[14,0] XIV. MAITRE JOANNES KRABACIUS DONNE LE BONJOUR A MAITRE ORTUINUS GRATIUS. EXCELLENTE personne, selon que je fus, il y a deux ans, à Cologne, dans votre compagnie, et que vous m'intimâtes qu'il fallait que je vous écrivisse de quelque lieu que je me trouvasse, je vous notifie que j'ai appris la mort d'un théologien excellentissime, nuncupé notre maître Heckman de Franconie. Ce fut un homme d'importance. De mon temps, recteur à Nuremberg, il fut l'ennemi de tous les poètes séculiers. C'était un homme zélé, qui célébrait la messe pour son plaisir. Quand il tint le rectorat de Vienne, il garda les suppôts dans une grande rigueur. Une fois, vint un compagnon de Moravie qui doit être poète, car il écrivait des mètres, et qui voulut professer l'art de la métrique, combien qu'il ne fût pas diplômé. Alors, notre maître Heckman défendit son cours; mais, lui, fut si outrecuidé qu'il ne voulut pas tenir- compte de l'ordonnance. Le recteur, pour le coup, interdit aux suppôts de fréquenter ses leçons. Ensuite de quoi ce ribaud vint trouver le recteur, lui tint des propos superbes et se mit à le tutoyer. Aussitôt le recteur envoya chercher les valets de ville et voulut incarcérer notre homme, à cause que c'était un énorme scandale qu'un simple compagnon eût le front de tutoyer un recteur d'Université qui est notre maître. Avec cela, j'ai ouï dire que ce compagnon n'est bachelier, ni maître, ni en aucune façon qualifié ou gradué, qu'il pérégrine comme un guerrier qui s'en va-t'en guerre, qu'il porte un grand chapeau; en outre, un long poignard à son côté. Mais, pardieu ! on l'eût bel et bien incarcéré, n'étaient les répondants qu'il connaissait en ville. Quant à moi, je m'afflige beaucoup s'il est vrai qu'un tel homme soit défunt. Il m'a fait beaucoup de bien lorsque j'étais à Vienne; c'est pourquoi j'ai composé l'épitaphe que voici : "Qui gît dans ce tombeau fut ennemi des poètes Et les voulut expeller, quand ils cuidèrent ici pindariser; Témoin ce compagnon, naguère, qui ne fut pas titré, Venant de Moravie et montrant à composer des vers : Il le voulut mettre en prison pour l'avoir tutoyé!!! Mais à cause qu'il est mort, enseveli à Vienne, Dites deux ou trois fois pour lui une belle patenôtre". Fut un messager qui nous apporta des nouvelles, méchantes si elles sont véridiques, à savoir que votre cause est en mauvaise posture devant la curie romaine; je ne le crois cependant pas, car ces messagers colportent force hapelourdes. Les poètes murmurent ici contre vous. Ils clabaudent qu'ils veulent défendre le docteur Reuchlin avec des carmes. Mais, comme vous aussi êtes poète lorsque bon vous semble, je crois que vous ferez bonne contenance devant ces paltoquets. Vous devez néanmoins m'écrire comment l'affaire se comporte. Si je peux alors vous assister, vous aurez en moi un fidèle compagnon et coadjuteur. Portez-vous bien. De Nuremberg.