[91,0] LETTRE XCI. A Pascal, souverain pontife, Ives, humble ministre de l'église de Chartres, tout ce qu'un fils doit à son père. [91,1] Fils utérin de l'Église Romaine, comme ma conscience me le témoigne, lorsque ma mère est scandalisée, je ne puis pas ne pas ressentir sa blessure ; lorsqu'elle est dans les tribulations, je suis troublé comme elle ; lorsqu'elle est lacérée par les dents envieuses des détracteurs, je suis déchiré avec elle. Je prie donc votre paternelle bienveillance, s'il arrive de nos contrées à vos oreilles, au sujet des évêques ou d'autres personnes, des rapports d'accusation ou d'excuse, de ne pas vous rendre aussitôt aux requêtes de ces gens qui cherchent leurs intérêts et non ceux de Jésus-Christ. Prenez un terme convenable et assez éloigné ; consultez des témoins religieux qui, demeurant dans le pays voisin, peuvent connaître les faits à fond, et lorsque vous aurez su la vérité, selon ce que Dieu vous inspirera, terminez chaque affaire d'après les règles de la justice et de la miséricorde. Vous conserverez ainsi intacte votre bonne renommée qui est surtout nécessaire au siège apostolique ; vous procurerez le salut d'un grand nombre, et vous rappellerez au silence les langues des envieux et des médisants. Autrement, si, ce qu'à Dieu ne plaise, nous découvrons quelque honte dans notre père, nous n'en rirons pas assurément comme des fils d'aversion, mais cependant nous nous abstiendrons de vous donner par écrit ou de vive voix des avis que nous aurons reconnus inutiles. Que votre sainteté ne s'indigne pas de la liberté que je prends comme un fils envers son père. J'ai déjà connu bien des hommes amis de la justice qui, voyant le pardon accordé aux fautes ou l'impunité assurée aux crimes, ont imposé silence à leur bouche et ont abandonné l'espoir de corriger les mauvais. [91,2] Assez pour aujourd'hui sur ce point. Abordant un autre sujet, je fais savoir à votre excellence que les clercs de Beauvais, malgré votre défense et celle de vos légats, ont choisi pour évêque un clerc nommé Etienne, pris par eux hors des ordres sacrés, car il n'est pas même sous-diacre. C'est un homme illettré, joueur, coureur de femmes, jadis publiquement diffamé pour un adultère notoire, qui le fit priver de la communion de l'Église par le seigneur archevêque de Lyon, alors légat du siège apostolique. On pourrait dire de lui bien d'autres choses déshonnêtes, mais celles-là, qui sont vraies et manifestes, suffisent pour son exclusion, si les institutions apostoliques et canoniques n'ont pas perdu toute leur vigueur. Je veux que votre sainteté soit prévenue et avertie à ce sujet par mon humilité, afin que, dans son ignorance des faits, elle ne laisse pas surprendre son consentement pour l'élévation de cet homme à l'épiscopat. Pareille chose arrivant, l'expérience vous ferait connaître, si mes paroles ne sont pas suffisantes, le dommage qui en résulterait pour l'autorité du siège apostolique. Afin donc que son usurpation ne dure pas plus longtemps, chassez ce pédagogue de l'Église de Dieu. Les autres clercs incirconcis, à la vue de sa punition, abandonneront une semblable ambition, et la parole de Dieu s'étendra et fera des progrès en vos jours. Que votre sainteté sache encore que cet Etienne avait d'abord été repoussé par les Beauvaisiens pour les motifs que je vous ai fait connaître ; la partie la plus saine du peuple voulait élire un religieux : c'est alors que cet homme fut recueilli par quelques clercs mal intentionnés et par quelques laïcs excommuniés. Depuis longtemps cette église a pris l'habitude d'avoir des prélats tels qu'ils ne peuvent servir qu'à la conduire à la damnation et non à la diriger dans la voie de la vie. C'est à vous de chercher à travers l'obscurité et l'aspérité les brebis errantes et égarées et de les ramener aux pâturages ; c'est à vous de mettre à leur tête un pasteur qui prenne soin de son troupeau. Quand bien même les brebis elles-mêmes voudraient périr, voudraient errer, voudraient s'exposer à la voracité des loups ravisseurs, c'est à votre sainteté de dire : « Je ne veux pas que vous erriez, je ne veux pas que vous » périssiez. » Pour vous prouver la vérité de son exclusion de l'Église à cause de son adultère, je vous envoie un exemplaire de la lettre de l'archevêque de Lyon. Adieu.