[6,0] TOPIQUES : LIVRE VI : LIEUX COMMUNS DE LA DÉFINITION. [6,1] CHAPITRE PREMIER. 1 L'étude des définitions a cinq parties; ou bien il n'est pas du tout vrai d'appliquer la définition à la chose qui reçoit le nom; et, par exemple, il faut que la définition de l'homme aille à tout homme sans exception; ou bien quoiqu'il y ait un genre, on n'a point placé la chose dans le genre, ou du moins on ne l'a point placée dans le genre convenable; car il faut, quand on définit, placer la chose dans le genre, et n'y ajouter qu'ensuite les différences qui s'y rapportent; et de tous les éléments qui entrent dans la définition, c'est surtout le genre qui pourrait indiquer l'essence de la chose définie; ou bien la définition n'est pas spéciale au défini; car il faut que la définition soit spéciale au défini, ainsi qu'on l'a dit auparavant; ou bien, si ayant rempli toutes les conditions indiquées, on n'a point dit ni déterminé l'essence de la chose définie; ou bien enfin, outre tous ces défauts, on peut, tout en ayant défini la chose, l'avoir cependant mal définie. 2 Si donc, pour la chose à laquelle on applique le nom, la définition n'est pas vraie, il faut regarder aux lieux donnés pour l'accident; car, sur ce sujet, toute recherche consiste à savoir si l'accident est vrai ou s'il ne l'est pas. En effet, lorsque nous prouvons que l'accident est à la chose, nous disons qu'il est vrai, et quand nous prouvons qu'il n'y est pas, nous disons qu'il n'est pu vrai. 3 Si on n'a pas placé le défini dans le genre spécial, ou bien si la définition donnée n'est pas la définition spéciale, il faut regarder aux lieux expliqués pour le genre et pour le propre. 4 Il nous reste donc à dire comment on peut reconnaître si l'on a bien ou mal défini. 5 II faut voir d'abord si l'on n'a pas bien défini; car il est plus facile de faire d'une façon quelconque que de faire bien. Il est donc évident qu'en cela l'erreur est plus fréquente, puisque la chose est plus difficile, en sorte que l'argumentation pour le second point est plus facile que pour le premier. 6 La définition n'a pas été bien donnée pour deux motifs : l'un, parce qu'on a employé une expression obscure; or, il faut, quand on définit, prendre l'expression la plus claire possible, puisque la définition n'est donnée que pour faire comprendre les choses. En second lieu, la définition peut être mauvaise, parce qu'on a donné plus qu'il ne fallait; car tout ce qui est en trop dans la définition est inutile. 7 Et, de plus, chacun des défauts que nous venons de dire peut se diviser en plusieurs espèces. [6,2] CHAPITRE II. 1 Il y a donc un premier lieu sur l'obscurité de la définition, si le mot employé est homonyme à quelque autre. Par exemple, si l'on dit que la génération est un acheminement à la substance, ou bien que la santé est un juste équilibre des éléments chauds et froids; car l'acheminement et le juste équilibre sont des mots homonymes : on ne sait donc pas clairement lequel des sens exprimés par le mot à significations multiples on prétend désigner. 2 Et de même, si l'on n'a point fait de division dans le cas où le défini a plusieurs sens; car alors on ne sait duquel de ces sens on a donné la définition, et l'adversaire peut alors chicaner en disant que l'explication ne s'applique pas à tout ce dont on a donné la définition. 3 C'est là surtout ce que l'adversaire peut faire quand l'homonymie est cachée. Mais d'un autre côté, on peut faire soi-même le syllogisme en ayant soin d'indiquer en combien de sens est prise la chose dont on donne la définition; car si l'on n'a rien donné de suffisant pour aucun des sens divers, il est évident qu'on n'aura point non plus défini d'une manière convenable. 4 Un autre lieu, c'est quand on s'est servi de la métaphore: par exemple, quand on a dit que la science était inébranlable, que la terre était nourrice, que la sagesse était une harmonie. En effet, tout ce qui est dit par métaphore est obscur; et l'on peut, quand l'adversaire emploie une métaphore, le chicaner, et prétendre qu'il ne s'est pas servi des mots au propre; car la définition donnée ne conviendra pas. Et, par exemple, celle de la sagesse : ainsi, toute harmonie est dans les sons; de plus, si l'harmonie est le genre de la sagesse, la même chose sera tout à la fois dans deux genres qui ne se comprennent pas l'un l'autre; car l'harmonie ne contient pas la vertu, pas plus que la vertu ne contient l'harmonie. 5 Il faut voir encore si l'adversaire fait usage de mots inusités: par exemple, Platon disant de l'œil qu'il est ophryosquie, ou de la tarentule qu'elle est sepsidace, ou de la moelle qu'elle est ostéogène. Tout mot qui n'est pas habituel est obscur. 6 Il y a d'autres expressions qui ne sont prises ni par homonymie, ni par métaphore, ni au propre : par exemple, quand on dit de la loi qu'elle est l'image ou la mesure des choses justes par nature. Tout ceci, du reste, est plus défectueux que la métaphore. La métaphore, du moins, rend un peu notoire la chose qu'elle désigne par la ressemblance quelle établit; car toutes les fois qu'on se sert de la métaphore, on la fait toujours en vue de quelque ressemblance. Mais cette autre forme d'expression ne fait rien connaître : car il n'y a point ici de ressemblance d'après laquelle la loi est mesure ou image, pas plus qu'elle n'est prise proprement et ordinairement en ce sens, de sorte que si l'on dit absolument que la loi est mesure ou image, l'on se trompe : l'image, en effet, est ce dont la production a lieu par imitation; et cela n'est pas du tout le cas de la loi. Si on ne prend pas cette expression absolument, il est évident qu'on s'est expliqué obscurément, et qu'on emploie une expression moins bonne que toutes les métaphores. 7 Il faut voir en outre si la définition du contraire n'est pas parfaitement claire d'après ce qui est dit; car les définitions bien données expliquent aussi les contraires. 8 Il faut voir enfin si la définition donnée n'indique pas avec évidence de quel objet elle est la définition; mais si comme pour les peintures des anciens artistes, il est impossible d'y rien connaître si l'on n'a le soin d'écrire au-dessous ce que ce peut être. 9 Si donc on n'a pas défini clairement, voilà comment on peut le reconnaître. [6,3] CHAPITRE III. 1 Si l'on a donné une définition trop étendue, il faut voir, d'abord, si l'on s'est servi d'un terme qui s'applique à tout, soit à tous les êtres absolument, soit à des choses qui sont comprises sous le même genre que le défini; car nécessairement ce terme sera trop étendu. C'est, qu'en effet, il faut que le genre sépare le défini des autres choses, et que la différence le sépare de l'une des autres choses comprises dans le même genre. Mais l'attribut qui est à tout ce qui est simplement ne sépare de rien; et celui qui s'applique à tout ce qui est du même genre, ne sépare pas de ce qui est dans le genre, de sorte que l'addition de cet attribut est tout à fait inutile. 2 Ou bien, il faut voir si l'attribut ajouté est propre au défini, de telle façon que si on l'enlève, la définition n'en reste pas moins propre, et n'exprime pas moins l'essence de la chose. Par exemple, dans la définition de l'homme, la qualité ajoutée : susceptible de science, est inutile; car en l'enlevant, le reste de la définition est encore propre à l'homme et exprime son essence. En un mot, on doit regarder comme inutile tout ce qui, étant enlevé, n'en laisse pas moins le défini parfaitement clair. Telle est la définition de l'âme, si l'on dit qu'elle est un nombre se mouvant de lui-même; car ce qui se meut soi-même est précisément la même chose que l'âme, comme l'a défini Platon. Est-ce que le terme indiqué ici est tellement propre que la définition cesse d'exprimer l'essence si le mot de nombre est enlevé? Il est difficile d'expliquer nettement ce qui en est. Il faut, du reste, se servir de ce lieu dans tous les cas analogues, selon que cela est utile. Par exemple, supposons que la définition du phlegme soit l'humide primitif, venant de la nourriture sans coction. Or, le primitif est unique et ne peut être plusieurs, ainsi cette addition de mot: sans coction, est inutile; et en l'ôtant, le reste de la définition n'en sera pas moins propre au défini. En effet, il ne peut pas provenir de la nourriture primitivement ce produit et un autre encore. Ou bien, est-ce que le phlegme n'est pas absolument le primitif provenant de la nourriture? est-ce qu'il est seulement le primitif des produits sans coction, de telle sorte qu'il faille ajouter sans coction? En s'exprimant de cette façon, la définition n'est pas vraie; car le phlegme n'est pas le primitif le tous les produits venus de la nourriture. 3 Il faut voir de plus si l'un des éléments mis dans la définition cesse d'être à tous les objets compris sous la même espèce; car alors on définit encore plus mal qu'en prenant un attribut applicable à tous les êtres existants. En effet, de cette façon, si le reste de la définition est propre au défini, la définition tout entière lui sera propre aussi, parce qu'en ajoutant au propre un attribut vrai, quel qu'il soit, la totalité de la définition n'en reste pas moins propre. Mais du moment que l'un des éléments admis dans la définition n'est pas applicable à tout ce qui est sous la même espèce, il est impossible que la définition tout entière soit propre au défini; car elle ne pourra pas être prise réciproquement pour la chose. Par exemple, si la définition de l'homme est animal terrestre bipède haut de quatre coudées, cette définition ne peut être prise réciproquement pour la chose, parce que cet attribut : haut de quatre coudées, n'est pas à tous les êtres placées sous la même espèce. 4 Il faut voir, en outre, si l'on n'a point répété la même chose plusieurs fois: par exemple, en disant que le désir est l'appétit de ce qui est agréable; car tout désir s'applique à ce qui est agréable. II s'ensuit que ce qui est identique au désir s'applique aussi à l'agréable, et par là, la définition du désir devient l'appétit de l'agréable ; car il n'y a pas de différence à dire le désir ou l'appétit de l'agréable; et chacune de ces expressions s'applique également à l'agréable. Mais peut-être n'y a-t-il rien là d'absurde. L'homme, en effet, est bipède, et ce qui est identique à l'homme est bipède : or, animal terrestre bipède est identique à l'homme: donc l'animal terrestre bipède est bipède. Mais il n'y a rien là d'absurde; et le bipède lest pas attribué deux fois à l'animal terrestre; car alors bipède serait attribué deux fois à la même chose; mais le bipède est dit de l'animal terrestre bipède, de sorte que le bipède n'est attribué qu'une seule fois. Et de même pour le désir; car s'appliquer à l'agréable n'est pas attribué à l'appétit, mais à la totalité; de sorte que l'attribution ne vient ici qu'une seule fois. Ce n'est pas une absurdité du reste de répéter deux fois le même mot; mais seulement il est absurde d'attribuer la même chose plusieurs fois à une même chose. C'est ainsi que Xénocrate prétend que la réflexion est la faculté qui définit et qui observe les êtres. La définition ici est déjà une sorte d'observation, de sorte qu'en ajoutant : Et qui observe, il dit deux fois la même chose. Et de même encore, ceux qui prétendent que le refroidissement est la privation de la chaleur naturelle ; car toute privation s'applique à ce qui est naturel, donc il est inutile d'ajouter: naturelle; mais il suffit de dire privation de la chaleur, puisque la privation elle-même indique assez qu'il s'agit d'une chose naturelle. 5 Il faut voir, d'autre part, si, le terme étant universel, on n'y ajoute point aussi un terme particulier : et, par exemple, si on appelle la modération une concession sur des choses utiles et justes; car le juste est quelque chose d'utile, de sorte qu'il est compris dans l'utile. Ainsi le juste est ici superflu, parce qu'on a ajouté un terme particulier tout en employant le terme universel. Par exemple encore, si l'on a dit que la science médicale est la science de ce qui est sain pour l'animal et pour l'homme, ou bien que la loi est l'image des choses belles et justes par nature; car le juste déjà est quelque chose de beau; de sorte que la même chose est ici répétée plusieurs fois. 6 C'est donc par ces moyens ou des moyens analogues qu'on verra si l'on a bien ou mal défini. [6,4] CHAPITRE IV. 1 Voici maintenant comment l'on verra si l'on a ou si l'on n'a pas indiqué et défini l'essence de la chose: 2 D'abord, il faut voir si l'on a fait la définition par les choses antérieures et plus connues. En effet, puisque la définition n'est donnée que pour faire connaître le défini, et que nous le connaissons, non par des choses quelconques, mais par des choses antérieures et plus connues, de même que dans les démonstrations, car c'est ainsi que procède tout enseignement, toute science, il est évident que quand on n'a point défini avec des éléments de ce genre on n'a point défini: sinon, il y aura plusieurs définitions d'une même chose. II est évident aussi qu'on définit mieux par les choses antérieures et plus connues; de sorte que les deux définitions s'appliqueraient à la même chose. Mais cela ne saurait être; car chaque chose n'est uniquement que ce qu'elle est; or, s'il y a plusieurs définitions d'une même chose, il faudra que l'essence donnée dans chacune des définitions soit identique à l'essence de la chose définie. Mais ces essences ne sont pas identiques, puisque les définitions sont diverses; donc il est évident qu'on n'a point défini, quand on n'a point défini par des choses antérieures au défini et plus connues que lui. 3 On peut comprendre de deux manières qu'on n'ait pas donné la définition par les choses plus connues; car c'est, ou par des choses plus inconnues en soi, ou plus inconnues pour nous; et ces deux cas pourront se présenter. L'antérieur est absolument plus connu que le postérieur; et, par exemple, le point est plus connu que la ligne, la ligne que la surface, la surface que le solide; de même que l'unité, est plus connue que le nombre; car elle est le principe de tout nombre et avant tout nombre. Et de même la lettre est plus connue que la syllabe. Mais, par rapport à nous, il arrive quelquefois tout le contraire; car le solide tombe davantage sous la sensation, la surface plus que la ligne, et la ligne plus que le point. Ce sont ces choses là même que le vulgaire connaît mieux; car on peut apprendre les unes avec une intelligence ordinaire, les autres en demandent une qui soit exacte et distinguée. 4 En général donc, il vaut mieux essayer de connaître les choses postérieures par celles qui précèdent; car cela fait plus apprendre. Toutefois, quand les gens ne peuvent connaître par ces moyens, il faut essayer de donner la définition par les choses mêmes qui leur sont connues. Telles sont, par exemple, les définitions du point, de la ligne, de la surface; car toutes expliquent les choses antérieures par les postérieures, et le point est, dit-on, la limite de la ligne, celle-ci de la surface, et celle-ci du solide. 5 Il ne faut pas perdre de vue que quand on définit de la sorte, on ne peut montrer pour la chose définie ce qu'est son essence, qu'à la condition que la même chose soit à la fois, et plus connue de nous, et plus connue en soi, puisqu'il faut, pour bien définir, définir par le genre et les différences. Or, ce sont là des éléments plus connus que l'espèce et antérieurs à l'espèce; car le genre détruit avec lui l'espèce; la différence en fait autant, de sorte que ces deux choses sont antérieures à l'espèce. En outre, elles sont plus connues qu'elle; car lorsqu'on connaît l'espèce, il y a nécessité de connaître aussi le genre et la différence. Ainsi, lorsqu'on connaît l'homme, on connaît aussi l'animal et le terrestre; mais quand on connaît le genre et la différence, il n'y a pas nécessité de connaître l'espèce, de sorte que l'espèce est plus inconnue. 6 De plus, quand on prétend que les véritables définitions sont les définitions composées d'éléments connus de chacun, on se trouve exposé à faire plusieurs définitions d'une même chose; car telles choses sont plus connues à telles personnes, et ce ne sont pas les mêmes qui sont plus connues pour tout le monde. Ainsi donc, il faudrait donner une définition autre pour chacun, si l'on devait faire la définition par les choses plus connues à chacun. Il y a plus: pour les mêmes individus, ce sont, à diverses époques, d'autres choses qui leur sont plus connues. Ainsi, d'abord ce sont les choses sensibles qui leur sont plus connues; mais devenant ensuite plus instruits, c'est le contraire; de sorte qu'il ne faudra pas toujours, pour la même personne, donner la même définition, si l'on prétend qu'elle doit être donnée par les choses plus connues à chacun. Il est donc évident qu'il ne faut pas définir par ces choses, mais par les choses plus connues absolument parlant; car c'est ainsi seulement qu'on donne une définition une et toujours la même. 7 Mais peut-être aussi l'on peut dire que ce qui est absolument connu n'est pas ce qui l'est de tous, mais ce qui est connu seulement de ceux qui sont bien disposés d'intelligence; de même que le sain, pris absolument, se rapporte à ceux qui ont une bonne organisation corporelle. 8 Il faut donc bien fixer chacun de ces points, et s'en servir selon le besoin en discutant. 9 On peut aussi repousser la définition, et chacun en convient, si on ne l'a faite ni par les choses absolument plus connues, ni par les choses plus connues pour nous. 10 Voilà donc un premier lieu sur la définition donnée par les choses moins connues; c'est quand on a défini les antérieures par les postérieures, comme nous venons de le dire. 11 En voici un autre: c'est de donner la définition de ce qui est en repos et de ce qui est fini par le mouvement et par l'indéfini; car ce qui demeure est antérieur à ce qui est en mouvement et est plus connu; de même que le déterminé est antérieur à l'indéterminé. 12 Il y a trois lieux pour prouver qu'on n'a pas défini par les choses antérieures. 13 Le premier, si l'on définit l'opposé par l'opposé : par exemple, le bien par le mal; car les opposés sont simultanés en nature. Pour quelques-uns même, la notion des deux parait être la même; de sorte que l'un n'est pas plus connu que l'autre. Il ne faut pas, du reste, oublier que peut-être quelques termes ne peuvent pas être définis autrement: par exemple, le double ne peut être défini sans la moitié, et tous les termes qui par eux-mêmes sont des relatifs; car pour tous ces termes, l'existence se confond avec la relation qu'ils soutiennent de quelque façon que ce soit. Ainsi, il est impossible de connaître l'un sans l'autre; et par conséquent, il est nécessaire que l'un soit renfermé aussi dans la définition de l'autre. Il faut donc connaître aussi tous les termes de ce genre, et se servir des lieux qui les concernent selon les cas où ils peuvent être utiles. 14 Un autre lieu, c'est quand on se sert dans la définition du défini lui-même. On ne s'en aperçoit pas, du reste, quand on ne se sert pas du nom même du défini. C'est, par exemple, si l'on a défini le soleil, un astre qui paraît dans le jour; car si on se sert du jour, c'est se servir aussi du soleil. Il faut, pour découvrir cette erreur, substituer la définition au nom même; et ici, par exemple, dire que le jour est le mouvement du soleil au dessus de la terre. Alors il est évident que, quand on a dit le mouvement du soleil au-dessus de la terre, on a nommé le soleil; de sorte qu'en se servant du jour, on s'est servi aussi du soleil. 15 Encore, si l'on a défini un terme de la division par un terme de la division même : par exemple, si l'on a défini l'impair par ce qui est plus grand que le pair d'une unité; car les choses divisées dans le même genre coexistent naturellement. Or l'impair et le pair sont précisément dans des divisions semblables, puisque tous deux sont des différences du nombre. 16.Et de même encore, si les choses supérieures sont définies par les inférieures: par exemple, si l'on a défini le pair par le nombre partagé en deux, et le bien par la possession de la vertu ; car en deux est pris de deux, qui est un nombre pair aussi: et la vertu par elle-même est bien déjà un bien ; de sorte que ces deux choses sont inférieures aux autres. 17 Il y a encore obligation, quand on se sert du terme inférieur, de se servir aussi du défini lui-même; car si l'on prend la vertu, on prend aussi le bien, puisque la vertu est un certain bien. Et de même quand on se sert de : en deux, on se sert du pair, puisque en deux indique un partage en deux, et que deux est pair. 18 En résumé, il n'y a qu'un seul lieu relatif à la la définition qui n'est pas faite par des choses antérieures et plus notoires; et ce lieu a toutes les parties que l'on a énumérées. [6,5] CHAPITRE V. 1 Un second lieu, c'est si la chose étant dans un genre, on ne la place pas dans ce genre. Cette erreur se produit toutes les fois qu'on n'a point dit dans la définition ce qu'est le défini. Par exemple, si l'on donne pour la définition du corps ce qui a trois dimensions; ou bien si on définit l'homme, ce qui sait compter ; car on n'a point dit ce qu'est le corps pour avoir trois dimensions, ou ce qu'est l'homme pour savoir compter. Mais le genre vise à exprimer ce qu'est la chose, et c'est le premier des éléments à poser dans la définition. 2 Un autre lieu, c'est si la chose définie, étant applicable à plusieurs, on ne l'a pas rapportée à toutes: par exemple, si l'on définit la grammaire la science d'écrire ce qui est énoncé; car il faut encore ajouter: et de lire. En effet, l'on n'a pas plus défini la grammaire par la science d'écrire que par celle de lire. Donc, ce n'est pas en disant l'un ou l'autre, c'est en disant les deux, qu'on définit vraiment, puisqu'il ne peut y avoir plusieurs définitions d'une même chose. Pour quelques cas, il en est réellement ainsi qu'on vient de dire, mais pour quelques autres il n'en est rien; c'est, par exemple, dans tous les cas où le terme n'est pas dit en soi pour les deux relations : comme la médecine n'est pas la science de faire la santé et la maladie; car en soi, elle s'applique à l'une, et elle ne s'applique à l'autre que par accident. En effet, absolument parlant, c'est chose étrangère à la médecine de faire la maladie; de sorte que rapportant la définition à ces deux choses, on n'a pas plus défini la médecine qu'en la rapportant à une seule: et peut-être même l'a-t-on plus mal définie, puisque le premier venu est capable aussi, quel qu'il soit, de faire la maladie. 3 Un autre lieu, c'est si l'on a rapporté le défini non au meilleur mais au plus mauvais, lorsque les choses auxquelles est applicable le défini sont plusieurs; car toute activité, toute science, ne paraissent devoir s'appliquer qu'au meilleur. 4 D'autre part, si la chose définie n'est pas placée dans le genre qui lui est propre, il faut puiser dans les éléments relatifs au genre, ainsi qu'on l'a dit plus haut. 5 Un autre lieu, c'est si l'on a sauté des genres: par exemple, si l'on dit que la justice est la faculté qui produit l'égalité ou qui répartit l'égal; car en définissant ainsi, on passe la vertu. En négligeant donc le genre de la justice on ne dit pas ce qu'elle est; car l'essence de chaque chose est dans son genre. Cette erreur est la même, du reste, que de ne pas placer le défini dans le genre le plus voisin; car en le plaçant dans le genre le plus voisin, on comprend aussi tous les genres supérieurs, puisque tous les genres supérieurs sont attribués aux inférieurs; de sorte que, de deux choses l'une : ou il faut placer le défini dans le genre le plus voisin, ou rattacher au genre supérieur toutes les différences par lesquelles est défini le genre le plus voisin. De cette façon, on n'aura rien omis; et au lieu du nom, on aura déterminé le genre inférieur par une définition; mais quand on a désigné seulement le genre supérieur, on n'a point nommé en même temps le genre inférieur. Et par exemple, si l'on dit le végétal, on n'a point pour cela dit l'arbre. [6,6] CHAPITRE VI. 1 Il faut voir aussi, en considérant les différences, si l'on a bien donné les différences du genre; car si l'on n'a point défini par les différences propres de la chose, ou bien si l'on a même donné quelque terme qui ne puisse être la différence de rien, et, par exemple, l'animal ou la substance, il est clair que l'on n'a point défini; car les termes employés ne sont les différences de rien. 2 Il faut voir en outre s'il y a quelque division opposée à la différence exprimée; car, s'il n'y en a pas, il est clair que la différence indiquée n'est pas la différence du genre : c'est que tout genre est divisé en différences opposées, comme l'animal est divisé en terrestre et volatile, aquatique et bipède. 3 De plus, la différence peut bien être réellement opposée, sans être vraie cependant pour le genre. Alors il est évident qu'aucune de ces deux différences ne serait la différence du genre; car toutes les différences opposées sont vraies pour leur genre spécial. 4 Et, encore, elle peut être vraie, sans qu'ajoutée au genre, elle fasse pourtant une espèce : et alors il est évident que ce n'est pas une différence spécifique du genre; car toute différence spécifique fait une espèce quand on l'applique au genre. Et si ce n'est pas là une différence, c'est que la différence indiquée n'en est pas une non plus, puisqu'elle lui est opposée dans la division. 5 On se trompe encore si l'on divise le genre par négation comme ceux qui définissent la ligne une longueur sans largeur; car cela ne signifie rien autre chose, sinon qu'elle n'a pas de largeur. Il en résultera donc que le genre participe de l'espèce; car toute longueur est ou avec ou sans largeur, puisque de toute chose la négation ou l'affirmation est nécessairement vraie, de sorte que le genre de la ligne étant la longueur, il sera ayant ou n'ayant pas de largeur. Mais longueur sans largeur est la définition de l'espèce, et de même aussi longueur ayant largeur. C'est que sans largeur et avec largeur sont des différences : or, la définition de l'espèce se compose de la différence et du genre: et par conséquent le genre recevrait la définition de l'espèce et aussi la définition de la différence, puisque l'une des différences indiquées est nécessairement attribuée au genre. Ce lieu, du reste, est utile contre ceux qui admettent l'existence des idées. En effet, s'il y a une longueur en soi, comment attribuera-t-on au genre qu'il est avec largeur ou sans largeur? Car il faut pour toute largeur que l'une de ces deux choses soit vraie, puisqu'elle doit être vraie pour le genre : mais il n'en est rien, car l'on suppose ici des longueurs sans largeur et avec largeur. Ainsi donc, ce lieu n'est utile que contre ceux qui soutiennent que le genre est un numériquement. Mais il n'y a de cette opinion que ceux qui admettent les idées; car ils disent que la longueur en soi, l'animal en soi sont genres. 7 II faut bien aussi quelquefois, quand on définit, se servir de la négation : par exemple, pour définir les privations; aveugle est défini, en effet, ce qui n'a pas la vue quand naturellement il devrait l'avoir. 8 Il n'importe pas, du reste, de diviser le genre par la négation, ou par l'affirmation même à laquelle doit nécessairement être opposée la négation. Par exemple, on peut définir longueur qui a largeur; car qui a largeur n'a d'opposé que qui n'en a pas, et n'a point d'autre opposé; et ainsi, le genre est encore divisé par négation. 9 Autre erreur, si l'on a donné l'espèce pour la différence, comme ceux qui définissent l'insulte, une injure avec moquerie; car la moquerie est une sorte d'injure, de sorte que la moquerie n'est pas une différence, c'est une espèce. 10 Il faut voir encore si l'on a donné le genre comme différence : par exemple, pour la vertu, si on la définit disposition bonne ou louable; car le bien est le genre de la vertu. Ou plutôt le bien n'est-il pas, non le genre, mais la différence, s'il est bien vrai qu'une même chose ne peut être dans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement? Car le bien ne comprend pas la disposition, et la disposition ne comprend pas le bien. En effet, toute disposition n'est pas un bien, pas plus que tout bien n'est une disposition : ainsi, ni l'un ni l'autre ne serait genre. Si donc la disposition est le genre de la vertu, il est évident que le bien n'est pas le genre, mais qu'il est plutôt la différence. Ajoutez que la disposition exprime l'essence de la vertu, tandis que le bien n'exprime pas ce qu'est la chose, mais sa qualité; et la différence semble toujours exprimer quelque qualité de la chose. 11 Aussi, faut-il voir également si la différence donnée exprime, non pas telle qualité de la chose, mais l'essence de la chose; car toute différence semble devoir exprimer une certaine qualité. 12 II faut voir encore si la différence est un simple accident de la chose définie; car aucune différence ne peut être classée parmi les accidents, non plus que le genre, parce qu'il ne se peut pas que la différence puisse indifféremment être ou n'être pas à la chose. 13 Si la différence ou l'espèce, ou bien même quelqu'un des termes au-dessous de l'espèce, est attribué au genre, on n'a point défini ; car aucun de ces termes-là ne peut être attribué au genre, puisque le genre est plus large qu'eux tous. 14 De plus, on n'a pas défini davantage si le genre est attribué à la différence; car le genre paraît devoir être attribué, non pas à la différence, mais aux choses auxquelles l'est la différence. Par exemple, l'animal doit être attribué à l'homme, au bœuf et aux autres animaux terrestres, et non pas à la différence elle-même, qui est dite de l'espèce seulement; car si l'animal est attribué à chacune des différences, beaucoup d'animaux seraient attribués à l'espèce, puisque les différences sont attribuées à l'espèce. Il y a plus : toutes les différences seront ou espèces ou individus si elles sont animaux; car chacun des animaux est ou espèce ou individu. 15 II faut voir de la même manière si l'espèce, ou quelqu'un des termes au-dessous de l'espèce, a été attribué à la différence; car cela ne peut être, puisque la différence est censée plus large que les espères. II arrivera donc encore que la différence sera espèce, si quelqu'une des espèces lui est attribuée; car si homme, par exemple, est attribué, il est clair que la différence est homme. 16 Il faut voir si la différence n'est pas antérieure à l'espèce; car il faut que la différence soit postérieure au genre, et antérieure à l'espèce. 17 Il faut voir, de plus, si la différence indiquée ne s'applique pas à un autre genre, qui n'est ni contenu ni contenant; car la même différence ne peut être à deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement. Sinon, il arrivera que la même espèce sera dans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement ; car chacune des différences implique son genre propre, de même que le terrestre et le bipède impliquent avec eux l'animal; de sorte que chacun des genres est à ce à quoi est la différence. Il est donc clair que l'espèce sera dans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement. 18 Ou bien, n'est-il pas impossible que la même différence soit dans deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement, en ajoutant toutefois, que tous les deux ne sont pas compris sous un même genre supérieur? car d'animal terrestre et l'animal volatile sont des genres qui ne se comprennent pas mutuellement, et le bipède est la différence de tous les deux; de sorte qu'il faut ajouter: pourvu que tous deux ne soient pas compris sous le même genre supérieur; car ici tous les deux sont compris sous l'animal. 19 Il est évident encore qu'il n'eszt pas nécessaire que toute différence implique son genre propre, parce qu'il se peut que la même différence soit dans les deux genres qui ne se comprennent pas mutuellement; mais il est nécessaure qu'elle implique seulement l'un des genres, ainsi que sur tous les termes au-dessus de lui. Ainsi, bipède, ou volatile, ou terrestre, impliquent avec eux animal. 20 Il faut voir encore si l'on a donné l'existence dans un lieu pour la différence de la substance; car une substance ne parait pas différer d'une substance par cela seul qu'elle est dans tel lieu. C'est pourquoi on objecte à ceux qui divisent l'animal en terrestre et aquatique, que le terrestre et l'aquatique ne désignent qu'un lieu. Ou bien, peut-être, ce reproche n'est-il pas juste; car aquatique et terrestre ne signifient pas l'existence dans quelque chose ou dans quelque lieu; mais ils désignent une chose qualifiée d'une certaine façon; car si l'être est à sec, il n'en est pas moins aquatique; et de même pour le terrestre, bien qu'il soit dans l'eau, il est toujours terrestre et non pas aquatique. Toutefois, il est clair que si la différence exprime la position dans quelque chose, on se sera trompé pour la définition. 21 On ne se trompe pas moins, si l'on a donné la modification pour différence; car toute modification, en s'augmentant, sort l'être de la substance, et la différence n'est jamais dans ce cas. La différence paraît plutôt conserver ce dont elle est la différence; et il est absolument impossible que chaque chose existe sans une différence propre. Et, ainsi, le terrestre n'étant pas, il n'y a pas d'homme non plus. 22 En un mot , toutes les choses selon lesquelles se modifie l'être qui les a ne sauraient être la différence de cet être; car toutes ces choses, en s'augmentant sortent l'être de sa substance. Si donc on a donné une différence de ce genre, on s'est trompé, car nous ne changeons pas d'une manière absolue avec les différences. 23 On s'est encore trompé, si l'on a donné pour différence de quelque relatif une différence qui ne soit pas elle-même relative; car les différences des relatifs sont aussi des relatifs. Par exemple, pour la science, que l'on appelle théorique, et pratique, et active : et chacun de ces termes exprime un relatif; car la science est la théorie de quelque chose, la pratique de quelque chose, l'action de quelque chose. 24 Il faut voir encore si, en définissant, on a bien rapporté chacun des relatifs à la chose à laquelle il est naturellement; car on ne peut employer certains relatifs qu'en les attribuant à ce à quoi ils sont naturellement, et non point en les rapportant à aucune autre chose. Par exemple, le relatif vue ne peut s'employer que relativement à voir. D'autres relatifs, au contraire, peuvent s'employer pour d'autres choses aussi, tout comme on peut puiser de l'eau même avec une étrille; cependant, si l'on définit l'étrille instrument à puiser de l'eau, l'on se trompe; car ce n'est pas pour cela qu'elle est faite. Mais la définition de ce pourquoi une chose est naturellement faite est ce à quoi l'emploie le sage, en tant que sage, est ce à quoi l'emploie la science propre à chaque chose. 25 On s'est encore trompé, si l'on n'a point donné la définition du primitif, dans le cas où la définition s'applique à plusieurs termes. Par exemple, quand on dit que la réflexion est la vertu de l'homme et de l'âme, et non de la partie raisonnable de l'âme; car la réflexion est la vertu du primitif raisonnable, puisque c'est relativement à lui qu'on dit que l'âme et l'homme réfléchissent. 26 On s'est encore trompé, si la chose, dont le défini est dit la modification, ou la disposition, ou telle autre affection, ne la peut recevoir; car toute disposition, toute passion est naturellement dans la chose dont elle est disposition ou passion; de même que la science est dans l'âme, parce qu'elle est une disposition de l'âme. Parfois on se trompe dans ces cas-là, comme quand on dit que le sommeil est une impuissance de sentir, et le doute une égalité de raisonnements contraires, et la douleur une séparation violente des parties connexes. En effet le sommeil n'est pas à la sensation, et il faudrait qu'il y fût s'il était une impuissance de sentir; et, de même, le doute n'est pas davantage aux raisonnements contraires, ni la douleur aux parties connexes; car les êtres inanimés eux-mêmes auront de la douleur, si la douleur est à ces parties. Telle est encore la définition de la santé, si l'on dit que c'est une juste mesure des éléments chauds et froids ; car il est nécessaire alors que les éléments chauds et froids aient de la santé. En effet, la juste mesure de chaque chose est dans la chose même dont elle est la juste mesure; de sorte que la santé serait aussi à ces éléments-là. 27 II arrivera, en outre, quand on définit de cette façon, de placer la chose faite dans celle qui fait, et réciproquement ; car la séparation des parties connexes n'est pas la douleur, c'est ce qui fait la douleur. Et l'impuissance de sensation n'est pas le sommeil; mais l'un cause l'autre; car nous dormons par impuissance de sentir, ou nous sommes impuissants à sentir par le sommeil. Et de même l'égalité de raisonnements contraires semblerait être ce qui fait le doute. En effet, quand, en raisonnant, il nous semble que les raisons sont égales de part et d'autre, nous doutons laquelle des deux nous devons adopter pour agir. 28 Il faut regarder à tous les moments du temps s'il n'y a pas discordance entre eux; et, par exemple, si l'on a défini l'être immortel, l'être maintenant impérissable; car l'être actuellement impérissable ne sera qu'actuellement immortel. Ou bien ne peut-on pas dire que ceci n'est pas vrai dans ce cas? car il y a doute dans cette expression : maintenant impérissable. Elle exprime, en effet, ou que l'être n'a pas maintenant péri, ou qu'il ne peut être maintenant détruit, ou bien qu'il est tel maintenant qu'il ne peut jamais être détruit. Lors donc que nous disons que l'être est maintenant impérissable, nous ne disons pas que l'être soit tel maintenant, mais nous disons qu'il est de nature à n'être jamais détruit. Or, ceci se confond avec immortel: donc ce n'est pas maintenant seulement qu'il est immortel. Pourtant s'il arrive que ce qui est donné dans la définition soit maintenant ou ait été auparavant, et que ce qui est exprimé dans le nom ne soit pas ainsi, l'identité n'existe plus. Il faut donc se servir de ce lieu ainsi qu'on l'a dit. [6,7] CHAPITRE VII. 1 II faut voir encore si le défini ne serait pas d'une autre chose plutôt que de la définition donnée : par exemple, on se trompe si l'on dit que la justice est la faculté distributrice de l'équité; car celui qui se résout à donner l'équitable est plus juste que celui qui peut le donner. Ainsi, la justice n'est pas précisément la faculté distributrice de l'équité; car alors celui-là serait le plus juste qui peut répartir l'équité. 2 Et encore il faut voir si la chose reçoit le plus, quand ce qui est donné dans la définition ne le reçoit pas; ou réciproquement, si ce qui est donné dans la définition le reçoit, et que la chose ne le reçoive pas; car il faut que les deux termes le reçoivent, ou qu'aucun des deux ne le reçoive, puisque ce qui a été donné dans la définition est identique à la chose définie. 3 Il faut voir, en outre, si les deux termes reçoivent le plus, sans que tous deux prennent en même temps l'accroissement. Par exemple, c'est une faute si l'on dit que l'amour est un désir de cohabitation; car celui qui aime plus ne désire pas plus la cohabitation. Ainsi, les deux termes ne reçoivent pas en même temps le plus, et il faudrait qu'ils le reçussent, puisqu'ils sont une même chose. 4 Il faut voir, deux termes étant donnés, si la définition n'est pas dite en moins de celui dont le définition-même est dit en plus. Par exemple, si l'on dit que le feu est le corps dont les parties sont les plus ténues; car la flamme est plus feu que la lumière, et cependant la flamme est un corps à parties moins ténues que la lumière; or, il faudrait que les deux termes fussent en plus à la même chose, puisqu'ils sont identiques. 5 De plus, il faut voir si, l'une des deux définitions étant également aux deux termes avancés, l'autre est non pas également aux deux, mais plus à l'un ou à l'autre. 6 Regardez encore si la définition relative à deux termes se rapporte bien à l'un et à l'autre : par exemple, quand l'on appelle beau ce qui est doux à voir ou doux à entendre ; et être, ce qui peut souffrir ou agir; car alors le beau et le non beau seront la même chose. Et de même pour l'être et le non être. Dès lors, en effet, l'agréable à entendre sera la même chose que le beau; ainsi, ce qui n'est pas agréable à entendre sera identique à ce qui n'est pas beau; car pour des choses identiques, les opposés sont identiques, et à beau est opposé le non beau et à agréable à entendre le non agréable à entendre; mais il est évident que ce qui n'est pas doux à entendre est identique à ce qui n'est pas beau. Si donc, quelque chose agréable à voir ne l'est pas à entendre, ce sera tout à la fois beau et non beau. Nous pourrions démontrer de même, qu'en ce sens, l'être et le non être sont identiques. 7 Enfin, il faut voir, si, quand au lieu de noms on substitue les définitions des genres, des différences, et de tous les autres éléments qu'on met dans les définitions, il n'y a pas quelque discordance. [6,8] CHAPITRE VIII. 1 Si le défini est relatif, ou en soi, ou par son genre, il faut voir si dans la définition on a négligé de le rapporter à la chose dont il est le relatif, ou en soi ou par son genre. Par exemple, si l'on a défini la science une conception irréfutable, ou la volonté un désir sans douleur; or l'essence de tout relatif est de se rapporter à une chose autre que lui, puisqu'on a établi que c'était une même chose pour tous les relatifs d'être et d'avoir un certain rapport avec quelque chose : il fallait donc dire que la science est la conception de ce qui est su, et la volonté un désir du bien. Même faute encore, si l'on a défini la grammaire la science des lettres; car il fallait indiquer dans la définition, ou la chose relativement à laquelle la grammaire est dite, ou celle relativement à laquelle est dit le genre. 2 Ou bien il faut voir si un relatif étant indiqué, il n'est pas rapporté à sa fin propre : la fin dans chaque chose est le meilleur, ou ce pourquoi est fait tout le reste. II faudra donc dire si c'est le meilleur ou si c'est le terme final; comme, par exemple, le désir n'est pas le désir de ce qui plaît, mais du plaisir, puisque c'est pour le plaisir que nous recherchons ce qui plaît. 3 Il faut voir encore si c'est à la génération qu'on a rapporté le défini, ou bien à l'acte; car rien de tout cela n'est la fin : c'est, qu'en effet, avoir agi et avoir été est bien plutôt la fin que être ou agir. Mais ne peut-on pas dire que ceci n'est pas vrai pour tous les cas? car la plupart des hommes préfèrent jouir plutôt que cesser de jouir, de sorte qu'ils se font bien plutôt une fin d'agir que d'avoir agi. 4 De plus, il faut voir si pour quelques cas, le défaut de la définition ne tient pas à ce qu'on n'a défini ni la quantité, ni la qualité, ni le lieu, ni selon les autres différences. Par exemple, si l'on définit l'ambitieux sans dire de quels honneurs et de combien d'honneurs il est avide; car tous les hommes désirent les honneurs, de sorte qu'il ne faut pas appeler ambitieux celui qui les désire, mais il faut ajouter aussi les différences indiquées. Et de même pour l'avare : il faut dire combien de richesses il désire; et pour l'intempérant, pour quels plaisirs il l'est; car on n'appelle pas intempérant celui qui se laisse aller à un plaisir quelconque, mais à certains plaisirs. C'est mal définir encore quand on définit la nuit l'ombre de la terre, ou le tremblement de terre le mouvement de la terre, ou le nuage l'épaississement de l'air, ou le vent le mouvement de l'air. Dans tous ces cas, il faut ajouter la quantité et la cause. Et de même pour les cas analogues; car si l'on néglige une seule différence, on n'indique plus l'essence de la chose. Il faut toujours attaquer ce qui manque à la définition; car il n'y aura pas tremblement de terre pour le mouvement d'une terre quelconque, ni pour un mouvement quelconque de la terre, et il n'y aura pas non plus vent pour le mouvement quelconque de l'air, en qualité ou en quantité quelconque. 5 II faut voir encore, pour la définition des désirs, si l'on n'ajoute pas l'idée d'apparence, et pour celle de toutes les choses où il convient de l'ajouter. Par exemple, si l'on dit que la volonté est un désir du bien, et que le désir est un appétit du plaisir, sans dire que c'est du bien qui paraît, du plaisir qui paraît; car souvent, quand on désire, on ne sait si l'objet est bon ou s'il est agréable: ainsi, il n'est pas besoin nécessairement que l'objet soit bon ni qu'il soit agréable : il suffit qu'il en ait seulement l'apparence. Il fallait donc faire aussi la définition avec cette nuance. 6 Et si l'on fait l'addition que je viens d'indiquer, il faut conduire aux idées celui qui admet les idées; car il n'y a pas d'idée pour ce qui ne fait que paraître, mais l'idée doit se rapporter à une idée. Par exemple, le désir en soi se rapporte à l'agréable en soi, et la volonté en soi au bien en soi. Ce n'est donc pas à un bien simplement apparent que se rapporte la volonté en soi, ni le désir en soi à ce qui ne fait que paraître agréable; car il est absurde que le bien ou l'agréable soit en soi simplement apparent. [6,9] CHAPITRE IX. 1 De plus, si la définition s'applique à une possession, il faut voir au sujet qui possède; si c'est au sujet qui possède, il faut voir à la possession. Et de même pour toutes les autres choses de ce genre : par exemple, si ce qui plaît est ce qui est utile, celui qui a du plaisir est aussi celui qui retire de l'utilité. En un mot, dans les définitions de ce genre, il arrive que celui qui définit définit plus d'une seule chose à la fois; car définir la science, c'est bien définir aussi en quelque sorte l'ignorance. Et de même si l'on définit ce qui sait, on définit aussi ce qui ne sait pas. Si l'on définit savoir, on définit bien de plus ignorer; car le premier terme étant expliqué, le reste devient, en quelque sorte, aussi évident. Il faut donc voir dans toutes ces définitions, s'il n'y a pas quelque discordance, en se servant des lieux pris des contraires et des conjugués. 2 Il faut voir, dans les relatifs, si l'on peut rapporter aussi l'espèce à quelque partie de la chose à laquelle est rapporté le genre. Par exemple, si la conception est relative au sujet conçu, telle conception devra être relative à tel sujet conçu; et si le multiple se rapporte au sous-multiple, il faudra que tel multiple se rapporte à tel sous-multiple; car si on ne peut pas établir ces rapports, c'est qu'évidemment on s'est trompé. 3 Il faut voir encore si la définition opposée est bien celle du terme opposé : par exemple, si celle de la moitié est l'opposé de celle du double; car si le double est ce qui surpasse d'autant, ce qui est surpassé d'autant est la moitié. 4 Et de même pour les contraires : car la définition du contraire sera la définition du contraire, toutes les fois qu'il s'agit d'une combinaison simple des contraires. Par exemple, si l'utile est ce qui fait le bien, le nuisible sera ce qui fait le mal ou ce qui détruit le bien. II faut nécessairement que l'une des deux définitions soit contraire à celle qui a été posée d'abord. Si donc ni l'une ni l'autre n'est contraire à celle qui a été donnée d'abord, il est évident qu'aucune de celles qui ont été données à la suite ne sera la définition du contraire; et par conséquent, la définition donnée d'abord n'aura pas été bien donnée. 5 Comme certains contraires ne sont désignés que par la privation de l'autre contraire, et, par exemple, l'inégalité paraît être la privation d'égalité, puisqu'on appelle inégales les choses qui ne sont pas égales, il est évident que le contraire désigné par privation sera nécessairement défini par l'autre; tandis que cet autre ne le sera pas par celui qui est désigné privativement; car il arriverait alors qu'indifféremment l'un serait connu par l'autre, il faut donc, pour les contraires, bien prendre garde à cette erreur. On la commettrait, par exemple, si l'on définissait l'égalité le contraire de l'inégalité; car c'est définir par le contraire qui est dénommé privativement. 6 De plus, quand on définit ainsi, on est forcé nécessairement de se servir de la chose même qu'on définit, et cela est de toute évidence, si l'on substitue la définition au défini; car il n'y a pas de différence à dire ou l'inégalité ou la privation de l'égalité. Ainsi l'égalité sera le contraire de la privation de l'égalité, et, par conséquent, on aura employé l'égalité. 7 Même erreur si aucun des contraires n'est dénommé par privation, et que la définition soit semblablement donnée. Ainsi, comme le bien est le contraire du mal, il est évident que le mal sera le contraire du bien; car pour les contraires de ce genre il faut donner semblablement la définition; de sorte qu'il faut se servir ici encore une fois de la chose définie. Ainsi le bien est dans la définition du mal : et par conséquent, si le bien est le contraire du mal et que le mal ne soit pas autre chose que le contraire du bien, le bien sera le contraire du contraire du bien. Il est donc évident que pour définir la chose on se sert de la chose elle-même. 8 Il faut voir encore si en donnant le terme dit par privation on n'a point donné aussi la chose dont il est la privation : par exemple, de la possession, ou du contraire, ou de telle autre chose dont il est la privation. Et si l'on a oublié d'ajouter que ce terme est dans le sujet, où il doit être naturellement, soit d'une manière absolue, soit primitivement : par exemple, si, disant que l'ignorance est privation, on n'a pas dit que c'est privation de science; ou si l'on n'a pas ajouté le sujet dans lequel elle est naturellement; ou si, en ajoutant ce sujet, on n'a pas donné le sujet où elle est primitivement: par exemple, si l'on a dit qu'elle est, non pas dans la partie raisonnable, mais dans l'homme ou bien dans l'âme, si, dis-je, l'on ne prend pas toutes ces précautions, on s'est trompé. De même encore si, en parlant de l'aveuglement, on n'a pas dit qu'il était la privation de la vue dans l'œil; car il faut pour bien définir ici ce qu'est la chose, dire et de quoi elle est la privation et quel est le sujet qui en est privé. 9 II faut voir enfin si l'on a défini par privation un terme qui n'est point dit par privation. C'est ainsi que pour la définition de l'ignorance, cette faute semblerait être commise aux yeux de ceux qui ne la définissaient que par négation; car celui qui n'a pas la science ne paraît pas ignorer; c'est bien plutôt celui qui se trompe. Et voilà pourquoi nous ne disons pas que les êtres inanimés, non plus que les enfants, sont ignorants. Par conséquent, l'ignorance n'est pas dite par privation de la science. [6,10] CHAPITRE X. 1 II faut voir encore si les cas semblables de la définition s'accordent avec les cas semblables du défini : par exemple, si ce qui fait la santé est utile, utilement sera en faisant la santé, et ce qui a été utile sera ce qui a fait la santé. 2 Il faut voir de plus si la définition donnée s'accorde avec l'idée; car cela n'est pas dans quelques cas; et, par exemple, telle est l'erreur de Platon quand il fait entrer le mortel dans les définitions des animaux. En effet, l'idée ne peut pas être mortelle, et, par exemple, celle de l'homme en soi; de sorte que la définition ne conviendra point avec l'idée. En général, pour toutes les choses auxquelles est ajoutée la notion d'action ou de souffrance, il est nécessaire que la définition soit en désaccord avec l'idée, puisque pour ceux qui soutiennent qu'il y a des idées, elles doivent paraître sans passion comme sans mouvement : et c'est contre ces théories que ces arguments peuvent être utilement employés. 3 II faut voir aussi pour les choses désignées par homonymie, si l'on a donné une seule définition applicable à toutes; car ce sont les termes synonymes qui n'ont qu'une seule et même définition pour le nom qui les désigne. Ainsi la définition donnée pour un homonyme ne va bien à aucune des choses placées sous le mot, tandis que le mot homonyme va bien à toutes. 4 Tel est, par exemple, le vice de la définition que Denys a donnée de la vie, quand il dit qu'elle est le mouvement inné et consécutif d'un genre pourrissable: mais cette définition n'est pas plus applicable aux animaux qu'aux plantes. La vie, du reste, ne paraît pas pouvoir être réduite à une seule espèce; mais elle est autre pour les animaux, autre pour les plantes. 5 On peut donc, même avec intention, donner la définition de la vie comme si toute vie était synonyme, et qu'elle s'appliquait à une espèce unique. Mais rien n'empêche, même quand on voit l'homonymie et qu'on veut donner la définition de l'un des sens, qu'on ne donne sans le savoir, non pas une définition spéciale, mais une définition commune aux deux. Néanmoins, que l'on prenne l'un ou l'autre, on se trompe également. 6 Comme on peut ne pas voir quelquefois les homonymes, il faut, quand on interroge, s'en servir comme s'ils étaient synonymes; car alors la définition de l'un ne concordera pas avec la définition de l'autre: et, par conséquent, l'adversaire paraîtra n'avoir pas défini comme il faut; car il faut que le mot synonyme s'applique à tout. Au contraire, il faut distinguer quand on répond. 7 Mais comme quelques personnes, en répondant, prennent un synonyme pour un homonyme, quand la définition donnée ne s'applique pas à tout, ou bien un homonyme pour un synonyme, quand elle s'applique également aux deux, il faut d'abord s'entendre sur ces points-là, ou prouver, par syllogisme, que le terme est homonyme ou synonyme, ou dire quel il est; car on s'accorde mieux quand on ne prévoit pas quelle doit être la conséquence. Mais si, sans convention préalable, l'on appelle homonyme ce qui est synonyme, parce que la définition donnée ne s'applique pas aussi au terme qu'on désigne, il faut voir si la définition de ce terme s'applique à tout le reste; car il est évident que, pour le reste, il doit être synonyme; sinon, il y aurait plusieurs définitions pour le reste; et alors les deux définition nominales s'appliquent à ces termes restants, et la première qui a été donnée, et celle qui a été donnée ensuite. 8 D'autre part, si, en définissant un terme à plusieurs sens et la définition ne s'appliquant pas à tous, l'adversaire dit, non pas que le terme soit homonyme, mais qu'il nie que le nom s'applique à tout, parce que la définition ne s'y applique pas, on doit répondre à cette objection, qu'il faut se servir de la dénomination reçue et suivie généralement, et ne pas la changer. Ce qui n'empêche pas que, dans certains cas, il ne faille parler autrement que le vulgaire. [6,11] CHAPITRE XI. 1 Quand l'on a donné la définition d'une chose unie à d'autres, il faut voir si, en retranchant la définition de l'une des deux choses unies, ce qui restera sera bien encore la définition du reste; sinon, il est clair que la définition totale n'est pas la définition du tout. Par exemple, quand l'on a défini la ligne droite finie: la limite d'une surface qui a des limites, et dont le milieu est joint aux extrémités; si la définition de la ligne finie est la limite d'une surface ayant des limites, le reste de la définition doit s'appliquer à l'idée de droite, dont le milieu est joint aux extrémités. Mais la ligne infinie n'a ni milieu ni fin, et elle est droite pourtant; de sorte que la partie de la définition qui reste n'est pas ici la définition du reste. 2 Il faut voir encore si, le défini étant composé, on a donné une définition à membres égaux à ceux de défini. On appelle définition à membres égaux, lorsque, quels que soient les éléments composés du défini, il y a dans la définition tout autant de noms et de verbes; car il faut nécessairement, dans les cas de ce genre, qu'il puisse y avoir changement réciproque des mots, soit de tous, soit de quelques-uns au moins, puisqu'on n'a point ajouté plus de noms qu'il n'y en avait auparavant. Mais il faut, quand on définit, mettre la définition au lieu des mots, et tâcher de faire cela pour tous, ce qui est le mieux, ou sinon, pour la plupart au moins; car, de cette façon, même pour les mots simples, en ne substituant qu'un mot pour un mot, on n'aura pas défini; comme, par exemple, quand au lieu de vêtement on prend manteau. 3 II y a encore une faute plus grave, c'est de faire substitution de mots plus inconnus. Par exemple, si, au lieu d'homme blanc, on dit mortel blanchi; car on ne définit pas : et, de plus, on parle moins clairement en s'exprimant ainsi. 4 Il faut voir encore si, dans cette substitution de mots on n'exprime plus la même chose. Par exemple, quand on appelle la science théorique une conception théorique; car la conception n'est pas la même chose que la science: et il le faudrait, puisqu'on veut que l'expression totale soit aussi la même chose. Or, le mot théorique est commun dans les deux définitions; mais le reste est différent. 5 Et encore il faut voir si, en faisant la substitution de l'un des mots, on a fait la substitution, non pas pour la différence, mais pour le genre, comme dans l'exemple qu'on vient de citer; car le mot théorique est plus inconnu que le mot science. L'un, en effet, est le genre; l'autre est la différence, et le genre est le plus connu de tous les termes, puisqu'il est le plus commun. Donc il fallait appliquer la substitution, non pas au genre, mais à la différence, puisqu'elle est plus inconnue. 6 Ou bien ce reproche n'est-il pas ridicule? car rien n'empêche que la différence ne soit exprimée par le mot le plus connu, et que le genre ne le soit pas. Dans ce cas, il est clair qu'il fallait faire la substitution nominale, non pour la différence, mais pour le genre. Mais si l'on ne prend pas un mot pour un mot, et qu'on prenne une définition pour un mot, il est clair qu'il faut plutôt donner la définition de la différence que celle du genre, puisque la définition n'est donnée que pour faire connaître, et que la différence est moins connue que le genre. [6,12] CHAPITRE XII. 1 Quand l'on a donné la définition de la différence, il faut voir si la définition donnée est commune encore à quelque autre chose. Par exemple, quand on a appelé nombre impair le nombre qui a un milieu, il faut définir encore ce qu'on entend par: qui a un milieu; car le mot nombre est commun dans ces deux définitions, et la définition de l'impair est substituée au défini. Mais, et la ligne et le corps ont un milieu, sans être pourtant impairs; de sorte que ce n'est pas là la définition de l'impair. Si l'expression: ayant un milieu, a plusieurs sens, il faut définir, en outre, dans quel sens on prend : ayant un milieu. On pourra donc justement prétendre, ou démontrer par syllogisme, que l'on n'a pas défini. 2 De plus, il faut voir si ce dont on donne la définition est une chose réelle, tandis que ce qui est dans la définition n'en est pas une. Par exemple, si l'on a défini le blanc une couleur mêlée de feu; comme il est impossible qu'une chose incorporelle soit mêlée à une corporelle, la couleur mêlée au feu n'est pas une chose réelle, tandis que le blanc en est une. 3 De plus, quand on n'indique pas clairement par division, pour les relatifs, ce relativement à quoi la chose est dite, mais qu'on les englobe parmi plusieurs choses, on se trompe en totalité ou en partie. Comme, par exemple, si l'on dit que la médecine est la science de ce qui est; car si la médecine n'est la science de rien de ce qui est, il est évident qu'on s'est totalement trompé ; mais si elle l'est de telle chose, et ne l'est pas de telle autre, on s'est trompé en partie. C'est, qu'en effet, elle doit être la science de tout, si l'on dit qu'elle est en soi, et non par accident, la science de ce qui est. Ainsi que cela est pour tous les autres relatifs, tout ce qui est su doit être dit relativement à une science; et de même, pour tous les autres, puisque tous les relatifs sont réciproques, et ce qui est su est toujours relatif. 4 Si, en donnant l'attribution, non pas en soi, mais par accident, on l'a bien donnée, c'est qu'alors chacun des relatifs serait dit, non pour une seule chose, mais pour plusieurs; car rien n'empêche que la même chose ne soit à la fois et réelle, et bonne, et blanche. Par conséquent, en rapportant la définition à l'une de ces qualités, on l'aura bien donnée, si, toutefois, en donnant la définition par l'accident, on la donne bien. 5 Il est encore impossible que cette définition soit propre à la chose dont il s'agit; car non seulement la médecine, mais la plupart des autres sciences, sont dites relativement à ce qui est; de sorte que chacune des sciences est la science de ce qui est. Il est donc évident que ce n'est là la définition d'aucune science; car il faut que la définition soit spéciale et non commune. 6 Quelquefois on définit, non la chose, mais la chose bien faite et parachevée; c'est là la définition du rhéteur et du voleur, quand on dit que le rhéteur est celui qui peut voir ce qu'il y a d'acceptable à soutenir dans chaque question, et n'en rien omettre, et que le voleur est celui qui prend en secret ; car il est évident que tous deux étant ainsi, tous deux seront bons, chacun dans leur genre: l'un sera un bon rhéteur, l'autre un bon voleur, puisque le voleur n'est pas tant celui qui prend en secret que celui qui veut prendre de cette façon. 7 En outre, on s'est trompé si l'on a donné ce qui est désirable par soi-même comme capable de faire ou capable d'agir, en un mot, comme désirable en vue d'un autre objet quelconque : par exemple, si l'on dit que la justice est la conservatrice des lois, ou que la sagesse est la cause du bonheur; car ce qui fait une chose, ce qui conserve, est une chose désirable pour une autre que soi. 8 Ou bien rien n'empêche qu'une chose désirable en soi ne le soit aussi en vue d'une autre. 9 Cependant on ne s'est pas moins trompé en définissant ainsi une chose désirable en soi ; car le meilleur de chaque chose est surtout dans son essence, et une chose désirable en soi est meilleure qu'une chose désirable en vue d'une autre. Ainsi donc, il fallait que la définition indiquât surtout cela. [6,13] CHAPITRE XIII. 1 Il faut voir encore si en donnant la définition d'une seule chose, on n'a point dit que le défini est plusieurs choses, ou qu'il est composé de telles choses, ou qu'il est accompagné de telles choses. 2 Si l'on a défini plusieurs choses, il arrivera que la définition pourra être aux deux à la fois, et n'être à aucune à part : ainsi, par exemple, si l'on définit la justice, prudence et courage; car, en supposant ici deux hommes, si chacun d'eux a l'une des deux qualités, tous les deux seront justes, et aucun ne le sera, puisque tous deux réunis ont la justice, et que chacun d'eux à part ne l'a pas. 3 Du reste, ceci même n'est pas encore complètement absurde, attendu que quelque chose d'analogue se présente aussi dans d'autres cas, et que, par exemple, rien n'empêche que deux hommes n'aient à deux une science, bien qu'aucun d'eux ne l'ait séparément. Toujours est-il qu'il serait tout à fait absurde que les contraires fussent aux mêmes choses; et c'est ce qui arrivera, si l'un d'eux, par exemple, a la prudence et la lâcheté, et l'autre le courage et l'imprudence : dans ce cas, tous les deux auront à la fois la justice et l'injustice; car si la justice est prudence et courage, l'injustice sera lâcheté et imprudence. 4 Ainsi, tous les arguments qu'on peut employer pour prouver que les parties et le tout ne sont pas la même chose, sont aussi d'un bon usage pour le point qui maintenant nous occupe. En effet, quand on définit ainsi, on a l'air de prétendre que les parties sont identiques au tout. 5 Ces objections trouvent surtout leur place, quand la composition des parties est aussi évidente qu'elle l'est pour une maison ou telle autre chose pareille. Là, il est clair, en effet, que les parties peuvent exister sans que le tout existe: et ainsi les parties ne sont pas la même chose que le tout. 6 Si l'on a dit, non pas que la chose définie soit plusieurs choses, mais si l'on a dit qu'elle vient de plusieurs choses, il faut voir d'abord si naturellement, il ne peut pas ressortir un tout de ce qui a été dit; car certaines choses sont entre elles dans un tel rapport que aucun tout ne se forme de leur réunion : par exemple, la ligne et le nombre. 7 De plus, il faut voir si le défini est naturellement dans quelque primitif, et que les choses d'où l'on dit qu'il vient, ne soient pas dans un seul primitif, mais qu'elles soient l'une et l'autre dans des primitifs différents; car alors, il est évident que le défini ne vient pas de ces choses-là, puisque là où sont les parties, il est nécessaire que là soit aussi le tout, de sorte que le tout n'est pas dans un seul primitif, mais qu'il est dans plusieurs. 8 Et si les parties et le tout sont dans un seul primitif, il faut voir si les parties et le tout ne sont pas dans le même, ou si les parties ne sont pas dans l'un et le tout dans un autre. 9 De plus, il faut examiner si les parties disparaissent avec le tout; car il faut à l'inverse, quand les parties sont détruites, que le tout le soit aussi; mais le tout étant détruit, il n'est pas nécessaire que les parties le soient. 10 Ou bien il faut voir si le tout est bon ou mauvais, et que les parties ne soient ni l'un ni l'autre : ou à l'inverse, que les parties soient bonnes ou mauvaises, et que le tout ne soit ni l'un ni l'autre; car il n'est pas possible que de ce qui n'est ni l'un ni l'autre vienne quelque chose de bon ou de mauvais, et que du bon ou du mauvais ne vienne ni l'un ni l'autre. 11 Ou bien il faut voir si l'un étant bon plus que l'autre n'est mauvais, le défini qu'on dit en venir n'est pas aussi plutôt bon que mauvais. Par exemple, si l'impudeur vient du courage et d'une opinion fausse, comme le courage est bon plus que l'opinion fausse n'est mauvaise, il fallait que le composé des deux suivit le plus, et qu'il fût ou absolument bon, ou du moins plutôt bon que mauvais. 12 Ou bien ne peut-on pas dire que cela n'est pas nécessaire, si ni l'un ni l'autre ne sont bons ou mauvais en soi ? car beaucoup de choses qui en produisent d'autres ne sont pas bonnes en soi, mais elles le deviennent étant mêlées à d'autres. Et réciproquement, chacune peut être bonne à part, et, mêlées, elles sont mauvaises, ou du moins ne sont ni bonnes ni mauvaises. Et cela est parfaitement évident pour les choses salubres et les choses malsaines; car certains remèdes sont de telle façon que l'un et l'autre à part sont bons, mais que si on les administre tous deux mélangés, ils sont mauvais. 13 Il faut voir encore si le défini est composé d'une chose meilleure et d'une pire, sans que le tout qu'elles forment soit pire que la meilleure et meilleur que la pire. 14 Ou bien ne peut-on pas dire que cela n'est pas nécessaire, quand les choses dont le défini se compose ne sont pas bonnes par elles-mêmes? Mais rien n'empêche que le tout ne soit pas bon pour les choses qui ne sont pas bonnes par elles-mêmes, comme dans les cas que nous venons de citer. 15 II faut voir encore si le tout est synonyme de l'une des parties; car il ne le faut pas, non plus que pour les syllabes. Et en effet, une syllabe n'est jamais synonyme d'aucune des lettres qui la composent. 16 On s'est trompé encore si l'on n'a point indiqué le mode de la composition; car il ne suffit pas pour bien connaître la chose, de dire qu'elle vient de telle autre. L'essence des composés consiste, non pas seulement en ce qu'ils sont formés de tels éléments, mais en ce qu'ils en sont formés de telle façon, comme pour la maison; car ce n'est pas une maison quelle que soit la façon dont les parties en sont assemblées. 17 Si l'on a donné le défini avec telle autre chose, il faut dire d'abord, si en disant que telle chose est avec telle autre, on entend, ou qu'il y a telle et telle chose, ou bien que l'une est formée de l'autre : par exemple, quand on dit du miel avec de l'eau, on veut dire soit du miel et de l'eau, soit le mélange qui est fait de miel et d'eau. II en résulte, que selon que l'on identifiera cette expression: Ceci avec cela, à l'une des nuances indiquées, il conviendra de dire précisément ce qu'on a dit plus haut pour l'une ou pour l'autre. 18 De plus, après avoir dit en combien de sens, on peut comprendre qu'une chose est avec une autre, il faut voir si l'une n'est pas du tout avec l'autre. Par exemple, si l'on dit qu'une chose avec une autre signifie qu'elles seront toutes deux dans un même sujet qui les reçoit, comme la justice et le courage sont dans l'âme, ou bien qu'elles sont dans le même temps ou le même lieu, et que ce dont il s'agit ne soit pas du tout vrai à ces différents égards, il est clair qu'on n'a donné la définition de rien, puisque cette chose n'est pas du tout avec cette autre. 19 Si pour les choses dont on a dit distinctement en combien de sens on prend cette expression : être avec une autre, il est vrai que l'une et l'autre puissent être dans le même temps, il faut voir si l'une et l'autre peuvent ne pas se dire du même sujet; et l'on se trompe, par exemple, si l'on a défini le courage une audace avec une pensée juste. En effet, il se peut qu'on ait l'audace pour dérober, et que la pensée juste s'applique aux choses salubres; et cependant celui-là n'est pas encore courageux qui a l'une avec l'autre dans le même temps. Il ne l'est pas davantage, si les deux qualités sont relatives à un même objet, à des objets médicaux, par exemple; car rien n'empêche qu'on n'ait à la fois, en médecine, et de l'audace et une pensée juste : mais cependant, celui-là n'est pas davantage courageux qui a l'une de ces qualités avec l'autre. C'est qu'il ne faut pas que l'une et l'autre soient dites relativement à une chose différente, pas plus que le sujet commun auquel elles se rapportent toutes deux, ne peut être le premier sujet venu : elles doivent se rapporter toutes deux au but même du courage, comme, par exemple, aux dangers de la guerre, ou à tel autre but s'il y en a encore un autre qui soit plus spécialement celui du courage. 20 Quelques-unes des choses ainsi définies ne rentrent pas du tout sous la division indiquée. Par exemple, si l'on dit que la colère est une peine avec le soupçon qu'on est dédaigné, cela veut dire que la peine qu'on ressent se produit par ce soupçon même. Mais dire qu'une chose se produit par une autre, ce n'est pas du tout la même chose que de dire que l'une soit avec l'autre, dans aucun des sens indiqués plus haut. [6,14] CHAPITRE XIV. 1 Si l'on a dit encore que le défini total est la composition de telles choses, par exemple, que l'animal est la composition d'âme et de corps, il faut voir d'abord si l'on a négligé de dire quelle est l'espèce de cette composition. Par exemple, si définissant la chair ou l'os, on a dit que c'est une composition de feu, de terre et d'air; car il ne suffit pas de dire que c'est une composition, il faut déterminer de plus quel genre de composition cela est. En effet, ce n'est pas par une composition quelconque de ces éléments que la chair se forme; mais c'est par une certaine composition qu'ici c'est de la chair, et là un os. Du reste, aucune des deux choses que je viens de citer ne parait être du tout identique à une composition; car la dissolution est le contraire de toute composition et aucune des choses indiquées n'a de contraire. Si d'ailleurs il est également croyable que tout composé, ou aucun composé n'est une composition, comme chacun des animaux tout composé qu'il est n'est pas une composition, il faut conclure qu'aucun autre composé ne saurait être non plus une composition. 2 En outre, si les contraires peuvent être également dans quelque sujet et qu'on ait défini par un des deux seulement, il est évident qu'on n'a point défini. Autrement il y aurait plusieurs définitions d'une même chose; car, a-t-on plutôt défini en prenant celui-ci qu'en prenant celui-là, puisque les deux sont naturellement et également dans le sujet? Telle est la définition de l'âme, quand l'on dit que c'est une substance capable de science, puisqu'elle est tout aussi bien capable d'ignorance. 3 II faut encore, quand ou ne peut pas pas attaquer la définition dans sa totalité, en disant que le tout n'est pas connu, en attaquer au moins une partie, si elle n'est pas connue et qu'elle ne paraisse pas bien donnée; car la partie étant détruite, toute la définition est détruite aussi. Toutes les fois que les définitions ne sont pas claires, il faut, après les avoir rectifiées et les avoir corrigées, pour qu'elles expriment quelque chose et fournissent des arguments, procéder à les attaquer; car alors, il faut nécessairement que celui qui répond ou accepte ce qui est ajouté par celui qui l'interroge, ou bien qu'il explique lui-même ce que peut signifier la définition donnée par lui. 5 Ajoutons que, comme dans les assemblées politiques, si une loi nouvelle qu'on propose vaut mieux, on abroge la précédente, de même pour les définitions, il faut en proposer une autre à l'adversaire; car si elle paraît meilleure, si elle paraît expliquer mieux la chose à définir, il est évident qu'on fera disparaître ainsi celle qui avait été d'abord donnée, puisqu'il n'y a pas plusieurs définitions d'une même chose. 6 Ce n'est pas, du reste, un petit élément de succès, pour attaquer les définitions, que de bien se déterminer à soi-même l'objet en question, ou de reprendre à part soi la définition même quand elle est bien donnée; car nécessairement en y recourant comme à un modèle, on découvre et ce qui manque parmi les éléments que devrait avoir la définition et ce qu'il y a d'inutilement ajouté, de sorte qu'on est d'autant plus riche en arguments. 7 Voilà tout ce qu'il y avait à dire sur les définitions.