Présentation du poème par : Perrine GALAND, Ange Politien, Les Silves.
Paris, Les Belles Lettres, 1987, pp. 235-287

"AMBRA (1485).

Ambra était le nom ancien de la villa médicéenne de Poggio a Caiano ainsi que d'une petite île située dans le domaine. Laurent de Médicis avait chanté lui aussi ces lieux dans un poème du même nom. Politien donne ce titre en 1485 à la Silve qui annonce l'étude d'Homère et de l'Iliade en particulier. Seule la fin de la praelectio évoque cependant les beautés de la villa de Laurent.

L'humaniste, dans sa conclusion, personnifie l'île Ambra sous les traits d'une nymphe, fille d'un affluent de l'Arno, I'Ombrone, qui borde la propriété. Par cette allégorie, le poète rattache à nouveau le monde médicéen au monde antique. Tout comme dans Rusticus la villa de Fiesole avait servi de point de départ à ses méditations sur Virgile, ses réflexions sur Homère s'intègrent ici dans un cadre bien réel, celui du parc de Poggio. En dotant la villa de divinités tutélaires, Politien reprend un thème cher à Stace dans ses descriptions de riches domaines : celui de la bienveillance presque surnaturelle des éléments du site.

A propos d'une villa sorrentine, Stace écrivait : « Merveilleux est le calme de la mer : les flots fatigués laissent ici tomber leur colère [...]» Politien, faisant allusion aux digues récemment construites sur l'ordre de Laurent, attribue à l'Ombrone une clémence identique : « L'Umbro [...] que son maître l'Arno chérit tant, l'Umbro enfin qui ne saurait déborder de son lit.»

A. Chastel (Art et Humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique , Paris, P.U.F., 1958, p.148) explique que, dans le choix d'un emplacernent pour la construction d'une propriété, les humanistes accordaient une importance réelle à "l'aura" religieuse du site. Cette préoccupation s'unit chez Politien au sentiment néo-platonicien de l'animisme de la nature. Aussi les villas médicéennes, tant dans Rusticus que dans Ambra, apparaissent-elles peuplées de divinités champêtres qui s'adonnent à d'étranges promenades dans la nature à l'aube ; à la suite d'un cortège digne de la Primavera de Botticelli, composé de Proserpine, de Vénus, de Flore, de Zéphyr et des Grâces, les déesses agrestes mènent une danse irréelle : «Ruisselante, une Naïade presse leur choeur, une Oréade accourt de sa montagne, les Napées agiles quittent les sommets élevés et la Dryade ne demeure pas cachée sous les feuillages.» Ces nymphes grecques qui animent le paysage de Rusticus sont les soeurs antiques de l'Ambra qui cueille pour Homère une couronne de fleurs «dans l'herbe de la rive paternelle» et la remet à Politien. Le poète se plaît ainsi à établir des correspondances entre les différentes Silves, entre l'Antiquité et le Quattrocento.

Poème des villas, la Silve Ambra est avant tout consacrée à la célébration d'Homère. Politien y donne, à travers une fiction mythologique de son cru, une biographie imaginaire du poète grec, qui met l'accent sur le caractère divin du vates, un résumé de l'Iliade et de l'Odyssée, une analyse minutieuse des intérêts de l'oeuvre homérique. Politien reprend surtout un thème de louange traditionnel qui remonte à Quintilien : il présente Homère comme la source de tous les arts et de toutes les sciences : "Tout comme l'Océan, père des éléments, donne à la terre immense les sources et les fleuves, de même de ses écrits découle toute la savante grâce qu'exprime la voix des hommes''. » La reprise de l'image d'Homère omniscient lui permet surtout, nous l'avons vu, d'esquisser ensuite une classification des artes originale qui montre l'importance du rôle de l'art poétique dans ses conceptions de la culture. Il réalise enfin une étude du style homérique proprement dit, qui illustre sa théorie personnelle de la uarietas".