Publié dans: LATINTER, 8ième année - n. 2 - Juillet 1999

Langues et littératures anciennes, environnements informatiques et nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC): des défis à relever, des engagements à prendre.


A la date du 12 juin 1999 - jour de la rédaction du présent éditorial - 63 Centres Cyber-Médias (sur 435) étaient opérationnels et en service. Par Centre Cyber-Médias (CCM) on entend un environnement informatique et didactique situé dans un établissement d'enseignement secondaire en Wallonie. Le projet qui sous-tend ces CCM a pour objectif d'équiper en moyens informatiques toutes les écoles des enseignements secondaire et primaire de Wallonie et de la région de langue allemande.

Dans le monde universitaire et, en particulier, à l'Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve (UCL), des salles didactiques informatiques existent depuis le début des années 1990. Les postes de travail - des PC ou des Macintosh, en règle générale, - sont reliés en permanence à l'infrastructure des réseaux de communication (INTERNET). A l'heure actuelle ces salles sont devenues un "must" incontournable, en particulier au travers de la pratique du courrier électronique et de la recherche sur la Toile (ou Web).

Travaux dirigés en relation avec des enseignements, travaux personnels de type bureautique ainsi que la pratique des outils INTERNET (navigation et recherches Web, téléchargements et courrier électronique) sont les principaux vecteurs du recours à ces équipements informatiques. Il est prévu que, bientôt, les étudiants disposent même d'une prise de raccordement aux réseaux dans leurs kots.

Que ce soit à l'Université ou dans les écoles de nombreux défis ont été ou sont à affronter. Ces défis conditionnent le succès - ou l'insuccès - de l'intégration des NTIC dans les milieux de l'enseignement. Citons le soutien technique nécessaire pour le bon fonctionnement du matériel installé, les ressources financières indispensables à la mise à niveau des matériels et des logiciels - le prix utilisateur final de la suite bureautique MS Office 2000, qui vient de paraître, pourrait approcher les 40.000 FB pour une licence pleine -, la formation continue et personnalisée des enseignants, l'évolution du rôle même de l'enseignant invité à se muer en intermédiaire et guide efficace ("facilitator") vis-à-vis de ses étudiants, l'initiation des étudiants au recours et à la critique de ces outils informatisés.

Les débats autour de cette arrivée massive d'ordinateurs dans les milieux d'enseignement font déjà rage dans l'univers de la francophonie. Relevons seulement le site Web de l'INFOBOURG au Québec consacré au monde de l'éducation dont l'une des dernières contributions en la matière est la diffusion en ligne d'un débat qui s'est tenu le premier avril 1999 autour des trois questions suivantes: A quoi peuvent bien servir les ordinateurs à l'école? Les ordinateurs sont-ils bien utilisés à l'école? Comment assurer le succès de l'intégration des NTIC comme outils pédagogiques. Une des conclusions mises en avant indique que le milieu enseignant en est encore au stade de l'informatique de consommation et que l'informatique de production (de contenus pédagogiques) est encore à venir.

L'avance qu'a pris le monde universitaire dans la mise en place de salles didactiques lui a permis de donner des premières réponses à certains de ces défis, surtout ceux liés aux contenants: un informaticien gestionnaire par pool de salles, des moyens financiers pour la maintenance des équipements et logiciels, des plans d'amortissement et de renouvellement, des politiques concertées d'acquisitions de logiciels, etc.

Ces dispositions sont absolument nécessaires si l'on veut éviter de se retrouver, par exemple, dans la situation décrite par le magazine TIME dans un article daté du 19 avril 1999 ("Classrooms for sale") qui voit des écoles américaines en butte avec des difficultés insurmontables pour respecter les quotas annuels à écouler en boissons gazeuses auxquels elles ont souscrit auprès d'une firme en échange de subsides financiers destinés à l'informatique. D'autres "perversions" possibles sont citées par Todd OPENHEIMER dans un article The Computer delusion, publié en 1997 (déjà) dans The Atlantic Monthly : dotations pour l'enseignement détournées pour l'acquisition d'ordinateurs, programmes culturels supprimés pour permettre l'engagement d'un informaticien de support, laboratoires transformés en salles didactiques, crédits d'achats de livres rognés ou même supprimés, etc.

Les contenus posent un autre défi, celui du sens à donner à ces classes électroniques. Défi que veut rencontrer, par exemple, un projet qui a vu le jour à l'UCL en fin de l'année dernière. Plusieurs professeurs de langues et littératures classiques se sont engagés dans l'élaboration de parcours pédagogiques informatisés venant en appui de leurs enseignements. Ces parcours - les ITINERA ELECTRONICA - font partie de l'entreprise AgoraCLASS qui est décrite en pages intérieures du présent fascicule.

Les caractéristiques principales de ce projet sont le public visé (étudiants de l'Université, étudiants du secondaire, enseignement à distance), les contenus offerts (extraits d'auteurs, analyses linguistiques, lexiques et thesaurus en appui, exercices, traductions, commentaires et prolongements), la méthodologie pédagogique suivie (auto-évaluation et synthèses sous forme de représentations graphiques), la méthodologie technique (bases de données, formulaires de requêtes, affichages dynamiques et, comme support principal, la Toile - ce qui assure l'indépendance des parcours par rapport aux plates-formes utilisées (PC, Mac ou autres équipements) -, les (nouvelles) technologies mises en œuvre: outils lexicographiques informatisés (listes du vocabulaire, indices, concordances), moyens de communication (courrier électronique et forum de discussion), approches multimédias (lecture des textes, séquences vidéo et, à terme, la visioconférence), l'information et l'initiation des étudiants en particulier (site Web spécifique et portefeuille INTERNET conçu comme un vade-mecum; un forum de discussion propre - AgoraJUNIOR - est envisagé également).

L'information et la formation de base des enseignants ne sont pas oubliées: les ateliers d'AgoraCLASS réuniront pendant l'année académique/scolaire prochaine, autour des promoteurs et des concepteurs des ITINERA ELECTRONICA, des enseignants désireux de participer à l'élaboration de contenus si pas de parcours informatisés à verser dans la banque de données accessible via la Toile.

L'engagement pris a comme objectif de rendre possible l'intégration des nouvelles technologies dans les disciplines pratiquées - les professeurs de langues germaniques ont initié un projet semblable - via l'information et la formation des uns et des autres, via l'échange d'informations entre apprenants et enseignants. Une passerelle sera ainsi jetée entre les différents milieux et possibilités d'enseignement, en l'occurrence ici celui des langues anciennes. Un renouveau pourrait en être le résultat. Renouveau qui serait de nature à apporter une réponse appropriée aux questions citées ci-dessus relatives à l'utilité de l'informatisation des milieux d'enseignement. Le débat qui s'est déroulé au Canada a vu des enseignants qualifier cette informatisation systématique et à grande échelle d'"opération démentielle à tous égards". Le propos d'entreprises du type de celle d'AgoraCLASS et des ITINERA ELECTRONICA est d'y apporter un démenti sous forme de contenus disponibles ouvertement et largement en prenant appui sur les différentes facettes d'interaction qu'offrent les nouvelles technologies d'information et de communication.

Jean Schumacher

philologue classique et responsable informatique de la Faculté de Philosophie et Lettres (UCL)

Mons, le 12 juin 1999