Parodos_Au fil du texte

Première partie

 

vv.40-59

μέγαν Ἄρη: littéralement: criant un grand Arès, c'est-à-dire criant très fort "Arès". L'image tout entière est inspirée d'Homère: cf. Il., XVI, 428 sqq: ὥς τ' αἰγυπιοὶ ... μεγάλα κλάζοντε et Od., XVI, 216 sqq.· κλαῖον δὲ λιγέως ἁδινώτερον, ἤ τ' οἰωνοί, φῆναι ἢ αἰγυπιοὶ γαμψώνυχες, οἷσί τε τέκνα ἀγρόται ἑξείλοντο πάρος πετεηνὰ γενέσθαι (Ils pleuraient et leurs cris étaient plus déchirants que celui des orfraies, des vautours bien en griffes, auxquels des paysans ont ravi leurs petits avant le premier vol).

ἐκπατίοις: de ἐκπάτιος -ος -ον, qui sort des routes frayées, hapax forgé à partir de ἐκπατέω, sortir de la route frayée. Comme l'adjectif se rapporte à ἄλγεσι, on peut lui faire signifier "extraordinaire, énorme (douleur)". Mais on peut également supposer qu'Eschyle, par un jeu de mots qu'il affectionne, accorde l'épithète grammaticalement à ἄλγεσι alors que selon le sens,  elle se rapporterait (1) soit à λεχέων, signifiant dans ce cas "situé dans des régions écartées, désertiques" (2) soit à παίδων, signifiant dès lors que les petits se trouvent à l'écart, loin de leur emplacement naturel.

Ἀπόλλων Πὰν ἢ Zεὺς: dans cette invocation des trois dieux appelés au secours des vautours, la présence de Zeus est normale, puisque celui-ci est régulièrement associée aux aigles et autres oiseaux de proie. Celle de Pan est attendue, en tant que dieu des montagnes et des forêts. En revanche, celle d'Apollon est moins évidente: peut-être le dieu-soleil qui voit tout peut-il apparaître ici comme justicier?

μετοίκων: le métèque est à Athènes l'étranger domicilié, qui participe à la vie économique de la cité, est admis aux célébrations des fêtes religieuses, mais qui ne dispose pas du droit de cité. Sur le plan juridique, il est représenté par un proxène, choisi parmi les citoyens athéniens. L'expression est ici métaphorique: les régions du ciel appartiennent aux dieux, qui y sont les citoyens, tandis que les oiseaux n'y sont que des étrangers domiciliés.

Ἐρινύν: les Erinyes, dont le nombre varie selon les auteurs, sont filles de la Nuit et relèvent par conséquent des temps antérieurs au règne de Zeus. Elles sont chargées de la vengeance du sang versé (en particulier dans le cadre de la famille, le γένος). La forme au singulier apparaît plus proche de l'allégorie. Le terme peut aussi par métaphore désigner tout vengeur ou vengeresse.

 

vv.60-71

γυναικὸς: Hélène, qui n'est pas nommée, a eu plusieurs époux, dont Ménélas, Pâris et Thésée.

τὸ πεπρωμένον: le destin est en marche comme un fil qui se déroule. En l'occurrence, les conséquences de la guerre de Troie sont inéluctables: si l'expédition a éveillé la colère d'une divinité, celle-ci ne s'arrêtera qu'après avoir frappé celui qui l'a provoquée. Une fois de plus s'énonce une angoisse devant un avenir désormais proche.

 

vv.72-82

τρίποδας: l'homme à trois pieds renvoie immanquablement à l'énigme de la Sphinge résolue par Oedipe.

ὄναρ: la comparaison de l'homme avec un songe peut être rapprochée du célèbre vers de Pindare, dont la vision théologique se rapproche à maints égards de celle d'Eschyle: σκιᾶς ὄναρ ἄνθρωπος (Py., VIII, 99).

 

vv.83-96

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vv.97-103

ἐλπίς: l'espoir n'est pas nécessairement connoté positivement chez les Grecs, comme il l'est dans la tradition chrétienne qui en a fait une vertu théologale, l'Espérance. Il est essentiellement ambigu: il peut être positif quand il aide l'homme à agir et à se projeter dans le futur, même si la mort l'y attend (Eschyle, Pro., 250: τυφλὰς ἐν αὐτοῖς ἐλπίδας κατῴκισα); il est négatif lorsqu'il permet de fuir la réalité présente (Hésiode, Op., 498-500) et qu'il refuse une analyse lucide du destin (Thuc., V, 103).

 

Deuxième partie

 

Strophe : vv. 104-121

σύμφυτος αἰών: le scoliaste comprend:  ὁ γὰρ σύμφυτός αἰὼν ὅ εστι τὸ γῆρας καταπνείει , c'est-à-dire "le temps qui grandit avec moi", en d'autres termes ma vieillesse m'insuffle la persuasion et la force de chanter. Eschyle en effet aime rappeler que le temps vit comme l'homme: il emploie ainsi l'expression: ἐκδιδάσκει πάνθ' ὁ γηράσκων χρόνος  (Pro., 981). Par ailleurs, le temps de vie  αἰών s'oppose souvent au temps absolu χρόνος.

αἴλινος -ος -ον: signifie "plaintif" et désigne ici une lamentation, ce qui apparaît contradictoire par rapport à la formule  τὸ δ'εὖ νικάτω, qui termine la strophe. Le mot serait une transcription grecque du mot sémitique ai lenu "Malheur à moi" et aurait désigné un cri poussé sur la côte phénicienne.

 

Antistrophe: vv. 122-139

ἄγα: équivalent dorien de ἄγη, mot rare renseigné par les Etymologica comme synonyme de  βασκανία, fascination, ensorcellement; envie, jalousie.

πτανοῖσι κυσί: l'expression désigne de façon imagée le griffon, animal fabuleux, doté d'un corps de lion, de le tête et des ailes de l'aigle, des oreilles du cheval et d'une crête de nageoires de poisson. Par ailleurs, les chiens étaient les gardiens de Zeus et étaient souvent représentés à l'entrée des palais royaux, tel celui du roi Alkinoos de Phéacie (Od., VII, 84-93).

 

Epode: vv. 140-159

Παιᾶνα: Apollon Péan est invoqué ici parce que Calchas est son prêtre et par conséquent  son protégé.

μόρσιμα: le mot est choisi avec soin en raison de son ambiguïté apparente, puisqu'il semble désigner simplement les faits du destin. En réalité, il est souvent connoté péjorativement, comme dans l'expression μόρσιμον ἦμαρ et comme semble l'indiquer l'adjonction de σὺν μεγάλοις ἀγαθοῖς. Il est donc vraisemblable que son emploi ici est loin d'être neutre, son caractère sinistre étant toutefois exprimé, mais de façon édulcorée et sans avoir l'air d'y toucher.

 

Troisième partie

 

Strophe 1: vv.160-167

ὅστις ποτ'ἐστι: formule rituelle pour indiquer que tous les noms donnés à la divinité se réfèrent à une même personne, dont la volonté et la personnalité ne sont pas connues au delà des apparences: cf. Platon, Cratyle, 400e:  ὥσπερ ἐν εὐχαῖς νόμος ἐστὶν ἡμῖν εὔχεσθαι, οἵτινές τε καὶ ὁπόθεν χαίρουσι ὀνομαζόμενοι ταῦτα καὶ ἡμᾶς αὐτοὺς καλεῖν, ὡς ἄλλο μηδὲν εἰδότας (comme l'exige chez nous la manière d'adresser des prières, il nous faut appeler les dieux comme ils se plaisent et de la façon dont ils se plaisent à être nommés, car nous ne savons rien d'autre). Certains commentateurs prêtent à Eschyle une pensée plus élevée en lui faisant signifier qu'il y a une seule divinité supérieure, Zeus, quel que soit le nom qui est utilisé.

 

Antistrophe 1: vv.168-175

τριακτῆρος: d'après les Etymologica, l'emploi de ce nom fait allusion au fait que le vainqueur est proclamé tel, après que son adversaire soit tombé trois fois.

ἐπινίκια: les chants de victoire ou les sacrifices organisés aux fêtes célébrant une victoire font allusion ici aux trois générations de dieux qui ont créé in fine le monde ordonné (cosmos): Ouranos, Cronos, Zeus.

 

Strophe 2: vv.176-183

πάθει μάθος: si l'expression et son message peuvent nous sembler superbes et denses, pour le spectateur grec, ils apparaissaient extrêmement banals et renvoyaient à un proverbe fort répandu, dont la morale peut être formulée de la façon suivante: l'expérience - et surtout l'expérience malheureuse - instruit. Tel est à l'évidence le message délivré à deux reprises par Hésiode. Dans Op., 89: ὅτε δὴ κακὸν εἶχε, νόησε, il s'agit d'Epiméthée qui acccueille sans méfiance Pandore et sa jarre de maux et qui apprend ainsi à ses dépens que le cadeau de Zeus est maléfique. Dans Op., 218: παθὼν δέ τε νήπιος ἔγνω, le vers conclut l'apologue de l'épervier et du rossignol illustrant la loi du plus fort. Toutefois, dans ce second texte, Hésiode tient à souligner que la justice l'emporte sur la force de l'hybris et châtie le coupable; c'est ainsi que le sot apprend à ses dépens.

Ce même proverbe conclut, à quelques variantes près, quatre fables d'Esope: fable 183 (Le chien et le boucher) où le chien dérobe un coeur dans la boucherie et parvient à s'enfuir avec son larcin): ὁ μῦθος δηλοῖ ὅτι πολλάκις τὰ παθήματα τοῖς ἀνθρώποις μαθήματα γίνονται; fable 209 (Le lion, l'âne et le renard), où l'âne ayant fait trois parts égales d'un gibier se fait dévorer par le lion, ce qui amène le renard à réserver au lion la part la plus grasse: ὁ λόγος δηλοῖ ὅτι σωφρονισμὸς γίνεται τοῖς ἀνθρώποις τὰ τῶν πέλας δυστυχήματα; fable 311 (Le berger et la mer), où le berger souhaite devenir commerçant et perd toute sa cargaison de dattes:  ὁ μῦθος δηλοῖ ὅτι τὰ παθήματα τοῖς ἀνθρώποις μαθήματα γίνεται; fable 335 (La cigale et le renard), où la cigale ne descend pas de son arbre et offre un leurre qui détourne d'elle le renard: ὅτο τοὺς φρονίμους τῶν ἀνθρώπων αἱ των πέλας συμφοραὶ σωφρονίζουσι.

On le retrouve également chez Hérodote (I, 207), à propos de Crésus, qui l'utilise en s'adressant à Cyrus, dont il est devenu le prisonnier: τὰ δέ μοι παθήματα ἐόντα ἀχάριτα μαθήματα γέγονε.

Enfin, il apparaît dans d'autres tragédies d'Eschyle, quoique formulé différemment: Pro., 981-982: Ἀλλ'ἐκδιδάσκει πάνθ'ὁ γηράσκων χρόνος./ Καὶ μὴν σύ γ'οὔπω σωφρονεῖν ἐπίστασαι et Eu., 520: ξυμφέρει/ σωφρονεῖν ἐπίστασαι 

πρὸ καρδίας: Eschyle a l'habitude de faire éprouver les sentiments devant le coeur ou près du coeur, en tout cas dans la région cardiaque. Cf. Eu., 103-105, où il explique que pendant le sommeil l'homme voit à travers le coeur tandis que pendant la journée, il voit avec les yeux. On peut toutefois faire désigner par l'expression πρὸ καρδίας le diaphragme appelé φρένες, le diaphragme étant ce muscle très large et mince qui sépare la poitrine de l'abdomen et dont la contraction provoque l'augmentation du volume de la cage thoracique et, par suite, l'inspiration. On peut également songer aux poumons, désignés eux aussi par le substantif φρένες.

σωφρονεῖν: ce verbe répond au φρονεῖν du v.176 et désigne comme lui le fait d'être sage (doté de sagesse), ce qui pour Eschyle (et d'autres) revient à comprendre sa dépendance à l'égard des dieux: cf. γνῶθι σεαυτόν. Cette attitude sage est liée au bon fonctionnement d'un organe physique, ce que ne renierait pas la science cognitive dans son étude du fonctionnement du cerveau, à cette différence près que chez les Grecs le siège de la sagesse est installé dans les φρένες. C'est pourquoi Eschyle peut opposer l'ὕβρις à la bonne santé des φρένες et l'associer à une maladie des φρένες, comme le montrent ces deux extraits de son oeuvre:

Eu., 532-537: δυσσεβίας μὲν ὕβρις τέκος ὡς ἐτύμως, ἐκ δ'ὑγιείας φρενῶν ὁ πάμφιλος καὶ πολύευκτος ὄλβος.

Pe., 749-751: θνητὸς ὢν θεῶν τε πάντων ᾤετ' οὐκ εὐβουλίᾳ/ καὶ Ποσειδῶνος κρατήσειν· πῶς τάδ'οὐ νόσος φρενῶν/ εἶχε παῖδ' ἐμόν.

χάρις βίαιος: l'idée que les dieux imposent la sagesse par la violence est également une idée largement répandue. Cf. par exemple Sénèque, Dialog. 7, 15, 5 sqq.: Habebit illud in animo uetus praeceptum: deum sequere! Quisquis autem queritur et plorat et gemit imperata facere ui cogitur et inuitus rapitur ad iussa nihilominus

 

Antistrophe 2: vv.184-191

Αὐλίδος: des courants puissants, dont la direction peut changer brutalement, rendent la navigation délicate dans l'Euripe, détroit qui sépare Aulis de Chalcis en Eubée. C'est la raison pour laquelle certains éditeurs ont corrigé l'hapax παλλίρροχθος en l'hapax παλίρροθος, de ῥόθος, bruit des choses qui se heurtent, lui conférant le sens de "battu par le flux et le reflux".

 

Strophe 3:  vv.192-204

Στρυμόνος: le Strymon est un vent venu de Thrace, comme le Borée, vent du NNE. Ce dernier, ayant soufflé à Artemision, lors de la fameuse bataille de 480, avait endommagé la flotte perse. Peut-être le public d'Eschyle était-il sensible à ce point commun entre l'expédition d'Agamemnon et celle de Xerxès...

ἐπικρούσαντας: c'est un geste de détresse que l'on trouve déjà chez Homère: ainsi, Achille fait le même geste lorsqu'Agamemnon lui enlève sa captive (Il., I, 245).

 

Antistrophe 3: vv.205-217

ὀργᾷ περιόργως: bel exemple de tautologie qui a rebuté bien des commentateurs. Cependant le fait est attesté ailleurs: cf. Pro., 944: πικρῶς ὑπέρπικρον et Euripide, Or., 811: πάλαι παλαιᾶς ἀπὸ συμφορᾶς.

εὖ γὰρ εἴη: formule rituelle pour terminer une prière, le γάρ étant explicité de la façon que voici: nam, quoniam euitari non potest, optandum ut bene uertat. Cette prière d'Agamemnon le place, selon notre conception occidentale du tragique, dans la situation tragique par excellence, celle où le héros est le jouet d'un destin implacable: quoi qu'il fasse, sa décision lui est fatale, parce qu'il ne maîtrise pas les enjeux et qu'il joue avec des cartes truquées.

 

Strophe 4: vv.218-227

ἀρωγὰν καὶ προτέλεια: ces apposés de θυτὴρ γενέσθαι, qui apparaissent une deuxième fois dans le texte, insistent sur ce sacrifice préliminaire: cette fois, il est identifié puisqu'il s'agit de l'immolation d'Iphigénie. Mais on peut se demander par rapport à quoi il est préliminaire: la réponse suggérée mais non formulée est: préliminaire par rapport au meurtre d'Agamemnon.

 

Antistrophe 4: vv.228-237

δίκαν χιμαίρας: on est loin de l'Iphigénie d'Euripide qui se sacrifie librement pour le salut de la Grèce. La jeune fille chez Eschyle n'est pas consentante, elle est victime d'une violence inouïe, exprimée par la manière dont elle est traitée, comme un animal, et par la résistance qu'elle oppose à ses bourreaux.

 

Strophe 5: vv.238-247

τριτόσπονδον: la troisième libation, de vin pur, était versée en l'honneur de Zeus Σωτήρ. Après le repas, lorsque les plats de nourriture avaient été enlevés et avant qu'on se mette à boire, la coutume voulait que l'on offre des libations à trois dieux et qu'on entonne le péan conduit par le maître de céans. En revanche, il n'était pas imaginable dans l'Athènes classique qu'une jeune fille apparaisse lors de festins qui étaient destinés aux hommes uniquement. La situation évoquée ici renverrait par conséquent à une époque antérieure où la femme était (relativement) plus libre.

 

Antistrophe 5: vv.248-257

Ἀπίας: la terre d'Apis désigne en fait le Péloponnèse, Apis étant un roi légendaire d'Argos, fils d'Apollon guérisseur et pourfendeur de monstres (cf. Su., 262).