Extrait Grec |
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Traduction française |
« Ce que je crains, Scipion, c'est que jeune encore, plein de ces succès qui, sans cesse
en Espagne et en Afrique, ont répondu à tes désirs, sans expérience jusqu'ici des
cruels retours de la fortune, tu n'ajoutes pas foi à mes paroles, quelque vraies qu'elles
soient. (2) Apprends en un mot à connaître cette instabilité des affaires humaines,
dont je suis, sans aller plus loin, un exemple assez frappant. (3) Tu vois devant toi cet
Annibal qui, après la bataille de Cannes, fut maître de presque toute l'Italie, qui
quelque temps après marcha sur Rome, et qui, à quarante stades de ses murs, se
demandait déjà ce qu'il ferait de vous et de votre patrie, (4) et me voilà maintenant en
Afrique devant toi, devant un Romain, traitant avec lui du salut de Carthage et du
mien. Que ce spectacle, Scipion, te préserve d'un vain orgueil. (5) Souviens-toi plutôt,
c'est moi qui te le dis, que tu es homme, et délibère aujourd'hui après cette maxime :
qu'il faut choisir le plus grand des biens et le plus petit des maux. (6) Quel est le
mortel raisonnable qui, de gaieté de cur, préférerait à la paix le combat que tu vas
peut-être engager ? Vainqueur, tu n'ajouteras que peu de chose à ta gloire et à celle
de ta patrie. Vaincu, tu détruiras tout d'un coup la renommée de tes anciens exploits.
(7) Mais enfin quel est le but de ce discours, Scipion? (8) Je viens te proposer que
tous les pays objets de nos discordes appartiennent désormais à Rome, je veux dire la
Sicile, la Sardaigne, l'Espagne, que les Carthaginois ne fassent jamais la guerre aux
Romains pour leur disputer ces provinces, que toutes les îles enfin situées entre
l'Italie et l'Afrique soient à vous. (9) Une telle paix, en assurant l'existence de
Carthage, ne saurait être que glorieuse pour les Romains et pour toi. »
Trad. : Felix BOUCHOT, Polybe, Histoire générale. Paris, Charpentier, 1847 |