[3,72] ATHÉNÉE DE NAUCRATIS - LIVRE III. (72a) 1. Chap. I. Le grammairien Callimaque comparait un grand livre à un grand mal - - -. Fèves d'Egypte. Nicandre dit dans ses Géorgiques : « Semez des fèves d'Egypte, de sorte que vous puissiez, en été tresser des couronnes avec les fleurs; mais lorsque le fruit sera mûr, présentez-en à table les ciboires à la jeunesse, qui les désire depuis longtemps: (72b) je préfère cependant les racines que j'aurai fait bouillir dans l'eau. Nicandre appelle ici racine, ce que les Alexandrins nomment colocasia. « Lorsque vous aurez ôté l'écorce qui enveloppe les fèves, et que vous aurez coupé la racine par morceaux, etc. ... » Il y a dans Sicyone un temple dédié à Minerve Colocasienne. Ce qu'on appelle kiborion dans la fève d'Egypte, est analogue à un vase qu'on appelle aussi kiborion, ou ciboire. 2. (72c) Voici ce que Théophraste dit de la fève d'Egypte, dans son histoire des plantes : « La fève d'Egypte vient dans les marais et les lacs. Sa tige a tout au plus quatre coudées de long, et un doigt d'épais : elle ressemble à un tendre roseau sans nœuds. Intérieurement on aperçoit dans toute sa longueur des fibres distinguées l'une de l'autre, comme dans le lys. Au haut de cette tige s'élèvent la tête et la fleur, qui sont une fois aussi grandes que celles du pavot. La couleur de cette fleur est d'un rouge chargé : les feuilles y croissent latéralement et grandes. La racine est plus grosse que celle du jonc le plus fort, et présente les mêmes stries que la tige. On la mange bouillie, ou crue, ou rôtie. C'est un aliment pour ceux qui sont voisins des marais. Cette plante croît aussi en Syrie et dans la Cilicie ; mais ces contrées ne lui permettent pas de mûrir. Elle se trouve encore aux environs de Torone en Chalcidique, dans un marais médiocre, et elle y mûrit bien : le fruit y arrive aussi à son point. » [3,73] (73a) Diphile de Siphne dit : « La racine de la fève d'Egypte, nommée colocasion, va bien à l'estomac; elle est nourrissante, mais passe difficilement par les premières voies, vu son astringence. La meilleure est celle qui est la moins filamenteuse. Les fèves qui viennent des ciboires, sont d'une digestion difficile étant vertes : elles nourrissent alors très peu, relâchent, et causent des flatuosités ; mais sèches, elles sont moins flatueuses - - -. » Il vient aussi des ciboires, une fleur propre à faire des couronnes : les Égyptiens l'appellent lotos. (73b) Les habitants de Naucrate, dit Athénée, mes concitoyens, la nomment mélilot, et les couronnes, mélilotines. Ces couronnes répandent une odeur agréable, et qui même rafraîchit beaucoup dans les grandes chaleurs - - -. 3. Phylarque raconte qu'une de ces fèves, qui n'avaient jamais été semées ailleurs qu'en Egypte ou qui n'avaient pas produit après avoir été semées, poussa par hasard, sous le règne d'Alexandre, fils de Pyrrhus, dans un marais de Thesprotie en Épire, près du fleuve Thyamis. Elle porta du fruit deux ans de suite, et se multiplia. Alexandre y mit des gardes, empêcha d'en cueillir, et même d'approcher de l'endroit : (73c) mais bientôt le marais se dessécha; et non seulement il ne produisit plus aucune de ces plantes, mais il ne reste même pas le moindre signe qu'il y eût jamais eu d'eau. Il arriva quelque chose de semblable à Édepse. Outre les eaux ordinaires du lieu, il y avait paru subitement une source d'eau fraîche, qui fournissait un ruisseau dans le voisinage de la mer : les malades qui en burent d'abord, en éprouvèrent un grand soulagement. Nombre de personnes y vinrent bientôt de très loin pour en faire usage. Les officiers (73d) du roi Antigonus ayant voulu en tirer un revenu, imposèrent une taxe à ceux qui venaient en boire et dès l'instant le ruisseau se tarit. Il avait été permis aux habitants de la Troade d'aller prendre du sel de Tragase, lorsqu'ils le voulaient, et sans rien payer : le roi Lysimaque y mit un impôt, et le sel disparut. Ce prince, étonné de l'événement, déclara l'endroit franc, et le sel revint. 4. Sikyos. « - - - Femme, tisse le manteau, en mangeant ton potiron, sikyos. » Matron dit dans ses Parodies : (73e) « Et je vis un potiron, sikyos, enfant d'une terre célèbre, gissant auparavant parmi des plantes légumineuses : or, il s'étendait sur neuf tables - - -. Lachès écrit : « Comme un potiron, sikyos, s'enfle et grossit dans une terre bien humectée.» Les Athéniens ont toujours fait sikyos de trois syllabes, au nominatif; mais Alcée dit sikys, comme dans ce passage, où sikyoon est un génitif pluriel. « S'il mange des potirons (sikyoon). » Nous disons de même stachyos, de stachys, épi - - -. [3,74] (74a) Chap. II. Phrynicus a dit en diminutif sikydion, un petit concombre, dans sa pièce intitulée Tragai. Il a dit de même raphanidion, un petit raifort, dans son Monotrope, ou homme singulier - - -. « En envoyant des raiforts, quatre concombres - - -. 5. Théophraste dit qu'il y a trois espèces de concombres (sikyos), savoir, 1° celui de Laconie; 2° le Scytalias; et 3° celui de Béotie : que celui de Laconie devient meilleur lorsqu'il est arrosé, et les autres, quand ils ne le sont pas. Les concombres, ajoute-t-il, sont d'un bien meilleur suc, lorsque l'on en sème la graine après l'avoir fait tremper dans du lait ou dans du mélicrat. (74b) Il dit de même dans ses causes des plantes, qu'ils croissent plus vite si on laisse macérer la graine dans de l'eau ou dans du lait, avant de la mettre en terre. Euthydème, dans son traité des plantes légumineuses, dit qu'il y a une espèce de concombre qu'on appelle dracontias ou serpentin. Démétrius Ixion dit, dans le premier livre de ses Etymologies, que les concombres ont été nommés en grec, sikyoi, des mots g-seuesthai et g-kyein, parce que cette plante croît et se propage promptement. Héraclide de Tarente appelle le concombre hedygaion, dans son Banquet. Diphile de Cariste dit que le concombre, mangé en commençant le repas, trouble l'estomac, et cause des rapports comme la rave; mais qu'il est moins malfaisant et moins difficile à digérer, (74c) si on le mange en dernier : que d'ailleurs il est modérément diurétique, si on le prend bouilli. Diphile (de Siphne) dit : « Le concombre étant rafraîchissant, digère difficilement, et ne gagne qu'avec peine la voie des intestins : en outre il cause des frissonnements, engendre de la bile, et est contraire aux plaisirs de l'amour. Les concombres augmentent de volume dans les jardins, aux pleines lunes, et cette augmentation y est aussi sensible que dans les oursins.» 6. Figues. Non, dit Magnus, je ne le céderai à personne, lorsqu'il s'agira de parler de figues : dussé-je être branché ; (74d) car j'aime singulièrement ce fruit. Je vais donc vous dire tout ce qui me viendra sur ce sujet. Messieurs, c'est la figue qui a introduit parmi les hommes une manière de vivre moins grossière : ce qui est prouvé par le lieu de l'Attique qu'on appelle figuier sacré, parce que ce fut là qu'on trouva la première fois cet arbre : on en nomma le fruit hégétérie (ou qui devance), parce que c'est le premier des aliments qu'on s'est ensuite procurés par la culture. Il y a diverses espèces de figues. La première est la figue Attique, dont Antiphane fait mention dans ses Homonymes. Voici ce qu'il dit en faisant l'éloge de l'Attique. « Hipponicus, quelles choses ne croissent pas (74e) dans ce pays! et combien ne l'emportent-elles pas sur ce que produit toute la terre! du miel, des pains, des figues : oui, certes, des figues en abondance. » Istrus, dans ses Attiques, dit qu'il n'était pas permis d'exporter de l'Attique les figues sèches afin que les habitants en eussent seuls la jouissance. Mais plusieurs en faisant sortir secrètement, ceux qui les dénonçaient à la justice, furent alors appelés, pour la première fois, sycophantes. Alexis dit dans sa pièce intitulée le Poète : « Le nom de sycophante a été donné bien injustement (74f) à de méchants hommes. Il fallait que ce mot sykee (figue), joint comme épithète, fût lié avec celui de tout homme intègre et honnête, afin d'en désigner le caractère; mais ce mot, expression de la douceur et du plaisir, joint à ce qu'il y a de plus dépravé, me confond ; et je ne vois pas pourquoi il en est ainsi. » Chap. III. Philomnestus dit, dans son ouvrage concernant les Sminthiens de Rhodes, que le mot sycophante est venu de ce que les amendes et les impôts, se payant autrefois en figues, vin, huile, ce qui fournissait aux dépenses de l'Etat, [3,75] (75a) ceux qui les percevaient, et qui les exposaient aux yeux du public, furent appelés sycophantes, c'est-à-dire, ceux qui présentaient les figues. Quant aux figues de Laconie, Aristophane en fait mention dans ses Laboureurs : « Je plante des figuiers de toute espèce, excepté celui de Laconie; car ce figuier a quelque chose qui tient de l'inimitié et de la tyrannie ; et certes il ne resterait pas comme un nain, s'il n'était si ennemi de l'état populaire. » Or, Aristophane le dit petit, parce qu'en effet cet arbre est bas. (75b) Alexis rappelle les figues de Phrygie dans son Olynthien : « Un manger divin, et bien fait pour la mère des dieux, est la figue sèche, invention de la Phrygienne --- figue! » Plusieurs poètes comiques ont aussi fait mention des figues phibalées. Phérécrate, entre autres, dit dans ses Crapatalles: « Malheureux! aies la fièvre sans t’inquiéter de rien; mange, en été, des figues phibalées, et quand tu seras bien gavé, fait la méridienne ; après quoi, agite-toi dans la douleur; brûle, crie. » (75c) Téléclide dit dans ses Amphictyons : « Qu'ils sont beaux! qu'ils sont phibalées! » On a aussi donné l’épithète de phibalées aux baies de myrte, comme Antiphane, dans ses Crétois: « Je veux d'abord sur la table des baies de myrte, que je mâcherai à mon aise, lorsqu'il s'agira de tenir conseil, et je les veux phibalées, des plus belles, et telles que si l’on voulait les mettre à une couronne. » Epigène fait mention des figues Chélidoniennes dans son Branchias : «Vient peu après (75d) un petit plat rempli de figues Chélidoniennes un peu fermes. » Androtion, ou Philippe, ou Hégémon, dans ses Géorgiques, rappelle ces différentes espèces de figues : « Il faut planter dans la campagne les Chélidoniennes, les figues sauvages, les Leucérines, les Phibalées : quant aux Oporobasilides, plantez-en partout; mais chaque espèce a son avantage, ou réussit plus ou moins bien : en général, les colures, les Phorynies, les Diphores, les Mégariennes, celles de Laconie réussissent bien, si elles ont de l'eau. » (75e) 8. Lyncée parle, dans ses lettres, des figues de Rhodes, en comparant ce qu'il y a de meilleur dans l'Attique, avec les produits de cette île. Il s'exprime ainsi : « Les figues sauvages de Rhodes me semblent le disputer à celles qu'on appelle dans l'Attique figues de Lacédémone, avec autant de supériorité que les mûres le disputent aux figues pour la délicatesse : or, j'en ai fait servir en commençant le repas, non au dessert, lorsque le goût était déjà émoussé par la satiété, mais lorsque l'appétit des convives était dans toute sa force, et qu'on n'avait touché de rien. Si Lyncée avait goûté, comme moi, de ces callistrouthes, dans la belle ville de Rome, sans doute il aurait la vue bien plus perçante que celui qui portait le même nom, (75f) tant ces figues l'emportent sur celles de toute la terre! » On nomme encore avec éloge différentes espèces de figues des environs de Rome : celles qu'on appelle Liviennes, celles de Chio, de Chalcide, d'Afrique, dont Hérodote de Lycie fait mention dans son traité des figues. 9. Parménon de Byzance parle des figues de Caune, ville d'Eolie, dans ses ïambes, et les dit excellentes. [3,76] (76a) « Je suis venu de loin, par mer, sans amener une cargaison de figues de Caune. » Que les figues de Caune, ville de Carie, soient fort estimées, c'est ce que tout le monde sait. Héracléon d'Éphèse et Nicandre de Thyatire, font mention de figues toxalies, et rapportent à ce sujet le passage suivant, pris d'un drame d'Apollodore de Caryste, intitulé : la Fripière à doter: « D'ailleurs, le méchant vin qu'il y avait était fort aigre, au point même que j'en ai rougi de honte : quant aux autres cantons, il y vient des figues (76b) toxalies ; mais mon terrain est planté en vignes. » Archiloque parle des figues de Paros : or, il y a dans cette île d'excellentes figues, que les habitants appellent hœmonies, et qui sont les mêmes que celles de Lydie : elles ont eu ce nom à cause de leur couleur rouge. Voici le passage d'Archiloque : « Laisse-là Paros et ses figues, de même que cette vie de marin. » Or, ces figues sont, à l'égard de celles qui viennent en tout autre endroit, (76c) ce qu'est la chair de sanglier à l'égard de toutes celles des cochons domestiques. Le leucerine est une espèce de figuier, et peut-être celui qui porte des figues blanches. Hermippus en parle ainsi dans ses ïambes : « On présenta séparément des figues leucérines. » Mais Euripide nomme les figuiers sauvages dans son Sciron : « Ou de l'attacher à des branches de figuier sauvage. » Epicharme dit dans le Sphinx: « Ils ne sont nullement semblables aux figuiers sauvages. » Sophocle a pris figurément (76d) le nom de l'arbre pour le fruit, dans ses noces d'Hélène ; il dit : « Tu n'es qu'un figuier sauvage, non mûr, qui ne vaut rien à manger, et tu traites les autres de figuiers sauvages. » Il a dit figuier sauvage non mûr, pour figue sauvage non mûre. Chap. IV. Alexis dit dans sa pièce intitulée le Chaudron: « Mais que dirons-nous ensuite de ces gens qui vendent toujours leurs figues dans des corbeilles, ayant bien soin de mettre au fond celles qui sont dures ou gâtées, et les belles et bien mûres par dessus? (76e) Enfin, celui qui paie en donne le prix pour les avoir telles, tandis que le vendeur empoche son argent, jure qu'il a vendu des figues, et n'a livré que de mauvaises figues sauvages. » Observez que l'arbre, au figuier sauvage, qui produit ces figues, s'appelle, au masculin, erinos, comme on le voit dans le Troïle de Strattis : « Tu as donc aperçu un figuier sauvage (erinon) près d'elle? » On lit aussi dans Homère : « Il y a là un grand figuier sauvage, erineos, garni d'un feuillage épais. » 11. Amerias dit qu'on appelle erinakes les olynthes. Hermonax, dans ses mots Crétois, rapporte certaines espèces de figues qui s'appellent hamadées et nicylées. (76f) Philémon dit, dans son Lexique Attique, qu'il y a des figues qu'on nomme royales, et que c'est de celles-ci que les figues sèches appelées basilides, ont pris leur nom : il ajoute que les figues bien mûres se nomment kolytra. (Seleucus rapporte dans ses Gloses, qu'il y a une espèce de pivoine, dont la graine est semblable à celle de la figue; que les femmes se gardent bien d'en manger, parce que cela leur trouble la tête ; comme Platon le Comique le dit dans son Cléophon. [3,77] Selon Pamphile, les figues d'hiver se nommaient codonées, (77a) en Achaïe ; et il dit que le grammairien Aristophane le rapporte dans son Glossaire Laconique. Hermippe fait mention de figues coracées ou de corbeaux, dans ses Soldats, en ces termes : « Ou des phibalées surtout, ou des coracées. » Théophraste dit dans son second livre de l'histoire des plantes, qu'il y a une espèce de figue que l’on appelle charitios arateios. Il rapporte aussi, dans le troisième livre, qu'il croît aux environs du mont Ida en Troade, une espèce de figuier en forme d'arbrisseau, qui a la feuille semblable à celle du tilleul, et porte des figues (77b) rouges de la grosseur d'une olive, un peu plus rondes, mais dont le goût tient de celui de la nèfle. Voici ce que le même Théophraste écrit dans son quatrième livre de l'histoire des Plantes, au sujet de ce qu'on appelle figue de Chypre en Crète, Le figuier, qu'on nomme figuier de Chypre en Crète, porte son fruit sur la tige même de l'arbre, et sur les plus fortes branches ; il pousse une espèce de bourgeon sans feuilles, et petit, qui a l'apparence d'une petite racine : au bout paraît le fruit. Le tronc de l'arbre est grand, et assez semblable au peuplier blanc ; mais sa feuille tient de celle de l'orme. (77c) Il porte quatre fois du fruit par an, c'est-à-dire, autant qu'il y a de pousses de bourgeons. Le fruit est d'une douceur analogue à celle de la figue. Intérieurement il ressemble à la figue sauvage, et est de la grosseur d'une prune de damas. Théophraste fait aussi mention des figues prodromes ou précoces, dans le troisième livre des causes des plantes. Lorsque l'air est doux, humide et chaud, il sollicite la germination du figuier : de là les figues précoces. Il suit sa narration, et ajoute : Il y a des figuiers, tels que le laconique, le blanc ombiliqué (ou leucomphalie), et plusieurs autres qui portent aussi des figues précoces, d'autres qui n'en portent point. (77d) Seleucus dit dans ses Gloses, qu'on appelle protérique certaine espèce de figuier qui donne son fruit avant les autres. Quant au figuier diphore, ou qui porte deux fois par an, Aristophane en fait mention dans ses Concionatrices. « Vous, pendant ce temps-là, prenant des feuilles de figuier diphore. » Antiphane dit dans ses Scieries : « Il est en bas, près de ce figuier diphore. » Théopompe rapporte, au 54e livre de ses histoires, que dans la (77e) Bisaltie, à Amphipolis, et dans la Crestonie, sous le règne de Philippe, les figuiers portèrent leurs figues au milieu du printemps, les vignes leurs raisins, les oliviers des olives, dans le temps juste de la fleuraison, et que tout réussit parfaitement à Philippe. Théophraste dit, au second livre des plantes, que le figuier sauvage porte deux fois par an : d'autres disent trois fois, comme dans l'île de Cée. Selon le même, si l'on plante un figuier dans un oignon marin ou squille, il croît plus vite, et n'est pas piqué par le ver : en général même, tout ce qu'on plante dans la squille prend un plus prompt accroissement, et la végétation en est plus vigoureuse. (77f) Théophraste remarque encore dans le second livre des causes des plantes, que le figuier de l'Inde, si remarquable par sa grandeur, n'a qu'un petit fruit, et n'en porte que très peu, comme si toute sa sève était absorbée par la végétation de la plante. Selon le même philosophe, au second livre de l'histoire des plantes, il y a dans la Grèce proprement dite, aux environs de la Cilicie, et en Chypre, une autre espèce de figuier olynthophore. Quant à la vraie figue, il la porte au-dessous de la feuille, et l'olynthe se trouve dans l'aisselle, mais l'une et l'autre sont sur la branche de l'année, non sur une nouvelle. Il a son fruit (l’olynthe) mûr avant les figues, ce qui n'arrive pas à celui des nôtres : d'ailleurs, ce fruit est beaucoup plus gros que les figues, [3,78] (78a) et le temps de sa maturité ne tarde pas après la pousse. Chap. V. Je sais en outre les noms de plusieurs autres espèces de figues : telles sont les basilées ou royales, les sycobasilées, les cirrhocœladies, les hyladies, les sarkelaphies, les lapyries, les picrides, les draconties, les leucophées, les melanophées, les crènées, les mylaïces, les ascalonies. 14. Chap. V. Tryphon, parlant de la dénomination de l'arbre appelé Sykee, au second livre de son histoire des plantes, rapporte le fait suivant, d'après les Géorgiques de Dorion. « Sykeas, un des Titans, poursuivi par Jupiter, fut reçu dans la terre, sa mère, (78b) qui produisit, pour alimenter son fils, un arbre de ce nom ; et c'est de lui que Sykea, ville de Cilicie, a été ainsi nommée. » Mais Pherenicus, poète épique, originaire d'Héraclée, dit que ce mot Sykee vient de la fille d'Oxyle ; qu'Oxyle, fils d'Orius, ayant connu sa sœur Amadryade, en eut Karye, Balane, Kranée, Oxye, Ægire, Ptélée, Ampele, Sykee, que l'on appelle les Amadryades, et dont certains arbres prirent les noms: que c'est pour cette raison que le poète Hipponax a dit: (78c) « La Sykee noire (figuier noir), sœur d'Ampèle (de la vigne). » Sosibirus de Laconie, montrant que le figuier fut trouvé par Bacchus, ajoute que c'est pour cette raison que les Lacédémoniens honorent Bacchus sous la dénomination de Sykite. Mais Andriscus, et même Agasthène, rapportent que les Naxiens appellent Bacchus Milichius, parce qu'il leur a fait connaître le figuier. Que c'est pour cette raison que la tête de Bacchus, honoré chez eux sous le nom de Milichius, est de figuier, qu'ils appellent Milicha ; au lieu que celle de ce Dieu, honoré sous le nom de Dionyse, est de vigne. (78d) 15. Hérodote de Lycie fait voir, avec beaucoup de détails, dans son traité sur les figues, que de tous les fruits des arbres, les figues sont les plus utiles aux hommes : il dit même que les enfants nouvellement nés deviennent forts, lorsqu'on les alimente avec du suc de figues. Phérécrate, auteur de la pièce des Perses, dit : « Si, les uns ou les autres, nous apercevons enfin une figue nouvelle bien mûre, nous en frottons tout le contour des yeux de nos enfants. » Sans doute, parce que les figues sont un excellent remède. (78e) L'admirable et coulant Hérodote fait bien sentir, dans le premier livre de ses histoires, que les figues sont une excellente chose, lorsqu'il s'exprime ainsi : Roi, tu te prépares à une expédition contre des hommes qui n'ont qu'une chaussure de peau, et ne portent de vêtements que de peau. Ils ne se repaissent pas comme ils veulent, mais de ce qu'ils trouvent, habitant des contrées fort dures. De vin, ils n'en usent assurément pas ; l'eau fait toute leur boisson : ils n'ont pas de figues à manger, ni même aucune autre chose délicate. Polybe dit, au douzième livre de ses histoires, que Philippe, (78f) père de Persée, manquant de vivres, lorsqu'il faisait des excursions dans l'Asie, reçut des Magnésiens, qui n'avaient pas de blé, des figues pour nourrir son armée. Ayant pris Myonte, il donna cette place et son territoire aux Magnésiens, en récompense de ces figues. Ananius, poète iambique a dit : « Que quelqu'un enferme beaucoup d'or dans une maison et un peu de figues, avec deux ou trois hommes, il saura combien les figues sont préférables à l'or. » [3,79] (79a) 16. Après ce long discours que Magnus fit sur les figues, Daphnus, le médecin, parla ainsi : Philothime dit, dans son troisième livre des aliments, que les fruits mous, comme les figues, diffèrent beaucoup entre eux, tant par l'espèce et le temps où ils mûrissent, que par leurs qualités. Cependant on peut dire qu'en général, ceux qui ont un suc liquide et bien mûr, surtout les figues, se dissolvent promptement, et digèrent mieux que tous les autres fruits, sans même troubler la digestion des autres aliments. Les figues ont, comme les autres fruits d'un suc fluide, une qualité muqueuse, douceâtre, un principe salin : (79b) elles provoquent les selles, les rendent plus copieuses, fluides, mais sans causer de douleur. Dévorées avec du sel, elles fournissent un suc muriatique et acre, qui cependant se délaie promptement avec les autres humeurs. Voilà pourquoi, peu de temps après en avoir avalé une grande quantité, nous nous trouvons fort à l'aise. Or, ceci n'arriverait pas, si les figues restaient sur l'estomac, au lieu de fondre promptement. Ce fruit digère mieux que tous les autres : en effet, nous ne nous trouvons pas incommodés d'en manger beaucoup plus que de tout autre : d'ailleurs, si après avoir commencé par manger des figues, (79c) nous prenons même quantité de nos aliments ordinaires, nous n'en éprouvons aucun trouble. Il est donc clair que si nous digérons les uns et les autres, les figues digèrent mieux, et n'empêchent pas la coction des autres aliments. Les figues ont les qualités que je leur ai attribuées ci-devant : en effet, leur principe muqueux et salin n'est-il pas gluant sur les mains, ne les déterge-t-il pas? Quant à la saveur douce, il suffit de les porter (79d) à la bouche pour en juger. Il ne faut pas sans doute que je m'arrête à prouver la vérité de ce que j'ai dit, au sujet des selles plus copieuses, plus promptes, plus fluides qu'elles sollicitent sans tranchées, et même sans douleur. Si les figues ne paraissent pas beaucoup changées dans les selles, ce n'est pas qu'elles digèrent difficilement, mais parce que nous les avalons avidement et sans mâcher. (79e) Or, c'est ce qui les fait sortir promptement. Chap. VI. J'ai dit que les figues avaient un principe salin: en effet, on a vu qu'il était nitreux ; mais on le rend encore plus salin et pénétrant par les accessoires. En effet, le sel fournit la qualité muriatique, le vinaigre et le thym y ajoutent de l'âcreté. 17. Héraclide de Tarente demande, dans son festin, s'il faut boire de l'eau chaude ou de l'eau froide après avoir mangé des figues. Ceux, dit-il, qui veulent que l'on boive de l'eau chaude par-dessus les figues le font en considérant qu'elle nettoie promptement les mains; qu'ainsi il est probable que les figues ne sont pas longtemps à se dissoudre dans l'estomac, moyennant l'eau chaude. (79f) D'ailleurs, l'eau chaude divise le parenchyme des figues qu'on a sous les yeux, et le réduit en des parties très tenues; l'eau froide, au contraire, resserre. Ceux qui conseillent l'eau froide, disent que cette boisson froide que l'on prend alors, entraîne, par son propre poids, les choses qui restent sur l'estomac. Or, disent-ils, les figues ne sont pas favorables à l'estomac, car elles y causent même une chaleur brûlante, et en relâchent le ton. C'est aussi pour cette raison que quelques-uns prennent aussitôt du vin pur par-dessus : ce qui bientôt les précipite, avec tout ce qu'il y a d'ailleurs dans l'estomac. [3,80] (80a) C’est pourquoi il faut boire beaucoup, et très souvent après avoir pris des figues, afin qu'elles ne s'arrêtent pas dans l'estomac, ou mieux pour leur faire gagner la voie des intestins. 18. D'autres disent qu'il ne faut pas manger des figues à midi, parce qu'alors elles peuvent rendre malade, comme l'a dit Phérécrate, dans ses Krapatalles. Aristophane dit aussi dans son Proagon : « L'ayant un jour vu malade pendant l'été, il mangea des figues à midi, afin d'être aussi malade. » Eubule fait dire à une femme, dans son Sphingocarion : (80b) « Oui, par Jupiter! car, mon cher, j’étais malade pour avoir mangé des figues à midi. » Nicophon parle ainsi dans ses Sirènes : « Si quelqu'un de nous s'endort après avoir mangé des figues fraîches à midi, aussitôt la fièvre, une forte fièvre, dis-je, vient au galop, et dès qu'elle s'est fait sentir, elle suscite un vomissement bilieux, etc. » 19. Diphile de Siphne dit : Les figues bien mûres, fraîches, nourrissent peu, font un mauvais chyle, passent (80c) promptement, produisent des flatuosités dans l'estomac, quoique la substance s'en distribue mieux que celle des sèches. Celles qui viennent à l'approche de l'hiver, ne mûrissant qu'avec peine, sont plus mauvaises : celles, au contraire, qui sentent toute la force des chaleurs de l'été, sont d'une bien meilleure qualité, parce qu'elles mûrissent dans l'ordre de la nature ; celles qui ont beaucoup de suc laiteux, et peu de principe aqueux, vont mieux à l'estomac, quoiqu'un peu plus pesantes ; celles de Tralles sont analogues à celles de Rhodes; et celles de Chio, ainsi que toutes les autres, ont un beaucoup plus mauvais suc. Mnésithée d'Athènes dit, dans son traité des comestibles, qu'à l'égard de tous les fruits dont on mange, tels que les poires, les figues, les pommes de Delphes, et autres semblables, (80d) il faut faire attention au temps où leur suc n'est ni cru, ni trop mûr, ni trop épuisé par la température de la saison. Démétrius de Scepse dit, dans le liv. 15 de l'ordre des troupes Troyennes, que ceux qui ne mangent pas de figues ont une belle voix. Il ajoute : Hégésianax d'Alexandrie, qui a traité l'histoire, homme qui d'abord fut très pauvre, acquit une belle voix, en s'abstenant de manger des figues pendant dix-huit ans, et fut ensuite acteur tragique et comique. (80e) Je connais aussi quelques proverbes relatifs aux figues ; tels sont ceux-ci : « Après la figue, le poisson ; après la viande, les légumes. » « Non, ils ne veulent pas planter de figuiers, les oiseaux en aiment trop le fruit. » 20. Pommes. Mnésithée d'Athènes les appelle pommes de Delphes, dans son traité des comestibles. Diphile dit : Les pommes vertes et non encore mûres, sont d'un mauvais suc, font mal à l'estomac, y causent des flatuosités, engendrent de la bile, rendent malade, et donnent lieu à des frissonnements. Quant aux pommes mûres, celles d'une saveur douceâtre, ont un meilleur suc, passent plus aisément, (80f) parce qu'elles n'ont aucune astringence. Les pommes acides ont le plus mauvais suc, et resserrent trop : celles dont la douceur est un peu moindre, et qui flattent le palais lorsqu'on les mange, vont mieux à l'estomac, à cause de leur légère astringence. Entre les pommes, celles d'été ont un moins bon suc; et à cet égard, celles de l'automne sont préférables. Les orbicates ayant certaine astringence mêlée de douceur, vont bien à l'estomac. [3,81] (81a) Les sétanies et les platanies ont, à la vérité, un bon suc, passent bien, et cependant l'estomac ne s'en accommode pas. Les mordianes viennent très belles à Apollonie, autrement Mordiée, et sont analogues aux orbicates. Les coings sont, de toutes les pommes, celles qui vont le mieux à l'estomac, surtout s'ils sont bien mûrs. Il y en a qu'on appelle communément struthies. Glaucide prétend que les meilleurs des fruits d'arbres sont les pommes de coing, les pommes phaulies et les struthies. Philothime, au treizième livre de son traité des aliments, dit : (81b) Les pommes de printemps, vertes ou mûres, digèrent plus difficilement que les poires vertes ou mûres : elles ont les qualités des fruits d'un suc fluide; c'est-à-dire, que les pommes aigrelettes, et non encore mûres, ont trop d'astringence et certaine acidité ; qu'ainsi elles développent dans le corps un suc qui ratisse ; et en général, les pommes digèrent moins facilement que les poires. Ainsi, nous digérons moins une petite quantité de pommes que nous avons mangées, qu'une plus grande quantité de poires. (81c) C'est des pommes que résulte ce suc qui ratisse, comme le dit Praxagoras : d'ailleurs des substances qui digèrent à peine, ne peuvent que rendre les humeurs épaisses. Il est donc démontré en général que les pommes digèrent moins facilement que les poires, et que les substances acerbes rendent ordinairement les humeurs trop épaisses. Quant aux pommes d'hiver, celles de coing rendent un suc trop astringent ; les struthies ont moins de suc, mais aussi elles ne resserrent pas tant, et digèrent plus facilement. Nicandre de Thyatire dit, faute d'être instruit, que les coings sont ce qu'on appelle struthies; (81d) mais Glaucide les distingue lorsqu'il parle des phaulies, des struthies, en disant : Les meilleurs des fruits d'arbres sont les pommes de coing, les phaulies, les struthies. 21. Stésichore fait ainsi mention des pommes de coing dans son Hélène : « Ils jetaient, au-devant du char du roi, quantité de coings, des poignées de feuilles de myrte, des couronnes de roses, et des guirlandes entières de violettes. » Alcman parle aussi des coings ; et Cantharus a dit dans son Térée : « (Il l’attaquait ou l'agaçait) en lui jetant des pommes de coing sur le sein. » Philémon, dans son Rustre, appelle les coings pommes struthies. (81e) Phylarque prétend, au sixième livre de ses histoires, que les pommes de coing émoussent, par leur bonne odeur, les vertus des poisons mortels. Voilà pourquoi, dit-il, le poison phariaque, jeté dans un vase qui sentait encore l'odeur d'une composition de coings, perdit sa force au point de ne rien conserver de sa vertu particulière. Ayant donc été mêlé dans une boisson, et présenté à ceux à qui l'on tendait ce piège, ils n'en éprouvèrent aucun mal. Or ceci, dit-il, fut ensuite découvert par la recherche de celui qui l'avait vendu, et qui reconnut que c'était l'effet de la composition de coings. (81f) Hermon dit, dans ses gloses Crétoises, que les pommes de coing se nomment aussi codymales, mais, selon Polémon, dans le cinquième livre de l'ouvrage qu'il adresse à Timée, quelques-uns disent que le codymale est une espèce de fleur. Alcman entend parler de la pomme struthie lorsqu'il dit: « Plus petit qu'un codymale. » Apollodore et Sosibius entendent par pomme struthie la pomme de coing; [3,82] mais Théophraste a clairement dit, (82a) second livre de son histoire des plantes, que la pomme de coing diffère de la struthie. Il vient d'excellentes pommes à Sidonte, bourgade des dépendances de Corinthe, comme le dit Euphorion ou Archytas, dans la pièce intitulée la Grèce: « Vermeil comme la pomme pourprée qui croît sur les rives argileuses de la petite Sidonte. » Nicandre fait ainsi mention de ces pommes dans ses Métamorphoses. « Aussitôt qu'il eut cueilli des pommes mûres à Sidonte, ou dans les jardins de Pliste, il y traça les caractères de Cadmus. » (82b) Arian et Apollodore d'Athènes, le premier, dans son Héracléide, le second, dans son cinquième livre du dénombrement des vaisseaux, disent que Sidonte est une bourgade des environs de Corinthe. Antigone de Caryste dit, dans son Antipatre: « Où trouverai-je celui qui est plus charmant que ces beaux fruits de la saison, que dis-je, plus brillant que ces pommes très vermeilles que produit la venteuse Éphyre? » 23. Quant aux pommes phaulies, Téléclides en fait ainsi mention dans ses Amphyctions : « O vous, qui nous charmez à certains égards, et qui, d'un autre côté, êtes plus méprisables que les pommes phaulies! » (82c) Théopompe en fait aussi mention dans son Thésée. Androtion dit dans ses Géorgiques : Des pommiers phaulies et des struthies car la pomme ne quitte pas le pédicule des struthies, mais les pommes de printemps, ou celles de Laconie, ou celles de Sidonte, ou celles qui ont un duvet. Mais, messieurs, j'ai surtout admiré les pommes que l'on vend à Rome, et que l’on appelle mattianes: on les apporte, dit-on, d'une bourgade située dans les Alpes voisines d'Aquilée. Cependant celles qui croissent près de Gangres, ville de Paphlagonie, ne leur cèdent en rien. (82d) Que les pommes soient un présent de Bacchus, c'est ce qui est confirmé par ce passage de Théocrite : « Il gardait dans son sein les pommes de Bacchus, ayant sur la tête une couronne de peuplier, arbre consacré à Hercule. » Néoptolême de Parium rapporte, dans sa Dionysiade, que les pommes, et en général tous les fruits des arbres ont été trouvés par Bacchus. Pamphile dit que certaines espèces de poires se nommaient épimelis. Timachidas dit dans son liv. 4e, qu'on donnait aussi ce nom à certaines pommes des Hespérides; que ces pommes-ci se présentaient aux Dieux à Lacédémone; (82e) mais Pamphile ajoute qu'elles avaient une très bonne odeur ; qu'on n'en mangeait pas, et qu'on les appelait les pommes des Hespérides. Aristocrate dit, au quatrième de ses Laconiques : Outre cela des pommes, et celles qu'on appelle Hespérides. 24. Pommes de Perse. Théophraste, parlant (livre II de son histoire des plantes) des arbres dont le fruit n'est pas manifeste, s'exprime ainsi : « Comme le principe des plus grands végétaux, tels que celui de l'amande, de la noix, de la grenade, de la poire, de la pomme, (82f) est connu, excepté celui de la pomme de Perse, qui ne l'est absolument pas, etc. » Diphile de Siphne parle ainsi, dans son traité des aliments propres aux malades et aux gens en santé : « Les pommes que l'on appelle pommes de Perse, ou, selon d'autres, les prunes (coccymeles) de Perse, sont d'un suc de moyenne qualité, mais plus nourrissantes que les pommes ordinaires. » [3,83] (Philotime avance, dans son treizième livre de la nourriture, que la noix de Perse a quelque chose de plus gras, et certaine âpreté ; qu'en outre elle est plus mollasse, (83a) et que si on l'écrase elle rend beaucoup d'huile). Les Gloses Laconiques d'Aristophane le grammairien, nous apprennent que les Lacédémoniens appelaient prunes (ou coccymeles) les pommes acides de Perse, auxquelles d'autres donnaient le nom d'adria. 25. Citron. Les convives agitèrent beaucoup cette question ; savoir, si l'on trouve dans les écrits des anciens, qu'ils aient fait mention du citron. Myrtile dit (comme nous, en voyant chercher des chamois), qu'Hégésandre de Delphes en faisait mention dans ses commentaires, mais qu'il ne se souvenait pas actuellement du passage. Plutarque lui soutint le contraire, disant: « Pour moi, (83b) j'assure qu'Hégésandre n'en a nullement parlé; car j'ai lu exprès tous ses commentaires. Un de ses amis, assurant que cela était ainsi, autorisé par les scholies d'un commentateur renommé, on dit à Myrtile : vois si tu trouveras un autre témoin. » Emilien prit la parole, et dit : « Juba, roi de Mauritanie, homme très savant, fait mention du citron dans ses mémoires sur la Lybie, et assure que dans cette contrée on l'appelle pomme (83c) des Hespérides, que c'est de là qu'Hercule apporta en Grèce les pommes, que leur couleur fit appeler pommes d'or. Selon le soixantième livre de l'histoire d'Egypte, que nous a laissée Asclépiade, la terre produisit ce fruit pour les noces de Jupiter et de Junon. » Démocrite les regardant, leur dit : Soit! que Juba en ait fait mention : eh! laissez-le là avec ses commentaires sur la Lybie, aussi bien que les courses vagabondes de Hannon. Pour moi, je soutiens que le mot citron ne se trouve dans aucun écrit ancien. Mais je trouve la chose si bien marquée dans l'histoire des plantes de Théophraste d'Erèse, que je ne puis entendre (83d) que du citron ce qu'il nous indique. Or, voici ce qu'il dit dans le quatrième livre de cette histoire : « La Médie et la Perse produisent beaucoup de choses ; entre autres la pomme qu'on appelle de Perse ou de Médie. L'arbre a la feuille presque semblable à celle du laurier, de l'arbousier et du noyer. On y remarque des épines comme au poirier sauvage et à l’épine-vinette : elles sont lisses, très aiguës et fortes. Cette pomme ne se mange pas ; le fruit et la feuille ont une très bonne odeur. Mis dans les habits, le citron les garantit de la piqûre des vers; pris en breuvage, il est utile contre un poison mortel : en effet, administré dans le vin, il remue tout le ventre, fait sortir le poison. Il donne une bonne odeur à la bouche, si, après l'avoir fait bouillir dans du bouillon ou autre fluide semblable, on en exprime le jus dans la bouche, pour l'avaler ensuite. La semence qu'on en retire se sème au printemps sur des couches ; mais il faut la bien préparer auparavant: on l'arrose ensuite tous les quatre ou cinq jours. (83f) Lorsqu'elle a bien levé, et que la plante a déjà quelque force, on la transplante dans une terre molle, un peu humide y mais non trop légère. L'arbre porte son fruit en toute saison. L'un peut se cueillir, l’autre fleurit, tandis qu'un troisième mûrit. Toutes les fleurs, du centre desquelles s'élève une espèce de cylindre, sont fécondes : celles qui n'en présentent pas sont stériles. » Ce philosophe a parlé de ce cylindre, et des fleurs fécondes, dans le premier livre de son histoire. Autorisé par les détails que nous donne Théophraste, sur la couleur, l'odeur, les feuilles, j'ai donc cru, mes amis, qu'il s'agissait là du citron. Que personne ne s'étonne s'il dit que l'on n'en mange pas, puisque personne n'en mangeait du temps de nos aïeux; [3,84] (84a) mais on le mettait dans des coffres, avec les habits, comme une chose fort précieuse. Mais nous pouvons voir dans les poètes comiques, que cette plante a passé de ce haut pays en Grèce: en effet, lorsqu'ils nous parlent de sa grandeur, il semble qu'ils fassent mention des citrons. Chap. VIII. Antiphane dit, dans son Béotien : « A. Ce serait une folie que de vous dire ce qu'il y a à manger, comme si j’avais à parler à des gens insatiables ; (84b) mais, ma fille, prends ces pommes. B. O les belles pommes! A. Oui, certes, belles. La graine en est venue depuis peu à Athènes, du pays du grand Roi. B. Par Diane! je les croyais venues des Hespérides; mais on dit qu'il n'y en avait que trois. A. Ce qui est beau, est toujours en petite quantité. B. Et précieux partout.» Hériphe produit ces vers dans sa Mélibée, comme lui appartenant, et voici ce qu'il présente d'Antiphane : « Par Diane! je les croyais venues des Hespérides ; (84c) mais il n'y en avait, dit-on, que trois. A. Ce qui est beau est en petite quantité. B. Oui, et même précieux partout. A. Eh bien, cela ne me coûte cependant qu'une obole! au reste je compterai. B. Mais voilà de bien belles grenades. A. Oh, oui! elles viennent du seul arbre que Vénus a elle-même planté dans l'île de Chypre. Ma chère Berbeias, prends, oui, prends ces trois seules, puisque je n'en ai pas davantage.» 28. Si donc quelqu'un peut réfuter ceci, et prouver que ce n'est pas le citron qui est indiqué, qu'il nous donne des témoignages plus clairs. (84d) Cependant Phanias d’Erèse semblerait faire soupçonner que le citron pourrait bien avoir pris son nom du mot cédron; car il observe dans son cinquième livre des plantes, que le cèdre a des épines autour de ses feuilles. Or, c'est ce qui se voit clairement au citronnier. J'ai appris, par un de mes concitoyens qui a eu le gouvernement de l'Egypte, que le citron, pris avant tout aliment sec ou liquide, est l'antidote de tous les poisons. Cet ami avait un jour condamné (84e) quelques criminels à être mordus par des animaux venimeux, auxquels ils allaient être abandonnés, selon leur sentence, lorsqu'entrant dans le lieu public qui leur avait été marqué, la maîtresse d'une taverne leur donna, par pitié, du citron qu'elle avait à la main, et qu'elle mangeait ; ils le prirent, le mangèrent, et ne reçurent aucun mal des animaux monstrueux et les plus féroces, c'est-à-dire, des aspics, aux morsures desquels ils furent exposés. Ce Gouverneur ne sut que penser de cet événement. (84f) Enfin, il demanda au soldat qui les gardait, s'ils avaient bu ou mangé quelque chose avant l'exécution. Apprenant qu'on leur avait alors donné un citron, sans aucune ruse, il ordonna que le jour suivant on donnât un citron à l'un d'eux, et pas à l'autre. Celui qui le mangea ne reçut aucun mal de la morsure ; mais l'autre mourut bientôt après avoir été blessé : cette épreuve ayant été répétée par plusieurs personnes, on sut que le citron était l'antidote de tous les breuvages délétères. [3,85] (85a) Si quelqu'un fait cuire dans du miel d'Attique, un citron, tel qu'il est naturellement avec ses pépins, il se dissout dans le miel. Qu'il en prenne alors de grand matin, le poids de deux ou trois dattes, et il n'éprouvera aucun mal d'un poison quelconque. 29. S'il ne me croit pas, qu'il l'apprenne de Théopompe de Chio, homme qui aimait la vérité, et qui a fait, avec de grandes dépenses, toutes les recherches dont il avait besoin pour écrire son histoire. Il dit donc, dans le 38e livre de ses histoires, (85b) en parlant de Cléarque, tyran d'Héraclée, ville du Pont, que ce prince fit périr beaucoup de personnes avec cruauté, et en empoisonna un grand nombre d'autres avec de la ciguë. Dès qu'on se fut aperçu, ajoute-t-il, de cette inclination qu'il avait d'empoisonner, on ne sortit plus de chez soi sans avoir mangé de la rue ; car ceux qui ont mangé de la rue par précaution, ne seront même pas incommodés de l'aconit : ce poison est ainsi nommé d'Acone, lieu voisin d'Héraclée. (85c) A ce détail de Démocrite, plusieurs des convives, étonnés de la vertu du citron, se mirent à en manger, comme s'ils n'avaient ni bu ni mangé auparavant. Pamphile dit, dans ses Gloses, que les Romains l'appellent citrum. 30. Coquillages. Après tous les mets mentionnés jusqu'ici, on apporta séparément quantité d'huîtres, et d'autres testacées, dont je trouve les plus remarquables nommés en ces termes, dans la pièce d'Epicharme, intitulée les noces d'Hébé: « Apporte toutes sortes de coquillages, beaucoup de lépas, des strabèles, des cécibales, des téthyes, (85d) des glands, des pourpres, des huîtres bien closes, difficiles à ouvrir, et faciles à avaler, des moules, des nérites, des buccins, des alènes, dont la saveur est très douce, et la pointe fort aiguë ; des rouleaux, des solens, des conques noires, qui ont toutes une sentinelle dans leur coquille, pour trouver à paître : il y a encore d'autres coquillages qu'on appelle amathitides, mais qui passent pour être de mauvaise qualité et qui d'ailleurs nuisent à la génération. (85e) Tous les hommes les appellent androphyctides (viri-fugas), ou la terreur des hommes : nous autres dieux, nous les nommons blanches. » 31. On lit aussi dans les Muses du même, « Au lieu du coquillage que nous appelons antelle, et qui fait un fort bon manger. » Il indique ici probablement ce que nous appelons telline, et les latins mitulus, moule. Aristophane le grammairien en fait mention dans son traité de la triste Scytale, et dit que les lépas sont semblables à ce qu'on appelle tellines. (85f) Chap. IX. Callias de Mitylène, parlant de ce lépas, ou œil de bouc, dont Alcée fait mention, dit qu'il y a dans les œuvres de ce poète une ode qui commence ainsi : « Fille de la roche et de la mer écumante. » et dont la fin est : « Lépas de mer, arraché des pointes de roches, g-ek g-lepadoon, puisses-tu détendre l'esprit! » Mais Aristophane écrit ici chelys, tortue, au lieu de lépas, et prétend que Dicéarque a choisi mal à propos le mot lépas : que d'ailleurs les enfants portent les tortues à la bouche, en jouent comme d'une flûte, et s'en amusent ; ce que font aussi nos enfants volages avec ce que l'on appelle tellines. [3,86] (86a) C'est ce que dit pareillement Sopatre, auteur de pièces bouffonnes, dans celle qu'il a intitulée Eubulothéombrote: « Mais arrête, car le son mélodieux d'une telline me frappe subitement les oreilles. » Epicharme dit quelque part dans son Prométhée qui dérobe le feu du ciel: « Vois cette telline, cette nérite, et combien ce lépas est grand! » Sophron parle de conques mélænides : « Il nous viendra, dit-il, des mélænides du petit port. » Le même, dans son Halieutique, ou traité de la pêche, dit cherabe, (huître) grossière, au féminin; (86b) et Archiloque écrit cherabos au masculin. Ibicus parle de la nérite, qu'on appelle aussi en grec anaritès et anartas. C'est un coquillage univalve ou conque, qui s'attache aux roches comme les lépas. Hérondas en parle ainsi dans sa pièce intitulée les Coopératrices. « S'y étant agglutiné comme une nérite contre les roches. » On lit dans les Perses d'Eschyle : » Qui a ravagé ces îles fécondes en nérites? » Homère fait mention des téthyes. 32. Dioclès de Caryste dit, dans son traité des choses salubres, que les coquillages les meilleurs pour tenir le ventre libre, sont les moules, les huîtres, les peignes, les cames. Archippus, dans son traité des poissons, parle (86c) « Des lépas, des oursins, des tarets, des aiguilles, des peignes. » Dioclès dit que les plus durs des coquillages sont les conques, les pourpres, les buccins. Archippe appelle le buccin nourrisson de la mer, fils de la pourpre. Speusippe, dans le second livre des choses semblables, dit que les buccins, les pourpres, les strabèles, les conques ont la plus grande analogie. (86d) Sophocle fait aussi mention des strabèles dans ses kamiques. « Si nous pouvions trouver quelque engeance de ce strabèle marin. » Outre cela, Speusippe parle de chacun de ces coquillages en particulier : Des conques, dit-il, des peignes, des moules, des pinnes, des solens ; et ailleurs il rappelle les huîtres, les lépas. On lit dans le Kampylion d'Araros : « Toutes ces friandises délicieuses, telles que des conques, des solens, des squilles bossues sautillaient comme des dauphins. » (86e) Sophron a écrit dans ses Mimes : « A. Eh, ma chère, qu'as-tu donc là? B. Des conques fort longues : tiens, vois ce solen ; c'est un coquillage dont la chair est exquise, et une vraie friandise de femmes veuves. » Cratinus fait mention des pinnes dans ses Archiloques : « Elle est semblable aux pinnes et aux huîtres. Philyllius (ou Phrynicus, ou Aristophane), dans sa pièce intitulée les Villes, fait dire à un acteur: « Prenez un petit polype, une petite sèche, une langouste, une écrevisse, des huîtres, des cames, des lépas, des solens, des moules, des pinnes, des peignes de Méthymne. Quant à ces petits poissons à griller, au surmulet, au sarge, au muge, à la perche, au coracin, etc. » (86f) Chap. X. Agias et Dercyle, dans les Argotiques, nomment le strabèle astrabèle, et le donnent comme une conque propre à suppléer à la trompette : on trouve le mot conque tantôt féminin comme concha, tantôt masculin comme conchos : il est féminin dans les Babyloniens d'Aristophane : [3,87] « Chacun d'eux ouvrait la bouche autant que s'ouvrent (87a) les valves des conques (conchais) qui grillent sur le charbon. » Téléclide fait aussi ce mot féminin dans sa pièce intitulée les Hésiodes : « Comme si l'on ouvrait une conque (koncheh). » Sophron parle de même dans ses Mimes féminins : « Toutes les conques (konchai) s'ouvrirent ensemble devant nous, comme si elles l'eussent toutes fait au même signe; et toutes parurent hors de leurs coquilles.» Mais Eschyle a dit au masculin, dans son Glaucus de Potnie: « Des conques (konchoi), des moules, des huîtres. » On voit la même chose dans le Thésée d'Aristonyme : « Il y avait une conque (konchos) qui teint comme les autres.» (87b) Phrynicus en fait autant dans ses Satyres. Icésius, médecin de l'école d'Érasistrate, dit qu'on distingue les cames en chamœtrachées, et en royales ou basiliques : que les premières, couvertes d'aspérités, ont un mauvais suc, nourrissent peu, et passent promptement: que les pêcheurs de pourpres s'en servent pour appât: que quant aux basiliques ou chamœlées, c'est-à-dire, celles qui sont lisses, elles l'emportent sur les autres, tant par la grandeur, que par la différence de leurs qualités. Hégésandre rapporte dans ses mémoires, que les Macédoniens appellent korycous, sacs ou besaces, les conques qui présentent des aspérités ; mais que les Athéniens les appelaient krious, c'est-à-dire, béliers ou volutes. (87c) 34. Selon Icésius, les lépas passent plus facilement que les précédentes ; les huîtres causent une plénitude, sans cependant nourrir autant ; mais elles passent plus promptement : les peignes sont plus nourrissants, mais d'un plus mauvais suc, et passent avec peine. Quant aux moules, celles d'Ephèse, et celles qui leur sont analogues, l'emportent sur les peignes, par la bonté de leur suc; mais elles le cèdent aux cames : elles sont cependant plus diurétiques, que disposées à passer par les selles. Il y en a, surtout la squille, qui ont un suc de mauvaise qualité, et qui rebute à la simple dégustation. (87d) Celles qui sont plus petites, et qui présentent une surface comme veloutée au dehors, sont plus diurétiques, et d'un meilleur suc que celles qui sentent la squille ou l'oignon marin ; cependant leur peu de grosseur les rend moins nourrissantes : d'ailleurs elles le sont moins de leur nature. Les cous des buccins vont bien à l'estomac, nourrissent mieux que les moules, les cames et les peignes : c'est un aliment qui, vu la difficulté qu'il a à s'altérer, soutient bien ceux qui ont l'estomac incapable de digérer beaucoup d'aliments, et chez qui ces aliments gagnent avec peine les gros intestins : au contraire, les substances qui sont constamment reconnues pour digérer facilement, (87e) altèrent promptement ces sortes de constitutions, par leur mollesse et la facilité avec laquelle elles se dissolvent. Voilà donc pourquoi les mécons de ces coquillages ne vont pas bien à des estomacs robustes, et se trouvent utiles pour ceux qui sont faibles; mais parmi ces mécons, ce sont ceux des pourpres qui sont les plus nourrissants, et qui se mangent avec plus de profit: cependant ce mécon sent un peu trop l'oignon marin, comme tout le corps de l'animal. Les pourpres, comme les solens, ont cela de particulier, qu'elles font épaissir le bouillon où elles cuisent. Ces cous des pourpres cuits seuls, sont bons (87f) pour maintenir le ton de l'estomac. Posidipe en fait mention dans ses Locriens, en ces termes : « Il est temps de manger des anguilles, des langoustes, des conques, des oursins bien frais, des mécons, des pinnes, des cous de pourpres, des moules.» 35. Les plus gros des glands de mer sont ceux qui passent le mieux, et ils reviennent bien au palais. Les oreilles de mer sont plus nourrissantes que tout ce que nous venons de rapporter, mais passent difficilement. Ces oreilles se trouvent aussi dans l'île appelée Phare, près d'Alexandrie. [3,88] (88a) Antigone de Caryste dit, dans son traité des mots, que ce coquillage se nomme oreille de Vénus chez les Éoliens. Les pholades nourrissent beaucoup, mais elles ont une odeur forte. Il en est à-peu-près des téthyes comme des espèces dont nous avons parlé ci-devant ; elles sont même plus nourrissantes. Il y a quelques huîtres que l'on appelle sauvages : elles nourrissent beaucoup, ont une odeur forte, et d'ailleurs la saveur en est peu flatteuse. Chap. XI. Aristote, dans son ouvrage sur les animaux, (88b) range parmi les testacées, la pinne, l'huître, la moule, le peigne, le solen, la conque, le lépas, la téthye, le gland de mer. Parmi les coquillages qui se meuvent d'un lieu à un autre, sont le buccin, la pourpre, l’hédy-pourpre, l'oursin, le strabèle. Le peigne est un coquillage raboteux et strié; la téthye est sans stries, et lisse : la bouche des pinnes est mince, et celle des huîtres épaisse : le lépas est univalve et lisse ; mais la moule est bivalve, lisse; ses coquilles peuvent se fermer totalement : quant au solen et au gland, ils ont la coquille lisse, et elle ne se ferme que d'un côté : la conque tient de l’une et de l'autre espèce. (88c) Epainète dit, dans sa Cuisine, que ce qu'il y a de plus intérieur dans l'animal de la pinne, se nomme mécon ou pavot. Aristote dit, au 5e livre de l’histoire des animaux : « Les pourpres naissent vers le printemps, et les buccins à la fin de l'hiver; et en général, tous les testacées paraissent, au printemps et en automne, avoir ce que l’on appelle œufs, excepté cependant l'espèce d'oursins que l'on mange: en effet, c'est dans ces deux saisons qu'ils sont le plus forts, surtout dans les pleines lunes et pendant les jours de grandes chaleurs. Il faut néanmoins excepter les oursins qu'on prend à Pyrrha sur l'Euripe. (88d) Ceux-ci sont fort petits, meilleurs, en hiver, et pleins d'œufs; il paraît que tous les limaçons de mer se trouvent pareillement fécondés dans la même saison. » 36. Aristote, suivant sa narration, dit : « Les pourpres s'étant rassemblées au printemps dans un même lieu, s'occupent du travail de leur mélicère, qui est comme une sorte de gâteau de cire mais cet ouvrage là n'est pas si poli : on dirait qu'il est formé de la réunion de nombre de coques de pois chiches. Aucune de ces coques ne présente d'ouverture, et ce n'est pas non plus de là que naissent les pourpres. (88e) Comme tous les testacées, elles se produisent elles-mêmes de la vase et de la pourriture. Ces corps sont donc comme un excrément des pourpres et des buccins, car ceux-ci font pareillement leur mélicère. Lorsque les pourpres commencent à faire leur mélicère, elles lâchent une humeur visqueuse, d'où se forment ces coques, qui ensuite s'ouvrent, et répandent une matière ichoreuse sur la terre. C'est-là que naissent en terre les petites pourpres qui se sont formées, et dont on trouve quelquefois les grosses chargées lorsqu'on les prend : (88f) si elles sont prises avant d'avoir jeté ce principe prolifique, elles exécutent cette opération dans les paniers mêmes, en se réunissant pour cet effet, et l'on y voit naître comme des grappes de raisin. » Il y a plusieurs espèces de pourpre; les unes sont grandes, telles que celles des environs des promontoires de Sigée et de Lecte ; les autres sont petites, comme celles de l'Euripe et des côtes de Carie : [3,89] celles qui se trouvent dans les golfes sont grandes et raboteuses; (89a) la plupart ont leur fleur d'une teinte un peu noire : dans quelques-unes, elle tire cependant un peu sur le rouge; plusieurs des grandes s'accroissent jusqu'au poids d'une mine: on les trouve petites sur les bords de la mer, et autour des endroits escarpés ; mais elles y ont la fleur rouge : du côté du nord, elles ont la fleur noire; et dans les lieux exposés au midi, elles l'ont rouge, au moins le plus souvent. 37. Apollodore rapporte ce proverbe dans ce qu’il a écrit sur Sophron : « Plus friands que les pourpres. » Et il ajoute que quelques-uns le déduisent de la couleur que rend ce coquillage, en ce que cette couleur attire à soi (89b) ce qu'elle touche, et donne une teinte brillante à ce qui est exposé à son contact: d'autres le déduisent de la voracité de cet animal. On prend les pourpres au printemps, selon Aristote, mais non vers la canicule ; car alors elles ne viennent plus paître : au contraire, elles se cachent et s'enfoncent dans des trous; elles ont leur fleur entre le mécon et le cou. Les pourpres, les buccins et les autres coquillages turbines: ont, dès leur naissance et dans le même endroit, leur opercule. L'animal paît en allongeant sa trompe ou langue sous cet opercule : (89c) la pourpre a la langue plus longue qu'un doigt ; c'est avec cela qu'elle paît, perce les autres coquillages, et sa propre coquille. La pourpre et le buccin vivent assez longtemps, même jusqu'à six ans ; leur accroissement s’aperçoit manifestement par les contours spiraux de la coquille Les conques, les cames, les solens, les peignes prennent tous leur accroissement dans les fonds sablonneux ; 36. mais les pinnes s’attachent droites avec leur byssus : elles ont dans leur coquille leur gardien ou pinnophylax, qui est, dans les unes, une petite squille, dans les autres, un petit cancre ; (89d) lorsqu'elles en sont privées, elles périssent bientôt. Pamphile d'Alexandrie dit même, dans son traité des noms, que ce gardien y naît avec elles. Chrysippe de Soli nous apprend, dans son cinquième livre sur l’honnête et la volupté, que la pinne et le pinnothère (gardien de la pinne), se prêtent un mutuel secours, et ne pourraient pas subsister séparément. La pinne, ajoute-t-il, est un coquillage, et le pinnothère un petit cancre : la pinne, après avoir ouvert ses valves, se tient tranquille, attendant les petits poissons qui y entrent : (89e) le pinnothère, qui se trouve là, mord la pinne, pour l'avertir lorsqu'il y est entré quelque chose : la pinne mordue, ferme aussitôt ses valves, et ils mangent en commun ce qui se trouve ainsi pris. Quelques-uns disent que les pinnothères naissent avec les pinnes et de la même semence, ou du même sperme. Aristote dit encore que toutes les huîtres naissent dans la vase bourbeuse, au lieu que les conques et les autres coquillages mentionnés viennent dans les fonds sablonneux. Les téthyes, les glands, et ceux qui sont à fleur d'eau, tels que les lépas, les nérites, viennent dans les fentes des roches : (89f) 39. ceux qui n'ont pas de coquilles, tels que les orties de mer, les éponges, se forment, comme les testacées, dans les fentes des pierres. Il y a deux espèces d'orties, les unes se forment dans des creux, et ne se détachent pas ; les autres sont sur des surfaces lisses et planes, d'où elles se détachent pour passer d'un lieu à un autre. [3,90] Autolycus appelle les knides (orties) acalèphes. Chap. XII. Aristophane dit aussi dans ses Phéniciennes: « Fais en sorte que l'asphodèle vienne avant tout, et ensuite les orties piquantes (akalephas). » Il s'est aussi servi de ce mot (acalèphe) dans ses guêpes. Phérécrate l'emploie aussi dans ses transfuges : « Oui, par Cérès, c'est une chose bien pénible que d'entendre mal chanter! j'aimerais mieux être couronné d'orties pendant toute la chanson. » Diphile de Siphne, le médecin, dit que l'ortie (acalèphe) fait du bien au ventre, provoque les urines, et que l'estomac s'en accommode bien : que si on la prend sans s'être frotté les mains avec de l'huile, elle cause une inflammation. En effet, on ne peut la pêcher sans en ressentir du mal ; c'est donc par abus des mots qu'on l'a appelée akalèphe (ou agréable au toucher) ; (90b) la plante qui porte ce nom, l'a peut-être eu par cette même raison; ainsi c'est un euphémisme qui a autorisé ce nom par antiphrase, car l'ortie, loin d'être douce et molle au toucher, est âpre et fort désagréable. Au reste, Philippide fait mention de l'ortie de mer dans son Amphiaraüs. « Il me présenta des huîtres, des orties (akaleephas), des lépas. » Ce qu'on lit sur ce mot dans la Lisistrate d'Aristophane est une bouffonnerie : « O vous! la plus utile des téthyes et des petites mères orties! (akaleephoon). » Les téthyes sont des coquillages; or, le poète réunit ici, en plaisantant, les mots teethee (nourrice) et meetridion (mère ou matrice). 40. Diphile écrit ceci sur les autres coquillages : « Parmi les cames qui se trouvent dans les roches, les unes sont petites, (90c) la chair en est légère, stomachique, et passe facilement ; on les met au rang des huîtres : les autres sont grosses, et quelques-uns les appellent basiliques, et même pelories, ou monstrueuses; elles sont nourrissantes, stomachiques, mais passent difficilement, surtout les plus grandes. » « La côte de Canope produit beaucoup de tellines : elles se multiplient pendant l'accroissement des eaux du Nil. Parmi ces coquillages, celles qu'on y appelle tellines royales, sont les plus minces; (90d) elles facilitent les selles, et font un aliment léger et bien nourrissant ; celles du fleuve même ont une saveur plus douce. Les moules mâles nourrissent médiocrement, passent vite, et sont diurétiques. Les plus substantielles sont celles d'Éphèse, surtout pendant l'automne : les moules femelles, surtout les plus petites, ont une saveur douce, sont d'un fort bon suc, et nourrissantes. Les solens, que quelques-uns appellent aussi tuyaux, roseaux, ongles, ont beaucoup de suc, mais visqueux et de mauvaise qualité : les mâles sont rayés, et de couleur bleuâtre; ils sont utiles à ceux qui ont la pierre, et à ceux qui urinent difficilement. (90e) Les femelles n'ont qu'une couleur, et sont d'une saveur plus douce. On les mange bouillis, ou frits dans la poêle; les meilleurs sont ceux qu'on laisse rôtir sur les charbons, jusqu'à ce qu'ils s'ouvrent. On appelait Solénistes ceux qui pêchaient ces coquillages, selon le rapport de Phanias d'Érèse, dans son ouvrage intitulé : Les Tyrans punis de mort. Voici ses termes : « Philoxène, surnommé Soléniste, d'orateur devint tyran ; il fut d'abord pêcheur, et vivait en prenant des solens : (90f) s'étant procuré des fonds qu'il mit dans le commerce, il acquit du bien. » Les plus tendres des peignes sont les blancs; le suc en est bon, et ils n'ont pas d'odeur forte : quant aux noirs et aux roussâtres, les plus grands, surtout au printemps, flattent plus le palais. En général, les peignes vont bien à l'estomac, digèrent aisément, passent de même, si on les prend avec du cumin et du poivre. Archippus en parle dans ses Poissons : « Aux lépas, aux oursins, aux tarets; aux aiguilles, aux peignes. » [3,91] (91a) Les glands sont ainsi appelés de leur ressemblance avec le gland du chêne ; ils diffèrent selon les lieux : ceux d'Egypte sont doux, tendres, savoureux, nourrissants, pleins de suc, diurétiques, et lubrifiants ; les autres sentent trop la marée : quant aux oreilles, on les trouve dures à digérer, mais nourrissantes, frites dans la poêle. Les pholades flattent le palais; mais, outre leur odeur forte, elles ont un mauvais suc. 41. Les oursins sont tendres, d'un bon suc, ont une odeur forte, remplissent beaucoup, s'altèrent aisément ; mais pris avec de l'oxymel, du persil, de la menthe, ils vont bien à l'estomac, ont une saveur douce et un bon suc : (91b) les rouges, les jaunes, les plus épais, et ceux qui rendent un suc laiteux lorsqu'on en ratisse la chair, sont les plus utiles à la santé. On trouve un peu amères ceux qui viennent près de Céphalénie, d'Icarie et d'Adria ; mais les oursins du rocher de Sicile lâchent le ventre. Aristote dit qu'il y a plusieurs espèces d'oursins ; une dont on mange, et que c'est celle où l'on trouve des œufs. Il en compte deux autres, savoir, celles des spatangues et des brisses : Sophron parle aussi des spatangues. Aristophane les rappelle dans ses Holcades: (91c) « Il déchire, il met en pièces, il lèche le bas de mon spatangue. » Chap. XIII. Épicharme dit, dans ses noces d’Hébé, au sujet des oursins : « Le cancre et l'oursin viennent, sans savoir nager, par la mer; mais ils s'avancent seuls à pied. » Démétrius de Scepse nous fait le détail suivant dans le 28e livre de l'ordre de l'armée Troyenne : « Un Lacédémonien est invité à un repas ; on présente sur la table des oursins, et il en prend un, sans connaître l'usage de cet aliment, (91d) et même sans faire attention à la manière dont les convives le prenaient : l'ayant donc mis dans sa bouche avec sa coquille, il le broya sous la dent : trouvant de la difficulté à le mâcher, et ne pouvant comprendre la résistance de ce coquillage plein d'aspérités, il s'écria : ô! manger détestable! non, je ne te lâche plus après t'avoir broyé, mais de la vie je ne te touche plus. » Les hérissons, tant de terre que de mer (oursins), savent se munir contre ceux qui les cherchent, en opposant leurs épines comme une palissade. Ion l'atteste dans son Phœnix, ou Cænée ; voici ce qu'il dit : « Je préfère sur terre la manière d'agir du lion, (91e) à la malheureuse ruse du hérisson, qui, lorsqu'il sent l'odeur des autres animaux, forme de son corps un globe épineux, et s'abandonne sans pouvoir ni mordre l'ennemi, ni lancer ses épines. 42. Diphile, parlant des lépas, dit : « Les uns sont petits, les autres semblables à des huîtres. La chair en est dure, peu succulente ; elle a une légère acrimonie, flatte le palais, et digère bien. Bouillis, les lépas sont assez savoureux : les pinnes sont diurétiques, nourrissantes, difficiles à digérer et à passer ; il en est de même des buccins. Ce que l'on appelle le cou dans l'animal de ce coquillage, va bien à l'estomac, et digère lentement; c'est pourquoi un estomac faible s'en trouve bien : cela fait un aliment médiocrement substantiel, et qui passe doucement. Quant à la partie qu'on nomme mécon ou pavot, et qui se trouve dans le fond, elle est tendre, digère aisément, et va bien, par cette raison, aux estomacs faibles. (91f) Les pourpres tiennent, par les qualités, un milieu entre la pinne et le buccin ; le cou en est plein de suc, savoureux : le reste a une saveur salino-douceâtre, se distribue bien dans la masse des humeurs, et est utile pour en maintenir la crase. » [3,92] (92a) Les huîtres naissent dans les fleuves, les étangs, et dans la mer : celles de la mer sont excellentes, lorsqu'il se trouve dans le voisinage un étang ou une rivière : elles sont alors d'un bon suc, plus grandes et plus douces ; mais celles qui naissent sur les rivages, les pierres, où il n'y a point de vase avec de l'eau, sont petites, dures, et d'un goût acrimonieux. Quant aux huîtres de printemps, et celles qu'on prend lorsqu'on touche à l'été, elles sont pleines, abreuvées d'une eau muriatique mêlée de douceur : elles vont bien à l'estomac, et passent facilement. Celles qu'on fait bouillir avec de la mauve, ou de la patience, ou du poisson, ou seules, nourrissent bien, et lubrifient le ventre. (92b) 43. Mnésithée d'Athènes dit, dans son traité des Comestibles : Les huîtres, les conques, les moules, et semblables, ont la chair dure à digérer, à cause de la saumure qu'elles contiennent ; c'est pourquoi, lorsqu'on les mange crues, elles lâchent un peu le ventre par l’effet de cette saumure ; mais si on les mange cuites, elles déposent cette liqueur, ou en tout, ou en partie, dans le fluide où elles bouillent : aussi les fluides dans lesquels on a fait bouillir quelques coquillages, troublent le ventre, et le lâchent. Quant aux huîtres, mangées sans leur liqueur, elles causent des vents; (92c) mais si on les mange rôties comme il faut, elles deviennent un aliment innocent, vu l'effet du feu : voilà pourquoi elles ne sont pas d'une digestion si difficile que les huîtres crues; d'ailleurs elles ont perdu leur liqueur : or, c'est-là ce qui lâche le ventre. Toute huître fournit un aliment humide et lent à digérer, et rend les urines difficiles à passer : l’ortie de mer, les œufs d'oursin et autres semblables, fournissent un aliment humide et peu substantiel ; ils lâchent le ventre, et provoquent les urines. 44. Nicandre de Colophone nous présente ces espèces de coquillages dans ses Géorgiques : (92d) « Ou autant de coquillages qui se nourrissent dans le fond de la mer : les nérites, les trompes, les palourdes, les moules visqueuses, les solens, les pinnes concaves. » Archestrate dit dans sa Gastronomie: « Ænos a de grandes moules, et Abydos des huîtres ; Parium, ses oursins de mer; Mitylène, ses grands peignes ; Ambracie en fournit aussi beaucoup, et outre cela nombre de choses : à Messine, se trouvent, près du détroit, les conques pélorides. Vous pêcherez à Éphèse des cames, qui même ne sont pas mauvaises : (92e) Chalcédon vous donnera des téthyes; et toi, Jupiter, puisses-tu écraser les buccins, tous ces enfants de la mer, et ceux des places publiques, excepté un seul homme! car c'est mon ami: il demeure à Lesbos, si fertile en vin, et se nomme Agathon. » Philyllius, ou l'auteur quelconque des Villes, fait mention des cames, des lépas, des solens, des moules, des pinnes, des peignes de Méthymne, et des huîtres (ostreia). Ce mot ostreia était le seul en usage chez les anciens. Cratinus dit dans ses Archiloques : (92f) « Elle est semblable aux pinnes et aux huîtres (ostreiois). » Épicharme dit aussi : « Des huîtres (ostreia) fermées. » Mais ensuite on a dit (ostréon) huître, comme (ornéon) oiseau. Platon écrit dans son Phèdre : « Liés ou fermés comme une huître (ostréon). » On lit dans son Timée : « Toutes ces espèces d'huîtres (ostréon). » Il a dit, dans le dixième livre de sa République, que les huîtres (ostréa) se fermaient; et en outre : « Les huîtres et les phycis. » Quant aux palourdes, elles ont été ainsi nommées du mot pelorios, c'est-à-dire, monstrueux, car la péloride (palourde) est plus grande que la came, et en diffère aussi par la forme. [3,93] (93a) Selon Aristote, les pélorides naissent dans le sable : Ion de Chio en fait mention dans ses Epidémies ; peut-être que ces coquillages ont pris le nom de chame du mot chaino, qui signifie s'ouvrir. 45. Il n'est pas hors de propos de parler des coquilles des Indes, à cause de l'usage qu'on fait des perles qu'on en tire. Théophraste en fait mention dans son traité des pierres : Ce que l'on appelle perle, dit-il, est une des pierres que nous admirons : elle est diaphane de sa nature. On en fait des colliers très précieux : elle croît dans un coquillage analogue à la pinne, (93b) mais plus petit : elle a le volume d'un œil assez grand de poisson. Androsthène en parle, ainsi dans sa navigation le long des côtes de l'Inde. « Les trompes, les porcelaines, et les autres coquillages y sont d'une bigarrure charmante, et d'une beauté supérieure à celle des nôtres. On y voit surtout quantité de pourpres et d'huîtres: il y en a une particulière que les habitants nomment berbère, de laquelle croît la pierre appelée perle : elle est très chère en Asie, et on la vend au poids de l’or par toute la Perse, et dans les contrées supérieures. La figure du coquillage ressemble presqu'à celle du pétoncle: il n'est cependant point cannelé, mais présente une surface (93c) un peu raboteuse : on n'y remarque pas deux oreilles, mais une seule, comme au peigne. La pierre mentionnée croît dans la chair même de l'animal, comme les grains de ladrerie dans les porcs sursemés : il s'en trouve d'une couleur très semblable à celle de l'or; de sorte qu'il est difficile de les différencier en les mettant en parallèle : d'autres sont argentines; il en est aussi de parfaitement blanches, et entièrement semblables aux yeux de poissons. » Chap. XIV. Charès de Mitylène dit, dans le septième livre de l'histoire d'Alexandre : On pêche dans la mer de l'Inde, de même que près de l'Arménie, de la Perse, de la Suziane, de Babylone, (93d) un coquillage semblable à l'huître ; il est gros, allongé, contenant une chair de grand volume, blanche, et de très bonne odeur. On en tire des os blancs, que l'on appelle perles, et l'on en fait là des colliers, des bracelets, des cordons pour les pieds : les Perses, les Mèdes, et tout les Asiatiques préfèrent ces ornements à ceux qui sont faits d'or. 46. Isidore de Characène nous dit, dans sa description de la Parthie : (93e) Il y a dans le golfe Persique une île où l'on trouve beaucoup de perles : c'est pourquoi il y a tout autour de l'île des radeaux de joncs, d'où les pêcheurs se jettent et plongent jusqu'à vingt brasses, pour rapporter, du fond, des conques bivalves. Ils disent que la pinne (ou l'huître) produit le plus de perles, lorsque le tonnerre est le plus fréquent, et qu'il y a de grandes pluies orageuses : qu'en outre, ces perles sont fort grandes. Les pinnes qui les produisent se cachent ordinairement dans les trous profonds de la mer pendant l'hiver; (93f) l'été, elles traversent les eaux, s'ouvrent pendant le jour, et restent fermées pendant la nuit; toutes celles qui s'attachent aux pierres et aux pointes des roches, s'y implantent comme avec des racines. Arrêtées dans ces endroits, elles y produisent la perle ; elles se reproduisent, et se nourrissent par une appendice attachée naturellement à leur chair : cette appendice est adhérente à la bouche de la conque, et elle a des serres avec lesquelles elle introduit la nourriture; c'est un corps qui fait en quelque sorte la fonction du petit cancre, appelé le gardien de la pinne : la chair se prolonge depuis là, jusqu'au milieu de la conque, comme une racine, le long de laquelle la perle, produite, prend son accroissement dans la partie solide de la conque, et se nourrit tant qu'elle y reste ; [3,94] (94a) mais lorsque la chair se porte le long et au-dessous de cette excroissance, et sépare la perle de la conque en la coupant peu-à-peu, elle l'embrasse, quoique sans pouvoir la nourrir : tout l'effet qu'elle y produit alors, c'est de la rendre plus pure et plus brillante. La pinne qui réside au fond de la mer, produit une grosse perle, et la rend plus pure et plus brillante : celle qui vient à la surface de l'eau, étant frappée des rayons du soleil, en produit d'une couleur terne, et moins grosses. Les plongeurs qui pèchent les perles, ont un danger à craindre (94b) lorsqu'ils portent la main sans précaution dans la conque ouverte; car l'animal la ferme aussitôt, et souvent les doigts de ces gens en sont coupés : on en a même vu mourir sur le champ. Ceux, au contraire, qui ont l'adresse de glisser obliquement leur main sous la conque, l'arrachent facilement de la roche. Ménandre fait mention des émeraudes dans une de ses pièces: « Il fallait que ce fussent des émeraudes et des sardoines. » Il faut dire en grec maragdos, et non smaragdos ; car l'émeraude (maragdos), pierre brillante, a été ainsi nommée du mot marmairein, briller, éclater. (94c) 47. Après ces mets, on servit des plats où il y avait différentes sortes de viandes bouillies dans l'eau; des pieds, des têtes, des oreilles, des mâchoires; outre cela, des intestins, du gras-double, dès langues, comme on en voit ordinairement dans les ephthopolies, ou charcuteries d'Alexandrie; car, mon cher Ulpien, on trouve ce mot ephthopolie dans Posidipe. Aussitôt on demanda quel écrivain avait parlé de chacune de ces choses; quelqu'un dit : Aristophane a fait mention d'un plat de gras-double ; « Je dirai que tu vends au peuple des gras-doubles dont tu n'as pas payé le dixième. » (94d) Et ensuite: « Pourquoi donc, mon cher, m'empêches-tu de laver ce gras-double, de vendre du boudin, et te moques-tu de moi? » Il dit encore ailleurs : « Je vais commencer par avaler une caillette de bœuf, un estomac (ou gras-double) de cochon, en buvant même par-dessus le bouillon, et de là je vais entreprendre tes orateurs, sans m'essuyer la barbe, ni me laver les mains, et bien haranguer Nicias. » Il écrit encore : (94e) « Cette fille, née d'un valeureux père, mange, hélas! un chétif morceau de viande bouillie, un lambeau de colon, de caillette et de gras-double. » Cratinus parle de mâchoire dans son Richard: « Il se battait pour une mâchoire de bœuf. » Sophocle dit, dans son Amycus : « Il fait servir de tendres mâchoires. » Platon écrit dans son Timée : Il lia avec (les tendons) l'extrémité des mâchoires, à l'endroit où les deux parties du visage se réunissent. Xénophon dit, dans son art d'élever les chevaux, (94f) une mâchoire menue et courte. D'autres prononcent ce mot en grec avec un y (syagoon) mâchoire, et le rapportent à celui de hys, cochon : de là, syagoon. Epicharme parle des intestins qu'il appelle oryes, dans une pièce à laquelle il a même donné ce nom. Aristophane écrit, dans ses Nuées : « Qu'on serve une fraise, à mes dépens, à ces penseurs. » On lit dans la Pytine de Cratinus: « Que ce bout d’intestin est grêle, dit-il! » Chap. XV. Eupolis a dit, dans ses Chèvres, de même qu'Alexis, dans sa Leucadie ou ses Fugitifs: [3,95] (95a) « Il parut alors un bout grêle d'intestin, et un lambeau de (184), etc. » Antiphane dit, dans ses Noces : « Ayant coupé le milieu de l'intestin. » 48. Alexis fait mention de pieds, d'oreilles, et de groins dans son Crateias, ou Pharmacopole. Je rappellerai plus bas son témoignage, contenant plusieurs dès termes que nous cherchons. Théophile a dit, dans son Pancratiaste : « A. Trois mines de viandes bouillies. B. Ensuite? A. Un groin, un jambon, (95b) quatre pieds de cochon. B. Quoi, tout cela! A. Encore trois pieds de bœuf! » Anaxilas dit, dans ses Cuisiniers : « A. Ma foi, il me semble qu'il vaut mieux griller des petits poissons, que de s'occuper des vers d'Eschyle. B. Que dis-tu, de petits poissons? Est-ce donc des malades que tu vas traiter? Çà, fais bouillir des abattis, des groins, des pieds. » Le même écrit, dans sa Circée : « Mon cher Cinésias, il a un terrible groin de cochon! » Et dans sa Calypso : (95c) « Ce fut alors que je m'aperçus que j’avais un groin de cochon. Anaxandride a nommé les oreilles, dans son Satyre. Axionicus dit, dans sa Chalcis: « Je fais une sauce, que je jette sur mon poisson tout chaud, arrangeant bien les restes demi-mangés. Je saupoudre de sel, et je répands du suc de silphium sur des oreilles de cochon : je coupe un boudin ; je joins à cela un lambeau de fraise ; je marine bien dans le vinaigre un groin ; de sorte que tout le monde convint que le lendemain de la noce valait mieux que le jour même. » (95d) Aristophane a dit, dans son Proagon : « Mon fils, vois si je ne suis pas malheureux! j'ai mangé de la fraise ; comment pourrai-je actuellement manger de ce groin rôti? » Phérécrate écrit, dans ses Rêveries : « Mais n'est-ce pas réellement là un groin de cochon? Selon ce que dit Polybe, dans le sixième livré de son histoire, il y a près de Strate, en Etolie, un lieu qui s'appelle Rynchos ou Groin. Stésichore dit, dans sa Chasse au Sanglier : « Que cet animal cache en terre le bout de son groin. Nous avons déjà observé que le mot rynchos, groin, se dit proprement du cochon ; (95e) mais il s'est dit aussi d'autres animaux. Archippus l'a même employé par plaisanterie dans son second Amphitryon, en parlant de la face de l'homme: « Et cela, ayant un groin aussi allongé! » Ararus dit aussi dans son Adonis : « Car le Dieu tourne son groin vers nous. » 49. Aristophane parle des abattis, dans son Aiolosikon: « Je t'ai fait cuire, pour souper, quatre (95f) abattis succulents. » On lit dans sa Gérytade: « Des abattis, des pains, des langoustes. » Antiphane dit ; dans sa Corinthienne : « A. Après quoi l’on servit un abattis de cochon pour Vénus. B. Vous badinez! ignorez-vous donc, mon maître, que dans Chypre elle aime tant les cochons, qu'elle a défendu qu'ils y mangeassent de la merde, ordonnant en même temps que cela fût réservé aux bœufs. » [3,96] Callimaque (96a) (ou Zénodote, dans ses mémoires historiques) atteste qu'on sacrifiait réellement le cochon à Vénus. Il s'explique ainsi : Les Argiens sacrifient des cochons à Vénus; et cette fête s'appelle hysteria, ou sacrifice de porc. On lit dans les Mineurs de Phérécrate : « Il y avait auprès, sur des plats, des jambons très tendres, avec toute la jambe, et des abattis cuits à deux reprises. » On lit dans les Jeux de hasard d'Alexis : « Nous avions presque déjà dîné avec un abattis. » Il dit encore, dans sa Veillée ou ses Fileuses: « Ces mêmes viandes sont à demi-cuites : quant au miroton, il est perdu : (96b) le congre est bien cuit; mais les abattis ne le sont pas. » Phérécrate fait mention de pieds bouillis, dans son Valet-Maître : « A. Pendant qu'on apprête le souper, voudriez-vous bien nous dire ce qu'il y a? B. Il y a vraiment un tronçon de saline, de l'anguille, un petit calmar, de l'agneau, un bout d'andouille, un pied bouilli, un foie, des côtelettes, quelques petits oiseaux, du fromage au miel, et chacun aura son plat de viande. » Chap. XVI. On lit, dans le Parasite d'Antiphane: « A. Des pieds de porc tout chauds. B. Voilà un (96c) charmant dîné, certes! A. Outre cela, il y avait beaucoup de fromage tremblotant sur les viandes bouillies. » Écphantide écrit, dans ses Satyres : « S'il faut même manger bouillis des pieds de cochon que tu auras achetés. » Aristophane fait ainsi mention des langues, dans ses Tagénistes: « En voilà assez d'aphyes pour moi ; je suis gonflé d'avaler de ces substances grasses ; mais apportez-moi du foie cuit entre deux plats, ou un cou de marcassin : s'il n'y en a pas, donnez-moi des côtes, ou une langue, ou une rate, s'il y en a : autrement, apportez-moi, avec de petits gâteaux tout chauds, le bas-ventre d'un cochon de lait d'automne. » (96d) 50. Chap. XVII. Après le récit de tant de passages sur ces différents mets, les médecins qui se trouvaient à table, payèrent aussi leur écot avant de toucher de rien. Dionysioclès dit donc : Mnésithée d'Athènes avance, dans son traité des Comestibles, que la tête et les pieds de cochon n'ont rien de bien nourrissant ni de succulent en soi. - - - Léonides prit alors la parole : « Démon dit, dans le quatrième livre de son histoire de l’Attique, qu'Aphéidas, roi d'Athènes, ayant été tué par Tymœtes, son jeune frère naturel, celui-ci monta sur le trône. Mélanthe, Messénien, étant banni de sa patrie sous son règne, alla consulter la Pythie, pour savoir où il fixerait sa demeure : (96e) elle lui répondit que c'était où, après avoir reçu les présents d'hospitalité, on lui servirait pour souper des pieds et une tête. Or, c'est ce qui lui arriva à Eleusis. Les prêtresses ayant célébré une des fêtes de la patrie, et toutes les chairs de la victime étant consumées, à l'exception de la tête et des pieds qui restaient, elles les envoyèrent à Mélanthus. » 51. On servit ensuite une vulve, vraiment métropole, et mère des enfants d'Hippocrate, qui ont été le sujet des sarcasmes des Comiques, à cause de leur cochonnerie. (96f) Ulpien jetant les yeux sur ce plat : çà, mes amis, où trouve-t-on le mot métra? car nous avons déjà la panse assez pleine; il est temps de jaser. Quant à nos Cyniques, je leur impose silence ; ils ont assez pâturé: ils peuvent cependant, s'ils veulent, ronger les os des mâchoires et des têtes : en qualité de chiens, cette jouissance leur est due : d'ailleurs ils se font honneur de ce titre. [3,97] (97a) Euripide n'a-t-il pas dit, dans ses Crétoises, qu'il faut jeter les restes aux chiens? Les Cyniques, toujours amateurs de franches-lippées, ne songent guère à ce que Platon a dit dans son Protagoras : « Disserter sur la poésie, c'est se comporter comme on le fait dans les festins de la plus basse populace. » Comme ces gens ne peuvent lier entre eux aucune conversation, ni même se parler lorsqu'ils sont à boire, vu leur grossière ignorance, ils louent des joueuses de flûtes, se procurant à grand prix le son de ces instruments, et la voix de ces femmes ; (97b) au moyen de quoi ils se trouvent liés entre eux : mais lorsque des gens d'honneur et instruits se réunissent à table, vous n'y verrez pas de joueuses de flûtes, de psaltérion, de danseuses ; vous verrez au contraire ces personnages se suffire à eux-mêmes sans la ressource de ces niaiseries, de ces jeux ; ils parleront, se feront entendre tour-à-tour avec décence, lors même qu'ils auront plus qu'une pointe de vin. Mais, Cynulque, vous autres Cyniques vous buvez, ou plutôt vous avalez jusqu'à la dernière goutte, et, comme ces joueuses de flûtes et ces danseuses, vous ne faites que troubler le plaisir de la conversation ; (97c) vivant, comme dit Platon dans son Philèbe, non en hommes, mais en vrai poumon ou comme tous ces corps animés qu'on range parmi les coquillages marins. 52. Cynulque furieux, répond : goinfre, esclave de ton ventre! non, tu ne connais pas autre chose; le moindre discours suivi est au-dessus de ta portée; tu ne sais raconter aucun trait d'histoire ; jamais tu ne dis deux mots avec grâce, et tu passes tout le temps de ta vie à demander, ce mot se trouve-t-il, ne se trouve-t-il pas? (97d) le dit-on, ne le dit-on pas? tu ne t'occupes qu'à épiloguer sur tout ce qui fait le sujet de la conversation : ramassant des épines, comme si tu étais toujours au milieu des ronces et de l'arrête-bœuf, tu ne cueilles aucune des fleurs les plus agréables. Chap. XVIII. N'est-ce pas toi qui as appelé épinomis, ce que les Romains appellent étrennes, selon l'usage de leur patrie, et qu'ils donnent à leurs amis? Nous voudrions bien savoir si tu te proposais en cela d'imiter Platon : ou, si tu as observé que quelqu'un ait produit cette dénomination, fais-nous connaître qui; pour moi, je sais qu'on appelle épinomis certaine partie d'une galère à trois bancs de rameurs, comme Apollonius le fait voir dans son traité des galères. (97e) N'est-ce pas aussi toi qui, demandant ta cape (phelooneen) neuve, et qui n'avait pas encore servi (car le mot pheloonees est de notre langue, mon cher), dis à ton valet : Leuce, donne-moi ma cape, phœnoleen, qui ne vaut rien, achreston? Allant un jour au bain, n'as-tu pas répondu à quelqu'un qui te demandent, où vas-tu? je vais apoloumenos, mot équivoque, qui signifie ou périr, ou me baigner. Or, ce fut ce jour-là même que cette belle cape (pheloonou) de Canose te fut volée par des filous; de sorte qu'il s'éleva de grands éclats de rire dans le bain, lorsqu'on chercha cette cape, qui, selon ton expression, ne valait rien : achrestos. Une autre fois, messieurs, (97f) et le fait que je vais vous raconter est vrai, il heurta contre une pierre, et se blessa à la jambe ; lorsqu'il fut pansé, il sortit quelques personnes lui demandant, qu'as-tu donc Ulpien? Oh! ce n'est qu'une sugillation. Ne pouvant plus me tenir de rire, car j’étais avec lui, j'entrai, en le quittant, chez un médecin de mes amis, et je m'appliquai au-dessous des yeux un onguent épais. On ne manqua pas de me dire : qu'as-tu donc? Oh! dis-je, ce n'est qu'une contusion à la jambe. 52. Je connais un autre personnage fort jaloux de cette érudition neuve. [3,98] C'est Pompéien de Philadelphie : (98a) cet homme n'est pas sot, mais il est toujours à l'affût des mots nouveaux. Parlant un jour avec son valet, il lui dit à haute voix, en l'appelant par son nom : Strombichide, apportes-moi mes sandales aphorétes (non mettables ou neuves), et mon, surtout achreste (neuf ou vieux) ; car lorsque j'aurai (chaussé) lié ma barbe (hypodeesamenos), je veux aller (appeler) saluer quelques amis. Mais ma saumure est cuite (j'ai la crasse séchée sur la peau), ainsi apporte la fiole d'huile : d'abord nous nous froisserons (frotterons), ensuite nous irons (périr) baigner. Vous ne m'avez pas vu depuis plusieurs jours, disait le même à un de ses amis, c'est à cause des brûlures: or, (98b) notez que c'était au mois que les Romains appellent février, dans le milieu même de l'hiver. Février a eu ce nom, chez eux, selon le roi Juba, du mot februa, qui dénote les libations qu'on y fait pendant plusieurs jours de ce mois, aux mânes des morts, afin de les empêcher d'effrayer le peuple en sortant de dessous terre. Chap. XIX. Le même, voyant célébrer la fête des Panathénées, jour auquel les tribunaux sont fermés, dit : C'est aujourd'hui le jour natal de l’alektoor (coq, ou non mariée), ce jour (cette année) ci est adikos (injuste, ou non de plaids). Un de nos amis revenant un jour de Delphes, sans avoir de réponse à la demande qu'il avait faite au dieu, il appela cet homme achreste (hors d'usage ou sans réponse). (98c) Faisant un discours public, et s'étendant sur les éloges de la capitale de l'empire, il dit : L'empire romain est un prodige, et anypostate (qui ne peut se soutenir, ou à qui rien ne peut résister). 54. Tels sont, mes amis, ces Sophistes si semblables à Ulpien, qui forgent sans cesse une foule de mots. Par exemple, ils appelleront marmite à four le vaisseau destiné à faire chauffer de l'eau, et que les Romains appellent miliarium: ces gens surpassent même de beaucoup en ceci (98d) Denys de Sicile. Celui-ci appelait une fille ménandre, parce qu'elle est en attendant un homme : une colonne était pour lui une ménécrate, parce qu'elle est stable et forte : il appelait un trait ballation, parce qu'on le jette en avant; les trous des souris étaient des mystères, parce qu'ils mettent les souris en sûreté. Athanis nous rapporte, dans son premier livre de l'histoire de Sicile, que ce même Denys appelait un bœuf, garotas, un porc, iacchos. Tel fut aussi Alexarque (frère de Cassandre, roi de Macédoine), fondateur d'Uranopolis: (98e) Héraclide Lembus en parle dans le trente-septième livre de son histoire : Alexarque, dit-il, fondateur d'Uranopolis, introduisit des expressions particulières; il appelait un coq, orthroboas, un barbier, brotocertes, une dragme, argyris; un chœnix était pour lui un hémérotrophis; un crieur, un apyte. Il écrivit un jour en ces termes aux magistrats de Cassandrie: « Alexarque Marraon aux primipiles, salut : « Je vous regarde comme les enfants du soleil; je sais qui a abandonné ceux qui avaient fait des actions dignes des dieux, et qui ont péri par un sort fatal, tiré des urnes de la divinité, tant pour eux que pour (98f) les gardes nés dans les montagnes. » Je crois que la Pythie même ne pourrait nous expliquer le sens de cette lettre. On peut citer à ce sujet, Cléophane dans Antiphane: « C'est vouloir être à la torture. [3,99] Quel avantage y a-t-il pour un homme sensé de suivre dans un Lycée les débats des Sophistes, de ces gens décharnés, sans pain, et si vils; pour dire, comme eux, (99a) telle chose n'est pas encore, puisqu'elle se fait ; car ce qui se fait n'a pas encore été, et si la chose a été auparavant, elle ne se fait pas actuellement, car ce qui n'est pas n'est rien ; mais ce qui n'a pas encore été, n'est pas ce qui a été fait, car cela n'a jamais existé ; c'est de ce qui est qu'une chose se fait : or, s'il n'y a rien d'où elle a été faite, comment, dis-je, a-t-elle pu se faire de rien? Cela est impossible. Mais si cette chose a été faite d'elle-même, je dis encore qu'elle ne peut pas exister, ou que quelqu'un me dise de quoi se ferait ce qui n'est pas? On ne pourra pas sans doute recourir au néant. (99b) Mais qu'est-ce que tout ce verbiage? Apollon, certes, n'y comprendrait rien! » 55. Je sais que Simonide a appelé Jupiter Aristarque; Eschyle a donné à Pluton le nom d'Agésilaüs; Nicandre de Colophone, celui d'Iochéaira à l'aspic. Chap. XX. C'est sans doute pour de semblables raisons que l'admirable Platon ayant dit : Les animaux, les uns xérobatiques, les autres hydrobatiques ajoute les dénominations de xérolrophiques, hygrotrophiques et xéronomiques, au sujet de ceux qui vivent sur terre, dans l'eau et dans l'air. (99c) Il semble que, par là, il ait eu dessein d'avertir ces faiseurs de mots d'éviter le néologisme; il ajoute même expressément : « Si vous évitez cette affectation de mots nouveaux, vous arriverez au terme de la vieillesse, plus sage et plus réfléchi. » Je sais qu'Hérode de l'Attique, rhéteur, nomme trochopède la pièce de bois qu'on passait dans les roues, lorsqu'il voyageait sur son char, dans des lieux d'une pente trop raide ; et cependant Simariste a nommé epochlé, dans ses Synonymes, la même pièce de bois. Le poète Sophocle a appelé quelque part (99d) mochlos ou barre, ce que nous nommerions gardien. « Aie confiance, dit-il, quelque part, je suis une forte barre contre la crainte. » Il s'est aussi servi ailleurs du mot ischas, arrêt, au lieu d’ancre; parce que l'ancre arrête le vaisseau: « Les matelots tirèrent l’ischas du vaisseau, en roulant le câble. » Démade le rhéteur, disait qu'Ægine était la chassie du Pirée; Samos, l’égout d'Athènes; la jeunesse, le printemps du peuple; les murs, l’habit de la ville, et le trompette, le coq commun des Athéniens. Ce même Sophiste, grand forgeur de mots, appelait acatharte, (99e) la femme dont les règles sont supprimées : et toi, Ulpien, où as-tu pris ton mot kechortasmenoi (rassasiés), tandis que l'usage veut qu'on se serve de korestheenai? 56. A ces mots, Ulpien souriant avec certain plaisir : « N'aboie pas, mon ami, ne t'irrites pas jusqu'à nous jeter la bave de ta rage canine ; car voici les jours caniculaires : ainsi apaise-toi plutôt, et, en vrai chien, va flatter de la queue tous ceux qui sont à table. En effet, nous pourrions bien célébrer la fête Cynophonte, au lieu de celle qu'on fait à Argos. » (99f) Mon brave, sache-donc qu'on trouve le verbe chortastheenai, être rassasié, dans les Ulysses de Cratinus : « Vous étiez assis tout le jour à vous repaître (chortazomenoi) de lait. » Ménandre s'est servi du participe (chortastheis) rassasié, dans son Trophonius. Aristophane dit dans sa Gérytade: « Sers, et repais (chortaze) nous de tes monodies. » On lit dans la Tyro de Sophocle : « Nous qui avons reçu nos hôtes avec tous les mets imaginables (panchortoisi). » [3,100] (100a) Eubule écrit dans son Dolon : « Messieurs, je ne suis pas mal pansé (kechortasmai) ; je suis même si plein, qu'en faisant tous mes efforts, je suis à peine parvenu à chausser mes sandales. » Sophile dit dans son Philarque: « Il y aura de quoi se bien bourrer la panse ; et je vois, au prélude, que je ne m'en retournerai pas sans en avoir jusqu'à la gorge (chortastheesomai). Par Bacchus, messieurs, je grille d'y être. » Amphis écrit dans son Uranos: « Rassasiée de toutes sortes de bonnes choses jusqu'au soir. » (100b) Voilà, Cynulque, ce que j’avais à te produire pour le présent : demain, ou pour parler avec Hésiode enneephi, après demain, je te repaîtrai (chortasoo) de coups de bâton, si tu ne me dis en quel auteur on trouve koiliodaimoon, (qui fait un dieu de son ventre). Cynulque, qui gardait le silence, reprit la parole et lui dit : Eh bien, chien, sache-donc qu'Eupolis a ainsi nommé les flatteurs dans sa pièce intitulée l’Homonyme, mais je ne t'en citerai le passage que quand je t'aurai bien rondiné. 57. Tous s'étant fort divertis de ces sarcasmes, Ulpien parla : « Je vais donc achever ce que j’avais à dire sur la vulve de truie. » (100c) Alexis persiflant, dans sa pièce intitulée le Politique, l'orateur Callimédon, surnommé la Langouste, et l'un des chefs de la république du temps de Démosthène, dit : « Tout homme offrirait sans doute sa vie pour la patrie ; mais Callimédon, dit la Langouste offrirait peut-être la sienne pour une vulve bouillie ...» Callimédon était renommé pour sa gourmandise. (100d) Antiphane fait ainsi mention de la vulve dans son Philométor : « Lorsque l'arbre est plein de moelle, il pousse ses fruits. Nous avons le mot métropole, mais non patropole. On appelle meetra une viande très agréable ; mais Métras de Chio est aimé du peuple. » Euphron écrit dans sa Femme livrée : « Mon maître ayant apprêté une vulve, la servit à Callimédon ; ils la mangèrent ensemble : ensuite mon maître le fit sauter. Voilà pourquoi Callimédon fut surnommé la Langouste. » (100e) Dioxippe a dit, dans son Antipornobosque, (Antimango, ou Antileno :) «... Quels mets il désire! qu'il les veut friands! des caillettes, des vulves, des intestins! » On lit dans son Historiographe : « Ils traversèrent de force le portique. Amphicle, qui tenait deux vulves pendues au bras, les faisant voir à quelqu'un, lui dit : Envoyez-moi un tel, si vous le voyez. » Eubule a dit, dans son Deucalion : « De petits foies, des tripes, des mous, des vulves. » 58. Lyncée de Samos, ami de Théophraste, connaissait en outre la sauce qu'on y fait avec le suc de silphium : en décrivant le Banquet de Ptolémée il dit : (100f) Une vulve, assaisonnée avec du vinaigre et du suc de silphium, étant présentée à la ronde. Chap. XXI. Antiphane fait mention du suc de silphium, dans son Dyseros, en parlant de Cyrène: « Je fais voile vers le lieu d'où nous avons été détournés avec violence, disant adieu à tous les chevaux, aux chars, aux coursiers, au silphium, à sa tige, à ses feuilles, à son suc, à la fièvre. » [3,101] (101a) Hipparque fait mention de l'excellence de la vulve d'une truie châtrée. Voici comme il en parle dans son Iliade Egyptienne, etc. « Que j'ai de plaisir à voir dans un grand plat la belle figure d'une vulve qui a avorté, et à sentir la charmante odeur d'un cochon de lait qui rôtit dans le four! » Sopatre dit, dans son Hippolyte : « Mais telle qu'une vulve, qui a avorté d'un beau fétus, très cuite, devenue bien blanche, et toute couverte de fromage. » On lit, dans le Physiologue du même : « Une tranche de vulve de truie, non trop bouillie, (101b) bien imprégnée d'une saumure acéteuse, piquante. » Et dans ses Silphes : « Afin que tu manges une tranche bouillie de vulve de truie, en la trempant dans une sauce, amère et piquante, de rue. » 59. Les anciens ne servaient, en entrant à table, ni vulves, ni laitues, ni aucune des choses que l’on sert actuellement. Archestrate, cet homme si recherché dans l'art de la cuisine, dit que, pendant le repas et en buvant les santés, on faisait usage de parfums. « Pendant le repas, aie la tête couronnée (101c) de toutes les espèces de fleurs dont le sol fécond se pare : parfume-toi la chevelure des essences les plus précieuses : répands, toute la journée, sur de la cendre ardente, de la myrrhe, de l'encens, production odoriférante de la Syrie ; et lorsque tu es en train de boire, qu'on te serve le régal d'une vulve et de la panse d'une truie, bouillie et bien imprégnée d'une sauce faite avec du cumin, de fort vinaigre et du suc de silphium qu'on y joigne de tendres volailles, selon la saison. (101d) Laisse-là ces Syracusains, qui ne font que boire comme des grenouilles, et sans manger. Garde-toi de les en croire, et tiens-t-en aux plats que je te conseille : tous ces autres petits plats, ces pois-chiches, ces fèves, ces pommes, ces figues ne sont que la preuve d'une glorieuse pauvreté. (101e) Saches faire cas des gâteaux d'Athènes. Si tu n'en trouvais pas ailleurs, vois à te procurer du miel attique, car c'est-là ce qui les rend si supérieurs à ceux des autres pays. Voilà comme un homme bien né doit vivre, ou il faut qu'il s'enterre tout vif, ou se précipite dans un gouffre, ou jusqu'au Tartare, à mille lieues de profondeur. » Lyncée, décrivant le repas que donna Lamie, joueuse de flûte, lorsqu'elle traita Démétrius Poliorcète, fait servir aux convives, en entrant à table, toutes sortes de poissons et des viandes. Le même, détaillant le repas que donna le roi Antigone, en célébrant les mystères d'Eleusis, (101f) et celui du roi Ptolémée, fait servir de même des poissons et des viandes au commencement du repas. 60. On lit avec étonnement les beaux préceptes que nous donne Archestrate, ce maître d'Épicure, dans l'art de jouir des plaisirs, lorsqu'il nous dit, avec le ton sentencieux d'Hésiode : N'écoutez pas ce que vous disent tels et tels, mais faites attention à ce que je vous prescris ; mangez de telles et telles choses. On croirait entendre parler ce cuisinier qui s'entretient ainsi dans les Syntrophes du poète Comique Damoxène. [3,102] CHAP. XXII. (102a) « A. Tu vois ici en moi un disciple du sage Épicure ; en deux ans et moins de dix mois, comme je vous ai entassé quatre talents l'un sur l'autre! B. Que veux-tu dire? Explique-toi? A. D'abord je te dirai qu'Épicure était cuisinier : c'est ce que tu ignorais. B. Quel cuisinier, bons dieux! A. Mais, incrédule que tu es, la nature n'est-elle pas le meilleur maître dans tous les arts et y a-t-il rien qui instruise mieux que la pratique? D'ailleurs, c'était une chose fort facile à un homme qui savait déjà par théorie tous les rapports de l'art. (102b) Or, la théorie, en tout, est déjà un grand chemin de fait ; ainsi, quand tu verras un cuisinier qui n'aura pas lu, ou qui ne connaîtra pas, ou plutôt ne tiendra pas par cœur tous les écrits de Démocrite, moque-toi de lui comme d'un ignorant : vas donc t'arranger avec quelque maître qui t'instruise pertinemment du canon d'Epicure, afin que tu puisses dire: Je suis de son école. Il faut, mon cher, savoir d'abord quelle est la différence que présente le glaucisque en hiver et en été ; ensuite (102c) il ne faut pas ignorer quel est le poisson le meilleur au coucher des pléiades et aux solstices ; car les changements des saisons, et les mouvements des astres ont une terrible influence sur les hommes, et produisent nombre d'altérations aux solstices. Comprends-tu bien cela? Mais ce que l'on prend dans sa saison, fait toujours du bien. B. Mais! qui est-ce qui observe tout cela? A. Eh, voilà justement pourquoi ces coliques, ces flatuosités font d'un convive un homme fort indécent : (102d) à ma cuisine, au contraire, l'aliment qu'on sert devient réellement aliment: il digère bien, passe bien partout ; aussi le chyle qui en résulte, pénétrant dans tous les pores, y acquiert, avec uniformité, la densité convenable à la réparation des solides. B. Le chyle, dis-tu? te voilà vraiment un Démocrite! A. N'importe comment cela s'opère : or, ce bon chyle rend l'esprit délié, pénétrant. B. Eh! .... te voilà initié dans tous les mystères de l'art iatrique! A. Oui, et autant qu'aucun autre dans les secrets de la nature. Mais vois, je t'en conjure, (102e) quelle est l'ignorance de tous nos cuisiniers. Il te suffit de considérer comment ils s'y prennent pour faire un plat de différents poissons, dont la fumée n'exhale qu'une seule odeur, en y jetant du sésame trituré : certes, qui par contre m'emploiera, prendra tous leurs ingrédients les uns après les autres, et les jettera en leur pétant au nez. En effet, que peut-il résulter de bon du mélange confus de choses qui ont des qualités si différentes, et réunies par des liaisons si disparates? (102f) Or, le vrai esprit de l'art consiste à bien distinguer toutes ces choses, et non à bien laver des plats, de sorte qu'ils ne sentent pas la fumée. Pour moi, je ne me donne pas la peine d'entrer dans ma cuisine, mais je m'assieds auprès, pour voir seulement ce qui s'y passe, et ce sont d'autres qui travaillent. B. Et toi, que fais-tu donc? A. Moi? je leur explique les causes, et ce qui ne tarde pas d'en résulter. Quitte ce miroton, dis-je à l'un; fais aller le feu, [3,103] qu'on l'entretienne bien sous ces écrevisses : ce premier plat (103a) ne sera pas cuit en même temps que les autres. Voilà, mon ami, comme je fais marcher tout de concert. Mais, cuisiner! moi! fi donc! B. Ma foi, il me paraît que tu t'y entends bien, et que ton art est vraiment quelque chose. A. En outre, je ne fais servir aucun mets inutile à mes convives : tout se trouve entremêlé avec le plus parfait accord. B. Quel accord y a-t-il donc? A. Le même qu'entre le diatessaron, le diapente, le diapason; tout s'y unit par les mêmes intervalles, de la manière dont je fais suivre mes services à propos. Quelquefois je commande d'un peu loin. — Pourquoi touches-tu à cela? Tu vas tout mêler : prends garde, (103b) tu tires-là une pièce qui ne s'accordera pas ; c'est assez de cela : bien! Or, voilà comment Épicure composait l'art de la volupté, et mangeait avec ordre. Non, il n'y a que lui qui ait connu le souverain bien. Les Stoïciens sont continuellement occupés à le chercher, sans l'apercevoir; ainsi ils ne procureront jamais à un autre ce qu'ils n'ont pas, ou plutôt ce qu'ils ignorent. N'es-tu pas de cet avis? Laissons donc là tout ce qui nous est étranger. B. Il y a longtemps que j'ai banni ces rêveries. » 61. Chap. XXIII. Platon le Comique feint, dans sa pièce intitulée le Fourbe Associé, qu'un père est indigné que son fils ait été corrompu (103c) pendant son éducation par le pédagogue qu'il lui avait donné. Il s'exprime ainsi : « A. Scélérat, tu as perdu mon fils, dont tu t'étais chargé, et tu l'as persuadé de prendre un train de vie étranger à sa naissance. C'est toi qui es cause qu'il boit dès le matin ; ce à quoi il n'était pas accoutumé. B. Mais, monsieur, s'il a appris à vivre, pourquoi me blâmez-vous? car, selon les sages, boire, c'est vivre. Certes, Épicure assure que la volupté est le souverain bien : or, peut-on en jouir autrement qu'en vivant sans gêne? (103d) A. Mais, Sosie, tu te rendras peut-être à ce que je vais te dire en deux mots. As-tu jamais vu un philosophe s'enivrer en cédant aux attraits des plaisirs dont tu me parles? B. Tous. Oui, ces gens qui froncent le sourcil, et qui cherchent le sage en se promenant au portique, et dans leurs entretiens, comme un esclave fugitif, lorsqu'on leur sert un glaucisque, savent très bien par où il faut l'attaquer, (103e) et veulent d'abord la tête, au point que les convives sont tous étonnés de ce qu'ils voient. » 62. Un des personnages du Soldat ou Tychon d'Antiphane, exhorte ainsi à profiter de la vie : « Tout homme qui s'imagine posséder quelque chose d'assuré dans la vie est dans une grande erreur. En effet, ou un impôt vous enlève ce qui est à la maison, ou un procès inopiné le dissipe, ou un général d'armée vous met à contribution; ou, si l'on vous nomme pour présider aux spectacles, vous n'avez plus que des haillons, pour avoir fourni des habits couverts d'or au chœur; ou, si vous commandez les flottes, (103f) il ne vous reste plus qu'à vous pendre, ou vous êtes pris sur vos vaisseaux : si vous êtes en voyage, ou dans votre lit, votre domestique vous assassine. [3,104] Il n'y a donc rien de sûr que ce qu'on emploie tous les jours pour ses plaisirs ; mais cela n'est même pas encore trop assuré, (104a) car quelqu'un peut venir enlever la table toute servie. Ne regardez donc comme bien assuré que ce que vous aurez mis entre les dents et avalé. » Le même a répété ces réflexions dans sa pièce intitulée l’Urne. 63. Si donc, mes amis, (104b) nous considérons bien tout cela, ce sera avec raison que nous louerons le charmant Chrysippe, cet homme qui a si bien saisi le génie d'Epicure, et qui appelait la Gastrologie d'Archestrate, la métropole de la philosophie du fils de Néoclès : d'ailleurs, ce poème précieux n’est-il pas la Théogonie de tous ces philosophes et amis de la table et des plaisirs? Mais je me rappelle ce que Théognète disait contre ces philosophes, dans son Spectre ou Philargyre : « A. Mais, en vérité, tu m'assommes. Plein de toutes les subtilités du portique, tu as l'esprit réellement malade. Peste soit de toi! (104c) B. Les richesses ne sont pour l'homme qu'une gelée blanche ; mais la sagesse est son bien propre, une glace solide : quiconque l'a rencontrée, n’a jamais pu périr. A. Que je suis malheureux! À quel philosophe ma destinée m'a-t-elle lié! malheureux, tu n'as étudié que pour t'égarer! Les livres t'ont jeté dans tous tes travers. Tu t'adresses au ciel, à la terre, dans tes profondes rêveries, et ni l'un ni l'autre ne s'inquiètent de tes discours. » 64. Ulpien parlait encore sur ces matières, lorsque les valets entrèrent, apportant sur des plats des langoustes plus grandes que le rhéteur Callimédon, (104d) surnommé la Langouste, à cause de sa passion pour ce mets. Alexis, dans sa Dorcide ou Flatteuse, et les autres poètes comiques l'ont aussi donné pour un grand amateur de poissons. Voici ce qu'en dit Alexis : « Il est arrêté, parmi les marchands de poissons, qu'ils érigeront, dans le marché au poisson, une statue d'airain à Callimédon, le jour des Panathénées. Elle aura à la main droite une langouste grillée, et cela pour désigner qu'il est seul l'appui de leur profession, (104e) tandis que tous les autres citoyens en sont la ruine. » Que nombre de personnes soient passionnées pour les langoustes, c'est ce qu'il serait facile de montrer par plusieurs passages des poètes comiques ; mais il me suffira de citer les Thesmophores d'Aristophane. Voici ce qu'il dit : « A. Quel poisson a-t-on acheté? une petite sèche? de larges squilles? un polype? un neestis? une murène? un chien-de-mer? quelques calmars? B. Ma foi, on n'a rien acheté. A. Pas même de la raie? B. Non, vous dis-je. (104f) A. Quoi, pas de vulve de truie, de chorion, de puos, de foie de sanglier, de rayon de miel, de panse de jeune truie, de petite anguille, de grande langouste, pour ranimer les forces de ces femmes fatiguées de travail? » Le poète appelle ici larges squilles, ce que nous nommons homards, ou écrevisses. Philyllius en fait mention dans ses Villes : Archestrate ne nomme même pas une fois la langouste (karabos) dans son célèbre poème : il emploie partout le mot astacos ; témoin ce passage : [3,105] (105a) « Mais laissant-là tout ce fretin, achète-moi une (astacos) écrevisse qui ait les bras longs, et surtout bien pesants : que les pieds en soient petits, et qu'elle marche lentement sur terre. C'est aux îles de Lipari qu'on les trouve en plus grand nombre, et ce sont les plus délicates : il y en a cependant aussi beaucoup sur les côtes de l'Hellespont. » Or, Epicharme fait voir, dans ses noces d'Hébé, que l’astacos d'Archestrate est vraiment la langouste ou karabos : (105b) « Il y a, dit-il, des astaques, des kolybdènes qui ont de petits pieds et de longs bras (on les appelle karabos ou langoustes). » 65. Cependant la langouste, l’écrevisse de mer, sont deux espèces différentes : il en est de même des squilles. Quant à l'écrevisse, les Attiques disent ostakos pour astakos, comme ostaphis pour astaphis, raisin sec. Epicharme, dans sa pièce intitulée la Terre et la Mer, dit : « Et des astaques gampsonyques, ou écrevisses à pinces crochues. » Speusippe dit, dans le second livre des Choses semblables, que parmi les crustacées, le corbeau, l’écrevisse, la nymphe, l’ours, le cancre, le pagure ou crabe ont beaucoup d'analogie. Selon Dioclès de Caryste, les squilles, les cancres, les langoustes, les homards ou écrevisses de mer flattent le palais, (105c) et sont diurétiques. Nicandre croit qu'Epicharme (dans le passage cité), appelle kolybdène le priape marin ; mais Héraclide dit, dans son art de la Cuisine, qu'il l'entendait de la squille. Aristote nous apprend, dans le cinquième livre de son histoire des Animaux, que les crustacées, tels que la langouste, le homard, les squilles, et autres semblables, s'accouplent comme les quadrupèdes qui jettent leur urine en arrière. Ils s'accouplent près de terre, vers le commencement du printemps. Or, on les a tous vus nombre de fois dans cette action ; mais quelquefois c'est lorsque les figues commencent à mûrir qu'ils s'accouplent. Quant aux langoustes, elles naissent dans les lieux pierreux et raboteux. (105d) Les homards se produisent dans les plages lisses et unies; ni les uns ni les autres ne se tiennent dans la vase : voilà pourquoi on trouve des homards dans l'Hellespont, et aux environs de Thiase ; au lieu que c'est près du Sigée et du mont Athos qu'on trouve des langoustes. Théophraste, dans le traité des animaux qui se cachent dans des trous, dit que les homards, les langoustes, les squilles quittent leur dépouille, et se rajeunissent. 66. Quant au mot karides ou squilles, Éphore dit, dans le premier livre de son histoire, qu'il y avait dans l’île de Chio une ville nommée Karides, fondée, selon lui, par ceux qui s'étaient sauvés du déluge de Deucalion avec Macare, et que l'endroit a encore à présent le nom de (105e) Karides. Archestrate, cet habile maître dans l'art de bien servir une table, donne l'avis suivant : « Si par hasard vous allez à Tasos, ville de Carie, vous y trouverez de grandes squilles, et telles qu'on n'en trouve que rarement à acheter. En Macédoine et à Ambracie, elles sont fort communes. » Araros a dit karide, en faisant la lettre i longue. Voici le passage pris de son Campylion : « Les squilles (karides) bossues sautaient comme des dauphins, (105f) dans la nasse tissue de jonc. » Eubule en a fait autant dans son Orthane ou Priape : « J'ai laissé descendre, ou lâché un esquille (karida), puis je l'ai retirée à moi. » Anaxandride, dans son Lycurgue, se sert du mot karidarion ou petite squille : « Il joue avec de petites squilles (karidariois), de petites perdrix, de petites aloses, de petites plies, de petits boulerots blancs, de petits hermites, et de petits boulerots noirs. » Le même écrit dans son Pandare : [3,106] (106a) « En ne te courbant pas, mon cher, tu seras droit ; mais pour elle, on la voit voûtée comme une squille, et elle se courbe en devant comme une ancre. » On lit dans le Cercius du même : « Je te rendrai plus rouge qu'une squille cuite. » Eubule dit dans les Nourrices : « Une squille de l'espèce des bossues. » Ophélion écrit dans son Beau-Laid : « Il y avait avec cela des squilles bossues sur un sol aride. » On lit dans son Ialème : « Ils sautaient comme font des squilles bossues (106b) sur la braise. » Eupolis a fait i bref dans le mot karis, squille. Voici le passage pris de ses Chèvres : « J'ai cependant mangé une fois des squilles (karidas) chez un Phéacien. » On lit dans ses Peuples : « Ayant le visage aussi rouge qu'une squille maroquinée. » 67. Or, les squilles ont été nommées en grec karides, de kara, qui signifie tête, car leur tête emporte plus de la moitié du corps. Les Attiques font i bref dans karides, et cela conformément à l'analogie ; car le mot vient de kara ou karee, et elles ont une tête très grosse : c'est par la même analogie qu'on a fait grapàis, style, de graphee, écriture; bolis, trait, de bolée, jet: (106c) de même, dis-je, karis est venu de karee ; mais lorsque la pénultième d'un mot est longue, la dernière l'est aussi. Voilà pourquoi i est long au génitif des mots pseephis, calcul, kreepis, sandale, teuthis, petit calmar. Quant à ces crustacées, tels que la squille, le homard, la langouste, le cancre, le lion, Diphile de Siphne, dit qu'ils sont du même genre, quoique de différentes espèces. Le lion est plus grand que le homard. Les langoustes se nomment aussi grapsées, et sont plus charnues que les cancres. Le cancre est pesant, difficile à digérer. Mnésithée d'Athènes dit, dans son traité des Comestibles, que quant aux langoustes, aux cancres, aux squilles, et autres semblables, ce sont des aliments difficiles à digérer, quoiqu'ils le soient beaucoup moins que les autres poissons. Il vaut mieux, selon lui, les manger cuits sur la braise ou rôtis, que cuits dans l'eau. Sophron, dans ses Mimes féminins, a dit kouridas pour karidas : « Vois, ma chère, vois ces belles (kourides) squilles! (106e) vois ces belles écrevisses! considère donc comme elles sont rouges, et ont un velouté lisse! » Épicharme dit aussi dans sa pièce intitulée la Terre et la Mer: « Des (kourides) squilles pourprées. » On lit dans une autre de ses pièces, intitulée Logine ou Logos : « Des aphyes et des koorides courbées. » Simonide écrit: « Le petit calmar avec des thons, des squilles (koorides) avec des goujons. » 69. Chap. XXIV. On servit ensuite des foies rôtis dans la poêle, et enveloppés de la coiffe grasse que nous appelons epiploon. Philétaire écrit epiploion, dans son Térée. Cynulque, jetant les yeux sur ces mets, dit : Eh bien, savant Ulpien! trouve-t-on quelque part un foie ainsi enveloppé? (106f) Je répondrai lorsque tu m'auras dit quel auteur a ainsi nommé de la graisse réunie à une membrane. Comme ils s'agaçaient ainsi, Myrtile leur dit : le mot epiploon se trouve dans les Bacchantes d'Epicharme. Il y dit: [3,107] (107a) « Puis enveloppant (epikampsas) son pain dans de l’epiploon. » On lit dans ses Théores : « Au sujet d'une longe et d'un epiploon. » Ion de Chio s'est aussi servi du mot epicampsas, ou enveloppant, dans ses Voyages : voilà donc, brave Ulpien, l’epiploon bien nommé. Puisses-tu y être enveloppé et brûlé, pour nous délivrer à jamais de tes questions! A présent, il est juste que tu nous cites un passage qui fasse mention d'un foie ainsi arrangé, car tu l'as promis, il y a déjà du temps, lorsqu'on s'occupait de discussions au sujet des pieds et des oreilles. (107b) Il est souvent très bon d'avoir quelque passage en réserve; mais puisque tu ne te rappelles rien, je vais donc te citer un passage du Cratévas ou Pharmacopole d'Alexis : « D'abord ayant aperçu des coquillages chez un vieillard nommé à Nérée, vêtu d'algue marine, je me saisis de quelques oursins; car c'est l'entrée d'un souper apprêté en règle. Sans m'arrêter à tout ce fretin qui était à terre, et qui tremblait que je ne lui fisse quelque mal, je lui dis de se rassurer quant à moi, protestant qu'aucun ne serait insulté de ma main, et j'achetai un grand glauque. Je pris ensuite une torpille, (107c) dans l'intention que ma femme ne sentît pas de mal des épines, si elle s'avisait d'y porter ses doigts délicats. Je pris en outre pour frire dans la poêle, des phycis, des plies, une squille, une phyque, du goujon, une perche, un spare y donnant des couleurs plus variées que celles d'un paon : j'ajoutai quelques viandes, comme des pieds, des groins, des oreilles, un foie de cochon bien coiffé, (107d) car avec sa couleur livide il ne se montre pas volontiers : ainsi je ne veux pas qu'un cuisinier approche de tout cela, ni même qu'il en voie rien; autrement il me la paierait. C'est moi qui veux arranger tout, et certes, avec art, et avec la plus belle distribution. Je vais faire cuire tout si bien, si à propos, que les convives n'auront pas honte de ronger même, de temps en temps, les plats, tant la sauce leur fera plaisir. Cependant je ne me refuse pas à montrer, détailler, enseigner gratis l'art des assaisonnements (107e) et tout le manuel de la cuisine, si quelqu'un veut l'apprendre. » 70. Nous voyons, par les commentaires d'Hégésandre de Delphes, que c'était la coutume d'envelopper ainsi un foie dans une coiffe grasse, autrement dans l’epiploon. Voici un fait qu'il raconte à cet égard : La courtisane Métanire ayant pris un morceau de poumon dans des tranches de foie ainsi enveloppé, se mit à développer cette coiffe grasse ; apercevant ce morceau, elle s'écria ingénieusement: « Ah! je suis perdue! Les circonvolutions de cette enveloppe m'ont fait périr! » C'est sans doute par la même raison que le poète comique Crobule a dit qu'un tel foie avait honte de se montrer, comme le dit Alexis. Voici le passage pris de son Pseudhypobolime ou Faux-Supposé. (107f) « Mange beaucoup de bras fermes de Polype, et avec cela du foie honteux, et des porcs marins. Aristophane a dit képatohn, petit foie, au diminutif, dans ses Tagénistes ; de même que le Comique Alcée dans sa Lutte, et Eubule dans son Deucalion : or, il faut prononcer hepar, foie, avec une aspiration. En effet, nous voyons qu'Archiloque fait une synalœphe, en conséquence de l'aspiration ou esprit rude. « Tu n'as pas de bile dans le foie (g-eph' g-hehpati). » [3,108] (108a) Il y a même un poisson nommé g-hehpatos, qui, dit Eubule dans ses Lacédémoniens, n'a pas de fiel. « Tu me parlais comme tu aurais parlé à un heepar, pensant que je n’avais pas de fiel ; mais, outre que j'en ai, je suis de ces hommes à croupion velu (qu'on ne traite pas comme on veut). » Hégésandre dit, dans ses Commentaires, que l’hépate a dans la tête deux pierres qui, par leur éclat et leur couleur, ressemblent beaucoup aux pourpres, et que la forme en est rhomboïde. 71. Alexis fait mention de poissons propres à frire, tant dans le passage cité ci-devant, que dans son Démétrius : Ébule dit, dans son Priape ou Orthane: (108b) « On y vit danser toutes ces jolies femmes amoureuses, tous ces jeunes damoiseaux nourris de bisques. On y servit de petits calmars, des aphyes du port de Phalère, entremêlés avec des fressures d'agneaux, et qui sautaient dans la poêle comme un jeune cheval qui se cabre sous le joug. Le soufflet réveillait les chiens qui tenaient les coins du feu, et qui étaient forcés de s'éloigner de la vapeur brûlante de la poêle. (108c) L'odeur dispersée venait frapper avec force les narines : la farine, pétrie par la pression des doigts, sifflait, dans le ventre du four, comme la proue d'une trirème qui force de rames, et faisait ainsi du dîner un assez bon prélude pour le souper. » On mangeait aussi des sèches frites (ou rôties) dans la poêle. Philétaire, ou Nicostrate, dit dans la pièce intitulée Antylle : « Oh! que je me garderais bien à présent de manger seul une sèche frite (ou rôtie dans la poêle)! » Hégémon parle, dans sa Philinne, de gens qui mangeaient des œufs frits de poissons : « Avant tout, achète promptement un polype, et donne-m'en le sperme frit à manger. » (108d) 72. Ulpien, à qui ces détails ne plaisaient pas, et qui même en était fort en colère, nous regarde fixement, et nous cite ce passage d'Eubule : « Oh! que c'est bien fait, que ce Myrtille, haï des dieux, sait venu faire ce naufrage dans la poêle à frire! » Car il n'a jamais acheté ni mangé de ce dont il parle; et je le sais d'un de ses valets, qui me cita même ce passage du Rufien d'Eubule : « Je vis chez un Thessalien, homme morose, riche, avare, fripon, gourmand, et qui va justement (108e) jusqu'à la dépense de trois oboles pour chaque repas! » Comme ce jeune valet avait certaine éducation, non qu'il l'eût reçue de Myrtille, mais d'un autre maître, je lui demandai par quel hasard il était tombé depuis peu dans la maison de Myrtille ; il me répondit par ce passage de la Néottis (jeune fille) d'Antiphane. « A. Comment es-tu venu à Athènes avec ta sœur? B. J'y ai été amené par un marchand. Je suis né en Syrie : on nous vendait à l'encan, lorsque cet avare se présenta à nous, et nous acheta. C'est un homme excessivement méchant, (108f) et qui, si l'on excepte du thym, ne fit jamais apporter chez lui un seul des mets de la table du bienheureux Pythagore! » 73. Chap. XXV. A cette plaisanterie amère d'Ulpien, Cynulque cria : donnez du pain (artou), non pas de l'Artos, roi des Messapiens, qui régna dans la Pouille, et au sujet duquel Polémon a fait un ouvrage. Thucydide en a aussi parlé dans son septième livre. Démétrius le comique en fait mention dans sa pièce intitulée la Sicile. Voici le passage : [3,109] (109a) « De-là nous passâmes en Italie avec un vent du midi, et nous abordâmes chez les Messapiens. Artos nous reçut, et nous donna l'hospitalité avec une grande honnêteté : c'est un hôte aussi charmant que grand et magnifique. » Ce n'est pas de cet Artos qu'il me faut, mais un de ceux qui ont été inventés par Sito, surnommé Déméter et Simalis; car sachez que c'est sous ces noms que cette déesse est honorée des Syracusains, comme le dit Polémon, dans son ouvrage concernant Moryque. Il dit aussi, dans le premier livre de l'ouvrage qu'il adresse à Timée, (109b) qu'on avait érigé des statues à Mégalarte et à Mégalomaze dans Scole, bourgade de Béotie. Comme on apportait des pains, et en outre nombre d'autres aliments, Cynulque, les regardant fixement, cita ce passage d'Alexis, pris de sa pièce intitulée au Puits: « Ah, que de pièges les malheureux mortels tendent pour attraper du pain! » 74. Parlons donc aussi du pain; mais Pontien le prévint, et dit : Tryphon d'Alexandrie, si je m'en souviens bien, parle des espèces de pains suivantes, dans son traité des plantes. (109c) Il y a, dit-il, du pain fermenté, du pain sans levain, du sémidalite, du chondrite et du syncomiste : il ajoute que celui-ci rend le ventre plus libre que celui qui est fait de farine pure. Il fait aussi mention du pain de seigle, de tiphee, et de celui de panis. Le chondrite, dit-il, se fait avec de l’épautre, mais non de farine d'orge ; quant à la manière de les cuire, le pain en prenait aussi différents noms. D'abord il y avait l'ipnite (cuit au four), dont Timoclès parle dans ses Pseudolestes ou Faux Larrons: « Voyant qu'on avait laissé là un pétrin ou plateau chaud, je me mis à manger des ipnites tout brûlants. » Il y avait ensuite l’escharite. Antidotos en parle dans son Protochre. (109d) « Ayant pris des escharites tout chauds, eh! comment ne pas le faire! il les roula, et les trempa dans du vin doux. » Crobule dit, dans sa pièce intitulée le Pendu : « Ayant pris un plateau d'escharites de fleur de farine. » Lyncée de Samos, comparant, dans sa lettre à Diagoras, les comestibles qu'on prépare à Athènes avec ceux de Rhodes, s'exprime ainsi : On sert à Rhodes, au commencement et au milieu du repas, des pains qui ne cèdent en rien à ceux qu'on nomme à Athènes pains du marché (agoraioi), et qu'on y vante tant. (109e) Lorsqu'on est rempli, et qu'on n'a plus d'appétit, les Rhodiens font présenter d'excellent pain qu'ils appellent escharite, et qui fait un amusement fort agréable. La douceur et la mollesse y forment le plus parfait accord; et lorsqu'on le fait bien tremper ou macérer dans du vin cuit, l'un et l'autre s'unissent si bien, que le mélange dissipe souvent les fumées du vin qui commencent déjà à porter à la tête : cela rappelle même, à certain point, l'appétit des convives rassasiés.» Le taburite est encore une autre espèce de pain dont Sopatre fait mention dans sa Cnidienne : « Il y avait du pain taburite qui remplit toute la bouche. » Semus parle du pain achainee, dans le huitième livre de sa Déliade, et ajoute qu'on le faisait pour les dames qui célébraient la fête de Cérès, ou les Thésmophores. (109f) C’étaient de larges pains, dont la fête avait même pris le nom de Mégalartie, et ceux qui les portaient, criaient, achaïne tragos, plein de graisse, pour désigner ce pain. Aristophane fait aussi mention de pain cribanite, dans sa pièce intitulée la Vieillesse. Il introduit une boulangère qui, voyant ses pains pillés par des gens qui se moquaient de sa vieillesse, leur dit : « Mais qu'est-ce que cela donc? Quoi, mon fils, tu ne fais aucun cas de ces petits pains tout chauds, si blancs, et qui sortent du four (cribanites)! » [3,110] (110a) Nicostrate cite le pain encryphias, dans son Hiérophante. Archestrate, cet habile maître dans l'art de la cuisine, en parle aussi : je citerai son témoignage, lorsqu'il sera à propos. Eubule parle de pain dipyre ou biscuit, dans son Ganymède: « A. Des dipyres tout chauds. » Mais, selon le Ganymède d'Alcée, ces dipyres sont des pains très délicats. Laganon; c'est un aliment léger, peu nourrissant, surtout l'espèce qu'on appelle apantrhakis, ou tiré de la braise. Aristophane en parle dans ses Concionatrices : « On pétrit du laganon, dit-il. » (110b) Quant à l’apanthrakis, Dioclès de Caryste en parle ainsi dans le premier livre des Choses salubres, ou de la Diète : L'apanthrakis est plus délicat que les laganons. Il paraît que cette espèce de pain se cuisait sur la braise, comme l’encryphias, chez les Athéniens. Lorsque les Alexandrins sacrifient à Saturne, c'est de ce pain qu'ils présentent à manger, à celui qui en veut, dans le temple de ce dieu. 75. Chap. XXVI. XXVII. Épicharme détaille, dans ses Noces d'Hébé (ou dans ses Muses, qui sont la pièce des Noces, retouchée), différentes espèces de pain : Le cribanite, l’homore, le staitite, l'encride, l'aleiphatite, l'hémiartie. Sophron rappelle aussi les mêmes espèces dans ses Mimes féminins : (110c) « Il donna, dit-il, à ses tantes, à souper, des cribanites, des homores, un hemiartie..... » Je sais, mes amis, que les Attiques disent cribanos, four, et cribanite avec la lettre R, au lieu que Hérodote écrit clibanite avec L. Sophron a dit : « Qui est-ce qui pétrira des staitites, des clibanites, des hémiarties? Le même parle encore, dans ses Mimes, d'un pain plakite: Il me traita, dit-il, sur le soir, avec du pain plakite. Le même nomme du pain tyronte, dans sa Belle-Mère : (110d) Je conseille aux enfants de manger du pain tyronte, tout frais. Nicandre de Colophon, dans ses Gloses, appelle daraton, le pain sans levain. Platon le comique, dans sa longue Nuit, parle de pains de Cilicie, qui sont des pains de grand volume et pleins de saletés. « Ensuite il vint pour acheter, non de ces pains purs et nets mais de ces grands pains de Cilicie. » Le même fait mention de pains agelées dans son Ménélas. (110e) Alexis rappelle le pain autopyre dans son Cyprien : « Venant de manger du pain autopyre. » Mais Phrynicus nomme ce pain autopyrite, dans ses Sarcleuses : « Avec des pains autopyrites et du marc d'olive bien gras. » Sophocle a nommé le pain orinde, dans son Triptolème : c'est un pain qui se fait avec du riz, ou une graine qui vient d'Ethiopie, et qui ressemble au sésame. (110f) Aristophane parle des pains collabes, dans ses Tagénistes : « Que chacun, dit-il, prenne un collabe. » Il en fait encore mention dans ce passage : « Le ventre d'un cochon de lait d'automne, avec des pains collabes tout chauds. » Or, ces pains se font avec le bled le plus nouveau, comme Philyllius l'indique dans sa pièce intitulée Augée : « Me voici, apportant avec moi des collabes blancs, chauds, enfants d'un blé moissonné il n'y a que trois mois. » Alcman fait mention de pains méconides, dans son livre quinze. Voici le passage : [3,111] (111a) « Il y avait sept lits, et autant de tables, tout autour desquelles on avait servi des pains méconides avec du persil, du sésame, et après avoir bu, on servit de la chrysocolle. » C'est une petite friandise faite de miel et de farine de graine de lin. Aristophane parle du pain nommé collyra, dans sa pièce intitulée la Paix : « Je vous donnerai un grand collyra, et un kondyle, bien cuit, par dessus. » Il dit, dans ses Holcades : « Et un collyra à ceux qui vont outre-mer, pour aller voir le trophée de Marathon. » (111b) 76. Pain obélie: ce pain est ainsi appelé, ou parce qu'il se vend une obole, comme à Alexandrie, ou parce qu'on le fait cuire dans les moules, en forme de petites broches. Aristophane en parle dans ses Laboureurs : « Ensuite l'un d'eux eut pour sa part des obélies rôties. » Phérécrate dit, à ce sujet, dans sa pièce intitulée Celui qui manque de mémoire : « Olène, fais rôtir cette obélie, mais ne la préfère pas au pain. » On appelle obéliaphores ceux qui portaient ces sortes de pains sur leurs épaules, les jours de fêtes publiques. Socrate nous dit, au sixième livre de ses Surnoms, que c'est Bacchus qui a imaginé le pain obélie dans ses expéditions. Pain etnite: c'est le pain qu'on appelle aussi lekithite (ou fait de farine, où l'on mêle des jaunes d'œufs), comme le dit Eucrates. (111c) Le pain est aussi appelé panos. Les Messapiens disent pania pour plénitude, et panion pour tout ce qui remplit. Blæsus, dans son Mésotribe, Archiloque, dans son Télèphe, Rinthon, dans son Amphitryon, disent pan, et les latins, panis pour du pain. Pain nastos. On appelle pain nastos, un grand pain fermenté, comme le disent Polémarque et Artémidore : Héracléon dit qu'il était, par la matière, analogue aux placentae. Nicostrate en parle dans le passage suivant: « Maître, c'était un nastos blanc, de cette grandeur, et si épais, qu'il s'élevait plus haut que la corbeille : (111d) lorsque le couvercle fut levé, il en monta une odeur et une vapeur telles que celles du miel, et qui frappaient les narines, car il était encore chaud. » Chap. XXVIII. Pain knestos, ou râpé, chapelé. Les Ioniens avaient une espèce de pain qu'ils appelaient knestos, comme le dit Artémidore d'Éphèse, dans ses commentaires sur les Ioniens. Thronos, nom d'une espèce de pain, selon Néanthe de Cyzique, qui dit, dans le second livre de son histoire grecque : Codrus prenant un morceau de pain appelé thronos, et de la viande, les donne à l’aîné. Bacchylos. Les Éléens appellent ainsi une espèce de pain cuit sous la cendre, comme le rapporte Nicandre, dans le second livre de ses Gloses. (111e) Diphile en fait aussi mention dans sa pièce intitulée Diamartanuse, ou la Femme fautive : « Il porte à la ronde des pains chreseritas, cuits sous la cendre. » Il y a encore une autre espèce de pain, que l’on appelle apopyrias, parce qu'on le fait cuire sur un brasier ardent. Quelqu'un l'appelle zymite ou fermenté. Cratinus écrit, dans ses Efféminés : « D'abord j'ai du pain apopyrias fermenté, et qui, certes, n'est pas rempli de balle.» 77. Mais voici ce qu'Archestrate nous détaille, dans sa Gastronomie, sur les farines et les pains : (111f) « D'abord, cher Moschus, je parlerai des dons de Cérès aux beaux cheveux, et retiens bien ce que je dirai. Il faut prendre ce qu'il y a de mieux et de plus parfait parmi les belles orges, et surtout que cela soit bien nettoyé. Tu en trouveras dans la célèbre Lesbos (sur la colline d'Érèse, battue par la mer) de plus blanches que la neige qui voltige encore dans l'air : en effet, si les dieux en mangeaient, [3,112] (112a) ce serait là qu'ils enverraient Mercure pour leur en acheter. On en trouve aussi de passable à Thèbes aux sept portes, à Thase, dans quelques autres villes; mais ce ne sont que des pépins de raisin, en comparaison des premières : tiens cela pour certain. Aie aussi du kollix de Thessalie, ce pain bien pétri et bien arrondi à la main, que les uns appellent krimmatias, (112b) et d'autres chondribos. Je mets après cela le pain fait à Tégée, avec de la belle farine de froment, et que l'on appelle encryphias. Quant au pain agoraios (ou du marché), c'est Athènes, cette illustre ville, qui nous fournit le plus beau. Celui de la vineuse Erythrée te flattera pendant le repas» s'il ne fait que sortir du four, et s'il a tout l'éclat de sa fraîcheur. » Le friand Archestrate, après ces détails, conseille de prendre pour boulanger, un Phénicien ou un Lydien, (112c) ignorant sans doute que les Cappadociens sont d'excellents boulangers. Voici son passage : « Aie à ton service, chez toi, un Phénicien, ou un Lydien, qui, au fait de ton goût, te varie tous les jours ton pain, comme tu le lui ordonneras. » 78. Antiphane fait mention des pains attiques, comme excellents, dans ce passage-ci : « En effet, quel homme bien ne se résoudrait à sortir de dessous ce toit-ci, (112d) en voyant ces beaux pains blancs qui garnissent le tour du four en rangs si serrés, les voyant aussi prendre couleur dans les fours, par l'industrie d'une main athénienne, et que Théarion a produits, comme son chef-d'œuvre, à la fête de la naissance de Minerve? » Ce Théarion est un boulanger dont parle Platon dans son Gorgias, comptant même avec lui Mithæcus. Voici le passage : Qui ont été, ou qui sont ceux qui ont donné les meilleurs avis pour soigner le corps? tu me répondais fort sérieusement, c'est Théarion le boulanger, et Mithæcus, qui nous a donné un traité (112e) sur la cuisine de Sicile, Sarambus le tavernier; et tu prétendais qu'ils ont le mieux pourvu aux besoins du corps, en ce que l'un faisait des pains exquis, l'autre excellait dans la cuisine, et le troisième à préparer le vin. Aristophane parle aussi de Théarion dans sa Gérytade et son Æolosicon : « Me voici, moi Théarion, quittant tout exprès ma boulangerie où sont actuellement à cuire toutes mes petites friandises. » Eubule rappelle les pains de Chypre comme excellents, dans son Priape. Voici ce qu'il dit : (112f) « Un cavalier ne peut se décider à passer outre, lorsqu'il aperçait des pains de Chypre. C'est une pierre d'aimant qui attire ceux qui ont faim. » Quant aux pains kollix, qui sont les mêmes que les collabes, Éphippe en fait aussi mention dans sa Diane: « Ayant mangé un collix, un de ces pains cuits au four, envoyé de Thessalie de la part d'Alexandre. » [3,113] (113a) 79. Aristophane dit, au sujet de ce pain, dans ses Acharniens : « Oh! bon jour au petit Béotien, l'avaleur de pain collix! » Après tous ces détails, Arrien, l'un des grammairiens qui se trouvaient à table, dit: Mes amis, toutes ces espèces de pains étaient sans doute bonnes du temps de Saturne, mais aujourd'hui nous nous inquiétons peu de trouver de tous ces gruaux; car la ville est pleine de pain, et nous ne nous occupons pas davantage de cette nomenclature des différents pains. Mais comme le traité de la Boulangerie de Chrysippe de Tyane m'est tombé sous la main, et que j'ai connu par expérience, chez nombre de mes amis, les pains dont il fait mention, je vais vous dire quelque chose à ce sujet. « Le pain qu'on nomme artopticien, est différent du pain cuit au four ou dans des fourneaux : (113b) si vous le faites avec du levain durci, il aura un bel œil et sera très bon à manger dans le cas de diètes sèches ; si au contraire vous le faites avec un levain mou, il sera léger, mais il n'aura pas cet éclat. Le pain cuit au four et au fourneau demande un levain un peu mollet. Les Grecs appellent mollet, certain pain dans la pâte duquel on mêle un peu d'huile, de lait et une pointe suffisante de sel; mais il faut que la pâte ne sait pas pétrie ferme : c'est aussi ce qu'on nomme pain de Cappadoce, parce que c'est surtout en cette contrée qu'on fait du pain mollet. (113c) Les Syriens appellent cette espèce de pain lachman: il est d'ailleurs excellent chez eux, parce qu'il s'y mange tout chaud, et qu'il est comme de la fleur de farine. » « Le pain boletin est ainsi nommé parce qu'on le forme comme une morille (boletus). On oint d'abord le pétrin avec de l'huile, pour le saupoudrer ensuite de graine de pavot, sur laquelle on pose la pâte : or, cela empêche qu'elle n'adhère au pétrin, en levant ; lorsqu'on veut mettre la pâte au four, on saupoudre d'abord d'un peu de farine le têt, sur lequel on pose ensuite le pain, et il prend une belle couleur de fromage enfumé. (113d) « Quant au pain streptice, on le fait en y mêlant un peu de lait et l'on y ajoute du poivre, quelques gouttes d'huile, ou de la graisse, si on l'aime mieux. » « Dans l’artolaganon, ou galette, on met une pointe de vin, du lait, du poivre, un peu d'huile, ou de la graisse. » « Ce qu'on appelle capyridion, ou tracta (chez les Latins), se fait avec le même mélange que l’artolaganon. » 80. Ce grand Sophiste Romain, ayant ainsi exposé ces dogmes dignes d'Aristarque, Cynulque s'écria: Par Cérès! quel savoir! ce n'est pas sans raison (113e) que l'admirable Blepsias a autant de disciples qu'il y a de grains de sable, et qu'il a amassé, par son grand art, encore plus de richesses que Gorgias et Protagoras. Par Cérès et Proserpine! nos deux divinités, je ne saurais, ma foi, dire s'il n'est pas aveugle lui-même, ou si ceux qui lui confient des disciples ont un œil, et peuvent à peine voir, tant est grande la multitude qu'il a autour de lui! oui, j'ose dire qu'on est heureux, et même bien heureux lorsque des maîtres donnent de pareilles instructions! Chap. XXIX. Magnus, homme ami de la table, ayant beaucoup loué ce grammairien au sujet de son détail circonstancié, apostropha les Cyniques, par ces termes d'Eubule : (113f) « Vous n'êtes que des pieds crasseux, couchant à terre comme des porcs, et à la belle étoile, des infâmes, des goinfres, escroquant par-tout un misérable souper aux dépents d'autrui. » Votre patriarche Diogène, dévorant avec avidité une galette à souper, ne répondit-il pas à celui, qui lui demandait, que manges-tu Diogène? Je mange un pain bien fait. Mais vous qui étranglez tous les plats, comme parle le même Eubule, [3,114] vous ne le cédez à personne par vos vastes bedaines, et vous parlez sans cesse en interrompant tout le monde, (114a) jusqu'à ce qu'on vous ait jeté, comme à de petits chiens, ou du pain ou des os. Où auriez-vous su que les cubes, non ceux que vous maniez continuellement (des dés), sont des pains carrés, assaisonnés avec de l'aneth, du fromage, de l'huile, comme le dit Héraclide, dans son art de la Cuisine? Or, Blepsias a omis d'en parler, de même que du pain thargèle, que d'autres nomment thalysion. Mais Cratès dit, dans son second chapitre du Dialecte Allique, qu'on appelle thargèle et samite le premier pain qui se fait aussitôt que la moisson est rentrée : il n'a pas non plus fait attention au pain qu'on appelle nastos, et qui se fait pour les vierges qui portent les mystères. (114b) Il y a encore le pain pyrame, qui se pétrit avec du sésame, et qui est peut-être le même que le sésamite. Or, Tryphon parle de tous ces pains dans le premier livre de ses Plantes, sans oublier ceux qu'on nomme theiagones, et qui sont des pains qu'on cuit en Étolie pour être présentés aux dieux. Les Athamantes avaient leurs pains dramices et araxis; 81. car c'est ainsi que les nomment les auteurs de Glossaires, qui nous ont rapporté les noms des différents pains. Seleucus dit que les Macédoniens appellent aussi dramis le pain que les Thessaliens nomment daratos. Selon lui, le pain etnite est le lecitithe, et l'on appelle éréicite celui qui est fait de froment simplement broyé, (114c) et dont la farine brute n'a pas été passée au bluteau. Amérias appelle xeeropyrite, le pain autopyre, Timachidas parle de même. Selon Nicandre, les Etoliens appellent theiagones des pains qu'on fait pour être offerts aux dieux. Le kyllastis est, chez les Egyptiens, un pain acidulé. Aristophane en parle dans ses Danaïdes: «Parle-nous du kyllastis et du petosiris. » Hécatée, Hérodote et Phanodème, au septième livre de son Attique, en font aussi mention ; mais, selon Nicandre de Thyatire, (114d) les Égyptiens nomment kyllastis le pain d’orge. Alexis a appelé phaios ou bis, le pain fait de farine grossière. Voici le passage pris de son Cyprien: « A. Enfin, comment es-tu arrivé? B. Eh! à peine ai-je pu trouver du pain de cuit. A. Peste soit de toi! Mais combien en apportes-tu? B. J'en apporte seize ; huit blancs et autant de bis (phaioon). » Selon Seleucus, on appelait bleema un pain écrasé tout chaud. Le traité des divers oracles de Philémon, nous apprend que le pain nommé pyrnos était fait de farine non blutée, et où toutes les parties du grain se trouvaient. (114e) Quant aux pains bloomilioi, c'étaient, selon le même, ceux dont la masse était comme divisée par parties; ce que les Romains appellent quadrati, et quadrae. Il ajoute, le pain bromite était proprement un pain de son, que Timachidas et Amérias appellent euconos ou teuconos. Philétas dit, dans ses Atactes ou Dissolus, qu'on nommait spolees un pain qui n'était d'usage qu'entre parents. 82. Quant à ce qu'on appelait maza, on en trouve diverses espèces décrites dans l'ouvrage de Tryphon, et dans nombre d'autres. (114f) Les Athéniens nommaient physte celle dont la pâte était peu pétrie ; ils avaient aussi la cardamyle, le berax, les tolypes, l’achillée, qui est peut-être celle qu'on faisait avec ce qu'on appelait orge d'achille. Il y avait aussi des thridacines, des œnoûtes, des mélitoûtes; celle qu'on appelait krinon ou lys. Krinon est aussi le nom d'une espèce de danse en chœur, dans la Daulis d'Apollophanes : celles que Alcman nomme thridacisques, sont les mêmes que les thridacines d'Athènes. Alcman dit : « Des thridacisques et des cribanites. » [3,115] (115a) Sosibius dit, dans son troisième livre, en parlant d'Alcman, qu'on appelait kribannes, certains gâteaux faits en forme de mamelles. On appelle santé, la part de gâteau qu'on donnait, seulement pour en goûter, à chacun de ceux qui assistaient aux sacrifices ou offrandes faites aux dieux. Hésiode nomme certain gâteau, amolgée : « Un gâteau amolgée, et du lait de chèvres qui sont épuisées. » Hésiode veut dire, par amolgée, pastoral ou de berger, et faite akmaiee, car amolgos a ce sens. Mais on m'excusera de ne pas détailler ici toutes les espèces de gâteaux et de pâtisseries dont Aristomène d'Athènes a parlé dans le troisième livre de son traité sur ce qui était requis pour les cérémonies sacrées : je n'ai pas assez de mémoire pour l'entreprendre. (115b) Aristomène est un écrivain que j'ai connu dans ma jeunesse : il était déjà avancé en âge, et avait représenté dans les pièces de l'ancienne comédie. L'empereur Adrien, qui l'avait affranchi, l'appelait la Perdrix d'Athènes. A ce mot d'affranchi, ou, en grec, apeleutheros, Ulpien prit la parole, et demanda en quel auteur on trouvait ce mot. Quelqu'un répondant que Phrynicus avait donné une pièce intitulée Apeleutheros, ou l’Affranchi, et que Ménandre avait même employé ce mot au féminin (apeleuthera) dans son Soufflette, Ulpien répliqua : Mais quelle différence y a-t-il entre apeleutheros et exeleutheros? On fut alors d'avis de remettre cette question pour le présent. (115c) 83. Nous allions tous prendre du pain, lorsque Galien nous dit : Non, nous ne mangerons pas que vous ne m'aviez entendu dire ce que les enfants d'Esculape ont écrit sur les diverses espèces de pains, de pâtisseries et de farines ou gruaux. Diphile de Siphne nous dit, dans son traité de la Diète des malades et des gens en santé : Les pains de froment sont beaucoup plus nourrissants que ceux d'orge, et la substance s'en distribue mieux : en général, ils sont toujours plus avantageux. Parmi ces pains, les meilleurs sont les sémidalites, ensuite les aleurites; (115d) enfin, ceux qu'on fait de farine non blutée, ou les syncomistes : ceux-ci passent pour être beaucoup plus nourrissants. Philistion de Locres dit que les sémidalites fortifient beaucoup plus que les pains chondrites, qu'il place au second rang, mettant les aleurites au troisième. Quant aux pains qui se font de très fine farine gyris, ils font un plus mauvais chyle, nourrissent moins ; mais tous les pains mangés chauds fournissent une substance qui se distribue mieux, ils nourrissent plus, font un meilleur chyle que si on les mange refroidis ; et malgré les flatuosités qu'ils causent, ils passent facilement. Quant aux pains refroidis, ils occasionnent des surcharges, digèrent difficilement; s'ils sont rassis depuis quelque temps, ils sont encore moins nourrissants, resserrent le ventre, et font un mauvais chyle. (115e) Quant au pain encryphias, il est pesant, digère mal, parce qu'il est inégalement cuit : celui qu'on appelle ipnite et le caminite digèrent difficilement, et se distribuent avec autant de peine. Le pain escharite, et celui qui a été frit dans la poêle, passent facilement, à cause de l'huile qui s'y est jointe; mais, vu leur qualité nidoreuse, ils offensent l'estomac. Le cribanite l'emporte par toutes ses qualités ; il digère bien, et passe facilement : comme l'estomac s'en accommode bien, il fournit un bon chyle: il ne resserre, ni ne tend le ventre. Le médecin Andréas dit qu'en Syrie on fait des pains de sycamines, et qui font tomber les cheveux à ceux qui en mangent. (115f) Mnésithée dit que le pain digère mieux que la maze; mais que celui qu'on fait de tiphée a l'avantage de mieux nourrir, parce que la digestion s'en fait avec assez de facilité. On dit que le pain d’épautre, au contraire, pris jusqu'à satiété, est lourd sur l'estomac et que c'est par cette raison que ceux qui en mangent habituellement ne jouissent pas d'une bonne santé. [3,116] (116a) Il est bon que vous sachiez que les grains qui n'ont pas été passés au feu, ni bien moulus, causent des vents, des coliques, des maux de tête. 84. Chap. XXX. Après toutes ces dissertations, on jugea enfin à propos de souper. Comme on servait une saline nommée hooraion, Léonide prit la parole, et dit : Messieurs, si nous en croyons ce que rapporte Euthydème d'Athènes, dans son traité des Salines ou des Poissons salés, Hésiode aurait ainsi parlé de tout le poisson qu'on sale : « Des pêcheurs, gueux et couverts de haillons, avaient arrangé des gueules de lamproie qui coupent des deux côtés, et des machoires de béliers et de brebis de mer. (116b) Ces hommes qui aiment le Bosphore, où l’on sale quantité de poisson, pressés par la misère, coupent en morceaux carrés (ou en tronçons), de gros poissons, et font des salines. Entre ces poissons, est l’oxyrinque, qui est quelquefois funeste aux hommes. Ces malheureux pécheurs rapportent, tantôt entier, tantôt coupé par morceaux. Byzance est la mère du thon salé (116c) et du maquereau, qui se tient au fond des eaux, et de l'ange très nourrissant. Mais la petite ville de Parion est la respectable nourrice des cogoils. Les marchands de l’Abbruze, ou de la Campanie, ou de la bonne ville de Tarente, iront chercher à Cadix de l’orcyn mariné, rangé par morceaux triangulaires dans des jarres. Ils traverseront la mer Ionienne pour nous les amener. Or ce sont les mets des meilleures tables.» Mais ces vers me semblent plutôt être ceux de quelque cuisinier, que de l'harmonieux Hésiode : (116d) d'ailleurs, comment Hésiode a-t-il pu connaître Parion, Byzance, et en outre Tarente, l'Abbruze, la Campanie, lui qui est bien antérieur aux dénominations de ces lieux? Je pense donc que ces vers sont d'Euthydème même. A ces mots, Dionisioclès dit : Mon cher Léonidas, c'est à vous autres, illustres grammairiens, de juger quel en est l'auteur ; mais puisqu'on parle de salines, je vous citerai d'abord un proverbe remarquable de Cléarque de Soli. (116e) « La vieille saline aime l'origan. » Et je vais ensuite vous dire sur ce sujet ce qui est du ressort de l'art : 85. Or, Dioclès de Caryste dit, dans son Hygiène, que, des chairs de poissons salés, non grasses, c'est l’hooraion qui est la meilleure ; que quant aux chairs grasses, c'est la thonnine. Icésius nous dit que les salines de Pélamides, les cogoils et les hooraia ne passent pas facilement, et que les thonnines récentes sont analogues aux salines appelées cybia; mais qu'il y a une grande différence entre ces salines-ci et toutes celles qu'on appelle hooraia. Il ajoute qu'il faut faire la même différence entre toutes les salines (horaia) de Byzance et celles qu'on tire d'ailleurs, non seulement à l'égard des thonnines, (116f) mais même de tous les autres poissons qu'on prend sur les bords de cette ville. Daphnus d'Éphèse ajouta à ces détails : Archestrate, qui a fait, pour ainsi dire, le tour du monde, tant pour son ventre, que pour les plaisirs qui peuvent résulter de ses parties inférieures, écrit : [3,117] « Un tronçon de thon de Sicile qu'on va saler dans une jarre, (117a) me fait mépriser le coracin qu'on va chercher loin dans le Pont, et ceux qui le vantent. Peu de gens savent que c'est un manger chétif et méprisable ; mais prenez un maquereau nouvellement salé à demi, et depuis trois jours, et avant qu'il se fonde tout en saumure. Si jamais vous allez à la belle et respectable ville de Byzance, (117b) mangez-y, à volonté, un tronçon d’hooraion ; car c'est un manger excellent et fort délicat. » Le friand Archestrate a omis de nous parler de la saline du poisson qu'on nomme éléphant, et au sujet de laquelle Cratès, le poète comique; écrit ceci dans ses Samiens : « Une tortue marine faisait bouillir, à gros bouillons, de l’éléphant salé dans une marmite de peau de bouc (ou dans une outre); on vit alors, messieurs, les cancres aux pieds rapides, les loups marins aux larges ailerons, les porcs marins belliqueux, l’un frapper les pièces cousues de cette outre, les autres la serrer pour l'emporter. C'était une fête que de voir cela ; de sorte qu'on aurait pu appliquer là ce proverbe : (117c) Quel jour est-il donc à Cée?» Or, Aristophane prouve, dans les Thesmophores, que la saline éléphantine de Cratès était fameuse. Voici ce qu'il en dit : « Oui, certes, la musique est un excellent mets pour un poète tragique. Selon Cratès, c'était une saline d'éléphant exquise, et qui pouvait se servir sans beaucoup de peine. Cratès s'amusait de mille plaisanteries semblables. » 86. Alexis a nommé une saline omotarique, dans sa pièce intitulée l’Apeglaucomenos. (117d) Il introduit dans sa Ponera, ou Méchante, un cuisinier qui parle ainsi sur la manière de faire cuire les salines: « Cependant il est bon que je réfléchisse, en m'asseyant ici, sur le repas qu'il s'agit de préparer, et que je règle bien ce qui doit être servi le premier : d'ailleurs, il faut que je sache comment chaque plat doit être assaisonné. Or, voici d'abord une saline (hooraion) cela coûte une obole. Je vais donc la bien laver; ensuite, lorsque j'aurai saupoudré le plat de ce qui peut affriander le goût, je vais y mettre mon morceau : j'y verserai du vin, j'arroserai le tout d'huile; et lorsque je l'aurai rendu, (117e) en cuisant, comme une moelle, je vous le relèverai avec du jus de silphium. » Chap. XXXI. Mais dans son Apeglaucomenos, un des personnages à qui l’on redemande les gages, répond : « A. Or, si tu ne me paies tous les articles l'un après l'autre, tu ne recevras pas même, des gages, la douzième partie d'un sol. B. Tu as raison : lis-moi donc la carte. À. Pour un omotarique, cinq pièces de cuivre. B. Ensuite. A. Pour des moules, sept autres pièces. B. Jusqu'ici rien de si juste : continue. A. Pour des oursins, une obole. B. Fort bien, jusqu'ici. A. N'y eut-il pas après cela des raves? B. Et que tu vantais comme très bonnes; mais il s'en fallait bien! A. Je les ai passées pour deux oboles, comme elles me les coûtent. B. Nous n'avons rien à dire. A. Quant au kybion, ou au tronçon de pélamide salée, tu me le paieras trois oboles, [3,118] (118a) d'autant plus que je ne te demande rien pour la chicorée. Cependant tu ne sais pas ce qu'on la vend au marché ; car les chenilles ont mangé tous les légumes. B. C'est sans doute pour cela que tu fais payer ta saline le double. A. Eh bien, va le demander au marchand. Pour le congre, dix oboles. B. Il n'y a rien de trop à ceci : continue. A. J'ai payé le poisson rôti une drachme. B. Comment, une drachme! ton compte est une fièvre qui ne se relâche que pour devenir plus forte. A. Ajoute à ceci le vin que j'ai fait venir lorsque vous étiez déjà ivres : or, il y en a trois conges, à dix oboles le conge. » 87. Icésius nous apprend, dans sa matière des Aliments, qu'on fait les salines nommées cybia, (118b) avec la chair des grandes pélamides. Posidippe parle aussi de ces cybia dans son Métaphéromène. Selon le traité des Salines d'Euthydème, le poisson delcon a pris son nom du fleuve Delcon, où il se prend. C'est, dit-il, un manger qui va très bien à l'estomac, lorsqu'il a été longtemps dans la saumure. Dorion, dans son traité des Poissons, nommant lebianos le leptinos, dit que, selon quelques-uns, c'est le même que le delcon : il dit aussi que plusieurs appellent saperda le coracin, et que le meilleur est celui (118c) qui vient du Palus-Mæotis. Il ajoute que les muges qu'on prend près d'Abdère sont admirables. Il met au second rang ceux des environs de Sinope, et dit qu'ils sont fort bons pour l'estomac, lorsqu'ils ont été salés; que d'autres appellent les mylles, gnotidies, ou platistaques, quoique ce soit le même poisson ; qu'il en est de même à l'égard du chellares, auquel on donne plusieurs noms qui ne désignent que le même poisson : telles sont les dénominations de bacchos, oniskos et chellarees. Mais il faut observer que ce sont les plus grands coracins qu'on appelle platistaques, les moyens sont les mylles, et les plus petits, agnotidies ou agnotidies. (118d) Aristophane fait mention des mylles dans ce passage de ses Holcades : « Des maquereaux, des colies, des lebies, des mylles, des thons, des saperdes. » 88. Dionysioclès (Daphnus) finissant ici de parler, le grammairien Varus dit : Mais voici les salines dont le poète Antiphane fait mention dans son Deucalion : « Quelqu'un veut-il de l’antacée salé, ou de la saline de Cadix? Serait-il flatté de l'odeur du thon de Byzance? » On lit, dans le Parasite du même : « Il y avait, au milieu, de l’antacée salé, gras, parfaitement blanc, chaud. » (118e) Nicostrate, ou Philetaire, dit dans son Antïlle: « Qu'on serve avec pompe de la saline de Byzance ; qu'on fasse paraître un bas-ventre de Cadix. » Et continuant : « Mais j'ai eu, d'un marchand de saline, brave et honnête homme, pour deux oboles, un gros morceau de poisson à écailles, salé, qui vaut ma foi une drachme et deux oboles ; et fussions-nous douze à manger pendant trois jours, nous n'en viendrions pas à bout, tant il est considérable. » (118f) Là-dessus, Ulpien regardant Plutarque, lui dit: Mais dans tout cela quelqu'un n'a-t-il pas nommé de ces poissons de Mendes que vous mangez, vous autres Alexandrins, et dont un chien affamé ne goûterait pas? Tels sont ces beaux héminires, ou ces silures salés. [3,119] Plutarque lui répond : (119a) Quelle différence y a-t-il entre l’héminire et l’hémitarique mentionné ci-devant, et dont votre charmant Archestrate a aussi parlé? Mais Sopatre de Paphos a aussi nommé l’heminire dans ce passage du Mercenaire de Mystacus. « Il reçut de l’antacée, que le grand fleuve Ister (Danube) nourrit, et de l’héminire si délicieux pour les Scythes. » Le même parle ainsi de celui de Mendes: « Un meunier de Mendes pris à temps, bien saupoudré, rôti à la flamme jaune du feu. » Or, ceux qui ont pour eux l'expérience, savent que ces aliments sont bien plus agréables (119b) que vos méchantes petites figues et votre passerage. Apprends-nous donc si l'on disait tarichos (saline) au masculin, dans l'Attique, car nous savons qu'Epicharme en a usé ainsi. 89. Comme il cherchait un passage, Myrtille le prévint, et cita ce vers du Dionys-Alexandre de Cratinus : « J'amènerai des salines (tarichous) du Pont dans des barils. » Platon le comique a dit, dans son Jupiter de mauvaise humeur : « De sorte que je perdrai mes salines (tarichous) : or, c'est tout ce que je possède. » Aristophane le fait aussi masculin, dans ce passage de ses Dœtalées : (119c) « Non, je n'ai pas honte de laver et de purger entièrement cette saline (tarichon) de ce que j'y vois de mauvais. » Cratès dit, dans ses Theerioi (ou Bêtes voraces): « Il faut faire bouillir les choux, rôtir les poissons ; mais qu'aucun de vous ne s'avise de toucher aux salines (tarichous). » Mais Hermippus a fait accorder tarichos (saline), nominatif, avec piona, gras, accusatif, par un trope qui lui est particulier, en disant : « Tarichos-piona, une saline grasse. » Sophocle a écrit, dans son Phinée : « C'était une viande morte, moins salée qu'embaumée à la manière des Égyptiens. » Aristophane s'est servi du diminutif larichion, une petite saline, dans sa Paix : (119d) « Achète quelque petite saline pour la campagne. » Céphisodore en a fait de même dans son Porc : « Quelque méchante viande, et une petite saline. » Phérécrate dit aussi tarichion, dans ses Transfuges: « Mais la femme qui a fait bouillir, pour chacun de nous, un plat de lentille, attend un jaune-d'œuf, et fait rôtir actuellement une petite saline chétive (tarichion). » Mais Epicharme l’a fait masculin (tharichos), comme Hérodote, dans le neuvième livre de son histoire : Les salines (tarichoi) qu'on avait mises sur le feu, dit cet historien, sautillaient, et étaient comme palpitantes. (119e) On trouve aussi ce mot au masculin, dans les Proverbes : « La saline est cuite dès qu'elle a vu le feu. La vieille saline demande de l'origan. Jamais on ne bat trop la saline. » Chap. XXXIII. Les Attiques écrivent tarichos au neutre, de sorte que le génitif est tarichous (pour taricheos) : « Mais, mangerait-il donc de cette saline? » On trouve aussi le datif tarichei (à la saline), comme on dit xiphei, à l'épée : « C'est sur cette saline qu'il faut frapper. » Ménandre présente l'accusatif tarichos dans ce vers de ses Epitrepontes. « Il aurait, au besoin, (119f) saupoudré de sel cette saline. » Mais lorsque ce mot est masculin, il n'a point la lettre s au génitif. 90. Au reste, les Athéniens étaient si friands de salines, qu'ils donnèrent le droit de bourgeoisie aux fils de Chæréphile, marchand de salines, comme nous l'apprend Alexis, dans ce passage de son Epidaure : [3,120] «Timoclès voyant à cheval les fils de Chœréphile, devenus Athéniens, (120a) parce que (leur père) a voit introduit l'usage des salines, dit que c'étaient deux maquereaux (poisson), parmi des (satyrs) (des lézards marins). » L'orateur Hypéride a aussi fait mention d'eux. Antiphane parle d'un Euthynus, marchand de salines, dans sa pièce intitulée Kouris : « Lorsque tu seras arrivé chez celui où j'ai coutume de prendre quelque pièce, attends-moi. Si Euthynus (ce marchand) ne se trouvait pas chez lui, reste là, sous l'un et l'autre prétexte, et ne fais rien couper. » (120b) Alexis parle d'un nommé Phidippe, qui était aussi un de ces marchands; c'est dans ses pièces intitulées, l'une, Hippisque, l'autre, les Soraques : « Phidippe, certain étranger, autre marchand de salines. » Comme nous mangions des salines, et plusieurs ayant pour cette raison grande envie de boire, Daphnus nous dit, en levant les mains : Mes amis, Héraclide de Tarente nous apprend, dans son Banquet, qu'il faut prendre un peu de nourriture avant de boire, et surtout de ces légers aliments qu'on a coutume de présenter à la ronde, pour préluder aux repas. (120c) Si, au contraire, on prend des aliments quelque temps après qu'on a bu, ils sont comme arrêtés dans l'estomac, s'y corrompent, et y causent des picotements poignants. Mais quelques-uns pensent que ces aliments, savoir, les légumes et les salines, vont mal à l'estomac, en ce qu'il y a certaine qualité poignante ; que les substances visqueuses, au contraire, sont plus favorables, de même que les astringents. Mais ces gens ignorent que les substances qui rendent les selles plus faciles, sont, par un effet contraire, favorables à l'estomac: or, parmi ces choses on doit compter le chervi, dont Épicharme a parlé dans son Campagnard et dans sa Terre et la Mer : (120d) Dioclès y comprend, dans son Hygiène, l'asperge, la poirée (car, selon lui, la betterave noire resserre le ventre), les conques, les solens, les moules de mer, les cames, les peignes, les salines prises à leur temps et sans odeur de rance, et les espèces de poissons d'un bon suc. Il est bon de servir d'abord quelque verdure, de la poirée, et quelque saline, afin que l'appétit ne se porte pas avec la même vivacité sur les aliments très nourrissants. Héraclide enfin nous dit qu'il faut éviter de boire beaucoup au commencement des repas, parce que trop de boisson s'oppose à la coction des aliments. Éphippus d'Olynthe nous dit, (120e) dans son ouvrage sur la sépulture d'Alexandre et d'Ephestion, que les Macédoniens ne savaient pas boire d'une manière réglée, mais qu'ils commençaient par de larges rasades ; de sorte qu'ils étaient déjà ivres aux premiers services, et ne pouvaient plus prendre d'aliments. Selon Diphile de Siphne, les poissons salés, soit de mer, sait d'étangs, soit de rivières, sont peu substantiels, fournissent peu de chyle, causent des chaleurs assez grandes intérieurement, quoique légèrement laxatives, et propres à donner de l'appétit. Selon le même, les meilleures des salines maigres, sont les kybia, les hooraia, et autres espèces analogues ; et parmi les grasses, ce sont les thonnines, les cordyles : (120f) en outre, les vieilles sont meilleures, plus piquantes, surtout celles de Byzance. La thonnine, ajoute-t-il, se fait, de la plus grande pélamide; celle qui se fait des petites, est d'une qualité analogue au kybion y dans l'espèce duquel il faut comprendre l’hooraion. [3,121] La sarde a la même grandeur que le colias : (121a) quant au maquereau, il est léger, et passe promptement par l'estomac. Le colias est d'une qualité visqueuse, mêlée de plus d'acrimonie ; il est plus poignant, et fournit un plus mauvais chyle, quoiqu'il rassasie bien : le meilleur est celui d'Amyclée, y compris le Sexitan d'Espagne : en effet, il est plus léger et plus doux. Strabon nous rapporte, au troisième livre de sa Géographie, que près des îles d'Hercule, il y a dans le voisinage de Carthagène une ville appelée Sexitanie, de laquelle ces salines de colias ont pris leur nom, et une autre nommée Scombrorie, à cause des maquereaux (scombroi) qu'on y prend, et dont on fait un excellent garum. (121b) Quant aux salines appelées mélandryes, Épicharme en parle ainsi dans son Ulysse Transfuge : « Il y avait une tranche excellente de mélandrye. » Le mélandrye est l'espèce la plus grande des thons, comme Pamphile le dit dans son traité des Noms; et ces salines en font les tronçons les plus gras. 93. Selon Diphile, quelques-uns appellent keeteeme (121c) la saline omotarique: c'est un aliment lourd, visqueux, et d'ailleurs difficile à digérer. Quant au coracin, que les voisins du Nil appellent peltee, et les seuls Alexandrins, héminère, il est un peu gras, d'un assez bon suc, charnu, nourrissant, de facile digestion. La distribution s'en fait bien dans les humeurs, et à tous égards il vaut mieux que le mylle : quant à tous les œufs des poissons frais ou salés, c'est un aliment difficile à digérer, surtout ceux des poissons les plus gras et les plus grands. En effet, ils font comme une masse dure et indissoluble dans l'estomac ; mais si on les fait griller après les avoir bien saupoudrés de sel, ils flattent assez le palais. En général, il faut bien faire tremper les salines dans l'eau, avant de les manger, de sorte que l'eau en sorte parfaitement douce et sans odeur : (121d) une saline qu'on a fait bouillir dans l'eau de mer devient plus douce ; les salines mangées chaudes sont aussi plus agréables. Mnésitée d'Athènes dit, dans son traité des Comestibles : Les sucs muriatiques et doux lâchent tous un peu le ventre ; quant à ceux qui sont acides et acrimonieux, ils provoquent les urines, mais surtout ceux d'une amertune un peu poignante. Quelques-uns de ceux-ci lâchent même le ventre; quant aux sucs acerbes, ils arrêtent les excrétions des selles. L'harmonieux Xénophon, blâmant ces aliments dans son ouvrage intitulée Hiéron ou Tyrannique, écrit ceci : « A. Mais, dit Hiéron (à Simonide), (121e) que penses-tu de tout cet appareil de mets recherchés qu'on sert aux tyrans ; de ces mets, dis-je, acides, acrimonieux, astringents, et autres semblables? B. Certes, répond Simonide, tout cela me paraît bien contraire à la nature de l'homme. A. Ces mets ne sont donc suggérés, selon toi que par les désirs d'une âme amollie et même énervée par les délices de la volupté? B. En effet ceux qui ne mangent qu'avec le plaisir de l'appétit, n'ont pas besoin, comme tu le sais de tous ces raffinements. » 94. A ces mots, Cynulque demanda de la décocte, ou eau bouillie, disant qu'il fallait laver avec un fluide doux, les discours muriatiques qu'on venait de tenir. (121f) Ulpien, fort fâché lui dit, en frappant son coussin de sa main : Quand cesserez-vous donc de faire ces barbarismes? n'est-ce que quand je quitterai le repas, et me retirerai ne pouvant plus soutenir de semblables expressions? Mais, mon cher, lui répond Cynulque, comme je réside actuellement à Rome, cette maîtresse du monde, je me suis servi d'un terme d'usage dans la contrée. En effet, ne trouve-t-on pas des mots perses dans les anciens poètes, dans les historiens Grecs les plus purs, et cela parce que l'usage les autorisait? [3,122] (122a) Tels sont les mots parasanges, angares, schoene. Ce mot est tantôt masculin, tantôt féminin chez les Grecs, et désigne certaine mesure de chemin ; plusieurs l'emplaient même encore à présent. Je connais quelques Athéniens qui emploient des termes de Macédoniens, parce qu'ils les fréquentent. Mais j'aimerais mieux boire du sang de taureau, et, certes, mourir comme Thémistocle, que d'avoir quelque différend avec toi; car je ne te dirai pas de boire de l'eau du Taurus : tu ne sais pas ce que c'est ; d'ailleurs, tu ignores que les meilleurs poètes et les meilleurs historiens présentent quelquefois des expressions vicieuses. (122b) Chap. XXXIV. C'est ainsi que Céphisodore, disciple d'Isocrate, avance, dans son troisième livre contre Aristote, que l'on trouverait quelques expressions (réflexions) condamnables dans des poètes et des sophistes ; telle est celle-ci dans Archiloque : « Tout homme est libertin. » Celle-ci, dans Théodore : « Il faut louer l'égalité, et conseiller en secret de s'enrichir par quelque voie que ce soit. » Celle-ci, dans Euripide : « Il n'y a que ma langue qui a juré. » Celle-ci, dans Sophocle : (122c) « Je leur parle ainsi pour leur plaire, loin de vouloir les contraindre. Mais toi, comme les gens adroits, loue les choses justes, et cherche toujours ton profit. » Le même dit encore ailleurs : « Rien n'est mal dit, quand l'intérêt parle. » N'a-t-on pas généralement blâmé Homère, de faire tendre des embûches à Jupiter par Junon, et de rendre Mars adultère? 95. Or, si j'ai lâché une expression vicieuse, ne t'irrites donc pas, grand éplucheur de mots; car, comme parle Timothée de Milet: (122d) « Je ne chante pas d'anciens événements ; car ce qui est nouveau est aussi meilleur. C'est Jupiter qui règne actuellement; autrefois c'était le vieux Saturne. Adieu donc aux vieilles chansons. » Aristophane a dit, dans son Alcestide: « Eh bien! tu veux quelque chose de nouveau? Lui aussi ; car il sait qu'une nouvelle tentative, quelque téméraire qu'elle soit, peut produire quelque chose de mieux que ce qui est ancien. » (122e) Mais, afin que tu ne te fâches pas davantage, je vais te prouver que les anciens ont connu l'usage de cette eau que j'ai appelée décocte, ou bouillie. Je te dirai d'abord, avec le faux Hercule de Phérécrate, « Si je m'avise de contredire quelqu'un de ces gens qui se croient si adroits, ne t'inquiète pas ; mais fais attention, si tu le juges à propos. » Et moi, répartit Ulpien, je te prie de ne pas omettre de nous expliquer ce que c'est que ton eau du Taurus; car je suis fort avide de pareilles expressions. (122f) Eh bien, Cynulque, reçois donc comme signe d'amitié le salut que je te présente avec ce passage d'Alexis ; car tu es altéré de mots : il est pris de sa Pythagorizuse : « Un verre d'eau bouillie ; mais si tu en bois une d'eau crue, c'est un poids, c'est un malaise qui en résulte. » Quant à l'eau du Taurus, Sophocle l'a nommée dans son Ægée : c'est donc celle du Taurus, fleuve voisin de Trœzène, et près duquel est la fontaine qu'on nomme Hyœssa. [3,123] (123a) 96. Mais les anciens n'ont pas ignoré l'usage de l'eau très froide, en commençant à boire. Cependant je ne te citerai rien, que tu n'aies montré s'ils usoiént d'eau chaude dans leurs festins ; si donc les cratères ont été ainsi nommés de la fonction à laquelle ils servaient, et s'ils étaient laissés pleins à la proximité, lorsque l'eau et le vin y étaient mêlés, ils ne pouvaient présenter de boisson chaude, comme des chaudrons sous lesquels on aurait mis du feu. Or, Eupolis montre, dans ses Bourgades, que les anciens connaissaient l'usage de l'eau chaude. « Mets-nous aussi la bouilloire sur le feu, et fais-nous cuire quelques victimes, afin que nous en mangions ensemble les viscères. » (123b) Antiphane dit, dans son Omphale : « Je ne verrai donc personne (mehdena) me faire bouillir de l’eau ; car je ne me sens pas de mal, et plaise au ciel que je n'en sente pas! Si je suis pris de coliques, soit au bas-ventre, soit vers le nombril, j'ai un anneau de Phertatus, que j'ai acheté une dragme. » Le même dit, dans son Aleiptria (pièce qu'on dit aussi être d'Alexis): « Si vous causez quelque rumeur devant ma boutique, (123c) je vais prendre de l’eau bouillante dans mon chaudron, avec ma plus grande cuiller-à-pot, et je vous la jette au visage; j'en jure par Cérès! si je ne le fais pas, que je sois esclave le reste de mes jours! » Chap. XXXV. Platon montre, par un passage du quatrième livre de sa République, qu'on faisait usage d'eau chaude et d'eau froide : Supposons, dit-il, qu'il y ait un désir dans l'âme, tel qu'est la soif; ce sera donc la soif d'eau chaude, ou d'eau froide, ou d'une grande quantité, ou d'une petite; mais si la chaleur est jointe à la soif, elle produira sans doute une soif d'eau froide; si au contraire c'est le froid qui s'y trouve joint, il produira une soif d'eau chaude; mais (123d) si la soif est grande vu l'intensité de sa cause, alors on aura envie de boire beaucoup ; si elle est petite, on ne désirera que peu de boisson. Or, la soif prise en elle-même, n'est le désir que de ce qui est dans son rapport naturel, c'est-à-dire de boire; comme, d'un autre côté, avoir faim est le désir de manger. Semus de Delos dit, dans le second livre de sa Nésiade, que l'on fait en été, dans l'île de Cimole, des fosses qui sont autant de réfrigérants où l'on descend des urnes pleines d'eau chaude, et que, lorsqu'on les en tire, elles sont aussi froides que la neige. Les Athéniens appellent l'eau tiède, metakeras, (123e) comme Sophile le dit dans son Androclès. Alexis en parle aussi dans ce passage de ses Locriens: « — Les servantes versaient, l'une de l'eau chaude, l'autre de la tiède : metakeras. » Philémon produit aussi ce mot dans sa Corinthienne, ainsi qu'Amphis, dans son Bain. On lit dans celui-ci : «--- Il s'écria qu'on lui apportât de l'eau chaude ; un autre en demandait de la tiède : metakeras. » Notre Cynique allait encore accumuler d'autres passages, lorsque Pontien dit : Mes chers amis, les anciens connaissaient l'usage de l'eau très froide. On lit à ce sujet, dans le Parasite d'Alexis : « Car je veux que tu goûtes de mon eau : (123f) j'ai mon puits qui est plus froid qu'Araros. » Hermippus fait aussi mention d'eau de puits, dans ses Cercopes, en ces termes - - -. Alexis nous apprend, dans sa Mandragorizomène, qu'on buvait aussi de la neige. Voici le passage: « L'homme n'est-il pas une production de la nature bien singulière, et qui se plaît à nombre de choses les plus opposées les unes aux autres! [3,124] Nous aimons les étrangers, et nous ne regardons pas nos parents! (124a) Nous n'avons souvent rien, et nous affectons d'être dans l'abondance aux yeux de nos voisins! Si nous fournissons notre part d'un repas, nous ne le faisons qu'avec lésine. Quant à notre nourriture journalière, d'un côté nous désirons qu'on nous serve le pain le plus blanc, et nous préparons avec art, pour le manger, une sauce noire. Une belle couleur, nous la ternissons par une teinture indélébile. Nous voulons que nos boissons soient mêlées avec de la neige, et nous grondons si nos mets ne sont pas servis chauds. Le vin est-il un peu acide, à peine le goûtons-nous du bout des lèvres, et nous avalons l’abyrtace à grands traits. (124b) Plusieurs sages ont donc eu raison de dire qu'il valait mieux ne jamais naître, où bientôt disparaître quand on est né. » Déxicrates nous dit, dans sa pièce intitulée ceux qui s'égarent eux-mêmes : « — Si je m'enivre, je prends mon vin à la neige, et je me parfume la bouche avec l'excellent parfum que fait l'Egypte. » Eutyclès dit, dans ses Débauchés, ou l’Epître: « Il sait toujours le premier s'il y a de la neige à vendre, et c'est toujours à lui à manger le premier rayon de miel. » (124c) L'élégant Xénophon fait voir, dans ses Dits mémorables, qu'il connaissait l'usage de préparer les boissons à la neige. Charès de Mitylène a dit, dans ses histoires d'Alexandre, comment il fallait s'y prendre pour conserver de la neige; c'est lorsqu'il parle du siège de la ville de Pétra, dans l'Inde. Selon lui, Alexandre fit creuser trente fosses les unes près des autres, et après qu'on les eut remplies de neige, il ordonna de les couvrir de branches de chêne. Voilà, selon lui, le moyen de conserver la neige longtemps. 98. Strattis nous apprend, dans ses Psychastes, qu'on refroidissait le vin, afin de le boire plus frais : (124d) « Pas un ne consentirait à boire du vin chaud, mais bien lorsqu'il a été rafraîchi dans le puits, mêlé avec de la neige. » On lit dans les Bacchantes de Lysippe : « A. Hermon, qu'y'a-t-il là? comment vont nos affaires? B. Comment! qu'y a-t-il autre chose, sinon que mon père s'est, je pense, mis au fond du puits, comme nous y mettons le vin en été. » Diphile écrit, dans son Mnémation : « Dorion, mets le vin rafraîchir. » Protagoride racontant, dans le second livre de ses Histoires comiques, (124e) le voyage que fit Antiochus sur le fleuve, nous donne quelques détails sur l'art de rendre l'eau fraîche : les voici. Après l'avoir exposée toute la journée au soleil, ils la débarrassent le soir de ce qu'elle a de trop épais, en la passant au filtre; ensuite ils exposent le reste à l'air dans des urnes de terre, sur les plates-formes des maisons, et deux esclaves ne cessent d'arroser les vaisseaux pendant toute la nuit; dès le point du jour, ils les ôtent, et dégageant encore l'eau du sédiment qui s'y trouve, ils la rendent légère et très salubre. (124f) Alors ils mettent les urnes dans de la paille, et usent ainsi de l'eau sans avoir aucun besoin de neige. Anaxilas fait mention d'eau de citerne dans son Joueur de Flûte : « Je te permets de prendre ce que j'ai là d'eau de citerne. » [3,125] (125a) Et ailleurs: « Peut-être que l'eau de citerne a disparu. » Apollodore de Gela se sert du mot citerne comme nous l'employons. C'est dans son Apolipuse : « Après t'être bien fatiguée au seau de la citerne, tu as délié celui du puits, et tu as mis en état les cordes, etc. » 99. Myrtile ayant entendu ces détails, dit : Mes amis, je suis philotarique (amateur de saline), ainsi je veux boire de la neige, comme parle Simonide. Oh! dit Ulpien, le mot philotarique se trouve dans l’Omphale d'Antiphane. (125b) « Ma fille, je ne suis nullement philotarique. » Alexis, dans sa Gynœcocratie, appelle quelqu'un zomotarique, friand de sauce salée. « Mais ce Cilicien; mais cet Hippoclès, ce comédien zomotarique. » Mais je ne sais ce que veut dire, comme parle Simonide. Gourmand, réplique Myrtile, tu t'inquiètes peu de l'histoire. Tu es un vrai knisoloeque, selon l'expression d'Asius, cet ancien poète de Samos, et un vrai knisocolax. Voici donc le fait : (125c) Callistrate nous apprend, dans le septième livre de ses Mélanges, que Simonide, mangeant chez quelqu'un lorsqu'il faisait fort chaud, s'aperçut que ceux qui versaient à boire, mêlaient de la neige dans le vin des autres convives, et n'en faisaient pas autant pour lui; il fît donc l'impromptu suivant : « Le rapide Borée se précipitant de la Thurace, avait caché celle-ci (la neige) dans les flancs de l'Olympe, affectant violemment à la poitrine de ceux qui n'étaient pas vêtus ; mais elle s'est enfin relâchée de sa rigueur, étant enfouie (125d) toute vive dans la terre de Piéris. Que quelqu'un m'en verse donc une portion ; car il ne convient pas de porter une santé à un ami avec du vin chaud. » Alors Cynulque but un verre et Ulpien demanda où se trouvait le mot knisoloeque et quels étaient les vers dans lesquels Asius avait écrit le mot knisocolax. Chap. XXXVI. Voici, répond Myrtile, les vers d'Asius, où se trouve le mot knisocolax (qui caresse la fumée des plats). « Lorsque Mélès se maria, il y vint knisocolax, vieux boiteux, marqué d'un fer rouge, et sans être appelé : il avait tout l'air d'un mendiant, et grand besoin d'un peu de sauce. (125e) Etant donc sorti de sa fange, il se plaça au milieu comme un personnage de marque. » Quant au mot knisoloeque, on le trouve dans le Philarque de Sophile : « Tu es amateur de franches-lippées, et un vrai knisoloeque. » Il s'est aussi servi du mot knisoloequie, dans ses Syntreques (ou ceux qui courent ensemble). « Ce Rufien m'a ordonné de lui accommoder ce boudin ; car c'est un franc gourmand. » (125f) Antiphane emploie le mot knysoloeque dans son Bombylion. Alexis nous fait voir, dans sa Dropide, que les anciens buvaient aussi du vin doux pendant les repas. « Alors entra la courtisane, apportant du vin doux dans un vase d'argent, large, très joli à voir, et qui n'était ni tasse, ni jatte, mais qui tenait de l'une et l'autre forme. » 100. On apporta ensuite un gâteau fait de lait, de grosse farine et de miel, ce que les Romains appellent libum: [3,126] (126a) alors Cynulque dit à Ulpien : Remplis-toi donc de chtorodlapse de ton pays; mots que jamais aucun des anciens n'a écrits, j'en jure par Cérès, à moins que ce ne soit peut-être Sanchoniathon ou Mochus, tes compatriotes. Ulpien lui répond : Cest assez de gâteaux pour moi, effronté que tu es. Je prendrais volontiers actuellement une bonne dose de gruau, où il y aurait beaucoup de pignons; et quand on me l'aura apporté, donnez-moi une mystile (cuiller), car je ne voudrois pas me servir du mot mystron, qu'aucun de nos prédécesseurs n'a employé. (126b) Tu manques ici de mémoire, mon cher, lui dit Emilien. A titre d'amateur de l'antiquité, n'as-tu pas toujours admiré le poète épique Nicandre, comme très savant, et ne l'as-tu pas cité comme s'étant servi du mot peperi (poivre)? Or, le même, montrant l'usage du gruau dans son premier livre des Géorgiques, emploie le mot mystron pour cuiller, dans ce passage : « Mais lorsqu'il s'agira de préparer un repas avec un chevreau nouvellement tué, ou avec un agneau, ou même avec une poule, écrasez de l'orge nouvelle, (126c) en la répandant en poudre dans le fond des vaisseaux, mêlez-la bien en la délayant avec de l'huile qui ait une bonne odeur : versez-y ensuite du bouillon de ces viandes. Puisez et reversez plusieurs fois, afin que rien ne monte en bouillant : fermez bien alors avec un couvercle, car l'orge rôtie est disposée à se gonfler; après quoi distribuez cela chaud à manger aux convives, dans des cuillers profondes mystrois. » Voilà donc, mon cher, Nicandre qui nous détaille ainsi l'usage d'un potage fait de gruau, ou d'orge broyée, prescrivant d'y verser du bouillon d'agneau, ou de chevreau, ou de poule. D'abord, il dit de broyer l'orge dans un mortier, ensuite d'y mêler l'huile en délayant le gruau (126d) pendant que cela cuit, de bien remuer, et souvent, avec la cuiller, le mélange bouillant ainsi composé, mais sans y verser de nouveau bouillon de viande, et en puisant et reversant le mélange sur lui-même, afin que la partie la plus grasse ne monte pas en bouillant au-dessus des bords. C'est aussi pour cela qu'il dit : étouffez le trop grand bouillon du mélange, en le couvrant bien ; car l'orge rôtie est disposée à se gonfler ; enfin, présentez cela dans des cuillers creuses (mystrois), étant modérément chaud. Mais il est fait mention de cuillers (mystron) d'or servies à tous les convives, dans la lettre qu'Hippolocus de Macédoine écrit à Lyncée : (126e) il détaille dans cette lettre certain souper macédonien, qui surpassa en magnificence tout ce qui se fait ailleurs en ce genre. Cependant comme tu aimes tant l'antiquité, et que tu ne veux rien dire que dans le pur langage d'Athènes, que dit donc Nicophon, poète de l'ancienne comédie, dans ses Manœuvriers? car je me rappelle qu'il fait mention de (mystres) cuillers, dans ce passage : « Des vendeurs de (membrades) celerins, de vin pur, de figues sèches, de peaux, de farines, de (mystres) cuillers, (126f) de livres, de tamis, de gâteaux (encrides), de graines. » Or, qui sont les mystropoles, sinon ceux qui vendent des cuillers? Après avoir ainsi appris, mon cher Syratticiste, l'usage des mystres ou cuillers, remplis-toi de gruau, afin que tu ne dises pas, je suis (akykys) sans forces, et près de tomber en défaillance; 101. mais je suis étonné que tu n'aies pas demandé sur le champ, [3,127] de quel pays est ce gruau, (127a) de Mégare? de Thessalie, patrie de Myrtile? Je ne cesse pas de manger, répond Ulpien, si tu ne m'apprends dans quels écrivains on trouve ces espèces de gruaux. Ah! dit Emilianus? je ne te refuserai pas cette instruction ; car, à la vue de l'appareil brillant de ce souper, on ne peut te refuser de te laisser emplir de gruau comme un coq et de lever la crête pour nous donner à ton tour, quelques instructions sur les mets dont nous allons manger. Mais, dit Ulpien avec humeur, apprends-moi donc d'où viennent ces aliments? car comment cesser de faire questions sur questions, (127b) à cause de ces sophistes qui s'y prennent si tard pour apprendre? Eh bien! répartit Emilien, je vais te rendre raison à ce sujet, et te dire d'abord ce qui concerne le gruau, en te présentant un passage de l’Antée d'Antiphane : « A. Mon cher, qu'y a-t-il dans ces paniers? B. Il y a, dans trois, du gruau de Mégare, et fort bon. A. Quoi, pas de celui de Thessalie, qu'on dit être excellent! B. Voici de la fine farine de Phénicie, qui a été soigneusement blutée d'une grande quantité. » (127c) On a aussi une pièce d'Alexis sur le même sujet, et qui en diffère extrêmement peu. Alexis dit encore, dans sa Méchante Femme : « Il y a dedans beaucoup de gruau de Thessalie. » Aristophane a appelé chondros ou gruau, ce que l’on nomme vulgairement ropheema, ou potion, brouet. Voici le passage de ses Doetalées : « Où après avoir fait cuire son brouet (chondron) il y jeta une mouche, et le donna à avaler (humer). » On trouve semidaleos au génitif, dans l’Anthrooporesté de Strattis, et dans la Balance d'Alexis. (127d) Je ne me rappelle pas les passages; mais Strattis a dit aussi semidalidos au génitif, dans la même pièce: « Mais des jumeaux, enfants de la fine farine : (semidalidos.) » Quant au mot edesmata, pour mets ou aliments, Antiphane a employé ce mot dans ses Jumeaux. Voici ses termes : « J'ai mangé de nombre d'excellents mets (edesmatoon), et après avoir bu trois ou quatre santés : je vous ai même lestement avalé autant de pain qu'en auraient peut-être mangé quatre éléphants. » Finissons donc ce Livre, et qu'il ait pour catastrophe, ou dernière partie, ce qui vient d'être dit du mot edesmata. (127e) Nous commencerons le repas par ce qui va paraître à la suite. — Non, Athénée, dit Timocrate ; il faut auparavant nous raconter le repas macédonien dont parle Hippolochus. — Puisque tel est votre désir, Timocrate, tâchons de vous satisfaire.