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Date :     23-03-2007

Sujets :
Fiches de lecture : 10 ajouts; Lecture : Les structures de la République romaine (Lucien JERPHAGNON); Lecture : Paul VEYNE, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394); Enseignement : Paul-Augustin DEPROOST : Didon et Énée (suite) ; ITINERA ELECTRONICA : nouveaux environnements hypertextes : Aulu-Gelle (x2), Columelle, Dictys de Crète, Eutrope, Saint Jérôme; Écoles seondaires BE : renouvellement du parc informatique;

Notice :

1. Fiches de lecture :

  • Adresse du site : Lectures (site arrêté à la date du 18 mai 2006)
  • Base de données : Fiches (depuis le 19 mai 2006)

  • Ajouts : consultation des ==> Nouveautés <==

Les Nouveautés concernent :

  • ==> LATIN :
  • AULU-GELLE, Les Nuits attiques, livre VII et IX
  • COLUMELLE, De l'agriculture, livre VII
  • PLINE l'ANCIEN, Histoire naturelle, livre X

  • ==> GREC :
  • HÉLIODORE, Théagène et Chariclée, livre VIII

Nouvelles étincelles glanées :

  • Alexandre le Grand et Scipion l'Africain ont une même retenue vis-à-vis de femmes prises à l'ennemi
  • A propos des Troglodytes
  • A propos des feuilles d'olivier qui se retournent
  • Pline l'Ancien et la controverse Rendez-moi ma femme
  • A propos du bon berger
  • A propos de la stupidité des autruches
  • A propos de la mort d'Eschyle
  • A propos de l'ingéniosité des pies
  • Britannicus et Néron apprennent le grec et le latin à leurs oiseaux
  • De l'ingéniosité d'un corbeau pour arriver à boire


2. Lecture : Les structures de la République romaine :

Tiré de : Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome antique. Les armes et les mots. Paris, Tallandier, 1987, pp. 37-45 :

"Mais d'abord, qu'on définisse la République. Foin de nos imaginations, qui procèdent en droite ligne des souvenirs enthousiastes de 1789 ! Il faut restituer le mot, ou plutôt les mots, dans la généralité — et dans le flou — de leur sens premier. La res publia, en deux mots, la chose publique, c'est tout simplement la gestion des affaires qui nous concernent tous, autrement dit la gestion de l'Etat.

Jusqu'en 509 [avant J.-Chr.], la Res publica était gérée par un monarque absolu ; elle va maintenant passer aux mains — censément — du peuple, en fait, entre celles des gentes, autrement dit des grandes familles, qui s'en répartiront les charges et bien sûr les profits. En cela consiste très exactement le changement. On ne voit d'ailleurs pas pourquoi un vent d'égalité se serait mis à souffler, par une belle nuit du 4 août, sur la société romaine, effaçant la distance qui déjà s'était accusée entre le patriciat et la plèbe au point d'inciter les Tarquins à la réduire par un certain brassage. Les gentes possédaient de toute façon la plus large part des terres exploitables, donc de l'agriculture et de l'élevage, et ils étaient bien décidés à rester entre eux, puisqu'ils prétendaient même interdire chez leurs enfants toute mésalliance.

C'est donc à cette oligarchie que va revenir tout naturellement le monopole des magistratures et des sacerdoces dans le nouveau régime. Cela dit, cette sorte de sénat de rois devait se prémunir, sinon par une constitution, du moins par des institutions, contre les tentations toujours à craindre dans son sein. Dans le coeur de tout homme, il y a, entre autres choses, un tyran qui sommeille. N'importe qui peut toujours nourrir l'ambition d'être un jour le seul à décider de tout. Pour rogner d'avance les ailes des ambitieux, on mit au point un système où les pouvoirs, répartis sur plusieurs têtes et attribués à temps, s'équilibreraient entre eux. Il y aurait donc à la tête de la République deux magistrats désignés pour un an et chargés de l'exécutif : les consuls. Par la suite, et sous la pression des circonstances, le système se compliquera de magistratures annexes, comme nous allons le voir.

Et d'abord, il fallut compter avec les obscurs, les sans-grade, qui acceptaient malaisément de se voir évincer des affaires dans un Etat où ils représentaient une force non négligeable. La tradition situe en 494 une première dégradation du climat socio-politique. Frustrés des responsabilités auxquelles ils se voyaient en droit de prétendre, les plébéiens décidèrent le schisme, autrement dit se retirèrent sur l'Aventin, en banlieue — d'où l'expression qui sert encore aujourd'hui. Les patriciens voulaient la séparation ? — Qu'à cela ne tienne : la plèbe leur imposait la sécession pure et simple, ce qui avait à terme des conséquences si graves qu'il fallut bien céder et reconnaître à la plèbe quelques droits.

Peut-être est-ce en effet de cette crise — car il y en eut plus d'une — que sortirent d'abord deux, puis quatre, puis dix magistrats d'un type nouveau : les tribuns de la plèbe. Protégés par un statut exceptionnel de nature religieuse, qui les faisait intouchables—ce qui était, nous allons le voir, une bonne précaution —, ils avaient pour mission de défendre les intérêts de la plèbe. Cette puissance tribunicienne mandatait ces plébéiens pour protéger et défendre tout autre plébéien contre les exactions éventuelles des instances supérieures. La charge comportait le droit de veto, qu'on leur reconnaissait sur les délibérations et les décisions des magistrats et des assemblées. Cela même leur conférait une efficacité si redoutable qu'elle justifiait amplement le caractère sacro-saint, inviolable, dont on les avait revêtus... Mais ainsi se trouvaient garantis, au moins en principe, les droits — et donc les fameuses libertés chères au coeur de tout Romain —, des citoyens les moins favorisés face à l'arbitraire sénatorial ou consulaire. Les attributions mêmes de ces défenseurs statutaires du peuple feront d'eux, à l'occasion, les leaders tout désignés des grands mouvements revendicatifs.

Mais revenons à l'exécutif. Les consuls, avons-nous dit, sont toujours au nombre de deux : leur autorité est donc collégiale. Du moins en temps normal, car on avait prévu le cas où l'urgence d'une situation exigerait, provisoirement, une unité de direction. C'est alors le dictateur qui exerce, mais à titre exceptionnel et pour six mois seulement, la plénitude des pouvoirs. Viscéralement méfiants, comme je l'ai dit, à l'égard d'un pouvoir personnel, les Romains n'ont jamais galvaudé une si dangereuse fonction. Encore flanquait-on le dictateur d'un maître de la cavalerie à titre, disons, d'auxiliaire, deux précautions valant toujours mieux qu'une.

Avec le temps, on adjoignit aux consuls, en 447, deux secrétaires faisant fonction d'administrateurs des finances : les questeurs. Vinrent aussi les préteurs, magistrats chargés principalement de faire respecter et appliquer le droit. D'abord circonscrite à Rome même, leur juridiction s'étendra par la suite aux territoires occupés, où on les enverra en mission. Deux censeurs compléteront utilement l'organigramme. Elus parmi les anciens consuls, il leur revient de procéder au recensement quinquennal et au classement de la population, fondé sur l'évaluation des fortunes, ce qui fait d'eux les recruteurs du Sénat. Admirablement placés pour tout savoir, ils devaient en même temps garder un oeil sur les moeurs des uns et des autres. Dans une société si bien hiérarchisée, où de surcroît tout le monde se connaissait, il ne devait pas être plaisant de se voir « noter d'infamie », autrement dit de mauvaise conduite habituelle, par ces magistrats dont le nom est devenu synonyme d'inquisiteur. On comprend donc qu'ils aient été couverts du même statut inviolable que les tribuns de la plèbe... Toujours est-il que l'ordre moral complétait fort astucieusement l'ordre civique.

Telles sont en résumé les principales structures de décision qui prenaient la place de l'absolutisme monarchique, ce qui donc concrétisait, au moins en intention, l'aspiration de chaque Romain à ne jamais dépendre de l'arbitraire d'un seul. Mais ces diverses magistratures ou fonctions s'exercent nécessairement en symbiose avec les grandes assemblées, qui en désignent les titulaires.

La première de toutes constitue la fine fleur de la société : le Sénat, dépositaire sacré et source permanente de toute autorité. Sa tutelle s'exerce Urbi, et plus tard Urbi et orbi : sur la Ville (par excellence) et sur le monde romain. Cette assemblée n'est autre que la réunion des patriciens, des chefs des grandes gentes, chargés de gérer, « en bons pères de famille », les destins de Rome. On les appelle souvent les patres conscripti, les pères « conscrits », autrement dit couchés ensemble sur la liste.

D'abord strictement aristocratique, le Sénat accueillera prudemment, au début du IVe siècle, les premiers plébéiens, qu'on peut imaginer convenablement rentés. Le recrutement des membres, dont le nombre évoluera au cours des âges entre trois cents et mille, est à la discrétion des censeurs, qui en dressent l'album hiérarchique selon la rigueur, comptable et morale, qu'implique leur fonction.

Rien ne se fait sans l'aval du Sénat, qui fonctionne comme Conseil d'Etat : religion, trésorerie, politique intérieure, diplomatie, défense du territoire, et plus tard, gouvernement des provinces. Non que le Sénat dispose à proprement parler des pouvoirs de décision. Il ne gouverne pas ; il ne légifère pas, mais entérine les lois. Il ne délivre que des senatus-consultes, autrement dit des recommandations. Même, il ne peut se réunir que sur convocation d'un consul ou à défaut, du préteur. Mais son influence est proportionnelle au tonnage économique et politique déplacé par ses membres. C'est au Sénat que se font et se défont les carrières. Autant dire qu'on ne gouverne pas contre lui.

Les Comices sont des assemblées « du peuple » — en fait, des gens qui y ont une situation bien assise — qui sont autant de collèges électoraux. Il faut en distinguer trois. Il y a d'abord les comices curiates, où l'aristocratie garde la prépondérance, et dont le rôle est essentiellement religieux. On serait tenté de dire qu'ils « sacrent » ou « ordonnent » les magistrats élus par les autres assemblées. De même ils valident les lois.

Les comices centuriates, qui figurent en quelque sorte le peuple romain en armes, rassemblent selon cinq classes, et toujours selon le principe censitaire, les membres du corps social. Une sous-classe regroupe les citoyens de moindre notoriété économique : ouvriers, prolétaires, corps de métiers dépourvus traditionnellement de tout lustre, bouchers, gladiateurs, etc. Chacun est « mobilisé » dans l'arme que lui assigne sa classe : cavalerie, infanterie, la toute dernière catégorie échappant aux obligations militaires, sauf situation exceptionnelle.

Enfin, les comices tributes ou plébéiens, rassemblant au départ la seule plèbe, deviendront, à mesure que ses tribuns prendront de l'importance, la grande centrale de la souveraineté populaire. C'est là précisément qu'on élit les tribuns de la plèbe, dont nous avons évoqué plus haut le rôle moteur dans l'évolution politique, et quelques autres moindres députés. Mais chemin faisant, et cette assemblée prenant du poids, c'est là que se voteront, à partir de 287, la plupart des lois.

Si dans ces différents conciles tout est censé se dérouler démocratiquement, les choses demandent à être regardées d'un peu plus près. Car en fait, afin de se prémunir contre les risques inutiles, le système mis au point pour les votes aux comices centuriates confère la prépondérance aux groupes constitués, et parmi eux, aux classes supérieures.

On ne vote pas par tête, comme dans notre suffrage universel, mais par unités de vote (les tribus), qui ont un caractère territorial. Et, bien sûr, on commence toujours par recueillir le suffrage de la première, tant et si bien qu'on a de moins en moins de chances de donner son avis à mesure qu'on descend les barreaux de l'échelle sociale.

Dans les comices plébéiens, un arrangement un peu différent, où entre pour beaucoup la pratique de la clientèle, aboutit à un résultat analogue. C'est donc finalement une oligarchie qui fait prévaloir ses choix. Nous ferons donc bien de congédier nos modernes phantasmes et de ne point considérer trop facilement la République romaine comme une démocratie pure et dure. Cela nous évitera, entre autres erreurs d'appréciation, de contre-distinguer de façon sommaire la présente « République » du futur « Empire » quand nous en serons rendus là. On ne s'en avise jamais trop tôt.

Tout cela, on le pense bien, ne s'est pas fait en un jour, et encore moins au lendemain de 509, en admettant qu'il faille retenir cette date symbolique comme point de départ du nouveau régime. Dans la nébuleuse républicaine, les institutions se sont mises en place peu à peu, et les diverses crises entre le patriciat et la plèbe y ont certainement été pour beaucoup. Après la première escarmouche de 494, suivie comme on sait du chantage à la sécession, il y eut en effet une autre opération revendicative de la plèbe, pour que fussent rendus publics les principes du droit. Ainsi, qu'il soit patricien ou plébéien, chacun serait informé des dispositions qui régissaient la vie sociale : famille, propriété, échanges, etc.

Une telle exigence nous paraît aujourd'hui aller de soi, puisque chacun peut à son gré se plonger dans le Code civil ou dans le Code pénal, même s'il reste prudent de se faire assister d'un conseiller juridique. A l'époque, jouir d'une telle faculté représentait un fameux progrès, si l'on songe que les codes, les formules de procédure, les protocoles sacrés indispensables à l'exercice de la justice étaient jusqu'alors tenus secrets, véritable monopole des pontifes, nécessairement patriciens : toujours ce primat du religieux sur lequel j'ai attiré plus haut l'attention.

Lutter pour la publicité du droit était aussi revendiquer l'égalité de tous devant lui. Une commission de dix membres élabora donc et publia, vers 451-449, la loi dite « des XII Tables ». Le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'était pas égalitaire au sens où nous l'entendons aujourd'hui. Elle portait à l'évidence la marque du patriciat : puissance soulignée du pater familias, accent mis sur la propriété foncière, et même interdiction des mariages mixtes, disposition qui ne sera abrogée qu'en 445... Quoi qu'il en soit, le peuple romain en son entier serait, en principe, jugé d'après les mêmes textes, qui allaient constituer la principale référence tout au long des temps républicains. Quatre siècles plus tard, au temps de Cicéron, on en apprenait encore par coeur les dispositions dans les écoles, et sous l'Empire le texte en était toujours affiché dans les provinces.

D'autres revendications se manifestèrent au sujet des magistratures : on devine que les plébéiens ne se consolaient pas facilement de s'en voir écartés. A la faveur de troubles sociaux portant sur l'accaparement des terres et l'accumulation des dettes, le tribun de la plèbe Licinius Stolo obtint en 367 qu'un des deux consuls pût être pris parmi les plébéiens. D'autres dispositions favorables à la plèbe suivirent peu à peu. En 342, il est admis que les deux consuls, et non plus un seul, pourraient être plébéiens, et à partir de 326, l'un des deux le sera de droit. La plupart des autres magistratures allaient suivre peu à peu, et au début du IIIe siècle, on peut dire que l'égalité civile entre patriciens et plébéiens est à peu près acquise. Une autre menace de sécession éclata en 287, qui valut aux Comices plébéiens, grâce au dictateur Hortensius, une certaine émancipation par rapport au Sénat, et un véritable pouvoir législatif.

On imagine que cette évolution ne fut pas un pur effet de la bonté des couches aristocratiques. Il fallait bien compter avec le rapport des forces en présence, et avec la mobilité, même discrète, du tissu social. Une grande famille, même protégée des dieux, peut ne pas demeurer indéfiniment riche ; un plébéien peut aussi bénéficier de la protection du ciel et s'enrichir à proportion. Le patriciat des origines ne pouvant faire face à toutes les tâches, notamment du fait des guerres qui ne sont jamais gratuites, il fallut bien faire appel aux plébéiens qui avaient fait fortune, qu'on les couchât ou non, par relations, sur le bordereau des sénateurs. De proche en proche, c'est une nouvelle répartition de la société romaine qui allait s'ensuivre. Une nouvelle classe dirigeante, la nobilitas, se forma, à laquelle on s'élevait par l'exercice d'une magistrature importante, dite curule par référence au siège honorifique, de style étrusque, réservé à ses titulaires. Cela même impliquait déjà un beau niveau de revenus. Cette « noblesse » regroupait d'une autre manière les grandes fortunes, patriciennes d'origine ou plébéiennes. Cela s'opéra progressivement, non sans résistances ni troubles.

Il y avait, bien sûr, l'opposition des milieux ultra-conservateurs, peu disposés à mêler, si j'ose dire, torchons et serviettes. Mais il y avait aussi l'insatisfaction plus ou moins agressive des petits possédants, moins chanceux ou moins débrouillards, exploitants modestes, criblés de dettes, et qui n'avaient aucun espoir d'accéder jamais à cette nomenklatura. Car si en droit les têtes changeaient, le principe ploutocratique demeurait le même en fait : les latifondiaires gardaient le monopole du gouvernement, puisqu'il fallait être devenu riche pour y prétendre. Il est certes très joli de se dire que rien, sur le papier, ne vous empêcherait de devenir consul ou autre chose de ce genre ; mais je me demande s'il était tellement réconfortant, quand on était endetté jusqu'au cou, de se dire que le ou les consuls en exercice, et qui sont vos principaux créanciers, appartiennent à votre classe, et qu'ils seraient anoblis à partir de l'année prochaine.

Cette longue mais à mon avis indispensable plongée dans « l'instruction civique » romaine permet d'abord de mieux comprendre comment fonctionna le système, faute de quoi on reste à la surface de l'histoire en s'y croyant entré. Mais elle nous ouvre aussi à son esprit. Quand on considère les assemblées et les magistratures qui régissent la République, on voit bien que les principes sont saufs, qui sauvegardent la libertas, la liberté au sens où l'entendent les Romains dans les textes qui nous restent d'eux.

Cette liberté consiste exactement dans les droits personnels et politiques du citoyen, que lui garantit la nature démocratique de l'Etat, par opposition à l'absolutisme monarchique. Issues du Sénat et des comices, les lois, les décisions de toute nature sont prises par le Sénat et le peuple romain. SENATVS POPVLVSQVE ROMANVS : la formule figure un peu partout. Ce qu'elle affirme est, en droit, on ne peut plus vrai, et concrétise la mystique romaine de la liberté — même si l'on remarque qu'en fait, il y a plusieurs demeures dans la maison du Peuple, et qu'elles sont d'un niveau de confort sensiblement différent.

Quoi qu'il en soit des secousses que lui imprimeront à l'occasion les humiles, les gens modestes, on peut dire que le système oligarchique, si différent de la démocratie « à la grecque », fonctionna d'un bout à l'autre de la République, nos mentalités syndicalisées, donc égalitaires, peuvent s'en étonner, voire s'en offusquer, le fait est là. Mais peut-être faut-il vivre dans notre temps et disons : sous nos climats, pour s'irriter de cette permanence. Que les sociétés soient injustes ne les empêche pas forcément d'être stables, et il peut arriver que « les défavorisés y mettent du leur », selon la savoureuse formule de Paul Veyne, ne serait-ce que pour échapper à l'angoisse de n'être soumis à aucune autorité.

Ainsi, dans la mentalité romaine, les magnats sont perçus comme ayant moralement le droit de gouverner, et comme étant les seuls à le pouvoir réellement. L'égalité à la façon des démocraties grecques évoquerait plutôt à Rome un nivellement anarchique, puisqu'il efface les différences de dignité entre les citoyens. Mais surtout, dans le monde romain, l'ordre est une valeur qui va de soi, puisant sa force dans le sacré, et qui donc implique une discipline beaucoup plus rarement refusée que, par exemple, dans nos démocraties occidentales.

Et à supposer même que l'idée fût venue à l'esprit des plus modestes de renverser les institutions qui faisaient d'eux aussi les remplaçants des rois, les obstacles eussent été autrement difficiles à surmonter. Bref, si l'on me demandait — question toute moderne encore une fois — comment il se fait que cette république de notables ait pu durer, je répondrais qu'à défaut d'arranger également chacun, il semble que tout le monde s'en soit à peu de chose près arrangé. ..."


3. Lecture :

Paul VEYNE, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394)
Paris, Albin Michel, 2007, 319 pp.

Présentations :

  • Paul Veyne et le Dieu unique ; Le MONDE, édition du 15 mars 2007; entretien dont les propos ont été recueillis par Catherine Golliau:

    "Vous démontrez qu'avec le christianisme la religion s'agrège au pouvoir. Le polythéisme n'impliquait-il pas une relation forte entre le pouvoir et le religieux?

    Dans l'Antiquité, la religion fonctionne sous le signe de la libre entreprise. Un Grec quelconque peut écrire à un roi grec pour lui dire: « Je m'aperçois qu'il n'y a pas de culte de Sérapis à Chypre ; je te propose ceci : tu me donnes des crédits, j'ouvre un temple de Sérapis et on partage les bénéfices. » On ouvre un temple comme on ouvrirait une épicerie et on attend le client. Le christianisme est la seule religion au monde qui soit en même temps une Eglise. Si vous croyez en Dieu, vous devez nécessairement prendre votre carte. Vous appartenez à l'Eglise et hors d'elle point de salut. Quand Constantin se convertit, il favorise l'Eglise, c'est-à-dire une puissante machine d'encadrement des populations. Et c'est cette Eglise qui impose des devoirs à l'empereur une fois que celui-ci l'a mise en selle.

    Est-elle vraiment la principale héritière de l'Empire romain, comme on l'a souvent écrit?

    Non, elle est héritière d'elle-même: le christianisme, c'est la modernité. L'historien Georges Dumézil a bien montré que les chefs «barbares» considéraient comme un honneur de se faire chrétiens pour montrer qu'ils appartenaient au monde civilisé. Les Vandales attaquaient ainsi l'Empire romain en se faisant précéder d'un prêtre portant les Evangiles. Encore au Xe siècle, les Etats d'Asie centrale qui voudront se moderniser, à l'exemple des prestigieux Byzantins, se feront chrétiens. ..."

  • LIBRARIUS.NET. La librairie de l'Antiquité gréco-romaine.

    "C'est le livre de bonne foi d'un incroyant qui cherche à comprendre comment le christianisme, ce chef-d'œuvre de création religieuse, a pu, entre 300 et 400, s'imposer à tout l'Occident. A sa manière inimitable, érudite et impertinente, Paul Veyne retient trois raisons. Un empereur romain, Constantin, maître de cet Occident, converti sincèrement au christianisme, veut christianiser le monde pour le sauver. Il s'est converti parce qu'à ce grand empereur il fallait une grande religion. Or, face aux dieux païens, le christianisme, bien que secte très minoritaire, était la religion d'avant-garde qui ne ressemblait à rien de connu. Constantin s'est borné à aider les chrétiens à mettre en place leur Eglise, ce réseau d'évêchés tissé sur l'immense empire romain. Lentement, avec docilité, les foules païennes se sont fait un christianisme à elles. Cette christianisation de cent millions de personnes n'a pas fait de martyrs. Au passage, Paul Veyne évoque d'autres questions : d'où vient le monothéisme ? Faut-il parler ici d'idéologie ? La religion a-t-elle des racines psychologiques ? Avons-nous des origines chrétiennes ? ..."

  • Jacques de Saint Victor, Le chemin de croix du christianisme, dans : Le FIGARO littéraire, édition du 8 mars 2007 :

    "...Veyne insiste sur cette fragilité de la conversion chrétienne pour mieux souligner la complexité du débat sur « les racines chrétiennes de l'Europe ». Il rappelle, après la mort en 364 de Julien l'Apostat, qui avait rétabli le paganisme comme culte officiel, combien le retour au christianisme n'est dû qu'à une péripétie secondaire. Ce sont les chefs de clan de l'armée qui, pour des raisons n'ayant rien à voir avec la religion, ont décidé de choisir le chrétien Valentinien plutôt qu'un autre prétendant païen. « L'avenir du christianisme a dépendu à ce moment de la décision d'une camarilla qui avait d'autres soucis », dit Veyne dont le savoir n'intervient jamais de façon pédante. À la faveur d'un paragraphe, on peut découvrir une trappe de discussions théoriques ou juridiques (l'édit de Milan était-il vraiment un édit ou n'a-t-il pas été précédé par d'autres décisions ? etc.), mais le lecteur ne se perd jamais dans ces labyrinthes auxquels nous ont habitués les érudits spécialistes du Bas-Empire. Surtout, Paul Veyne permet aux lecteurs de revenir sur certaines idées reçues professées par certains philosophes. La religion chrétienne serait la « religion de la sortie de la religion » ? Il n'y aurait rien d'historiquement plus faux, affirme Veyne, qui souligne qu'on doit la séparation du religieux et du politique au césarisme beaucoup plus qu'au christianisme. « Le chrétien Constantin n'a pas eu à séparer Dieu et César : ils étaient nés séparément dès la naissance. » Qu'on l'approuve ou non, il faut lire Veyne qui, outre des réflexions très intéressantes sur la naissance de l'antisémitisme à l'époque romaine, propose dans ce livre une très utile réflexion sur notre passé chrétien. Et donc sur notre avenir."

  • Les Pères fondateurs / FORUM :

    "Comment et pourquoi l'Empire romain païen est-il devenu chrétien ? A cette question complexe, Paul Veyne apporte une réponse simple et qui surprendra : parce que tel a été le bon plaisir de Constantin ! Un caprice en somme, mais le caprice d'un puissant a d'autres conséquences que celui d'un homme ordinaire. Et un caprice dicté par la piété : depuis la bataille du pont Milvius, le 28 octobre 312, Constantin est persuadé que le Dieu unique lui a accordé la victoire. Il s'est fait chrétien, profondément et sincèrement. Et il ne doute pas de la supériorité de cette vérité sur le paganisme majoritaire. Nul calcul politique, nulle idéologie ne l'habitent : après tout, 90 % des habitants de l'empire sont alors païens, et il faut avoir une foi à toute épreuve pour aller ainsi à contre-courant, même pour un empereur. Mais Constantin, estime Paul Veyne, est un révolutionnaire, un vrai.

    La thèse suscitera des réactions, mais, comme chaque livre de Paul Veyne, celui-ci a le mérite de revenir à la source, de nous remettre sous les yeux l'évidence des faits et de démasquer les faux-semblants. Bien loin de penser que le christianisme s'inscrit dans une évolution logique de la pensée religieuse, ou, pire, correspond à une attente inéluctable de la société, Veyne insiste au contraire sur son absolue nouveauté. Religion d'amour où la morale prime le rite, le christianisme invite le fidèle à se demander si Dieu est content de lui, alors que les païens mesuraient les honneurs rendus à leurs dieux au prorata de la satisfaction qu'ils leur accordaient : n'avait-on pas vu des fidèles mécontents renverser des statues ou lapider des temples, comme, aujourd'hui, l'on manifeste devant un ministère ou une ambassade étrangère ? Tandis que les cultes dits orientaux (on dira plutôt les cultes du salut) ne sont que de banals cultes païens teintés d'un peu d'Orient, le christianisme instaure une coupure radicale. Inutile, donc, d'invoquer un "état de la société" propice à cette évolution. Cette conception religieuse nouvelle a tout à coup la chance, après trois siècles d'indifférence ou de méfiance (car la persécution est restée rare), de bénéficier du coup de pouce qui change tout : le soutien officiel de l'homme le plus puissant de l'empire ! ..."


4. Enseignement :

Paul-Augustin DEPROOST continue d'enrichir la base textuelle du cours d'Explication d'auteurs latins,
focus : Didon et Énée, extraits tirés de l'Énéide de VIRGILE :

ÉNÉIDE, IV, vers 296-330 : Premiers reproches de Didon à Énée

Rappelons ici ce que dit P.-A. D. dans le liminaire à ce cours :

"Avec la Bible, Virgile a façonné durablement la pensée, la sensibilité poétique, sinon la spiritualité de la culture occidentale, au moins jusqu'à la Renaissance, mais aussi dans les siècles baroques et classiques. Très tôt, il a été commenté et copié. Par la tradition scolaire, il est au cur de toute la formation lettrée, morale, intellectuelle, philosophique, poétique de l'antiquité jusqu'à nos jours. Dès le cinquième siècle, Virgile a été convoqué par les grammairiens-philosophes pour donner sens à une explication mystique du monde auquel il assigne une mission religieuse. Depuis l'empereur Constantin, Virgile compte parmi les prophètes païens du Christ, et le le moyen âge l'a hissé comme tel sur les chapiteaux et les portails de ses églises. Dante l'a pris comme guide dans son voyage vers l'au-delà. La valeur humaine que représente Virgile ne change pas ; c'est l'homme éternel, dans ses constantes philosophiques, éthiques, spirituelles ; l'homme qui s'interroge sur son avenir et qui découvre au jour le jour le sens de sa mission et de sa quête. La plus-value de la poésie virgilienne à ces valeurs est celle d'une magie poétique et d'une esthétique somptueuse qui continuent de parler à l'homme d'aujourd'hui au delà de toutes les modes littéraires."


5. ITINERA ELECTRONICA : nouveaux environnements hypertextes :

ce fut encore une semaine latine pour Christian RUELL : 6 nouveaux environnements ont pu être constitués :

  • Aulu-Gelle, Les nuits attiques,
UCL | FLTR | Itinera Electronica | Bibliotheca Classica Selecta (BCS) |
Analyse, design et réalisation informatiques : B. Maroutaeff - J. Schumacher

Dernière mise à jour : 17/02/2002