[32,0] LETTRE XXXII. Ambroise salue Irénée. [32,1] LA Perdrix a crié. Elle assemblé des oeufs qu'elle n'avait pas faits (Jérémie XVII, 11). Car il m’est permis de faire de la fin de la lettre précédente le sujet et l'exorde de celle-ci. C'est une question très fameuse, et, pour la pouvoir résoudre, considérons ce que l'Histoire nous apprend de la nature de cet oiseau. C 'est une marque d'une grande prudence de réfléchir là-dessus, puisque Salomon a connu la nature des animaux et a parlé des bêtes, des oiseaux, des reptiles, et des poissons (III Reg. IV, 33) . [32,2] On dit que la perdrix est pleine de ruse, de fraude, de tromperie, qu'elle sait les moyens de tromper le chasseur et l'art de l'éloigner de ses petits, et qu'il n'est point d'artifice qu'elle ne mette en œuvre pour l'empêcher d'approcher de son nid et du lieu où elle a couvé ses oeufs. Si elle aperçoit que le chasseur continue à poursuivre ses petits, elle l'amuse autant de temps qu'il en faut pour leur donner le signal et le pouvoir de s'échapper. Quand elle les voit en sureté, alors elle se dérobe elle-même et par ses détours ingénieux elle se moque de celui qui lui a dressé des embûches. [32,3] On dit encore qu'elle se mêle souvent avec les mâles qui combattent avec beaucoup d'ardeur les uns contre les autres à qui se jettera sur les femelles et contentera plutôt sa passion effrénée. Voilà pourquoi on la compare à l'ennemi et au séducteur du genre humain, toujours plein de malice, de fraude et de tromperie, et l'auteur de toute impureté. [32,4] La perdrix qui dérive son nom de perdre a crié. Ce satan qui en latin signifie adversaire a crié d'abord dans Ève (Gen. III, 4, 5). Il a crié dans Caïn, il a crié dans Pharaon (Exod. V, 2), il a crié dans Dathan, Abiron et Choré (Num. XVI, 2). Il a crié dans les juifs lorsqu'ils demandèrent qu'on leur fit des Dieux, pendant que Moïse recevait la Loi (Exod. XXXII, 1). Il cria une seconde fois dans les mêmes juifs lorsqu'ils dirent : "qu'il soit crucifié, qu'il soit crucifié et que san sang tombe sur nous et sur nos enfants" (Matth. XXVII, 23, 25) . Il cria encore quand ils voulurent avoir un roi pour n'être plus soumis au seigneur qui était leur roi (I Reg. VIII, 5) . Enfin il a crié dans tous ceux qui se sont livrés a la vanité et au crime. [32,5] C'est par ces cris qu'il a assemblé pour lui les peuples qu'il n'avait pas créés, car Dieu a formé l'homme à son image et à sa ressemblance (Gen. I, 27) et le démon se l'était acquis par les artifices de sa voix. Il avait assemblé pour lui les nations, amassant des richesses par l'injustice : aussi dit-on en proverbe d'un riche avare que cette perdrix amasse des richesses par l'injustice. Mais mon sauveur Jésus, qui comme un bon juge fait tout avec justice, est venu selon qu'il est écrit et a dit : "c'est moi qui parle selon la justice et qui prononce un jugement de salut" (Esai. LXIII, 1). [32,6] C'est donc par sa grâce qu'il a fait sa proie de la perdrix qui est le démon. Il lui a ravi la multitude des peuples dont il avait fait ses richesses et qu'il avait amassées par une mauvaise voie. Il a détrompé de l'erreur les âmes des gentils et a retiré les nations de leurs égarements et comme il savait qu'elles avaient été trompées par la voix du démon, afin de briser leurs liens et les détacher de leurs anciennes erreurs, il a d'abord crié dans Abel dont le sang forma un cri (Gen. IV, 10) . Il a crié dans Moïse auquel il dit : "pourquoi criez-vous vers-moi ?" (Exod. XIV, 15) il a crié dans Jésus Navé (Iosue I, 1). 'Il a crié dans David qui dit : "j'ai crié vers vous, sauvez-moi" (Psal. CXVIII, 146). II a crié dans tous les prophètes, c'est pourquoi il dit à Isaïe : "criez", et le prophète dit : "que crierai-je" (Esai. XL, 6). Il a crié dans Salomon, la sagesse appellant les peuples à son festin avec l'invitation la plus éclatante: "venez, mangez le pain, et buvez le vin que je vous ai préparé" (Prov. IX, 5) . Il a aussi crié dans son corps, comme l°escarbot dans le bois (Habac. II, 11). Il a crié pour tromper son ennemi et celui qui lui dressait des embûches en disant : "mon Dieu, mon dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? (Matth. XXVII, 46) Il a crié pour lui enlever ses dépouilles, en répondant au voleur, "en vérité, en vérité, je vous le dis, vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis". (Luc. XXIII, 43) Ainsi d'abord que Jésus-Christ a crié, cette perdrix a été abandonnée au milieu de ses jours de ceux qu'elle avait amassés. [32,7] Aussi quelques auteurs {cfr. Pline l'Ancien, L'Histoire naturelle, X, 33} ont cru qu'on pouvait attribuer à la nature de la perdrix de prendre les oeufs des autres oiseaux, de les couver en les échauffant avec son corps et de se donner par cette fraude des petits étrangers. Mais comme selon le proverbe on dit "l'oeil à la corneille", car chaque oiseau a ses ruses, aussitôt que celui dont on a pris les oeufs, s'aperçoit qu'on est entré dans son nid, et qu'on a séduit ses petits en prenant faussement sa ressemblance, quoiqu'il soit plus faible que son ravisseur, il s'arme de ruse et d'industrie et quand il voit que son rival a épuisé tous ses soins à nourrir et à élever les petits et qu'ils commencent à devenir grands, alors il leur fait entendre sa voix et par un cri de piété et d'amour appelle ses enfants, qui réveillés par ce son de la nature reconnaissent leur véritable mère et abandonnent celle qui en avait pris les apparences. Ainsi voulant amasser ceux qu’elle n'a pas faits, elle perd ceux qu'elle avait nourris avec des soins si empressés. [32,8] Ce n'est donc pas inutilement que Jésus a crié, d'autant que tous les peuples de l'univers s'étant éloignés de leur créateur et ayant été trompés par la voix, par les caresses, par les ruses de la perdrix, et par la fausse ressemblance dont elle était couverte, il les a rappelés à lui en se servant par un pareil artifice de la voix d'un véritable père, afin qu'ils abandonnassent le faux et qu'ils le quittassent au milieu de leurs jours, c'est â dire, avant la fin de ce siècle, dont le Seigneur Jésus nous a délivrés et nous a appelés à la vie éternelle. Ainsi nous sommes maintenant morts au monde et nous vivons pour Dieu (Rom. VI, 8). [32,9] Quand donc cette perdrix aura été entièrement délaissée de ses faux petits, alors cet insensé qui a été choisi de Dieu et qui a couvert le sage de confusion sera sauvé. Car Dieu a choisi ce qui paraît fou selon le monde. C'est pourquoi si quelqu'un paraît être sage dans le siècle, qu'il se fasse fou pour être sage (I Cor. I, 27). Adieu, mon fils, aimez- moi comme vous avez fait jusqu'à présent, parce que je vous aime.