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Date :     24-06-2005

Sujets :
ITINERA ELECTRONICA - HODOI ELEKTRONIKAI : environnements hypertextes préparés : Boccace, Érasme, Valère Maxime; Diodore de Sicile, Lucien, Plutarque, Xénophon; Lectures : le portrait de Thomas More, Archimède dans sa baignoire, Le besoin d'immortalité; A propos de : Les apologies de Socrate (Platon, Xénophon) - Boccace, l'écrivain latin; Folia Electronica Classica (FEC) : 3 nouveaux articles;

Notice :

1. ITINERA ELECTRONICA - HODOI ELEKTRONIKAI : environnements hypertextes préparés :

Cette semaine-ci, il n'y a pas eu de constitution d'environnements hypertextes: Christian RUELL, maître-artisan pour la confection de ces réalisations, a dû, en effet, s'absenter du service, de façon inopinée, pour raison de santé. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

De notre côté, nous avons poursuivi la préparation d'environnements hypertextes. Nous pouvons, dès lors, présenter ci-dessous les textes bruts ainsi que les traductions françaises déjà disponibles et versés dans les Dépôts ITINERA ELECTRONICA et HODOI ELEKTRONIKAI:

Remarque méthodologique :

Nous rappelons, une nouvelle fois, que les traductions françaises que nous incorporons aux environnements hypertextes sont libres de droits. De ce fait, elles datent souvent de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. Ces traductions, bien des fois, sont des belles infidèles en ce sens qu'elles se préoccupent surtout de communiquer une idée globale des récits sans veiller, nécessairement, au respect du texte même. Notre objectif, en les plaçant à côté des versions originales en latin, est justement de donner l'opportunité à l'apprenant ou à l'étudiant de se faire une idée du contenu, du déroulement de l'intrigue ou de l'avancée du récit. Les connaissances linguistiques acquises ou tirées de ces oeuvres devant autoriser une compréhension plus "intime", plus proche de la réalité textuelle et de la pensée de l'auteur.

Enfin, pour rendre possible la mise en correspondance des textes avec les traductions françaises, nous avons dû délimiter des tranches ou blocs de textes qui, pour les oeuvres en prose, correspondent en règle génerale à la division en livres, chapitres (2 niveaux de ruptures) et paragraphes (3 niveaux de ruptures) , alors que pour les oeuvres en vers, ce sont des tranches de 50 vers qui, finalement, ont été pris en considération (sauf pour les premières oeuvres traitées où d'autres systèmes ont prévalu : des découpes logiques (acte, scène, ... ou épisode, thématique, ...), des blocs de 5 en 5 vers, puis, de 10 en 10 vers, enfin, des tranches de 50 vers). Le manque de ressources huamines disponibles nous a forcés à évoluer vers un système de références simple et en rapport avec l'espace temps imparti à ces productions.

Il découle du système actuel de mise en parallèle que, dans les justapositions, le terme ou la phrase française ne se trouve pas nécessairement juste en face du correspondant latin mais souvent apparaît plus bas - si le traducteur n'a pas "omis" de tradure précisément ce terme ou ce bout de phrase -; une meilleure approche aurait pu être la correspondance phrase par phrase. Mais pour obtenir cela, il aurait fallu s'atteler à la tâche colossale d'aligner, pour chaque texte, la découpe en phrases d'un système linguistique sur celui de l'autre langue. Nous l'avons pratiquée dans le cadre d'autres activités pédagogiques : dès lors, nous savons par expérience ce qu'il en côute de vouloir réaliser un tel type de correspondance.

Notre oeuvre est un opus imperfectum, d'autres artisans peuvent l'affiner à leur guise.


2. Lectures :

  • Le portrait de Thomas More :

    Érasme, dans sa lettre n° 999, adressée à Ulrich Hutten, et datée de 1519 - année de la parution de l'Utopia - dresse un portrait complet de son ami Thomas More (1478-1535) dont voici un extrait :

    [999,18] Sed ad studiorum commemorationem redeo, quae me Moro mihique Morum potissimum conciliarunt. Primam aetatem carmine potissimum exercuit, mox diu luctatus est ut prosam orationem redderet molliorem, per omne scripti genus stilum exercens. Qui cuiusmodi sit, quid attinet commemorare ? tibi praesertim qui libros eius semper habeas in manibus. Declamationibus praecipue delectatus est, et, in his, materiis adoxis, quod in his acrior sit ingeniorum exercitatio. Vnde adolescens etiamnum dialogum moliebatur, in quo Platonis communitatem ad uxores usque defendit. Luciani Tyrannicidae respondit ; quo in argumento me uoluit antagonistam habere, quo certius periculum faceret ecquid profecisset in hoc genere. Vtopiam hoc consilio aedidit, ut indicaret quibus rebus fiat ut minus commode habeant respublicae ; sed Britannicam potissimum effinxit, quam habet penitus perspectam cognitamque. Secundum librum prius scripserat per ocium, mox per occasionem primum adiecit ex tempore. Atque hinc nonnulla dictionis inaequalitas. ...

    [999,18] Mais j'en viens aux travaux qui m'ont surtout lié à More, et lié More à moi. Durant sa première jeunesse, il a principalement cultivé la poésie; mais bientôt après, il fit de longs efforts pour assouplir sa prose, exerçant sa plume à tous genres d'écrits. À quoi bon te rappeler son style, à toi surtout qui as toujours ses livres entre les mains? Il prit surtout plaisir aux exercices oratoires et, parmi eux, aux thèmes paradoxaux parce que la gymnastique de l'esprit y est plus dure. C'est pourquoi, adolescent, il méditait un dialogue pour défendre l'idée de communauté selon Platon, y compris celle des femmes. Il répondit au "Tyrannicide" de Lucien ; il désira m'avoir pour rival sur le même sujet, afin de mieux essayer ses forces et devoir s'il avait fait des progrès dans ce genre.

    Il publia l' "Utopie" dans le but de montrer pour quelles raisons les États sont en difficulté; mais il decrivit surtout l'État anglais qu'il avait bien observé et qu'il connaissait à fond. Il écrivit d'abord le deuxième livre à loisir; puis, improvisant, il y ajouta à l'occasion le premier livre. D'où une certian inégalité de style. ...


  • Archimède dans sa baignoire :

    Plutarque, dans son Oeuvre morale "Qu'il n'est pas même possible de vivre agréablement selon la doctrine d'Épicure", raconte à sa façon cet épisode célèbre au chap. XI :

    Ἀρχιμήδην δὲ βίᾳ τῶν διαγραμμάτων ἀποσπῶντες ὑπήλειφον οἱ θεράποντες· ὁ δ´ ἐπὶ τῆς κοιλίας ἔγραφε τὰ σχήματα τῇ στλεγγίδι, καὶ λουόμενος ὥς φασιν ἐκ τῆς ὑπερχύσεως ἐννοήσας τὴν τοῦ στεφάνου μέτρησιν οἷον ἔκ τινος κατοχῆς ἢ ἐπιπνοίας ἐξήλατο βοῶν ’εὕρηκα‘, καὶ τοῦτο πολλάκις φθεγγόμενος ἐβάδιζεν.

    Quant à ce qui est d'Archimède, ses serviteurs l'arrachaient de force à ses figures de géométrie pour le frotter d'huile, et lui pendant ce temps-là en traçait d'autres sur son ventre avec l'étrille. Un jour qu'on le mettait au bain, l'eau qui se répandit hors de la baignoire quand il y entrait lui révéla le moyen de déterminer l'alliage de la couronne du roi. Aussitôt, comme saisi d'une sorte de vertige ou d'inspiration, il s'élança en criant : "J'ai trouvé" , et répétant ce mot à plusieurs reprises, il marchait toujours devant lui.


  • Le besoin d'immortalité :

    Plutarque, dans la même oeuvre, mais au chap. XXVIII, indique que la croyance à l'immortalité est une nécessité vitale pour les êtres humains :

    [28] XXVIII. Διὸ τῇ δόξῃ τῆς ἀθανασίας συναναιροῦσι τὰς ἡδίστας ἐλπίδας καὶ μεγίστας τῶν πολλῶν. τί δῆτα τῶν ἀγαθῶν οἰόμεθα καὶ βεβιωκότων ὁσίως καὶ δικαίως, - - - κακὸν μὲν οὐθὲν ἐκεῖ τὰ δὲ κάλλιστα καὶ θειότατα προσδοκῶσι; πρῶτον μὲν γάρ, ἀθληταὶ στέφανον οὐκ ἀγωνιζόμενοι λαμβάνουσιν ἀλλ´ ἀγωνισάμενοι καὶ νικήσαντες, οὕτως ἡγούμενοι τοῖς ἀγαθοῖς τὰ νικητήρια τοῦ βίου μετὰ τὸν βίον ὑπάρχειν θαυμάσιον οἷον φρονοῦσι τῇ ἀρετῇ πρὸς ἐκείνας τὰς ἐλπίδας· ἐν αἷς ἐστι καὶ τοὺς νῦν ὑβρίζοντας ὑπὸ πλούτου καὶ δυνάμεως καὶ καταγελῶντας ἀνοήτως τῶν κρειττόνων ἐπιδεῖν ἀξίαν δίκην τίνοντας. ἔπειτα τῆς ἀληθείας καὶ θέας τοῦ ὄντος οὐδεὶς ἐνταῦθα τῶν ἐρώντων ἐνέπλησεν ἑαυτὸν ἱκανῶς, οἷον δι´ ὁμίχλης ἢ νέφους τοῦ σώματος ὑγρῷ καὶ ταραττομένῳ τῷ λογισμῷ χρώμενος, ἀλλ´ ὄρνιθος δίκην ἄνω βλέποντες ὡς ἐκπτησόμενοι τοῦ σώματος εἰς μέγα τι καὶ λαμπρόν, εὐσταλῆ καὶ ἐλαφρὰν ποιοῦσι τὴν ψυχὴν ἀπὸ τῶν θνητῶν, τῷ φιλοσοφεῖν μελέτῃ χρώμενοι τοῦ ἀποθνήσκειν. οὕτως μέγα τι καὶ τέλεον ὄντως ἀγαθὸν ἡγοῦνται τὴν τελευτήν, ὡς βίον ἀληθῆ βιωσομένην ἐκεῖ τὴν ψυχήν, οὐχ ὕπαρ νῦν ζῶσαν ἀλλ´ ὀνείρασιν ὅμοια πάσχουσαν.

    [28] Ainsi en supprimant la croyance de l'immortalité on enlève les plus agréables et les plus précieuses espérances à la majorité des hommes. Que sera-ce, réfléchissons-y, que sera-ce pour les justes qui ont mené une existence irréprochable et sainte, et qui loin de voir au delà du tombeau rien de terrible, y contemplent des perspectives délicieuses et toutes divines !

    En effet, d'abord les athlètes ne reçoivent pas la couronne pendant qu'ils combattent : ce n'est qu'après avoir combattu, qu'après avoir mérité le prix. De même les gens de bien, persuadés que c'est après la vie que les palmes en sont décernées, se complaisent dans les espérances, merveilleusement douces, que leur inspire la conscience de leurs vertus. Au nombre de leurs espérances est celle-ci, que les mortels fiers aujourd'hui de leurs richesses et de leur puissance jusqu'à en être insolents et jusqu'à se moquer stupidement de ceux qui valent mieux qu'eux seront punis comme ils le méritent, et que les gens de bien seront témoins de cette expiation.

    En second lieu, la jouissance et la contemplation de la vérité n'a jamais satisfait complétement ici-bas ceux qui sont passionnés pour elle. Il semble qu'ils la voient à travers un brouillard : le corps est un nuage qui l'intercepte, et la raison procède en eux sans consistance et sans certitude. Comme les habitants de l'air, ils portent les yeux en haut. Il leur semble qu'ils vont s'envoler du corps pour aller dans des espaces immenses, lumineux. Ils donnent par avance à leur âme, loin des misères humaines, un essor rapide et dégagé, et la philosophie est pour eux une préparation à la mort. De cette manière, ils regardent la fin de la vie comme un bien important et véritablement parfait. Alors, se disent-ils, l'âme vivra de sa vie véritable: aujourd'hui elle sommeille, aujourd'hui elle ressemble à un être qui rêve.


3. A propos de :

  • Les apologies de Socrate (Platon, Xénophon) :

    A l'occasion de la préparation d'environnements hypertetxes pour les apologies, nous pouvons livrer ci-dessous, tout d'abord, les présentations, puis, une comparaison de ces deux oeuvres :

    Platon, l'Apologie de Socrate :

    L'Apologie peut être divisée en trois parties, dont chacune a son objet.
    Dans la première partie, celle qui précède la délibération des juges sur l'innocence ou la culpabilité de l'accusé, Socrate repond en général à tous les adversaires que lui avaient faits sa manière de vivre loin des affaires de la cité et ses conversations de tous les jours sur les places publiques, les carrefours et les promenades d'Athènes.

    Socrate, disait-on, était un homme dangereux, cherchant à pénétrer les mystéres du ciel et de la terre, habile à rendre bonne la plus méchante cause, et en enseignant publiquement le secret. Socrate répond qu'il ne s'est jamais mêlé des choses divines; qu'il n'a pas enseigné à la façon des sophistes, qui se faisaient payer; mais qu'importe? on ne lui reprochait pas d'exiger un salaire. Enfin, il invoque, à l'appui de cet enseignement populaire, par lequel il s'efforçait de démontrer aux uns leur fausse sagesse, aux autres leur ignorance, une mission sacrée reçue du dieu de Delphes.

    Était-ce là de quoi trouver grâce devant les ressentiments profonds qu'avait dès longtemps excités sa perçante ironie? Non, toute cette justification, qui élude les griefs, plutôt qu'elle ne les repousse, n'était propre qu'à augmenter les défiances de juges prévenus. Aussi sa véritable valeur et son intérêt sont-ils tout entiers dans la conséquence morale que Socrate ne manque pas d'en tirer avec autant de profondeur que d'ironie.
    Il a conversé tour à tour avec les poètes, les politiques, les artistes et les orateurs, c'est-à-dire avec les hommes qui passent pour être les plus habiles et les plus sages de tous; et comme il a reconnu chez les uns et chez les autres, avec l'excessive prétention à une sagesse et à une habileté universelles, l'égale incapacité à les justifier, même dans le domaine borné de leur art, il déclare qu'à ses yeux la sagesse humaine est bien peu de chose, ou plutôt qu'elle n'est rien, si elle ne s'inspire de la seule véritable sagesse qui réside en Dieu, et qui ne se révèle à l'homme que par les lumières de la raison.

    Mais les ennemis de Socrate ne s'en étaient pas tenus à des accusations générales; ils avaient formulé, par la bouche de Mélitus, ces deux accusations précises : 1) de corrompre les jeunes gens ; 2) de ne pas croire aux dieux de l'État, et de mettre à leur' place des extravagances démoniaques. Ces deux griefs se tenaient et s'appelaient l'un l'autre, car ils avaient pour fondement commun le crime d'outrage à la religion.

    Sur le premier point, Socrate répond seulement que son propre intérêt devait lui interdire de corrompre les jeunes gens, parce que les hommes ont plus de mal que de bien à attendre de ceux auxquels ils nuisent. Sa défense n'est pas plus catégorique sur le second point. Car, au lieu de prouver à Mélitus qu'il croit aux dieux de l'État, Socrate change les termes de l'accusation, et prouve qu'il croit aux dieux, puisqu'il fait profession de croire aux démons, enfants des dieux. Mais ces dieux sont-ils ceux de la république? il ne s'explique pas là-dessus.

    La plaidoirie prend un caractère soudain d'élévation et de force, lorsque Socrate, invoquant son amour profond de la vérité et l'énergie de sa foi dans la mission dont il s'est cru chargé, révèle devant ses juges le secret de toute sa vie. S'il n'a pas vécu comme les autres Athéniens, s'il n'a pas exercé les fonctions publiques, ce n'est ni par caprice, ni par misanthropie. Il obéissait courageusement à la volonté d'un dieu qui le pressait, dès sa jeunesse, de se consacrer à l'éducation morale de ses concitoyens. Volontairement, et contre ses intérêts les plus chers, il s'est fait l'instrument docile de la Divinité.

    Prévoyait-il les luttes et les haines qui devaient l'accabler? sans doute ; mais il avait fait le sacrifice même de sa vie. Cette confiance admirable, qui relève et domine le débat, marque bien que Socrate s'inquiétait moins du succès de sa cause que du triomphe de ses doctrines morales. ll ne voit dans ce dernier discours qui lui est permis que l'occasion d'un suprême enseignement, le plus frappant et le plus efficace de tous.

    Il reste néanmoins une grande obscurité sur la nature de ce démon familier que Socrate invoque si souvent. N'était-ce en lui que la voix de la conscience, rendue singulièrement forte et claire par la méditation et par une sorte d'exaltation mystique? On peut le croire. Mais il est permis de penser aussi, en se fondant sur quelques passages du Timée et du Banquet, que Socrate admettait comme tous les anciens l'existence d'êtres intermédiaires entre Dieu et l'homme, comblant l'immense distance que met entre eux la différence de nature, et exerçant un ministère analogue à celui des anges dans la théologie chrétienne.
    Les Grecs les appelaient démons, c'est-à-dire êtres divins. Était-ce quelqu'un de ces génies dont Socrate entendait la voix? Quoi qu'on en pense, le doute n'ôte rien à l'effet moral des pages les plus originales de l'Apologie.

    Dans la seconde partie, comprise entre la première décision des juges et leur délibération sur l'application de la peine, Socrate, reconnu coupable, déclare sans trouble qu'il s'attendait à sa condamnation. Mais sa fermeté semble se changer en une sorte d'orgueil qui dut blesser les juges, lorsque, se refusant à exercer le droit que lui donnait la loi de fixer lui-même sa peine, il se juge digne d'être nourri dans le Prytanée aux frais de l'État, ce qui était à Athènes la plus grande récompense publique accordée à un citoyen. Moralement, il a raison; mais au point de vue de la défense, on ne peut nier que cette attitude hautaine n'ait grossi le nombre des voix qui le condamnèrent à la mort.

    C'était là d'ailleurs le voeu secret de l'accusé, qui, dans la dernière partie de l'Apologie, une fois la peine prononcée, laisse voir une joie qui n'était pas jouée. Son démon familier l'avait averti en quelque sorte de l'issue du procès en ne lui inspirant pas de se défendre; et sa mort était à ses yeux la suprême sanction de ses doctrines et le dernier acte nécessaire de sa destinée. Aussi son unique préoccupation est-elle de prouver qu'il la regarde comme un bien. De deux choses l'une : ou la mort est un anéantissement absolu, et alors quel avantage c'est pour lui d'échapper par l'insensibilité à tous les maux de la vie ! ou elle est le passage d'un lieu à un autre; et, dans ce cas, n'est-ce pas le plus grand des bonheurs que d'être sitôt transporté dans le séjour des justes? Cet adieu à la vie, plein de sérénité et d'espérance, laisse reposer la pensée sur la croyance consolante et sublime à l'immortalité, croyance qu'une bouche païenne n'avait pas encore avouée en ces termes exprès. Elle implique certainement la distinction absolue de l'âme et du corps, et la spiritualité de l'âme.

    On le voit, l'Apologie de Socrate, bien qu'elle soit écrite dans la forme ordinaire des plaidoyers prononcés devant les tribunaux, est au fond moins politique que philosophique; et Platon ne la livrait pas tant à l'examen des citoyens d'Athènes qu'à celui des philosophes et des moralistes de tous les pays. Si son but principal avait été de justifier civilement la conduite de son maître, il l'aurait mal atteint; car il n'a réussi à prouver ni la fausseté des accusations intentées à Socrate, ni son innocence devant les lois athéniennes. Socrate avait-il réellement attaqué la religion et les institutions religieuses d'Athènes? Toute la question est là.

    La religion étant, comme les lois elles-mêmes, une partie essentielle de la constitution, l'attaquer, soit par l'ironie, soit par une polémique avouée, c'était un crime d'État. De plus, c'était non seulement le droit, mais le devoir d'un citoyen de poursuivre publiquement l'auteur de telles attaques. Or, il faut l'avouer, l'homme qui, dans l'Euthyphron, se moque des dieux de l'Olympe, traite de contes insensés les traditions mythologiques et de trafic ridicule les cérémonies du culte, l'homme en guerre ouverte avec le polythéisme ne pouvait pas se soustraire à l'accusation d'impiété. Voilà pourquoi Platon l'en défend mal. Mais, à vrai dire, il importe peu à ses yeux , et même il entrait peut-être dans son dessein de sacrifier la défense légale, afin de prouver la supériorité morale de son maître sur les hommes de son temps par la profonde incompatibilité de ses croyances avec les leurs. Socrate serait moins grand philosophe s'il eût pu être absous. Entre autres caractères, son originalité n'est-elle pas d'avoir cru à un seul Dieu en plein polythéisme, et sa grandeur, de l'avoir dit et d'être mort pour l'avoir osé dire ? [tiré de : E. SAISSET, Oeuvres complètes de Platon. Traduction DACIER et GROU revisée par E. CHAUVET et A. SAISSET. t. I, Paris, Charpentier, 1885]

    Xénophon, l'Apologie de Socrate :

    Comparée au livre admirable de Platon, l'Apologie de Socrate de Xénophon semble froide et décolorée. On n'y trouve qu'un léger souvenir, une image lointaine de cette ironie vive, amère, mais toujours contenue, dont Platon arme la défense éloquente de son maître.

    L'Apologie de Platon, ainsi que le fait remarquer Denys d'Halicarnasse dans sa Rhétorique, se divise en trois parties distinctes , qui forment comme les trois actes de ce dramatique monologue. Suivant l'ordre usité dans les jugements athéniens, la première partie contient la réfutation que Socrate oppose à ses accusateurs ; dans la seconde, reconnu coupable par les juges , il discute la peine qui doit lui être infligée; dans la troisième , condamné à mort, il expose ses idées sur le passage de l'âme à une vie meilleure.

    L'Apologie de Xénophon n'offre rien de semblable; l'auteur le dit lui-même. "Je ne me suis point préoccupé de rapporter tous les détails du procès : il m'a suffi de faire voir que Socrate avait attaché la plus grande importance à démontrer qu'il n'avait jamais été impie envers les dieux, ni injuste envers les hommes, mais qu'il ne pensait pas devoir s'abaisser à des supplications pour échapper à la mort; qu'au contraire il était persuadé, dès lors, que le temps était venu de mourir."

    Tout le plaidoyer de Xénophon est subordonné à cette idée. Aussi, nul déploiement d'éloquence : rien de passionné et de saisissant; quelques paroles brèves, nettes, dédaigneuses, mais dépourvues de ce persiflage mesuré, dont Platon flagelle l'iniquité des juges de Socrate, en leur imprimant un stigmate indélébile : point de mouvements entraînants, point de traits oratoires. Par exemple, la dernière phrase de l'Apologie de Platon est un admirable résumé de toute son oeuvre, une opposition noble et frappante de la situation morale de Socrate et de celle de ses juges : « Mais il est temps de nous séparer, moi, pour aller mourir, et vous, pour aller vivre : à qui de nous est réservé le meilleur sort , c'est un secret pour tous, excepté pour Dieu. »

    Dans Xénophon, rien de pareil. Disons pourtant que le silence même de Socrate a je ne sais quoi de digne, d'imposant, de flétrissant pour ses ennemis. «Après avoir ainsi parlé, il sortit sans que rien en lui démentît son langage ; ses yeux, son attitude, sa démarche, conservant la même sérénité. » Cette majesté, cet inaltérable sang-froid dans le maintien d'un homme déclaré coupable et frappé d'une sentence de mort, n'est-elle pas comme la condamnation vivante de ceux qui l'ont condamné ?

    [tiré de : Eugène TALBOT, Oeuvres complètes de Xénophon; t. I, Paris, Hachette, 1859]

    Comparaison des deux apologies :

    PLATON, Apologie de Socrate :

    " ... Son Apologie a l'air d'une improvisation familière; c'est, en fait, une composition très réfléchie. Après un exorde où Socrate s'excuse de ne pas parler avec art, il répond d'abord aux accusations des poètes comiques, d'Aristophane en particulier, qui l'avaient représenté comme adonné aux sciences de la nature; il déclare y être absolument étranger. Mais alors,-dit-il, s'il ne prétend à aucune supériorité de connaissance, s'il n'y a rien en lui d'exceptionnel, d'où est venue sa notoriété? d'où sont nés tant de soupçons malveillants? Il l'explique par le fait que, depuis longtemps, s'étant mis à interroger tous ceux que l'on croyait savants, ou qui d'eux-mêmes se croyaient tels, il a été amené à les convaincre qu'ils n'en savaient pas plus que lui-même sur les choses qu'ils croyaient savoir. Et cette enquête, il ne l'a faite, ajoute-t-il, que pour contrôler une déclaration du dieu de Delphes, qui l'avait désigné, lui, Socrate, comme le plus savant des hommes.

    Telle est la première partie de l'Apologie. Elle caractérise à grands traits, mais avec justesse, le rôle de Socrate ainsi que sa philosophie, résolument indifférente aux recherches sur la nature, et toute attachée à la connaissance de l'homme, à la définition de son bien; elle le met en scène, elle le fait revivre sous nos yeux. Qu'il y ait quelque artifice dans l'importance attribuée à l'oracle, cela n'est pas douteux. Non pas qu'on en doive mettre en doute la réalité. Mais en le donnant comme la raison première et décisive de l'enquête qui avait occupé toute la vie de son maître, Platon a cédé visiblement à un instinct de simplification dramatique, qui était d'un poète plus que d'un historien. Il y trouvait d'ailleurs l'avantage de marquer plus fortement le caractère divin du rôle joué par Socrate; il transformait effectivement en une investiture formelle ce qui avait été d'abord une simple suggestion de sa nature et ce qu'il avait considéré ensuite comme l'ordre d'une voix intérieure, l'ordre d'un dieu.

    La seconde partie est la réponse directe aux griefs positifs formulés par Mélétos. A vrai dire, cette réponse semble plutôt destinée à faire ressortir la légèreté de l'accusateur qu'à démontrer l'inanité de l'accusation. Socrate ne discute pas réellement la question de l'influence excercée par lui sur la jeunesse. Il s'amuse à faire dire par Mélétos cette sottise, que tout Athénien, quel qu'il soit, est capable de bien élever les jeunes gens, hormis un seul, qui est Socrate. Puis, il l'amène à convenir que tout homme sensé doit aimer mieux, dans son propre intérêt, vivre avec d'honnêtes gens qu'avec ceux qui ne le sont pas ; d'où il suit qu'il aurait été dénué de sens, s'il avait volontairement perverti ceux dont il faisait sa société habituelle. Il est trop clair que ni l'un ni l'autre de ces raisonnements ne démontre ce qui était vraiment en question, c'est-à-dire que l'influence de Socrate ne s'exerçait pas au détriment de l'autorité des parents ni contrairement à l'esprit de la démocratie athénienne. Ils prouvent simplement, l'un et l'autre, que Mélétos était un sot qui ne comprenait rien au rôle dont il s'était chargé. C'est sans doute ce que Socrate avait voulu faire éclater aux yeux du tribunal, ne pouvant guère présenter sur ce point une justification directe, qui n'eût été ni admise ni comprise. Platon est donc probablement en ceci un témoin assez fidèle.

    Le reproche d'innover en matière religieuse est traité d'une manière analogue. Mélétos, pressé de s'expliquer nettement, ne fait pas difficulté de dire qu'en fait il tient l'accusé pour un athée. Cette accusation, Socrate la tourne en ridicule, en montrant qu'elle se contredit elle-même, puisque le même homme prétend d'autre part le faire condamner comme croyant à des divinités nouvelles. Pour la seconde fois, l'auteur de la plainte est convaincu de ne pas savoir ce qu'il dit. Socrate explique alors ce qu'est cet esprit divin qu'on lui reproche d'adorer : simple avertissement intérieur que les dieux lui donnent, comme ils en donnent à d'autres sous d'autres formes. Ici encore, la vraie question est à peine effleurée. On a vu plus haut pourquoi Socrate n'avait pas pu apporter sa profession de foi devant le tribunal. Les mêmes raisons s'imposaient à son apologiste. Exposer la croyance religieuse de Socrate, c'eût été s'obliger à dire en quoi elle s'écartait de celle de la foule. Platon ne se sentit pas en droit de le faire, surtout dans une composition qui était censée reproduire ce que Socrate avait dit réellement.

    Mais si cette seconde partie nous fait un peu l'effet d'un intermède satirique, où l'auteur se joue aux dépens d'un personnage méchant et ridicule, il en est tout autrement de celle qui suit, où Socrate expose sa mission. C'est bien en effet comme une mission divine qu'il représente son rôle; et voilà certainement ce que Platon a surtout voulu imprimer dans l'esprit de ses lecteurs. On sent ici combien il tient à leur persuader que si son maître a passé sa vie à interroger, à raisonner, à exhorter, ce n'était ni pour le malin plaisir de déconcerter ses interlocuteurs, ni pour la satisfaction de déployer son esprit, ni par une sorte d'indiscrétion naturelle, mais parce qu'il croyait fermement qu'en agissant ainsi il rendait à ses concitoyens le plus grand service, parce qu'il accomplissait un devoir qui lui avait été spécialement prescrit par une volonté divine. Semblable au soldat à qui un poste a été assigné, il ne pouvait s'y soustraire sans déshonneur. C est ce que Platon lui fait déclarer expressément, en un langage éloquent. Et c'est par là qu'il explique aussi son refus absolu de changer de conduite. Si Socrate a semblé braver ses juges, s'il a déclaré qu'acquitté par eux, il continuerait à faire ce qu'il avait toujours fait, l'Apologie en donne la raison, à la fois très simple et très belle. C'est qu'en renonçant à parler, il aurait fait acte de lâcheté par peur d


 
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Dernière mise à jour : 17/02/2002