Multimédia et pratique pédagogique

Compte rendu du recyclage présenté le 26 janvier 2000

dans le cadre d'ICAFOC

 

Parce que les progrès techniques vont croissants, que les applications pédagogiques se multiplient au rythme des productions qu'ils permettent de développer, il n'est sans doute pas inutile de dresser dès maintenant un premier bilan du chemin déjà parcouru et d'ouvrir de nouvelles perspectives. C'est donc autour de ce double objectif que seront charpentées ces quelques pages. Toutefois, la rapidité et l'importance de l'évolution sont telles que leur contenu, tel qu'il se présentait au mois de janvier, a été augmenté de la présentation d'outils très performants apparus depuis sur la Toile.

 

Premier bilan

Il peut sembler prématuré et présomptueux de dresser un bilan des ressources offertes par l'introduction des multimédia dans l'enseignement des langues anciennes au secondaire alors que l'expérimentation des innovations pédagogiques qu'elles autorisent est, comme toute, assez récente. Mais que de chemin parcouru en un si court laps de temps ! L'an dernier, à pareille époque, nous était présentée une série de CD-ROM et de logiciels mis au point par des enseignants dans le cadre d'une thématique développée à titre personnel ou à l'occasion d'un travail confié à des élèves. Ces produits d'une excellente facture n'offraient guère qu'un inconvénient, d'ailleurs lié au support qui les véhiculait : celui de ne pouvoir être exploité qu'en circuit fermé. Ce confinement dont ils n'étaient nullement responsables, la récente avancée d'Internet permet de le briser. L'arrivée de ce puissant interface sur la scène scolaire, tout en ouvrant les fenêtres sur le monde, appelle sans doute à terme un renouvellement de nos pratiques pédagogiques. Pour y parvenir, les professeurs de langues anciennes ont été conviés à relever un défi supplémentaire : se familiariser avec ce nouvel instrument éducatif qui impose, chose peu banale, un certain degré de formation technique pour y avoir accès et en tirer le meilleur profit. Passons rapidement en revue les outils dont chacun dispose désormais pour s'inscrire dans cette dynamique s'il en éprouve le besoin.

 

Centres cybermédia

Les plus immédiats sont les centres cybermédia récemment inaugurés dans les écoles de la Communauté Wallonie-Bruxelles. Ces équipements ouvrent désormais à qui veut les utiliser la possibilité d'enrichir ses cours d'exploitations électroniques. En théorie tout au moins. Car les situations (nombre de machines et locaux mis à disposition) varient selon que l'on soit à Bruxelles ou en Wallonie. De plus, si locaux, matériels et connexions sont pratiquement disponibles partout, l'accès aux machines pose parfois problème, que ce soit de la part des directions (soucieuses de définir une éthique d'utilisation, sinon attentives à des impératifs financiers) ou de professeurs s'estimant insuffisamment préparés (au plan technique comme aux modalités pédagogiques). Par ailleurs, certaines contraintes matérielles demeurent : en région bruxelloise par exemple, où des locaux exigus n'ont pas toujours la capacité d'accueillir des classes surpeuplées.

Si les questions liées aux problèmes d'infrastructures ou aux conditions d'accès doivent, pour l'heure, trouver des solutions locales, celles liées à la mise en œuvre de ces innovations technologiques pendant les cours de latin peuvent recevoir des embryons de réponses. Celles-ci peuvent prendre la forme de stratégies définies à titre personnel par qui dispose du bagage technique nécessaire. Elles peuvent tout aussi bien profiter de la diversification des liens tissés entre université et enseignement secondaire : c'est déjà le cas à l'UCL, où sont nées d'étroites collaborations entre ces deux partenaires. Ceux-ci ne doivent plus évoluer sur des rails parallèles, mais se ménager des lieux d'enrichissement mutuels. L'université ne doit plus être considérée seulement comme l'institution qui dispense un savoir vertical recueilli par le secondaire. Tout au contraire, doit naître entre eux une saine collaboration où sera privilégiée la construction de savoirs élaborés en commun. Ceci ne constitue pas une douce utopie ou un vœu pieux : l'amorce du mouvement a déjà été donné. Voyons ce que cela donne concrètement.

Itinera Electronica : un cheminement pluriel

Au mois de janvier 1999, l'équipe des professeurs de latin de l'UCL commençait à développer le serveur pédagogique Itinera Electronica (), projet bientôt soutenu par le Fonds de Développement Pédagogique (FDP) de cette université. Il s'articule autour de trois axes : universitaire, agrégation et enseignement secondaire, formation continuée et enseignement à distance.

Son premier volet accueille depuis peu les cours d'auteurs (l'honneur de les inaugurer est revenu aux Odes d'Horace) qu'y dépose régulièrement le professeur P.-A. Deproost () et des notes de cursive (César, BG, V) destinées aux étudiants de première candidature en langues et littératures classiques. Celles-ci seront bientôt complétées par des batteries d'exercices. La caractéristique de ces premières réalisations est de privilégier une pédagogie interactive. Des moyens sont définis (un forum de discussion et une agora des étudiants pour le cours d'auteurs, des formulaires électroniques pour créer des exercices à communiquer à l'enseignant pour la lecture de César) afin que les étudiants soient véritablement appelés à devenir acteurs de leur formation. Les travaux de qualité venus par ces différents canaux pourront à leur tour être publiés sur le réseau.

D'autres réalisations (exercices sur la scansion ou sur la prononciation de la langue latine) sont en préparation. La plus immédiate est – en matière de formation continuée – l'apparition d'une version électronique partielle de ce bulletin d'informations. Un prototype, Latinter - version électronique, a déjà été réalisé à partir du dernier numéro de 1999 () : y sont fournis la table des matières et un des articles qu'elle comprend. L'opération sera répétée pour la présente livraison dont seront extraites deux contributions. Par ailleurs, grâce à l'amabilité de Christiane Buisseret et de l'abbé Jean-Marie Rogier, la même page Web permet, d'avoir accès à la transcription informatique de la plaquette Zéphyr rédigée l'an dernier par le groupe de Maredsous.

Le deuxième volet des Itinera Electronica, celui que partagent agrégation et enseignement secondaire, a généreusement profité de l'ouverture des "Ateliers AgoraClass" animés par Jean Schumacher. Sous la houlette d'un mentor dont le dynamisme égale l'inventivité, ceux-ci ont initié (pendant deux jours et demi) deux équipes de professeurs (les groupes Ulysse et Achille) aux arcanes de l'Internet à partir d'un travail concret et immédiat opéré sur des textes latins. L'objectif n'était pas ici d'approcher les NTIC sous un angle purement technique, lors de présentations fractionnées dans le temps, mais de fournir aux participants une formation continuée au plein sens du terme.

En effet, chacun d'eux a été amené à construire un parcours pédagogique électronique autour d'une thématique qui lui était propre (l'incendie de Rome, religion et superstition, métamorphoses, l'amitié… : plus d'une quinzaine sont actuellement en cours de développement) (). Quand les premières bases de ces réalisation eurent été jetées dans les locaux de l'UCL, tous reçurent un code d'accès les autorisant à poursuivre le travail de chez eux ou de leur école, le courrier électronique servant de relais pour lever les difficultés techniques surgies çà et là. Des collègues "plus mordus" que d'autres ont même obtenu de pouvoir bénéficier de séances individuelles où ils vinrent approfondir leurs connaissances ou enrichir le dossier qu'ils construisent. L'université fournit donc le cadre et les ressources humaines permettant aux professeurs du secondaire de réaliser leurs propres productions dans un environnement adéquat et dans une climat convivial. D'un point de vue éthique, celles-ci restent bien évidemment la propriété intellectuelle de leurs concepteurs (dont l'identité et l'établissement où ils enseignent sont signalés dans une fiche signalétique).

L'institution universitaire assure également le suivi de la formation : il est ainsi prévu que les deux groupes de formation se rencontrent avant le mois de juin pour comparer leurs expériences respectives. Ils seront encore réunis au cours du premier trimestre de la prochaine année académique pour découvrir les dernières technologies apparues sur le marché. Ajoutons qu'un professeur peut, sur simple demande, venir pendant une matinée ou un après-midi à Louvain-la-Neuve pour s'initier à l'éventail des possibilités offertes par Internet sous la guidance éclairée de Jean Schumacher ().

Ajoutons, pour être plus précis, que tous ces parcours électroniques construits par des collègues du secondaire se déploient autour d'un scénario nourri par une base textuelle (pouvant contenir jusqu'à une dizaines d'extraits latins) qu'équipent documentation, analyses (morphologiques, linguistiques, syntaxiques) et exercices. Ceux-ci sont actuellement de deux types : entraînement (destinés à faciliter l'acquisition des mécanismes fondamentaux de la langue) et spécifiques (construits autour de matériaux empruntés aux parcours étudiés). S'y ajoutent des possibilités de travailler la version en mode électronique : cet instrument connaît actuellement une refonte complète et devrait prochainement offrir, dans un contexte totalement repensé, un schéma de fonctionnement profondément remodelé sur le travail effectif d'un élève confronté au texte latin.

Quelle que soit la voie suivie, le professeur fournit toujours un modèle que les élèves peuvent être incités à reproduire sur d'autres ensembles textuels. Ici aussi la pédagogie interactive a été le souci premier : tous ces travaux une fois terminés peuvent être envoyés par courrier à l'électronique à l'enseignant auxquels ils sont destinés. Les réalisations ayant atteint un niveau jugé suffisant pourront également être injectées à différentes étapes du parcours entrepris.

 

Précis grammatical

La panoplie des outils que proposent les Itinera Electronica ne s'arrête pourtant pas là : ceux-ci offrent encore la possibilité de vérifier et d'approfondir des faits de langue observés dans les extraits analysés grâce à des outils informatisés embrassant l'ensemble des données textuelles d'une œuvre, sinon la totalité de la production littéraire d'un auteur ancien (). Cette logique a conduit à y intégrer un Précis grammatical (dû à A.-M. Boxus) qui est depuis peu presque totalement disponible (). Une fois terminée, cette importante contribution fournira tous les cadres des morphologies nominale et verbale dans un environnement original : de précieux jeux de couleur permettent en effet de saisir instantanément le processus de formation des différents paradigmes mieux que dans un manuel jouant uniquement sur de simples astuces typographiques. Depuis peu, sont également disponibles un premier état de la syntaxe des cas, des phrases simples et des propositions subordonnées. Ici encore, les possibilités qu'offrent l'informatique permettent de visualiser rapidement les caractéristiques précises d'une structure donnée. Avec le répertoire de vocabulaire, ce Précis accompagne l'utilisateur tout au long de ses déplacements au travers des Itinera Electronica.

 

Applications pédagogiques

Reste qu'une question demeure pour qui aura appris à manipuler correctement tous ces instruments : comment les utiliser à bon escient dans des situations pédagogiques clairement définies ? On ne niera évidemment pas l'utilité d'une recherche d'information correctement menée sur la Toile, du courrier électronique ou de la capacité de construire des pages Web. Mais – et on ne l'oubliera jamais – l'évaluation certificative des élèves se fera toujours sur base de leurs connaissances des langues latine ou grecque. Il ne saurait être question de cautionner une réussite par la seule aptitude à manipuler correctement l'outil informatique, mais bien par la capacité à traduire et exploiter au mieux des textes latins ou grecs. Dans cette perspective, l'informatique n'est qu'un moyen supplémentaire, certes performant et attrayant, pour amener les jeunes aux niveaux de maîtrise auxquels ils sont attendus dans les différents cycles de l'enseignement secondaire.

Pour répondre plus précisément à la question initiale, on dira que tout ou presque reste à faire pour définir des applications pédagogiques précises où sont impliquées les NTIC. Dès lors, chacun doit se sentir libre d'innover comme il l'entend : en utilisant ou non les ouvertures que proposent les Itinera Electronica, en descendant tous les embranchements d'un parcours ou en n'en cernant que certains aspects. Mais, quel que soit le choix retenu, il nous semble pourtant qu'un critère ne peut être négligé : le recours à l'interactivité. On aura sûrement remarqué qu'il en a été plus d'une fois question dans ces lignes. C'est, à notre sens, le meilleur apport des multimédia à la formation des jeunes d'aujourd'hui : par les moyens que distillent ces bouquets électroniques, ceux-ci peuvent désormais participer directement, et au rythme de chacun, à la découverte comme à l'intégration d'une matière inédite. Le professeur n'est plus celui qui la dispense du haut de son estrade et de son savoir. Il devient celui qui accompagne les élèves dans toutes les étapes de ce processus sans cesse renouvelé, celui qui est à leurs côtés pour proposer les stratégies adéquates, déjouer une difficulté ou apprendre à apprécier la qualité d'une information.

 

Le monde change et les jeunes avec lui : il est donc logique et naturel que ces mutations touchent aussi l'enseignement (y compris celui des langues anciennes), non pour l'appauvrir (comme on le croit trop souvent) mais pour l'adapter aux exigences de la société dans laquelle il s'inscrit tout en contribuant à lui faire mieux connaître le passé dont elle est tributaire.