[8,0] TOPIQUES - LIVRE HUITIÈME - DE LA PRATIQUE DIALECTIQUE. [8,1] CHAPITRE PREMIER. § 1. {156a} Après cela, il faut traiter de l'ordre à mettre dans les arguments, et dire comment il faut interroger. La première chose, quand on doit faire une question, c'est de trouver le lieu par où il faut s'y prendre ; c'est ensuite, d'interroger en soi-même et de disposer chaque chose à part soi; et enfin, en troisième lieu, d'exposer tout cela pour celui à qui l'on s'adresse. Jusqu'à ce qu'on ait trouvé le lieu nécessaire, cette recherche appartient tout aussi bien au philosophe qu'au dialecticien. Mais, disposer toutes ces choses, et ensuite interroger, c'est l'étude spéciale du dialecticien; car tout cela ne s'adresse toujours qu'à autrui. Mais, quant au philosophe et à celui qui étudie pour lui-même, peu importe, quand les choses par lesquelles il fait le syllogisme sont vraies ou connues, que celui qui répond ne les accorde pas, parce qu'elles seraient voisines du principe, et qu'il pressentirait la conséquence que l'adversaire en va tirer. Mais peut-être le philosophe prendra-t-il soin que les axiomes soient les plus connus possible et les plus proches de la question; car c'est de là que viennent les raisonnements qui apprennent réellement quelque chose. On a déjà dit antérieurement d'où il faut tirer les lieux propres à l'argumentation; il faut maintenant parler de l'ordre qu'on y doit mettre, et aussi de l'interrogation, après avoir indiqué les propositions qui peuvent être prises outre les propositions nécessaires. § 2. On appelle nécessaires celles dont on fait le syllogisme. § 3. Celles qui sont admises outre celles-là sont de quatre espèces: on les pose, ou en vue d'une induction, afin que l'adversaire accorde l'universel, ou pour grandir l'expression, ou pour dissimuler la conclusion, ou pour éclaircir la discussion. Il n'y a point à prendre d'autre proposition après celles-là : mais c'est par celles-là seules qu'il faut essayer de développer la discussion et d'interroger l'adversaire. § 4. Celles qui dissimulent ne sont faites que pour le combat; mais puisque toute recherche du genre de celle-ci n'est jamais faite que dans la supposition d'un interlocuteur, il est nécessaire de se servir aussi de propositions qui ne sont pas nécessaires. § 5. Il ne faut donc pas mettre aussitôt en avant les propositions nécessaires par lesquelles se fait le syllogisme, mais il faut les prendre d'aussi haut qu'on le peut. Par exemple, si l'on pense que la notion des contraires soit la même, et que l'on veuille soutenir cette thèse, il ne faut pas aller directement aux contraires; il faut remonter jusqu'aux opposés ; car, ceci une fois admis, on pourra conclure par syllogisme que la notion des contraires est la même, puisque les contraires sont aussi des opposés. Si l'adversaire n'accorde pas cela, il faut le prendre par induction en s'adressant à des contraires particuliers; car il faut prendre les propositions nécessaires, soit par syllogisme, soit par induction, on bien les unes, par induction et les autres par syllogisme. Quant à celles qui sont de toute évidence, il ne faut pas moins les produire; {156b} car la conséquence à conclure est toujours plus obscure, quand on la laisse à l'écart et dans l'induction. Et il n'est pas moins convenable d'avancer ces propositions utiles au syllogisme, même quand on ne pourrait les obtenir de l'adversaire. § 6. C'est pour ces propositions nécessaires elles-mêmes qu'il faut aussi poser les propositions subsidiaires, et voilà comment l'on doit se servir de chacune. § 7. Par l'induction, l'on passe du particulier au général, et du connu à l'inconnu. Les choses de sensation sont plus connues, ou absolument parlant, ou du moins pour le vulgaire. § 8. Il faut, quand on veut dissimuler sa conclusion, chercher à établir par des prosyllogismes les propositions au moyen desquelles on prouvera le principe : et il faudra multiplier ces propositions le plus possible. On le fera, si l'on prouve par syllogisme, non pas seulement les propositions nécessaires, mais aussi quelques-unes des propositions subsidiaires qui leur sont utiles. § 9. Il ne faut pas non plus énoncer les conclusions des prosyllogismes, mais il faut ensuite les donner en masse; car c'est ainsi qu'on s'éloignera le plus de la proposition primitive. § 10. En général, il faut interroger, quand on veut cacher sa pensée, de manière que, toute l'interrogation étant faite, et la conclusion même étant donnée, l'interlocuteur en soit encore à demander le pourquoi : et l'on atteindra surtout ce résultat par la méthode qui vient d'être indiquée. En effet, en n'énonçant que la conclusion extrême, l'interlocuteur ne pourra savoir comment ont l'obtient, parce qu'il n'a pas vu préalablement comment on y arrive, les syllogismes antérieurs n'ayant pas été posés membres à membres. Le syllogisme de la conclusion extrême a encore bien moins ses membres réguliers, puisque nous en avons donné, non pas les éléments initiaux, maie seulement les principes, par lesquels le syllogisme de ceux-là se produit. § 11. Il est utile aussi de ne pas prendre d'une manière toute continue les assertions dont on forme les syllogismes. Il faut prendre successivement des assertions qui se rapportent à des conclusions différentes; car, en plaçant les assertions spéciales les unes auprès des autres, la conclusion qui en doit résulter sera plus évidente. § 12. Il faut aussi, pour la définition, prendre, quand on le peut, la proposition universelle, non dans les choses même, mais dans les choses de même ordre; car lès adversaires se réfutent eux-mêmes quand on tire la définition d'une chose de même ordre, parce qu'ils ne l'accordent pas universellement. Par exemple, s'il fallait faire accorder cette proposition que l'homme en colère désire la vengeance à cause du mépris qu'on a fait de lui, et que l'on se fît accorder celle-ci que la colère est un désir de vengeance à cause du mépris manifesté, il est évident que, cette proposition une fois accordée, on aurait la proposition universelle qu'on cherche. Mais quand on s'arrête aux choses même dont il s'agit, il arrive souvent que celui qui répond refuse les propositions, parce que la réfutation lui est plus facile sur ce point : et il soutient, par exemple, que, quand on est en colère, on ne désire pas toujours la vengeance : ainsi, nous pouvons bien nous emporter contre nos parents, et, cependant, nous ne désirons pas les punir. Mais peut-être cette réfutation n*est pas très vraie ; car, dans certains cas, c'est une vengeance suffisante quand on a fait du chagrin aux gens, {157a} et qu'on les fait repentir de leur action. Cependant, il y a dans cette objection une apparence de vérité, qui fait que l'adversaire ne paraîtra pas déraisonnable de repousser la proposition d'abord avancée. Mais, quant à la définition de la colère, il n'est pas aussi facile d'en trouver la réfutation. § 13. Il faut, du reste, avancer ces propositions comme si c'était, non pour la chose même, mais pour une autre chose; car l'adversaire est toujours sur ses gardes pour les concessions qui peuvent être utiles à la proposition. § 14. En un mot, il faut rendre aussi obscur que possible, le point de savoir si l'on veut prendre ou la chose en question ou l'opposée ; car lorsque ce qui peut être utile à la discussion reste obscur, on se laisse aller davantage à sa véritable opinion. § 15. Il faut interroger aussi par la ressemblance; car elle peut suffire à persuader, et cache plus les choses que la proposition universelle. Par exemple, on peut dire que, de même que la notion ou l'ignorance des contraires est unique, de même aussi la sensation des contraires est unique : ou réciproquement, puisque la sensation des contraires est la même, la science l'est aussi. Cela ressemble à l'induction, mais cependant ne lui est pas identique ; car, pour l'induction, on tire le général du particulier : et, pour les semblables, on ne prend pas le terme général sous lequel sont compris tous les semblables ensemble. § 16. Il faut aussi faire parfois la réfutation contre soi-même; car ceux qui répondent sont tout à fait sans défiance, quand on paraît présenter les arguments avec loyauté. § 17. Il est utile encore d'ajouter que ce que l'on soutient est habituel ; car on répugne à ébranler une opinion reçue, quand on n'a pas de réfutation toute prête : et précisément parce qu'on est bien obligé de se servir soi-même d'arguments de ce genre, on se garde de les repousser. § 18. Il ne faut pas non plus montrer trop d'ardeur pour un argument tout utile qu'il peut être; car l'adversaire résiste davantage quand il remarque un si vif empressement. § 19. Il faut encore n'avancer son opinion que comme une comparaison ; car on accorde plus aisément ce qui est avancé non pour soi, mais pour autre chose. § 20. Il ne faut pas non plus avancer directement la chose qui doit être posée, mais ce dont celle-là est la conséquence nécessaire. L'adversaire accorde plus facilement ce qu'on lui demande, parce que la conséquence qui doit en résulter n'est pas alors aussi évidente : et en prenant l'un, on prend aussi l'autre. § 21. Ce n'est qu'en dernier lieu qu'il faut demander ce qu'on veut par-dessus tout obtenir; car l'adversaire repousse surtout les premières choses qu'on lui demande, parce que la plupart de ceux qui interrogent énoncent tout d'abord les choses qui les préoccupent le plus. § 22. Avec certains interlocuteurs, il faut tout d'abord avancer ces choses-là précisément; car les gens à difficultés accordent surtout les premières choses, quand la conclusion qui doit résulter n'est pas fort évidente : mais ils font des difficultés à la fin. Et de même font ceux qui se piquent d'être fins dans leurs réponses; car, après avoir fait de nombreuses concessions, ils élèvent des arguties vers la fin, en prétendant que la conclusion ne sort pas des données admises. Ils concèdent au contraire sans peine, se fiant à leur talent, et supposant toujours qu'il ne leur arrivera {157b} rien de fâcheux. § 23. Il faut encore allonger la discussion, et ajouter bien des choses qui ne sont pas utiles au sujet, comme ceux qui tracent de faux dessins; car, lorsque les choses sont si nombreuses, on ne sait pas au juste dans laquelle est l'erreur. Aussi parfois ceux qui interrogent ne s'aperçoivent pas qu'ils ont avancé dans cette obscurité des choses, qui, présentées en soi, n'auraient pas été accordées certainement. § 24. Il faut donc se servir des moyens qui viennent d'être indiqués pour cacher sa pensée. § 25. Pour l'orner, au contraire, il faudra recourir à l'induction, et à la division des choses de même genre. On voit clairement ce qu'est l'induction. La division c'est, par exemple, de dire que telle science est meilleure que telle autre science, ou parce qu'elle est plus exacte, ou parce que le sujet en est plus élevé ; c'est-à-dire que parmi les sciences les unes sont théoriques, les autres pratiques, et d'autres productives. Chacune de ces choses, en effet, embellit le discours, mais elles ne sont pas nécessaires à dire pour la conclusion qu'on poursuit. § 26. Pour éclairer la discussion, ce sont des exemples et des comparaisons qu'il faut prendre. Il faut choisir des exemples familiers, tirés de choses que nous connaissons, comme fait Homère, et non comme fait Chaerile ; car de cette façon ce qu'on a avancé devient plus clair. [8,2] CHAPITRE II. § 1. Il faut quand on discute se servir du syllogisme plutôt avec les dialecticiens qu'avec le vulgaire; et au contraire, il faut se servir plutôt de l'induction avec le vulgaire. On a déjà parlé de cela précédemment. § 2. Dans certains cas, il est possible en interrogeant de demander l'universel par voie d'induction ; dans certains cas, cela n'est pas facile parce qu'il n'y a pas un nom commun pour toutes les ressemblances. Mais quand il faut obtenir l'universel, c'est de cette façon, dit-on, qu'il faut procéder pour toutes les choses de ce genre ; or il est extrêmement difficile de déterminer quelles sont, parmi les choses avancées, celles qui sont telles qu'on le dit, et celles qui ne le sont pas : et c'est là ce qui fait souvent qu'on se querelle dans les discussions, les uns soutenant que des choses qui ne sont pas semblables le sont, d'autres doutant que des choses semblables le soient. Il faut, pour éviter ces embarras, essayer de forger soi-même des mots, afin que celui qui répond ne conteste pas que ce qui est énoncé soit dit semblablement, ni que celui qui interroge puisse chicaner sur la ressemblance, attendu que beaucoup de choses paraissent dites semblablement qui cependant ne le sont pas. § 3. Lorsque, après une induction faite pour plusieurs termes, l'adversaire ne donne pas l'universel, il est juste alors de demander à l'adversaire son objection. Si l'on n'a pas désigné soi-même pour quels termes il en est ainsi, il n'est pas juste, de demander pour quels termes il n'en est pas ainsi; car ce n'est qu'après avoir fait d'abord cette induction, qu'on peut réclamer l'objection de l'adversaire. § 4. Et l'on peut demander qu'on ne fasse porter les objections sur le sujet lui-même, que dans le cas où ce sujet serait le seul de cette façon, comme la dyade qui est le seul {158a} nombre premier parmi les nombres pairs; car il faut que celui qui fait l'objection la fasse porter sur une autre chose, ou qu'il prétende que le sujet en question est le seul qui soit de cette façon. § 5. Quant à ceux qui réfutent en faisant porter l'objection non sur la chose même, mais sur un homonyme, et par exemple, qui soutiennent qu'on peut avoir une couleur qui n'est pas la sienne, ou le pied, ou la main, comme le peiutre pourrait avoir une couleur qui n'est pas. à lui, et le cuisinier un pied qui ne lui appartient pas, il faut pour interroger ces gens-là faire la division; car tant que l'homonymie reste cachée, l'objection à la proposition paraîtra bonne. § 6. Si au contraire l'objection faite, non plus sur un homonyme mais bien sur la chose même, est de nature à empêcher toute question, il faut, en retranchant la partie atteinte par la réfutation, soutenir le reste de la proposition en la faisant générale, jusqu'à ce qu'on ait obtenu un terme qui puisse servir, comme dans cet exemple : L'oubli, et avoir oublié ; car les adversaires n'accordent pas que celui qui a perdu la science ait oublié, parce que, disent-ils, la chose étant disparue, on a bien perdu la science, mais on ne l'a pas oubliée. Il faut dans ce cas soutenir le reste de la proposition, en retranchant ce sur quoi porte la réfutation : et par exemple dire que si la chose subsistant on en a perdu la science, c'est qu'alors on l'a oubliée. Et de même encore pour ceux qui réfutent cette proposition que le mal plus grand est opposé au bien plus grand; car ils soutiennent qu'à la santé qui est un moindre bien que la force, un mal plus grand est opposé, attendu que la maladie est un mal plus grand que la faiblesse de constitution. Il faut donc faire disparaître ici aussi ce sur quoi porte la réfutation ; car, ceci retranché, l'adversaire accordera mieux la proposition : et dans l'exemple cité, il faudra dire qu'un mal plus grand est opposé à un plus grand bien, quand l'un n'implique pas l'autre, comme la force de constitution implique la santé. § 7. Non seulement il faut faire cela quand l'adversaire oppose des objections, mais même lorsque, sans élever d'objection, il nie la proppsition avancée, prévoyant bien quelque chose de pareil. En effet, quand on a fait disparaître ce sur quoi porte l'objection, l'adversaire sera forcé d'admettre la proposition initiale, parce qu'il n'aura pas découvert dans le reste une partie qui ne serait pas ainsi qu'on l'a dit : et s'il ne l'admet pas, il sera hors d'état, qu'on lui demandera son objection, de pouvoir en donner une. Ces propositions, du reste, sont celles qui sont à moitié vraies et à moitié fausses; car on peut, en enlevant une partie, ne laisser que ce qui est vrai dans ces propositions. Que si, lorsqu'on étend son assertion à plusieurs choses, l'adversaire n'élève pas d'objection, il faut penser qu'il l'a admise ; car la proposition dialectique est celle qui, s'appliquant ainsi à plusieurs choses, n'a point subi dobjection. § 8. Quand on peut conclure syllogistiquement une même chose, soit sans la réduction à l'absurde, soit par réduction à l'absurde, peu importe, si l'on démontre et qu'on ne discute pas dialectiquement, de faire le syllogisme de l'une ou l'autre façon. Mais quand on discute contre quelqu'un, il ne faut pas se servir du syllogisme par l'absurde; car l'adversaire ne peut contester, quand on conclut sans réduction à l'impossible. {158b} Mais quand, au contraire, on a conclu par l'absurde, si l'erreur n'est pas parfaitement manifeste, l'adversaire soutient qu'il n'y a pas d'absurdité: et alors ceux qui interrogent n'en viennent pas du tout où ils veulent. § 9. Il faut avancer les assertions qui sont le plus ordinairement de la façon qu'on dit; car alors, ou la réfutation n'est pas du tout possible, ou bien il n'est pas facile de la découvrir à première vue. En effet, ne pouvant pas voir les choses pour lesquelles il n'en est pas ainsi, l'adversaire accepte l'assertion comme étant vraie. § 10. Du reste il ne faut pas de la conclusion faire une question ; sinon, dans le cas où l'adversaire la nie, il semble ne plus y avoir de syllogisme; car souvent même, sans qu'on fasse d'interrogation, et en présentant la proposition comme conséquence de ce qui précède, les adversaires la nient; et en faisant cela, ils ne paraissent même pas être réfutés, pour ceux qui n'ont pas pressenti la conclusion des données admises. Lors donc que, même sans avoir dit que c'est la conclusion, on interroge, et que l'adversaire répond négativement, il semble qu'il n'y ait pas du tout de syllogisme. § 11. Toute proposition universelle ne semble pas toujours être une proposition dialectique : par exemple, qu'est-ce que l'homme? En combien de sens entend-on le bien? La proposition dialectique est celle à laquelle on peut répondre oui ou non; mais on ne le peut pour celles qu'on vient d'énoncer. Aussi ces questions-là ne sont-elles pas dialectiques, si l'on n'a point soi-même défini ou divisé en disant, par exemple : Le bien est-il dit dans tel ou tel sens? car la réponse, dans ce cas, est très-facile, soit qu'on affirme, soit qu'on nie. Aussi est-ce sous cette forme qu'il faut tâcher d'avancer les propositions de ce genre. Il est peut-être aussi également loyal de ne demander en combien de sens on entend le bien, que lorsque, ayant fait une division et avancé une proposition, l'adversaire ne l'accorde pas. § 12. Celui qui pendant longtemps se borne à faire une seule question interroge mal; car une fois que celui qui a interrogé a répondu à ce qu'on lui demandait, il est clair, ou qu'on lui demande plusieurs choses à la fois, ou plusieurs fois les mêmes choses, de sorte que, ou c'est une vaine plaisanterie, ou bien l'on ne fait pas de syllogisme; car le syllogisme se compose toujours de peu d'éléments. Si l'adversaire ne répond pas, pourquoi alors ne pas le reprendre et ne pas cesser la discussion? [8,3] CHAPITRE III. § 1. Il est difficile d'attaquer et facile de défendre les mêmes suppositions ; et ces suppositions sont celles qui naturellement sont les premières et les dernières. Les propositions premières ont besoin de définition; et les dernières sont conclues après beaucoup d'autres, quand on veut prendre la série continue des arguments à partir des premières: ou bien les arguments paraissent sophistiques, puisqu'il est impossible de rien démontrer si l'on ne commence par les principes propres au sujet, et si l'on ne va jusqu'aux derniers termes. Ceux donc qui répondent ne croient pas devoir définir, et ils n'écoutent pas celui qui interroge quand il définit. Or, lorsqu'on ne voit pas clairement {159a} ce qu'est le sujet, il n'est pas facile d'attaquer la proposition, et cela se présente surtout pour les principes; car c'est au moyen des principes que le reste est démontré, tandis qu'eux ne peuvent l'être par d'autres termes. Il faut donc nécessairement qu'on ne connaisse chacun d'eux que par la définition. § 2. Les propositions qui sont très rapprochées du principe sont aussi difficiles à attaquer; car on ne peut pas trouver beaucoup d'arguments contre elles, parce qu'il y a peu de termes entre elles et le principe; et c'est par ces termes qu'il faut nécessairement démontrer tout ce qui vient ensuite. § 3. Les plus difficiles à attaquer de toutes les définitions, sont précisément celles qui se servent de mots dont il est incertain de dire tout d'abord, s'ils sont pris dans un sens absolu ou dans plusieurs sens, et dont, en outre, on ne sait s'ils sont employés par celui qui définit, soit absolument, soit par métaphore. Précisément parce qu'ils sont obscurs, il n'y a pas d'argument contre eux, et l'on ne saurait les attaquer à ce titre, parce qu'on ignore si ces mots sont obscurs uniquement parce qu'ils sont pris par métaphore. § 4. En général, pour toute question qui est difficile à attaquer, il faut supposer, ou qu'elle a besoin d'être définie, ou que c'est une des choses à plusieurs sens ou une des choses à sens métaphorique, ou bien qu'elle n'est pas loin des principes, ou bien enfin que notre doute vient uniquement de ce que nous ne savons pas à quel de tous les titres énumérés ici, cet objet nous l'inspire. En effet, une fois fixés sur te manière dont cette question est difficile, il est évident qu'il faut ou définir, ou diviser, ou rétablir les propositions intermédiaires; car c'est par elles qu'on démontre les plus reculées. § 5. Quand la définition n'a pas été bien donnée, il y a bien des thèses qn'il n'est pas facile de discuter ou d'attaquer, celle-ci, par exemple : Une seule chose a-t-elle un ou plusieurs contraires? Mais une fois que les contraires sont définis comme il faut, il est facile d'en conclure si cette même chose peut ou non avoir un ou plusieurs Contraires. Et de même pour toutes les propositions qui n'ont pas de définition. § 6. Dans les mathématiques même, il y a aussi certaines choses qui ne paraissent difficiles à démontrer que par le défaut de définition : par exemple, ce théorème : que la droite qui coupe par le coté la surface, divise également la ligne et l'aire de la figure. Mais, la définition une fois donnée, la chose est sur-le-champ évidente ; car les lignes et les aires éprouvent la même soustraction, et cette définition s'applique de part et d'autre à la même idée. Eii général, les premiers éléments, quand les définitions ont été données, comme celle de la ligne et du cercle, sont faciles à démontrer, sans compter qu'il n'y a pas beaucoup d'arguments possibles contre chacun d'eux, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'intermédiaires. Mais si l'on ne donne pas les définitions des principes, les attaquer devient difficile et même tout à fait {159b} impossible ; et il en est de même pour les termes qu'on fait entrer dans les définitions. § 7. Il ne faut donc pas oublier, quand la proposition est difficile à attaquer, qu'elle présente l'un des défauts qui viennent d'être indiqués. § 8. Quand il est plus difficile de discuter contre l'axiome et contre la proposition que contré la thèse, on peut douter s'il faut ou non poser les choses mêmes; car si on ne les pose pas, et qu'on prétende les discuter, ce sera plus difficile que ce qui avait d'abord été donné ; et si on les pose, on tirera sa croyance de choses moins croyables. Si donc on ne veut pas rendre la question plus difficile, il faut poser la thèse, et si l'on peut raisonner par des principes plus connus, il ne faut pas la poser. Ou bien ne doit-on pas dire qu'il ne faut pas la poser quand on apprend, si la thèse n'est pas plus connue, mais qu'il faut la poser quand on s'exerce, pourvu qu'elle semble vraie? Il est donc évident qu'il ne faut pas indifféremment poser la thèse, selon qu'on interroge ou qu'on enseigne. § 9. Ce qu'on vient de dire suffit à peu près pour montrer comment il faut faire les questions et les disposer. [8,4] CHAPITRE IV. § 1. Quant à la réponse, il faut fixer d'abord ce que doit faire celui qui répond bien, de même que ce que doit faire celui qui interroge bien. § 2. Il faut que celui qui interroge pousse la discussion, de manière que celui qui répond lui réponde les choses les plus insoutenables possible, d'après les données nécessaires de la question. § 3. Et celui qui répond doit faire en sorte que ce qu'il dit d'impossible ou de paradoxal paraisse venir, non pas de lui, mais de la question même; car c'est peut-être une erreur toute différente de poser d'abord ce qui ne doit pas être posé, et de ne pas défendre comme il faut ce qui a été posé. [8,5] CHAPITRE V. § 1. On n'a point encore déterminé la marche que doivent suivre ceux qui ne discutent que par manière d'exercice et d'essai. C'est, qu'en effet, le but n'est pas du tout le même, quand on enseigne ou quand on instruit, que quand on combat, non plus qu'il n'est pas le même quand on combat que lorsqu'on ne converse entre soi, que par simple curiosité théorique. Avec un disciple, il faut toujours poser des principes qui semblent vrais; et, en effet, personne ne pense à enseigner ce qui est faux. Quand on lutte dans la discussion, il faut que celui qui interroge semble toujours faire ce qui est convenable, et que celui qui répond ne paraisse absolument point succomber. Ainsi donc pour les rencontres dialectiques où l'on discute, non pour se combattre, mais pour s'essayer et s'éclairer, personne n'a encore fixé nettement le but que doit se proposer celui qui répond, et ce qu'il doit accorder ou ne pas accorder, pour défendre bien ou mal la thèse posée. Dans cette absence de toute méthode transmise à nous parles autres, essayons nous-même d'en dire quelque chose. § 2. II y a donc nécessité que celui qui répond soutienne la discussion en posant une thèse quelconque, qu'elle soit probable ou improbable, {160a} ou qu'elle ne soit ni l'un ni l'autre : je veux dire absolument probable ou improbable, ou limitativement, par exemple, pour telle ou telle personne, pour soi-même ou pour tel autre. § 3. Peu importe, du reste, comment elle est probable ou improbable ; car la manière de bien répondre sera toujours la même, ainsi que d'accorder ou de ne pas accorder ce qui est demandé. § 4. La proposition étant improbable, il est nécessaire que la conclusion soit probable, comme elle est improbable pour une proposition probable ; car celui qui interroge conclut toujours l'opposé de la thèse. Si le sujet en question n'est ni probable ni improbable, la conclusion sera aussi de ce genre. Puisque celui qui raisonne bien démontre la question par des principes plus probables et plus connus qu'elle, il est clair que le sujet étant tout à fait improbable, il ne faut pas que celui qui répond accorde ni ce qui lui semble faux absolument, ni ce qui lui paraît vrai, mais cependant moins vrai que la conclusion. § 5. En effet, quand la proposition est improbable, la conclusion est probable, de sorte qu'il faut, que toutes les données admises soient probables et plus probables que la thèse, puisqu'il fout conclure le moins connu par le plus connu. Ainsi donc, si rien parmi les choses demandées n'est tel, il ne faut pas que celui qui répond l'accorde. § 6. Si la proposition est absolument probable, il est clair que la conclusion sera absolument improbable. Il faut donc accorder tout ce qui semble vrai, et parmi ce qui ne semble pas vrai, tout ce qui est moins improbable que la conclusion ; car ainsi l'on paraît avoir bien discuté. § 7. Et de même encore, si la proposition n'est ni probable ni improbable ; car, dans ce cas aussi, il faut accorder tout ce qui paraît vrai, et de ce qui ne paraît pas vrai, tout ce qui est plus probable que la conclusion ; car, de cette façou, les arguments deviendront plus probables. § 8. Si donc le sujet est absolument probable ou improbable, il faut faire la comparaison des arguments avec ce qui semble absolument vrai. § 9. Si le sujet n'est pas absolument probable ou improbable, mais qu il le soit seulement pour celui qui répond, il faut, pour accorder ou ne pas accorder, s'en référer à ce qui lui paraît vrai et à ce qui ne le lui paraît pas. § 10. Si celui qui répond défend la pensée d'un autre, il est évident qu'il faut accorder ou rejeter chaque proposition, en se reportant à la pensée de cet autre. Ainsi, ceux mêmes qui soutiennent des opinions autres que les leurs, par exemple que le bien et le mal sont identiques, comme le dit Héraclite, repoussent cependant cette opinion que les contraires ne peuvent être à la fois à une même chose, non pas comme une opinion qui leur paraît fausse, mais seulement parce qu'il faut se prononcer ainsi, d'après Héraclite. C'est encore ce que font les interlocuteurs qui reçoivent mutuellement l'un de l'autre les données de la discussion; car alors ils visent à raisonner comme aurait fait celui qui les a posées. § 11. On voit donc clairement quelles choses celui qui répond doit avoir en vue, soit que le sujet soit absolument probable, ou qu'il le soit pour certains interlocuteurs. [8,6] CHAPITRE VI. § 1. Comme il faut nécessairement que toute chose demandée par l'interlocuteur soit ou probable ou improbable, ou ni l'un ni l'autre, et qu'elle soit relative au sujet ou n'y soit pas relative, {160b} si elle paraît vraie sans tenir au sujet, il faut l'accorder en disant qu'on la trouve vraie; car, en l'admettant, on ne détruit pas le principe qu'on a d'abord posé. § 2. Si elle ne paraît pas vraie, et qu'elle ne soit pas contraire au sujet, il faut l'accorder encore, mais ajouter aussi qu'on l'accorde quoiqu'on ne la trouve pas vraie, afin de se donner l'avantage de la condescendance. § 3. Quand cette nouvelle opinion est contre le sujet et qu'elle paraît vraie, il faut dire qu'on la trouve vraie, mais qu'elle est trop près du principe, et que, si on l'admet, le sujet d'abord posé est détruit. § 4. Si la proposition, tout en étant relative à la discussion, paraît trop improbable, il faut reconnaître que, ceci posé, la conclusion posée en sort; mais il faut ajouter que la proposition avancée est par trop simple. § 5. Si la proposition n'est ni probable ni improbable, dans le cas où elle ne contredit pas la discussion, il faut l'accorder sans rien ajouter. § 6. Si elle la contredit, il faut ajouter que, ceci admis, le principe d'abord posé est détruit ; § 7. car c'est ainsi que celui qui répond paraîtra n'être pour rien dans la défaite, s'il sait prévoir à l'avance la suite des données qu'il va concéder : et celui qui interroge pourra former son syllogisme, puisqu'on lui aura donné toutes les propositions qui sont plus probables que la conclusion. Mais tous ceux qui essayent de raisonner en parlant de choses moins probables que la conclusion, raisonnent évidemment mal : aussi ne faut-il pas accorder ces propositions à ceux qui interrogent. [8,7] CHAPITRE VII. § 1. Il faut traiter par la même méthode les cas où les propositions sont obscures ou ont plusieurs sens. Comme il est toujours permis à celui qui répond, s'il ne comprend pas, de dire : Je ne comprends pas, et quand une chose a plusieurs sens, comme il n'est pas dans la nécessité de l'accorder ou de la refuser, il est évident d'abord que, si l'expression employée n'est pas claire, il ne faut pas hésiter à dire qu'on ne la comprend pas ; car souvent il résulte des difficultés de ce qu'on a répondu à une question qui n'a pas été faite clairement. § 2. Mais si la chose qui a plusieurs sens est bien connue, selon qu'elle est vraie ou fausse de tous les termes auxquels on veut l'appliquer, il faut l'accorder ou la refuser absolument. § 3. Si la chose est en partie vraie, en partie fausse, il faut ajouter qu'elle a plusieurs sens, et pourquoi ceci est vrai et cela est faux ; car, si l'on ne fait cette distinction que plus tard, il reste incertain qu'on ait vu l'ambiguité même qui est dans le principe. § 4. Mais si l'on n'a pas vu cette ambiguïté et qu'on ait admis la proposition, en songeant à l'un des sens, il faut dire à celui qui mène la discussion à l'autre sens, que c'est en regardant à l'autre et non pas à celui-là qu'on admettait la proposition avancée. C'est qu'en effet, du moment qu'il y a plusieurs choses comprises sous le même mot ou la même définition, le doute devient très facile. § 5. Si ce qu'on demande est clair et simple, il faut répondre par oui ou par non. [8,8] CHAPITRE VIII. § 1. Toute proposition syllogistique est une de celles dont on tire le syllogisme, ou une proposition faite en vue de l'une de celles-là. Quand donc c'est pour une autre proposition qu'on en demandè une, la question portant sur plusieurs choses pareilles, car c'est ou par induction ou par ressemblance qu'on prend ordinairement l'universel, il faut évidemment accorder toutes les propositions particulières si elles sont {161a} vraies et probables. Et il ne faut essayer de faire porter l'objection que sur l'universel; car, sans objection, qu'elle soit vraie ou qu'elle le paraisse être, empêcher la discussion, c'est faire de vaines difficultés. Si donc, sans avoir d'objection à faire, on n'accorde pas l'universel, bien qu'on ait accordé plusieurs propositions particulières, il est évident qu'on ne cherche qu'à chicaner. Si l'on n'a pas même à objecter que la chose n'est pas vraie, on paraîtra bien plus encore n'élever qu'une chicane. Cependant, cette remarque même n'est pas très-juste : car nous trouvons beaucoup d'assertions opposées à nos opinions et qu'il nous serait très-difficile de réfuter: par exemple, celles de Zénon quand il soutient qu'il est impossible qu'il y ait du mouvement, qu'on ne saurait parcourir le stade. Mais il ne faut pas à cause de cet embarras accorder les assertions opposées à celles-là. Si donc l'on repousse la proposition sans avoir rien à y opposer, sans avoir d'objection à faire, il est clair qu'on ne fait que chicaner ; car la chicane, en fait de discussion, est une réponse qui est contre tous les modes indiqués plus haut et qui détruit le syllogisme. [8,9] CHAPITRE IX. § 1. Il faut, pour se bien préparer à soutenir sa thèse et sa définition, se faire d'abord à soi-même toutes les objections ; car il est clair qu'il faut pouvoir repousser les arguments par lesquels ceux qui interrogent renverseront la proposition avancée. § 2. Il faut aussi bien prendre garde de soutenir une proposition improbable. Or, elle peut être improbable de plusieurs façons. D'abord, elle est improbable quand les conséquences en sont absurdes : par exemple, si l'on prétend que tout est en mouvement ou que rien ne se meut. On peut regarder encore comme improbables toutes les propositions qui ne peuvent être adoptées que par un cœur dépravé et qui sont contraires à la conscience : par exemple, que le plaisir est le bien, et que faire une injustice vaut mieux que la souffrir ; car on déteste celui qui soutient ces maximes, parce qu'on croit qu'il les soutient, non pas seulement pour le besoin de la discussion, mais par conviction. [8,10] CHAPITRE X. § 1. Tous les raisonnements dont la conclusion est erronée peuvent être redressés en leur ôtant ce qui constitue l'erreur. Ce n'est pas, du reste, en leur retranchant une partie quelconque qu'on les rectifie, ni même en retranchant une partie erronée ; car la proposition peut renfermer plus d'une erreur : par exemple, si l'on suppose que celui qui est assis écrit, et que Socrate soit assis, on peut se tromper en concluant que Socrate écrit. En ôtant donc cette proposition que Socrate est assis, la rectification n'en est pas faite davantage, et cependant cette proposition était fausse. Mais ce n'était pas elle précisément qui rendait le raisonnement faux. En effet, si quelqu'un est assis, mais sans écrire, la même rectification ne conviendra plus sur ce point; de sotte, que ce n'est pas là ce qu'il faut retrancher, mais c'est l'assertion que celui qui est assis écrit ; car tout homme assis n'écrit pas en général. Donc, on rectifie le raisonnement en ôtant ce qui donne naissance à l'erreur. § 2. Mais on sait faire cette rectification en sachant que le raisonnement tient à ce point-là, comme pour les figures fausses; car il ne suffit pas de faire une objection, ni même de retrancher la partie erronée, mais il faut démontrer encore pourquoi c'est une erreur; alors en effet, on verra clairement si l'on fait l'objection parce qu'on a, ou non, prévu la conséquence fausse. {161b} § 3. On peut pour empêcher de conclure s'y prendre de quatre façons, § 4, soit en ôtant ce en quoi consiste l'erreur, § 5, soit en adressant l'objection à celui-là même qui interroge; car souvent, sans même qu'il y ait de solution, celui qui interroge ne peut pas aller plus loin. § 6. En troisième lieu, on peut adresser l'objection à la question elle-même; car il peut se faire que la question, telle qu'elle est posée, ne suffise pas pour amener la conclusion que nous voulons, parce qu'on nous a mal interrogés, et qu'en ajoutant quelque chose nous obtenions la conclusion désirée. Si donc celui qui interroge ne peut aller plus loin, l'objection sera dirigée contre l'interrogateur, et s'il le peut, contre les choses qu'il demande. § 7. La quatrième et la plus mauvaise des objections est celle du temps ; car quelquefois l'on fait, cette objection qu'il faut plus de temps qu'on n'en a dans le moment, pour discuter le sujet. § 8. Ainsi donc, les objections sont comme nous venons de le dire de quatre sortes : la première seulement peut servir de véritable solution ; quant aux autres, elles ne sont que des empêchements et des obstacles à la conclusion. [8,11] CHAPITRE XI. § 1. La critique du raisonnement n'est pas la même, et quand elle s'adresse directement au raisonnement et quand il est remis en interrogation par l'interlocuteur; car souvent celui qui est interrogé ainsi, se trouve cause que le raisonnement n'a pas été bien conduit, parce qu'il n'accorde pas les propositions qui pouvaient servir à bien discuter la question. En effet, il ne suffit pas ici de la volonté d'un seul interlocuteur pour que l'œuvre commune soit bien faite. Il est donc parfois nécessaire d'attaquer personnellement celui qui parle, et non pas la thèse, quand en répondant, l'interlocuteur cherche à présenter des choses tout a fait défavorables à celui qui l'interroge; car alors, avec ces chicanes, ce sont des discussions qui arrivent à la dispute, et qui ne sont plus de la dialectique. § 2. Du reste, comme les discussions dont il s'agit ici ne sont plus qu'un exercice et une épreuve, et ne sont plus un moyen d'instruction, il est clair qu'il faut conclure non plus seulement le vrai, mais aussi le faux, et procéder, non pas seulement par des propositions vraies, mais quelquefois aussi par de fausses; car souvent, en posant le vrai, il y a nécessité en discutant de le détruire, de sorte qu'il faut avancer des choses fausses. Et quelquefois, quand c'est le faux qui est posé, il faut le réfuter par des propositions également fausses; car rien n'empêche que l'interlocuteur ne croie ce qui n'est pas plus que ce qui est réellement. Alors la discussion s'établissant d'après des principes qu'il approuve, il peut en tirer plus de persuasion que de profit. § 3. Il faut aussi, quand on veut déplacer convenablement la discussion, la déplacer non pas en disputant, mais dialectiquement, que la conclusion d'ailleurs soit vraie ou fausse. On a dit plus haut ce que c'est que les syllogismes dialectiques. § 4. Puisque le compagnon est mauvais, qui empêche la besogne commune, il est clair que cela aussi s'applique tout aussi bien à la discussion ; car une œuvre commune est aussi ce qu'on s'y propose, si ce n'est pour ceux qui n'y cherchent qu'un combat. En effet, dans ce cas, les interlocuteurs ne sauraient atteindre tous les deux le même but, puisqu'il est impossible que plusieurs concurrents remportent un seul prix. {162a} Peu importe, du reste, qu'on le fasse soit en interrogeant, soit en répondant; car celui qui interroge pour disputer discute mal, de même que celui qui, en répondant, n'accorde pas ce qui lui semble vrai, et n'admet pas les questions que celui qui interroge veut lui faire. Il est donc clair, d'après ce qu'on vient de dire, qu'il ne faut pas critiquer de la même façon et le raisonnement en lui-même et celui qui interroge, parce que rien n'empêche que le raisonnement ne soit mauvais, et que celui qui interroge ne discute le mieux possible, relativement à celui qui lui répond; car, contre ceux qui chicanent, il n'est pas toujours possible de faire sur-le-champ les syllogismes qu'on veut : on ne fait que ceux qu'on peut. § 5. Parfois on néglige de déterminer si les interlocuteurs adoptent les contraires ou les principes d'abord posés; car souvent, quand on parle de soi seul, on admet les contraires; et, après avoir refusé certaines propositions, on finit par les accorder ensuite. De là il arrive souvent, quand on est interrogé, qu'on admet et les contraires et les principes d'abord posés. Il s'ensuit nécessairement que les discussions sont mauvaisesr et c'est celui qui répond qui en est cause, soit en ne donnant pas certaines choses, soit en les donnant d'une certaine façon. Il est donc évident qu'il ne faut pas critiquer de la même manière ceux qui interrogent et leurs raisonnements. § 6. Il y a cinq critiques possibles contre le raisonnement même. § 7. D'abord, quand, d'après les interrogations posées, il ne conclut pas pour le sujet en question, ou ne conclut pas du tout ; ce qui a lieu du moment qu'on a posé fausses et improbables, soit toutes, soit la plupart des propositions dans lesquelles est contenue la conclusion, et quand la conclusion ne peut s'obtenir, ni en enlevant certaines choses ou en les ajoutant , ni en ôtant celles-ci et en ajoutant celles-là. § 8. La seconde critique, c'est lorsque le syllogisme n'a pas lieu contre la thèse avec les propositions, et d'après les procédés indiqués auparavant. § 9. La troisième, c'est lorsque le syllogisme a lieu en ajoutant certaines données, et que ces données sont moins bonnes que les questions mêmes, et moins probables que la conclusion. § 10. Et, de plus, si cela se produit en ôtant certaines parties du raisonnement; car souvent on prend plus de données qu'il n'en faut ; de sorte que le syllogisme n'a pas du tout lieu parce que ces données-là y figurent. § 12. Enfin, on peut critiquer le raisonnement, s'il part de principes plus improbables et moins croyables que la conclusion; ou si l'on part de principes qui, tout en étant plus vrais, exigent plus de peine que la question même pour être démontrés. § 13. Il ne faut pas vouloir, du reste, que, pour toutes les questions, les syllogismes soient également probables et persuasifs; car dans les questions qu'on cherche à résoudre, les unes sont naturellement plus faciles, les autres plus difficiles. Par conséquent, l'on a bien discuté en prenant les propositions les plus probables qu'on peut. Il s'ensuit évidemment que la critique ne doit pas être la même et relativement à l'argumentation, et relativement au sujet en question ; car il se peut très-bien que l'argumentation soit en elle-même fort attaquable, et qu'elle soit fort bonne pour la question dont il s'agit ; ou bien, {162b} tout à l'inverse, louable en soi et mauvaise pour la question posée, lorsqu'il est facile de tirer la conclusion de plusieurs principes vrais et connus. Quelquefois même, une argumentation concluante pourrait être moins bonne qu'une argumentation sans conclusion, quand la première, par exemple, est conclue de propositions très-faibles, sans que la question ait ce caractère, tandis que l'autre a besoin, outre ses principes propres, d'autres principes vrais et connus, et que l'argumentation ne consiste pas dans les données qui' sont ajoutées. § 14. On ne peut attaquer en rien ceux qui concluent le vrai de données fausses; car s'il faut toujours conclure nécessairement le faux de données fausses, l'on peut quelquefois conclure le vrai même de données fausses; c'est ce qui a été prouvé clairement par les Analytiques. § 15. Mais quand l'argumentation dont il s'agit est la démonstration de quelque chose, s'il y a quelque autre proposition qui ne se rapporte pas du tout à la conclusion , ce n'est pas de cette proposition que viendra le syllogisme; et s'il paraît en venir, c'est un sophisme et non une démonstration. § 16. Le philosophème est un syllogisme démonstratif; l'épichérème, un syllogisme dialectique; le sophisme, un syllogisme contentieux, et le doute, un syllogisme dialectique de contradiction. § 17. Si l'on démontre quelque chose par deux propositions qui paraissent probables, mais qui ne le paraissent pas également, rien n'empêche que le démontré ne paraisse plus vrai que l'une et l'autre. Mais si l'une des propositions, paraît vraie et que l'autre ne paraisse ni vraie ni fausse, ou bien que l'une paraisse vraie et que l'autre ne le paraisse pas, dans le cas où les propositions sont égales, la conclusion sera vraie ou fausse également; et si l'une est plus que l'autre vraie ou fausse, la conclusion suivra celle qui est la plus forte. § 18. Il y a encore une faute qu'on peut commettre dans les syllogismes, et qui consiste à démontrer par un plus grand nombre de termes, quand on pourrait démontrer par un moindre, en ne prenant que des termes qui se trouvent dans l'argumentation même. Ainsi, par exemple, on commettrait cette faute si, voulant démontrer que telle opinion est plus probable que telle autre, on raisonnait ainsi : Dans chaque genre, la chose en soi est celle qui a le plus de réalité, et il existe bien réellement une chose probable en soi, de sorte que la chose en soi existe plus que les individus même. Or, ce qui est dit plus doit se rapporter à ce qui est plus. Il y a une opinion en soi qui est vraie, et qui est plus exacte qu'aucune opinion particulière. On a posé aussi comme principe, que cette opinion en soi est vraie, et que la chose en soi est celle qui a le plus de réalité. On en conclut que cette opinion, qui est aussi la plus vraie, est plus exacte que les autres. Où est ici le vice du raisonnement? Ne consiste-t-il pas en ce qu'il cache précisément la cause qui fait l'objet de l'argumentation? [8,12] CHAPITRE XII. § 1. Un raisonnement est parfaitement clair d'une façon , et dans le sens le plus vulgaire, quand la conclusion est telle, qu'il n'y a plus rien à demander après elle. § 2. Et d'une autre façon, et la plus spéciale, quand les données admises sont celles {163a} d'où l'on doit tirer la conclusion nécessairement, et qu'elles ont été conclues au moyen de conclusions antérieures. § 3. Le raisonnement est clair encore, malgré l'omission de quelque élément, si la chose omise est tout à fait probable. § 4. Le raisonnement peut être faux de quatre façons: l'une, quand il paraît conclure bien qu'il ne conclue pas, et alors il est appelé syllogisme contentieux. § 5. Une autre, c'est quand il conclut, sans conclure cependant relativement au sujet donné, ce qui se présente surtout quand on procède par réduction à l'absurde. § 6. Ou bien, quand il conclut relativement au sujet donné, mais non cependant par la méthode propre au sujet; et ce défaut a lieu, par exemple, lorsque, n'étant pas médical, le raisonnement paraît médical; ou géométrique, n'étant pas géométrique ou dialectique, n'étant pas dialectique; que le résultat d'ailleurs soit vrai ou feux, § 7. Une autre manière, enfin, c'est quand le raisonnement conclut au moyen de propositions fausses, et alors la conclusion pourrait être tantôt fausse et tantôt vraie; car le faux est toujours conclu de propositions fausses; le vrai peut l'être aussi, même de données qui ne le sont pas, ainsi qu'on l'a dît plus haut. § 8. Ainsi donc, quand l'argumentation est fausse, c'est bien plutôt la faute de celui qui argumente que de l'argumentation même. Ce n'est pas non plus toujours la faute de celui qui argumente ; maie, par exemple, c'est sa faute, quand c'est sans le savoir qu'il a fait quelque raisonnement faux. C'est qu'en effet nous admettons plus volontiers que bien des propositions vraies, celle qui parvient à détruire la proposition qui nous semblait la plus vraie, parce que si l'argumentation est telle, elle est par cela même la démonstration certaine de la vérité des autres choses. En effet, l'une des propositions est absolument fausse et elle le démontrera. Si l'on conclut le vrai par des propositions fausses et par trop faibles, le raisonnement sera plus mauvais que beaucoup d'autres qui concluraient le faux : ce qu'il pourrait être aussi, tout en concluant le faux. § 9. Ainsi donc, évidemment, ce qu'on doit examiner d'abord dans un raisonnement, c'est s'il conclut en soi; en second lieu, s'il conclut le vrai ou le faux, et en troisième, de quelles données il part pour conclure. S'il part de données fausses, mais probables, il est logique; et il est mauvais s'il part de données qui sont vraies, mais improbables ; et si elles sont fausses et trop improbables, il est clair que le raisonnement est mauvais, ou absolument, ou du moins pour la chose en question. [8,13] CHAPITRE XIII. § 1. Comment celui qui interroge fait une pétition de principe et prend les contraires, c'est ce qu'on a dit au point de vue de la vérité dans les Analytiques ; c'est ce qu'il faut dire maintenant au point de vue de la simple opinion. § 2. On peut faire une pétition de principe de cinq façons. § 3. La plus évidente et la première, c'est quand on prend la chose même qui est à démontrer. Il n'est pas facile de commettre cette erreur à son insu pour la chose même en question; mais cette faute se cache bien plutôt dans les synonymes, et pour tous les cas où le nom et la définition {163b} expriment la même chose. § 4. La seconde façon, c'est quand on prend universellement ce qu'il faut démontrer au particulier. C'est, par exemple, comme si, ayant à prouver que la notion des contraires est unique, on supposait d'une manière générale qu'elle est unique pour les opposés; car ce qu'il fallait démontrer à part et en soi, se trouve alors supposé implicitement dans plusieurs autres choses. § 5. Troisièmement, on fait une pétition de principe, si l'on prend au particulier ce qui était à démontrer universellement. Par exemple, si, ayant à prouver que la notion de tous les contraires est unique, on suppose qu'elle l'est pour quelques-uns d'entre eux ; car alors, aussi, ce qu'il fallait démontrer avec plusieurs autres paraît être supposé tout seul et en soi. § 6. On commet encore une pétition de principe si, dans la division qu'on fait, on suppose le sujet en question. C'est, par exemple, si, devant démontrer que la médecine s'occupe de la santé et de la maladie, on suppose chacune de ces choses à part. § 7. Ou bien, l'on se trompe encore, si l'on suppose l'une des choses qui se suivent mutuellement de toute nécessité. Par exemple, si l'on suppose que le coté est incommensurable au diamètre, pour démontrer que le diamètre est incommensurable au côté. § 8. Il y a tout juste autant de pétitions pour les contraires que pour les principes. § 9. Premièrement, si l'on pose les affirmations et les négations opposées. § 10. En second lieu, si l'on pose les contraires par antithèse: et par exemple si Ion pose qu'une même chose es{ bonne et mauvaise. § 11. Troisièmement, si, après avoir admis l'universel, on en pose en particulier la contradiction ; par exemple si, tout en admettant que la notion des contraires est unique, on pense qu'elle est autre pour la santé et la maladie : ou bien, si, ayant admis cette dernière proposition, ou essaie de prendre l'antithèse universellement. § 12. On se trompe encore, si l'on pose le contraire de ce qui résulte nécessairement des données admises. § 13. Et enfin, si, tout en ne prenant pas les opposés mêmes, ou prend cependant les deux termes dont se forme la contradiction opposée, § 14. Il y a différence à faire pétition des contraires au lieu de pétition de principe, en ce qu'il y a faute d'un coté relativement à la conclusion ; car c'est en regardant à la conclusion que nous disons qu'on fait une pétition de principe; tandis que pour les contraires, la faute est dans les propositions, parce qu'elles sont dans un certain rapport les unes à l'égard des autres. [8,14] CHAPITRE XIV. § 1. Pour s'exercer et se rendre habile à ces argumentations, il faut d'abord s'accoutumer à convertir les raisonnements; car, de cette façon, nous serons plus à même de discuter le sujet en question, et de peu de données nous saurons tirer beaucoup de raisonnements. Convertir des raisonnements, c'est en effet, en transformant la conclusion, détruire, à l'aide des propositions qui restent, une de celles qui ont été données; car il faut nécessairement, si la conclusion est fausse, détruire l'une des propositions, puisque, en admettant que toutes sont vraies, la conclusion qui en sort est vraie de toute nécessité. § 2. Quelle que soit la thèse, il faut examiner l'argument qui soutient qu'elle est ou qu'elle n'est pas ainsi, et dès qu'on a trouvé ce qu'elle est, {164a} il faut chercher sur-le-champ la solution ; car, de cette façon, on s'exerce à la fois et à bien interroger et à bien répondre : et si l'on n'a point d'interlocuteur, on s'exerce du moins soi-même. Il faut en outre comparer les choses parallèles en choisissant les arguments propres à former l'antithèse; car ceci donne tout ensemble une grande facilité pour presser l'adversaire, et en même temps aide beaucoup à réfuter, quand on peut soutenir à la fois que la chose est ou n'est pas de telle façon. Par là l'on se met d'autant plus en garde contre l'admission des contraires. Ce n'est pas, du reste, pour la connaissance et la réflexion vraiment philosophiques, un faible instrument que de pouvoir embrasser, ou d'avoir embrassé déjà d'un coup d'œil, tout ce qui résulte de l'une et l'autre hypothèse ; car alors il ne reste plus qu'à bien choisir l'une ou l'autre. § 3. Mais il faut pour cela être favorisé de la nature : et cette heureuse et naturelle disposition pour la vérité consiste à pouvoir bien choisir le vrai et fuir le faux. C'est ce que font aisément ceux qui sont naturellement bien doués ; car ceux qui aiment ou qui repoussent convenablement les sujets proposés, savent aussi fort bien juger le meilleur. § 4. Il faut avoir des raisonnements tout prêts pour celles des questions qui se présentent le plus fréquemment. § 5. Et c'est surtout pour les propositions initiales qu'il faut être ainsi pourvu ; car ce sont celles-là que repoussent souvent ceux qui répondent. Il faut encore avoir provision de définitions, et être tout prêt à donner les plus probables et les premières de toutes ; car c'est de celles-là que se tirent les syllogismes. § 6. Et il faut tâcher aussi de posséder les questions sur lesquelles retombent le plus souvent les discussions. § 7. De même, en effet, qu'en géométrie il est très utile de s'être exercé sur les éléments, et qu'en arithmétique c'est un grand avantage que de bien posséder les produits des nombres simples, pour se rendre compte d'un autre nombre multiplié, de même, dans les discussions, il n'est pas moins utile d'être bien préparé sur les principes, et de savoir toujours par cœur les propositions. § 8. En effet, de même que les lieux communs suffisent dans la mémoire pour qu'on se rappelle les choses sur-le-champ, de même ces propositions feront raisonner le plus régulièrement possible, parce qu'on pourra toujours les avoir sous les yeux, limitées comme elles le sont numériquement. § 9. Il vaut mieux, du reste, placer dans sa mémoire une proposition commune plutôt qu'un raisonnement. § 10. Il faut encore s'accoutumer à faire plusieurs raisonnements d'un seul, en cachant ceci de la manière la plus complète qu'on peut ; et l'on y parviendra en s'éloignant le plus possible de tout ce qui ressemble aux choses dont il est question. Les raisonnements les plus généraux seront ceux qui pourront le mieux donner ce résultat : et par exemple, l'on dira qu'il n'y a pas {164b} une notion unique de plusieurs choses; car, de cette façon, ceci s'applique et aux relatifs, et aux contraires, et aux conjugués. § 11. Il faut aussi, quand on rappelle les raisonnements antérieurs, le faire toujours comme s'ils étaient universels, bien que dans la discussion on les ait présentés comme particuliers ; car, de cette façon, c'est ainsi que d'un seul on en fait plusieurs. Il en est d'ailleurs tout à fait ainsi en rhétorique pour les enthymèmes. Il faut, du reste, le plus possible, éviter de présenter soi-même les syllogismes sous forme universelle. § 12. Et il faut toujours regarder si les raisonnements s'étendent à plusieurs choses communes. En effet, tout raisonnement particulier est aussi prouvé d'une manière universelle: et dans la démonstration particulière est comprise celle de l'universel, parce qu'on ne peut faire aucun syllogisme sans proposition universelle. § 13. Il faut employer, avec un débutant, l'exercice des inductions, et celui des syllogismes avec l'homme habile. § 14. Et ce sont des propositions qu'il faut tâcher de se faire accorder par les interlocuteurs qui se servent des procédés syllogistiques, et des comparaisons, par ceux qui se bornent aux inductions ; car c'est sur ces deux points-là que les uns et les autres se sont surtout exercés. § 15 En général, de ces exercices de discussion, il faut savoir tirer ou un syllogisme sur quelque sujet, ou une solution, ou une proposition, ou une objection. Il faut voir si l'on a bien ou mal interrogé, qu'il s'agisse de soi-même ou d'un autre, et se rendre compte en quoi consiste le bien ou le mal; {165a} car c'est de là qu'on tire sa force, et l'on ne s'exerce que pour se fortifier surtout dans ce qui concerne les propositions et les objections. Celui-là seul qui sait faire les unes et les autres est, à proprement parler, un dialecticien. Faire une proposition, c'est de plusieurs choses diverses n'en faire qu'une seule, puisqu'il faut prendre dans toute son étendue le terme dont il s'agit. Faire une objection, c'est d'une seule chose en faire plusieurs; car ou l'on divise, ou l'on détruit la thèse, en accordant ou en refusant telle ou telle des propositions avancées. § 16. Il ne faut pas discuter avec tout le monde ni s'exercer avec le premier venu; car il est des gens avec lesquels nécessairement on ne peut faire que de très mauvais raisonnements. Contre un adversaire qui essaie de tous les moyens pour échapper, il est juste aussi d'employer tous les moyens pour établir le syllogisme, mais ce n'est pas toujours très honorable. Et voilà pourquoi il ne faut pas se commettre aisément avec les premiers venus; car alors on sera forcé de ne faire que de mauvais raisonnements; et ceux qui s'exercent de cette façon ne peuvent plus s'empêcher de discuter avec les formes d'un combat. § 17. Il faut aussi avoir des argumentations toutes prêtes pour ces sortes de questions, où, avec le moins de ressources possible, on saura s'en servir le plus souvent qu'on pourra. Telles sont les argumentations générales et celles qu'il est difficile de tirer des circonstances les plus habituelles.