[9,0] IX. A Philippe, son seigneur, par la grâce de Dieu, magnifique roi de France, Ives, humble évêque de Chartres, salut de par celui qui donne le salut aux rois. [9,1] Lorsque j'examine sur toutes ses faces ma conscience, témoin de mes actions, je m'étonne grandement, car je ne trouve rien en moi qui ait pu changer votre douce bienveillance et votre mansuétude royale en une si grande amertume contre moi, tellement que je ne reçois plus de votre sérénité aucune bonne nouvelle, aucune parole que des paroles d'aigreur. Que si j'ai fait naguère entre les moines du Bec et ceux de Molesmes une sorte d'accord, je n'ai fait en cela aucune violence aux moines du Bec. L'abbé de ce monastère, sachant que les moines de Molesmes avaient été injustement dépouillés par quelques-uns de ses novices, et détestant cette violence, est venu me prier instamment de rétablir la paix entre eux ou de rendre un juste jugement. Moi, à cause du respect que je vous dois, j'ai longtemps différé mon jugement, et l'abbé du Bec ayant gratuitement offert une partie de ses provisions que les moines de Molesmes réclamaient, grâce à cette charité de l'abbé, j'ai calmé le différend qui existait entre eux. Aussi mon humilité n'a pas cru devoir en référer à votre sublimité, car quand même j'eusse contraint les spoliateurs à se désister de leur injuste violence, je n'eusse en rien offensé la majesté royale. De même en effet qu'il appartient à la puissance royale de maintenir les droits des citoyens et de punir de justes peines ceux qui les violent, de même il est du devoir des évêques de faire observer à leurs fidèles les institutions ecclésiastiques et par une juste sévérité de rappeler à leur obéissance ceux qui s'en écartent. Arrière donc ceux qui troublent votre sérénité, car si vous vous rendez à leurs suggestions, vous ne marcherez pas dans les voies de la justice et vous ne pourrez parvenir aux joies de la patrie céleste. Quels qu'ils soient d'ailleurs, si vous m'envoyez pour moi et mes compagnons un bon sauf-conduit qui nous assure la sécurité dans notre voyage d'aller et retour et dans notre séjour près de vous, je suis prêt à répondre en votre présence à toutes les accusations de mes envieux et à réfuter par des arguments irréfragables leurs injustes calomnies. Car vous savez combien la cause de la justice m'a suscité d'ennemis surtout en ce pays et au sein de votre Cour. Adieu, et veuillez ne pas empêcher votre prêtre de prier pour votre salut.