Maffio Maffii, Cicéron et son drame politique1: son point de vue sur l'affaire Catilina
(Crédit: Nadège Dazy)

Vers 63 A.C.N., les chefs les plus influents du patriciat considèrent Cicéron comme un homme providentiel en raison de deux réformes prises pendant son consulat : le rejet de la réforme agraire et la défense à outrance des prérogatives du pouvoir central. Malgré ces réformes qui paraissent en faveur de l'aristocratie, Cicéron pense d'avantage à l'Etat et non aux patriciens. En effet sa conduite est d'une droiture parfaite. Il n'a d'autre dessein que de servir virilement l'Etat et de le défendre contre les menaces de droite et de gauche sans se préoccuper de la puissance des différents chefs de partis.

Cependant, le moment approchait où il faudrait procéder aux élections pour le consulat de l'année suivante. Les candidats étaient Lucius Lucinius Murena, Silvius Sulpicius Rufus, Junius Silanus, et Catilina qui se présentait pour la troisième fois. Le programme de ce dernier comportait un fond de revendication. La chose est prouvée dans son discours électoral que Salluste reproduit dans son livre La conjuration de catilina. Cet écrit n'est qu'une reconstitution arbitraire de l'écrivain ; néanmoins, les points fondamentaux de l'exposé doivent être considérés comme justes car ils correspondent exactement aux écrits de Cicéron sur ce sujet. Et comme nous connaissons l'antipathie qui règne entre Cicéron et Salluste (cf. chap. 6) nous devons conclure que leur commun accord, là où ils énoncent des choses identiques, est certainement digne d'être cru.

Catilina, lors de réunions secrètes, préparait les siens, en cas d'insuccès au cours des comices, à l'éventualité d'une action à mains armées. Cicéron qui, grâce à ses espions, apprit ce qui se tramait, reporta la date des élections et se fit attribuer les pleins pouvoirs (cf. 9, m).

Vint le jour des élections. Silanus et Murena furent nommés consuls. Catilina décida alors de mettre en mouvement la machine de sa conspiration, déjà préparée dans les grandes lignes. Le chef du gouvernement organisa alors un corps armé de police citadine et instaura un climat de psychose dans toute la ville.

Un peu plus tard, un jeune patricien accusa Catilina de sédition. Cicéron profita de cette dénonciation pour mettre en mouvement le mécanisme d'un procès pour haute trahison. Toutefois, il n'existait encore aucune preuve que Catilina fût le promoteur, soit d'un complot terroriste soit d'un soulèvement que Cicéron suspectait en Etrurie.
Dans la nuit du 6 au 7 novembre, Catilina réunit dans la demeure du sénateur Porcius Laeca, en séance secrète, les chefs de la conjuration. Le but de la réunion était d'encourager à l'action les conspirateurs, probablement impressionnés par les récentes mesures du gouvernement ; de leur apprendre qu'il irait lui-même le plus vite possible au camp de Manlius pour prendre le commandement des légions rebelles et marcher sur la capitale ; mais, avant son départ, il était indispensable de supprimer le Consul.

Très vigilant, Cicéron échappa à l'attentat, grâce aux indiscrétions de Fulvia, la maîtresse d'un des conjurés. Aussi convoqua-t-il brutalement les sénateurs à l'aube du 8 novembre 63 dans un lieu de réunion inhabituel, le temple de Jupiter Stator, qu'il fit entourer de cordons de sentinelles afin de protéger les sénateurs et lui-même contre toute rébellion mais aussi pour instaurer un climat de peur.

Dès l'ouverture de la séance, le Consul interpella Catilina avec son attaque bien connue : " Quosque tandem abutere Catilina… ", que personne n'ignore. Il tente d'intimider Catilina pour qu'il parte de lui-même. Ce dernier quitta Rome et s'en alla rejoindre Manlius et ainsi déclara la guerre.Cette initiative fournit enfin au Consul la preuve irréfutable que le gouvernement était bien renseigné et avait agi avec prévoyance dans l'intérêt de la république.

Quelques jours plus tard, Cicéron put saisir l'occasion d'avoir enfin en mains ce qu'il cherchait depuis longtemps : la preuve de la culpabilité de Catilina ; il arrête ses complices restés à Rome. Ce soir là, il est alors proclamé " père de la patrie " par les sénateurs. Sa fierté transpire du discours qu'il tint au peuple cette même soirée.
Les soucis du Consul n'étaient pas pour autant terminés. Les informateurs lui rapportèrent que les amis de Lentulus et de Cetegus (ceux qui avaient été faits prisonniers) préparaient un coup de main avec des gladiateurs et des esclaves pour libérer les détenus. Il fallait donc hâter le procès intenté aux principaux coupables et donner un exemple de justice.

Le Consul convoqua donc le Sénat pour le jour suivant, dans le temple de la Concorde, afin de délibérer sur le châtiment à affliger aux cinq détenus. Lors du procès, Silanus et Murena proposèrent d'appliquer aux coupables la peine la plus grave et tous les personnages consulaires s'associèrent à cet avis. Seul César fit opposition à la sentence prononcée, il se déclara contraire à la peine de mort parce qu'il s'agissait d'une peine par le code pénal pour les citoyens romains abolie depuis un demi-siècle et que cette décision aurait pu alors créer des précédents. L'opposition de César produisit une forte impression sur une grande partie de l'assemblée qui déjà faisait mine de se partager en deux camps. Celui qui coupa court à cette incertitude fut Marcus Porcius Caton, connu pour sa rigueur politique et pour la droiture de son caractère. Ses fières paroles entraînèrent l'assemblée à se prononcer sans plus hésiter pour la peine de mort.
La nouvelle se répandit dans Rome avec la rapidité de l'éclair. La nuit venue, une multitude populaire accompagna le Consul chez lui en l'applaudissant et en improvisant une grande démonstration à la lueur des flambeaux. Les maisons s'illuminèrent comme pour une fête. Si l'exécution sommaire des complices de Catilina produisit sur une partie de la population un sentiment de tacite terreur, elle fit naître dans la grande masse des Quirites (voir note ci-dessous) qui se sentirent délivrés d'un cauchemar, une explosion d'allégresse. Ceux qui en ville avaient été favorables à la conspiration abandonnèrent sans plus la cause de Catilina.

Pendant ce temps, l'armée d'Antoine attaquait dans le Val d'Arno les forces de Catilina et de Manlius .
Au cours de la bataille de Pistoia, Catilina et Manlius tombèrent. Ceci brisa définitivement les dernières résistances des conjurés. Mais Pétrius qui commandait ce jour-là les forces régulières n'eut pas la satisfaction de faire un seul prisonnier. Les hommes de Catilina s'étaient battus comme des fauves.

note: Quirinus, très ancienne divinité italique, dieu du ciel ou dieu guerrier, ressemblant quelque peu à Mars, donna son nom à la colline du Quirinal, l'une de sept collines de Rome où il possédait un temple. Quirinus est peut-être un dieu d'origine sabine, le Quirinal ayant été tout d'abord colonisé par les Sabins. On fait généralement dériver son nom de celui de la ville sabine de Cures; selon certaines interprétations le mot latin de quirites, "citoyens", aurait la même origine. Un rapport existerait aussi avec Romulus: après son apothéose, il aurait ordonné aux Romains de pratiquer l'art des armes et de l'honorer désormais sous le nom de Quirinus.

1) MAFFII, M., Cicéron et son drame politique, Paris, 1961.

 

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