OVIDE

MŽtamorphoses

Pyrame et ThisbŽ

IV, 55-166

 

Au fil CONCLUSION texte

 


 

 

1. Les temps et les tons de la légende

2. La part de l'élégie

3. La cohérence structurale de la légende :
les noms et les espaces

4. Le médaillon central

5. La métamorphose

 

 

1. Les temps et les tons de la légende

Dès l’ouverture, le poète place cette légende sous le signe du feu : ville orientale aux murs de briques cuites, signature du nom de Pyrame (l’Ardent), et métaphore filée de la brûlure : ardebant, magis aestuat ignis, ignes, siccauerat. En l’occurrence, le feu est aussi la métaphore de l’amour, sentiment auquel Ovide a largement contribué à donner une place en littérature, en particulier par le biais de la poésie élégiaque. L’amour est le moteur de notre légende ; il y agit comme un personnage et la versification met en évidence chacune de ses apparitions. En revanche, on sait que ce sentiment est mal représenté dans l’univers épique, où il apparaît plus souvent comme un obstacle que comme un auxiliaire à la quête héroïque, l’exemple le plus flagrant en étant, bien sûr, l’échec de la relation entre Didon et Énée dans l’épopée virgilienne.

Dans notre poème, les deux univers sont représentés, en deux temps fort inégaux du point de vue de la longueur. Ils représentent les deux moments d’une quête amoureuse, empêchée puis accomplie, mais dans la mort et la métamorphose. À ces deux temps correspondent deux tons : le ton de l’élégie, qui marque les prémices de cet amour et les entraves qu’on lui impose ; le ton de la narration épique, qui marque son échec dans l’ordre humain, mais son accomplissement dans l’ordre de la métamorphose.

 

2. La part de l’élégie (voir I. JOUTEUR, p. 104-107)

Le poème commence sur le ton de l’élégie. Les jeunes gens sont les plus beaux de leur sexe, et, dès le début, leur relation apparaît en même temps composée de voisinage et de séparation : alter/altera. Car, né de la proximité, leur amour est contrarié par l’interdiction des pères, et il est présenté comme irrémédiable. Cette tension contradictoire est symbolisée dans l’image du mur et de la fissure, qui, à la fois, sépare et rapproche les amants. Ovide en extrait un paraklausithuron, qui est un lieu commun de la poésie élégiaque. Comme la porte fermée, il est l’obstacle qui suscite, de chaque côté, les lamentations des amants. Par ailleurs, il les oblige à communiquer par gestes et par signes, mais en l’absence de tout confident, de la même façon que les amants des Amours recourent aussi à des stratégies codées, mais pour ne pas attirer l’attention du mari (am. I, 4). Cela étant, contrairement au symbole élégiaque, ce mur est aussi, paradoxalement, le lieu qui rapproche Pyrame et Thisbé, grâce à la fissure qui le traverse. Dans l’élégie traditionnelle, le mur ou la porte sont un obstacle infranchissable, surveillé par des gardiens sourcilleux ou, tout simplement, refermé par la belle, indifférente à la flamme de son amant. Ici, le mur est fendu, mais il ne l’est que pour les amants : pendant des siècles, cette fissure n’a jamais attiré l’attention de personne ; c’est l’amour qui l’a observée, comme s’il était un personnage de l’histoire, qui inverse le sens du symbole traditionnel. Plutôt qu’un obstacle, le mur devient domui communis utrique (v. 66) où la scansion et ses multiples césures mettent en évidence les éléments de proximité, contrairement à la séparation alter/altera des v. 55-56. Cette fissure devient alors un chemin symbolique pour l’échange de la parole amoureuse (uocis iter), interdite dans l’élégie traditionnelle où le mari ne peut pas entendre les propos des amants. Et cette parole se double ici de murmure et de caresses virtuelles, où l’écoute devient un jeu amoureux dont s’est emparée toute la tradition iconographique de l’épisode.

L’affectivité élégiaque se manifeste également dans les procédés dialogiques mis en œuvre par le poète : il s’adresse directement à ses personnages (v. 68-69), non sans exprimer sa propre émotion par laquelle il cherche à attirer aussi la sympathie de son lecteur à leur égard : quid non sentit amor ? (v. 68). L’écriture lyrique se nourrit de ce type de procédés, où le poète s’investit en tant qu’observateur sinon commentateur de la relation qu’il décrit, en mimant un dialogue fictif avec son lecteur. Par mimétisme, les personnages se comportent de la même façon à l’égard du mur qu’ils apostrophent, comme le poète s’est adressé à eux : ils le personnifient, projettent sur lui les sentiments de jalousie et d’opposition qui sont ceux de leurs pères, lui demandent de s’ouvrir.

Les amants expriment leur désir d’union en employant le lexique consacré par l’élégie : toto nos corpore iungi, oscula. Mais l’union est impossible, comme il se doit dans l’élégie ; c’est alors le temps de la frustration qui suit celui de la plainte : les baisers ne parviennent pas à leur destinataire et la déception qui en résulte se traduit par le ralentissement du v. 80 avec ses trois syllabes longues et son participe de quatre syllabes, suae non peruenientia. La formule d’adieu dixere uale a aussi quelque chose de la familiarité élégiaque.

Enfin, la mention du gardien et de la porte relève du même univers. En faisant grincer les gonds de cette porte, à la faveur de la nuit, trompant la vigilance du portier pour se rendre au rendez-vous nocturne, Thisbé, l’amoureuse ingénue, est comparable aux intrigantes de l’élégie : comme le leur, son comportement est marqué par la ruse et l’audace, et elle abuse son entourage. Le vocabulaire de la dissimulation élégiaque autour de l’interdit de la porte est bien présent : custodes, foribus, callida, uersato cardine, fallit, adoperta. Thisbé entre alors dans le monde de la transgression qui est ici une solitude symbolique, et en l’occurrence fatale, et la narration reprend ses droits pour conduire vers l’issue tragique de la légende.

 

3. La cohérence structurale de la légende : les noms et les espaces

Les attestations des prénoms des personnages permettent de construire le sens du poème. Pyrame et Thisbé apparaissent côte à côte aux v. 55 et 71, en chiasme. Jusque là, ils sont effectivement voisins ; seul le mur les sépare, mais en même temps les rapproche. Dans la suite du texte, les noms des personnages apparaissent séparément : ils agissent en sens divers, chacun à la recherche de l’autre. À l’exception du v. 145 qui évoque abstraitement son nom, Thisbé apparaît toujours en fin de vers, alors que Pyrame apparaît toujours au début du vers. Si l’on excepte l’occurrence nomen Thisbes du v. 145, le nom des jeunes amants figure chacun six fois ; ils sont mis sur le même pied dans cet amour, dont le poète évoque à plusieurs reprises la réciprocité (ex æquo, ambo, duo), après avoir souligné, dès les deux premiers vers, l’exceptionnelle beauté qui les distingue des autres jeunes gens. La tragédie de leur amour se trouve résumée au v. 143, où l’on retrouve les deux noms réunis pour la dernière fois, mais aux deux extrémités du vers : les deux amants ne peuvent pas se rejoindre, si ce n’est dans la mort ; seule la mort peut accomplir ce qui n’était pas possible de leur vivant ; les deux noms réapparaissent ultimement aux v. 145 et 146, réunis dans la même phrase, mais plus dans le même vers, séparés à ce moment par la mort de l’un des deux (oculos a morte grauatos). Dans le mme esprit, rappelons aussi le polyptote du verbe tegere aux v. 64 et 159, au dŽbut et ˆ la fin de la lŽgende, et le jeu de mots sur les numŽraux unus/duo ŽvoquŽ par chacun des deux amants juste avant de mourir aux v. 108 et 159: l'amour qui unit Pyrame et ThisbŽ trouve finalement sa rŽalisation, mais d'une manire qui n'Žtait pas prŽvue au dŽpart, dans la mort et la mŽtamorphose de l'arbre tŽmoin de leur union.

Cette distribution des noms vers une ultime rencontre dans la mort qui sépare et réunit tout à la fois, comme le mur dans la première partie (voir la construction anaphorique des v. 152-153), se double d’une progression concentrique du récit dans l’espace. Comme souvent chez Ovide, la passion naît dans un endroit clos ; ce lieu fermé renforce le caractère exclusif du sentiment qui unit les amants et il est une condition de la durée du couple. Dans notre légende, cet endroit est d’abord entouré de murailles, dans une ville, puis il se rétrécit pour n’être plus qu’une fissure dans un mur mitoyen. À l’autre bout de l’histoire, cette passion trouve son aboutissement dans un autre espace étroit, celui d’un univers bucolique occupé par une fontaine, un tombeau et un arbre, à la campagne, en un lieu de rendez-vous, mais qui se rétrécit lui aussi jusqu’aux branches de l’arbre, avant de devenir une urne qui est le dernier mot du poème. La prison de la maison se déplace vers un lieu sépulcral : le tombeau de Ninus, qui préfigure l’urne funéraire où se rejoindront réellement les deux amants. L’union de Pyrame et Thisbé, annoncée dans la proximité des deux noms au premier vers (v. 55), se réalise finalement dans la mort au dernier mot du dernier vers (v. 166). Le rendez-vous près du tombeau de Ninus annonce l’issue tragique du drame : contrairement à ce que dit Ovide, le tombeau de Ninus se trouvait à Ninive et non à Babylone, la ville de Pyrame et Thisbé, mais la présence d’un tel monument, connu dans l’antiquité pour sa beauté et ses dimensions colossales, connote l’épisode d’une solennité funèbre, en même temps qu’elle est peut-être une annonce cryptée de l’action de la déesse Ishtar dans le destin tragique des jeunes amants. Par ailleurs, d’autres anticipations sont présentes dans ce lieu de rendez-vous, qui alertent d’un glissement de l’histoire vers une fin tragique : l’eau glacée de la fontaine (gelido fonti), la nécessité de se cacher à l’ombre de l’arbre (lateant sub umbra arboris), et le grand échange cosmique entre le jour et la nuit d’où surgissent les ténèbres, loin de l’enceinte rassurante de la ville.

 

4. Le médaillon central

Le récit se déroule entre ces deux espaces clos de la maison et de l’urne, avec, en son centre, un médaillon narratif qui fait basculer l’histoire dans la deuxième partie, mais qui fait aussi intervenir un personnage tiers, perturbant ainsi l’issue attendue du récit, non pas en annulant l’objet de la quête (la rencontre des amants), mais en la réalisant dans des conditions nouvelles (la mort et la métamorphose de l’arbre). Thisbé sort de la maison et de la ville (v. 93-96) et la lionne surgit (v. 96-98) : il y a bien rencontre, mais pas celle qui était prévue : egreditur (v. 94) / uenit (v. 96). Ces vers 93-98 contiennent, au centre de la légende, les champs sémantiques essentiels du récit :

• les ténèbres (tenebras), qui ponctuent tout le temps du récit, depuis le moment où les amants se disent adieu derrière leur mur, jusqu’à la nuit du rendez-vous, l’obscurité de la grotte, l’ombre de l’arbre et finalement la couleur des fruits ;

• la méprise (fallit) objective et subjective, où les amants trompent leurs parents et leurs gardiens (v. 85), avant de se tromper eux-mêmes à leur insu (v. 138) ;

• le tombeau (tumulum), qui est le lieu du rendez-vous manqué dans la vie, accompli dans la mort ;

• l’arbre (sub arbore sedit), qui est au centre de la légende étiologique ;

• l’audace (audacem) dont se rendent coupables les deux amants, depuis leurs rendez-vous secrets derrière le mur, jusqu’à leur suicide fortement souligné par le poète ;

• l’amour (amor) : le mot amor revient sept fois dans le récit (vv. 60, 68, 96, 137, 148, 150, 156), dont cinq fois à la césure et deux fois à la pause du vers ; amans apparaît quatre fois (vv. 68, 73, 108, 128), dont trois fois à la pause du vers. L’amour est le moteur de toute l’action ; sur les sept occurrences du mot amor,  il est six fois sujet de la phrase, alors que les amantes ne le sont jamais ;

• le sang issu d’une mort violente, dont est remplie la gueule de la lionne, et dont le mot métonymique caedes réapparaît plusieurs fois dans la suite du texte pour désigner la mort des amants (vv. 125, 160, 163), nonobstant les autres références nombreuses au cruor ou au sanguis.

 

5. La métamorphose

LĠintervention de la lionne est lĠŽlŽment extŽrieur, lĠobstacle qui empche lĠhistoire de se dŽrouler normalement et qui oblige le rŽcit ˆ chercher une issue originale pour que la qute puisse finalement se rŽaliser ; ce sera la mŽtamorphose. Si lĠon considre que la lionne et la lune renvoient ˆ la dŽesse Ishtar, peut-tre aussi prŽsente dans lĠallusion Žtrange au tombeau de Ninus, cette partie du rŽcit marquerait le surgissement allŽgorique du divin dans la vie des hommes pour contrecarrer leurs projets, et les obliger ˆ la mŽtamorphose pour les rŽaliser. De plus, la dŽesse Ishtar est aussi la dŽesse de lĠamour, dont on vient de rappeler quĠil joue, ˆ la manire dĠun personnage, un r™le actif dans le malheur des deux jeunes gens. Enfin, lĠadverbe forte du v. 103 confirme ce dŽterminisme divin au moment le plus crucial de la lŽgende, ˆ savoir lorsque la lionne trouve Ç par hasard È le voile de ThisbŽ sur le chemin de son retour ˆ la fort. La lionne est, certes, compltement Žtrangre ˆ lĠaventure des deux personnages ; elle ne les voit pas, elle ne les menace pas (elle est repue dĠune rŽcente victime). Mais elle est ˆ la source de la mŽprise de ThisbŽ, notamment ˆ cause de la duplicitŽ de la lune qui lui a fait voir lĠanimal, en trompant la jeune fille sur ses intentions. Ces interventions Ç divines È prs dĠun tombeau font en sorte que la deuxime partie de la lŽgende ne pourra pas aboutir comme lĠavaient espŽrŽ les deux amants. Sans tre officiellement prŽsents, les dieux sont dans la coulisse pour faire Žchouer le bonheur des hommes, comme souvent dans les MŽtamorphoses. En rŽalitŽ, cette deuxime partie ressemble en beaucoup de points ˆ la premire, car comme la premire, elle est un Žchec :

• la mort sépare les amants comme le mur : Thisbé le reconnaît dans la phrase sibylline des v. 152-153 ; mais, en même temps, elle annonce qu’ils seront réunis dans la mort ; ce sera l’œuvre de la métamorphose ;

• le poignard commun qui les réunit dans la mort (v. 163) est le correspondant de la fissure dans le mur qui permettait aux amants d’échanger leurs paroles et leurs souffles ;

• en revanche, le mur ne leur permettait pas d’échanger leurs baisers (v. 75, 80) ; dans la deuxième partie, les baisers sont possibles, mais l’échange ne se réalise pas : Pyrame embrasse d’abord le voile ensanglanté de Thisbé (v. 117) ; Thisbé peut finalement embrasser Pyrame, mais elle embrasse un visage mort (v. 141) ;

• la nuit devait réunir les deux amants (nocte silenti : v. 85) ; en réalité, elle les perdra (v. 108, 111).

Pourtant, il faut croire que les deux amants sont finalement réunis dans la mort, puisque les dieux l’attestent dans le signe demandé par Thisbé : le changement de couleur des fruits du mûrier, du reste associé au mélange des cendres dans une urne unique. Cette métamorphose est évoquée deux fois : ponctuelle, au moment du suicide de Pyrame, par le verbe technique de la métamorphose uertere (v. 126) ; définitive, après la prière et le suicide de Thisbé (v. 165), car la couleur des mûres est désormais noire, dès qu’elles arrivent à maturité. Cette légende pose effectivement la question fondamentale du statut de la métamorphose, qui affecte non pas les personnages de l’histoire, mais un élément du décor, un témoin extérieur de leur malheur. Pour comprendre la place de la métamorphose dans un conte comme celui-ci, il faut replacer l’œuvre dans la perspective du livre XV et du discours de Pythagore qui contient le programme philosophique du poème d’Ovide. Le philosophe y développe notamment l’idée que chaque âme est appelée à connaître la métempsycose, à voyager dans des corps différents, et donc que la mort n’est autre chose qu’une métamorphose : « Tout change, rien ne meurt. Le souffle de vie circule ; il va de ci de là et il prend possession des membres qu’il veut » (XV, 165-167) ; « Rien ne périt dans le monde entier, mais tout varie, tout change d’aspect ; ce qu’on appelle naître, c’est commencer autre chose que ce qui fut avant, et mourir c’est cesser cette même chose » (XV, 254-257). Le changement est la règle qui régit l’univers ; la mort n’est qu’une métamorphose, et toute métamorphose est une mort à ce que l’on a été.

Dans notre légende, les deux jeunes gens meurent l’un après l’autre, mais cette mort ne met pas un terme à leur amour ; au contraire, elle le réalise. La métamorphose du mûrier est matériellement liée à la mort des deux personnages, puisqu’elle est issue de leur sang dont l’arbre a été aspergé. Ce sang, appelé cruor quand il s’agit simplement d’évoquer le sang versé, est aussi appelé sanguis, déjà avant le récit (v. 52), puis au moment du suicide de Pyrame (v. 118, 126) : tout se passe comme si le souffle vital de Pyrame, matérialisé par le sang qui gicle, passait dans un autre corps, réalisant ainsi la croyance la plus établie du pythagorisme, à savoir la migration des âmes. Mort et métamorphose sont textuellement mises en relation, ce que confirme la présence conjointe du tombeau et de l’arbre au lieu de rendez-vous (vv. 88-89 ; 95 ; 156-158). Contrairement aux autres personnages des Métamorphoses, Pyrame et Thisbé meurent réellement ; Ovide insiste même sur la cruauté de leurs blessures et sur la réalité tragique de leur mort respective, mais cette mort entre dans une réflexion pythagoricienne : elle suppose un au-delà de la vie humaine, qui réalise ce que l’homme n’a pu obtenir de son vivant, à travers une transmigration de son âme dans un autre être appelé à témoin pour en attester la réalisation : c’est tout le sens de la prière de Thisbé aux v. 158-161. Aussi tragique soit-elle, la mort de Pyrame et Thisbé marque pour eux une forme de bonheur, qui compense l’échec de leur amour humain, comme si la mort était le seul espace où la durée de l’amour puisse s’installer, car elle introduit l’âme dans un univers dégagé des troubles du monde.

Replacé dans ce contexte pythagoricien, le conte peut aussi évoquer, pour les deux amants réunis dans la mort, l’entrée dans une sorte d’âge d’or, symbolisé par la métamorphose des fruits du mûrier. Dans son discours du livre XV, Pythagore évoque la férocité particulière du lion qui se nourrit de viande, et particulièrement « de repas sanglants » (XV, 85-87). À ce titre, le pythagorisme condamne les nourritures carnées, au profit d’un végétarisme absolu qui est, selon lui, une des caractéristiques de l’âge d’or : « Mais cet âge lointain, auquel nous avons donné le nom d’âge d’or fut riche en fruits que portent les arbres et en plantes que la terre fait pousser, et il ne souilla pas les bouches avec le sang » (XV, 96-98). Même si elle ne constitue pas une menace réelle pour les jeunes gens, la lionne apparaît bien dans notre histoire sous son aspect sanglant : elle est souillée du sang de son repas et, avec la complicité de la lune, elle provoque la méprise fatale de Thisbé, avant que Pyrame n’en appelle lui-même à sa férocité dans l’apostrophe suicidaire qu’il lui adresse au moment de sa propre méprise. Finalement, le sang est bien versé, et indirectement à cause de la lionne, dans un monde d’apparences et de jalousie. Mais cette mort, bien loin de mettre un terme à l'amour, l’autorise définitivement, dans un autre monde ; le sang mêlé qui arrose ensemble la racine et les fruits de l’arbre enfante, pour Pyrame et ThisbŽ, un bonheur post mortem qui réalise dans un univers végétal leur amour interdit dans l’univers des hommes.

 

Responsable académique : Paul-Augustin Deproost  
Analyse : Jean Schumacher  
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Dernière mise à jour : 30 août 2017