Notice : 1. Fiches de lecture :
- Adresse du site : Lectures (site arrêté à la date du 18 mai 2006)
- Base de données : Fiches (depuis le 19 mai 2006)
- Ajouts : consultation des ==> Nouveautés <==
Les Nouveautés concernent :
- ==> GREC :
- PLUTARQUE, Vie de Pyrrhus et Vie de Camille
Nouvelles étincelles glanées :
- Fabricius à Pyrrhus : Hier votre or ne m'a point ému, et votre éléphant ne m'émeut pas davantage aujourd'hui
- Pyrrhus contre les Romains : une victoire à la Pyrrhus
- Plutarque à propos de l'attitude à avoir vis-à-vis des prodiges
- A Rome, il n'était pas d'usage, avant Camille (Ve s. av. J-Chr.), de faire l'éloge d'une femme à ses funérailles
- Les Vestales, gardiennes du feu perpétuel
- Les oies du Capitole à Rome
- Brennus, le Gaulois, à Sulpicius, le Romain : Malheur aux vaincus !
2. HODOI ELEKTRONIKAI : nouveaux environnements hypertextes :
Juste avant de partir en vacances, Christian RUELL a pu traiter un reliquat de textes préparés et ainsi constituer 3 nouveaux environnements hypertextes :
- Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des Philosophes illustres, Préface [texte et traduction française repris au site de Philippe Remacle]
- Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des Philosophes illustres, Livre I [texte et traduction française repris au site de Philippe Remacle]
- Denys d'Halicarnasse, Les Antiquités romaines, Livre XV [fragments] - traduction anglaise reprise au site LACUS CURTIUS de Bill Thayer
Les textes bruts de ces oeuvres sont disponibles dans le Dépôt HODOI ELEKTRONIKAI.
3. Lecture : Achille et Priam :
Livre : Charles FICAT, La colère d'Achille,
Paris, Bartillat, aoüt 2006, 175 pages
Extrait : pp. 133-139 :
"...Je m'étonne d'avoir toujours su garder
sang-froid et tempérance dans les situations
les plus aiguës. Je ne tue pas Agamemnon
lorsqu'il me vole Briséis, ma plus belle
conquête. La sagesse retient mon bras. Je ne
tue pas Priam lorsqu'il me réclame le corps
de son fils. Avec audace, il franchit les portes
du camp grec. Son courage me touche.
Jamais il n'a craint que je ne le frappe au
visage. Ses paroles sur mon père m'ont ému
au plus profond. Je respecte la vigueur du
patriarche de Troie. Il règne avec majesté et
porte dignement le poids de ses ans. Il me
retourne et me chavire. Il connaît tous les
recoins de sa région. Quel chef grec en sait
autant sur ses propres terres ? Les profiteurs
sont enfermés dans leurs palais. Pas un ne
conduit un char. Ils se retrouvent, font bombance
et se complaisent du sang versé par les
Grecs. Lorsque Priam réveille le souvenir de
mon père, Pélée vieil homme accablé de maux
et de souffrances, qui sut séduire une déesse,
je frémis de tout mon être. Les sanglots
fondent sur mon visage. Je frissonne. Offrant
ses mains à mes genoux, il évoque Hector
avec superbe. Jamais la vieillesse ne m'est
apparue si respectable, si pure. Priam reflète
la grâce des dieux qui ont l'éternité. Il a vu
nombre de ses fils jetés dans la mort par mon
bras, à commencer par le premier d'entre
eux, l'étincelant Hector.
Ce dernier ne fut qu'un bon fils. Il servit
sa patrie sans génie. Il eut raison tout le
temps. Il pensait qu'en combattant bien, il
se maintiendrait. C'était sans croiser sur sa
route Achille aux pieds rapides. Le meilleur
des Troyens a aussi fini la tête dans la poussière
sous le regard affligé des siens : femme,
fils et père. Hector avait toutes les qualités,
sauf l'aura d'un dieu. Comme tous les fils de
roi. Il devait crever comme un chien.
Les pleurs de son père sont contagieux.
Son deuil réveille le mien : Patrocle, mon
doux ami, te voilà parti loin. Nous nous
retrouverons dans le sommeil éternel des
Enfers. Devant Priam, je prends la mesure
du temps.
Moi aussi, je suis père. Où es-tu Néoptolème,
fils solaire ? Vis-tu encore ? La distance
nous sépare. Je t'ai à peine connu. Tu es un
garçon maintenant. Neuf ans de guerre,
l'éloignement, les jours heureux à Skyros, ces
souvenirs étouffent mon coeur. La peine qui
m'étreint se fait trop vive. Le ressouvenir
d'une mémoire enfuie est aussi cruel que
la mort. Il faut encore lutter, batailler jusqu'au
dernier souffle. Les paroles ailées de
Priam m'émeuvent : je lui accorde toutes ses
doléances parce qu'il n'est pas le roi de la
puissante Troie pour rien. Jamais le mot de
noblesse n'a mieux convenu. Il fallut que ce
soit le prince de la sainte Ilion.
Je ne me remettrai pas de cette entrevue,
parce que le retour m'est interdit par les
dieux, parce que ni mon père, ni mon fils, ni
mes bien-aimées ne s'offriront plus jamais
à mes yeux. Priam a bien joui de sa vie. Ses
jours furent lumineux et prospères. Dans les
cruelles épreuves, il sait se montrer digne.
J'ignorais cette beauté de la vieillesse. De la
voix du patriarche s'exhale une profondeur
dont je n'avais pas conscience : qu'un père
supplie l'assassin de son fils de lui rendre
le corps trépassé, tout en rendant hommage
au vainqueur. Je me moque de son offre de
rançon. Ma logique n'est pas celle-là.
Personne ne me rendra Patrocle. Le retour
de Briséis est gâté par le chagrin. Certains
hommes sont des fleurs, d'autres des arbres.
Ma vie ressemble à une rose, au passage
éphémère, au souvenir éternel. Une éclosion
en clin d'oeil. Priam porte sur son visage les
charmes de l'olivier. Les plis des ans n'entament
en rien sa grâce.
Comment oublier cette scène où il
est venu jusqu'aux nefs des Myrmidons ?
Situation où se mêlent tant de perceptions :
beauté, sagesse, chagrin, tenue, la mer,
la voûte étoilée. De ce jour, je considère
autrement la vieillesse. Je ne croyais qu'en la
force, en l'action libératrice. L'épaisseur de
l'expérience m'apparaît. Je respecte l'âge du
vertueux Priam. Dans ses paroles, nul gémissement,
plainte, aigreur, jalousie ou amertume.
Que de vieillards s'enferment dans
la réaction ! Les métamorphoses de l'âme
accompagnent celle du corps. Combien de
vieux chefs grecs ai-je connus, incapables
de compassion ? Ils prétendent défendre leur
patrie, ils ne songent qu'à leur coffre. Ils
prônent la morale et sont rongés par les
vices. Ils appellent chacun au dépassement,
s'accrochent tant qu'ils peuvent à leurs places,
distribuant largesses à leurs amis.
C'est contre eux que j'ai choisi mon
destin. Une vie intense, même brève, vaut
mieux qu'un cruel confort, où l'on ne survit
qu'à force de lâchetés avant que la mort
ne vienne vous saisir. Quitte à affronter le
grand passage, autant être dans la plénitude
de sa force. ..."
4. Lecture : A propos de la notion de barbare :
Livre : François HARTOG, Mémoire d'Ulysse. Récits sur la frontière en Grèce ancienne;
NRF Essais, Paris, Gallimard, 1996, 260 pp.
Extrait : pp. 88-90 :
"... Les seuls « Barbares » répertoriés par Homère sont, si l'on peut
dire, les Cariens, qualifiés de «barbarophones». Le terme a
retenu l'attention de Strabon, des scholiastes, puis des modernes.
Ces Cariens « barbarophones » sont-ils des Barbares, qui parlent
donc une langue barbare, ou bien ont-ils simplement un « parler
barbare » ? Est barbare, selon l'étymologie du mot (avec la répétition
de la séquence barbar, en forme d'onomatopée), celui qui a
des difficultés d'élocution, de prononciation, qui bégaie, qui a un
parler rocailleux. Le qualificatif n'est certes pas un compliment,
mais les Cariens, s'ils « parlent barbare », ne sont pas des Barbares.
Ils n'ont pas une « nature » barbare.
Sans Grec pas de Barbare, mais aussi sans Barbare pas de Grec,
énonce Thucydide, comme un postulat logique. Il y eut pourtant un
temps, celui des débuts, où des Grecs (mais pas les Doriens, descendants
d'Hellen), des futurs Grecs plutôt, relevaient de la mouvance
barbare. A commencer par les Athéniens. Ils appartenaient,
en effet, au peuple des Pélasges. Or, les Pélasges, « conjecture »
Hérodote, étaient « barbares » et parlaient une « langue barbare ».
Si bien que « le peuple athénien dut, en même temps qu'il se transformait
(metabolê) en Grecs, apprendre une langue nouvelle».
Pour Hécatée de Milet, les choses étaient encore plus nettes : le
Péloponnèse et pratiquement toute la Grèce avaient été autrefois
habités par les Barbares. Ainsi la grécité était susceptible de
s'acquérir, au terme d'un apprentissage, du moins en ces époques
des débuts, quand les partages entre les peuples, les espaces et les
coutumes étaient, pour ainsi dire, encore en gestation. Grandes
étaient alors la plasticité et la labilité des cultures. Temps des
emprunts, des migrations et des voyages. Cette version historicisée
des origines athéniennes, peu compatible avec d'autres plus
mythologiques, montre au moins ce qu'on pouvait gagner en
termes d'explication, en faisant appel à ces deux catégories (alors
non encore réifiées) de Grecs et de Barbares. Les deux pouvaient
se concevoir dans la succession : d'abord Barbares, puis Grecs. Le
Péloponnèse offre, de même, un autre exemple de transformation
et d'intervention du facteur temps. Sur les sept peuples habitant le
Péloponnèse, deux, selon Hérodote, sont autochtones : les Arcadiens,
sur lesquels nous reviendrons plus loin, et les Cynuriens. Or,
les Cynuriens présentent une double singularité : ils sont apparemment
les seuls Ioniens autochtones, mais en plus « ils ont été transformés
en Doriens par la domination des Argiens et par le temps».
Mais ces époques semblent être révolues, en particulier la possibilité
des passages de Barbares à Grecs. Les Grecs, devenus grecs,
ont, nous l'avons déjà entrevu, connu de grands accroissements,
alors que les Barbares, demeurés barbares, « ne se sont jamais
considérablement agrandis». Thucydide, lui, tranche rapidement
la question. En se fondant sur plusieurs indices, tels la pratique de
la piraterie et le fait de porter des armes, il conclut que « le monde
grec ancien vivait de manière analogue (homoiotropa) au monde
barbare actuel». Son genre de vie était barbare. Puis les Grecs,
d'abord les Athéniens, sont devenus pleinement grecs, tandis que
les Barbares restaient barbares. Là encore, le temps a séparé, discriminé.
La grécité s'enlève sur fond de « barbarie », comme si
deux temporalités, deux rapports au temps différents, s'étaient à un
moment enclenchés, venant ainsi illustrer le paradigme lévi-straussien
des « sociétés chaudes » et des « sociétés froides ». Les
« Grecs » étaient des Barbares, mais sont devenus des Grecs, les
Barbares étaient des Barbares et le sont demeurés. Ils sont restés
une société « froide », tandis que les Grecs, eux, se « réchauffaient »,
manifestant leur caractère grec par cette capacité à l'« accroissement».
C'est, en tout cas, entre le VIe et le Ve siècle avant J.-C. que
« Barbare », dans le sens de non-Grec, vient former, associé avec
« Grec », un concept antonyme et asymétrique, accouplant un nom
propre Hellenes et une désignation générique Barbaroi. Les
guerres médiques jouèrent assurément le rôle de catalyseur. Le
champ de l'altérité s'est trouvé redistribué et fixé pour longtemps
autour de cette polarité nouvelle. Les Grecs d'un côté, face aux
autres, à tous les autres, réunis par le seul fait de n'être pas Grecs.
Il va de soi que cette classification binaire et fortement asymétrique,
conçue par les Grecs et pour eux, n'est maniable que par
eux et n'est opératoire que pour eux. Mais, avant de devenir ultérieurement
une expression toute faite, où les Romains auront des
difficultés à trouver place, il n'est pas douteux que les guerres
médiques lui donnèrent une signification précise, en dotant l'antonyme
d'un visage : celui du Perse. Le Barbare, c'est avant tout,
plus que tous et pour longtemps le Perse. Et le Barbare par excellence
sera le Grand Roi, incarnation de l'hubris despotique. Tel
Xerxès, qui a cru, en sa déraison, pouvoir jeter des entraves sur
l'Hellespont.
Les guerres contre les Perses vont, en outre, conduire à une territorialisation
du Barbare : avec pour domaine l'Asie, qu'il revendique
ou qu'on dit qu'il revendique comme sienne. [ESCHYLE :] «Deux
femmes bien mises, dit la reine des Perses, Atossa, racontant son
rêve, ont semblé s'offrir à mes yeux, l'une parée de la robe perse,
l'autre vêtue en Dorienne... quoique soeurs du même sang, elles
habitaient deux patries, l'une la Grèce, dont le sort l'avait lotie,
l'autre la terre barbare... Mon fils cherche à les atteler : l'une se
laisse faire, l'autre trépigne et brise le joug en deux. »
Désormais
l'opposition de l'Europe et de l'Asie, figurée par l'image des deux
soeurs ennemies, va se superposer presque exactement à celle du
Grec et du Barbare. Au point que cette nouvelle vision sera projetée
rétroactivement sur la guerre de Troie, en faisant apparaître les
Troyens comme des Asiatiques et des Barbares. ..."
Témoignages :
5. Articles à lire : Rois de l'entre-deux-fleuves :
Jean Schumacher
17 août 2007 |