[5,0] Traité de la génération des animaux. Livre V. [5,1] CHAPITRE I. (778a) § 1. Il nous faut étudier maintenant les différences que les parties diverses des animaux présentent entre elles. Par les différences des parties, j'entends, par exemple, que les yeux peuvent être bleus ou noirs, que la voix peut être aiguë ou grave, comme j'entends aussi que les couleurs du corps, (20) des poils ou des plumes, peuvent être différentes. § 2. Il y a de ces diversités qui appartiennent à des espèces tout entières; d'autres sont réparties au hasard ; et c'est là surtout ce qui a lieu dans l'espèce humaine. Parfois, les diversités qui tiennent aux changements que l'âge amène affectent également tous les animaux sans exception ; d'autres sont tout le contraire, comme celles qui affectent la voix (25) et la couleur des poils. Ainsi, il y a des animaux que la vieillesse ne blanchit pas sensiblement ; mais l'homme est de tous les animaux celui qui blanchit le plus. Il y a aussi de ces différences qui se marquent immédiatement après la naissance; d'autres ne se manifestent qu'avec l'âge et la vieillesse. § 3. On ne peut certes pas admettre que la cause de toutes ces diversités, si nombreuses et si frappantes, (30) soit la même. Quand ces différences ne sont pas communes à tous les animaux d'une certaine nature, ou qu'elles ne sont pas particulières à chaque espèce d'animal, c'est qu'alors ce n'est pas en vue de quelque fin qu'elles existent telles qu'elles sont, ou qu'elles se produisent. L'oeil a une fin très précise ; mais qu'il soit bleu, ce n'est pas en vue d'une fin quelconque, à moins que cette affection ne s'étende à toute une espèce. § 4. Quelques-unes de ces diversités ne se rapportent pas à la définition et à l'essence de l'animal (35) ; mais, pour les causes d'où elles dépendent nécessairement, il faut les voir dans la matière et dans (779) le principe moteur. Ainsi que nous l'avons dit en commençant ces études, dans toutes les oeuvres régulières et bien définies de la Nature, ce n'est pas parce qu'un être a acquis telle qualité, que cette qualité est la sienne; mais c'est bien plutôt parce qu'il est primitivement de telle espèce qu'il acquiert ensuite les qualités (5) que nous lui voyons. Le développement de l'être est la suite de son essence et est fait pour cette essence; mais l'essence n'est pas la suite du développement. § 5. Les anciens Naturalistes ont pensé tout le contraire. Leur erreur est venue de ce qu'ils n'ont pas vu que les causes sont très multiples ; et qu'ils ne se sont arrêtés qu'aux deux seules causes de la matière et du mouvement. Celles-là même, ils ne les ont comprises que confusément; et les deux causes (10) de la définition essentielle et de la fin ont complètement échappé à leur attention. Chaque chose a sa fin propre; c'est par cette cause et par les autres que se développe tout ce qui est renfermé dans la définition de chaque être, tout ce qui existe en vue d'une certaine fin, ou l'être auquel cette fin s'applique. Pour tout ce qui se produit en dehors de cet ordre, il faut en chercher uniquement la cause dans le mouvement et dans le (15) développement, aussi bien que dans l'organisation même des êtres qui contractent la différence en question. Ainsi, l'animal aura nécessairement un oeil si l'on suppose qu'il est d'une espèce qui a des yeux ; un animal a nécessairement des yeux faits de telle ou telle façon ; mais cette nécessité n'est pas la même que celle en vertu de laquelle l'animal doit naturellement faire ou souffrir telles ou telles choses. § 6. Ces points une fois fixés, (20) voyons les conséquences qui en sortent. D'abord, dans toutes les espèces, quand les jeunes viennent de naître, et spécialement les petits qui sont incomplets, ils sont le plus souvent endormis. Même dans le sein de la mère, ils continuent encore à dormir après avoir reçu la sensibilité. On peut se demander si, au moment même de la naissance, les animaux sont éveillés avant (25) de dormir; car comme ils sont évidemment plus éveillés à mesure qu'ils grandissent, on est amené à supposer qu'au début de leur naissance ils étaient dans un état contraire, c'est-à-dire, dans le sommeil. § 7. A ce premier motif, on peut en ajouter un autre, c'est que, pour arriver du non-être à l'être, il faut passer par l'état intermédiaire. Or, il semble que le sommeil est par sa nature un intermédiaire de ce genre; il est sur les confins de la vie (30) et de la mort ; et d'un homme endormi, il est également difficile de dire qu'il n'est pas ou qu'il est. La veille semble être plus particulièrement la vie, à cause de la sensibilité qu'elle nous rend. Si c'est une nécessité que l'animal ait essentiellement la faculté de sentir, et s'il n'est vraiment animal que du moment même où il commence premièrement à sentir, il faut penser que l'état initial du jeune, s'il n'est pas tout à fait (35) le sommeil, est quelque chose qui y ressemble beaucoup; et c'est aussi l'état de toutes les plantes. (779a) § 8. A ces premiers moments, on peut dire des animaux qu'ils ont la vie du végétal. Pourtant, il est bien impossible que les plantes puissent sommeiller; car il n'y a pas de sommeil sans réveil, et l'état dans lequel la plante se trouve est sans réveil, bien qu'il soit rapproché du sommeil. Les jeunes animaux doivent dormir presque tout (5) le temps, parce que la croissance et le poids se trouvent dans les parties supérieures du corps. Nous avons expliqué dans d'autres ouvrages que c'est bien là la cause qui les fait dormir. § 9. Quoi qu'il en soit, les foetus semblent être éveillés même dans le sein de la mère. On peut s'en convaincre par l'Anatomie, et en voyant ce qui se passe pour les petits des ovipares. Ils se mettent à dormir aussitôt après la naissance, et ils s'affaissent (10) de nouveau. C'est pour cela aussi que, même après avoir vu le jour, ils dorment presque tout le temps. Une fois éveillés tout à fait, les enfants ne rient pas encore ; c'est seulement dans leur sommeil qu'ils pleurent et qu'ils rient. Cela tient à ce que les animaux ont des sensations même quand ils dorment ; et ce ne sont pas uniquement ce qu'on appelle des rêves, comme sont les gens qui se lèvent (15) tout en dormant et qui font beaucoup de choses, sans rêver le moins du monde. § 10. En effet, il y a des gens qui, quoique endormis, se lèvent et marchent, les yeux tout grands ouverts, comme s'ils étaient éveillés. Ils sentent fort bien ce qui se passe autour d'eux; pourtant, ils ne sont pas éveillés, et ils ne sont pas davantage en état de rêve. Les enfants semblent en quelque sorte ignorer (20) qu'ils veillent, par l'habitude qu'ils ont prise de sentir et de vivre en dormant. Mais avec le progrès du temps, et grâce à leur croissance, qui passe à la partie inférieure du corps, ils s'éveillent de plus en plus, et ils restent pendant plus en plus de temps dans cet état de veille. Mais, tout d'abord, ils demeurent plus endormis que tous les autres animaux, parce qu'ils naissent (25) les plus imparfaits des animaux parfaits, et que leur croissance se fait, à ce moment, par le haut du corps. § 11. Dans tous les enfants, les yeux sont plus bleus aussitôt après la naissance ; puis, ils changent ensuite, pour prendre la couleur qui leur est naturellement propre. Si ces changements ne sont pas aussi apparents chez les autres animaux, cela tient à ce que, (30) chez eux, les yeux sont le plus ordinairement d'une seule couleur. Ainsi, les boeufs ont des yeux noirs ; les moutons ont toujours les yeux verdâtres, de la nuance de l'eau; d'autres espèces ont, tout entières, des yeux bruns ou bleus; d'autres les ont de la couleur des yeux du bouc; et c'est ainsi que toute l'espèce des chèvres les a de cette façon. § 12. Au contraire, chez les hommes, la couleur des yeux (35) varie infiniment; ils sont bleus, azurés, noirs (780) ; d'autres sont jaunes, comme ceux du bouc. De même que, dans une espèce, les animaux ne diffèrent pas les uns des autres, de même les deux yeux ne différent pas entre eux. Naturellement, ils n'ont qu'une seule et unique couleur. Mais le cheval, seul entre les autres animaux, a le plus souvent les yeux de différente couleur ; car on voit assez souvent des chevaux dont les yeux ont des couleurs diverses, l'un des deux étant bleu. § 13. (5) On ne remarque rien de pareil chez les autres animaux; mais il y a quelques hommes qui n'ont qu'un oeil bleu. En cherchant à s'expliquer pourquoi chez les autres animaux, jeunes ou vieux, les yeux ne changent pas sensiblement, et pourquoi ce changement a lieu chez les enfants, on peut en trouver une raison suffisante dans ce fait que, chez les uns, l'organe de l'oeil n'a qu'une seule couleur, tandis que chez les autres il en a (10) plusieurs. Que les yeux des enfants soient plus bleus et qu'ils n'aient pas d'autre couleur que celle-là, cela tient à ce que les organes de ces petits êtres sont faibles; et la couleur bleue est une sorte de faiblesse dans la nuance. § 14. Mais il nous faut rechercher, d'une manière générale, la cause qui amène cette différence dans la couleur des yeux, et qui fait que les uns sont bleus, les autres azurés, d'autres jaunes comme ceux du bouc, et que d'autres enfin (15) sont noirs. On ne saurait admettre avec Empédocle que les yeux bleus sont ignés et que les yeux noirs ont plus d'eau que de feu, et que c'est là ce qui fait que les yeux bleus voient moins bien le jour, faute d'eau, et que les yeux noirs voient moins bien la nuit, faute de feu. C'est là une opinion qui n'est pas du tout exacte, parce que, chez tous les animaux, la vue n'est pas du feu, (20) mais de l'eau. § 15. Du reste il est possible de trouver encore une autre cause à ce changement de couleurs. Mais si, comme on l'a dit antérieurement dans le Traité des Sensations, et, même avant ce traité, dans celui de l'Âme, cet organe est de l'eau; et si l'on a bien expliqué pourquoi il est de l'eau, et non de l'air ou du feu, (25) on doit admettre que c'est là aussi la cause des variétés que nous venons de signaler. § 16. Certains yeux ont plus d'eau qu'il n'en faut pour leur mouvement régulier; d'autres en ont moins ; d'autres en ont la juste proportion. Les yeux qui ont beaucoup d'eau sont noirs, parce que les choses accumulées sont peu diaphanes; mais les yeux qui ont peu d'eau sont (30) bleus. C'est un phénomène qu'on peut voir se répéter pour la mer. Quand elle est transparente, elle paraît bleue ; quand elle l'est moins, elle semble de l'eau ordinaire; et quand sa profondeur est insondable, elle est noire ou d'un bleu excessivement foncé. De même, les yeux qui ont des couleurs intermédiaires diffèrent entre eux du plus au moins. § 17. C'est encore cette même cause qui doit faire que les yeux bleus n'ont pas une vue perçante pendant le jour, ni les yeux noirs pendant la nuit. (780a) Les yeux bleus, qui ont peu de liquide, sont plus agités par l'effet de la lumière et des objets qu'elle fait apercevoir, en tant qu'il y a en eux du liquide et du diaphane. Or, le mouvement de cet organe, c'est la vision, en tant que diaphane, mais non pas en tant que liquide. Mais les yeux noirs reçoivent moins de mouvement, (5) à cause de la quantité d'eau qu'ils contiennent. La lumière de la nuit est d'ailleurs très faible ; et, en même temps, l'eau de l'oeil a beaucoup de peine à se mouvoir pendant la nuit. Elle doit donc ne pas rester tout à fait sans mouvement, ni se mouvoir plus qu'il ne faut, pour demeurer diaphane, parce qu'un mouvement plus fort en arrête un plus faible. § 18. C'est là ce qui fait que, passant d'une couleur (10) très vive à une moins forte, on cesse de voir, de même que quand on passe de l'éclat du soleil aux ténèbres. Le mouvement violent qui est dans l'oeil empêche celui du dehors ; et, en général, ni une vue forte ni une vue faible ne peuvent regarder les objets trop lumineux, parce que la partie liquide de l'oeil est affectée par un mouvement plus vif qu'il ne faut. § 19. Les maladies de ces deux espèces (15) de vue prouvent bien la vérité de ce que nous disons ici. Le glaucome attaque surtout les yeux bleus, et la nyctalopie attaque plus particulièrement les yeux noirs. Le glaucome est une sécheresse des yeux plus que toute autre chose ; et c'est surtout aux vieillards qu'il survient; car aux approches de la vieillesse, (20) cette partie du corps se dessèche comme toutes les autres. La nyctalopie, au contraire, est une surabondance du liquide ; et ce sont plutôt les jeunes gens qui en sont affectés, parce que le cerveau est chez eux plus liquide. § 20. La vue la meilleure est celle qui tient le milieu entre le trop d'eau et le trop peu. Comme l'eau y est en petite quantité, elle n'est pas de force à troubler et à empêcher le mouvement des couleurs ; et elle ne gêne pas davantage le mouvement par (25) son abondance. Mais ce ne sont pas uniquement les causes qu'on vient de dire qui font que l'on voit bien ou qu'on voit mal; c'est aussi la nature de la peau qui enveloppe ce qu'on appelle la pupille. Cette peau doit être transparente ; et elle est transparente à la condition d'être mince, blanche et bien unie. § 21. Elle doit être mince, pour que le mouvement venu du dehors pénètre sans peine au dedans ; elle doit être unie (30) , pour qu'elle ne produise pas d'ombre en se plissant ; et ce qui fait que les vieillards ne voient pas bien, c'est que la peau de l'oeil, comme le reste de la peau, vient à se rider et s'épaissit avec les années. Enfin, elle doit être blanche, parce que le noir n'est pas diaphane; car le noir est précisément ce qui ne laisse point passer la lumière; et (35) c'est là ce qui fait que les lanternes ne peuvent pas éclairer si on les recouvre d'une enveloppe noire. § 22. Ainsi, dans la vieillesse et dans les maladies, (781) toutes ces causes réunies font qu'on ne voit plus bien; et si les enfants ont au début les yeux bleus, c'est qu'il y a peu d'eau dans leurs yeux. Ce sont surtout les hommes (5) et les chevaux qui ont un des yeux bleu, et c'est par la même cause qui fait que les hommes blanchissent. Parmi les autres animaux, il n'y a guère que le cheval dont les poils blanchissent sensiblement dans la vieillesse. § 23. La blancheur des cheveux et la couleur bleue des yeux sont un signe de faiblesse, et de coction imparfaite dans l'humidité du cerveau ; car une légèreté trop grande et une trop grande épaisseur produisent le même effet, par l'insuffisance ou l'excès d'humidité. Lors (10) donc que la Nature ne peut pas répartir également l'humidité en la cuisant dans les deux yeux, ou quand elle ne la cuit pas du tout, ou bien encore qu'elle la cuit dans l'un et qu'elle ne la cuit pas dans l'autre, l'un des deux yeux devient bleu. § 24. D'ailleurs, si certains animaux ont la vue perçante et si les autres ne l'ont pas, on peut expliquer cette différence de deux manières. L'acuité d'un sens se comprend de deux façons; et la différence (15) que nous remarquons pour le sens de la vue se répète aussi pour l'ouïe et pour l'odorat. Ainsi, avoir une vue perçante, c'est, ou voir les choses de fort loin, ou bien encore c'est pouvoir distinguer les moindres détails des objets qu'on regarde. Mais ces deux facultés ne se rencontrent pas toujours ensemble. Par exemple, une personne qui abrite ses yeux avec la main, ou qui, regardant par un tube, ne voit ni mieux ni moins bien les nuances (20) diverses des couleurs, verra cependant de plus loin, comme ceux qui, pour observer les astres, descendent quelquefois dans des trous et dans des puits. § 25. Par conséquent, si un animal a des yeux très proéminents, et que l'eau qui est dans la pupille ne soit pas très pure, ni en rapport avec le mouvement venu du dehors, ou bien (25) si la peau de la surface n'est pas mince, cet animal ne distinguera pas très nettement les nuances des couleurs. Mais il verra de loin, tout comme s'il était près, mieux que ceux qui ont l'eau des yeux très pure et bien recouverte, mais qui n'ont pas cet abri faisant ombre devant les yeux. § 26. C'est dans l'oeil même que réside la cause qui fait que la vue n'est pas assez perçante (30) pour distinguer les différences. De même que, sur un vêtement parfaitement propre, les taches les plus légères paraissent aisément, de même dans une vue très pure les moindres mouvements sont visibles, et causent la perception. C'est la position seule des yeux qui fait qu'on voit de loin, et que le mouvement, venu des objets placés au loin et visibles, arrive jusqu'à l'oeil. Ceux qui ont les yeux saillants ne voient pas bien de loin; ceux, au contraire, qui ont les yeux (781a) renfoncés et intérieurs voient de très loin, parce que le mouvement ne s'égare pas dans la largeur, et qu'il suit la ligne droite ; car, s'il n'y a rien au devant des yeux, il faut nécessairement que le mouvement de la lumière se disperse; il est moindre en tombant sur les objets qu'on voit; et alors on voit moins bien les objets éloignés. § 27. Il n'y a, d'ailleurs, aucune différence à dire que l'on voit, comme quelques naturalistes le soutiennent, parce que la vision vient de l'oeil, ou à dire que l'on voit par le mouvement venu des choses vues. (5) De part et d'autre, c'est reconnaître nécessairement que la vue vient toujours d'un mouvement. On verrait le mieux possible les objets éloignés si, de l'oeil à l'objet vu, il y avait comme une sorte de tuyau continu ; car alors le mouvement (10) parti des choses visibles ne pourrait pas se disperser ni se perdre ; et comme il ne se perdrait pas, plus les choses seraient loin, et plus on les regarderait de loin, mieux on les verrait nécessairement. § 28. Telles sont les causes qui peuvent amener des différences dans la vision. [5,2] CHAPITRE II. § 1. On peut répéter pour l'ouïe et pour (15) l'odorat à peu près ce qu'on vient de dire de la vue. Une chose est de bien sentir et de bien entendre les objets de ces deux sens et de les percevoir aussi exactement que possible ; mais c'est autre chose encore d'entendre de loin et de sentir les odeurs à distance. C'est l'organe lui-même qui fait que, comme pour la vue, on juge bien les différences, si cet organe (20) est sain, et que la méninge qui l'entoure soit saine ainsi que lui. § 2. On a vu dans le Traité des Sensations que les conduits de tous les organes des sens se rendent au coeur, ou à la partie qui lui correspond, quand le coeur vient à manquer. Le conduit de l'ouïe, qui est l'organe qui sent l'air, se termine là où le souffle naturel produit le pouls chez quelques animaux, (25) et, chez d'autres, l'expiration et l'aspiration. C'est par cet organe aussi que la connaissance des paroles qui ont été prononcées nous permet de reproduire ce qu'on a entendu. Sortant il est entré de mouvement par l'organe de l'ouïe, autant le mouvement est reproduit au moyen de la voix, comme si c'était une seule et même impression de telle sorte qu'on peut redire (30) ce qu'on vient d'entendre. Quand on bâille ou qu'on pousse son souffle, on entend moins bien que quand on aspire, parce que le principe du sens de l'ouïe se trouve sur la partie respiratoire ; le principe est agité et mis en mouvement, en même temps que l'organe met le souffle en mouvement de son côté, parce que l'organe qui meut est mû à son tour. Dans les saisons et dans les jours humides, (35) la même affection se produit. On dirait que les oreilles sont remplies de vent, (782) parce qu'elles sont alors proches du principe du lieu du souffle. § 4. Ainsi, l'exactitude avec laquelle on juge les différences des sons et des odeurs tient à ce que l'organe est sain et pur, de même que la membrane qui en revêt la surface. Car tous les mouvements qui affectent ces deux sens ne sont pas moins manifestes (5) que ceux de la vue. Sentir ou ne pas sentir de loin se retrouvent ici comme dans l'acte de la vision. Les animaux qui, en avant des organes, ont des espèces de canaux qui s'étendent loin dans ces parties, peuvent sentir de très loin. (10) Aussi, les chiens de Laconie, qui ont de longs nez, ont un odorat des plus fins. L'organe étant placé en haut, les mouvements qui viennent de loin ne se dispersent pas; mais ils arrivent tout droit, comme la lumière arrive à l'oeil quand on se fait une ombre avec la main. § 5. De même ceux des animaux qui ont de longues oreilles, pourvues d'un large rebord, comme en ont quelques quadrupèdes, entendent de loin, (15) et aussi, quand ils ont à l'intérieur une longue spirale ; car ce genre d'oreilles prennent le mouvement à grande distance et le transmettent jusqu'à l'organe. L'homme, proportionnellement à sa grandeur, est peut-être de tous les animaux le moins bien organisé pour percevoir avec précision les sensations des objets éloignés ; mais c'est celui qui, entre tous, sent le mieux les différences des choses. (20) Ce qui lui donne cette supériorité, c'est que son organe est pur et qu'il est le moins terreux et le moins matériel ; car de tous les animaux, c'est l'homme qui a naturellement la peau la plus fine, relativement à son volume. § 6. La Nature n'a pas moins bien fait les choses en ce qui regarde le phoque. Quadrupède et vivipare, cet animal n'a pas d'oreilles, et il n'a que des conduits auditifs. C'est qu'il passe sa vie (25) dans l'eau. Or, la partie protubérante des oreilles est mise en avant des conduits pour recueillir le mouvement de l'air; qui vient de loin. Une organisation de ce genre n'aurait aucune utilité pour le phoque ; mais, au contraire, elle le gênerait, si les oreilles recevaient en elles une grande quantité de liquide. Voilà ce que nous voulions dire ici de la vue, de l'ouïe et de l'odorat. [5,3] CHAPITRE III. § 1. (30) La chevelure présente chez les hommes des différences selon l'âge, dans chaque individu; elle en présente aussi de l'homme aux autres espèces d'animaux qui ont un pelage. Presque tous ceux qui portent en eux-mêmes des petits vivants sont pourvus de poils. Car, chez les animaux mêmes qui ont des piquants en guise de poils, on peut regarder encore ces piquants comme (35) une sorte de poils particuliers, par exemple, les piquants des hérissons de terre et de quelques autres vivipares. § 2. (782a) Les différences des poils sont la rudesse ou la douceur, la longueur ou la dimension courte, la direction droite ou couchée, l'abondance ou la rareté. Le pelage diffère aussi par les couleurs qu'il peut avoir, blancheur, noirceur (5) et nuances intermédiaires. Quelques- unes de ces différences peuvent venir simplement de l'âge, selon que les animaux sont jeunes ou vieux. § 3. C'est surtout dans l'homme que ces différences se marquent davantage. A mesure que l'homme vieillit, sa chevelure devient plus épaisse. Quelques individus deviennent chauves sur le devant de la tête. Tant que l'homme est (10) enfant, il n'est pas sujet à la calvitie; les femmes ne la connaissent pas non plus. Mais les hommes, en prenant des années, peuvent devenir chauves, de même que, dans la vieillesse, les cheveux blanchissent. Chez aucun autre animal, pour ainsi dire, on ne remarque rien de pareil ; et c'est le cheval, qui plus que tout autre peut prêter à ces observations. § 4. Chez les hommes, la calvitie atteint le devant de la tête; (15) et les premiers cheveux blancs qui se montrent sont ceux des tempes. Mais on ne devient jamais chauve aux tempes, ni au derrière de la tête. Les animaux qui n'ont pas de poils précisément, mais qui ont quelque chose d'analogue, comme les oiseaux, qui ont des plumes, et les poissons qui ont des écailles, subissent également quelques changements de ce genre, qui ne laissent pas que de les atteindre (20) à peu près de même. § 5. Nous avons expliqué antérieurement le but que la Nature s'est proposé en donnant des poils aux animaux ; et c'est en traitant des Parties des Animaux que nous avons présenté ces explications. L'objet de la présente étude sera de faire voir dans quelles conditions, et par suite de quelles nécessités, se produisent toutes les différences dont il s'agit ici. § 6. C'est surtout la peau qui fait que les poils (25) sont durs, ou qu'ils sont doux. La peau en effet est épaisse chez les uns, ou mince chez les autres ; elle est lâche chez ceux-ci, et serrée, chez ceux-là. Une autre cause qui agit simultanément, c'est la différence d'humidité. Tantôt la peau est grasse; tantôt elle est comme aqueuse. En général, la peau a naturellement quelque chose de terreux. Comme elle est à la surface, (30) dès que l'humidité s'évapore, elle devient solide et terreuse. § 7. Les poils, ou les parties correspondantes, ne viennent pas de la chair précisément, mais de la peau, quand l'humidité qui est dans l'animal se vaporise et s'exhale. Aussi, les poils épais viennent d'une peau épaisse ; les poils légers, d'une peau légère. Si le tissu de la peau est plus lâche, (35) et plus épais, les poils s'épaississent par suite de l'abondance du terreux et (783) de la largeur des canaux. Si le tissu est plus serré, les poils s'amincissent par l'étroitesse même des vaisseaux. § 8. Si l'humeur est aqueuse, comme elle se dessèche très vite, les poils ne prennent pas de longueur; si l'humeur est graisseuse, c'est tout le contraire ; car la graisse ne se dessèche pas aisément. (5) En général, ce sont les animaux dont la peau est la plus épaisse qui ont le poil le plus fourni; mais cependant, ce ne sont pas toujours les animaux à peau épaisse qui ont le plus de poil, par suite des causes qu'on vient d'énumérer; par exemple, les porcs présentent cette différence relativement aux boeufs et à l'éléphant, et relativement à plusieurs autres espèces. C'est à peu près la même cause qui fait que chez l'homme les poils de la tête sont (10) les plus épais ; car, cette partie de la peau est la plus épaisse, et elle a d'ordinaire le plus d'humidité, en même temps qu'elle est plus poreuse. § 9. Ce qui fait que les poils sont longs ou qu'ils sont courts, c'est quand l'humidité qui se vaporise ne se dessèche pas trop aisément. Si l'humidité est en (15) grande abondance, elle ne se dessèche pas très vite, non plus que la graisse; et voilà d'où vient que chez l'homme, ce sont les poils sortant de la tête qui sont les plus longs. L'encéphale, qui est humide et froid, fournit une grande quantité de liquide. § 10. Les poils sont droits ou inclinés, selon l'évaporation qu'ils contiennent. Si elle est (20) de nature fumeuse, comme elle est chaude et sèche, elle fait friser le poil. § 11. Le poil s'infléchit, parce qu'il reçoit deux impulsions diverses; le terreux se dirige en bas; l'igné se dirige en haut; et comme le poil est flexible, il tourne à cause de sa faiblesse; et c'est la ce qui cause la frisure. Voilà une première explication qu'on peut donner de ce fait. Mais il se peut aussi que la frisure vienne (25) de ce qu'il y a peu d'humidité et beaucoup de terreux, et de ce que les poils se tordent desséchés par l'air ambiant. Un objet droit se plie, en effet, en perdant son humidité et se racornit, comme on le voit sur un cheveu qu'on brûle au feu. La frisure ne serait alors qu'une contraction amenée par le défaut de liquide, et par la chaleur qui se trouve dans l'air environnant. La preuve, (30) c'est que les poils frisés sont plus rudes que les poils lisses, parce que le sec est toujours dur. § 12. Tous les animaux qui ont beaucoup d'humidité, ont aussi des poils lisses. La liqueur qui est dans ces poils sort en s'écoulant, mais non pas goutte à goutte. C'est ce qui fait que les Scythes du Pont et les Thraces ont les cheveux plats ; car ils sont humides de tempérament, et l'air où ils vivent l'est comme eux. Les Éthiopiens et les hommes des climats chauds ont les cheveux crépus; (783a) car leur cerveau est sec, et l'air qui les entoure l'est également. § 13. Il y a des pachydermes qui ont des poils très fins, par la raison qu'on vient de dire un peu plus haut. Plus leurs vaisseaux sont fins, plus aussi leurs poils doivent l'être nécessairement. De là vient que (5) toute l'espèce ovine a des poils très fins; car la laine n'est pas autre chose qu'une grande abondance de poils. Il y a d'autres animaux qui ont le poil doux, quoique moins fin, et, par exemple, le lièvre, comparé au mouton. Chez ces animaux, le poil est tout à fait à la surface de la peau ; aussi n'a-t-il pas de longueur, (10) et il se rapproche beaucoup de la filasse, qui est le déchet du lin; car cette filasse non plus n'a pas de longueur; mais elle est douce et ne se laisse pas plier. § 14. Dans les climats froids, les moutons sont tout le contraire des hommes. Ainsi, les Scythes ont les cheveux doux, tandis que les moutons sauromates ont la toison très rude. C'est encore cette même cause (15) qui agit chez tous les animaux sauvages. Le froid durcit les choses, tout en les desséchant par l'action de la gelée. La chaleur s'exhalant au dehors fait évaporer l'humide ; et les poils, ainsi que la peau, deviennent terreux et durs. Chez les animaux sauvages, c'est leur vie en plein air qui produit cet effet; et parfois, c'est aussi le climat où ils sont, qui a cette qualité. § 15. On peut citer en preuve (20) ce qu'on remarque dans les oursins de mer, qu'on emploie comme remède contre les maux de gorge. Comme ils vivent dans la mer, qui est froide à cause de sa profondeur, puisqu'ils sont parfois à soixante brasses, et même encore plus bas, ils ont des piquants énormes bien qu'ils soient eux-mêmes très petits, et ces piquants sont très durs. La grandeur des piquants (25) vient de ce que c'est là que se tourne tout le développement du corps. Ces animaux ayant peu de chaleur, et la nourriture ne subissant pas de coction, ils ont beaucoup de sécrétion et de résidu; or, les piquants, les poils et les autres matières de ce genre ne proviennent que de résidu. Les piquants sont durcis et pétrifiés par le froid et la gelée. § 16. C'est de la même manière que, (30) dans tous les lieux exposés au nord, les plantes de tout genre sont beaucoup plus dures, plus terreuses et plus pierreuses que les plantes exposées au midi; et celles qui sont exposées au vent, plus que celles des bas fonds. C'est qu'elles ont alors plus froid, et que leur humidité se vaporise. Ainsi, la chaleur et le froid durcissent également les choses, parce que l'humide se vaporise sous l'action de l'une et de l'autre, (35) avec cette seule différence que la chaleur agit directement par elle-même, tandis que le froid agit indirectement. L'humide sort en même temps que la chaleur, parce qu'il n'y a pas d'humide sans chaleur; mais quant au froid, (784) non seulement il durcit, mais il condense, tandis que la chaleur dilate. § 17. C'est précisément encore la même cause qui fait qu'avec les progrès de l'âge les poils deviennent plus rudes chez les animaux qui ont des poils, comme le deviennent aussi chez les oiseaux et les animaux qui ont des écailles, les plumes et (5) les écailles. A mesure que l'animal vieillit, la peau devient plus dure et plus épaisse; il se dessèche ; et le mot même de Vieillesse, en grec, se rapproche de celui de Terre desséchée; et si l'animal se dessèche ainsi, c'est que la chaleur lui manque, et que l'humidité lui manque avec elle. § 18. De tous les animaux, c'est évidemment l'homme qui est le plus sujet à la calvitie; mais néanmoins cette affection (10) a quelque chose de général. Ainsi, parmi les plantes, les unes conservent toujours leurs feuilles ; les autres les perdent ; et ceux des oiseaux qui hibernent perdent également leurs plumes. Chez les hommes qui deviennent chauves, la calvitie peut passer pour une affection pareille. Ce n'est que petit à petit que les feuilles des végétaux viennent à tomber, et que les (15) plumes et les cheveux tombent aux animaux qui en ont. Quand cette affection est considérable, on dit que l'homme devient chauve, que la plante perd ses feuilles, que l'oiseau perd ses plumes, toutes expressions qui reviennent au même. § 19. C'est toujours le défaut d'humidité chaude qui est cause du phénomène; et de toutes les choses humides, c'est la graisse qui est la plus chaude; et de tous les végétaux, ce sont les plantes grasses (20) qui ont le plus souvent des feuilles persistantes. Mais nous nous réservons d'expliquer cela dans d'autres ouvrages; car il y a aussi d'autres causes qui concourent a produire ce phénomène. Pour les végétaux, ce changement a lieu en hiver, dont l'action est encore plus puissante que l'âge de la plante, de même qu'il a lieu, dans cette saison aussi, sur les animaux qui hibernent, parce que les animaux ont moins d'humidité (25) que l'homme et moins de chaleur naturelle. § 20. Les hommes ont un hiver et un été dans les phases diverses de l'âge. On ne devient jamais chauve qu'après avoir joui des plaisirs sexuels; et on le devient d'autant plus qu'on les goûte davantage. C'est que le cerveau est naturellement le plus froid de tous les organes ; l'acte vénérien refroidit, en causant une déperdition de la chaleur pure et (30) naturelle. C'est le cerveau qui est, comme on doit croire, le premier à s'en ressentir. Tout ce qui est faible et mal disposé cède à la moindre cause et à la plus légère pression. Par conséquent, si l'on songe que le cerveau lui-même a peu de chaleur, que la peau de son enveloppe en a moins encore nécessairement, et que (35) les cheveux qui en sont le plus éloignés ont encore moins de chaleur que la peau, on comprendra sans peine que les libertins doivent devenir chauves avec l'âge. § 21. C'est aussi cette même cause qui fait que l'homme ne devient chauve que sur (784a) le devant de la tête, et qu'il est le seul animal à devenir chauve. Il le devient sur le devant de la tête, parce que c'est là qu'est le cerveau; et s'il est le seul à présenter le phénomène de la calvitie, c'est parce que c'est l'homme qui a l'encéphale le plus considérable et le plus humide. Les femmes ne deviennent jamais chauves, (5) parce que leur nature se rapproche de celle des enfants. Les unes et les autres n'ont pas de sécrétion spermatique propre à la génération. § 22. L'eunuque non plus ne devient pas chauve, parce qu'il est presque changé en femme. Les eunuques ne poussent pas les poils qui ne sont pas de naissance; ou ils les perdent, si par hasard ils les ont poussés, si ce n'est les poils du pubis. De même, les femmes (10) n'ont pas non plus ces poils postérieurs, ou elles n'ont les autres qu'au pubis. La mutilation qui fait des eunuques est le changement d'un homme en femme. § 23. Si les animaux qui hibernent reprennent leur poil, ou si les végétaux qui ont perdu leurs feuilles les poussent de nouveau, et si les cheveux des chauves ne repoussent jamais, c'est que, pour les uns, les saisons sont en quelque sorte davantage les phases que (15) leur corps subit, et que, la saison venant à changer, un changement se produit aussi dans la production ou la chute des plumes, et des poils, et dans celle des feuilles pour les plantes. Au contraire, chez l'homme, on peut bien aussi, selon les âges, distinguer l'hiver, et l'été, le printemps et l'automne; mais comme les âges divers ne reviennent pas, (20) les affections qui en sont la suite ne changent pas périodiquement, bien qu'au fond la cause soit la même. § 24. Voilà à peu près tout ce qu'on peut dire sur ces premiers changements du pelage. [5,4] CHAPITRE IV. § 1. Quant aux couleurs du pelage et à ce qui les détermine chez les animaux autres que l'homme, et quant à ce qui fait que les pelages sont d'une seule couleur, ou qu'ils en ont plusieurs, la cause tient à la nature de la peau de l'animal. (25) Dans les hommes, ce n'est pas la peau qui produit le changement de couleur, si ce n'est dans le cas où les cheveux blanchissent, non point par la vieillesse, mais à la suite de quelque maladie; et c'est ainsi que, dans la maladie qu'on appelle la lèpre blanche, les cheveux deviennent blancs. Mais quand les cheveux blanchissent par le progrès de l'âge, il n'en résulte pas que la peau devienne blanche aussi. C'est que les cheveux viennent et poussent de la peau ; et, quand la peau (30) est malade et qu'elle blanchit par cette cause, le cheveu devient malade ainsi qu'elle; en ce cas, la blancheur est une maladie du cheveu. § 2. Mais la blancheur de la chevelure, quand elle vient de l'âge, n'est qu'un affaiblissement et un défaut de chaleur. Tout âge est soumis à l'influence du corps, qui incline dans un sens ou dans l'autre; et dans la vieillesse, c'est au refroidissement qu'il incline, parce que la vieillesse est froide et sèche. Il faut croire que la chaleur propre à chaque organe y digère et y cuit la nourriture, qui se répartit (35) à chaque partie du corps; mais quand la chaleur ne peut plus agir, (785) cette partie dépérit , et il survient une infirmité ou une maladie. Mais nous nous proposons de discuter plus tard la cause de ces affections dans le Traité de la Croissance et de la Nutrition, et nous donnerons alors plus de détails. § 3. Chez les individus où la nature des cheveux a peu de chaleur, et où l'afflux humide est (5) plus considérable qu'il ne faut, la chaleur propre de l'organe ne suffit plus à la coction ; et alors, la chevelure est viciée par la chaleur du lieu qui l'enveloppe. Toute corruption, toute putréfaction vient de la chaleur, mais non de la chaleur naturelle, ainsi que nous l'avons dit dans d'autres ouvrages. La putréfaction ne peut s'appliquer qu'à l'eau, à la terre et à des matières corporelles de ce genre, et aussi à la vapeur (10) terreuse, comme ce qu'on appelle la moisissure ; car la moisissure n'est qu'une putréfaction de la vapeur terreuse. On doit donc penser que la nourriture qui est sans coction dans les cheveux, s'y pourrit ; et alors vient ce qu'on nomme le grisonnement des cheveux. § 4. La lèpre blanche et la moisissure sont, pour ainsi dire, les seules putréfactions qui soient blanches; et cela vient de ce qu'elles contiennent beaucoup d'air. (15) Toute vapeur terreuse produit l'effet d'un air épais. La moisissure est comme l'opposé du givre. Quand une vapeur qui s'élève vient à se congeler, c'est du givre qui se produit; mais si elle se pourrit, c'est de la moisissure. Le givre et la moisissure sont à la surface des corps l'un et l'autre ; car la vapeur n'est jamais que superficielle. § 5. Aussi, les poètes font-ils, dans leurs comédies, une métaphore assez juste, (20) lorsque, se moquant des cheveux blancs, ils disent que c'est la moisissure et le givre de la vieillesse. L'un en genre, l'autre en espèce sont identiques; le givre l'est en genre, puisque tous deux sont des vapeurs; la moisissure l'est en espèce, puisque tous deux sont des putréfactions. Ce qui le prouve bien, c'est qu'il arrive assez souvent que des maladies font blanchir les cheveux, et que, plus tard, les cheveux redeviennent (25) noirs, avec le rétablissement de la santé. § 6. Cela tient à ce que, dans la maladie, le corps tout entier manque de la chaleur naturelle, et que, par suite également, toutes les parties du corps, y compris les plus petites, souffrent de ce malaise général. Une masse énorme de sécrétion se produit dans le corps entier et dans chaque partie ; et le défaut de coction dans les chairs (30) produit la blancheur des cheveux. Une fois guéris et ayant repris leurs forces, les malades changent encore une fois. On dirait que, de vieux, ils redeviennent jeunes ; et les affections dont ils sont atteints changent en même temps qu'eux. § 7. On a donc raison de dire que la maladie est une vieillesse accidentelle, et que la vieillesse est une maladie naturelle, puisqu'il y a des maladies qui produisent les mêmes effets que la vieillesse. (35) Ce sont les tempes qui blanchissent les premières. Les parties postérieures (785a) de la tête manquent d'humidité, parce qu'il n'y a pas d'encéphale en elles, et qu'au contraire la fontaine en a beaucoup , et que ce qui est abondant se putréfie malaisément. Les cheveux qui sont aux tempes ont assez peu d'humide pour qu'ils puissent en faire la coction, et ils n'en ont pas en assez forte quantité pour qu'ils ne se pourrissent pas. Ce lieu (5) de la tête tenant le milieu entre les deux, est aussi en dehors de ces deux affections. § 8. Telle est la cause qui détermine la blancheur des cheveux chez l'homme. Pour les autres animaux, ce qui empêche que l'âge ne rende ce changement aussi sensible, c'est précisément la même cause que celle de la calvitie, d'après nos explications. Les animaux ont peu de cerveau, (10) et leur cerveau est moins humide, de telle sorte que la chaleur n'est pas impuissante à opérer la coction. De tous les animaux que nous connaissons, c'est le cheval chez qui, relativement à sa grosseur, le phénomène se remarque le plus, parce qu'il a l'os le plus mince pour recouvrir son cerveau. La preuve, c'est qu'un coup léger dans cette partie du corps peut lui devenir mortel. (15) Aussi Homère a-t- il pu dire dans ses vers : « Au sommet de la tête est frappé l'animal, « Auprès des premiers crins, où le coup est fatal. » Comme l'humidité s'écoule aisément dans cette partie où l'os est très mince, du moment que, par suite de l'âge la chaleur diminue, les poils de cette partie deviennent blancs, chez le cheval. § 9. Les cheveux roux blanchissent plus vite que les cheveux (20) noirs. La couleur rousse est en quelque sorte une maladie du cheveu, et tout ce qui est faible vieillit aussi plus vite. On dit que les grues deviennent plus noires cri vieillissant. Chez elles, ce changement pourrait bien tenir à ce que la nature de leur plume est plus blanche, et qu'à mesure qu'elles vieillissent, l'humidité est trop considérable dans leurs plumes pour qu'elle puisse aisément s'y pourrir. § 10. (25) Ce qui doit bien montrer que la blancheur des cheveux vient d'une sorte de pourriture, et que ce n'est pas, comme on l'a dit, une dessiccation, c'est que les cheveux quand ils sont recouverts de chapeaux ou d'enveloppes quelconques, blanchissent plus vite ; car l'air empêche la décomposition ; or toute couverture empêche l'action de l'air, tandis qu'au contraire un (30) mélange d'eau et d'huile préserve et fortifie la chevelure, qui en est enduite. L'eau refroidit; mais l'huile qui entre dans le mélange empêche qu'il se dessèche trop rapidement, tandis que l'eau se dessécherait très vite. Que ce ne soit pas là une dessiccation et que le cheveu ne blanchisse pas ainsi que l'herbe devient sèche, ce qui le prouve bien, c'est que parfois les cheveux poussent blancs tout à coup, tandis que rien de ce qui est desséché (35) ne peut pousser. § 11. Le plus souvent, c'est par le bout que les cheveux blanchissent, parce qu'il y a moins de chaleur dans les extrémités, qui sont d'ailleurs très ténues. (786) Dans tout le reste des animaux, quand les poils blanchissent, c'est par l'effet de la nature et non par la maladie. Cela tient à ce que, dans le reste des animaux, c'est la peau qui détermine les couleurs. Quand le poil est blanc, la peau est blanche; elle est noire aux animaux noirs. Dans ceux qui sont de diverses (5) couleurs et de couleurs mélangées, la peau est en partie blanche, et en partie noire. Mais chez l'homme, la peau ne détermine en rien la couleur ; car on voit des hommes qui sont blancs de peau avoir des cheveux parfaitement noirs. § 12. Cela tient à ce que l'homme est, de tous les animaux, celui qui a la peau la plus mince relativement à sa grosseur ; et c'est là ce qui fait qu'elle n'a aucune influence sérieuse sur le changement des cheveux. (10) Mais la peau elle-même, parce qu'elle est faible, change aussi de couleur; le soleil et le vent la brunissent. Du reste, les cheveux ne changent pas en même temps qu'elle. Dans les animaux autres que l'homme, la peau fait l'effet d'une terre, à cause de son épaisseur. Leurs poils changent selon leur peau ; mais leur peau (15) ne change pas sous l'action du vent et du soleil. [5,5] CHAPITRE V. § 1. Certains animaux n'ont qu'une seule couleur; et j'entends par là que l'espèce entière de ces animaux n'a qu'une couleur, la même pour tous, par exemple les lions, qui sont tous de couleur fauve ; et cette observation s'étend également bien à une foule d'espèces d'oiseaux et de poissons, ainsi qu'à d'autres espèces encore. Il y a aussi des animaux qui peuvent avoir une seule couleur, mais chez qui cette couleur est (20) entière. J'entends par là que leur corps tout entier a la même couleur; par exemple, le boeuf, qui peut être tout blanc ou tout noir. § 2. Enfin, il y a des animaux qui ont des couleurs diverses ; et ce peut être encore de deux manières. D'abord, ce peut être en genre, comme le léopard, le paon et quelques poissons de l'espèce de ceux qu'on appelle les thrattes; et en second lieu, le genre entier peut n'être pas de diverses couleurs, mais les individus ont cette diversité qu'ils acquièrent, (25) comme les boeufs, les chèvres, et les pigeons parmi les oiseaux, dont bien d'autres espèces offrent les mêmes variétés. § 3. Les animaux à couleurs entières changent beaucoup plus que ceux qui n'en ont qu'une; et alors ils changent du tout au tout, c'est-à-dire que, de blancs, ils deviennent noirs, que de noirs ils deviennent blancs, et qu'ils se mélangent des deux à la fois, (30) parce que leur espèce ne doit pas naturellement avoir une seule et unique couleur. L'espèce alors peut aisément aller à l'un et à l'autre sans trop de peine, de telle sorte que les couleurs passent de l'une à l'autre nuance, et se diversifient de plus en plus. § 4. C'est tout le contraire pour les espèces qui n'ont qu'une seule couleur ; elles ne la changent qu'en cas de maladie ; et encore, est-ce bien rare. On a déjà pu voir (35) une perdrix, un corbeau, un moineau, un un ours de couleur blanche. Ces accidents se produisent quand il y a eu quelque difformité dans la génération. (786a) Tout ce qui est petit est aisément détruit ou modifié; et le jeune qui vient de naître est dans ce cas ; car tout ce qui naît a de bien faibles commencements. § 5. Les animaux qui changent le plus de couleur sont ceux qui, ayant naturellement une couleur entière qui se trouve dans toute l'espèce, deviennent néanmoins de plusieurs couleurs à cause des eaux qu'ils boivent. L'eau, quand elle est chaude, fait devenir le poil blanc ; (5) quand elle est froide, elle le rend noir ; et cette remarque s'applique même aux végétaux. Cela vient de ce que l'eau chaude contient plus d'air que d'eau, et que l'air, transparent comme il l'est, produit la blancheur, comme il produit l'écume. § 6. Mais de même que la peau qui devient blanche par maladie, diffère de la peau qui est blanche par nature, de même aussi la blancheur des cheveux, ou par (10) maladie ou par l'âge, n'est pas la même que la blancheur naturelle, parce que la cause est également tout autre. Pour les uns, c'est la chaleur naturelle qui les fait blancs ; pour les autres, c'est une chaleur étrangère; c'est toujours l'air qui y est renfermé, sous forme de vapeur, qui les rend blancs. § 7. Cette observation explique pourquoi les animaux qui n'ont pas une couleur unique, sont toujours plus blancs (15) sous le ventre; cela tient à ce qu'en cet endroit ils sont plus chauds qu'ailleurs. C'est là encore ce qui fait qu'en général toutes les bêtes blanches sont plus agréables à manger, parce que la coction donne de la douceur à la chair, et que c'est la chaleur qui fait la coction. Par l'effet de la même cause, dans les animaux à une seule couleur, les uns sont noirs, et les autres sont blancs. Toujours, c'est la chaleur et le froid qui font la nature de la peau et (20) des poils; car chacune des parties du corps a sa chaleur propre. § 8. La langue ne diffère pas moins, des animaux de couleur simple aux animaux de couleurs variées; et parmi ceux dont la couleur est simple, il y a encore une différence entre les blancs et les noirs. La cause de ces variétés est celle que nous avons indiquée déjà plus haut : la peau est variée chez les animaux à couleurs variables. Ceux dont les poils sont blancs ont la peau blanche ; (25) ceux dont les poils sont noirs ont la peau noire. La langue doit être considérée comme une des parties extérieures du corps, si ce n'est qu'elle est placée dans la bouche ; mais elle est dans le cas de la main ou du pied ; et comme la peau des animaux à poils variés n'est pas d'une seule couleur, c'est là aussi ce qui modifie la peau qui recouvre la langue. § 9. Il y a des oiseaux, (30) et même quelques espèces de quadrupèdes sauvages, qui changent de couleur selon les saisons ; et le même changement que l'âge produit chez les hommes a lieu selon la saison chez ces animaux. Seulement, les modifications qu'amènent les années sont bien plus profondes. Les animaux qui sont omnivores ont en général des couleurs beaucoup plus variables ; et par exemple, les abeilles (787) sont d'une seule couleur bien plutôt que les frelons et les guêpes. On le comprend bien ; car, si c'est la nourriture qui cause le changement, il est tout simple que des aliments variés fassent aussi beaucoup varier les mouvements et les sécrétions de la nutrition, d'où viennent les poils, les plumes et la peau. § 10. Voilà ce qu'il y avait à dire sur les couleurs de la peau et des poils. [5,6] CHAPITRE VI. § 1. Pour ce qui concerne la voix des animaux, on peut observer que les uns ont la voix grave, d'autres la voix aiguë, et d'autres encore une voix harmonieuse, à égale distance de l'un et l'autre excès. Il y en a qui ont une voix puissante ; (10) d'autres, une voix très faible ; et il y a dans toutes ces voix de grandes différences de douceur ou de rudesse, de souplesse ou de roideur. Voyons quelles peuvent être les causes de tant de diversités. § 2. D'abord, on doit croire que le timbre aigu ou grave de la voix tient à la même cause qui fait que la voix change selon que les animaux sont jeunes ou vieux. (15) Tous les animaux, quand ils sont plus jeunes, ont une voix plus aiguë, excepté les veaux qui ont au contraire la voix plus grave. On peut remarquer la même différence entre les mâles et les femelles. Dans toutes les espèces, la voix de la femelle est plus aiguë que celle du mâle. C'est surtout chez l'homme que cette distinction est sensible. (20) La Nature l'a marquée plus particulièrement dans l'espèce humaine, parce que l'homme est le seul animal qui ait le langage, et que la partie matérielle du langage, c'est la voix. Les boeufs présentent un phénomène tout contraire; pour cette espèce, c'est la voix des femelles qui est plus grave que celle des taureaux. § 3. Pourquoi les animaux ont-ils une voix ? Qu'est-ce que la voix, ou plus généralement le bruit? C'est ce que nous avons étudié, soit (25) dans le Traité de la Sensation, soit dans le Traité de l'Âme. Mais comme le grave tient à la lenteur du mouvement, et l'aigu à sa rapidité, c'est une question de savoir si c'est le moteur, ou le mobile, qui est cause que le mouvement est lent ou rapide. On a bien dit qu'un grand objet se meut lentement et qu'un petit objet se meut vite, et l'on a vu là (30) la cause qui fait la voix grave ou la voix aiguë des animaux. Cette explication est exacte jusqu'à un certain point ; mais elle ne l'est pas toutefois absolument. § 4. D'une manière générale, on a bien raison de croire que la gravité du son dépend d'une certaine longueur du mobile; et si cela est vrai, il n'est pas plus facile à un petit objet d'avoir un son grave qu'à un grand objet d'avoir un son aigu. (35) Le son grave de la voix semble être d'une nature plus relevée ; et (787a) dans les chants, la basse semble supérieure aux voix moyennes. La supériorité consiste en une suprématie, et la gravité du son est une suprématie d'un certain genre. § 5. Cependant, le grave et l'aigu dans la voix sont autre chose que la force ou la faiblesse de la voix. Il y a des voix fortes qui sont toujours aiguës, et des voix très faibles (5) qui n'en sont pas moins graves. Il en est de même pour les timbres moyens. Pour toutes ces nuances, et, par là, je veux parler d'une voix forte et d'une voix faible, à quelle cause serait-il possible de les rapporter, si ce n'est à la grosseur ou à la petitesse du mobile? Si donc l'aigu et le grave sont bien en effet ce que les montre la définition qu'on vient de rappeler, il en résulte que les mêmes animaux pourront avoir une voix grave et une forte voix, et que les autres pourront avoir tout à fois une voix aiguë et (10) une voix faible. § 6. Cette théorie nous paraît erronée. Le fait s'explique si l'on se rappelle que le grand et le petit, le peu et le beaucoup, peuvent être pris en un double sens, ou absolument, ou comparativement l'un à l'autre. La force de la voix consiste en ce que le mobile est absolument considérable ; et la faiblesse consiste en ce que le mobile est peu considérable en soi ; mais la gravité ou l'acuité de la voix consiste uniquement (15) dans cette différence de l'un par rapport à l'autre. § 7. Si la force du mobile l'emporte sur la force du moteur, le mouvement doit nécessairement être lent; si c'est le moteur qui l'emporte, le mouvement doit être rapide. Le moteur, quand il l'emporte, peut par sa force supérieure, s'il meut un grand poids, faire quelquefois que le mouvement soit lent; et précisément parce qu'il l'emporte, il peut quelquefois aussi le rendre très rapide. (20) Par la même raison, les moteurs faibles, ayant à mouvoir un poids au-dessus de leur force, ne peuvent produire qu'un mouvement lent, tandis que les moteurs qui n'ont qu'un petit poids à mouvoir, font un mouvement rapide. § 8. Ce sont là les causes de ces oppositions qui font que les animaux jeunes n'ont pas tous une voix aiguë, ni tous une voix grave, ni que tous en vieillissant, (25) soit mâles, soit femelles, ne l'ont pas davantage. C'est là en outre ce qui fait que, dans la maladie, on a la voix aiguë, comme on l'a également quand on se porte bien. C'est ce qui fait aussi qu'en vieillissant on prend de plus en plus une voix aiguë, parce que cet âge est tout l'opposé de celui de la jeunesse. Si d'ordinaire les individus jeunes et les femmes ont une voix plus aiguë, c'est à cause de leur faiblesse, qui ne leur permet de mettre en mouvement qu'une (30) petite quantité d'air. Une petite masse d'air se remue vite ; et la vitesse est précisément ce qui fait que la voix est aiguë. § 9. Les veaux et les vaches, les uns à cause de leur âge, les autres par leur sexe femelle, n'ont pas beaucoup de force dans l'organe qui leur sert au mouvement; et remuant beaucoup d'air, ils ont une voix (788) grave. Car le grave est précisément ce qui a un mouvement lent; et l'air, quand il est en grande quantité, est mû lentement. Les vaches et les veaux en meuvent beaucoup; les autres en meuvent peu, parce que le vaisseau par lequel l'air entre tout d'abord, a chez les uns une très grande ouverture, et qu'ils doivent nécessairement (5) mouvoir beaucoup d'air, tandis que chez les autres il est plus mesuré. Avec l'âge, cet organe, qui, dans les uns et les autres, met l'air en mouvement, se fortifie de plus en plus ; et ils changent du tout au tout ; ceux qui avaient une voix aiguë la prennent plus grave qu'ils ne l'ont jamais eue ; et ceux qui l'avaient grave, la prennent de plus en plus aiguë. Les taureaux ont une voix plus aiguë que les veaux (10) et les vaches. § 10. Comme, chez tous les animaux, la force est dans les muscles, ce sont ceux qui sont à la fleur de l'âge qui sont les plus forts ; les jeunes ont des membres et des muscles très faibles. Chez les jeunes, la tension des nerfs n'est pas encore suffisamment venue ; chez les vieux, elle se relâche ; et de là vient que les uns et les autres sont également hors d'état de produire le mouvement, à cause de leur faiblesse. (15) Les taureaux sont excessivement musculeux, ainsi que leur coeur; et, chez eux, cette partie qui leur sert à mouvoir l'air est tendue comme une corde à boyau. Ce qui prouve bien que telle est la nature du coeur des boeufs, c'est que parfois on y trouve un os; et les os ont bien une tendance à être de la même nature que les muscles. § 11. Tous les animaux, (20) quand on les châtre, changent et ils inclinent à la nature féminine ; comme la force nerveuse qui est dans le principe vient à se détendre, ils prennent une voix pareille à celle des femelles. Ce relâchement se produit alors comme il se produit dans la corde qu'on a d'abord tendue, et à laquelle on ôte le poids mis pour la tendre. On sait que c'est là ce que font les tisserands ; ils tendent la chaîne qu'ils travaillent en y accrochant des pierres qu'on appelle des laïes. C'est de la même manière (25) que les testicules sont naturellement suspendus, relativement aux canaux spermatiques; et ces vaisseaux dépendent de la veine qui va, du coeur, à l'organe même qui met la voix en mouvement. § 12. Aussi, quand les canaux spermatiques viennent à changer, vers l'âge (30) où ils commencent à pouvoir sécréter le sperme, cet organe change en même temps. Avec le changement de cet organe, survient celui de la voix. Il est plus sensible chez les mâles ; mais il a lieu également chez les femelles, quoiqu'il y soit moins distinct. La voix devient alors ce que quelques naturalistes (788a) appellent une voix de bouc, quand elle devient rauque et inégale. A la suite de ce changement, les progrès de l'âge développent et constituent la voix grave ou la voix aiguë. Quand les testicules sont enlevés, la tension des canaux se relâche, à peu près comme la corde et la chaîne se détendent quand on en retire (5) le poids. De même, cet organe étant détendu, le principe qui met la voix en mouvement se trouve relâché, dans la même proportion. § 13. C'est là également ce qui fait que les animaux coupés se rapprochent du sexe femelle par le son de leur voix, ainsi que par tout le reste de leur conformation. Le principe qui donne au corps sa vigoureuse tension se détend et se relâche ; mais ce n'est pas du tout, (10) comme le supposent certains naturalistes, que les testicules soient eux-mêmes la connexion de plusieurs principes réunis. Les moindres déplacements peuvent causer de très grands effets ; non pas précisément qu'ils les causent (15) par eux seuls, mais ils les causent quand le principe de la chose vient à changer avec eux. Des principes qui en grandeur matérielle sont peu de chose, peuvent avoir une puissance énorme ; car on doit entendre par principe ce qui peut avoir beaucoup de conséquences, sans avoir rien qui lui soit antérieur et supérieur. Il faut ajouter que la chaleur, ou le froid, du milieu contribue aussi à faire naturellement que tels animaux aient la voix grave et que tels autres aient la voix aiguë. § 14. L'air chaud, qui est épais, fait que la voix est grave; l'air froid, (20) qui est plus léger, produit tout le contraire. On peut bien voir cette influence sur les flûtes. Les artistes qui ont une respiration plus chaude et qui l'emploient à la façon des gens qui gémissent, rendent un son plus grave. Ce qui fait que (25) la voix est rude, ou qu'elle est douce, et qu'elle a telle autre irrégularité, c'est que la partie du corps et l'organe par lequel passe la voix est dur ou lisse, ou, en d'autres termes plus généraux, qu'il est égal ou inégal. § 15. On peut bien le voir quand il y a quelque humidité dans la trachée artère, ou qu'il se produit quelque rudesse dans la voix par suite de maladie ; la voix devient alors inégale. La flexibilité de la voix dépend de ce que l'organe est moelleux ou dur. Un organe moelleux peut se diviser et (30) prendre mille intonations; un organe dur ne le peut pas. Un organe moelleux et flexible peut tout â la fois émettre le son doucement ou avec force, et produire ainsi l'aigu et le grave. Il laisse aisément ne passer ale l'air que ce qu'il veut, parce qu'il devient lui-même grand ou petit à volonté; mais la dureté de l'organe mâle empêche que rien ne passe. § 16. Voilà ce que nous avions à dire (789) pour suppléer à ce qui n'a pas été dit antérieurement dans le Traité de la Sensation et dans le Traité de l'Âme. [5,7] CHAPITRE VII. § 1. Nous avons antérieurement expliqué, en parlant des dents, qu'elles ne sont pas faites pour une seule et unique fonction, et nous avons dit que les animaux ne les ont pas tous pour le même usage ; mais que chez les uns, elles servent à (5) l'alimentation, que chez d'autres, elles servent à leur défense, et, chez d'autres encore, au langage que forme la voix. Que les dents de devant poussent les premières et que les molaires poussent en dernier lieu ; que les molaires ne tombent pas, tandis que les autres tombent et repoussent, ce sont là des questions qui nous semblent appartenir à des études sur la génération. § 2. Démocrite (10) a traité aussi de ce sujet ; mais il ne l'a pas très bien exposé. Sans avoir examiné d'assez près l'ensemble des faits, il indique, d'une manière toute générale, la cause de la chute des dents. A l'entendre, les dents des animaux ne tombent que parce qu'elles poussent trop tôt. D'après lui, c'est seulement quand ils sont adultes que la pousse des dents serait naturelle ; et c'est parce que les animaux tètent que les dents leur poussent avant le temps. On peut répondre à Démocrite (15) que le porc, qui tète, ne perd pas cependant ses dents. Tous les animaux à dents aiguës tètent et ne perdent pas davantage leurs dents ; quelques-uns, comme le lion, perdent tout au plus leurs canines. Ainsi, Démocrite s'est trompé en se prononçant en général, sans avoir observé suffisamment tous les faits particuliers. § 3. Cette observation des faits est néanmoins indispensable ; (20) et, quand on parle d'une manière générale, il faut nécessairement que la théorie puisse s'appliquer â tous les cas. Comme nous admettrons, en nous fondant sur ce que nous pouvons voir, que la Nature n'est jamais en faute, et que jamais elle ne fait rien en vain, dans tout ce qui est possible pour chaque espèce d'êtres, il y a une nécessité évidente, puisque les animaux doivent prendre de la nourriture après avoir sucé le lait, qu'ils aient des organes pour élaborer leurs aliments. § 4. Si donc les dents (25) ne poussaient qu'au moment de la puberté, comme le veut Démocrite, la Nature aurait négligé quelque chose de ce qu'elle pouvait faire ; et alors, cette oeuvre prétendue de la Nature serait absolument contre nature. Tout ce qui est violent est contre nature; et, selon Démocrite, les dents poussent de force et violemment. Ceci suffit pour montrer que sa théorie n'est pas exacte ; et l'on pourrait y opposer encore bien d'autres objections. § 5. Les incisives (30) poussent avant les molaires, pour deux raisons : d'abord, parce que leur fonction est antérieure, puisque diviser précède broyer, et que, si les molaires servent à broyer, les incisives sont chargées de diviser les aliments. En second lieu, ce qui est plus petit, tout en naissant en même temps que quelque chose de plus grand, doit naturellement pousser plus vite. (789a) Or, les incisives sont plus petites que les molaires ; et l'os de la mâchoire en leur endroit est large, tandis qu'il est étroit près de la bouche. Il y a donc nécessité que, d'un organe plus grand, s'écoule aussi plus de nourriture, et qu'il s'en écoule moins d'un organe plus petit. § 6. Téter n'a ici aucune influence directe ; (5) mais il est vrai que la chaleur du lait doit faire pousser les dents plus vite; la preuve, c'est que les enfants qui tètent un lait plus chaud poussent leurs dents plus rapidement que les autres, parce que la chaleur hâte toujours la croissance. Quelques-unes des dents doivent tomber uniquement en vue du mieux, attendu que la pointe s'émousse ; et pour que la fonction puisse continuer à s'accomplir, il faut que d'autres dents (10) les remplacent. Les molaires, qui sont plates, ne peuvent pas s'émousser; mais, avec le temps, elles s'usent, et elles deviennent toutes lisses. § 7. Les incisives doivent nécessairement tomber, parce que, si les racines des molaires sont placées à la partie la plus large de la mâchoire et dans un os très fort, les racines des dents de devant sont dans un os mince; ce qui explique leur faiblesse et leur mobilité. Les incisives repoussent, parce que (15) l'os pousse encore quand elles tombent, et qu'il est encore temps que les dents puissent repousser. Ce qui le prouve, c'est que les molaires sont aussi très longues à sortir; les dernières ne paraissent guère qu'à l'âge de vingt ans; et les plus retardées de toutes ne poussent, parfois, que dans la vieillesse extrême, parce que la nourriture est longue à s'accumuler dans un os très large. § 8. Au contraire, la partie antérieure de l'os, qui est mince, arrive bien vite (790) à son développement complet ; et il n'y a pas de résidu dans cet os, parce que la nourriture est employée tout entière à la croissance qui lui est propre. § 9. Démocrite oublie et néglige la cause finale pour rapporter à une simple nécessité tous les procédés de la Nature. Ces procédés sont nécessaires sans doute; mais ils n'en ont pas moins (5) un but; et, en toutes choses, ils cherchent sans cesse à réaliser le meilleur. Rien n'empêche, nous le voulons bien, que les dents ne poussent et ne tombent par suite d'une nécessité ; mais ce n'est point par les motifs indiqués; et c'est toujours en vue d'une fin qui doit être réalisée effectivement. Les causes alléguées par Démocrite ne sont causes que comme des moteurs, comme des instruments et comme matière. § 10. Ainsi, il y a certainement une foule de cas où la Nature prend pour instrument de ses oeuvres l'air et le souffle vital; et de même que, dans les arts, (10) il y a des instruments qui servent à plusieurs fins, par exemple, dans l'art du forgeron, le marteau et l'enclume, de même aussi l'air peut servir à bien des usages dans les êtres que forme la Nature. Rapporter toutes les couses à une pure nécessité, cela reviendrait à peu près au même que de croire que, dans le traitement de l'hydropisie, le liquide sort au profit du bistouri, (15) et non au profit de la santé, en vue de laquelle le bistouri a dû faire une incision. § 11. On doit donc voir, par ce qui précède, pourquoi il y a des dents qui tombent et qui repoussent, pourquoi d'autres dents ne repoussent ni ne tombent, et, d'une manière générale, pourquoi les dents sont ce qu'elles sont. Enfin, nous avons également étudié toutes les autres fonctions des organes qui ne sont pas faits en vue d'une fin, mais qui résultent (20) d'une simple nécessité et de l'action d'une cause qui les met en mouvement.