on le voit à celui qui fut fait pour Lysandre lorsqu'il était à Samos, et qui selon Douris dans ses Limites de Samos, fut un véritable Péan qu'on chanta dans cette ville. Les vers qu'on fit pour Cratérus de Macédoine furent aussi un véritable Péan. L'auteur était Alexinus le Dialecticien, comme le dit (696f) Ermippe disciple de Callimaque lv. 1 de son ouvrage sur Aristote. On le chante à Delphes, et un enfant l'accompagne en jouant de la lyre. Ce que les Corinthiens chantent pour Agérnon de Corinthe, père d'Alcyone, a le refrain des Péans. Polémon le périégète l'a rapporté dans la lettre qu'il écrivait à Arantius. C'est encore un Péan que les Rhodiens chantent en l'honneur de Ptolémée I, roi d'Égypte : [15,697] (697a) car on trouve le refrain "io paean" ; selon ce que dit Gorgus dans son ouvrage sur les sacrifices qui se font à Rhodes. Selon Philocore les Athéniens chantent en l'honneur de Démétrius et d'Antigone des Péans faits par Ermippe de Cyzique, qui fut même préféré à Hermoclès, (dans le grand nombre des rivaux qui s'en occupèrent.) Mais Aristote dit lui-même dans son apologie, si elle n'est pas supposée par un autre, « Je n'ai jamais sacrifié de propos délibéré à Ermias comme à un dieu, mais je lui ai élevé un monument comme à un mortel; j'ai seulement voulu rendre immortelle la nature humaine, périssable par elle-même ; (697b) et dans ce dessein j'ai orné son tombeau d'épitaphes; et je lui ai rendu les honneurs funèbres. » A peine Démocrite eût-il fini, que Cynulque dit « pourquoi me rappeler ces coupes pour parler avec ton Philon, tandis qu'il ne fallait rien dire qui méritât attention devant ce gourmand d'Ulpien. Car il préfère les chansons où il est parlé de s'emplir, à vos vers sérieux. Il ne lui faut que des chansons locriques, licencieuses et faites pour chatouiller sa volupté. Telle est celle-ci : « Ne nous trahis pas, mon cher, je t'en prie; laisse-moi aller l'éveiller (697c) quand nous serons levés; autrement tu vas me causer un grand malheur, et me perdre, hélas ! déjà la lumière du jour entre par la fenêtre : ne la vois-tu pas ? » Sa Phénicie est remplie de pareilles chansons. Il l'a parcourue de tous côtés en jouant de sa flûte avec ces compositeurs de Colabres. Car, mon cher Ulpien tu sais que ce mot se dit. Démétrius de Scèpse en parle ainsi lv .10 de l'Armement pour l'expédition de Troie «Ctésiphon d'Athènes, poète de Colabres, qui après Philétaire, fut établi juge à Pergame dans les domaines royaux de l'Éolie (697d) par Attalus le premier roi de ce nom, etc ». Le même écrivain, lv. 19 du même ouvrage, dit que l'historien Mnésiptolème, tout puissant auprès d'Antiochus, dit le grand, eut un fils nommé Séleucus qui fît des chansons joyeuses, et qu'on chante encore fort souvent. En voici une. « Pour moi j'aimerai les beaux garçons : j'aime mieux cela que de me marier. (697e) Car un garçon, surtout à la guerre, devient plus utile qu'une femme. » C'est une femme couchée avec son amant, et qui craint le réveil de son mari. 54. Cynulque fixant ensuite Ulpien lui dit « mais puisque tu es fâché contre moi, je vais t'apprendre ce que c'est qu'un chœur de Syrbènes. Ulpien prend la parole « Bélître que tu es ! t'imagines-tu que je suis fâché de ce que tu viens de dire; et que je songe même beaucoup à un impudent drôle de ta sorte ? mais puisque tu me proposes de m'instruire, je vais faire avec toi une trêve, non de trente ans, mais de cent. Apprends-moi donc seulement ce que c'est que le chœur des Syrbènes. (697f) Cynulque répond « Mon cher, Cléarque parle ainsi lv. 2. du Jeu. « Reste à dire ce que c'est que le chœur des Syrbènes. C'est celui où chacun doit chanter ce qu'il juge à propos, sans faire aucune attention ni à celui qui préside, ni à celui qui dirige la danse, et où le spectateur fait encore plus de bruit et de désordre que ceux-ci :...(LACUNE) « et suivant Matron, poète parodique : « Tous les meilleurs poètes sont morts, et dans la maison de PIuton ; tels qu'Eubée, Ermogène et les deux Philippes : [15,698] (698a) mais il y a certain Cléonicus à qui l'immortalité a été donnée. Il connaissait bien les poètes épiques et tragiques ; et Proserpine lui a même accordé de parler après sa mort. » Mais toi, charmant Ulpien, tu ne cesses de proposer des questions sur tout, et tu n'apprends rien à personne. Ulpien répond : « pendant que notre trêve dure encore, dis-nous donc quelque chose sur les poèmes parodiques. 55. « Il y eut, repartit Cynulque, un assez grand nombre de poètes parodiques, mais Eubée de Paros l'emporta de beaucoup sur les autres : il était contemporain de Philippe; c'est lui qui a tant déchiré (698b) les Athéniens : nous avons de lui quatre livres de ses parodies. Timon le rappelé, lv. 1 de ses Silles. Polémon, lv. 12 de son ouvrage sur Timée, nous donne les détails suivants, en parlant des poètes parodiques. « Je regarde Béotus et Eubée qui ont fait des parodies, comme des Écrivains élégants ; car ils plaisantent avec beaucoup d'habileté : ils ont même surpassé en ce genre les poètes qui les ont devancés quoique l'un et l'autre soient venus dans un âge postérieur. » C'est Hipponax, le poète iambique, qui a imaginé cette espèce de poésie; mais citons un passage des ses hexamètres. (698c) « Muse, chante-moi Eurimédon, ce gouffre de la mer, ce ventre comparable à une épée tranchante, et qui dévorait si gloutonnement. Dis comment il périt sur le bord de la mer turbulente, par le funeste jugement d'une assemblée publique. » Épicharme de Syracuse emploie aussi un peu la parodie dans un de ses poèmes. Il a été suivi à cet égard par Cratinus, poète de l'ancienne Comédie, dans ses Eunides, et par Egémon de Thase, surnommé la lentille. Voici ce que dit ce dernier. (698d) « Lorsque je vins à Thase, le peuple m'enleva sur le rivage au débarquement, mais pour me jeter bientôt dans des tas de boue. Quelqu'un qui était à côté de moi, me dit : Ô ! le plus criminel de tous les hommes, qui donc a pu te persuader de venir poser des pieds tels que les tiens sur ce beau rivage ? Je leur répondis ce peu de mots : C'est le souvenir de la patrie qui m'y a engagé comme malgré moi, tout âgé que je suis; c'est la pauvreté : oui, cette pauvreté qui force nombre de Thasiens à s'exposer sur de petites barques, (698e) pour se réunir à une coterie de gens perdus, qui se rendent également malheureux, et qui ne chantent là que détestablement de mauvaises rapsodies. Voilà donc pourquoi je me suis joint à eux dans mon extrême besoin, pour composer de ces poèmes. Mais non, je ne m'absenterai plus pour aller ramasser à mon seul profit, quelques deniers au dehors. Je remettrai aux Thasiens tout l'argent net que j'aurai gagné, afin qu'aucune dame de l'Achaïe (de la Grèce) ne se fâche ici de voir ma femme manger chez elle du pain d'achaïie, (698f) et ne me dise plus, en lui apercevant une petite galette au fromage, tu as gagné cinquante drachmes à Athènes en chantant la conjuration des amis ; mais tu n'en as envoyé que très peu chez toi. Pendant que je m'occupais de cela, Minerve m'accosta, tenant une verge d'or à la main, et m'en frappa en disant, [15,699] (699a) pauvre Lentille, qui as tant souffert, vas encore disputer le prix. Alors plein de confiance je chantai beaucoup mieux. » 56. Ennippe, poète de l'ancienne comédie, a aussi fait des parodies. Mais le premier qui ait paru à l'orchestre pour disputer le prix est Egémon. Il remporta plusieurs fois le prix à Athènes par ses parodies, entre autres par sa Gigantomachie. Il a aussi fait une pièce dans le goût de l'ancienne comédie, sous le nom de Philinne. Quant à Eubée y il a répandu nombre de traits charmants dans ses poèmes. (699b) Il dit dans son Combat des bains. « Ils se frappaient les uns les autres de leurs lances acérées. » Il fait dire à un barbier, qui injuriait un potier de terre, à l'occasion de sa femme. « Et toi, quelque brave que tu sois, ne t'avise pas d'enlever cette femme; ni toi non plus, fils de Pelée. » CHAP. XVII. Alexandre d'Étolie, poète tragique, nous apprend dans une élégie que les poètes parodiques étaient considérés chez les Siciliens. En voici un passage. (699c) « C'est ainsi qu'un courage mâle a fait rentrer dans sa patrie Agathocle, cet homme né d'une ancienne et illustre famille. Dès sa jeunesse il savait comment se comporter chez les étrangers, lui-même étranger parmi eux; et s'était rendu aussi habile que Mimnerme dans le genre de sa poésie. Aussi passionné que lui pour les beaux garçons et pour le vin, cet homme écrivit de manière à pouvoir placer ses vers à côté de ceux du brillant Homère, devant, en cela, de la reconnaissance aux Syracusains. Mais quiconque aura entendu Béotus, sera singulièrement charmé des vers d'Eubée. » (699d) CHAP. XVIII. Pendant que la conversation roulait sur tous ces différents objets, la nuit nous surprit; et nous demandâmes de la lumière. Or pour faire cette demande l'un dit : ça, valet, un lychneion, les autres une lychnea ; quelqu'un une lophnida, disant qu'on appelait ainsi la torche qu'on faisait d'écorce d'arbre ou de phloios. Un autre voulait un panos, un autre un phanos. Tel criait un lychnuque, tel autre un lychnos, et même un lychnos à deux mèches. On demanda aussi une hélane et des hélanes, disant qu'on nommait ainsi les torches, du mot hélée, qui signifie chaleur et lumière, et que d'ailleurs Néanthe, un des historiens du temps d'Attalus avait ainsi parlé : enfin chacun dit ce qui lui vint en tête, (699e) de sorte qu'il y eut le plus grand trouble pendant qu'on rappelait tout ce qui pouvait être connu à cet égard. Silène, auteur d'un recueil de gloses, dit un de nos convives, rapporte que les Athéniens donnent le nom de phanos aux flambeaux. Selon Timachidas de Rhodes, on appelait délétron le phanos dont les jeunes gens se servent lorsqu'ils passent la nuit, et qu'ils nommaient hélane : mais Amérias donne le nom de grabion au phanos ; or voici comme Seleucus explique le mot grabion : « il signifie un bois d'yeuse ou de rouvre écrasé et fendu en plusieurs brins, de sorte qu'il puisse être allumé pour éclairer ceux qui marchent. » CHAP. XVIII. C'est dans ce sens que Théodoridas de Syracuse (699f) dit dans ses Satyres ou dans son Dithyrambe, « La poix dégoûlinait des grabions ». 58. Du reste on trouvera les mots phanos et lychnuchos dans plusieurs auteurs : Alexis a dit : « Quel est le premier .... ? (LACUNE). (699) Strattis, après avoir déjà dit dans son Trident ou son Rhopopole, (regrattier, charlatan ; ajoute ; « Prends le trident et le lychnuque ». « Oui, j'en tiens un de la main droite, c'est un trait de fer pour percer les animaux de la nier. J'ai en outre la lumière d'une lanterne de corne qui m'éclaire ». Alexis écrit dans son Midon, [15,700] (700a) « Celui qui le premier a imaginé de marcher la nuit avec une lanterne, était un homme qui ménageait ses doigts, (en ne tâtonnant pas) ». Le même dit dans son Enthousiaste, « A. Sans doute que plusieurs de ceux qui vont me rencontrer me blâmeront de m'en aller ainsi étant ivre : eh ! bien, où est donc le phanos ? B. en voici un, et qui certes, est aussi brillant que le plus brillant Soleil » Anaxandride dit dans son Outrage, ou le Kondyle, coup de poing. « Prend ce phanos, et allume-moi la lampe. » D'autres disent que le phanos était une torche; d'autres que c'était un faisceau de bois coupé en long. Ménandre écrit dans ses Cousins « A. Mon phanos (ou panos) est plein d'eau : B. il ne faut pas le secouer, mais le faire sécher sous la cendre. » Nicostrate dit dans ses Compatriotes ; « Que le regretté voisin vende du vin, de l'huile ou du vinaigre à quelqu'un, le fripon renvoie toujours son monde avec de l'eau. » (700c) On lit dans les Sympleouses de Philippide « A. Notre, phanos, flambeau ne nous éclairait pas: B. Eh ! bien, grand sot, tu ne pouvois pas souffler dessus pour le rallumer ? » 60. Phérécrate dans ses Crapatalles, appelle lychneion ce qu'on nomme à présent lychnia. A. Quelle espèce de flambeau (lyckneioon) est-ce là. B. C'est un ouvrage de Toscane. » II faut savoir qu'il se faisait nombre de choses en Toscane ; les habitants y ayant poussé l'industrie fort loin. Aristophane dit dans ses Chevaliers : « Nous fîmes un faisceau de trois javelots, et ils nous servirent de candélabre : lychneioo. » Diphile dans son Ignorance, dit; (700d) « Nous allumâmes la lampe pour chercher le lycheion, le candélabre » CHAP. XIX. Euphorion rapporte, dans ses commentaires historiques, que Denys le jeune, tyran de Syracuse fit, dans le prytanée des Tarentins, hommage d'un candélabre, lychneion, sur lequel on pouvait allumer autant de lampes qu'il y avait de jours dans l'année. CHAP. XX. Ermippe le comique, dans ses lambes appelle synthète le candélabre des soldats : et dans sa pièce intitulée les Phormophores, ou Goujats, il dit lychnidïon pour petite lampe. « Petite lampe, prends par ici à droite pour m'éclairer en sortant. » Mais on appelle panos un faisceau de bois fendu. (700e) On s'en servait pour torche ou flambeau. Ménandre dit dans ses Cousins « Dès que tu seras entré, apprête un panos, une lampe et un chandelier. Enfin qu'il y ait de la lumière de manière ou d'autre, n'en seroit-ce qu'une, pourvu qu'elle soit grande. » Diphile écrit dans son Soldat : « Mais le panos est plein d'eau. » Eschyle avait fait mention du panos avant eux dans son Agamemnon. On s'en servait pour torche. Alexis fait mention de chandelier de bois ; et peut-être le chandelier obélisque dont parle Théopompe serait-il la même chose. Philyllius se sert du mot "das" pour désigner une torche. Mais l'usage de la lampe n'est pas ancien; car autrefois on employoit les ("das") torches, et des bois secs pour s'éclairer. Clitarque a dit g-koimîsai g-lychnon, faire dormir la lampe pour l'éteindre. [15,701] Platon le comique, dans sa Longue nuit, parle de lampe à deux mèches : « Là il aura une lampe à deux mèches, dimyxon, au-dessus des tempes. » Métagène et Philonide en ont fait mention, le premier dans ses Philothylhes, le second dans ses Cothurnes. Selon les gloses de Clitarque les Rhodiens appellent lophnia, la torche faite d'écorce et de sarment. Homère appelle les torches g-detai « Et des torches, g-detai, qu'il (le lion) craint, quelque impétueux qu'il soit. » On donnait aussi à la torche le nom d'helanée, selon le rapport d'Amérias. Mais Nicandre appelé helanée un faisceau de roseaux. Hérodote a dit lychna, des lampes au genre neutre, lv. 2 de ses Histoires. Quant au mot vulgaire lychnocautia qui désigne le moment d'allumer les lampes, (701b) Céphisodore se sert de lychnapsia, dans sa pièce intitulée le Porc. Cynulque, toujours adversaire intrépide d'Ulpien, dit alors: Valet qui sers à table, va m'acheter des chandelles d'un sou y afin que je puisse crier comme l'Agathon du charmant Aristophane « Sortez avec des torches pour éclairer Agathon. » Après avoir dit cela, il sortit du banquet « Frappant la terre de sa queue. » ( Comme un lion irrité} ; mais très-disposé à se livrer au sommeil qui commençait à s'emparer de lui. 62. Paeans. Nombre de nos convives criant ensemble "io paean". Pontien prit la parole (701c) « Mes amis, je voudrais savoir si cette exclamation "io paean" est un proverbe ou un refrain de chanson, ou enfin une toute autre chose. Démocrite lui dit: Cléarque de Soli qui ne le cédait en rien à aucun des disciples d'Aristote, nous raconte l'histoire suivante, lv. 1 de son ouvrage sur les Proverbes. « Latone revenant de Calcis d'Eubée à Delphes, avec Apollon et Diane, se trouva près de l'antre du serpent qu'on appelait Python. Or Python allant pour se jeter sur eux, Latone qui tenait l'un de ses (701d) enfants dans ses bras, tâcha de gagner la pierre qui sert encore de base à sa statue d'airain, et que l'on a placé près du platane de Delphes, après y avoir représenté cet événement. Latone s'écria donc alors : "ie pai" : jette mon fils ou lache mon fils. Apollon ayant un arc à la main, c'était comme si on lui eût dit : décoche une flèche mon fils, tire mon fils. Voilà donc ce qui depuis a donné lieu à l'exclamation "iepai, ie paioon". » Quelques-uns, changeant un peu la lettre, disent que c'est une expression proverbiale ou vulgaire, dont on se sert comme de préservatif contre ce qu'on peut avoir à craindre, et qu'on dit alors (701e) "iee paioon", non pas "ie". Mais nombre de personnes font cette exclamation "iee paioon" lorsqu'elles ont terminé quelque chose, comme une expression proverbiale, et non comme un refrain de chanson. D'un autre côté l'usage empêchant qu'on ne s'aperçoive que c'est un proverbe, ceux qui se servent de cette expression, ne la prononcent pas comme telle. Héraclide du Pont nous a donné une histoire faite à plaisir, lorsqu'il nous dit que c'est Apollon lui-même qui faisant des libations s'est écrié trois fois "iee paioon, iee paian" : or c'est sur cette opinion qu'il se fonde pour rapporter (701f) à ce Dieu l'invention des vers qu'on appelle trimètres, en disant que chacun de ces trimètres est de l'invention d'Apollon. Voici ces espèces de vers. 1 °. Si l'on fait longues les deux premières syllabes des mots "iee paioon", il en résultera un vers héroïque. 2°. Si on les fait brèves, il en résultera un vers iambique pur. Ainsi ce vers iambique devra aussi être rapporté à ce Dieu. 3°. Mais si en faisant ces deux premières syllabes brèves partout on excepte les deux dernières qu'on fera longues, on aura un vers iambique d'Hipponax. [15,702] Après ces discours, nous allions nous lever de table, lorsqu'il entra des valets qui portaient l'un un thymiatère, l'autre de l'encens; un troisième le vase des libations. Il était d'usage en quittant la table, et après les libations de donner à boire le reste du vin pur à l'esclave qui le présentait. Ariphon de Sicyone a fait un paean à l'honneur de Hygiée ou déesse de la santé. Le voici : PAEAN. « Hygiée, déesse surtout vénérable parmi les bienheureux, puissé-je être toujours avec toi le reste de mes jours ! et toi ne me refuse pas de demeurer avec moi, pour me faire goûter tes faveurs. Car s'il est des attraits dans les richesses, dans l'amour des parents, dans la royauté que les hommes regardent comme le bonheur des dieux mêmes, (702b) dans les plaisirs que nous cherchons dans les filets secrets de Vénus, en cédant à nos désirs; s'il en est dans la joie que les dieux peuvent nous procurer, dans le repos qui rétablit nos forces après le travail, Hygiée, c'est avec toi ô immortelle ! que tout fleurit et que brille le printemps des grâces. Mais sans toi, il n'est pas d'heureux. » (Voici ce qu'il dit dans la pièce intitulée ... « Je distribue les viandes : et je sais boire du vin de Toscane avec huit de mes amis. ») Mon cher Timocrate, ces détails que nous venons d'entendre ne sont pas, (702c) pour parler avec Platon, les badinages de Socrate encore jeune, et paré des attraits mêmes du bel âge ; mais les dissertations sérieuses de Savants réunis à table : et je dirai avec Denys surnommé Chalcous « Quoi de plus flatteur que de commencer et de finir par ce qui est le plus cher à notre cœur ? »