[7,0] VII. MAITRE PETRUS HAFENMUSIUS A MAITRE ORTVINUS GRATIUS. [7,0] INNOMBRABLES saluts, Vénérable Seigneur Maître ! Si j'avais pécune et substances copieuses, je voudrais vous offrir une popination de choix, croyez-m'en sur parole, à la condition que vous me tiriez du doute que voici. Mais pour ce que je n'ai présentement ni boeufs ni brebis, non plus qu'aucune autre bête des champs et que je suis fort gueux, je ne peux rémunérer votre doctrine. Toutefois, je vous promets qu'aussitôt pourvu d'un bénéfice (et je postule en ce moment pour certain vicariat) je me propose de vous rendre une fois des honneurs tout spéciaux. Donc, veuillez m'écrire s'il importe au salut éternel que les écoliers apprennent la grammaire dans les profanes, comme Virgile, Cicéron, Pline et autres poètes. Il me paraît, à moi, que ce n'est point une bonne façon d'étudier. En effet, Aristote, au chapitre premier de sa Métaphysique, dit que « les poètes mentent beaucoup ». {Aristote, La Métaphysique, I, ch. 2 : ... Εἰ δὴ λέγουσί τι οἱ ποιηταὶ καὶ πέφυκε φθονεῖν τὸ θεῖον, (983α) ἐπὶ τούτου συμβῆναι μάλιστα εἰκὸς καὶ δυστυχεῖς εἶναι πάντας τοὺς περιττούς. Ἀλλ' οὔτε τὸ θεῖον φθονερὸν ἐνδέχεται εἶναι, ἀλλὰ κατὰ τὴν παροιμίαν πολλὰ ψεύδονται ἀοιδοί, οὔτε τῆς τοιαύτης ἄλλην χρὴ νομίζειν τιμιωτέραν. ... Si donc les poètes disent vrai, et si la nature divine doit être envieuse, c'est surtout au sujet de cette prétention, et tous les téméraires qui la partagent, en portent la peine. Mais la divinité ne peut connaître l'envie; les poètes, comme dit le proverbe, sont souvent menteurs, et il n'y a pas de science à laquelle il faille attacher plus de prix.} Mais ceux qui mentent pèchent, et ceux qui fondent leur étude sur le mensonge la fondent sur le péché. Or, tout ce qui est fondé sur le péché n'est pas bon, mais contre Dieu, puisque Dieu est ennemi du péché. Dans la poéterie tout est mensonge; ceux qui commencent leurs études par la poéterie ne sauraient croître dans le bien. Car d'une méchante racine sort toujours de la mauvaise herbe, et d'un arbre vénéneux des fruits empoisonnés. Ce que dit notre Sauveur dans l'Ëvangile : "il n'y a pas de bon arbre qui porte de mauvais fruits". {Luc, VI,43} Et je me remémore en perfection l'avis que me bailla une fois notre Maître Valentinus de Geltersheim, au collège du Mont, quand fus son disciple et voulus entendre Salluste. Il me dit : « Pourquoi veux-tu entendre Salluste, dyscole? » Je répondis alors : "Parce que Maître Johannes de Breslau prétend que de tels poètes nous apprenons à rédiger d'excellents dictamen". Mais lui me rétorqua : « C'est un phantasme ! Tu dois t'attacher aux Parties d'Alexander, aux Épistoles- de Carolus que l'on paraphrase dans les cours de Grammaire. Quant à moi, je n'ai jamais entendu goutte à Salluste et pourtant j'excelle à composer des dictamen soit en vers, soit en prose. » Par ces bonnes raisons, Valentinus notre Maître me détourna d'étudier jamais en Poésie. Ces humanistes d'à présent m'horripilent avec leur latin nouveau. Ils abrogent les bouquins d'autrefois : Alexander, Remigius, Johannes de Garlandria, Cornutus, le Compost des vocables, l'Épistolaire de Maître Paulus Niavis, disant de si grandes menteries que je me signe de la croix lorsque je les entends parler. Ainsi, l'un d'entre eux affirmait naguère que, dans une certaine province, il existe une eau dont le sable est d'or et qui se nomme Tagus, de quoi je me suis rigolé en cachette, puisque le fait n'est pas possible. Je sais bien que vous êtes poète; cependant j'ignore d'où vous tenez cet art. On assure qu'à votre gré vous écrivez, en une heure, des montjoies de vers; mais j'estime que votre intellect est ainsi illuminé par l'influx du supernel Esprit, que vous savez ces choses et d'autres parce que toujours vous fûtes bon théologien et que vous redressez comme il faut les Gentils. De grand coeur je vous écrirais des nouvelles si j'en avais appris. Mais je n'en sais aucune, sinon que les Frères et les Doms de l'Ordre des Prêcheurs ont ici de copieuses indulgences. Ils absolvent de la peine et de la coulpe n'importe qui se confesse : avec contrition, ayant pour cet objet des lettres papales. De votre part, écrivez-moi aussi quelque chose; car je suis. en quelque manière comme votre valet. De Nuremberg.