[6,0] LIVRE VI. DE LA DIVISIBILITÉ DU MOUVEMENT. [6,1] CHAPITRE PREMIER. § 1. Si la continuité, le contact et la consécution sont bien ce qu'on a dit plus haut, et si l'on entend par continus les corps dont les extrémités sont réunies, par contigus ceux dont les extrémités sont ensemble dans un même lieu, et par consécutifs ceux entre lesquels il n'y a rien d'intermédiaire qui leur soit homogène, il s'ensuit qu'il est impossible qu'aucun continu se compose d'indivisibles, et, par exemple, que la ligne se compose de points, puisque la ligne est continue et que le point est indivisible. Car, d'abord, les extrémités des points ne sont pas réunies, attendu que dans l'indivisible il ne peut y avoir ni extrémités, ni telle autre partie quelconque. En second lieu, les extrémités des points ne sont pas non plus ensemble dans l'espace, puisqu'il n'y a pas d'extrémité possible pour ce qui est sans parties, et qu'autre est l'extrémité, autre est la chose qui a cette extrémité. § 2. De plus, il faudrait nécessairement ou que les points fussent continus, ou qu'ils se touchassent entre eux, pour composer un continu véritable; et cette même observation s'applique à tous les indivisibles. Mais les points ne sont pas continus par la raison qu'on vient de dire; et tout ce qui est contigu ne peut l'être que du tout au tout, ou de la partie à la partie, ou de la partie au tout. Or, l'indivisible étant sans parties, il faut nécessairement qu'il touche du tout au tout. Mais il ne suffit pas de toucher du tout au tout pour être continu, puisque le continu a telle et telle partie, et qu'il est divisible en parties qui diffèrent ainsi entre elles et sont séparées par le lieu qu'elles occupent. Enfin, le point ne peut pas plus suivre le point que l'instant ne suit l'instant, ici pour former la longueur, et là pour former le temps; car deux choses se suivent, avons-nous dit, lorsque entre elles il n'y a rien qui leur soit homogène. Mais, entre les points, il y a toujours pour intermédiaire la ligne; et pour les instants, il y a toujours le temps. § 3. Il faudrait encore qu'ils pussent se diviser en indivisibles, puisque chacun d'eux se divise dans les éléments dont il se compose. Mais nous avons prouvé qu'il n'y a pas de continus qui puissent se partager en éléments dénués de parties. § 4. D'ailleurs, il n'est pas possible qu'il y ait entre les points et entre les instants quelque intermédiaire d'un genre différent ; car, s'il y en avait un, cet intermédiaire serait évidemment ou divisible ou indivisible. Divisible, il se diviserait en indivisibles ou en éléments toujours divisibles; et c'est là précisément ce qu'on entend par le continu. § 5. Il est encore évident que tout continu est divisible en éléments indéfiniment divisibles ; car, s'il se divisait en indivisibles, l'indivisible alors pourrait toucher à l'indivisible, puisque, dans les continus, l'extrémité est une et contiguë. § 6. Par la même raison, la grandeur, le temps et le mouvement doivent tons les trois se composer d'indivisibles et se diviser en indivisibles, ou bien aucun d'eux ne le pourra: et voici comment on le prouve. Si la grandeur se compose d'indivisibles, il faut aussi que le mouvement de cette grandeur se compose de mouvements égaux indivisibles. Par exemple, si la grandeur ABC se compose des indivisibles A, B, C, le mouvement DEF , selon lequel O est supposé mu sur la grandeur ABC, a chacune de ses parties correspondantes indivisibles. § 7. Si donc, quand il y a un mouvement actuel, il faut nécessairement que quelque corps se meuve, il ne faut pas moins nécessairement, lorsque quelque chose se meut, qu'il y ait actuellement un mouvement ; et la ligne selon laquelle le mouvement a lieu se composera ainsi d'indivisibles. Par exemple, O a parcouru la portion A en faisant le mouvement D ; il a parcouru la portion B en faisant le mouvement F; et la portion C, de même, en faisant le mouvement F. § 8. Mais, de toute nécessité , un mobile allant d'un point à un autre, ne peut pas, dans un même instant, se mouvoir et avoir été mu sur le point où il a été en mouvement, quand il était en mouvement. Par exemple, si l'on va à Thèbes, il est impossible que ce soit en même temps et qu'on aille à Thèbes et qu'on y soit allé. Mais O faisait dans son mouvement la longueur A, qui est sans parties, et à laquelle correspondait le mouvement D. Par conséquent, si le mobile O a parcouru cette longueur A plus tard qu'il ne la parcourt, cette longueur est toujours divisible; car, lorsque le mobile la parcourt, il n'est pas en repos. Il ne l'a pas non plus encore parcourue; mais il est en train de la parcourir; et si l'on dit qu'il la parcourt en même temps qu'il l'a parcourue, il en résulte que ce qui va quelque part, quand il y va, y sera déjà allé, et qu'il aura été mu lui-même où il est mu. § 9. Si l'on admet qu'un corps parcourant dans son mouvement la ligne ABC tout entière, et que le mouvement dont il est animé étant DEF, ce corps n'a pas de mouvement suivant la longueur A, laquelle est dénuée de parties, mais qu'il en a eu, il s'ensuit alors que le mouvement se compose non de mouvements, mais de soubresauts. Il s'ensuit encore que quelque chose qui n'a pas eu de mouvement, aura cependant été mis en mouvement ; car le mobile O a parcouru A sans le parcourir, de telle sorte que le corps aura marché sans être jamais en marche, et qu'il aura fait telle route sans faire jamais cette même route. Mais si nécessairement tout corps doit être on en repos ou en mouvement, et que le corps soit en repos sur les points ABC, il sera alors tout à la fois, d'une manière continue, et en repos et en mouvement; car on le supposait en mouvement selon la ligne entière ABC, et en repos dans chaque partie. Donc il était en repos pour la longueur entière. Enfin si les indivisibles de la ligne DEF sont des mouvements, il s'ensuit que même quand il y a mouvement, les corps pourraient n'être pas mus, mais être en repos; et si ces indivisibles ne sont pas des mouvements, le mouvement alors ne se composerait plus de mouvements. § 10. Il serait pareillement nécessaire que le temps fût indivisible, tout comme le sont la longueur et le mouvement, et qu'il se composât d'instants qui seraient indivisibles; car si tout mouvement est divisible, et si un corps conservant une égale vitesse parcourt moins d'espace en un moindre temps, le temps alors sera divisible aussi ; et réciproquement, si le temps dans lequel un corps parcourt la ligne A est divisible, la ligne A sera divisible également. § 11. Comme toute grandeur est divisible en grandeurs, car il a été démontré qu'un continu ne peut jamais se composer d'indivisibles et que toute grandeur est continue, il s'ensuit nécessairement qu'un corps qui est doué de plus de vitesse, parcourt plus d'espace en un temps égal, qu'il en parcourt autant dans un temps moindre, et même que dans un temps plus petit il peut en parcourir davantage ; définition qu'on donne quelquefois pour expliquer ce que c'est qu'une vitesse plus grande. § 12. Supposons, en effet, le corps représenté par A plus rapide que le corps représenté par B. Puisque le corps le plus rapide est celui qui fait son changement avant l'autre, dans le temps où A a changé de C en D, soit le temps FG, Il n'en est pas encore à D; mais il est en arrière. Ainsi, le corps le plus rapide a parcouru plus d'espace eu un temps égal. § 13. Mais, dans un temps moindre, le corps le plus rapide pourra aussi parcourir plus d'espace. Ainsi, supposons que dans le temps que A met à venir à D, B ne va qu'à E, puisque B est plus lent. Or, puisque A va en D dans tout le temps FG, il sera en H pour un temps moindre que celui-là. Supposons que ce soit dans le temps FI. CI, qu'a parcouru A, est plus grand que CE. Mais le temps FI est moindre que le temps total FG, de telle sorte qu'en un temps moindre le corps a parcouru plus d'espace. § 14. Maintenant, on doit voir d'après ceci que le corps le plus rapide peut parcourir aussi un espace égal dans un temps plus petit. En effet, il parcourt la ligne la plus longue dans un temps moindre que le corps le plus lent. Pris en lui- même, il lui faut plus de temps pour parcourir la ligne la plus longue que pour parcourir la plus petite; par exemple, LM plus grande que LX. Ainsi, le temps PR qui lui est nécessaire pour parcourir LM, est plus grand que le temps PS dans lequel il parcourt LX. Si donc le temps PR est plus petit que le temps PQ, dans lequel le corps plus lent parcourt LX, le temps PS sera plus petit que PQ; car il est plus petit que PR, et ce qui est plus petit que le plus petit est lui-même aussi plus petit. Donc le corps aura parcouru dans son mouvement un espace égal durant un temps moindre. § 15. Autre démonstration. S'il faut nécessairement que tout mouvement se passe, ou dans un temps égal, ou dans un temps plus petit, ou dans un temps plus grand, celui à qui il faudra plus de temps sera plus lent : celui à qui il faudra un temps égal aura une vitesse égale. Mais ce qui est plus rapide n'est ni égal en vitesse, ni plus lent; or, comme le plus rapide ne se meut, ni dans un temps égal, ni dans un temps plus long, il reste qu'il se meuve en un temps moindre ; et par une conséquence nécessaire, le corps plus rapide parcourt en moins de temps un espace égal. § 16. D'autre part, tout mouvement se passant toujours dans le temps, et le mouvement pouvant avoir lieu dans le temps entier, de même que tout corps en mouvement peut être mu plus vite ou plus lentement, il s'ensuit qu'il peut y avoir dans le temps entier un mouvement plus rapide ou plus lent. § 17. Ceci étant, il en résulte évidemment que le temps aussi est continu. J'entends par continu ce qui est divisible en parties toujours divisibles; et si c'est bien là ce qu'est le continu, le temps doit être continu de toute nécessité. En effet, nous avons démontré que le corps le plus rapide parcourt un espace égal en moins de temps. Soit A le corps plus rapide, et B, le corps plus lent; et que le corps plus lent parcoure la grandeur CD dans le temps FG. Il est évident que le corps le plus rapide parcourra la lême longueur en un temps plus court. Supposons que ce soit dans le temps FH. Or, comme le plus rapide a parcouru dans le temps FII toute la ligne CD, le plus lent n'aura parcouru dans le même temps glue la ligne plus courte que nous représenterons par CI. Mais le corps le plus lent, B, dans le temps FH, a parcouru CI, que le plus rapide a parcouru en moins de temps. Ainsi, le temps FH sera divisé de nouveau ; et ce temps étant divisé, la ligne Cl sera divisée suivant la même raison. Si la grandeur est divisible, le temps le sera comme elle ; et il en sera toujours ainsi, en allant du plus rapide au plus lent, ou du plus lent au plus rapide, d'après la démonstration qui vient d'être donnée. Le plus rapide divisera le temps; et le plus lent divisera la longueur. Si donc la réciproque de l'un à l'autre est toujours vraie, en y recourant la division sera toujours possible. Donc il est évident que le temps est toujours continu. § 18. En même temps, il est évident aussi que toute grandeur est continue, puisque le temps et la grandeur admettent absolument les mêmes divisions, c'est- à-dire des divisions égales. § 19. On peut se convaincre encore, rien qu'à considérer les opinions et le langage ordinaires, que le temps étant continu, la grandeur l'est comme lui, puisque l'on dit toujours que dans la moitié d'un temps on parcourt la moitié de l'espace, et, d'une manière générale que, dans un temps moindre, on parcourt un moindre espace. Ainsi les divisions du temps et de la grandeur seront les mêmes. § 20. Si donc l'un des deux est infini, l'autre l'est également, et l'un est tout à fait infini comme l'autre. Par exemple, si le temps est infini à ses extrémités, la grandeur l'est également aux siennes. Si le temps est infini parce que la division est toujours possible, la longueur l'est aussi de cette manière; et si le temps est infini sous ces deux rapports, la longueur l'est également sous les deux. § 21. C'est là ce qui constitue l'erreur du raisonnement de Zénon, quand il prétend qu'on ne peut parcourir les infinis, ni toucher les infinis successivement dans un temps fini. En effet, quand on dit que le temps et la longueur sont infinis, ou plus généralement que tout continu est infini, cette expression a deux sens, selon que l'on entend parler, ou de la division, ou des extrémités. Quant aux infinis de quantité, il est impossible qu'on les touche dans un temps fini. Mais on le peut pour les infinis de division ; et c'est en ce sens que le temps lui- même est infini. Par conséquent, on ne peut parcourir l'infini que dans un temps infini, et non dans un temps fini ; et l'on ne peut toucher des infinis que par des infinis, et non par des finis. § 22. Il n'est donc pas possible, ni de parcourir l'infini dans un temps fini, ni de parcourir le fini dans un temps infini. Si le temps est infini, la grandeur sera infinie comme lui ; et réciproquement, si la grandeur est infinie, le temps l'est comme elle. § 23. Soit, en effet, une grandeur finie AB, et le temps infini C. Prenons une portion finie du temps CD. Dans cet intervalle de temps, on parcourt une partie de la grandeur. Soit BE la partie ainsi parcourue. Cette partie mesurera exactement la grandeur AB, ou bien elle sera plus petite, ou bien enfin elle sera plus grande, peu importe. Si l'on parcourt toujours dans un temps égal la grandeur égale à BE, et que cette grandeur mesure exactement le tout, le temps entier dans lequel on l'a parcourue sera fini, puisqu'il sera divisé en parties égales comme la grandeur AB. § 24. De plus, si l'on n'a pas besoin pour parcourir toute grandeur d'un temps infini, on en parcourt, du moins une partie dans un temps fini. Soit cette partie BE; elle mesure exactement la grandeur totale, et l'on parcourt une partie égale dans un temps égal. Donc le temps aussi est fini. Mais il est évident qu'on n'a pas besoin d'un temps infini pour parcourir BE, si l'on suppose que le temps est fini dans un des deux sens; car si l'on parcourt la partie dans un temps moindre, il faut nécessairement que le temps soit fini, puisque l'une des deux limites existe déjà. § 25. Même démonstration, si c'est la grandeur qui est infinie et que le temps soit fini. § 26. Donc il est évident, d'après tout ceci, que ni la ligne ni la surface, ni aucun continu n'est indivisible, non seulement d'après les arguments qu'on vient d'exposer, mais encore parce qu'il en résulterait que l'indivisible serait divisé. En effet, comme dans toute espèce de temps, ou distingue le mouvement rapide et le mouvement lent, et que le plus rapide parcourt plus d'espace dans un temps égal, le corps plus rapide peut parcourir soit une longueur double, soit une fois et demie la longueur ; car ce peut être là le rapport de la vitesse. Que le plus rapide parcoure donc la moitié en sus de la grandeur en un temps égal, et que les grandeurs soient divisées, celles du plus rapide en AB, BC, CD, toutes trois indivisibles ; et que les grandeurs du plus lent, soient partagées en deux, EF, FG. Le temps sera donc partagé aussi en trois indivisibles, puisque le corps en effet parcourt une quantité égale dans un temps égal. Que le temps soit, par exemple, divisé en KL, LM, MN. Mais de son côté le plus lent parcourait la ligne EF, FG. Donc le temps sera partagé en deux portions ; donc aussi l'indivisible sera divisé ; et le corps parcourt l'espace qui est sans parties, non point dans un temps indivisible mais en plus de temps. Donc évidemment, il n'y a pas de continu qui soit sans parties. [6,2] CHAPITRE II. § 1. Il faut également que l'instant considéré non d'une manière relative, mais en soi et dans le sens absolu, soit indivisible, et qu'il demeure indivisible dans un temps quelconque. C'est une extrémité du passé au delà de laquelle il n'y a aucune portion de l'avenir, et une extrémité de l'avenir en deçà de laquelle il n'y a aucune portion du passé. C'est donc, comme nous l'avons dit, la Limite des deux. § 2. Et si l'on démontre qu'une telle limite existe en soi et qu'elle reste identique, il sera démontré du même coup qu'elle est indivisible. § 3. Or, il y a nécessité que l'instant soit identique, puisqu'il est l'extrémité des deux temps; car s'il était différent, l'un des instants ne serait pas à la suite de l'autre, parce qu'il n'y a pas de continu qui soit composé d'indivisibles sans parties; et si l'un et l'autre sont séparés, il y a du temps entre les deux, puisque tout continu doit être tel qu'il y ait quelque chose de synonyme et d'homogène entre les limites. Mais si c'est le temps qui est intermédiaire, ce temps sera divisible, puisqu'il est démontré que le temps peut toujours se diviser. Par conséquent, l'instant est divisible. Mais si l'instant est divisible, il y aura quelque chose du passé dans le futur, et quelque chose du futur dans le passé ; et alors, cela même qui divisera l'instant, délimitera le temps présent et le temps futur. § 4. Par la même raison, l'instant ne serait pas en soi; mais il serait relatif et par un autre ; car la division ne peut pas atteindre ce qui est en soi. § 5. De plus, l'instant se partagera ; une certaine partie sera du passé et une autre partie de l'avenir ; et ce ne sera pas toujours le même passé ni le même futur. L'instant évidemment ne sera pas davantage le même ; car le temps est divisible de bien des manières. Par conséquent, si l'instant ne peut avoir ces caractères, il faut nécessairement que l'instant qui est dans l'un et dans l'autre temps soit le même. § 6. Mais si c'est le même, il est clair aussi qu'il est indivisible; car s'il était divisible, il en résulterait les mêmes conséquences qu'on vient d'énumérer plus haut. § 7. Ainsi il est démontré qu'il y a dans le temps quelque chose que nous appelons l'instant, et qui est indivisible comme ou vient de le voir. § 8. Voici maintenant ce qui prouvera qu'il n'y a pas de mouvement possible dans la durée de l'instant. S'il y a mouvement en effet, le mouvement peut alors y être ou plus rapide ou plus lent. Soit l'instant N ; et que le mouvement plus rapide en lui soit AB. Le mouvement moins rapide qui a lieu dans le même instant, parcourra une distance moindre que AB : soit la distance AC. Comme le mouvement le plus lent ne parcourt dans tout l'instant que la distance AC, le mouvement plus rapide la parcourra en un temps moindre. Donc l'instant sera divisé. Or, on le supposait indivisible. Donc le mouvement est impossible dans la durée de l'instant. § 9. Mais il ne se peut pas davantage que dans cette durée, il y ait du repos. Quand on dit repos, cela s'entend d'un corps qui, par nature, doit se mouvoir, et qui ne se meut pas quand naturellement il le doit, là où il doit et de la façon qu'il doit. Mais comme rien ne peut naturellement se mouvoir dans la durée de l'instant, rien ne peut non plus s'y reposer. § 10. Que si l'on prétend que l'instant étant le même dans les deux temps, il se peut alors que dans l'un tout entier il y ait mouvement, et que dans l'autre il y ait repos, et que ce qui se meut dans le temps tout entier, sera mu aussi dans l'un quelconque de ses éléments où naturellement il doit se mouvoir, ce qui est en repos y étant aussi dans la même condition, il en résultera que la même chose sera tout à la fois en mouvement et en repos, puisque l'instant est la même extrémité de l'un et l'autre temps. § 11. Enfin, on dit d'une chose qu'elle est en repos quand elle-même et ses parties sont dans l'instant actuel ce qu'elles étaient auparavant. Mais dans un instant il n'y a pas d'auparavant; et par conséquent, il n'y a pas de repos. § 12. Donc nécessairement, c'est dans un certain temps que doit se mouvoir ce qui se meut; et se reposer, ce qui se repose. [6,3] CHAPITRE III. § 1. Tout ce qui change est nécessairement divisible, puisque tout changement part de tel état pour arriver à tel autre. Or, quand la chose est dans l'état vers lequel elle a tendu en changeant, elle ne change plus; et quand elle est encore dans l'état qu'elle doit changer, ni elle ni aucune de ses parties ne changent encore, puisque ce qui reste au même état ne change pas, ni lui ni ses parties. Il faut donc nécessairement que, quand la chose change, une de ses parties soit en tel état, et l'autre partie dans l'autre état; car il n'est pas plus possible ni qu'elle soit dans les deux tout entière, ni qu'elle ne soit dans aucun. J'entends par là ce en quoi elle change et qui apparaît d'abord dans le changement. Ainsi, le corps passe du blanc au gris d'abord, et non point au noir; car il ne faut pas de toute nécessité que ce qui change soit dans l'un quelconque des deux extrêmes. Donc, il est évident que tout ce qui change est divisible. [6,4] CHAPITRE IV. § 1. Le mouvement peut être divisé de deux manières, d'abord selon le temps, et ensuite selon les mouvements des diverses parties du mobile. § 2. Si, par exemple, AC se meut tout entier, la partie AB et la partie BC seront également en mouvement. Soit DE le mouvement de AB, et EF le mouvement de BC, c'est-à-dire des parties. Il faut nécessairement que le mouvement entier de AC soit DF. C'est, en effet, selon ce mouvement que le corps doit se mouvoir, puisque chacune des parties se meut selon chacun de ces mouvements particuliers, et que nul corps ne peut avoir le mouvement d'un autre. Ainsi, le mouvement total est le mouvement de toute la grandeur. § 3. De plus, si toujours le mouvement est le mouvement de quelque corps, et si le mouvement total DF n'est, ni le mouvement d'aucune des deux parties, chaque mouvement particulier appartenant à chacune des parties, ni le mouvement d'aucun autre corps, car là où le mouvement total est celui du corps entier, les parties du mouvement sont les mouvements des parties du corps, et les parties de DF sont les mouvements de ABC et non d'un autre corps, puisqu'un mouvement un ne peut, comme on l'a vu, appartenir à plusieurs corps, il est clair que le mouvement entier DF est celui de toute la grandeur AC. § 4. Si, en effet, le mouvement du corps entier est autre, par exemple HI, on pourra en retrancher le mouvement de chacune des parties. Mais ces mouvements sont égaux à DE, EF; car il n'y a qu'un seul mouvement pour un seul corps. Par conséquent, si le mouvement total HI est partagé exactement dans les mouvements des parties, HI sera égal à HF. S'il manque quelque chose comme KI, ce ne sera le mouvement de rien; car ce n'est ni le mouvement du tout, ni le mouvement des parties, puisqu'il n'y a qu'un seul mouvement pour une seule chose, ni le mouvement de quoi que ce soit, puisque le mouvement est continu pour des mobiles continus. Il en serait d'ailleurs encore de même si, « au lieu de manquer, » il y avait de l'excès après la division. Par conséquent, comme tout cela est impossible, il faut nécessairement que le mouvement soit le même et qu'il soit égal. § 5. Telle est la division du mouvement d'après les mouvements des parties, et il faut qu'elle s'applique à tout corps qui a des parties. § 6. L'autre division du mouvement se rapporte au temps. Comme tout mouvement, en effet, est dans le temps, et comme le temps est toujours divisible, et que le mouvement est moindre dans un temps moindre, il en résulte nécessairement que le mouvement est toujours divisible selon le temps. [6,5] CHAPITRE V. § 1. Comme tout ce qui se meut doit se mouvoir dans une certaine chose, et dans un certain temps, et que tout mouvement suppose un mobile, il faut que les divisions soient les mêmes pour le temps et le mouvement, comme aussi pour le résultat du mouvement, pour le mobile et pour le lieu où le mouvement se passe. Seulement, la division ne se fait pas de la même manière pour toutes les choses où le mouvement est possible; et, par exemple, pour la quantité, la division y a lieu en soi, tandis que pour la qualité, elle n'a lieu qu'accidentellement et indirectement. § 2. Soit le temps, dans lequel le mouvement a lieu, représenté par A, et le mouvement représenté par B. Si, dans le temps total, le mouvement total s'accomplit, dans la moitié du temps le mouvement sera moindre; en divisant encore cette moitié, il sera moindre encore; et ainsi de suite. § 3. De même, si le mouvement est divisible, le temps est divisible comme lui. Si le corps accomplit tout le mouvement dans tout le temps, il en accomplit la moitié dans la moitié du temps, et une partie moindre dans une moindre partie du temps. § 4. Le résultat du mouvement se divisera encore de la même façon. Par exemple, soit C le résultat du mouvement. Dans la moitié du mouvement, ce résultat sera moindre que dans le tout, comme il le sera encore dans la moitié de la moitié ; et ainsi sans fin. § 5. Un peut d'ailleurs, en considérant le résultat séparément dans chacun des mouvements, tels que DC et CE, soutenir que le résultat total du mouvement sera obtenu par le mouvement total ; car, s'il en était autrement, il s'ensuivrait que plusieurs résultats de mouvement pourraient venir d'un seul et même mouvement, tout comme nous avons démontré que le mouvement pouvait toujours se diviser dans les mouvements des parties ; car, en supposant même qu'il y ait un résultat dans chacune des deux parties, le résultat total n'en sera pas moins continu. § 6. On démontrerait de la même façon que la longueur aussi est divisible, et en général tout ce dans quoi il y a changement, sauf quelques exceptions où la division est indirecte ; car tout ce qui change est divisible ; et un seul de ces termes pouvant se diviser, tous les autres le peuvent également. § 7. La position de tous ces termes sera semblable, quant à être finis ou infinis. § 8. Mais la conséquence la plus conforme à l'idée du changement, c'est que tous soient divisibles, et divisibles à l'infini ; car l'infinitude et la divisibilité sont les caractères les plus certains et les plus évidents de ce qui change. Quant à la divisibilité, on l'a démontrée dans ce qui précède ; et pour l'infinitude, on la démontrera dans ce qui va suivre. [6,6] CHAPITRE VI. § 1. Comme tout ce qui vient à changer change de tel état dans tel autre état, il s'ensuit nécessairement que ce qui a changé, dès le premier moment qu'il a changé, doit être dans la chose en laquelle il a changé. En effet, ce qui change sort de l'état qu'il change, ou si l'on veut il quitte cet état. Et certainement, ou changer et quitter son état sont deux idées qui se confondent; ou bien l'idée de quitter est la conséquence de celle de changer, comme avoir quitté est la conséquence d'avoir changé ; car le rapport de l'un de ces termes à l'autre est absolument pareil pour les deux cas. Si donc c'est une espèce de changement que le changement par contradiction, quand une chose change du non-être à l'être, elle a quitté et perdu l'état de non-être, elle fera donc partie de l'être; car il faut de toute nécessité qu'une chose soit ou ne soit pas. Par conséquent, il est clair que, pour le changement par contradiction, la chose changée sera dans la chose en laquelle elle a changé. Et, s'il en est ainsi dans ce changement spécial, il en sera de même pour tous les autres changements ; car il en est pour tous ce qu'il en est pour un seul. § 2. On peut encore aisément s'en convaincre, en considérant à part chacun des changements, puisque, nécessairement, ce qui a subi le changement doit être dans un certain lieu ou dans une certaine chose. En effet, comme il a quitté l'état qu'il a changé, et qu'il faut bien qu'il soit quelque part, il sera, ou dans cet objet dans lequel il a changé, ou dans un autre. S'il est dans un autre et que ce soit en C, par exemple, ce qui a changé en B doit encore changer de C en B ; car C n'est pas supposé continu à B. Or, le changement est continu. Par conséquent, ce qui a changé, quand il a déjà changé, change en ce en quoi il a déjà changé. Mais cela n'est pas possible. Donc, ce qui a changé doit nécessairement être dans ce en quoi il a changé. § 3. Par suite, il n'est pas moins évident que ce qui a été est au moment où il a été, et que ce qui a péri n'existe plus. Mais ces généralités qui s'appliquent à toute espèce de changement, s'appliquent surtout avec évidence au changement qui se marque par la contradiction. § 4. Ainsi, l'on voit que ce qui a changé est, dès le premier moment qu'il a changé, dans l'objet en lequel il change. [6,7] CHAPITRE VII. § 1. Nécessairement, l'instant primitif où a changé ce qui a changé doit être indivisible, § 2. J'entends par primitif ce qui n'a pas cette qualité, parce qu'il y aurait en lui quelqu'autre partie qui serait primitive. § 3. Supposons, par exemple, AC divisible, et qu'il soit divisé en B. S'il a changé en AB, ou ensuite en BC, c'est que le changement n'a pas eu lieu dans le primitif AC. Si le changement a lieu dans l'un et l'autre, AB et BC, puisqu'il il y a nécessité que le corps ait changé ou qu'il change dans l'un et l'autre, il change dans le tout ; mais on a supposé qu'il avait changé dans AC. Même raisonnement, si l'on suppose qu'il change dans l'un, et qu'il a changé dans l'autre ; car alors il y a quelque chose d'antérieur au primitif. Par conséquent, cet instant primitif où l'objet a changé, n'est pas divisible. § 4. D'ailleurs, il n'est pas moins évident que ce qui a péri ou est né, a péri aussi ou est né dans un instant indivisible. [6,8] CHAPITRE VIII. § 1. Quand on parle du point primitif où l'objet a changé, cette expression peut avoir deux sens : ou bien c'est le premier point où le changement est complet et achevé; car c'est seulement alors qu'il est exact de dire que l'objet a changé ; ou bien c'est le point où le changement a commencé à se produire. § 2. Ainsi, le primitif dont on parle, quand il s'agit de la terminaison du mouvement, est réellement et subsiste par lui-même, puisqu'il est possible que le changement se termine et qu'il y ait une fin du changement; et nous avons démontré que ce point est indivisible, précisément parce qu'il est une limite et un terme. § 3. Mais quant au primitif qui se rapporte au début du changement, il n'existe pas, parce qu'il n'y a pas de début du changement, ni un premier moment du temps où le changement ait eu lieu. Soit en effet ce primitif AD. Ce primitif n'est certes pas indivisible; car, autrement, il en résulterait que les instants sont continus. De plus, si l'objet est en repos durant tout le temps CA, car nous pouvons supposer le repos, il est en repos également durant le temps A. Par conséquent, si AD est indivisible et sans parties, il en résultera que tout à la fois le corps sera en repos, et qu'il sera en état de changement. En effet, il est en repos en A, et il est changé en D. Mais si AD n'est pas sans parties, il faut nécessairement qu'il soit divisible, et qu'il y ait changement dans une quelconque des parties dont il se compose. Par suite AD étant divisé, si l'objet n'a changé ni dans l'une ni dans l'autre partie, il n'a pas non plus changé dans le tout. Si au contraire, il a changé dans les deux, il a changé dans le tout également. S'il n'a changé que dans l'une des deux, il n'a pas changé dans le tout primitivement. Par conséquent, il y a nécessité qu'il ait changé dans une des deux quelconque. Donc, il est clair que ce n'est pas là le point où primitivement il a changé, puisque les divisions sont infinies. § 4. Ce n'est pas davantage dans l'objet changé, qu'il y a quelque chose qui ait changé primitivement. Soit DF, la partie de DE, qui ait changé primitivement, puisque on a démontré que tont ce qui change est divisible. Soit le temps dans lequel DF a changé, représenté par HI. Si donc DF a changé dans tout le temps, ce qui a changé dans la moitié du temps sera moindre que DF et antérieur à DF. Une autre partie sera moindre encore ; puis encore une troisième, moindre que la seconde; et ainsi à l'infini. Par conséquent, il n'y aura rien dans l'objet qui change qui ait changé primitivement. § 5. Il ressort donc clairement de ce que nous venons de dire qu'il n'y a pas de primitif, ni pour une partie de l'objet qui change, ni pour le temps dans lequel il a changé. § 6. Mais il n'en sera plus tout à fait de même de la chose dans laquelle l'objet se change, c'est-à-dire de la qualité selon laquelle il change. En effet, il y a trois choses à considérer dans tout changement : d'abord l'objet qui change, puis ce dans quoi il change, et ce en quoi il change. Par exemple, l'homme, le temps et la blancheur. L'homme et le temps sont divisibles ; mais c'est autre chose pour la blancheur, si ce n'est qu'indirectement tout est toujours divisible; et ainsi l'objet qui reçoit la blancheur, par exemple, et la qualité, est divisible. Mais tout ce qui par soi-même et non par accident est appelé divisible ne peut jamais non plus avoir de primitif. Prenons notre exemple dans les grandeurs. Soit, si l'on veut AB, la grandeur, et qu'elle se meuve de B en C primitivement. Si BC est considéré comme indivisible, il en résultera qu'un objet sans parties sera continu à un autre objet sans parties également. S'il est divisible, il y aura quelque chose d'antérieur à C et en quoi le corps a changé; puis il y aura un autre antérieur à celui–là, et toujours ainsi, parce que la division ne fera jamais défaut. Par conséquent, il n'y aura pas de primitif dans lequel l'objet aura changé. Même raisonnement encore pour le changement dans la quantité ; car la quantité est essentiellement comprise dans le continu. Donc, il est évident que le mouvement relatif à la qualité est le seul dans lequel il puisse y avoir de l'indivisible en soi. [6,9] CHAPITRE IX. § 1. Comme tout ce qui change change dans le temps, et que changer dans le temps peut s'entendre tout à la fois, et relativement au temps primitif où le changement a lieu, et relativement à un autre temps; car on dit, par exemple, qu'un objet a changé dans telle année par cela seul qu'il a changé à un certain jour de cette année, il s'ensuit que le changement doit avoir nécessairement lieu dans toutes les parties du temps primitif où ce qui change a changé. § 2. C'est ce qui résulte évidemment de la définition ; et c'est bien en ce sens que nous comprenions le mot de primitif. § 3. Voici encore un autre moyen de nous le démontrer. Soit en effet XR, le temps primitif dans lequel se meut ce qui se meut ; et supposons encore qu'il soit divisé en K ; car tout temps est divisible. Dans le temps XK, l'objet se meut, ou il ne se meut pas. Même raisonnement en KR. Si le corps ne se meut ni dans l'une ni dans l'autre des deux parties du temps, il ne se meut pas non plus dans le temps entier et il y est en repos, du moment qu'ou suppose qu'il est impossible qu'il se meuve dans aucune des parties du temps. S'il ne se meut que dans l'une des deux seulement, il ne se meut pas dans XR primitivement; car le mouvement est alors relatif à un autre; donc il faut nécessairement qu'il se meuve dans toutes les parties de XR. [6,10] CHAPITRE X. § 1. Ceci étant démontré, il est clair que tout ce qui se meut actuellement doit avoir été déjà mu antérieurement. Si en effet, dans le temps primitif XR, un corps s'est mu de la grandeur KL, dans la moitié de ce même temps, un corps qui se meut avec la même vitesse et qui a commencé simultanément à se mouvoir, se sera mu de la moitié. Mais si l'objet doué d'une vitesse égale a été mu de quelque chose dans le même temps, il faut aussi que l'autre objet se soit mu de la même grandeur, Par conséquent, le corps qui se meut a été mu. § 2. D'un autre côté, si nous disons que le corps a été mu dans le temps entier XR, c'est ou absolument que nous le disons, ou pour une partie quelconque de ce temps, dont on ne considère alors que l'instant extrême. C'est cet instant, en effet, qui le termine; et l'intervalle qui est entre les instants est le temps. On pourrait dire aussi bien pour tous les autres instants que le corps s'y est mu. Mais l'instant extrême de la moitié, c'est le point où l'on fait la division du temps, de telle sorte que le corps se sera mu aussi dans la moitié; et d'une manière générale, il se sera mu dans une partie quelconque du temps; car le temps est toujours terminé par les instants, au moment même où l'on fait la section. Si donc tout temps est divisible, et que l'intervalle des instants soit le temps, tout ce qui change actuellement aura changé un nombre infini de fois antérieurement. § 3. Autre considération. Si ce qui change d'une manière continue, sans avoir été détruit et sans avoir cessé son changement, doit nécessairement changer actuellement ou avoir changé dans une partie quelconque du temps, et si le changement n'est pas possible dans un instant, il s'ensuit que le changement a dû s'être produit dans chacun des instants successifs. Par conséquent, si les instants sont infinis, il s'ensuit que tout ce qui change actuellement doit avoir changé déjà une infinité de fois. § 4. Mais non seulement ce qui change doit avoir changé ; mais encore tout ce qui a changé doit aussi changer antérieurement. En effet, tout ce qui a changé d'un certain état à un autre état a changé dans le temps. Supposons que dans l'instant le corps a changé de A en B. Il s'ensuit qu'il n'a pas changé dans le même instant où il est en A, puisqu'alors il serait en même temps en A et en B; car ce qui a changé, quand il a changé, n'est plus dans cet instant, ainsi qu'on vient de le démontrer plus haut. Si l'on dit qu'il est dans un autre instant, il y a alors du temps dans l'intervalle; car on sait que les instants ne sont pas supposés continus. Puis donc que le corps a changé dans le temps, et que le temps est toujours divisible, c'est en une autre mesure qu'il aura changé dans la moitié ; et ce sera également en une autre mesure dans la moitié de ce temps-là; et toujours de même. Donc le corps change antérieurement. § 5. Ce qu'on vient de dire ici est encore plus clair pour la grandeur, parce que la grandeur où change ce qui change est continue. Soit par exemple, un objet qui a changé de C en D. Si CD est indivisible, il y aura un corps sans parties continu à un corps sans parties. Mais comme ce n'est pas possible, il faudra nécessairement que l'intervalle soit une grandeur et que cet intervalle soit divisible à l'infini. Par conséquent, le corps change antérieurement en ces parties. § 6. Il faut donc que tout ce qui a changé change antérieurement. Même démonstration pour les choses qui ne sont pas continues; par exemple, pour les contraires et pour la contradiction. En effet, nous prendrions le temps pendant lequel l'objet a changé ; et nous en dirions alors les mêmes choses, § 7. Par conséquent, il y a nécessité que ce qui a changé change, et que ce qui change ait changé ; et le changement antérieur fait partie du changement actuel, de même que le changement actuel fait partie du changement antérieur, de telle sorte qu'on ne peut jamais arriver au primitif. § 8. Cela tient à ce qu'un corps sans parties ne peut jamais être continu à un corps sans parties; car la division est infinie, absolument comme pour les lignes qu'on accroît ou qu'on diminue à volonté. § 9. On voit donc que ce qui a été produit doit être produit antérieurement et que ce qui est produit a été produit a été produit, toutes les fois qu'il s'agit de choses divisibles et continues. Cependant, ce n'est pas toujours l'objet entier qui s'est produit; c'est parfois autre chose que lui, et par exemple, c'est une des parties de cet objet, comme le fondement de la maison. Même raisonnement pour ce qui périt et ce qui a péri. Dans tout ce qui se produit et dans tout ce qui meurt et s'en va, il y a toujours quelque chose d'infini, en tant que c'est toujours continu; car il est également impossible et que ce qui n'a point été soit, et que ce qui est n'ait point été de quelque façon. Même observation pour périr et avoir péri ; car on verra toujours qu'avoir péri est antérieur à périr, de même que périr est antérieur à avoir péri. Il est donc manifeste que ce qui a été produit doit être produit antérieurement, et que ce qui est produit doit avoir été produit; car toute grandeur quelconque, et le temps, quel qu'il soit, sont toujours divisibles, de telle sorte que, quel que soit le récipient où est la chose, elle ne peut jamais y être comme dans son primitif. [6,11] CHAPITRE XI. § 1. Comme tout ce qui se meut ne peut se mouvoir que dans le temps, et qu'une grandeur plus grande est parcourue dans un temps plus grand, il s'ensuit que dans un temps infini, il ne peut pas y avoir de mouvement fini, bien entendu qu'il ne s'agit pas d'un mouvement qui serait toujours le même, ni du mouvement de quelqu'une des parties de l'objet, mais du mouvement total dans le temps total. § 2. Ainsi donc, il est clair que, si le corps se meut avec une vitesse égale, il faut nécessairement qu'étant fini, il se meuve dans un temps fini ; car en prenant une partie qui mesure exactement tout le mouvement, le corps parcourra le mouvement entier dans des temps égaux, aussi nombreux que le sont les parties elles-mêmes. Par conséquent, ces parties étant finies par la quantité pour chacune d'elles, et par la répétition pour leur totalité, il s'ensuit que le temps aussi est limité et fini ; car le temps sera autant de fois aussi grand que le temps d'une des parties multiplié par le nombre même de ces parties. § 3. Peu importe, d'ailleurs, que le corps ne se meuve pas d'une vitesse égale. Soit en effet, un intervalle fini représenté par la ligne AD, sur lequel le corps se meut dans un temps infini ; et soit le temps infini représenté par CD. Si de toute nécessité le corps se meut dans une partie de l'espace, avant de se mouvoir dans l'autre, il est clair qu'il se meut dans une partie différente selon la portion antérieure et postérieure du temps ; car toujours, dans le temps plus grand, il se sera mu d'une autre manière, soit d'ailleurs qu'il change avec une égale vitesse, soit qu'il change avec une vitesse qui n'est pas égale, et soit encore que le mouvement s'accroisse, soit qu'il diminue, ou soit enfin qu'il reste stationnaire ; peu importe. Prenons une partie AE de l'intervalle AB, laquelle mesurera exactement AB. Cette partie doit se trouver dans quelque partie du temps infini ; car elle ne peut pas être dans le temps infini tout entier, puisque c'est le tout qui est dans l'infini. Si je prends encore une autre partie égale, je suppose, à AE, il faut de toute nécessité qu'elle soit mue dans un temps fini, puisque c'est la totalité seule qui est mue dans l'infini ; et si je considère ainsi cette partie, c'est qu'il n'y a pas de partie de l'infini qui puisse servir de mesure commune; car il est impossible que l'infini soit composé de parties finies soit égales soit inégales, attendu que les quantités finies, soit de nombre soit de grandeur, sont toujours mesurées par quelqu'autre quantité, Peu importe, d'ailleurs, que les parties soient égales ou inégales, du moment qu'elles sont finies en grandeur, Mais l'intervalle fini est mesuré par les AE, qui ont une grandeur quelconque ; et ainsi AB se meut dans an temps fini. § 4. De même encore pour l'inertie et le repos. § 5. Donc il est impossible que ce qui est toujours un et le même puisse jamais naître ni périr. § 6. Même raisonnement pour prouver qu'il ne se peut pas davantage que dans un temps fini, il y ait un mouvement infini, non plus qu'un repos infini, soit que d'ailleurs le mouvement soit égal ou inégal. En effet, si l'on prend une partie qui puisse mesurer le temps entier, le mouvement parcourra dans cette partie une certaine quantité de la grandeur, sans parcourir la grandeur entière, puisque toute la grandeur ne peut être parcourue que dans le temps tout entier. De même encore dans un temps égal, le mouvement parcourra une autre partie de la grandeur ; et ainsi de suite dans chaque partie également, soit qu'on la prenne égale ou inégale à la partie initiale; car il n'y a d'ailleurs aucune différence, du moment que chaque partie prise à part est finie. Il est clair, en effet, que le temps étant épuisé, l'infini ne s'épuise pas comme lui, parce que tout retranchement est fini, soit en quantité, soit en nombre. Par conséquent, le corps ne parcourt pas l'infini dans un temps fini. Peu importe d'ailleurs que la grandeur soit infinie dans un sens seulement, ou dans les deux sens à la fois; le raisonnement reste toujours le même. § 7. D'après ces démonstrations, on doit voir encore qu'une grandeur finie ne peut pas, par des raisons toutes semblables, parcourir l'infini dans un temps fini. En effet, dans une partie du temps, elle parcourt un espace fini ; et de même dans chacune des parties successivement. Par conséquent, c'est encore du fini qu'elle a parcouru dans le temps tout entier. § 8. Mais si le fini ne peut parcourir l'infini dans un temps fini, il n'est pas moins évident que l'infini ne peut pas davantage parcourir le fini. Supposons, en effet, que l'infini puisse parcourir le fini. Il faut alors aussi que le fini parcoure l'infini ; car peu importe quel est celui des deux qui est en mouvement, puisque des deux façons le fini parcourt toujours l'infini. En effet, lorsque l'infini représenté par A se meut, il y en aura une partie CD qui sera dans B, lequel est fini ; et de même pour telle ou telle autre partie, et toujours de même. Donc il en résultera simultanément que l'infini se sera mu dans le fini, et que le fini aura parcouru l'infini; car il n'est peut-être pas autrement possible que l'infini se meuve dans le fini, sinon que le fini parcoure l'infini, soit en se déplaçant lui-même, soit en mesurant l'infini. Donc, comme cela est impossible, il ne se peut pas davantage que l'infini parcoure le fini. § 9. Mais il n'est pas plus possible que l'infini parcoure l'infini dans un temps fini ; car s'il pouvait parcourir l'infini, il parcourrait aussi le fini, puisque le fini se trouve substantiellement dans l'infini. § 10. En prenant le temps au lieu de la grandeur, la démonstration serait encore la même. § 11. Mais comme dans un temps fini, le fini ne peut parcourir l'infini, pas plus que l'infini ne peut parcourir le fini, et pas plus encore que l'infini ne peut parcourir l'infini, il en résulte clairement que le mouvement ne pourra jamais davantage être infini dans un temps fini. Car, où est la différence de prendre pour infinis, soit le temps, soit la grandeur? Du moment que l'un des deux est infini, l'autre l'est également de toute nécessité, puisque tout déplacement a lieu dans l'espace. [6,12] CHAPITRE XII. § 1. Comme tout ce qui, par nature, doit se mouvoir ou rester en repos, se meut ou reste, quand toutes ses conditions naturelles d'action, de temps et d'espace, sont remplies, il faut nécessairement que ce qui se ralentit et s'arrête, soit en mouvement au moment où il s'arrête ; car s'il ne se meut pas, c'est qu'il sera en repos. Mais il ne se peut pas que ce qui est en repos tende à se reposer. § 2. Ceci étant démontré, il est clair aussi que c'est dans le temps que le corps s'arrête, puisque tout ce qui se meut ne peut se mouvoir que dans le temps. Or, il a été démontré que ce qui s'arrête devait être en mouvement ; donc nécessairement c'est dans le temps que le corps s'arrête. § 3. D'un autre côté, c'est au temps que nous rapportons les idées de vitesse et de lenteur : car le corps peut s'arrêter plus vite ou plus lentement. § 4. Mais le mouvement qui s'arrête primitivement dans un temps, doit s'arrêter dans toute partie quelconque de ce temps. En effet., le temps étant divisé, si le mouvement ne s'arrête dans aucune de ses parties, il ne s'arrêtera pas non plus dans le temps entier ; et par suite, le mouvement qu'on suppose arrêté ne s'arrêterait pas. Mais s'il s'arrête dans une des deux parties, il ne s'arrête plus alors primitivement dans le temps entier ; car le mouvement s'arrête alors dans le temps relativement à un autre, ainsi que nous l'avons expliqué plus haut pour le mobile. § 5. Mais de même qu'il n'y a pas de primitif où se meuve le mobile, de même, non plus, il n'y a pas de primitif où s'arrête un corps qui s'arrête ; c'est-à-dire qu'il n'y a pas de primitif, ni pour le mouvement, ni pour l'arrêt. Soit AB, par exemple, le primitif où le corps s'arrête. Il n'est pas possible que ce primitif soit sans parties, parce qu'il n'y a pas de mouvement possible dans ce qui est sans parties, attendu que le corps doit s'être mu antérieurement dans une partie quelconque ; et il a été démontré que le corps qui s'arrête a dû être d'abord en mouvement. Toutefois si AB est divisible, le corps peut s'arrêter dans une de ses parties quelconque ; car on a fait voir plus haut que le mouvement s'arrête dans une des parties de la chose où il s'arrête primitivement. Mais comme il y a un temps dans lequel il s'arrête primitivement, et que ce n'est pas un indivisible, puisqu'au contraire le temps est toujours divisible à l'infini, il n'y a rien dans le temps où primitivement le corps s'arrête. § 6. De même pour ce qui est en repos, il n'y a pas non plus de temps où il ait été primitivement en repos ; car le corps n'a pu se reposer dans un temps sans parties, parce qu'il n'y a pas de mouvement possible dans l'indivisible, et que là où est le repos, là aussi est le mouvement. En effet, nous avons dit qu'une chose est en repos, quand elle ne se meut pas dans les conditions où naturellement elle devrait se mouvoir. Nous disons encore qu'il y a repos, quand la chose reste actuellement tout ce qu'elle était auparavant ; et notre jugement ne peut pas alors porter sur un seul terme ; il faut qu'il porte sur deux termes tout au moins. Par conséquent, le temps dans lequel le repos a lieu ne peut pas être sans parties. Mais si l'on admet que te temps est divisible, c'est dans une de ses parties que le repos se produira ; et l'on pourra répéter ici la démonstration qu'on a donnée plus haut. Donc il n'y a point ici de primitif. § 7. Cela tient à ce que tout mouvement et tout repos a lieu dans le temps; or, le temps ne peut être primitif, non plus que la grandeur, et non plus qu'un continu quelconque puisque tout continu est divisible à l'infini. [6,13] CHAPITRE XIII. § 1. Comme tout mobile se meut nécessairement dans le temps, et qu'il change d'un certain état à un autre état, il est impossible que dans le temps en soi où il se meut; et non pas seulement dans une partie de ce temps, le mobile soit dans un lieu primitif quelconque. § 2. En effet, pour qu'on puisse dire d'une chose qu'elle est en repos, il faut, et que la chose même, et que chacune de ses parties, soient durant un certain temps dans le même état; et nous entendons ainsi qu'il y a repos, lorsqu'il est vrai de dire, dans un premier instant et dans un autre instant, que la chose tout ensemble et chacune de ses parties restent dans un état identique. Si c'est bien là l'idée qu'on doit se faire du repos, il n'est pas possible que le corps qui change soit tout entier dans tel on tel rapport, durant le temps qui est considéré comme primitif; car le temps est toujours divisible ; et par conséquent ce sera dans une partie, et une autre partie de ce temps, qu'il sera vrai de dire et que la chose et que ses parties sont dans le même état. § 3. Si en effet il n'en était pas ainsi, et si c'était durant un seul des instants, ce ne serait plus pendant aucun temps que la chose serait dans tel état ; mais ce serait alors pendant la limite du temps. § 4. Dans l'instant, le corps existe bien toujours de quelque façon ; mais il n'est pas en repos; car dans un instant, il ne peut y avoir, ni mouvement, ni repos. Il est vrai strictement de dire que, dans un instant, le mouvement est impossible, et que le corps existe dans un état quelconque de rapport. Mais il ne se peut pas que dans le temps il y ait un rapport de repos; car il en résulterait cette absurdité que ce qui se meut est en repos. [6,14] CHAPITRE XIV. § 1. Mais Zénon fait un faux raisonnement : « Si toute chose, dit-il, doit toujours être soit en mouvement soit en repos, quand elle est dans un espace égal à elle-même, et si tout corps qui se déplace est toujours pendant chaque instant dans un espace égal, il s'ensuit que la flèche qui vole est immobile. » Mais c'est là une erreur, attendu que le temps n'est pas un composé d'instants, c'est-à-dire d'indivisibles, pas plus que nulle autre grandeur. § 2. Zénon a sur le mouvement quatre raisonnements, qui ne laissent pas que d'embarrasser ceux qui tentent de les réfuter. § 3. D'abord, il prétend prouver que le mouvement n'existe pas, attendu que le mobile passe par la moitié avant d'arriver à la fin. Nous avons réfuté ce sophisme dans nos discussions antérieures. § 4. Le second sophisme de Zénon est celui qu'on appelle l'Achille. Il consiste à dire que jamais le plus lent, quand il est en marche, ne pourra être atteint par le plus rapide, attendu que le poursuivant doit, de toute nécessité, passer d'abord par le point d'où est parti celui qui fuit sa poursuite, et qu'ainsi le plus lent conservera constamment une certaine avance. § 5. Ce raisonnement revient à celui de la division par deux; et, la seule différence, c'est qu'ici l'on ne divise pas continuellement en deux la grandeur surajoutée. On tire bien de cet argument cette conclusion régulière qu'il n'est pas possible que le plus lent soit jamais atteint; mais c'est toujours absolument la même chose que dans la division par deux, puisque de part et d'autre on conclut qu'on ne peut arriver au bout, de quelque manière qu'on partage la grandeur. Seulement, dans l'Achille, on ajoute que même le plus rapide ne pourra jamais rejoindre le plus lent; et c'est plus pompeux et plus tragique. § 6. La solution est donc des deux côtés nécessairement identique. Mais supposer que ce qui est en avance n'est pas rejoint, c'est là qu'est l'erreur. Sans doute tant qu'il est en avance, il n'est pas rejoint; mais, en définitive, cependant il est rejoint, puisque Zénon doit accorder que la ligne finie est parcourue. § 7. Voilà donc déjà deux des arguments de Zénon. § 8. Le troisième, dont nous venons de parler à l'instant, c'est que la flèche qui vole dans les airs reste en place; et de ce principe on tire cette conclusion que le temps est, selon Zénon, composé d'instants. Mais, en repoussant ce principe, que l'on ne concède point, il n'y a plus d'argument. § 9. Quant au quatrième, il s'applique à des masses égales qu'on suppose se mouvoir également, par exemple, dans le stade, mais, en sens contraire, les unes partant de l'extrémité du stade et les autres du milieu; et l'on prétend démontrer que le temps, qui n'est que la moitié, est l'égal du temps qui est le double. § 10. Le sophisme consiste en ceci, qu'on suppose que la grandeur égale, animée de la même vitesse, se meut dans le même temps, soit relativement à la masse qui est en mouvement, soit relativement à la masse qui est en repos; et c'est là qu'est l'erreur. § 11. Soient, par exemple, les masses égales en repos représentées par AAAA. Soient, d'autre part, BBBB, les masses égales en nombre et en grandeur aux A, mais qui partent du milieu de la longueur des A; soient enfin CCCC les masses égales aux autres en nombre, en grandeur, et égales aux B en vitesse, mais qui partent de l'extrémité. Le premier B est bien, en effet, au bout en même temps que le premier C, puisque le mouvement des uns et des autres est parallèle. Les C ont bien aussi dépassé tous les A; mais les B ne sont qu'à la moitié. Donc, suivant Zénon, le temps n'est aussi que la moitié, puisque de part et d'autre c'est parfaitement égal. Mais il arrive que les B ont, en même temps, dépassé tous les C; car le premier C et le premier B sont en même temps aux extrémités contraires, le temps pour chacun des B étant tout à fait égal à ce qu'il est pour passer _ chacun des A, si l'on en croit ce que dit Zénon, parce que tous deux arrivent dans un même temps à dépasser les A. § 12. Telle est la théorie de Zénon; mais elle pèche ainsi que nous l'avons dit. § 13. Quant à la nôtre, elle ne conduit à aucune impossibilité par rapport au changement qui a lieu dans la contradiction. Par exemple, si l'on objecte que le corps qui n'est pas blanc, changeant en blanc, n'est, à un instant donné, ni l'un ni l'autre, de telle sorte qu'on ne puisse pas dire qu'il soit blanc, et qu'on ne puisse pas dire davantage qu'il ne soit pas blanc; je réponds qu'on n'a pas besoin, pour affirmer que le corps est blanc ou qu'il n'est pas blanc, qu'il soit tout entier l'un ou l'autre ; car on dit d'une chose qu'elle est blanche ou qu'elle ne l'est pas sans qu'elle le soit tout entière, et il suffit que la plupart de ses parties, ou les plus importantes le soient. Mais ce n'est pas la même chose de ne pas être dans tel état ou de ne pas y être tout entier. Il en sera de même tout à fait pour l'être et le non-être, et pour toutes les autres oppositions par contradiction; car il faut nécessairement que la chose soit dans l'un des opposés; mais elle n'est pas toujours tout entière dans aucun des deux. § 14. D'autre part, pour le cercle, pour la sphère, et en général pour tout ce qui se meut sur soi-même, on prétend bien que les corps seront en repos, attendu que ces corps et leurs parties étant durant quelque temps dans le même lien, il en résulte, par conséquent, qu'ils seront à la fois et en mouvement, et en repos. § 15. Mais d'abord, je réponds que les parties ne sont jamais un seul moment dans le même lieu. § 16. Puis ensuite, on peut même dire que c'est le cercle entier qui change toujours en un autre; car la circonférence n'est pas la même, selon qu'on la prend du point A, ou du point B, ou du point C, ou de tels autres points, si ce n'est de la même manière que l'homme musicien est aussi homme, parce que sa qualité de musicien n'est qu'accidentelle. Par conséquent, une circonférence change toujours en une autre, et elle n'est jamais en repos. Il en est tout à fait de même aussi pour la sphère, et pour tous les corps qui se meuvent sur eux-mêmes. [6,15] CHAPlTRE XV. § 1. Ceci démontré, nous prétendons que ce qui est sans parties ne peut avoir de mouvement, si ce n'est indirectement ; et, par exemple, l'indivisible ne se meut que par le mouvement du corps ou de la grandeur quelconque dans laquelle il est, comme une chose qui est dans un bateau et qui n'est mise en mouvement que par le mouvement du bateau même ; ou bien encore, comme la partie est mue par le mouvement du tout. § 2. Quand je dis « Sans parties, » j'entends ce qui est indivisible sous le rapport de la quantité. § 3. Car les mouvements des parties sont différents, selon que ces parties elles-mêmes se meuvent, ou que c'est le tout lui-même qui est en mouvement. Où l'on peut bien observer cette différence, c'est dans la sphère; car la rapidité des parties qui sont au centre, ou des parties qui sont à la surface, ou de la sphère elle-même n'est pas identique; et c'est bien la preuve qu'il n'y a pas un seul mouvement. § 4. Ainsi donc, nous le répétons, ce qui est sans parties peut se mouvoir comme se meut la personne assise dans un bateau, par cela seul que le bateau est en marche. Mais en soi, ce qui est sans parties ne peut pas se mouvoir. Supposons, en effet, que le corps change de AB en BC, soit d'ailleurs qu'il change en passant d'une grandeur à une autre grandeur, soit en passant d'une forme à une autre forme, soit que ce soit par simple contradiction. Soit D le temps primitif durant lequel le corps change. Il y a nécessité que l'objet dans le temps où il change soit tout entier ou en AB ou en BC, ou qu'une de ses parties soit dans l'un, et qu'une de ses parties soit dans l'autre, puisque tout ce qui change est soumis à cette condition, ainsi que nous l'avons vu. Mais d'abord une partie de l'objet ne pourra être dans l'un et dans l'autre; car alors l'objet serait divisible. De plus, il ne peut pas davantage être dans BC ; car alors il aura changé, et nous supposons qu'il change. Reste donc que l'objet soit dans AB, durant le temps où il change. Donc il y sera en repos ; car être en repos signifie, ainsi que nous l'avons dit, se trouver dans le même état durant quelque temps. Donc par conséquent, ce qui est sans parties ne peut ni se mouvoir, ni éprouver un changement quelconque. § 5. Il n'y aurait qu'un seul sens où l'on pourrait dire que le corps se meut : c'est le cas où le temps se composerait d'instants ; car le corps aurait été mu, et il aurait changé toujours dans un instant, de telle sorte qu'on pourrait dire que l'objet n'est jamais actuellement en mouvement et qu'il y a toujours été. Mais nous avons antérieurement démontré que c'est là une chose impossible; car le temps ne se compose pas plus d'instants que la ligne ne se compose de points, ni que le mouvement ne se compose de motions successives; et, si l'on soutenait cette théorie, cela reviendrait absolument à dire que le mouvement se compose d'éléments sans parties ; par exemple, comme le temps qui se composerait d'instants, et que la grandeur se compose de points. § 6. Une autre conséquence évidente de ceci, c'est que le point, ni aucun indivisible, ne peut avoir de mouvement. En effet, aucun corps en mouvement ne peut, dans son mouvement, parcourir un espace plus grand que lui, sans avoir préalablement parcouru un espace égal à lui-même, ou un espace plus petit. Cela posé, il est évident que le point parcourra un espace, ou plus petit que lui, ou égal à lui, avant de parcourir tout autre espace. Mais le point étant indivisible, il est bien impossible qu'il parcoure préalablement un espace plus petit que lui-même. Il parcourra donc un espace égal ; et par conséquent, la ligne sera composée de points; car ayant un mouvement égal à lui-même, le point finira par mesurer toute la ligne. Mais si cela ne se peut pas, il ne se peut pas non plus davantage que l'indivisible soit jamais en mouvement. § 7. Ajoutez que si tout ce qui se meut doit se mouvoir dans le temps, et que dans un instant il n'y ait aucun mouvement possible ; et si le temps est toujours divisible, il s'ensuit qu'il y aura, pour tout mobile quelconque, un temps moindre que le temps dans lequel il parcourt, en se mouvant, un espace égal à lui-même. Or, ce sera précisément le temps durant lequel il se meut, parce que le mouvement ne peut jamais avoir lieu que dans le temps. Mais il a été démontré plus haut que le temps est toujours divisible. Si donc le point se meut, il y aura un temps plus petit dans lequel son mouvement aura eu lien. Mais cela est de toute impossibilité, puisque dans un temps moindre il faut nécessairement que le mouvement soit moindre aussi; et par conséquent, l'indivisible serait divisé en parties moindres, comme le temps lui-même serait divisé en temps. § 8. Ainsi donc, ce qui est sans parties et est indivisible ne pourrait se mouvoir qu'a une seule condition, c'est qu'il fût possible qu'il y eût mouvement dans un instant indivisible; car cela revient tout à fait au même, et qu'il puisse y avoir mouvement dans l'instant, et que l'indivisible puisse se mouvoir. [6,16] CHAPITRE XVI. § 1. Mais il n'y a pas de changement qui puisse jamais être infini. Nous avons vu, en effet, que tout changement est le passage d'un état à un autre, que ce soit d'ailleurs un changement dans la contradiction, ou le changement dans les contraires. § 2. Pour les changements par contradiction, c'est l'affirmation ou bien la négation qui est la limite ; et, par exemple, c'est l'être pour la génération des choses; c'est le non-être pour leur destruction. § 3. Quant aux changements par contraires, ce sont les contraires mêmes qui servent de limites, puisqu'ils sont les points extrêmes du changement. § 4. Ainsi, les contraires sont les limites de toute espèce d'altération; car l'altération procède toujours de certains contraires. § 5. De même encore pour l'accroissement et la décroissance; car, la limite de l'accroissement est l'acquisition même de la grandeur que la chose doit atteindre d'après sa nature propre ; et la limite de la décroissance est la disparition de cette même grandeur. § 6. Mais le déplacement dans l'espace n'est pas fini et limité de cette manière ; car il ne se fait pas toujours dans les contraires. Mais comme on dit d'une chose qu'elle ne peut pas avoir été coupée de telle manière, parce qu'elle ne peut pas, en effet, l'avoir été du tout, le mot d'impossible ayant bien des acceptions diverses, ce qui est ainsi impossible ne peut pas être actuellement coupé; et d'une manière absolue, ce qui ne peut pas être arrivé n'arrive jamais, et ce qui ne peut pas du tout changer ne change jamais en la chose dans laquelle il ne peut changer. Si donc le corps qui se déplace change en quelque chose, c'est qu'il peut avoir changé. Donc le mouvement n'est pas infini, et il ne parcourra pas une ligne infinie, puisqu'en effet il est impossible de la parcourir. § 7. Il est donc évident qu'il n'y a pas de changement infini, en ce sens qu'il soit sans limites qui le déterminent. § 8. Mais il faut voir s'il n'est pas possible qu'il y ait, sous le rapport du temps, un mouvement infini, un et toujours le même. Rien n'empêche, en effet, qu'il en soit ainsi, quand ce mouvement n'est pas unique, et quand, par exemple, après le déplacement, il y a altération, après l'altération accroissement, et après l'accroissement génération. De cette façon, le mouvement peut bien être perpétuel dans le temps; mais il n'est plus unique, parce que tous ces mouvements n'ont pas un mouvement unique pour résultat. Par suite, en supposant que le mouvement soit un, il ne peut y avoir d'infini dans le temps qu'un seul mouvement ; et ce mouvement spécial est la translation circulaire.