[3,34] TROISIÈME SECTION. RÉSUMÉ GÉNÉRAL DE LA LOGIQUE. CHAPITRE XXXIV. §. 1. De combien de manières et de quelles manières se produisent, dans les discussions, les paralogismes ; quels sont les moyens de montrer que l'adversaire se trompe et de l'amener à faire des paradoxes; comment, en outre, se forme le syllogisme (solécisme); comment il faut interroger ; quel est l'ordre à mettre dans les questions; quelle est l'utilité de toutes ces recherches ; quelles sont les règles de toute réponse en général; enfin, comment il faut résoudre les raisonnements et les syllogismes, toutes ces questions doivent être suffisamment éclaircies par ce qui précède. § 2. Il ne nous reste plus, après avoir rappelé l'objet que nous nous proposions au début, qu'à le résumer en peu de mots, et à mettre fin ainsi, à tout ce que nous avons dit. § 3. Nous nous étions donc proposé de trouver un procédé syllogistique pour traiter un sujet donné en partant des propositions les plus probables. C'est là, en effet, l'œuvre de la dialectique proprement dite, et de celle qui n'a en vue qu'un simple essai (184a) des forces de l'adversaire. Mais comme on demande à la dialectique, à cause du voisinage même de la sophistique, de nous apprendre, non seulement à tenter les risques de la discussion d'une manière purement dialectique, mais encore comme si nous possédions vraiment la science, c'est là ce qui fait que nous avons donné pour but à ce traité, non pas seulement de nous mettre en état de pouvoir contrôler un raisonnement, mais encore, lorsque c'est nous qui soutenons un raisonnement, de pouvoir défendre tout aussi bien la thèse que nous adoptons par les arguments les plus probables possible. Nous en avons dit le motif: et c'est celui qui fait que Socrate interrogeait toujours sans jamais répondre, précisément parce qu'il affirmait ne rien savoir. § 4. Il a été expliqué dans les traités antérieurs à combien de questions s'appliquera cette méthode, de combien d'éléments et de quels éléments elle se forme, et par quels procédés nous pourrons toujours avoir des arguments. Nous avons aussi tracé les règles de toute interrogation et l'ordre qu'on doit y suivre; nous avons parlé des réponses et des solutions applicables aux diverses conclusions; nous avons enfin traité de toutes les autres choses qui font partie de cette même méthode des discussions. De plus, nous avons étudié les paralogismes, ainsi que nous l'avons déjà dit. Il est donc clair que les recherches que nous nous étions imposées, peuvent trouver ici convenablement leur fin. § 5. Mais il faut aussi que nous nous rendions bien compte du vrai caractère de cette étude. § 6. Parmi toutes les découvertes, les unes reçues de mains étrangères, et antérieurement élaborées, ont prospéré dans quelques parties par les soins de ceux qui les ont ensuite reçues. D'autres, au contraire, trouvées dès le principe, n'ont pris ordinairement au début qu'un accroissement très faible, mais cependant beaucoup plus utile que tout le développement qui devait en sortir plus tard. La chose capitale, peut-être en tout, c'est le commencement , comme on dit, mais c'est aussi la plus difficile; plus la découverte a de valeur, plus il est malaisé de la faire, quand l'objet échappe à l'observation par sa petitesse même. Le germe une fois trouvé, il est bien plus facile d'y ajouter et d'y réunir le reste : c'est là précisément ce qui est arrivé pour l'étude de la rhétorique et pour presque toutes les autres sciences. Ceux qui ont découvert les éléments n'ont absolument fait d'abord que quelques faibles pas. Mais ceux qui, aujourd'hui, ont tant de réputation, recevant la science comme un héritage accru petit à petit par tant de labeurs, l'ont portée au point élevé où nous la voyons: Tisias après les premiers inventeurs, Thrasymaque après Tisias, Théodore après celui-ci, et tant d'autres, ont cultivé toutes les parties de la rhétorique. Aussi, n'y a-t-il point du tout à s'étonner que la science ait acquis tant de perfection. § 7. Mais pour la présente étude, on ne peut pas dire que telle partie eût été travaillée, et que telle autre n'eût point été travaillée; antérieurement, il n'y avait absolument rien. § 8. Les gens, en effet, qui se faisaient payer pour enseigner l'art de la dispute, n'avaient qu'un enseignement pareil à la méthode de Gorgias. Ils donnaient à apprendre, les uns, des discours de rhétorique, les autres, des séries de questions renfermant, selon eux, les sujets sur lesquels retombent le plus habituellement (184b) les arguments des deux interlocuteurs. Aussi l'apprentissage était-il avec eux très rapide, mais aussi très grossier. Enseignant, non pas l'art, mais les résultats de l'art, ils s'imaginaient montrer quelque chose. C'est comme si quelqu'un qui se prétendrait capable de montrer scientifiquement à n' avoir pas mal aux pieds, enseignait, non pas à faire des chaussures, non pas même à savoir s'en procurer de bonnes, mais se bornait à indiquer toutes les espèces de chaussures diverses. Ce serait là, certainement, donner des notions fort utiles pour la pratique, mais ce ne serait pas du tout enseigner un art. § 9. Ainsi donc, pour la rhétorique, il y avait des travaux nombreux et (185a) anciens. Pour la science du raisonnement, au contraire, nous n'avions rien absolument d'antérieur à citer; mais nos pénibles recherches nous ont coûté bien du temps et bien des peines. § 10. Si donc il vous paraît, après avoir examiné nos travaux, que cette science dénuée de tous antécédents analogues, n'est pas trop inférieure aux autres sciences qu'ont accrues de successifs labeurs, il ne vous restera plus, à vous tous, c'est-à-dire, à tous ceux qui ont suivi ces leçons, qu'à montrer de l'indulgence pour les lacunes de cet ouvrage, et de la reconnaissance pour toutes les découvertes qui y ont été faites.