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Le supplément pédagogique (l' Elenchus paedagogicus)

Numéro d'ordre: 3

AUTEUR: Alain NADAUD
TITRE: Auguste fulminant

Références: Le Livre de Poche, n. 14676, 1999, 254 pp.
(édition originale Grasset & Fasquelle 1997)

Présentation - Auteur:
Alain NADAUD est né en 1948 à Paris. Il est titulaire d'un doctorat de lettres. De 1974 à 1978, il fait de nombreux séjours en Inde, au Proche-Orient et en Afrique où il travaille dans différentes universités. De 1978 à 1985, il enseigne les lettres et la philosophie à Paris. Conseiller littéraire dans l'édition pendant 10 ans, il dirige actuellement le Bureau du Livre au service culturel de l'ambassade de France à Tunis.
Alain Nadaud est l'auteur d'une centaine d'articles, de plusieurs essais et recueils de nouvelles ainsi que de six autres romans: Archéologie du zéro, L'Envers du temps, Désert physique, L'Iconoclaste, La mémoire d'Erostrate et Le Livre des malédictions (Grand Prix de la SGDL 1995). Auguste fulminant a obtenu le Prix Méditerranée 1998.
[A. Nadaud, Auguste fulminant, 2ième page de garde.]

Présentation - Roman:
L'incendie d'un musée antique proche de Carthage, suivi de morts suspectes - une archéologue, un attaché culturel d'ambassade - ces deux énigmes d'aujourd'hui nous renvoient à un dossier vieux de deux mille ans: la mort de Virgile.
Celui-ci débarqua-t-il à Carthage, comme il en avait l'intention, afin de visiter les sites où se déroule son récit? Voulut-il détruire ou réécrire l'Enéide, composée à la gloire d'Auguste, dont la tyrannie de plus en plus impitoyable l'indignait? Mourut-il sur ordre de l'empereur?
Alternant l'investigation historique et l'enquête contemporaine, Alain Nadaud nous propose une méditation sur les rapports forcément ambigus de l'art et du pouvoir, de la transfiguration artistique et de la falsification politique.
[Page de couverture (dos) du roman]

Extrait(s):

Les scrupules de Virgile quant à l'historicité de l'Enéide:

  • pp. 41-42: (extrait d'une lettre échangée entre les deux éditeurs de l'Enéide après la mort de Virgile)

    Virgile n'a pas dicté ni écrit une ligne depuis des mois. Il s'irrite contre lui-même et se morfond. Le poête que nous connaissons est à présent assailli de doutes que je qualifierais d'excessifs. Pour ne porter que sur d'infîmes détails, ils ne lui laissent guère l'esprit en repos. Ses scrupules d'antan ont pris de tout autres proportions: en effet, il ne vit plus que dans la hantise d'être parfaitement exact, afin que nul ne puisse lui faire reproche d'une description fausse ou improbable. Si près du but, il s'accuse de légèrété, d'avoir mis la poésie au service du mensonge. Quand bien même, en ses douze chants, son épopée paraît sur le point d'être terminée, il refuse de la donner à lire à quiconque qu'il ne l'ait auparavant mise à l'épreuve de la réalité! Sa nouvelle idée? Il tient à visiter les lieux qu'il évoque sans les avoir jamais connus, à arpenter les chamops de bataille où, côte à côte avec les dieux, s'illustrèrent les héros des légendes de jadis. ... Voilà qu'il a pris le parti de se mettre en route pour aller contrôler sur place si tout est bien conforme à la vision qu'il en donne. ... Trois années à ce qu'il a calculé lui seront nécessaires pour faire voile vers l'Orient sur les traces d'Enée, dont il souhaite point par point refaire le trajet; et si c'est à rebours qu'importe!

  • pp. 70-71: (extrait d'un entretien entre l'attaché culturel et le journaliste enquêteur)

    Connaissez-vous un grammairien du nom d'Aelius Donatus, qui vécut sous Constantin? Il est le premier à nous avoir laissé une biographie de Virgile. Toutes celles qui suivent s'inspirent plus ou moins de celle-ci. Eh bien, que lit-on dans ce fameux opuscule, que l'usage a intitulé la Vita Donati?
    Qu'arrivé à la fin de la lecture de son poème, Virgile souhaita partir sur les traces d'Enée, afin de visiter les lieux dont il avait parlé sans les connaître: les îles de la mer Egée, la Grèce et l'Asie... Rien ne vous frappe-t-il donc dans cette énumération? Bizarrement, il en manque un et qui est de taille: ni l'Afrique, ni Carthage par conséquent ne figurent sur la liste, là même où son héros dont la reine Didon était tombée amoureuse, demeura tout un hiver! N'est-ce pas singulier? Alors que de la Sicile, où Virgile, on l'a dit, résidait parfois, il y avait à peine une journée de navigation!

  • pp. 115-116: (extrait d'une correspondance entre les deux éditeurs de l'Enéide de Virgile)

    Outre cela, il [l'empereur Auguste] considère que c'est un fort mauvais principe que de s'en aller vérifier sur place si les lieux qui ont vu naître tant d'exploits considérables, mêlés à tant de légendes, sont bien conformes à leur réputation. A quoi sert-il de se soucier de la véracité d'une date en effet improbable ou de l'adaptation de tel ou tel lieu aux actions héroiques qui s'y sont déroulées? Et je ne suis pas loin de croire qu'il a raison: toi, qui es poète aussi, tu sais mieux que personne que l'oeuvre d'art possède une vérité qui lui est propre, qui garde la préséance sur la réalité, qui crée même cette réalité, qui lui donne sa consistance, sans laquelle, d'un siècle à l'autre, rien ne saurait être transmis. Or c'est justement cela qui le trouble de la part d'un poête à la phrase si sûre... Virgile a-t-il tant besoin de savoir si ses ancêtres, et ceux de la gens Julia, qui ont depuis longtemps regagné le séjour des dieux, ont réellement et en tout point accompli les exploits qu'authentifie la légende?

  • p. 227: (extrait d'une autre lettre échangée entre les deux éditeurs de l'Enéide)

    Car que vaut la mort d'un poête, qui sur terre ne fait jamis que passer, au regard de la préservation de son oeuvre, qui seule perdure et continuera de voler sur la bouche des hommes? Après qu'il se sera absorbé dans la lecture de l'Enéide, qui osera nous reprocher de l'avoir sauvée du désastre, et ce malgré l'avis opposé de son auteur? Quant à Virgile, si soucieux de sa postérité, que serait-il resté de son oeuvre, si celle-ci avait été amputée de ce vaste poème? Crois-tu que les Bucoliques et les Géorgiques auraient seules été capables de suffire à sa gloire? Qui est aujourd'hui en mesure de garantir qu'elles se seraient conservées à la mémoire des générations futures? N'avons-nous pas protégé Virgile contre lui-même?
    "Brûlez l'Enéide!" N'était-ce pas là le cri de Virgile? Dès lors, elle ne lui appartenait plus! Cela suffit à attester que de son propre mouvement il s'en était dessaisi. Car ce que l'on renie à jamais vous échappe, retrouve sa liberté au nom de l'injure que l'on se fait à soi-même et aux dieux qui vous ont assisté.

  • Aelius DONATUS, Vita Vergiliana:

    Anno aetatis quinquagesimo secundo impositurus Aeneidi summam manum statuit in Graeciam et in Asiam secedere triennioque continuo nihil amplius quam emendare, ut reliqua uita tantum philosophiae uacaret. Sed cum ingressus iter Athenis occurrisset Augusto ab oriente Romam reuertenti destinaretque non absistere atque etiam una redire, dum Megara uicinum oppidum feruentissimo sole cognoscit, languorem nactus est eumque non intermissa nauigatione auxit ita ut grauior aliquanto Brundisium appelleret, ubi diebus paucis obiit XI Kal. Octobr. Cn. Sentio Q. Lucretio coss.

    Ossa eius Neapolim translata sunt tumuloque condita qui est uia Puteolana intra lapidem secundum, in quo distichon fecit tale: "Mantua me genuit, Calabri rapuere, tenet nunc Parthenope. Cecini pascua, rura, duces."

    Heredes fecit ex dimidia parte Valerium Proculum fratrem alio patre, ex quarta Augustum, ex duodecima Maecenatem, ex reliqua L. Varium et Plotium Tuccam, qui eius Aeneida post obitum iussu Caesaris emendauerunt. De qua re Sulpicii Carthaginiensis exstant huiusmodi uersus: "iusserat haec rapidis aboleri carmina flammis Vergilius, Phrygium quae cecinere ducem. Tucca uetat Variusque simul; tu, maxime, Caesar, non sinis et Latiae consulis historiae. Infelix gemino cecidit prope Pergamon igni, et paene est alio Troia cremata rogo."

    Egerat cum Vario, priusquam Italia decederet, ut siquid sibi accidisset, Aeneida combureret; at is facturum se pernegarat; igitur in extrema ualetudine assidue scrinia desiderauit, crematurus ipse; uerum nemine offerente nihil quidem nominatim de ea cauit. Ceterum eidem Vario ac simul Tuccae scripta sua sub ea condicione legauit, ne quid ederent, quod non a se editum esset. Edidit autem auctore Augusto Varius, sed summatim emendata, ut qui uersus etiam inperfectos sicut erant reliquerit; quos multi mox supplere conati non perinde ualuerunt ob difficultatem, quod omnia fere apud eum hemistichia absoluto perfectoque sunt sensu, praeter illud: "quem tibi iam Troia".

    Traduction anglaise: vide infra

Source(s):
Aelius DONATUS, Commentarii Vergiliani / Vita Vergiliana:

Références sur la Toile:

Descripteurs: Virgile; Auguste; Enéide; Pleggah; Carthage;


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Dernière mise à jour : 9 août 2000