[1,21] XXI. La guerre des T(h)olenzi. À cette époque, un grand remue-ménage se produisit dans le pays oriental des Slaves qui entrèrent les uns après les autres dans une guerre civile. Il y a ceux appelés Lutici ou Wilzi, quatre peuples dont nous connaissons les Kycini et les Circipani, qui vivent au-delà du Peene, les Redarii et les Tolenzi, de ce côté du Peene. Entre ces peuples survint une très nette dissension sur l’exercice du pouvoir. Les Redarii et les Tolenzi aspiraient au pouvoir général à cause de l’ancienneté de leur forteresse et de leur temple célèbre dans lequel se dresse la statue de Radigast. Ils réclamaient pour eux cette position particulièrement éminente car, à cause de l'oracle et des offrandes de sacrifices annuelles, tous les peuples slaves leur rendaient fréquemment visites. Les Circipani et les Kicini de leur côté, refusèrent de leur donner satisfaction; de fait, ils se résolurent à défendre leur liberté par les armes. Comme la désunion s’envenima progressivement, une longue guerre éclata : les Redarii et les Tolenzi furent vaincus dans des batailles acharnées. La guerre se renouvela une deuxième puis une troisième fois et les mêmes furent à nouveau battus par les mêmes. Des milliers d'hommes furent tués dans les deux camps. Les Circipani et les Kicini, qui avaient été contraints de faire la guerre, en sortirent vainqueurs. Les Redarii et les Tolenzi luttaient pour la gloire et, meurtris à vif par la honte de leur défaite, ils appelèrent à leur aide le très puissant roi des Danois et Bernhard, duc de Saxe, ainsi que Gottschalk, prince des Obodrites, chacun d'eux avec son armée. Pendant six semaines ils maintinrent cette énorme masse avec leurs propres moyens. Les Circipani et les Kicini furent submergés par une telle multitude, ils n'eurent pas la force de résister. Un très grand nombre d'entre eux fut emmené en captivité. En fin de compte, ils achetèrent la paix pour quinze mille marks et les princes se les partagèrent entre eux. Du Christianisme il ne fut fait jamais question et aucun honneur ne fut rendu à Dieu qui leur avait donné la victoire dans la bataille. De là on peut peut-être discerner l'avidité insatiable des Saxons qui, bien que surpassant dans les armes et dans l'art de guerre les autres peuples voisins des barbares, sont plus souvent enclins à accroître leur butin qu’à gagner des âmes pour le Seigneur. Grâce à la persévérance des prêtres, le Christianisme en Slavie aurait depuis longtemps grandi en estime, si la convoitise des Saxons n'y avait fait obstacle. Permettez donc que je fasse un éloge et une louange sans limites du remarquable Gottschalk, qui issu de peuples barbares, restaura pour les siens le cadeau de foi, la grâce de la croyance grâce à la ferveur intense de son amour; et que je critique les chefs Saxons, qui, issus d’ancêtres chrétiens et élevés dans le sein de l’Église de notre Sainte Mère, n’apparaissent que stériles et vains pour le travail de Dieu. [1,22] XXII. La rébellion des Slaves. Au cours des années où, par la miséricorde de Dieu et les vertus de cet homme dévot, Gottschalk, l'état de l'Église et le service sacerdotal prospéra convenablement en Slavie, l'église d’Oldenburg, à la mort d’Abelin fut divisée en trois évêchés. Cette division, en effet, fut loin de venir d’un ordre impérial mais sortit clairement de l’imagination du grand Adalbert, archevêque de Hambourg. Car c’était un homme ambitieux et très influent dans le royaume ; il avait le César Henri, fils de Conrad, ainsi que le pape Léon, bien disposés et amicaux envers lui sur tous les points. Il exerçait son autorité d'archevêque et le droit d’un légat papal dans tous les royaumes nordiques, à savoir le Danemark, la Suède et la Norvège. Non content de ces distinctions, il aspirait à la dignité patriarcale et, pour ce faire, il voulut créer douze évêchés dans les limites de son diocèse, en accord avec ce rang. Il ne sert à rien de développer cette idée car elle parut absurde et stupide aux hommes judicieux. De nombreux prêtres et religieuses, ainsi que de nombreux évêques chassés de leurs sièges se réunissaient aussi à sa cour, et partageaient sa table. Désireux de se dégager de ces hommes, il les envoyait chez les païens, attribuant des sièges déterminés à certains, et mal définis à d'autres. Ainsi, il mit Ezzo à la place d’Abelin à Oldenburg, nomma un certain Aristo venu de Jérusalem à Ratzeburg, et attribua Jean à Mecklembourg. Ce Jean, aimant les voyages, vint d'Ecosse en Saxe ; il fut bien accueilli par l'archevêque (comme tous) et fut peu après envoyé en Slavie vers Gottschalk. Quand il fut avec ce dernier ils baptisèrent des milliers de païens. La paix régnait dans tout le royaume parce que le très vaillant César Henri dirigeait les Hongrois, les Bohémiens, les Slaves, et tous les royaumes frontaliers sous le contrôle de sa main de fer. Mais quand il fut emmené aux cieux, son fils Henri lui succéda, un enfant de huit ans. Aussitôt se produisirent dans le royaume des troubles divers, alors que les princes semblant faire des efforts, négligèrent l’enfance du roi. Chacun se souleva contre son proche, de nombreux maux se multiplièrent dans le pays, des déprédations, des incendies et des morts d’homme. Peu de temps après, mourut le duc de Saxe, Bernhard, qui, pendant quarante ans, avait énergiquement administré les affaires des Slaves et des Saxons. Ses fils, Ordulf et Hermann, se partagèrent leur héritage. Ordulf reçut alors le gouvernement du duché, mais il était bien loin d’avoir la bonne fortune de son père en ce qui concerne la valeur et la connaissance de la guerre. Finalement, cinq ans s'écoulèrent à peine entre la mort de son père et le moment où les Slaves, qui avaient tout de suite préparé leur rébellion, exécutèrent tout d'abord Gottschalk. En effet, malgré la foi dont il avait fait preuve envers Dieu et les princes, cet homme à tout jamais mémorable fut tué par les barbares qu'il avait lui-même essayé de convertir à la foi. Car « l’iniquité des Amorites n’est pas encore à son comble » et le temps de les favoriser n’est pas encore venu. Il est fatal, certes, qu’il arrive des scandales, et que ceux qui sont connus soient rendus publics. Ce second Macchabée subit le martyr le septième jour des ides de juin dans la ville de Léontium (également connue sous le nom Lenzen) avec le prêtre Ebbon, qui fut immolé sur l'autel, et avec beaucoup d'autres, laïcs et clercs, qui subirent diverses tortures, pour l'amour du Christ. Le moine Answer et avec lui d’autres, furent lapidés à Ratzeburg. Leur passion eut lieu aux ides de Juillet. Quand il alla vers sa passion, le même Answer aurait imploré les païens de lapider d’abord ses confrères qui, craignait-il, pourraient abjurer. Après cela il s’agenouilla avec Etienne se réjouissant intérieurement de sa couronne {de martyr}. [1,23] XXIII. Passion du saint évêque Jean. L’évêque Jean l’Ancien fut pris à Mecklembourg et réservé pour le triomphe avec les autres chrétiens. Il fut battu de verges puis conduit dans toutes les cités pour y servir de jouet ; enfin comme on ne put le faire renoncer à Jésus Christ, on lui coupa la tête, les pieds et les mains. Son corps fut jeté dans la rue et sa tête plantée sur un pieu fut offerte au Dieu Radegast. Ces choses arrivèrent à Rhetra, capitale des Slaves le 4 des Ides de Novembre. [1,24] XXIV. Première défection des Slaves à la foi. La femme de Godescalc, fille du Roi des Danois, fut mise toute nue et envoyée ainsi à Mecklembourg avec les autres femmes. Godescalc avait eu d’elle un fils qui fut appelé Henri. D’une autre il avait eu un autre fils appelle Butchue, nés tous les deux pour le malheur des Slaves. Les Slaves ravagèrent toute la Province de Hambourg et les Sturmariens et les Holzatiens furent presque tous tués. La ville de Hambourg fut rasée et les croix de notre sauveur mutilée pour servir de risée aux païens. Sleswich ou Heidebo, ville des Transalbiens qui est sur la frontière des Danois, fut surprise par les Barbares et entièrement détruite car c’est alors que s’est remplie la prophétie que Dieu a faite en ces termes : les nations viendront dans son héritage et fouilleront ton saint temple et autres choses où l’on déplore la perte de Jérusalem ; l’auteur de tous ces maux fut un certain Blusso qui avait épousé une sœur de Godescalc, mais lui-même fut mutilé à son retour chez lui ; enfin les Slaves ayant fait une conspiration générale, retournèrent au Paganisme. Le Duc Ordulphe leur fit la guerre pendant douze ans qu’il survécut à son père, mais il ne put jamais obtenir aucun avantage sur eux et fut pour les siens un objet de risée. La perturbation des Slaves eut lieu l’année 1066 de l’Incarnation du Seigneur et la huitième année du règne de l’Empereur Henri IV ; le siège d’Oldenbourg fut vaquant pendant quatre-vingt-quatre ans. [1,25] XXV. Kruto. Après la mort de Gottschalk, homme bon et admirateur de Dieu, le principat passa au titre de la succession à son fils Butue. Cependant, ceux qui avaient tué son père avaient peur que son fils ne devienne un jour le vengeur de sa mort ; ils incitèrent le peuple à l'insurrection, en disant : « Non il ne doit pas nous diriger, mais ce doit être Kruto, le fils de Grin. Car ayant tué Gottschalk, qui pourra nous aider à assurer notre liberté s'il hérite du pouvoir princier ? Il va encore plus nous opprimer que son père, et, lié au peuple saxon, il attirera sur notre pays de nouveaux malheurs ». Immédiatement, ils convinrent entre eux d’élever Kruto au principat, en écartant les fils de Gottschalk, à qui le pouvoir revenait de droit. Le cadet d'entre eux, nommé Henri, s’enfuit au Danemark, puisqu’il était parent des Danois. Mais l'aîné, Butue, se tourna vers les Bardi, demandant l'aide des princes saxons, à qui son père avait toujours été dévoué et fidèle. Eux, s'acquittant avec reconnaissance de cette relation amicale, entamèrent la guerre pour lui, et après plusieurs marches fatigantes le restaurèrent dans sa position. Cependant le statut de Butue resta tout ce temps peu stable et il ne put entièrement exercer son pouvoir, car né d’un père chrétien et ami des princes, il était considéré par le peuple comme traître à la liberté. Car après cette victoire, quand, ayant d’abord tué Gottschalk, les Slaves détruisirent la terre des Nordalbingiens, ils secouèrent le joug d’une main armée et avec une telle obstination qu’ils essayèrent de défendre la liberté pour laquelle ils préféraient mourir, plutôt qu’à nouveau adopter le christianisme, et payer un tribut aux princes saxons. En fait la misérable avidité des Saxons attira sur eux un tel malheur. Certes ils étaient alors en pleine possession de leurs moyens, et se vantaient de victoires fréquentes, mais ils ne pensaient pas que le sort d’une bataille appartient à Dieu et que la victoire est sienne, et ils frappèrent les peuples slaves, soumis par les guerres et les traités, en leur imposant de tels impôts ; une nécessité amère les incita à s'opposer aux lois divines et au joug des princes. Ordulf, duc des Saxons, paya le prix de ces méfaits. Abandonné par Dieu, il ne put pas, après la mort de son père, remporter une victoire sur les Slaves. Et ainsi les fils de Gottschalk faisaient reposer leurs espoirs sur le duc, semblable à un roseau, et de fait, un bâton brisé. Après la mort d’Ordulf le pouvoir passa à son fils Magnus, né de la fille du roi du Danemark. Et immédiatement, il concentra ses pensées et ses forces pour réprimer les insurrections des Slaves, ce à quoi le fils de Gottschalk, Butue, l’incitait. Mais ces derniers commencèrent à lui résister de façon unie, sous la conduite de Kruto, fils de Grin, qui était hostile au christianisme et au pouvoir ducal. D’abord ils expulsèrent Butue de son pays, détruisant les forteresses dans lesquelles il trouvait refuge. Voyant qu'on l’avait privé du pouvoir princier, il partit en hâte chez le duc Magnus, qui demeurait alors à Lüneburg, et s'adressa à lui dans les termes suivants: « Votre Excellence sait, ô plus grand des hommes, comment mon père Gottschalk a toujours dirigé les terres slaves, en l'honneur du Seigneur et de votre grand-père, afin que rien ne fut négligé dans le service de Dieu et la fidélité aux princes. J'essaie d’émuler la modestie paternelle de toute ma foi et de tout mon dévouement en faisant respecter les directives des princes, m'exposant sans fin à des dangers sans nombre pour préserver un vain titre d’honneur et vous en apporter les bénéfices. La récompense dispensée à mon père et à moi-même n'est un secret pour personne, car nos ennemis lui ont dérobé sa vie et m’ont chassé de mon pays natal et, ces ennemis, dis-je, ne sont pas seulement les miens mais aussi les vôtres. Si donc vous voulez préserver votre honneur et le bien-être des vôtres, vous devriez utiliser la force et les armes. En réalité, nous avons atteint un état critique, et il faut se dépêcher d'agir avant que nos ennemis ne progressent pour désoler les terres des Nordalbingiens ». Ayant écouté cela, le duc répondit: « Je ne peux pas intervenir cette fois-ci, car je suis retenu par d’importants obstacles, mais je te donne les Bardi, les Sturmariens, les Holzatiens et les Dietmarschiens, et avec leur aide, tu pourras contenir pendant un certain temps la progression de tes ennemis. Si cela devient nécessaire, j’interviendrai et te suivrai ». Le jour de ses noces empêchait le duc d’intervenir pour lors. Après avoir sélectionné les Bardi les plus braves, Butue franchit l’Elbe et se hâta sur la terre des Wagiri. Des messagers du duc parcoururent tout le pays des Nordalbingiens, incitant le peuple à sortir pour aider Butue, afin qu’il surmonte les ennemis. Il prit la tête de 600 hommes armés et plus, arriva à la forteresse de Plön et trouva contre toute attente la ville ouverte et déserte. Quand il y entra, une femme allemande qui se trouvait là lui dit: « Prends tout ce que ta main trouvera, et pars le plus vite possible, car c’est une ruse que la ville ait été laissée ouverte et sans gardes. Prévenus de ton arrivée, les Slaves reviendront demain en grand nombre et assiégeront la ville ». N'ayant rien répondu à ce qui précède, il resta dans la forteresse toute la nuit. Mais cette ville, comme on peut maintenant la voir, est entourée de tous côtés par des lacs très profonds, et seul un pont très long en assure l’entrée. Le lendemain, quand il fit jour, d’innombrables hordes de Slaves, comme prévu la veille au soir, assiégèrent la ville, prenant soin qu’on ne puisse pas trouver un bateau sur toute l'île, ce qui aurait permis aux assiégés de quitter la ville. À cause de la faim Butue et ses compagnons soutinrent difficilement ce siège. Ayant reçu cette malheureuse nouvelle, les plus braves des Holzatiens, Sturmariens et Dietmarschiens hâtèrent leur marche pour libérer la ville. Parvenus à la rivière du nom de Svale, qui sépare Saxons et Slaves, ils envoyèrent en avant un homme connaissant la langue slave pour s’informer de ce qu’ils faisaient et comment ils se préparaient au siège de la ville. Envoyé par ses compagnons, cet homme arriva chez les Slaves qui, utilisant tout l'espace du champ, préparaient différentes machines nécessaires au siège. Et il s'adressa à eux en ces termes : « Que faites-vous, ô hommes, en assiégeant cette ville et ces gens, amis du prince des Saxons? En tout cas cette tentative ne vous rapportera rien. Le duc et d'autres souverains vous ordonnent de lever le siège au plus vite. Si vous ne le faites pas, dans peu de temps leur vengeance se fera sentir ». Quand ils lui demandèrent, anxieux, où se trouvait le duc, il répondit qu'il était tout près et avec une troupe innombrable. Alors le prince des Slaves, Kruto, prenant le messager à part, l'interrogea sur le véritable état des choses. Sur ce le messager lui dit : « Que me donneras-tu comme récompense, si je te révèle ce que tu veux savoir, et si je fais ce que tu désires, pour cette ville et pour ceux qui s’y trouvent ? » Et Kruto convint de lui donner 20 marks. Dès que leur accord fut entériné, ce traître dit à Kruto et à ses compagnons : « Le duc, dont vous avez peur, n'a pas encore franchi les bords de l’Elbe, il est retenu par des obstacles sérieux ; seuls des Holzatiens, Sturmariens et Dietmarchiens arrivent en petit nombre. Je peux aisément les diviser et les faire s’en retourner ». Ayant dit cela, il franchit le pont et dit à Butue et à ses compagnons : « Prends soin de ta sécurité et des hommes qui sont avec toi, car cette fois les Saxons, en qui tu mettais ta confiance, ne viendront pas te secourir ». Alors, découragé, Butue s'exclama : « Malheur à moi, pourquoi suis-je abandonné par les amis ? Pourquoi les nobles Saxons me quittent-ils dans le malheur en retournant chez eux quand j’ai besoin de leur aide ? Comme on m’a trompé bassement! J’ai toujours accordé aux Saxons une grande confiance, et ils me trahissent le jour où j’en ai le plus besoin ». Sur ce, son interlocuteur lui dit : « Des discordes se sont produites parmi ces peuples, et, comme ils se disputaient les uns les autres, ils sont repartis chez eux. Aussi, tu dois prendre une autre décision ». Ayant amené la confusion aux événements, ce messager revint vers les Saxons. Quand les Saxons l'interrogèrent sur l’état de la situation, il leur répondit : « Je suis allé à la forteresse où vous m'avez envoyé, mais, grâce à Dieu, il n’y a là aucun danger, aucune crainte d’un siège. Au contraire, j’ai vu que Butue et les siens sont heureux et ne s'inquiètent de rien ». Et ainsi il retint la troupe pour qu'elle n'aille pas en renfort des assiégés. Cet homme devint coupable de l’élimination de Butue et de ses compagnons. Car à la fois assiégés et trompés par la ruse d’un traître, ils désespérèrent de pouvoir sortir de la forteresse ; ils s’enquirent soigneusement auprès de leurs ennemis, s’ils ne voulaient pas recevoir quelque rançon en échange de leur vie. Ceux-là leur répondirent : « Nous n’accepterons de vous ni or ni argent, nous vous laisserons la vie sauve et la totalité de vos membres, si, en sortant, vous nous remettrez vos armes ». Ayant entendu cela, Butue dit à ses compagnons : « Ces conditions exigées sont rudes, ô hommes, si en sortant, nous rendions nos armes. Je sais que la faim nous pousse à la reddition. Mais si, selon les conditions proposées, nous sortons sans armes, nous nous exposerons tout de même au danger. La sincérité des Slaves est peu fiable, incertaine, je n'ai pas le temps de m’en assurer. Je crois plus prudent pour sauver nos vies de différer cette sortie, même si cela nous est pénible d’attendre, peut-être Dieu nous enverra-t-il quelque part de l’aide ». Mais ses compagnons s’y opposèrent, en disant : « Nous savons que les conditions exigées par l'ennemi sont équivoques, elles nous inspirent la méfiance, cependant nous devons les suivre, car éviter ce danger d’une autre façon est impossible. Quelle attente choisir, si personne ne vient nous délivrer du siège? La famine apporte une mort plus atroce que le glaive, et il vaut mieux mourir que souffrir longtemps ». [1,26] XXVI. La mort de Butue. Butue, voyant ses camarades affermis dans leur décision de sortir de la forteresse, ordonna qu’on lui apportât des vêtements élégants et, s'en étant habillé, il sortit avec ses compagnons. Deux par deux ils traversèrent le pont, remettant leurs armes, et ainsi, furent amenés face à Kruto. Lorsque tous furent présents devant lui, une femme noble s’adressa de la forteresse à Kruto et au reste des Slaves en demandant: « Détruisez ces gens qui se sont rendus et ne tentez pas de les épargner, car ils ont abusé de vos femmes qui avaient été laissées dans la ville, lavez cette honte qui nous a été infligée. » Entendant cela, Kruto se retourna, et avec ses compagnons, ils se jetèrent immédiatement sur eux et massacrèrent par la pointe de l'épée cette multitude de personnes. Il en fut ainsi ce jour-là de Butue comme de toute la force d'élite des Bardi devant la forteresse de Plön. Kruto devint extrêmement puissant, son ouvrage se renforça entre ses mains, et il conserva le pouvoir sur tout le pays des Slaves ; on détruisit les forces des Saxons, et on paya tribut à Kruto, à savoir la terre nordalbingienne entière, qui fut répartie entre trois peuples : Holzatiens, Sturmariens et Diethmarschiens. Pendant toute la durée de son gouvernement, Kruto leur fit subir un joug très pénible. Et le pays était plein de voleurs, qui tuaient et faisaient de nombreux prisonniers dans le peuple de Dieu. Ils dévorèrent les Saxons à « belles dents ». En ces jours plus de six cents familles de la tribu des Holtziens traversèrent la rivière et partirent pendant un long voyage à la recherche d’endroits tranquilles, où ils pourraient échapper aux poursuites permanentes. Ils arrivèrent dans les montagnes du Harz et y restèrent eux, leurs enfants et leurs petits-enfants jusqu’à ce jour. [1,27] XXVII. La construction du Harzburg. Il n'est pas surprenant qu’« au sein d'une génération dévoyée et pervertie, » et de « ce désert grand et redoutable », qu’il y eut de tristes événements et que dans tout l'empire surgirent à cette époque des moments de guerre. Le gouvernement du royaume, se relâcha considérablement pendant l'enfance du roi Henri, ce ne fut pas un danger moindre pendant son adolescence. Car aussitôt après avoir atteint l'âge adulte, et avoir supprimé son mentor , il devint son propre maître, et débuta en persécutant toute la population des Saxons d’une manière cruelle. Ensuite il ôta à Otton, le duché de Bavière parce qu'il était Saxon, et le donna à Welf. Après cela, il convoqua tous les Saxons sur la montagne du Harz dans une forteresse très défendue, appelée Harzburg. Rassemblés, les princes Saxons irrités détruisirent les fondations de cette forteresse, qui avait été construite pour les soumettre. Et les Saxons s’acharnèrent contre le roi. Ces grands étaient Werner, évêque de Magdebourg, Burchard, évêque de Halberstadt, le duc Otton Magnus, le margrave Udo et beaucoup d'autres nobles. Pour mettre un frein à leur audace, le roi revint à la hâte avec une armée alliée au duc Rudolf, et beaucoup d'autres princes impériaux. Mais les Saxons ne s’attardèrent pas et se jetèrent courageusement dans la bataille, et les armées se rencontrèrent sur la rivière Unstrut. Et lorsque peu de temps avant la bataille, les deux parties convinrent lors d’un conseil de conclure une trêve de deux jours, dans l'espoir de régler la guerre par la paix, les Saxons satisfaits de la trêve, abandonnèrent immédiatement leurs armes et se dispersèrent à travers champs, détruisant les camps et s’occupant du soin des personnes. Vers la neuvième heure du jour, l'empereur remarqua que les Saxons se dispersaient tranquillement dans tout le domaine, ne pensant pas à mal, et on se hâta d’annoncer à l'empereur que les Saxons se préparaient soi-disant au combat. Ensuite, l’armée excitée du roi traversa à gué, et attaqua les Saxons tranquilles et désarmés, détruisant ce jour plusieurs milliers d'entre eux. Lorsque les Saxons tentèrent encore de défendre leur liberté en essayant de fomenter la guerre, le duc de Souabe, homme bon et épris de paix, d’abord soucieux de l'honneur du roi, puis d'autre part du salut des Saxons, obtint de leurs princes, Werner de Magdeburg, Burchard de Halberstadt, le duc Otton le Grand, le margrave Udo, qu’ils remettent leur pouvoir au roi à condition qu’ils ne seraient ni emprisonnés ni molestés. Mais, immédiatement après, les Saxons attirés par ces conditions furent transférés sous l'autorité du roi, il ordonna de les mettre sous bonne garde, sans se soucier de maintenir la parole donnée. Le duc Raoul s’en attrista, puisqu’il ne put tenir sa promesse. [1,28] XXVIII. La pénitence publique du roi Henri. Quelques jours plus tard, les souverains saxons furent relâchés de leur captivité contre la volonté du roi et rentrèrent chez eux, mais depuis lors ils ne crurent plus jamais aux promesses du roi. Les princes saxons envoyèrent un rapport au siège apostolique, pour se plaindre auprès du révérendissime pape Grégoire comme quoi le roi, au mépris des lois divines, privait les églises du Seigneur de la liberté de la nomination canonique des évêques, installant de force les évêques qu'il voulait. Ils se plaignaient en outre, que selon la coutume des Nicolaïtes il avait fait de son épouse une prostituée, la soumettant par la force à la débauche d'autrui, et qu’il avait fait de nombreuses autres choses qui semblaient fâcheuses à voir et difficiles à entendre. Animé par son zèle pour la justice, le Saint-Père envoya alors des légats au roi, lui intimant l’ordre de venir en audience à la capitale apostolique. Henri ne tint compte ni de la deuxième, ni de la troisième invitation, mais, en fin de compte, poussé par le conseil de ses amis, qui craignaient que comme l'exigeait la justice, il ne fut déposé du trône, il alla à Rome où il se plia au jugement du pape sur les crimes pour lesquels il était justement mis en cause. Là on lui ordonna de ne pas quitter Rome pendant un an, de ne pas monter à cheval, mais de faire en tenue modeste le tour des églises en priant et en jeûnant, ce qui apporte un fruit digne du repentir. Le roi se comporta humblement en respectant ce jugement. Puis, les cardinaux et les membres de la Curie, voyant les puissants monarques trembler de peur devant le siège apostolique et ceux qui portaient l’orbe se courber, suggérèrent au pape de transmettre le royaume à un autre homme, disant qu’il était indigne de laisser régner un homme convaincu d’inconduite publique. Et quand le saint père examina qui, en Allemagne, serait digne de cet honneur, il choisit le duc Rudolf de Souabe, homme bon, pacifique et très loyal envers l'Église. Et le pape lui envoya une couronne d'or, où était inscrit ce verset: "Le rocher a donné Rome à Pierre, le pape t’a donné la couronne". Il commanda aux archevêques de Mayence et de Cologne et à d’autres évêques et princes, d’assister le parti de Rudolf pour le faire roi. Donc quand ils reçurent ce décret du pape, Rodolf fut élu roi, les Saxons et les Souabes prenant son parti. D'autres princes ainsi que des villes situées sur le Rhin, ne l’acceptèrent pas, tout comme les tribus des Francs, car ils avaient juré allégeance à Henri et ne voulaient pas violer leur serment. Henri, obéissant aux injonctions du pape, resta à Rome, ignorant des machinations qui avaient lieu contre lui. [1,29] XXIX. {La mort misérable de Rudolph, duc de Souabe} Un certain évêque de Strasbourg, proche ami d'Henri apparut, et partit rapidement pour Rome. Après une longue recherche, il trouva le Roi demeurant parmi les monuments des saints {martyrs}. Ravi de l'arrivée de l'évêque, le roi se mit à poser des questions sur l’état du royaume et de la paix à travers le monde. L’évêque lui dit qu'on avait élu un nouveau roi et que lui devait bientôt rentrer en pays germanique pour conforter l’âme de ses amis et freiner les intentions de ses ennemis. Quand le roi prétendit alors ne pouvoir partir en aucune manière sans l’autorisation du Saint-Siège, il répondit: « Sachez donc que tout le mal de ce complot est venu à la base de la perfidie romaine. Au contraire, si vous voulez vous échapper, vous devez secrètement quitter la capitale. Puis, après y avoir passé la nuit, le roi quitta l’Italie, et renforcé par ce qui se passait en Lombardie, il arriva en pays germanique. Les villes du Rhin et tous ceux qui étaient restés de son côté furent heureux de l'arrivée inattendue du souverain. Il rassembla alors une grande armée pour vaincre Rudolf. Il avait avec lui le glorieux duc Gottfried, celui qui libéra Jérusalem, puis nombre d'autres puissants. Les troupes de Rudolf étaient constituées de Saxons et de Suèves. Une guerre entre les rois commença, le parti de Rudolf fut vaincu, les Saxons et les Suèves tombèrent. Blessé à la main droite, Rudolf s’enfuit à Marcipolis, et à l’heure de la mort, il dit à ses partisans: « Voyez ma main droite, frappée d’une blessure? C’est elle qui avait juré allégeance au roi Henri, de ne pas lui nuire, ni d’en vouloir à sa gloire. Mais l’ordre du pape et les évêques m'ont demandé et conduit à violer mon serment, je suis devenu un usurpateur. Quelle fin nous saisira, vous le voyez, parceque une blessure mortelle a été infligée à ma main qui viola un serment. Alors que ceux qui l’ont vue sachent qu’elle nous a conduit à être plongé, peut-être, dans l'abîme de la damnation éternelle. » Et après ces paroles, il termina en grande peine l’ultime jour de sa vie. [1,30] XXX. {Comment l’empereur Henri chassa le Pape de Rome} Puis, fier des succès acquis, le roi Henri convoqua un important concile d’évêques, où il fit condamner le pape Grégoire comme traître à l'Etat et perturbateur de la paix dans l'église. Puis il réunit une grande force militaire, et partit pour l'Italie, occupa la capitale impériale Rome, et après y avoir tué un grand nombre de personnes, en chassa Grégoire. Et, après avoir maîtrisé, selon ses désirs, la ville et le Sénat, il plaça comme pape Wibert , évêque de Ravenne. Ce dernier lui donna sa bénédiction, puis le peuple romain le proclama solennellement empereur et Auguste. Mais cette proclamation devint un grand piège pour Israël. Car depuis ce jour commença un schisme dans l'église du Seigneur, comme on n’en avait pas vu depuis les temps anciens. Ceux qui se considéraient comme les plus parfaits, les soutiens de l’Eglise de Dieu, prirent le parti de Grégoire. Les autres, que le césar encourageait soit par la crainte soit par les faveurs, suivirent Wibert, alias Clément. Et ce schisme dura 25 ans. Au défunt Grégoire succéda Desiderius, puis ce fut Urbain puis Pascal. Et tous, qui maintinrent la sentence d’excommunication sur l’empereur et son pape, se rapprochèrent alors des rois de France, de Sicile et d’Espagne, qui défendaient manifestement le parti catholique. Ayant retrouvé à nouveau leurs forces après la défaite, les Saxons se désignèrent comme roi un certain Hermann, surnommé Clufloch et reprirent la guerre contre le César Henri. Mais au moment où le nouveau prince des Saxons, après avoir remporté deux victoires, entrait triomphalement dans un certain bastion, grâce à la justice de Dieu, la porte sortit de ses gonds et écrasa le prince avec nombre de gens. Cette tentative des Saxons fut vaine. Ils n'osèrent ni désigner un nouveau roi, ni reprendre les armes contre l'empereur Henri, voyant que, grâce à la bénédiction et la permission divine, il devait conserver son royaume. [1,31] XXXI. La lettre du moine Pierre « Une chose digne d'être rapportée et d'être transmise à la postérité arriva dans les derniers jours du vieil empereur Henri. Un nommé Pierre, d'origine espagnole et moine de profession, étant entré sur les terres de l'empire romain, se mit à prêcher partout, exhortant les peuples à aller à Jérusalem pour délivrer la ville sainte, qui était occupée par des barbares. Il montrait une lettre qu'il disait lui avoir été envoyée du ciel, et dans laquelle il était écrit : "Les temps des nations sont accomplis : la cité qui est foulée aux pieds par les Gentils doit être délivrée". C'est pourquoi toutes les puissances du monde, les évêques, les ducs, les préfets, les guerriers, les plébéiens, les abbés, les moines, partirent pour ce voyage de Jérusalem, sous la conduite du brave Godefroi. Soutenus par le secours de la vertu divine, ils reprirent Nicée, Antioche et plusieurs villes que possédaient les barbares. S'avançant ensuite, ils délivrèrent de leurs mains la cité sainte. Alors sur cette terre on vit croître des rejetons pour la gloire de Dieu ; et les peuples du monde adorèrent le Seigneur à l'endroit même que ses pieds avaient foulé. » [1,32] XXXII. La déposition de l’empereur Henri. Après la mort de Wibert, aussi appelé Clément, le schisme s’apaisa. Puis toute l'Eglise retourna à Pascal, et il n'y eut qu'un seul troupeau pour un seul pasteur. Dès que Pascal fut solidement installé sur son siège, il ordonna que l'empereur fût excommunié par tous les évêques et serviteurs de l'Église catholique et cette phrase fit si grande impression sur la diète des princes assemblés qu’ils décidèrent d’ôter la couronne à Henri pour la remettre à son fils du même nom. A la demande de son père, ce fils avait été déjà été désigné depuis quelque temps comme son successeur. Donc, les archevêques de Mayence, de Cologne et l'évêque de Worms, vinrent en messagers des princes voir le roi à la cour royale qui se trouvait par hasard située sur le domaine royal d’Ingelsheim, et ils lui transmirent oralement l'ordre des princes : « Remettez-nous, l'anneau, la pourpre et tout ce qui constitue l'investiture impériale afin de les conférer à votre fils. » Quand le roi demanda quelle était la raison de cette déposition, ils répondirent: « Pourquoi demander ce que vous savez mieux que nous? Rappelez-vous comment, pendant de longues années, l'Eglise universelle a souffert par votre faute en raison de la très grande erreur du schisme, comment vous avez vendu les évêchés, les abbayes, et en effet toutes les fonctions de l'Église. Aucune nomination d’évêques n'a été le fruit d’une élection légitime, mais seulement d’un calcul d'argent. Pour ces raisons et d'autres, l'autorité apostolique a décidé, avec l'approbation unanime des princes, de vous priver non seulement du royaume, mais aussi de vous excommunier. » A cela, le roi répondit: « Vous dites que nous avons vendu les offices spirituels pour de l'argent. Vous avez, bien sûr, le pouvoir de nous accuser d'un tel crime. Mais dis-nous donc, ô Mayence, nous t’en conjurons au nom du Dieu éternel, dis-nous ce que nous avons exigé ou reçu de toi lorsque nous t’avons placé sur Mayence. Toi aussi, Cologne, nous t’appelons à faire appel à ta foi, que nous as-tu donné pour le siège que tu présides grâce à notre munificence? Quand ils concédèrent que nul argent n'avait été offert ou reçu en contrepartie de leur nomination, le roi fit observer en outre: « Gloire à Dieu envers qui nous avons au moins été sincères à cet égard. Ces deux postes sont certainement les plus remarquables, et ils auraient pu considérablement augmenter les revenus du trésor. Quant au seigneur de Worms, ni vous, ni lui ne pouvez ignorer comment nous l’avons élevé, ou promu, si nous étions mû envers lui par la piété ou par l’intérêt. Vous nous remerciez, en effet, dignement de nos faveurs! Ne devenez pas complices, je vous en conjure, de ceux qui ont levé la main contre leur seigneur et leur roi, qui ont violé leur foi et leurs serments sacrés. Voici que nous faiblissons déjà et le chemin qui nous reste à parcourir sera court, car nous sommes épuisé par l'âge et par l'effort. Accordez-nous un certain laps de temps et ne faites pas s’achever notre gloire dans le désordre. Si, cependant, vous dites que nous devons nous soumettre entièrement et que c’est là votre décision définitive, faisons une trêve, fixons un jour adéquat. Si la diète attribue la couronne à notre fils, nous la lui remettrons de nos propres mains. Nous voulons donc instamment la convocation d’une diète générale. Quand ils commencèrent à objecter et à lui dirent qu'ils allaient accomplir avec courage l'entreprise qui les amenait, le roi leur laissa un peu de temps pour prendre conseil de ses fidèles. Quand il s’aperçut aussi que les légats étaient venus accompagnés de soldats et qu'il n'y avait pas de moyen pour résister, il prépara ses marques {impériales} et s’en revêtit. Ainsi paré et assis sur son trône, il s'adressa aux légats: Ces marques de la dignité impériale m’ont été remises par la bonté du roi éternel et par les suffrages unanimes des princes. Et Dieu qui, par sa grâce, m'a élevé à un tel sommet est capable de conserver pour moi ce qu'il m’a accordé et de laisser vos mains hors de la tâche que vous avez commencée. Car il nous incombe, aussi démunis que nous sommes, de soldats et d'armes, de compter plus ardemment sur l'aide divine. Jusqu'à présent, en effet, nous sommes toujours restés sur nos gardes lorsque nous étions impliqués dans des guerres étrangères, surmontant grâce à la faveur divine, chaque agression et chaque attaque, soit par la sagesse, soit par la valeur au combat. Mais contre cette lésion interne, que nous ne soupçonnions pas, nous n’avons pris aucune précaution. Car qui aurait cru qu’une telle impiété surviendrait dans la chrétienté, que le serment de fidélité prêté au prince serait brisé, qu’un fils se dresserait contre son père, et en fin de compte, que mes faveurs ne susciteraient aucune reconnaissance, ni respect de l’honneur. La majesté impériale a coutume de procéder au moins, même envers ses ennemis, à un examen de telle sorte que les recours de la citation et de la trêve ne soient pas refusés aux proscrits ou aux condamnés, afin d’avertir avant de condamner, d’inviter à gracier avant de rendre une sentence. Mais en dépit du droit, on nous refuse citation et audience, raison pour laquelle nous sommes étranglés, et pour laquelle nous ne pouvons être entendu. Qui aurait pu supposer que cette désaffection était possible de la part des amis les plus fiables, particulièrement en effet de la part des évêques? Nous vous dénonçons, par conséquent, au Seigneur, le Créateur du monde, que Sa crainte puisse vous réprimer, vous dont la fidélité ne revient pas. Mais si vous ne respectez ni Dieu, ni votre propre dignité, alors nous sommes prêts, nous ne pouvons pas nous opposer à la violence, nous devons nous soumettre à la force et ne sommes incapables d’y résister. » Les évêques commencèrent alors à douter de ce qu'il fallait faire, car entreprendre de grandes choses est toujours difficile. L'archevêque de Mayence enfin s’adressa à ses confrères: « Combien de temps devons-nous trembler, mes frères? N'est-ce pas notre fonction que de consacrer le roi, de lui donner l'investiture quand il est consacré? On peut, en effet, la lui donner grâce à un décret des princes, pourquoi ne pas la retirer sous leur autorité? Il était méritant quand nous l'avons investi. Pourquoi ne pas faire l’inverse s’il devient indigne? » Aussitôt, ils procédèrent à l'acte. Ils allèrent vers le roi et lui arrachèrent la couronne de la tête, ils le firent descendre du trône; ils lui retirèrent radicalement la pourpre et tout le reste qui appartenait au vêtement sacré. Entouré et confus, le roi leur dit alors: « Que Dieu voie et juge la façon injuste dont vous vous comportez envers moi. J’expie, en effet, mes péchés de jeunesse, en recevant du Seigneur mesure pour mesure, l'ignominie et la honte ; personne n’a jamais vu un roi régnant avant nous souffrir de la sorte. C’est pourquoi vous n’êtes donc pas exempt du péché, vous qui avez levé les mains contre votre seigneur et violé votre serment. Que Dieu vous voie et vous punisse, Dieu, dis-je, le Seigneur vengeur. Puissiez-vous ne pas faire face, progresser ou accroître votre honneur, et que votre part soit celle de celui qui a trahi le Christ Notre Seigneur. » Mais en se bouchant les oreilles, ils allèrent voir son fils, en lui remettant les marques de l'Empire et l’établissant sur le trône. [1,33] XXXIII. Henri V contre Henri IV. Et alors le fils s’éleva contre son père et le chassa du royaume. L'empereur, dit-il, fuyant devant son fils et se hâtant d'échapper aux poursuites de ceux qui en voulaient à ses jours, arrive dans le duché de Limbourg. Là se trouvait un prince illustre, à qui, étant encore sur le trône, il avait ôté le duché pour en gratifier un autre. Or il arriva, continue-t-il, que ce prince étant à la chasse, aperçut l'empereur qui passait accompagné seulement de neuf personnes, et comme il avait déjà appris le résultat de la diète de Mayence, il courut à lui avec quelques cavaliers. L'empereur croyant qu'il venait à lui comme ennemi, fut saisi d'effroi et le pria de vouloir lui conserver la vie : — Seigneur, lui dit alors le duc, vous avez certainement mal agi à mon égard, en me dépouillant de mon duché, et en me refusant même le pardon que je vous demandais avec instance. — C'est pour cela même, répliqua l'empereur, en l'interrompant, que je souffre maintenant cette persécution de la part de mon propre fils. Le duc voyant l'empereur si affligé, en fut ému et lui dit: — Quoique vous ayez abusé de votre pouvoir envers moi, je suis touché de l'indignité du sort que vous éprouvez ; c'est un horrible attentat que celui qui vient d'être commis contre votre personne sacrée, par ceux mêmes qui devaient vous avoir le plus d'obligation. Mais vous semble-t-il qu'il y ait encore quelque prince qui veuille s'intéresser à votre cause? — Je l’ignore, répondit le monarque, n'ayant pu encore les en solliciter. — Et bien, reprit le duc, suivez mon conseil, montez dans cette ville et reposez-vous en attendant que je puisse rassembler des troupes pour vous secourir. Bientôt il eut réuni environ huit cents cavaliers ; avec cette escorte il conduisit le monarque à Cologne. Le jeune roi, informé de l'arrivée de son père dans cette ville, vint aussitôt l'y assiéger avec une nombreuse armée, mais le siège se poussant avec vigueur et la place étant en danger d'être prise, l'empereur trouva le moyen d'en sortir pendant la nuit et de se retirer à Liège. Ce fut dans cette ville que tous les hommes braves qui s'étaient laissé attendrir sur son sort, vinrent se réunir à lui. Alors l'empereur se trouvant en forces, résolut de livrer bataille à son fils qui l'avait poursuivi, près de la rivière Maas. Et {là} il s'adressa aux princes et à toute la troupe courageuse, en leur disant : « Si Dieu omnipotent nous aide aujourd'hui dans la bataille et si nous en sortons vainqueurs, amenez-moi mon fils et ne vous avisez pas de le tuer ». Il y eut donc une bataille, et le père, ayant remporté la victoire, chassa son fils qui s’enfuit en passant un pont, où plusieurs étaient morts là par le glaive, de nombreux s’étant noyés dans la rivière. La bataille recommença une seconde fois, et l'empereur aîné fut vaincu, saisi et détenu. Durant ces jours cet homme magnifique subit tant d'affronts, et de tels opprobres, qu’il est difficile de le raconter et triste de l’écouter. Ses amis l’insultaient, et ses ennemis ne s’en moquaient pas moins. En fin de compte, comme on l’a dit, au milieu de tous se leva soudain un certain homme pauvre, mais lettré, qui lui dit: « Tu as vieilli dans l’iniquité! Et voici sont venus les fautes de ta vie passée, toi, porteur d’injustes jugements, qui condamnait les innocents et acquittait les coupables. » Quand les assistants s’irritèrent, c'est-à-dire les hommes sensés, il les retint en leur disant : « Ne soyez pas en colère contre lui, je vous en prie. Si mon fils, qui est sorti de ma chair, cherche mon âme, que peut faite de plus un étranger? Qu’il me maudisse, si est telle la volonté de Dieu. » Il y avait à cet endroit aussi l'évêque de Spire, que ce César avait à un moment beaucoup apprécié. Car il avait fait construire à Spire un temple majestueux pour la Mère de Dieu et avait en outre opportunément renforcé la ville et la résidence épiscopale. Le César parla donc à son ami, l'évêque de Spire: «Voilà, je suis destitué de mon royaume, j’ai perdu tout espoir. Pour moi rien ne sera plus utile que de renoncer à la guerre. Donnez-moi dans ce cas, une prébende à Spire afin que je puisse servir Notre Dame, la Mère de Dieu, à qui j'ai toujours été dévoué, car je suis lettré et je peux encore faire partie d’un chœur. » Mais l'évêque lui dit: « Par la Mère de Dieu, je ne peux pas vous accorder ce que vous demandez. » Alors, le César, soupirant et pleurant, dit à ceux qui l’entouraient: « Pitié, pitié pour moi, vous mes amis, car c’est la main de Dieu qui m'a frappé. » Le César mourut alors à Liège et pendant cinq ans son corps demeura sans sépulture dans une chapelle abandonnée. Le seigneur pape et ses autres adversaires se vengèrent de lui sévèrement en ne lui permettant pas, même mort, d'être enterré. Comme les jugements de Dieu sont grands, comme ils sont achevés pour un si grand homme ! Il faut espérer, cependant, que ce feu de la souffrance ôta de lui l’ordure et la rouille; car aussi souvent que nous sommes jugés dans la vie présente, "le Seigneur nous corrige, pour que nous ne soyons point condamnés dans ce monde. " Lui, d'ailleurs, avait été très bon envers les églises, celles, bien entendu, qu'il savait lui avoir été fidèles. D'autre part, il était hostile à l'égard du pontife romain, Grégoire, et envers d'autres qui complotaient contre son honneur, même quand ils le poursuivirent hostilement. Une nécessité grave, comme beaucoup le disent, le contraignit à ce recours. Mais qui supportera indifféremment même le moindre préjudice porté à sa dignité ? Nous lisons aussi que beaucoup péchèrent, mais qu’ils furent pardonnés en recourant à la pénitence. Certes, David, pécheur et repentant, resta roi et prophète. Le roi Henri, cependant, se trouvant au pied des apôtres, en priant et en faisant pénitence, se perdit inutilement. À l'ère de la grâce, il ne trouva pas ce que le premier avait obtenu à la rude époque de la Loi. Mais laissons, ceux qui savent et osent, interpréter ces questions. On peut faire cette remarque : le Siège de Rome est à ce jour expiatoire pour cet acte. Car à partir de ce moment, nombreux furent ceux de cette lignée royale qui vinrent au pouvoir et essayèrent par tous les moyens de rabaisser les églises, afin qu'elles ne pussent pas retrouver le pouvoir de s'élever contre les rois et de leur infliger ce qu'ils avaient infligés à leurs pères. Le jeune Henri régna à la place de son père et il y eut concorde entre le trône et le clergé, mais cela ne dura pas longtemps, car lui aussi fut malheureux durant une partie de sa vie, embarrassé comme son père par le Siège Apostolique. Nous parlerons de ces problèmes en temps et en heure. J'ai par nécessité anticipé les troubles au sein de l'Empire et les nombreuses guerres des Saxons, parce qu'elles fournirent de loin aux Slaves la plus importante occasion de se rebeller. Mais maintenant, je dois revenir à l'histoire de ces derniers dont je me suis trop longtemps écarté. [1,34] XXXIV. La mort de Kruto. Quand Kruto, prince des Slaves et persécuteur du christianisme, fut âgé et à bout de forces, Henri, le fils de Gottschalk, quitta le Danemark et revint sur la terre de ses ancêtres. Comme Kruto lui interdisait chaque approche, il rassembla des Danois, ainsi que des Slaves, un certain nombre de navires avec lesquels il attaqua Oldenbourg et tous les pays slaves le long de la mer et s’empara d’un butin prodigieux. Et quand il fit cela une deuxième et une troisième fois, une grande terreur s’empara de toutes les tribus slaves habitant sur les îles et sur le littoral, à tel point que Kruto proposa à Henri, contre toute attente, des conditions de paix et, ayant accepté son retour {au pays}, lui accorda des villages confortables pour le logement. En faisant cela, cependant, Kruto n’avait pas d’intentions honnêtes : car il désirait par ruse se défaire du jeune homme, fort et valeureux, n'étant pas en état de l’éliminer de force. Et pour cette raison, pendant des festins ayant lieu de temps à autre, il testait son esprit, en choisissant un lieu approprié pour l'exécution de ses projets perfides. Mais celui-ci {Henri} ne manquait ni de conseils ni d'esprit pour se défier du danger; car dame Slavina, épouse de Kruto, le prévint très souvent en l'informant des pièges. Enfin, aigrie envers son conjoint, maintenant vieilli, elle aspirait si possible à épouser Henri. Pour arriver à ses fins, à l’instigation de cette femme, Henri invita Kruto à un repas ; comme ce dernier, ivre et titubant de plus d'une libation, quitta la salle dans laquelle ils buvaient, un certain Danois le frappa avec une hache et d'un seul coup lui coupa la tête. Alors Henri prit Slavina pour épouse et obtint la terre et la principauté. Il occupa les forteresses qui étaient auparavant à Kruto et se vengea de ses ennemis. Puis il est parti chez le duc Magnus, car c’était son parent et il lui accordait sa protection ; il lui prêta serment de fidélité et de vassalité. Il convoqua aussi tous les peuples Nordalbingiens, que Kruto opprimait fortement, et contracta avec eux une alliance solide, qu'aucune tempête de guerre ne put entamer. Les Holtziens, Sturmariens et autres Saxons, voisins des Slaves, se réjouirent de la mort de leur ennemi le plus grand, qui les condamnait à mort, les tenait en captivité, les exterminait, et de son remplacement par un nouveau prince, qui honorait le salut d'Israël. Ils servirent Henri loyalement, se hâtant avec lui dans les divers dangers de la guerre, prêts à vivre ou à mourir vaillamment avec lui. Mais quand tous les peuples slaves, à savoir ceux qui vivaient à l'est et au sud, apprirent qu'était apparu parmi eux un prince voulant les soumettre aux lois chrétiennes et leur imposer un tribut, ils furent extrêmement choqués. Et comme tous furent du même avis, ils convinrent de se battre contre Henri, pour mettre en place un {nouveau pouvoir} qui s’opposerait en permanence aux disciples du Christ. Quand on annonça à Henri qu’une armée de Slaves était en marche pour le détruire, il envoya immédiatement des messagers pour appeler le duc Magnus et les plus valeureux des Bardi, Holzatiens, Sturmariens, et Ditmarshiens, qui tous répondirent l’esprit prêt et le cœur volontaire. Ils avancèrent sur les terres des Polabes vers une plaine appelée Schmilau où l'armée ennemie s'était répandue sur toute la largeur du terrain. Alors, quand Magnus vit que l'armée slave était grande et prête à en découdre, il eut peur de se battre. La bataille eut lieu du matin jusqu'au soir alors que des émissaires allaient et venaient pour essayer d'éviter les hostilités par des compromis. Et le duc attendait aussi des chevaliers en renfort qu’il espérait voir arriver. Vers le coucher du soleil, enfin, un éclaireur du duc annonça qu'un corps d'hommes armés s'approchait de loin. A cette vue, le duc se réjouit et les esprits des Saxons se raffermirent. Enfourchant leur destrier, ils se précipitèrent dans la mêlée. La ligne des Slaves fut brisée et dans la confusion de leur fuite, ils furent passés au fil de l’épée. Cette victoire des Saxons est devenue célèbre et elle mérite d’être mentionnée parce que le Seigneur se tint aux côtés de ceux qui croyaient en Lui et fit taire la multitude grâce aux mains de quelques-uns. Ceux dont les pères étaient présents dirent comment l’éclat du soleil couchant éblouit tant les yeux des ennemis Slaves dans l’affrontement qu’ils ne pouvaient rien voir que de la lumière. Ainsi, grâce à un petit obstacle, Dieu omnipotent porta à Ses ennemis un grand coup. Dès ce jour, tous les peuples des Slaves orientaux servirent Henri en lui payant tribut, et il devint le plus célèbre parmi les peuples slaves, noblement estimé par ses sujets quant à la vertu et aux bienfaits de la paix. Il exhorta les peuples slaves à cultiver leurs champs et à faire un travail utile et approprié, il extermina de la terre les brigands et les renégats. Les Nordalbingiens abandonnèrent alors les bastions dans lesquels ils s’étaient eux-mêmes enfermés par crainte de la guerre. Et chacun d’eux revint dans son propre village. Mais dans tout le pays slave, il n'y eut ni église ni prêtre, en-dehors de la cité qu'on appelle maintenant Alt-Lübeck, parce que c'est là que résidait le plus souvent Henri et sa famille. [1,35] XXXV. La mort du comte Gottfried. Après ces événements Magnus, duc de Saxe, mourut, et le César donna le duché au comte Lothaire parce que Magnus n'avait pas de fils, mais uniquement des filles. L’une d’elles nommée Eilika épousa le comte Otto et lui donna le margrave Albert, surnommé l'Ours. L'autre fille, nommée Wulfhilde, se maria avec Catulle, duc de Bavière. Elle lui donna Henri le Lion. Mais Lothaire reçut le duché de Saxe et administra avec modération tant les Slaves que les Saxons. A cette époque, des voleurs slaves vinrent en Sturmarie, ils emportèrent comme butin dans les environs de la ville de Hambourg des bêtes et enlevèrent des gens. Mais Gottfried, comte de cette région, se dressa au bruit des cris, et poursuivit les voleurs avec certains citoyens de Hambourg. Comme il s'aperçut que ceux-ci étaient nombreux, il s'arrêta un moment, attendant des renforts. A ce moment-là, un paysan, dont la femme et les enfants avait été faits prisonniers, accourut et prit à parti le comte: « Pourquoi tremblez-vous, ô plus lâche des hommes. Vous n’avez pas un cœur d'homme mais de femmelette. Si vous aviez vu comme moi votre femme et vos enfants traînés au dehors, vous ne seriez sûrement pas en train de flâner. Maintenant, dépêchez-vous, faites libérez les prisonniers, si vous voulez à l'avenir être respecté dans le pays. » Stimulé par ces paroles, le comte se lança dans une poursuite rapide de l'ennemi. Mais les voleurs lui avaient tendu une embuscade sur leurs arrières et quand le comte arriva avec ses quelques hommes, ils sortirent de leur cachette, frappèrent le comte et sa vingtaine d'hommes, puis poursuivirent leur route avec le butin qu'ils avaient pris. Les habitants qui, eux aussi, les poursuivaient, trouvèrent le comte mort, mais sans sa tête, parce que les Slaves l'avaient coupée et emportée avec eux. Elle fut ensuite rachetée à prix élevé et placée dans un sépulcre dans son pays natal. [1,36] XXXVI. Le massacre des Rugiens. Le duc Lothaire attribua le comté vacant à un noble, Adolphe de Schauenburg. Et la paix s’instaura entre le comte Adolphe, et Henri, prince des Slaves. Un jour comme Henri résidait dans la ville de Lubeck, voilà qu’une flotte des Rugiens entre dans la rivière Travena qui entoure la ville. Les Rugiens sont aussi appelés Raniens et Runiens ; ce sont des hommes cruels habitants au milieu de la mer, voués à l’idolâtrie et ils se croient les premiers d’entre les Slaves parce qu’ils ont un Roy et un temple célèbre et effectivement grâce à ce temple ils sont très respectés des autres Slaves. Ils imposent à plusieurs le joug de la servitude et ne le supportent point pour eux-mêmes ; aussi la difficulté des lieux rend leur pays inaccessible. Lorsqu’ils ont soumis une nation par les armes, ils la rendent tributaire de leur temple. Chez eux, le grand Prêtre est plus respecté que le Roy et ils conduisent leurs armées dans les lieux qui leurs sont indiqués par les forts. Les vainqueurs portent l’or et l’argent dans le trésor du Dieu et partagent entre eux le reste du butin. Et, animés par leur désir de domination, ils vinrent à Lübeck pour s'emparer par exemple de toute la Wagrie et de la province des Nordalbingiens. Henri, prévoyant le désastre de ce siège inattendu, dit au chef de sa troupe : « Nous devons prendre des mesures de sécurité pour les hommes qui sont avec nous. Il est indispensable que je parte demander de l'aide, alors peut-être je réussirai à libérer la forteresse du siège. Mais toi, sois courageux et renforce l’{esprit} des combattants qui se trouvent dans la forteresse. Tiens la ville pour moi jusqu’au quatrième jour. Si alors je suis vivant, je te ferai des signes de cette montagne. » Et il partit en secret pendant la nuit avec deux hommes, pour aller sur la terre des Holzatiens, en leur annonçant le péril imminent. Et se rassemblant, ils se précipitèrent avec lui pour combattre et s’approchèrent de la forteresse, assiégée par l'ennemi. Et Henri installa ses alliés dans des cachettes et leur ordonna de faire silence afin que d’aventure les ennemis n'entendent pas les voix de la multitude ou les hennissements des chevaux. Et, les ayant quitté, accompagné d'un seul serviteur, il se rendit à l’endroit fixé d’où on pouvait le voir depuis la ville. Le commandant de la forteresse, ayant parfaitement respecté ses instructions, montra le visage d’Henri à ses amis, déjà affolés, car la rumeur courait parmi eux qu'il avait été fait prisonnier par les ennemis la nuit où il était sorti. Lorsqu’Henri eut pris connaissance du péril encouru par les siens et de l’effervescence dans la forteresse, il revint à ses alliés et par un chemin secret il conduisit l'armée sur un chemin du littoral jusqu’à l'embouchure de la Trave et il descendit la route que les cavaliers Slaves devaient prendre. Lorsque les Rani virent cette multitude venir par la route menant à la mer, ils crurent que c'étaient leurs cavaliers et ils quittèrent leurs navires pour se porter vers eux avec joie et reconnaissance. Mais les Saxons, avec leurs éclats de voix dans la prière et les hymnes, s'élancèrent sur l'ennemi d'un seul coup, et le repoussèrent, terrifié, par cette attaque inattendue, jusqu’à leurs navires. Et ce jour-là un grand massacre eut lieu dans l'armée des Rani, et beaucoup moururent devant la forteresse de Lubeck, le nombre de ceux qui se noyèrent dans les eaux ne fut pas moins grand que celui de ceux qui périrent par l'épée. Les vainqueurs firent alors un grand tombeau où l’on jeta les cadavres et, en commémoration de la victoire, ce tumulus fut appelé Raniberg, même encore aujourd’hui. En ce jour le Seigneur Dieu fut glorifié par les mains des chrétiens et on ordonna que ce jour des calendes d'août fût célébré chaque année en signe et en souvenir du fait que le Seigneur avait frappé les Rani à la vue de Son peuple. Les peuples des Rani servirent ensuite Henri en lui payant tribut tout comme les Wagriens, Polabes, Obodrites, Kicini, Circipani, Lutici, Poméraniens et toutes les tribus slaves vivant entre l'Elbe et la mer Baltique, {territoire} qui s’étend d’une longue ligne jusqu’à la terre des Polonais. Henri dirigea tous ceux-là, et il fut appelé roi dans toutes les provinces des Slaves et des Nordalbingiens. [1,37] XXXVII. La victoire de Mistiwoy. Or donc une fois les Brizaniens et les Stoderaniens se révoltèrent, c’est à dire les peuples qui demeurent à Havelberg et Brandebourg. Henri crut devoir se hâter de les soumettre par les armes dans la crainte que l’insolence de ces deux nations ne fut imitée par tout le reste de l’orient. Il se mit donc à la tête de ses chers Nordalbingiens et traversant la province des Slaves non sans beaucoup de danger, il mit le siège devant Havelberg. Alors il ordonna aux Obodrites de venir se joindre à lui ; cependant le siège dura des mois et des jours alors quelqu’un dit à Mistiwoy fils de Henri qu’il y avait dans le voisinage une certaine nation qui abondait en toutes sortes de biens, d’ailleurs tranquille et ne songeant à aucune révolte. Cette nation de Slaves s’appelle les Liniens ou Linoges. Mistiwoy sans rien dire à son père prit avec lui deux cent Saxons et trois cent Slaves, tous gens d’élite, puis il marcha deux jours arrêté par les défilés des forêts, les difficultés des eaux et la grandeur des marais. Enfin il tomba à l’improviste sur cette malheureuse nation et y fit beaucoup de captifs et de butin, mais lorsqu’il voulut repasser les marais, les habitants des lieux circonvoisins se rassemblèrent pour les attaquer ; les compagnons de Mistiwoy voyant que leur salut dépendait de leur courage attaquèrent hardiment les ennemis qui les environnaient, les défirent totalement, firent leurs chefs prisonniers et retournèrent auprès de Henri chargés de butin ; peu de jours après les Brizaniens et les autres rebelles demandèrent la paix et donnèrent les otages que demanda Henri. Celui-ci retourna chez lui et les Nord Albingiens chez eux. [1,38] XXXVIII. L’expédition des Slaves sur la terre des Rugiens. Après cela, il arriva que l'un des fils d’Henri, appelé Waldemar, fut tué par les Rani. Alors, mû par le chagrin et la colère, le père concentra toutes ses pensées sur la loi du talion. Il envoya des messagers en pays slaves afin de réunir des alliés, et tous ceux qui s’étaient assemblés avaient envie et étaient même disposés à obéir aux ordres du roi et à faire la guerre aux Rani. Et ils étaient « aussi nombreux, que les sables de la mer. » Peu satisfait de ces forces, Henri demanda aux Saxons de venir, à savoir, ceux de Holzatie et Sturmarie, et il leur rappela leur amitié personnelle. Ils le suivirent de grand cœur avec environ seize cents hommes. Après avoir traversé la rivière Trave, ils se rendirent à travers le territoire très étendu des Polabes et de ceux qu’on appelle Obodrites, jusqu'à atteindre la rivière Peene. Après avoir franchi ce fleuve, ils se dirigèrent vers la forteresse appelée Wolgast, qui, parmi les gens cultivés, est connue sous le nom de Julia Augusta, de son fondateur Jules César. C’est là qu’ils trouvèrent Henri qui les attendaient et où ils passèrent la nuit, ayant dressé leur camp non loin de la mer. Le matin venu, Henri les convoqua tous à une assemblée et leur tint ce discours : « Je vous suis infiniment reconnaissant, ô hommes, car pour montrer votre bonne volonté et votre fidélité indéfectible, vous êtes venus de loin m’apporter une aide contre un ennemi des plus cruels. Très souvent, en effet, j'ai éprouvé votre virilité et j’ai pu juger de votre fidélité, dans des périls divers, ce qui mérite d’être dit, cela m’a donné des revenus importants et vous a apporté la gloire. Mais rien ne resplendit autant que cette preuve de fidélité que je garderai toujours à l'esprit et dont je m'efforcerai toujours, de toutes mes forces, d'être digne. Je désire, toutefois, vous faire savoir que les Rani contre lesquels nous allons, m’ont envoyé des messagers au cours de la nuit, nous proposant la paix pour deux cents marks. Je ne prendrai aucune décision sur cette proposition sans votre avis. Si vous décidez qu’il faut l'accepter, je l’accepterai, dans le cas contraire, je la refuserai. » Sur ce les Saxons répondirent: « O prince, bien que nous soyons peu nombreux, nous avons été séduits par la gloire de l'honneur et de la bravoure, afin d’en acquérir le plus possible. Les Rani, ainsi que tu le dis, qui ont tué ton fils peuvent, sur notre avis, revenir en grâce pour deux cents marks? Satisfaction, en effet, digne de ton grand nom! Loin de nous une telle ignominie que de jamais approuver cette proposition. Nous n'avons pas quitté nos femmes, nos enfants, les domaines de nos pères, pour susciter la moquerie de l'ennemi et l'opprobre éternel de nos enfants. Non, continuons plutôt ce que tu as commencé, traversons la mer, utilisons le pont qu’un bon artisan a fabriqué pour toi, attaquons l'ennemi. Tu verras qu'une mort glorieuse est notre plus grande récompense. » Stimulé par ces exhortations, le prince leva le camp de cet endroit et s’avança vers la mer. Maintenant ce bras de mer est si étroit que l'on peut voir par-dessus, et à cause de l'hiver rigoureux à ce moment-là, il était recouvert d’une couche de glace très épaisse. Après avoir taillé leur chemin à travers bois et fourrés de roseaux, ils arrivèrent tout de suite à la mer. Aussitôt, voici que des hordes de Slaves de chaque province se répandirent sur la surface de la mer, s’ébranlant en détachements et en formations, attendant l'ordre du roi. C'était vraiment une armée nombreuse, très nombreuse. Et quand tous {les Slaves} se trouvèrent ainsi en ordre et prudemment disposés en lignes individuelles, seuls les dirigeants s'avancèrent pour saluer le roi et l'armée étrangère et, la tête inclinée, ils montrèrent leur respect. Leur ayant rendu leur salut et les ayant encouragé, Henri commença à les interroger sur le chemin à prendre et sur celui qui ouvrirait {la marche} en s’avançant. Mais, comme chacun des chefs se proposa à qui mieux mieux, les Saxons prirent la parole: « Nous savons que c'est notre droit d'être les premiers à avancer dans la bataille, et les derniers à nous en aller. C’est une règle transmise par nos pères et observée jusqu’ici, nous pensons ne pas devoir la négliger, même dans cet endroit méconnu. » Et le roi leur fut favorable car, bien que le nombre des Slaves fut important, Henri ne se fiait toutefois pas à eux, parce qu'il les connaissait tous. Les Saxons, donc, levant les étendards, marchèrent en avant, et les troupes slaves suivirent dans l'ordre. Après avoir marché pendant toute la journée sur la glace et dans une neige profonde, ils entrèrent enfin, vers la neuvième heure, dans le pays des Rugiens. Aussitôt tous les villages du littoral furent incendiés. Henri dit à ses compagnons: « Qui d'entre nous peut aller voir où se trouve l'armée des Rani ? Je crois voir une multitude qui vient vers nous de loin. » L’éclaireur saxon qui avait été envoyé avec quelques Slaves revint à cet instant et annonça que l'ennemi était à portée de la main. Henri dit alors à ses alliés: « Rappelez-vous, ô guerriers, d'où vous venez et où vous vous trouvez. La table est mise et nous devons y aller avec sérénité et nous ne pouvons éviter de participer à ses délices. Voilà, nous sommes entourés de tous côtés, par la mer, par les ennemis, devant et derrière nous, et toute fuite est impossible. Confortons-nous donc dans notre Seigneur Dieu et soyons de vaillants combattants, car une seule chose nous est permise, vaincre ou mourir courageusement. Henri établit ensuite sa ligne de bataille, se plaçant au premier rang avec l’élite des Saxons. Lorsque les Rugiens virent l'impétuosité de ces hommes, ils eurent très peur, et envoyèrent leur prêtre négocier la paix. Il proposa d’abord 400, puis 800 marks. Mais quand l'armée gronda d'indignation et insista pour engager la bataille, il tomba aux pieds du prince et lui dit: « N’irrite pas notre seigneur contre ses serviteurs ; cette terre est entre tes mains, fais-en ce qu’il te plaît. Nous sommes tous entre tes mains; quoi que tu nous imposes, nous le ferons. » Pour 4.400 marks ils obtinrent ensuite la paix. En recevant leurs otages, {Henri} rentra dans son propre pays et congédia son armée, chacun retournant chez soi. Puis il envoya des messagers au pays des Rugiens pour recevoir l'argent promis. Toutefois, les Rugiens n'ont pas inventé l'argent, et ils ne sont pas habitués à se servir des pièces de monnaie pour l'achat de marchandises ; mais s'ils veulent acheter quelque chose sur le marché, ils le paient avec une pièce de tissu. L'or et l'argent qu'ils obtiennent par des raids de pillage, la capture des gens ou de toute autre manière, est donné soit pour les ornements de leurs épouses soit pour le trésor de leurs dieux. Henri, par conséquent, leur imposa des balances avec un poids très lourd. Quand ils eurent épuisé le trésor public et tout l’or ou l'argent qui appartenait à des particuliers, ils eurent à peine payés la moitié du tribut ; je suppose qu'ils trafiquèrent la balance. Irrité qu’ils n’eussent pas entièrement remplis leurs engagements, Henri prépara une seconde expédition au pays des Rugiens. Lorsque l'hiver suivant permit à nouveau de franchir la mer, il envahit, accompagné du Duc Lothaire les terres des Rugiens avec une grande armée de Slaves et de Saxons. Mais ils n’étaient là que depuis trois nuits, lorsque le froid commença à diminuer et les glaces à fondre. Aussi s’en retournèrent-ils sans avoir accompli leurs buts, ayant de justesse échappés aux périls de la mer. Les Saxons ne pensèrent plus à envahir les terres des Rugiens, car Henri ne survécut que peu de temps et sa mort mit fin à la querelle. [1,39] XXXIX. Le massacre des Romains. A peu près à cette époque également, le César Henri menait une guerre sérieuse contre le duc Lothaire et les Saxons. Maintenant, quand le jeune Henri eut obtenu pour lui seul la direction de l'Empire lors de la déposition, ou plutôt de la mort, de son père, il vit que le pays tout entier était tranquille en sa présence et que tous les princes eux-mêmes s'étaient engagés par serment à une expédition en Italie parce qu'il voulait, selon la coutume, faire confirmer la plénitude de l'honneur impérial par les mains du pontife suprême. Après avoir franchi les Alpes, il se rendit à Rome avec une immense troupe d'hommes en armes. Lorsque le seigneur pape Pascal eut vent de son arrivée, il s’en réjouit plus que modérément car il envoya, dans le pays d'alentour, une convocation au nombreux clergé, afin de recevoir le roi qui venait de manière honorable et en grande pompe. Il {Henri V} fut donc reçu dans l’allégresse par tout le clergé et par la Ville. Lorsque cependant, on en arriva à la consécration, le seigneur pape lui demanda de prêter serment d’observer totalement la foi catholique, de se montrer respectueux du Saint-Siège, et soucieux de la défense de l’Eglise. Mais le roi orgueilleux ne voulut pas prêter serment, affirmant qu’un empereur, auquel tous sont tenus de prêter des serments solennels, n’est tenu le faire à personne. Une tension s’instaura entre le pape et le roi, et le rite de la consécration fut interrompu. Aussitôt la colère embrasa la troupe de l’armée royale ; elle se jeta avec violence sur le clergé et le dépouilla de ses vêtements sacrés, comme les loups dans la bergerie. Ayant entendu cela, les habitants de Rome se portèrent au secours du clergé, car ils voyaient les offenses subies. On commença à se battre dans la maison de saint Pierre, comme jamais on ne l’avait ouï dire depuis les temps les plus reculés. L'armée du roi toutefois l’emporta et mit en déroute les Romains qui périrent nombreux. Aucune distinction ne fut faite entre religieux et profanes, tous dévorés par le glaive. Là, tout homme fort combattit jusqu'à ce que sa main se raidisse avec l'épée. La maison de la sanctification fut remplie de morts et de mourants. Des rivières de sang ruisselèrent des hommes morts, jusqu’à ce que la couleur du Tibre devienne celle du sang. Mais pourquoi m'attarder encore là-dessus ? Le seigneur pape et d'autres, qui survécurent au massacre, furent faits prisonniers. On put voir les cardinaux traînés nus, liés avec des cordes autour du cou, les mains liées derrière le dos, et une masse considérable de citoyens emmenés enchaînés. Quand donc, en quittant Rome, ils s’arrêtèrent la première fois, certains religieux et évêques s’approchèrent du seigneur pape et lui dirent: « Nous compatissons sincèrement, très saint père, avec un tel crime perpétré contre vous, votre clergé et les citoyens de votre ville. Mais ces malheurs, exigés par nos péchés, étaient plus imprévus que délibérés. Aide-nous et sois conciliant avec notre seigneur pour qu'il devienne bienveillant envers toi, et achève ta bénédiction ». {Sur quoi} le pape leur répondit ceci : « Que dites-vous, mes chers frères ? Que nous devrions consacrer un homme inique, féroce et trompeur ? Lui qui a purifié de ses mains la cérémonie de la consécration, lui qui a inondé du sang des prêtres les autels de Dieu, et a rempli la sainte maison de cadavres. Loin de moi une telle parole, que j'accepte de consacrer celui qui s’est rendu exécrable ». Et quand ils lui expliquèrent que par prudence pour son salut et celui des prisonniers, il fallait calmer le roi, le pape répondait avec une grande hardiesse: « Je ne crains pas votre seigneur, le roi. Qu’il tue mon corps, s’il le souhaite, il ne pourra pas en faire plus. Il a atteint un grands succès en massacrant des habitants et du clergé, mais je vous dis en vérité, quant au reste il ne remportera pas de victoire, n’obtiendra pas la paix pendant sa vie, ni n’engendrera un fils, qui régnera sur son trône ». Quand tout cela fut rapporté au roi, sa colère éclata et il ordonna de faire décapiter tous les prisonniers sous les yeux du pape pour l'effarer. Ce dernier les exhorta à accepter courageusement leur mort pour le bien de la justice, en leur promettant la couronne impérissable de la vie éternelle. Mais, comme un seul homme, ils se jetèrent à ses pieds, l'implorant d’épargner leur vie. Alors le très saint père, pleurant à chaudes larmes, prenant à témoin le Scrutateur des cœurs, préférait plutôt mourir que céder, si la compassion infligée à tous par la loi du Christ ne faisait pas obstacle {au roi}. Et il fit néanmoins ce que la nécessité exigeait ; il promit de consacrer le roi pour qu’il libère les captifs. Le pape et les cardinaux revenus dans la Ville {de Rome} se soumirent à la volonté du roi, avec une condescendance arrachée à cet effet, et ils lui accordèrent un privilège qu’il souhaitait par-dessus toute son âme. [1,40] XL. La bataille de Welfesholz. Après que l'empereur ait ainsi obtenu sa consécration en force et s’en fut retourné sur ses territoires allemands, un synode de cent vingt pères fut convoqué dans la ville de Rome au cours duquel le saint père fut vivement pris à partie pour avoir élevé à l’apogée de l’empire un roi sacrilège, celui qui avait pris le souverain pontife en captivité, avait traîné les cardinaux, avait répandu le sang du clergé et des citoyens; et avait, par ailleurs, confirmé le plus indigne de tous les hommes par un privilège spécial dans le droit de l'investiture épiscopale, que ses prédécesseurs, pour la sauvegarde du droit ecclésiastique avaient défendu même jusqu'à la mort et l'exil. Le pape commença à alléguer pour excuse qu'il avait dû recourir à la nécessité critique et qu'il avait empêché des dangers extrêmes à moindres frais, qu'il n’aurait pu autrement contrôler le massacre des gens et l'incendie de la Ville. Il avait péché, certes, mais persuadés par d’autres, il réparerait cette faute selon les préceptes du saint concile. Comme cette excuse trouva preneur, l'ardeur de ses accusateurs se refroidit et le synode décréta que, puisque ce privilège lui avait été extorqué, on ne devait pas l’appeler une concession, mais une perversion de la loi ; et pour cette raison ordonnèrent-ils de l’annuler sous anathème. On décréta, en outre, que l'empereur lui-même devait être interdit de franchir les portails de la Sainte Eglise. Ces nouvelles se répandirent dans le monde entier et tous ceux à qui la soif d'innovations donnait chaque fois une occasion de se rebeller se tinrent prêts avec leurs outils. Au premier rang se trouva le célèbre Adalbert, évêque de Mayence. Avec lui, beaucoup s’associèrent, en particulier cependant, les princes saxons, qui furent séditieux, en partie à cause de leurs besoins, en partie à cause d'anciennes traditions de rébellion. En fait outre la nouvelle guerre pour laquelle ils se firent ensuite prêts, ils étaient jadis entrés neuf fois en conflit avec le très guerrier Henri l’aîné. Mais pourquoi m’attarder ainsi? Quand l'empereur s'aperçut que toute la Saxe était sur le point de l'abandonner et que le virus de l'intrigue se répandait de plus en plus, il emprisonna d'abord l'auteur de la rébellion, l'évêque de Mayence. Puis il envahit toute la Saxe et fit de très importants ravages dans le pays, apportant à ses princes, soit la mort, soit au moins la captivité. Là-dessus, les princes saxons qui avaient survécu, à savoir, le duc Lothaire, Reinhard, évêque de Halberstadt, Frédéric, comte d'Arnsberg, et beaucoup de nobles se rassemblèrent et rencontrèrent l'empereur à un endroit appelé Welfesholz, comme il envahissait à nouveau la Saxe avec une armée. Ils conduisirent leurs forces contre l'armée du roi, malgré leur infériorité en nombre, car ils se battaient à trois contre cinq. Cette bataille, la plus célèbre de notre époque, eut lieu aux calendes de Février ; les Saxons y prouvèrent leur supériorité et ils écrasèrent les forces du roi. C’est là que tomba dans la bataille, Hoger, prince des soldats du roi, lui-même né en Saxe, et destiné au duché, au cas où les choses se seraient bien passées. Bien que les Saxons fussent ensuite enchantés de leur victoire, ils savaient bien que la colère du César ne laisserait guère une si grande défaite impunie. Ils renforcèrent donc leur cause par de fréquents colloques; ils soldèrent par conventions leurs différends existant dans la province; ils attirèrent des bandes de mercenaires étrangers, enfin, pour que les confédérés ne puissent pas rompre leurs accords, tous engagèrent leurs armes pour défendre leur terre natale. Que dirai-je de l'archevêque de Mayence qui, plus que tout autre sévit contre l'empereur? Lorsque, grâce aux efforts de ses bourgeois qui avaient assiégé le César à Mayence, il fut libéré de prison et restauré dans son siège, il montra non pas tant par l'apparence de son corps amaigri que par l'amertume de sa vengeance, combien de fois il avait souffert la mort en captivité. Comme en outre, il agissait également en qualité de légat du Siège apostolique, il posa la sentence d'excommunication sur le César dans les conciles de nombreux évêques et autres dépositaires de l'autorité judiciaire. Exaspéré par ces machinations, le César pénétra en Lombardie avec sa femme, Mathilde, fille du roi d'Angleterre. Et il envoya des légats au seigneur pape Pascal le priant de le relever de la sentence d'excommunication. Le pape, cependant, différa l’examen de son cas, à un saint concile après avoir nommé une trêve convenable pour le roi et l’ayant temporairement libéré de l'excommunication. Entretemps Pascal mourut. A sa place, le César installa un certain Burdinus, après avoir rejeté Gélase, qui avait été canoniquement élu. Et à nouveau il y eut schisme dans l'Eglise de Dieu. Gélase, toutefois, se tira d’affaire en fuyant et séjourna dans le royaume des Français jusqu'au jour de sa mort. Raconter en détail les tumultes de cette époque serait de fait une trop longue histoire, le moment d’un tel récit n’est pas venu. L'histoire des Slaves, dont je me suis beaucoup écarté, demande un retour. Les empereurs Henri ont toujours tous été trop pris par leurs affaires internes, et paralysés immodérément par le problème religieux. Quiconque veut connaître plus en détail leur activité et la fin du schisme, doit lire le cinquième livre de l'histoire de maître Ekkehard. Destinant son ouvrage à Henri le jeune, il a fait le plus grand éloge du bon, mais a tout à fait passé sous silence le mauvais, ou l’a présenté sous un meilleur jour. Il ne faut pas, cependant, évoquer ces jours sans mentionner saint Otton, évêque de Babenberg. A l'invitation et même avec l'aide de Boleslas, duc des Polonais, il entreprit une mission agréable à Dieu parmi les peuples slaves appelés Poméraniens, qui vivent entre l'Oder et la Pologne. Pour ces barbares, il prêcha la Parole de Dieu et comme Dieu « travaillait avec » lui et confirmait cette parole par un « signe qui suivait », il convertit au Seigneur toutes ces tribus ainsi que leur prince, Vratislav. Et la louange divine continua à porter ses fruits à cet endroit, et ce même jusqu’à nos jours.