Notice :
1. Fiches de lecture :
- Adresse du site : Lectures (site arrêté à la date du 18 mai 2006)
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Les Nouveautés concernent :
- ==> LATIN :
- AULU-GELLE, Les Nuits attiques, livre VII et IX
- COLUMELLE, De l'agriculture, livre VII
- PLINE l'ANCIEN, Histoire naturelle, livre X
- ==> GREC :
- HÉLIODORE, Théagène et Chariclée, livre VIII
Nouvelles étincelles glanées :
- Alexandre le Grand et Scipion l'Africain ont une même retenue vis-à-vis de femmes prises à l'ennemi
- A propos des Troglodytes
- A propos des feuilles d'olivier qui se retournent
- Pline l'Ancien et la controverse Rendez-moi ma femme
- A propos du bon berger
- A propos de la stupidité des autruches
- A propos de la mort d'Eschyle
- A propos de l'ingéniosité des pies
- Britannicus et Néron apprennent le grec et le latin à leurs oiseaux
- De l'ingéniosité d'un corbeau pour arriver à boire
2. Lecture : Les structures de la République romaine :
Tiré de : Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome antique. Les armes et les mots.
Paris, Tallandier, 1987, pp. 37-45 :
"Mais d'abord, qu'on définisse la République. Foin de nos
imaginations, qui procèdent en droite ligne des souvenirs
enthousiastes de 1789 ! Il faut restituer le mot, ou plutôt les
mots, dans la généralité — et dans le flou — de leur sens
premier. La res publia, en deux mots, la chose publique,
c'est tout simplement la gestion des affaires qui nous
concernent tous, autrement dit la gestion de l'Etat.
Jusqu'en 509 [avant J.-Chr.], la Res publica était gérée par un monarque
absolu ; elle va maintenant passer aux mains — censément
— du peuple, en fait, entre celles des gentes, autrement dit
des grandes familles, qui s'en répartiront les charges et bien
sûr les profits. En cela consiste très exactement le changement.
On ne voit d'ailleurs pas pourquoi un vent d'égalité
se serait mis à souffler, par une belle nuit du 4 août, sur la
société romaine, effaçant la distance qui déjà s'était
accusée entre le patriciat et la plèbe au point d'inciter les
Tarquins à la réduire par un certain brassage. Les gentes
possédaient de toute façon la plus large part des terres
exploitables, donc de l'agriculture et de l'élevage, et ils
étaient bien décidés à rester entre eux, puisqu'ils prétendaient
même interdire chez leurs enfants toute mésalliance.
C'est donc à cette oligarchie que va revenir tout naturellement
le monopole des magistratures et des sacerdoces dans
le nouveau régime. Cela dit, cette sorte de sénat de rois
devait se prémunir, sinon par une constitution, du moins
par des institutions, contre les tentations toujours à craindre
dans son sein. Dans le coeur de tout homme, il y a,
entre autres choses, un tyran qui sommeille. N'importe qui
peut toujours nourrir l'ambition d'être un jour le seul à
décider de tout. Pour rogner d'avance les ailes des ambitieux,
on mit au point un système où les pouvoirs, répartis
sur plusieurs têtes et attribués à temps, s'équilibreraient
entre eux. Il y aurait donc à la tête de la République deux
magistrats désignés pour un an et chargés de l'exécutif : les
consuls. Par la suite, et sous la pression des circonstances,
le système se compliquera de magistratures annexes,
comme nous allons le voir.
Et d'abord, il fallut compter avec les obscurs, les sans-grade,
qui acceptaient malaisément de se voir évincer des
affaires dans un Etat où ils représentaient une force non
négligeable. La tradition situe en 494 une première dégradation
du climat socio-politique. Frustrés des responsabilités
auxquelles ils se voyaient en droit de prétendre, les
plébéiens décidèrent le schisme, autrement dit se retirèrent
sur l'Aventin, en banlieue — d'où l'expression qui sert
encore aujourd'hui. Les patriciens voulaient la séparation ?
— Qu'à cela ne tienne : la plèbe leur imposait la sécession
pure et simple, ce qui avait à terme des conséquences si
graves qu'il fallut bien céder et reconnaître à la plèbe
quelques droits.
Peut-être est-ce en effet de cette crise
— car il y en eut plus d'une — que sortirent d'abord deux,
puis quatre, puis dix magistrats d'un type nouveau : les
tribuns de la plèbe. Protégés par un statut exceptionnel de
nature religieuse, qui les faisait intouchables—ce qui était,
nous allons le voir, une bonne précaution —, ils avaient
pour mission de défendre les intérêts de la plèbe. Cette
puissance tribunicienne mandatait ces plébéiens pour protéger
et défendre tout autre plébéien contre les exactions
éventuelles des instances supérieures. La charge comportait
le droit de veto, qu'on leur reconnaissait sur les
délibérations et les décisions des magistrats et des assemblées.
Cela même leur conférait une efficacité si redoutable
qu'elle justifiait amplement le caractère sacro-saint, inviolable,
dont on les avait revêtus... Mais ainsi se trouvaient
garantis, au moins en principe, les droits — et donc les
fameuses libertés chères au coeur de tout Romain —, des
citoyens les moins favorisés face à l'arbitraire sénatorial ou
consulaire. Les attributions mêmes de ces défenseurs
statutaires du peuple feront d'eux, à l'occasion, les leaders
tout désignés des grands mouvements revendicatifs.
Mais revenons à l'exécutif. Les consuls, avons-nous dit,
sont toujours au nombre de deux : leur autorité est donc
collégiale. Du moins en temps normal, car on avait prévu le
cas où l'urgence d'une situation exigerait, provisoirement,
une unité de direction. C'est alors le dictateur qui exerce,
mais à titre exceptionnel et pour six mois seulement, la
plénitude des pouvoirs. Viscéralement méfiants, comme je
l'ai dit, à l'égard d'un pouvoir personnel, les Romains n'ont
jamais galvaudé une si dangereuse fonction. Encore flanquait-on
le dictateur d'un maître de la cavalerie à titre,
disons, d'auxiliaire, deux précautions valant toujours
mieux qu'une.
Avec le temps, on adjoignit aux consuls, en 447, deux
secrétaires faisant fonction d'administrateurs des finances :
les questeurs. Vinrent aussi les préteurs,
magistrats chargés principalement de faire respecter et appliquer le droit.
D'abord circonscrite à Rome même, leur juridiction s'étendra
par la suite aux territoires occupés, où on les enverra en
mission. Deux censeurs compléteront utilement l'organigramme.
Elus parmi les anciens consuls, il leur revient de
procéder au recensement quinquennal et au classement de
la population, fondé sur l'évaluation des fortunes, ce qui
fait d'eux les recruteurs du Sénat. Admirablement placés
pour tout savoir, ils devaient en même temps garder un oeil
sur les moeurs des uns et des autres. Dans une société si
bien hiérarchisée, où de surcroît tout le monde se connaissait,
il ne devait pas être plaisant de se voir « noter
d'infamie », autrement dit de mauvaise conduite habituelle,
par ces magistrats dont le nom est devenu synonyme
d'inquisiteur. On comprend donc qu'ils aient été couverts
du même statut inviolable que les tribuns de la plèbe...
Toujours est-il que l'ordre moral complétait fort astucieusement
l'ordre civique.
Telles sont en résumé les principales structures de
décision qui prenaient la place de l'absolutisme monarchique,
ce qui donc concrétisait, au moins en intention,
l'aspiration de chaque Romain à ne jamais dépendre de
l'arbitraire d'un seul. Mais ces diverses magistratures ou
fonctions s'exercent nécessairement en symbiose avec les
grandes assemblées, qui en désignent les titulaires.
La première de toutes constitue la fine fleur de la
société : le Sénat, dépositaire sacré et source permanente
de toute autorité. Sa tutelle s'exerce Urbi, et plus tard Urbi
et orbi : sur la Ville (par excellence) et sur le monde
romain. Cette assemblée n'est autre que la réunion des
patriciens, des chefs des grandes gentes, chargés de gérer,
« en bons pères de famille », les destins de Rome. On les
appelle souvent les patres conscripti, les pères « conscrits »,
autrement dit couchés ensemble sur la liste.
D'abord strictement aristocratique, le Sénat accueillera prudemment,
au début du IVe siècle, les premiers plébéiens, qu'on
peut imaginer convenablement rentés. Le recrutement des
membres, dont le nombre évoluera au cours des âges entre
trois cents et mille, est à la discrétion des censeurs, qui en
dressent l'album hiérarchique selon la rigueur, comptable
et morale, qu'implique leur fonction.
Rien ne se fait sans
l'aval du Sénat, qui fonctionne comme Conseil d'Etat :
religion, trésorerie, politique intérieure, diplomatie,
défense du territoire, et plus tard, gouvernement des
provinces. Non que le Sénat dispose à proprement parler
des pouvoirs de décision. Il ne gouverne pas ; il ne légifère
pas, mais entérine les lois. Il ne délivre que des senatus-consultes,
autrement dit des recommandations. Même, il
ne peut se réunir que sur convocation d'un consul ou à
défaut, du préteur. Mais son influence est proportionnelle
au tonnage économique et politique déplacé par ses
membres. C'est au Sénat que se font et se défont les
carrières. Autant dire qu'on ne gouverne pas contre lui.
Les Comices sont des assemblées « du peuple » — en
fait, des gens qui y ont une situation bien assise — qui sont
autant de collèges électoraux. Il faut en distinguer trois. Il y
a d'abord les comices curiates, où l'aristocratie garde la
prépondérance, et dont le rôle est essentiellement religieux.
On serait tenté de dire qu'ils « sacrent » ou « ordonnent »
les magistrats élus par les autres assemblées. De
même ils valident les lois.
Les comices centuriates, qui
figurent en quelque sorte le peuple romain en armes,
rassemblent selon cinq classes, et toujours selon le principe
censitaire, les membres du corps social. Une sous-classe
regroupe les citoyens de moindre notoriété économique :
ouvriers, prolétaires, corps de métiers dépourvus traditionnellement
de tout lustre, bouchers, gladiateurs, etc. Chacun
est « mobilisé » dans l'arme que lui assigne sa classe :
cavalerie, infanterie, la toute dernière catégorie échappant
aux obligations militaires, sauf situation exceptionnelle.
Enfin, les comices tributes ou plébéiens, rassemblant au
départ la seule plèbe, deviendront, à mesure que ses
tribuns prendront de l'importance, la grande centrale de la
souveraineté populaire. C'est là précisément qu'on élit les
tribuns de la plèbe, dont nous avons évoqué plus haut le
rôle moteur dans l'évolution politique, et quelques autres
moindres députés. Mais chemin faisant, et cette assemblée
prenant du poids, c'est là que se voteront, à partir de 287,
la plupart des lois.
Si dans ces différents conciles tout est censé se dérouler
démocratiquement, les choses demandent à être regardées
d'un peu plus près. Car en fait, afin de se prémunir contre
les risques inutiles, le système mis au point pour les votes
aux comices centuriates confère la prépondérance aux
groupes constitués, et parmi eux, aux classes supérieures.
On ne vote pas par tête, comme dans notre suffrage
universel, mais par unités de vote (les tribus), qui ont un
caractère territorial. Et, bien sûr, on commence toujours
par recueillir le suffrage de la première, tant et si bien
qu'on a de moins en moins de chances de donner son avis à
mesure qu'on descend les barreaux de l'échelle sociale.
Dans les comices plébéiens, un arrangement un peu
différent, où entre pour beaucoup la pratique de la
clientèle, aboutit à un résultat analogue. C'est donc finalement
une oligarchie qui fait prévaloir ses choix. Nous
ferons donc bien de congédier nos modernes phantasmes et
de ne point considérer trop facilement la République
romaine comme une démocratie pure et dure. Cela nous
évitera, entre autres erreurs d'appréciation, de contre-distinguer
de façon sommaire la présente « République »
du futur « Empire » quand nous en serons rendus là. On ne
s'en avise jamais trop tôt.
Tout cela, on le pense bien, ne s'est pas fait en un jour, et
encore moins au lendemain de 509, en admettant qu'il faille
retenir cette date symbolique comme point de départ du
nouveau régime. Dans la nébuleuse républicaine, les
institutions se sont mises en place peu à peu, et les diverses
crises entre le patriciat et la plèbe y ont certainement été
pour beaucoup. Après la première escarmouche de 494,
suivie comme on sait du chantage à la sécession, il y eut en
effet une autre opération revendicative de la plèbe, pour
que fussent rendus publics les principes du droit. Ainsi,
qu'il soit patricien ou plébéien, chacun serait informé des
dispositions qui régissaient la vie sociale : famille, propriété,
échanges, etc.
Une telle exigence nous paraît
aujourd'hui aller de soi, puisque chacun peut à son gré se
plonger dans le Code civil ou dans le Code pénal, même s'il
reste prudent de se faire assister d'un conseiller juridique.
A l'époque, jouir d'une telle faculté représentait un fameux
progrès, si l'on songe que les codes, les formules de
procédure, les protocoles sacrés indispensables à l'exercice
de la justice étaient jusqu'alors tenus secrets, véritable
monopole des pontifes, nécessairement patriciens : toujours
ce primat du religieux sur lequel j'ai attiré plus haut
l'attention.
Lutter pour la publicité du droit était aussi
revendiquer l'égalité de tous devant lui. Une commission
de dix membres élabora donc et publia, vers 451-449, la loi
dite « des XII Tables ». Le moins qu'on puisse dire est
qu'elle n'était pas égalitaire au sens où nous l'entendons
aujourd'hui. Elle portait à l'évidence la marque du patriciat :
puissance soulignée du pater familias, accent mis sur
la propriété foncière, et même interdiction des mariages
mixtes, disposition qui ne sera abrogée qu'en 445... Quoi
qu'il en soit, le peuple romain en son entier serait, en
principe, jugé d'après les mêmes textes, qui allaient
constituer la principale référence tout au long des temps
républicains. Quatre siècles plus tard, au temps de Cicéron,
on en apprenait encore par coeur les dispositions dans les
écoles, et sous l'Empire le texte en était toujours affiché
dans les provinces.
D'autres revendications se manifestèrent au sujet des
magistratures : on devine que les plébéiens ne se consolaient
pas facilement de s'en voir écartés. A la faveur de
troubles sociaux portant sur l'accaparement des terres et
l'accumulation des dettes, le tribun de la plèbe Licinius
Stolo obtint en 367 qu'un des deux consuls pût être pris
parmi les plébéiens. D'autres dispositions favorables à la
plèbe suivirent peu à peu. En 342, il est admis que les deux
consuls, et non plus un seul, pourraient être plébéiens, et à
partir de 326, l'un des deux le sera de droit. La plupart des
autres magistratures allaient suivre peu à peu, et au début
du IIIe siècle, on peut dire que l'égalité civile entre
patriciens et plébéiens est à peu près acquise. Une autre
menace de sécession éclata en 287, qui valut aux Comices
plébéiens, grâce au dictateur Hortensius, une certaine
émancipation par rapport au Sénat, et un véritable pouvoir
législatif.
On imagine que cette évolution ne fut pas un pur effet de
la bonté des couches aristocratiques. Il fallait bien compter
avec le rapport des forces en présence, et avec la mobilité,
même discrète, du tissu social. Une grande famille, même
protégée des dieux, peut ne pas demeurer indéfiniment
riche ; un plébéien peut aussi bénéficier de la protection du
ciel et s'enrichir à proportion. Le patriciat des origines ne
pouvant faire face à toutes les tâches, notamment du fait
des guerres qui ne sont jamais gratuites, il fallut bien faire
appel aux plébéiens qui avaient fait fortune, qu'on les
couchât ou non, par relations, sur le bordereau des
sénateurs. De proche en proche, c'est une nouvelle répartition
de la société romaine qui allait s'ensuivre. Une
nouvelle classe dirigeante, la nobilitas, se forma, à laquelle
on s'élevait par l'exercice d'une magistrature importante,
dite curule par référence au siège honorifique, de style
étrusque, réservé à ses titulaires. Cela même impliquait
déjà un beau niveau de revenus. Cette « noblesse » regroupait
d'une autre manière les grandes fortunes, patriciennes
d'origine ou plébéiennes. Cela s'opéra progressivement,
non sans résistances ni troubles.
Il y avait, bien sûr,
l'opposition des milieux ultra-conservateurs, peu disposés à
mêler, si j'ose dire, torchons et serviettes. Mais il y avait
aussi l'insatisfaction plus ou moins agressive des petits
possédants, moins chanceux ou moins débrouillards,
exploitants modestes, criblés de dettes, et qui n'avaient
aucun espoir d'accéder jamais à cette nomenklatura. Car si
en droit les têtes changeaient, le principe ploutocratique
demeurait le même en fait : les latifondiaires gardaient le
monopole du gouvernement, puisqu'il fallait être devenu
riche pour y prétendre. Il est certes très joli de se dire que
rien, sur le papier, ne vous empêcherait de devenir consul
ou autre chose de ce genre ; mais je me demande s'il était
tellement réconfortant, quand on était endetté jusqu'au
cou, de se dire que le ou les consuls en exercice, et qui sont
vos principaux créanciers, appartiennent à votre classe, et
qu'ils seraient anoblis à partir de l'année prochaine.
Cette longue mais à mon avis indispensable plongée dans
« l'instruction civique » romaine permet d'abord de mieux
comprendre comment fonctionna le système, faute de quoi
on reste à la surface de l'histoire en s'y croyant entré. Mais
elle nous ouvre aussi à son esprit. Quand on considère les
assemblées et les magistratures qui régissent la République,
on voit bien que les principes sont saufs, qui
sauvegardent la libertas, la liberté au sens où l'entendent
les Romains dans les textes qui nous restent d'eux.
Cette liberté consiste exactement dans les droits personnels et
politiques du citoyen, que lui garantit la nature démocratique
de l'Etat, par opposition à l'absolutisme monarchique.
Issues du Sénat et des comices, les lois, les décisions
de toute nature sont prises par le Sénat et le peuple romain.
SENATVS POPVLVSQVE ROMANVS : la formule
figure un peu partout. Ce qu'elle affirme est, en droit, on
ne peut plus vrai, et concrétise la mystique romaine de la
liberté — même si l'on remarque qu'en fait, il y a plusieurs
demeures dans la maison du Peuple, et qu'elles sont d'un
niveau de confort sensiblement différent.
Quoi qu'il en soit
des secousses que lui imprimeront à l'occasion les humiles,
les gens modestes, on peut dire que le système oligarchique,
si différent de la démocratie « à la grecque », fonctionna
d'un bout à l'autre de la République, nos mentalités
syndicalisées, donc égalitaires, peuvent s'en étonner, voire
s'en offusquer, le fait est là. Mais peut-être faut-il vivre
dans notre temps et disons : sous nos climats, pour s'irriter
de cette permanence. Que les sociétés soient injustes ne les
empêche pas forcément d'être stables, et il peut arriver que
« les défavorisés y mettent du leur », selon la savoureuse
formule de Paul Veyne, ne serait-ce que pour échapper à
l'angoisse de n'être soumis à aucune autorité.
Ainsi, dans la
mentalité romaine, les magnats sont perçus comme ayant
moralement le droit de gouverner, et comme étant les seuls
à le pouvoir réellement. L'égalité à la façon des démocraties
grecques évoquerait plutôt à Rome un nivellement
anarchique, puisqu'il efface les différences de dignité entre
les citoyens. Mais surtout, dans le monde romain, l'ordre
est une valeur qui va de soi, puisant sa force dans le sacré,
et qui donc implique une discipline beaucoup plus rarement
refusée que, par exemple, dans nos démocraties occidentales.
Et à supposer même que l'idée fût venue à l'esprit des
plus modestes de renverser les institutions qui faisaient
d'eux aussi les remplaçants des rois, les obstacles eussent
été autrement difficiles à surmonter. Bref, si l'on me
demandait — question toute moderne encore une fois —
comment il se fait que cette république de notables ait pu
durer, je répondrais qu'à défaut d'arranger également
chacun, il semble que tout le monde s'en soit à peu de
chose près arrangé. ..."
3. Lecture :
Paul VEYNE, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394)
Paris, Albin Michel, 2007, 319 pp.
Présentations :
- Paul Veyne et le Dieu unique ; Le MONDE, édition du 15 mars 2007; entretien dont les propos ont été recueillis par Catherine Golliau:
"Vous démontrez qu'avec le christianisme la religion
s'agrège au pouvoir. Le polythéisme n'impliquait-il pas une
relation forte entre le pouvoir et le religieux?
Dans l'Antiquité, la religion fonctionne sous le signe de la
libre entreprise. Un Grec quelconque peut écrire à un roi
grec pour lui dire: « Je m'aperçois qu'il n'y a pas de culte
de Sérapis à Chypre ; je te propose ceci : tu me donnes des
crédits, j'ouvre un temple de Sérapis et on partage les bénéfices. »
On ouvre un temple comme on ouvrirait une épicerie
et on attend le client. Le christianisme est la seule
religion au monde qui soit en même temps une Eglise. Si
vous croyez en Dieu, vous devez nécessairement prendre
votre carte. Vous appartenez à l'Eglise et hors d'elle point
de salut. Quand Constantin se convertit, il favorise l'Eglise,
c'est-à-dire une puissante machine d'encadrement des
populations. Et c'est cette Eglise qui impose des devoirs
à l'empereur une fois que celui-ci l'a mise en selle.
Est-elle vraiment la principale héritière de l'Empire romain,
comme on l'a souvent écrit?
Non, elle est héritière d'elle-même: le christianisme, c'est
la modernité. L'historien Georges Dumézil a bien montré
que les chefs «barbares» considéraient comme un honneur
de se faire chrétiens pour montrer qu'ils appartenaient
au monde civilisé. Les Vandales attaquaient ainsi
l'Empire romain en se faisant précéder d'un prêtre portant
les Evangiles. Encore au Xe siècle, les Etats d'Asie centrale
qui voudront se moderniser, à l'exemple des prestigieux
Byzantins, se feront chrétiens. ..."
- LIBRARIUS.NET. La librairie de l'Antiquité gréco-romaine.
"C'est le livre de bonne foi d'un incroyant qui cherche à comprendre comment le christianisme, ce chef-d'œuvre de création religieuse, a pu, entre 300 et 400, s'imposer à tout l'Occident. A sa manière inimitable, érudite et impertinente, Paul Veyne retient trois raisons. Un empereur romain, Constantin, maître de cet Occident, converti sincèrement au christianisme, veut christianiser le monde pour le sauver. Il s'est converti parce qu'à ce grand empereur il fallait une grande religion. Or, face aux dieux païens, le christianisme, bien que secte très minoritaire, était la religion d'avant-garde qui ne ressemblait à rien de connu. Constantin s'est borné à aider les chrétiens à mettre en place leur Eglise, ce réseau d'évêchés tissé sur l'immense empire romain. Lentement, avec docilité, les foules païennes se sont fait un christianisme à elles. Cette christianisation de cent millions de personnes n'a pas fait de martyrs. Au passage, Paul Veyne évoque d'autres questions : d'où vient le monothéisme ? Faut-il parler ici d'idéologie ? La religion a-t-elle des racines psychologiques ? Avons-nous des origines chrétiennes ? ..."
- Jacques de Saint Victor, Le chemin de croix du christianisme, dans : Le FIGARO littéraire, édition du 8 mars 2007 :
"...Veyne insiste sur cette fragilité de la conversion chrétienne pour mieux souligner la complexité du débat sur « les racines chrétiennes de l'Europe ». Il rappelle, après la mort en 364 de Julien l'Apostat, qui avait rétabli le paganisme comme culte officiel, combien le retour au christianisme n'est dû qu'à une péripétie secondaire. Ce sont les chefs de clan de l'armée qui, pour des raisons n'ayant rien à voir avec la religion, ont décidé de choisir le chrétien Valentinien plutôt qu'un autre prétendant païen. « L'avenir du christianisme a dépendu à ce moment de la décision d'une camarilla qui avait d'autres soucis », dit Veyne dont le savoir n'intervient jamais de façon pédante. À la faveur d'un paragraphe, on peut découvrir une trappe de discussions théoriques ou juridiques (l'édit de Milan était-il vraiment un édit ou n'a-t-il pas été précédé par d'autres décisions ? etc.), mais le lecteur ne se perd jamais dans ces labyrinthes auxquels nous ont habitués les érudits spécialistes du Bas-Empire. Surtout, Paul Veyne permet aux lecteurs de revenir sur certaines idées reçues professées par certains philosophes. La religion chrétienne serait la « religion de la sortie de la religion » ? Il n'y aurait rien d'historiquement plus faux, affirme Veyne, qui souligne qu'on doit la séparation du religieux et du politique au césarisme beaucoup plus qu'au christianisme. « Le chrétien Constantin n'a pas eu à séparer Dieu et César : ils étaient nés séparément dès la naissance. » Qu'on l'approuve ou non, il faut lire Veyne qui, outre des réflexions très intéressantes sur la naissance de l'antisémitisme à l'époque romaine, propose dans ce livre une très utile réflexion sur notre passé chrétien. Et donc sur notre avenir."
- Les Pères fondateurs / FORUM :
"Comment et pourquoi l'Empire romain païen est-il devenu chrétien ? A cette question complexe, Paul Veyne apporte une réponse simple et qui surprendra : parce que tel a été le bon plaisir de Constantin ! Un caprice en somme, mais le caprice d'un puissant a d'autres conséquences que celui d'un homme ordinaire. Et un caprice dicté par la piété : depuis la bataille du pont Milvius, le 28 octobre 312, Constantin est persuadé que le Dieu unique lui a accordé la victoire. Il s'est fait chrétien, profondément et sincèrement. Et il ne doute pas de la supériorité de cette vérité sur le paganisme majoritaire. Nul calcul politique, nulle idéologie ne l'habitent : après tout, 90 % des habitants de l'empire sont alors païens, et il faut avoir une foi à toute épreuve pour aller ainsi à contre-courant, même pour un empereur. Mais Constantin, estime Paul Veyne, est un révolutionnaire, un vrai.
La thèse suscitera des réactions, mais, comme chaque livre de Paul Veyne, celui-ci a le mérite de revenir à la source, de nous remettre sous les yeux l'évidence des faits et de démasquer les faux-semblants. Bien loin de penser que le christianisme s'inscrit dans une évolution logique de la pensée religieuse, ou, pire, correspond à une attente inéluctable de la société, Veyne insiste au contraire sur son absolue nouveauté. Religion d'amour où la morale prime le rite, le christianisme invite le fidèle à se demander si Dieu est content de lui, alors que les païens mesuraient les honneurs rendus à leurs dieux au prorata de la satisfaction qu'ils leur accordaient : n'avait-on pas vu des fidèles mécontents renverser des statues ou lapider des temples, comme, aujourd'hui, l'on manifeste devant un ministère ou une ambassade étrangère ? Tandis que les cultes dits orientaux (on dira plutôt les cultes du salut) ne sont que de banals cultes païens teintés d'un peu d'Orient, le christianisme instaure une coupure radicale. Inutile, donc, d'invoquer un "état de la société" propice à cette évolution. Cette conception religieuse nouvelle a tout à coup la chance, après trois siècles d'indifférence ou de méfiance (car la persécution est restée rare), de bénéficier du coup de pouce qui change tout : le soutien officiel de l'homme le plus puissant de l'empire ! ..."
4. Enseignement :
Paul-Augustin DEPROOST continue d'enrichir la base textuelle du cours d'Explication d'auteurs latins, focus : Didon et Énée, extraits tirés de l'Énéide de VIRGILE :
ÉNÉIDE, IV, vers 296-330 : Premiers reproches de Didon à Énée
Rappelons ici ce que dit P.-A. D. dans le liminaire à ce cours :
"Avec la Bible, Virgile a façonné durablement la pensée, la sensibilité poétique, sinon la spiritualité de la culture occidentale, au moins jusqu'à la Renaissance, mais aussi dans les siècles baroques et classiques. Très tôt, il a été commenté et copié. Par la tradition scolaire, il est au cur de toute la formation lettrée, morale, intellectuelle, philosophique, poétique de l'antiquité jusqu'à nos jours. Dès le cinquième siècle, Virgile a été convoqué par les grammairiens-philosophes pour donner sens à une explication mystique du monde auquel il assigne une mission religieuse. Depuis l'empereur Constantin, Virgile compte parmi les prophètes païens du Christ, et le le moyen âge l'a hissé comme tel sur les chapiteaux et les portails de ses églises. Dante l'a pris comme guide dans son voyage vers l'au-delà. La valeur humaine que représente Virgile ne change pas ; c'est l'homme éternel, dans ses constantes philosophiques, éthiques, spirituelles ; l'homme qui s'interroge sur son avenir et qui découvre au jour le jour le sens de sa mission et de sa quête. La plus-value de la poésie virgilienne à ces valeurs est celle d'une magie poétique et d'une esthétique somptueuse qui continuent de parler à l'homme d'aujourd'hui au delà de toutes les modes littéraires."
5. ITINERA ELECTRONICA : nouveaux environnements hypertextes :
ce fut encore une semaine latine pour Christian RUELL : 6 nouveaux environnements ont pu être constitués :
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