[11,0] XI. Iles remarquables; et choses remarquables dans ces îles. En Crète, la plante alimos, l'animal phalangien, la pierre idéenne, nommée dactyle. Aux environs de Caryste, les oiseaux carystiens, le lin carystien. A Délos, les époques des déluges, et les cailles. Entre Ténédos et Chio, où s'étend le golfe d'Égée, à droite se trouve le rocher d'Antandre, connu des navigateurs : car il mérite le nom de rocher plutôt que celui d'île. Comme le rocher semble de loin bondir, ainsi qu'une chèvre (dont le nom grec est g-aix), le golfe a reçu le nom d'Egée. Après le cap Phalare qui appartient à Corcyre, on voit s'élever, semblable à un navire, un rocher qui fut, dit-on, le vaisseau d'Ulysse. Cythère, située à cinq milles de Malée, eut autrefois le nom de Porphyris. Il est plus facile de parler de la Crète que de la mer où elle est en effet située. Les Grecs ont tellement changé, tellement multiplié les noms de cette mer, qu'ils ont tout embrouillé. Nous mettrons cependant tous nos soins à éclaircir ce point, pour ne rien laisser de douteux. Elle s'étend très longuement de l'est à l'ouest, ayant en face la Grèce d'un côté, de l'autre Cyrène. Au nord elle est battue par les eaux de la mer Égée et par ses propres flots, c'est-à-dire ceux de la mer Crétique ; au midi les eaux de la Libye et de l'Égypte la baignent : elle n'a pas cent villes, comme on l'a dit avec exagération, mais elle a de grandes et magnifiques villes, dont les principales sont Gortyne, Cydonée, Gnose, Thérapnes, Cylisse. Son nom vient, selon Dosiade, de la nymphe Crété, fille d'Hespéride ; selon Anaximandre, de Crès, roi des Curètes ; Cratès dit qu'elle fut appelée d'abord Aéria, puis Curétis ; d'autres disent que sa température lui fit donner le nom d'île des Heureux. La Crète est le premier pays où la rame et les flèches aient été employées, où les lois aient été écrites. C'est là que Pyrrhus établit le premier des danses équestres, qui servirent au maintien de la discipline militaire. L'étude de la musique date de l'époque où les dactyles idéens ont assujetti au rythme de la versification le bruit et le tintement de l'airain. Le sommet des monts Dyctine et Cadiste est blanc, et de loin les navigateurs croient voir des nuages. Entre toutes les montagnes, citons l'Ida, qui voit le soleil avant qu'il soit levé. Varron, dans son ouvrage sur les Côtes de la mer, dit que même de son temps on allait visiter le tombeau de Jupiter. Les Crétois ont pour Diane la plus grande vénération, et la nomment, dans leur langage, Britomarte, ce qui chez nous signifie douce vierge. On ne peut entrer que nu dans le temple de la divinité. Ce temple a été construit par Dédale. Près de Gortyne coule le fleuve Léthé, dans lequel Europe fut, disent les Gortyniens, emportée par un taureau. Ces mêmes Gortyniens ont établi un culte pour le frère d'Europe, Atymne : car c'est le nom qu'ils lui donnent. Il apparaît le soir seulement, pour présenter des traits plus augustes. Les Gnossiens regardent comme leur concitoyenne la déesse Minerve, et soutiennent hardiment contre les habitants de l'Attique, que c'est chez eux que le blé fut semé pour la première fois. Le territoire de Crète nourrit un grand nombre de chèvres sauvages, n'a pas de cerfs, et ne produit ni loups, ni renards, ni autres quadrupèdes d'espèce malfaisante. Il n'y a pas de serpents ; la vigne y vient parfaitement ; le sol y est d'une admirable fécondité ; les arbres y prospèrent, et ce n'est que dans cette partie de l'île que repoussent les cyprès coupés. Il y a une plante nommée g-? ; en la mordant on se préserve de la faim. Cette plante vient en Crète. Le sphalangium est une espèce d'araignée; ne vous attendez pas à trouver en lui de la force ; mais une puissance funeste : il verse en piquant l'homme un venin qui donne la mort. La pierre idéenne nominée dactyle est, dit-on, commune dans cette île, elle est de couleur de fer, et ressemble au pouce de l'homme. La Crète n'a point de hibou ; et ceux que l'on y transporte meurent. Caryste a des eaux chaudes; on les appelle Hellopies : elle a des oiseaux qui traversent impunément la flamme, et du lin incombustible. Calchis avait ce même nom chez les anciens, au rapport de Callidème, l'airain y ayant été découvert. Des cérémonies religieuses prouvent qu'à une époque bien reculée les Titans y ont régné. Les Carystiens rendent un culte à Briarée, comme les habitants de Calchis à Egéon : car presque toute l'Eubée fut le domaine des Titans. Les Cyclades ont été ainsi nommées, parce que, quoique assez éloignées de Délos, elles forment autour de cette île un cercle (cercle, en grec, se dit g-kuklos). Le tombeau d'Homère assure à Ios la prééminence parmi les Cyclades. Rappelons ici qu'après le premier déluge, que l'on rapporte au temps d'Ogygès, une nuit épaisse s'étant répandue sur le globe pendant neuf jours consécutifs, Délos fut éclairée la première par les rayons du soleil, et qu'elle a tiré de là son nom. Entre Ogygès et Deucalion on compte six cents ans. Délos n'est autre qu'Ortygie, placée généralement, au premier rang parmi les Cyclades ; tantôt aussi on l'appelle Astérie, parce qu'on y rendait un culte à Apollon ; tantôt Lagia ou Cynèthe, noms tirés de la chasse ; Pyrpile enfin, parce que c'est là que, pour la première fois, il y eut du feu et des foyers. On y vit aussi, pour la première fois, des cailles, dont le nom grec est g-ortygeh. On les regarde comme étant sous la protection de Latone. On ne les voit pas toute l'année : elles passent à une certaine époque, à la fin de l'été. Quand elles traversent les mers, elles modèrent leur essor, et, craignant un trop long voyage, elles entretiennent leurs forces par la lenteur. Quand elles sentent la terre, elles se rassemblent par troupes, et une fois groupées, elles ont un vol plus vif, dont la rapidité souvent n'est pas sans danger pour les navigateurs : il arrive en effet, la nuit, qu'elles s'abattent sur les voiles, et par leur poids submergent les navires. Elles ne volent pas par le vent du midi : elles en craignent le souffle trop impétueux. Très souvent elles se confient à l'aquilon, pour que leurs corps un peu lourds, et lents par cela même, soient plus facilement soutenus par un vent plus sec et plus vif. On nomme ortygomètre la caille qui conduit la volée. Quand cette caille approche de la terre, l'épervier qui l'a épiée l'enlève, et alors la bande entière s'occupe de choisir un chef d'une autre espèce, qui les mette à l'abri des premiers dangers. Les aliments qui leur plaisent le plus sont des semences de plantes vénéneuses; ce qui les a fait exclure de la table des gens prudents : seules, entre les animaux, l'homme excepté, elles sont sujettes à l'épilepsie. [12,0] XII. L'Eubée. Paros et la pierre dite sarda. Naxos, Icaros, Mélos, Carpathe, Rhodes, Lemnos. L'Eubée est séparée du continent de la Béotie par un si petit espace de mer, que l'on peut douter si elle doit être comptée au nombre des îles : car c'est un pont qui l'unit à ce que l'on nomme la terre ferme, et la plus frêle construction suffit pour que l'on y pénètre à pied. Au nord, le cap Cénée la termine ; elle a pour bornes au midi deux autres caps : le Géreste, du côté de l'Attique ; le Capharée, qui s'avance dans l'Hellespont: c'est là qu'après la prise de Troie, la flotte grecque essuya de graves accidents, causés soit par la colère de Minerve, soit, d'après une tradition plus sûre, par l'influence de l'Arcture. Paros est célèbre par ses marbres, et on la visite surtout pour la ville d'Abdèle. Avant le nom qu'elle porte actuellement, Paros était appelée Minoia car elle fut soumise par Minos, et elle conserva ce nom tant qu'elle se conforma aux lois de la Crète. Outre le marbre elle donne la pierre nommée sarda, qui l'emporte, il est vrai, sur le marbre, mais qui, parmi les gemmes, ne tient que le dernier rang. Naxos est éloignée de Délos de dix-huit mille pas ; on y remarque la ville de Strongyle. Naxos s'appelait d'abord Dionysie, soit parce que Bacchus y reçut l'hospitalité, soit parce qu'elle est plus fertile en vignes que les autres îles. Il y a encore beaucoup d'autres Cyclades ; mais on a vu dans ce qui précède ce qui mérite d'être cité. Parmi les Sporades on remarque Icare, qui a donné son nom à la mer Icarienne. Située entre Samos et Mycone, elle ne présente que des rochers inhospitaliers, n'offre aucun port, et doit à ses dangereux rivages une réputation sinistre. D'après Varron, c'est là que fit naufrage Icare, et ces lieux tirent leur nom de sa mort. Samos est célèbre surtout par la naissance de Pythagore, qui, révolté de la domination d'un tyran, quitta ses foyers, et vint en Italie sous le consulat de Brutus, l'auteur de l'expulsion des rois. Mélos, que Callimaque appelle Mémallide, est la plus ronde de toutes les îles; elle est en face de l'Éolie. Carpathe a donné son nom à la mer Carpathienne. A Rhodes, le temps n'est jamais assez couvert, pour que l'on ne puisse apercevoir le soleil. Les habitants de Lemnos rendent un culte à Vulcain, d'où est venu à la ville principale de cette île le nom d'Héphestie. Puis vient Myrine, dont la place publique voit l'ombre du mont Athos et de la Macédoine se projeter sur elle : ce que l'on regarde, à juste titre, comme une merveille ; car l'Athos est distant de Lemnos de quatre-vingt-six milles. Le mont Athos a d'ailleurs une telle hauteur qu'on le regarde comme plus élevé que la région où se forment les orages. Ce qui a accrédité cette opinion, c'est que sur les autels que présente sa cime, les cendres jamais ne se dispersent, mais restent entassées où on les a laissées. Au sommet de l'Athos était la ville d'Acrothon, dont les habitants avaient une vie de moitié plus longue que les autres hommes : d'où leur vint chez les Grecs le nom de g-Makrobioi, et chez nous celui de Longaevi. [13,0] XIII. L'Hellespont, la Propontide, le Bosphore. Des dauphins et des thons qui s'y trouvent. Le quatrième golfe de l'Europe commence à l'Hellespont et finit à l'entrée de la mer Méotide. L'espace qui sépare ici l'Europe de l'Asie est resserré en sept stades. Là se trouve l'Hellespont, que passa Xerxès sur un pont de bateaux. Là aussi se trouve l'Euripe qui s'étend jusqu'à la ville de Priape, en Asie, où débarqua Alexandre, avide de conquérir le monde, qu'il conquit en effet. L'Euripe ensuite s'élargit beaucoup pour se resserrer de nouveau, et il devient la Propontide ; enfin, restreint à un demi-mille de largeur, il devient le Bosphore de Thrace, que Darius fit traverser à ses troupes. Dans ces mers se trouvent un grand nombre de dauphins. Ces animaux sont, sous bien des rapports, dignes d'observation. Ils surpassent en vitesse tous les poissons, et c'est au point qu'en bondissant ils s'élancent souvent par-dessus les voiles des vaisseaux. De quelque côté qu'ils se dirigent, ils vont par couples. Les femelles portent dix mois ; c'est en été qu'elles mettent bas ; elles allaitent leurs petits ; dès qu'ils sont nés, elles leur offrent leur gosier comme un asile, et les accompagnent quelque temps encore, tant qu'ils n'ont pas acquis assez de force. Ils vivent trente ans, comme on s'en est assuré en coupant la queue à de jeunes dauphins. Leur gueule n'est pas placée comme celle des autres animaux ; elle est presque sous le ventre. Contre l'ordinaire des autres animaux aquatiques, leur langue est mobile. Leur épine dorsale a des piquants, que l'animal dresse quand il est en colère, et qu'il cache dans une sorte de fourreau quand il est apaisé. On dit que les dauphins ne respirent pas dans l'eau, et qu'ils ont besoin d'air pour vivre. Leur voix ressemble à un gémissement humain. Ils suivent ceux qui les appellent d'un nom particulier, du nom de Simons. Ils distinguent plus promptement la voix de l'homme quand le vent du nord souffle ; par le vent du midi, ils ont l'ouïe plus dure. La musique les charme ; ils aiment le son de la flûte, et viennent par troupes au bruit d'une symphonie. Sous Auguste, un enfant, dans la Campanie, attira d'abord, en lui jetant quelques morceaux de pain, un dauphin qui depuis s'y habitua tellement, qu'il venait recevoir sa nourriture des mains de cet enfant. Bientôt celui-ci s'enhardit assez à ce jeu pour oser se confier au dauphin qui le portait au milieu des eaux du lac Lucrin. Souvent l'enfant fit ainsi le voyage de Baies à Pouzzol. Cela dura plusieurs années ; et ce fait, dont on avait le spectacle continuel, cessa d'être regardé comme un prodige. Mais l'enfant étant venu à mourir, le dauphin mourut lui-même, aux yeux du public, de regret et de douleur. On n'oserait affirmer ce fait, s'il n'était consigné dans les écrits de Mécène, de Fabianus et de beaucoup d'autres. Depuis, en Afrique, sur le rivage d'Hippone Diarrhyte, un dauphin fut nourri par les habitants de cette ville ; il se laissait manier, et souvent on se faisait porter par lui. Et ce ne fut pas seulement un privilège du peuple, car Flavien lui-même, proconsul d'Afrique, le palpa et le frotta d'essences. Assoupi par cette odeur nouvelle pour lui, le dauphin flotta quelque temps sur l'eau, comme s'il eût été mort, et pendant plusieurs mois il se retira de la société des hommes. A Jase, ville de Babylonie, un dauphin conçut de l'affection pour un enfant. Après leurs jeux habituels, le voyant s'éloigner du rivage, il le suivit avec trop d'ardeur, et resta engagé dans les sables. Alexandre le Grand fit cet enfant prêtre de Neptune, regardant comme un gage de la bienveillance du dieu cette affection du dauphin. Hégésidème rapporte que près de la même ville, un autre enfant, nommé Hermias, traversant également la mer, assis sur un dauphin, fut englouti par les flots trop agités, que le dauphin le rapporta au rivage, et que s'imputant sa mort, il l'expia en mourant lui-même sur le sable, qu'il ne voulut point quitter pour retourner à la mer. On cite d'autres exemples, outre celui d'Arion, miraculeusement sauvé, comme l'histoire en fait foi. Ajoutons que si les jeunes dauphins s'ébattent trop étourdiment, les plus vieux leur donnent pour gardien un dauphin moins jeune, dont l'expérience les met en garde contre les attaques des monstres marins ; quoiqu'il y en ait peu dans ces parages, si ce n'est des phoques. Il y a beaucoup de thons dans le Pont-Euxin, et ils ne fraient pas ailleurs : nulle part ils ne croissent plus vite que dans cette mer, sans doute à cause du peu d'amertume de ses eaux. Ils viennent dans le Pont vers le printemps : ils suivent la rive droite lorsqu'ils entrent ; à leur retour, ils suivent la gauche. On en attribue la cause à ce qu'ils ont l'oeil droit plus sûr que l'oeil gauche. [14,0] XIV. Le fleuve Ister. Le castor du Pont. La pierre précieuse du Pont. L'Ister prend sa source en Germanie, où il descend d'une montagne située vis-à-vis de Rauracum dans la Gaule. Il reçoit dans son sein soixante rivières, presque toutes navigables. Il se jette dans le Pont par sept embouchures : la première se nomme Peucé, la seconde Naracustome, la troisième Calonstome, la quatrième Pseudostome ; la cinquième et la sixième, Borionstome et Stenonstome, sont plus faibles que les autres ; la septième, que son cours trop lent fait ressembler à un marais, ne peut être comparée à un fleuve. Les quatre premières bouches sont si vastes, que, dans un espace de quarante mille pas, elles ne se mêlent point à la mer, et que leurs eaux conservent leur goût de douceur dans toute sa pureté. Dans tout le Pont abonde le liber, autrement nommé castor; il ressemble à la loutre. Les dents de cet animal sont si puissantes, que lorsqu'il saisit un homme, il ne desserre pas la gueule qu'il n'ait entendu le craquement des os qu'il broie. Ses testicules sont d'un usage précieux en médecine : aussi, quand il se sent pressé, il se les dévore, pour que sa prise n'ait plus d'utilité. Le Pont produit aussi diverses espèces de pierres, nommées pontiques, du nom de ce pays : les unes ont des étoiles dorées, les autres des étoiles sanguines, et elles sont réputées sacrées ; celles que l'on recherche pour la parure plutôt que pour l'usage, ne sont pas tachetées de gouttes, mais présentent de longues raies de couleurs. [15,0] XV. Le fleuve Hypanis, et la fontaine Exampée. L'Hypanis prend sa source chez les Auchètes ; c'est le premier des fleuves de la Scythie ; ses eaux sont pures et salubres, jusqu'à ce qu'il arrive aux frontières des Callipides, où la fontaine Exampée est tristement célèbre par son amertume. En se mêlant aux eaux de l'Hypanis, elle lui communique cette amertume, qui le rend différent de lui-même quand il se jette dans la mer. Aussi les peuples diffèrent-ils d'opinion sur l'Hypanis : ceux qui ne connaissent que le commencement de son cours, le vantent; ceux qui en connaissent la fin, le détestent à juste titre. [16,0] XVI. Curiosités diverses en Scythie, et, dans cette contrée, de l'espèce canine, de l'émeraude, de la pierre dite cyanée, du cristal. Chez les Neures est la source du Borysthène, où se trouvent des poissons d'excellent goût, sans arêtes, et n'ayant que des cartilages extrêmement tendres. Quant aux Neures, à une certaine époque, dit-on, ils se changent en loups ; puis, après l'intervalle de temps assigné à la durée de cet état, ils reprennent leur forme première. Mars est le dieu de ces peuples ; leurs épées sont les objets de leur culte. Ils immolent des victimes humaines, et c'est avec des ossements qu'ils entretiennent le feu de leurs foyers. Près d'eux sont les Gélons, qui se revêtent des peaux de leurs ennemis, et en couvrent leurs chevaux. Près des Gélons sont les Agathyrses, qui se peignent en bleu, et teignent leurs cheveux de la même couleur; ce qu'ils ne font point toutefois sans observer une certaine différence : plus le rang est élevé, plus la couleur est foncée; une nuance claire est une marque d'infériorité. Viennent ensuite les Anthropophages, qui ont l'exécrable habitude de se nourrir de chair humaine. C'est de cet usage d'une nation impie que vient l'affreuse solitude des contrées voisines effrayés de telles atrocités, les peuples limitrophes se sont éloignés. Aussi jusqu'à la mer nommée Tabis, sur toute l'étendue de la côte qui regarde l'orient d'été, on ne rencontre pas d'hommes ; il n'y a que des déserts immenses, jusqu'à ce que l'on arrive au pays des Sères. Les Chalybes et les Dahes, dans l'Asie Scythique, ne le cèdent pas en cruauté aux peuplades les plus féroces. Sur la côte habitent les Albains, qui se disent descendants de Jason; ils naissent avec des cheveux dont la blancheur est la couleur primitive, et c'est de cette blancheur de la tête qu'ils ont tiré leur nom. Ils ont la pupille de l'oeil verte; aussi voient-ils mieux la nuit que le jour. Les chiens nés chez les Albains sont préférés aux chiens sauvages : ils déchirent les taureaux, terrassent les lions, tiennent à l'écart tout ce qui peut leur faire obstacle; aussi l'histoire s'occupe-t-elle d'eux. On rapporte qu'Alexandre, marchant vers l'Inde, reçut en présent du roi d'Albanie deux chiens, dont l'un eut un tel dédain pour les sangliers et les ours lâchés devant lui, que blessé de n'avoir affaire qu'à de tels adversaires, il ne se hâta pas de se lever, comme s'il n'eût été qu'un chien sans courage. Cette indolence fut mal comprise d'Alexandre, qui le fit tuer. L'autre, sur un signe de ceux qui étaient venus l'offrir, étrangla le lion qu'on avait lâché devant lui ; puis ayant aperçu un éléphant, il fit mille bonds, fatigua d'abord son ennemi par l'adresse, et enfin le terrassa au grand effroi des spectateurs. Les chiens de cette espèce atteignent une grandeur extraordinaire, et font entendre des aboiements plus épouvantables que des rugissements. Telles sont les qualités propres aux chiens d'Albanie; les autres leur sont communes avec toutes les espèces. Les chiens ont tous le même attachement pour leurs maîtres, comme le prouvent de nombreux exemples. En Épire, un chien reconnut dans une assemblée le meurtrier de son maître et le dénonça par ses aboiements. Jason, de Lycie, ayant été tué, son chien refusa de manger, et se laissa mourir de faim. Le chien du roi Lysimaque, ayant vu allumer le bûcher de son maître, se jeta dans les flammes où il fut consumé avec lui. Deux cents chiens ramenèrent le roi des Garamantes de son exil, luttant contre ceux qui s'opposaient à son retour. Les Colophoniens et les Castabales menaient à la guerre des chiens, dont ils formaient leurs premiers rangs. Sous le consulat d'Appius Junius et de P. Sicinius, un chien, dont le maître avait été condamné à mort, l'accompagna dans la prison, sans qu'il fût possible de l'en séparer. Après l'exécution, l'animal poussa des hurlements lamentables; et comme par pitié des citoyens lui avaient jeté des aliments, il les porta à la bouche de son maître; enfin, quand le cadavre eut été précipité dans le Tibre, il s'y élança lui-même, s'efforçant de le soutenir sur l'eau. Seuls les chiens entendent leur nom et savent reconnaître leur route. Quand les chiennes sont en chaleur, les Indiens les attachent dans les forêts pour les faire couvrir par des tigres. La première portée leur paraît inutile, parce qu'elle conserve trop de férocité; il en est de même de la seconde: ils n'élèvent que la troisième. Les chiens d'Égypte, le long du Nil, ne boivent l'eau qu'en courant, pour éviter l'insidieuse voracité des crocodiles. Parmi les Anthropophages de la Scythie asiatique, on compte les Essédons, chez qui les funérailles se célèbrent par d'exécrables festins. Une coutume chez les Essédons, c'est de chanter aux funérailles des parents, de convoquer les proches, de déchirer les cadavres avec les dents, et de faire des mets de ces lambeaux, qu'ils mêlent à des chairs d'animaux. Quant aux crânes, ils les incrustent d'or et en font des vases à boire. Les Scythotaures immolent les étrangers à leurs dieux. Les Nomades s'occupent de pâturages. Les Géorgiens, placés en Europe, s'adonnent à la culture des champs. Les Axiaques, également en Europe, n'ont pas de prédilection pour les moeurs étrangères, pas de goût prononcé pour leurs propres moeurs. Les Satarches, en proscrivant l'usage de l'or et de l'argent, se sont à jamais affranchis de l'avarice publique. Les coutumes des peuples de la Scythie intérieure ont quelque chose de farouche : ils habitent des cavernes; ils boivent dans des crânes, non pas comme les Essédons, car leurs vases sont faits avec les crânes de leurs ennemis. Ils aiment les combats; ils boivent le sang des morts, en suçant leurs blessures; le nombre de ceux qu'ils frappent est un titre ; n'avoir tué aucun combattant est une honte. En buvant réciproquement leur sang, ils scellent un traité; ce qui d'ailleurs n'est pas une coutume qui leur soit particulière : ils l'ont empruntée aux Mèdes. Dans la guerre qui eut lieu à la quarante-neuvième olympiade, six cent quatre ans après la prise de Troie, entre Alyatte, roi de Lydie, et Astyage, roi des Médes, la paix fut ainsi sanctionnée. La ville de Dioscorie, en Colchide, fut fondée par Amphitus et Cercius, écuyers de Castor et Pollux; c'est d'eux aussi qu'est sortie la nation des Hénioques. Au delà des Sauromates, habitants de l'Asie, qui donnèrent une retraite à Mithridate, et qui doivent leur origine aux Mèdes, sont les Thalles, qui, à l'est, touchent aux confins de ces peuples. Là est le détroit de la mer Caspienne, dont les eaux décroissent singulièrement en temps de pluie, et croissent pendant les chaleurs. L'Araxe descend des montagnes de l'Héniochie. et le Phase de celles de la Moschie. L'Araxe a sa source voisine de celle de l'Euphrate, et se jette dans la mer Caspienne. Les Arimaspes, placés près du Gesclithros, n'ont qu'un seul oeil. Au delà des Arimaspes et sous les monts Riphées est une contrée couverte de neiges continuelles : on l'appelle Ptérophore, parce que ces flocons qui tombent sans cesse ressemblent à des plumes. C'est un pays maudit que la nature a plongé dans d'éternelles ténèbres; c'est l'affreux séjour de l'aquilon. Seule, cette contrée ne connaît pas la succession des saisons, et le ciel ne lui accorde qu'un hiver qui ne finit jamais. Il y a dans la Scythie d'Asie des terres riches, mais inhabitables : car, quoiqu'elles abondent en or et en pierres précieuses, tout est à la discrétion des griffons, monstrueux oiseaux, dont la férocité ne connaît point de bornes. Leur rage rend l'accès des mines difficile et rare; s'ils voient quelqu'un s'en approcher, ils le mettent en pièces, comme s'ils étaient nés pour punir une avarice téméraire. Les Arimaspes leur font la guerre pour arriver à la possession de ces pierres, dont nous ne dédaignerons pas d'étudier la nature. La Scythie est le pays des émeraudes. Théophraste assigne à celles-ci le troisième rang parmi les pierres précieuses : car, quoiqu'il y ait des émeraudes en Égypte, dans la Chalcédoine, dans la Médie et dans la Laconie, celles de Scythie sont les plus belles. II n'y a point de pierre qui soit plus agréable et qui mieux qu'elles repose les yeux. D'abord leur nuance verte efface celle du gazon des lieux humides, celle de l'herbe des fleuves; puis leur aspect délasse la vue : grâce à elles, l'oeil fatigué par l'éclat d'une autre pierre, se ranime et reprend toute sa puissance. Aussi a-t-il paru convenable de ne pas les graver, pour ne pas altérer leur nature en y mêlant des images, quoique la véritable émeraude soit à peu près inaltérable. On reconnaît celle-ci aux caractères suivants: elle doit être translucide; quand elle est convexe, elle prend, par un effet de la dispersion, la nuance des objets placés près d'elle; quand elle est concave, elle réfléchit l'image de celui qui la regarde; ni l'ombre, ni la lumière de la lampe, ni le soleil ne doivent altérer ses propriétés. Toutefois les meilleurs gisements de cette pierre sont les plateaux étendus qui se trouvent sur la pente des montagnes. On la trouve à l'époque où soufflent les vents étésiens : son éclat la fait facilement remarquer, la superficie du sol se trouvant alors découverte : car les vents étésiens agitent beaucoup le sable. D'autres émeraudes, moins précieuses, se trouvent dans des fentes de rochers, dans les mines de cuivre ; on les nomme chalcosmaragdes. Celles qui sont défectueuses présentent à l'intérieur des taches qui ressemblent soit à du plomb, soit à des filaments, soit à des grains de sel. Les plus belles sont absolument pures; elles gagnent cependant, quoiqu'elles tiennent leur couleur de la nature, à être frottées de vin et d'huile verte. La pierre dite cyanée, et que produit la Scythie, est irréprochable, si elle offre une étincelante couleur d'azur : les connaisseurs la distinguent en mâle et femelle. Les femelles brillent d'un éclat pur; les pierres mâles sont semées de taches d'or qui charment l'oeil. Le cristal, quoique fourni par une petite partie de l'Asie et par la plus grande partie de l'Europe, est préféré s'il vient de la Scythie. On fait beaucoup de coupes en cristal, quoiqu'il ne puisse supporter que le froid. Il affecte la forme hexagone. Ceux qui le recueillent choisissent celui qui est parfaitement pur, et rejettent celui dont une teinte rousse, des nébulosités, une couleur d'écume altèrent la transparence; il ne faut pas non plus que trop de dureté le rende plus sujet à se briser. On prétend que la glace, en se condensant, produit le cristal; c'est une erreur : car s'il en était ainsi, Alabande en Asie et l'île de Chypre n'en produiraient pas, puisqu'il règne toujours dans ces pays une très vive chaleur. L'impératrice Livie dédia dans le Capitole un bloc de cristal du poids de cent cinquante livres. [17,0] XVII. Des Hyperboréens, et des nations hyperboréennes. Ce que l'on a raconté des Hyperboréens devrait être regardé comme une fable, un vain bruit, si ce qui nous est parvenu de ce pays avait été cru à la légère; mais comme les auteurs les plus accrédités, les plus véridiques, s'accordent sur les mêmes choses, personne ne peut en faire l'objet d'un doute. Parlons donc des Hyperboréens. Ils habitent près du Ptérophore, que nous savons placé au delà des contrées du nord. C'est un peuple très heureux. Quelques-uns l'ont placé en Asie plutôt qu'en Europe, d'autres entre le soleil couchant des antipodes et notre soleil levant; ce que l'on ne saurait admettre, vu l'immensité de la mer qui sépare ces deux parties du globe. De fait, ils sont en Europe, aux lieux où se trouvent, dit-on, les pôles du monde, où finit le cours des astres, où le jour a six mois pour une nuit de vingt-quatre heures seulement; quoique quelques-uns prétendent que le soleil n'éclaire pas ce pays chaque jour, mais qu'il se lève à l'équinoxe d'été, et qu'il se couche à l'équinoxe d'automne : de sorte qu'il y aurait six mois de jour continu, six mois de nuit non interrompue. La plus douce température y règne; l'air y est toujours salubre; aucune exhalaison malsaine ne le vicie. Leurs demeures sont des forêts, des bois sacrés. Les arbres leur fournissent leur nourriture journalière. Ils ne connaissent ni discorde, ni chagrins, et sont naturellement portés au bien. Ils vont au devant de la mort, et hâtent par un trépas volontaire leur dernière heure. Ceux qui sont las de la vie, font un festin, se parfument, et d'un certain rocher se précipitent dans la mer. Cette sépulture est, à leur avis, la plus heureuse de toutes. On dit aussi qu'ils avaient coutume d'envoyer par les jeunes filles les plus irréprochables les prémices de leurs moissons à Délos, au temple d'Apollon. Mais plus tard, étant revenues sans que les lois de l'hospitalité eussent été respectées à leur égard, ces jeunes filles se contentèrent d'exercer dans leur pays ce ministère de consécration, dont elles s'acquittaient au dehors. [18,0] XVIII. Des Arimphéens et autres peuples de la Scythie, des tigres, des panthères et des léopards. Il y a en Asie une autre nation, aux lieux où commence l'orient d'été, et où cessent les monts Riphées. Les Arimphéens ressemblent, dit-on, aux Hyperboréens. Comme ces derniers, ils aiment les feuilles d'arbres; ils se nourrissent de baies. Les deux sexes ont en dégoût les cheveux longs, et les coupent. Ils aiment la tranquillité, et ne cherchent pas à nuire. On les regarde comme sacrés, et c'est une profanation, même pour les peuples les plus sauvages, de les toucher. Quiconque se réfugie chez les Arimphéens pour se soustraire à un danger qu'il coure dans sa patrie, y trouve un lieu de sûreté aussi inviolable qu'un asile. Viennent ensuite les Cimmériens, et les Amazones dont le pays s'étend jusqu'à la mer Caspienne, qui, après avoir traversé l'Asie, se jette dans l'océan Scytique. Puis, à une longue distance, sont les Hyrcaniens, qui occupent l'embouchure de l'Oxus. C'est un pays hérissé de forêts, plein de bêtes farouches, et où abondent les tigres, animaux remarquables par les taches dont ils sont marqués, et par leur agilité. Ils sont de couleur fauve; cette couleur ondée de bandes noires leur donne un aspect dont la variété est loin de déplaire. Je ne sais si leurs élans tiennent à leur vélocité naturelle plutôt qu'à l'emportement. Il n'est point d'espace si long qu'ils ne franchissent en un instant; point d'intervalle qu'ils ne fassent à l'instant disparaître. Et cette puissance de vitesse, ils la développent surtout quand il s'agit de leurs petits. Quand ils sont sur la trace de ceux qui les leur ravissent, en vain se succèdent les cavaliers les uns aux autres, en vain les ravisseurs emploient-ils tout moyen de fuite, de ruse, pour emporter leur proie : la mer seule est un obstacle à la célérité de ces animaux. On a souvent remarqué que, s'ils voient ceux qui leur ont ravi leurs petits repasser la mer, dans leur rage impuissante ils se couchent sur le rivage, et semblent punir leur propre lenteur par une mort volontaire. Au reste, c'est à peine si sur une portée on peut enlever un seul petit. Les panthères aussi sont nombreuses en Hyrcanie ; leur peau est semée de taches rondes : on dirait des yeux de couleur rousse; leur peau est tantôt bleuâtre, tantôt blanche. On prétend que l'odeur et même le regard de la panthère charment les animaux; que dès qu'ils la sentent, ils accourent par troupes, et qu'ils ne sont effrayés que par son aspect farouche. Elle cache donc sa tête, laissant voir seulement le reste de son corps, pour pouvoir ensuite dévorer avec sécurité les animaux que son aspect a fascinés. Les Hyrcaniens, car l'homme essaye de tous les moyens, la font périr par le poison plutôt que par le fer. Ils frottent avec de l'aconit des lambeaux de chair, qu'ils jettent à l'endroit où aboutissent plusieurs chemins; dès que la panthère en a mangé, elle est suffoquée. Aussi a-t-on nommé cette plante pardalianche. Mais alors ces animaux combattent le poison en avalant des excréments humains : ce remède leur est fourni par l'instinct. Ils ont d'ailleurs la vie si dure, que même avec les intestins hors du corps, ils luttent encore longtemps contre la mort. Dans les bois de ce pays on trouve aussi le léopard, espèce qui tient de la panthère; cet animal est assez connu, et nous ne nous étendrons pas à son sujet. Leurs accouplements monstrueux avec l'espèce des lions produisent aussi des lions, mais abâtardis. [19,0] XIX. D'où proviennent les mers méditerranées. Puisque nous traitons de ce qui concerne le Pont, n'oublions pas d'indiquer les sources des mers intérieures. Quelques-uns pensent qu'elles commencent au golfe de Gadès, et que ce ne sont que des écoulements de l'Océan, dont les eaux, comme dans une partie de l'Italie, vont et viennent dans l'intérieur des terres. Ceux qui sont d'un avis opposé disent que ces eaux viennent du Pont-Euxin, parce que cette mer n'a pas la succession du flux et du reflux. [20,0] XX. Des îles de la Scythie, de l'océan Septentrional, de la distance qui sépare les Scythes et les Indiens, des formes diverses de l'homme, des cerfs, des tragélaphes. L'île des Apollinitaires est à quatre-vingts milles du Bosphore de Thrace. Elle est en deçà de l'ister. C'est de là que Marcus Lucullus amena la statue d'Apollon au Capitole. Au-devant du Borysthène est l'île d'Achille, avec un temple où ne pénètre aucun oiseau ; s'il en est qui l'approchent, ils ne tardent pas à prendre la fuite. L'océan Septentrional, selon Hécatée, prend, depuis l'embouchure du Paropamise, fleuve de Scythie, le nom de mer Amalchienne, qui signifie Glaciale dans la langue du pays. Philémon dit que, jusqu'au cap Rubées, les Cimbres l'appellent Morimaruse, c'est-à-dire mer Morte. Au delà de ce cap, cette mer prend le nom de Cronienne. De l'autre côté du Pont, au delà des Massagètes et des Scythes Apaléens, dans la Scythie Asiatique, est la mer Caspienne, dont l'eau parut douce à Alexandre le Grand, puis au grand Pompée, qui, au rapport de Varron, son compagnon d'armes, voulut dans la guerre de Mithridate s'en assurer par lui-même. C'est sans doute l'énorme masse d'eau apportée par les fleuves qui change la nature de l'eau de cette mer. Je rappellerai ici qu'à la même époque le même Alexandre put arriver en huit jours de l'Inde à la Bactriane, jusqu'au Dalère, fleuve qui se jette dans l'Oxus, puis atteindre la mer Caspienne, et passer de la mer Caspienne au Cyrus, qui coule entre l'Ibérie et l'Arménie. Aussi put-il, dans un voyage de cinq jours à peu près, non plus par eau, mais par terre, se rendre du Cyrus au Phase, qui conduit dans le Pont, et l'on sait que de là on peut, par mer, arriver jusqu'à l'Inde. Xénophon de Lampsaque dit qu'en trois jours on peut aller de la côte Scythique à l'île d'Abalcie, qui est d'une immense étendue, et semblable à un continent. Il ajoute que non loin de là sont les Oéones, où les habitants vivent d'oeufs d'oiseaux marins, et de l'avoine, qui y est très commune; qu'il y a d'autres îles voisines, dont les habitants nommés Hippopodes ont des pieds dont la forme est celle d'un pied de cheval; que là se trouve aussi l'île des Phannésiens, dont les oreilles sont tellement longues qu'elles leur couvrent tout le corps, et qu'ils n'ont pas besoin d'autre vêtement. Avant de quitter la Scythie, nous nous ferions un scrupule de ne pas parler des animaux qu'elle renferme. Il y a beaucoup de cerfs en ce pays. Occupons-nous donc des cerfs. Les mâles, à l'époque du rut, sont comme transportés d'une rage amoureuse. Les femelles, quoique ayant été couvertes avant le lever de l'Arcure, ne conçoivent pas avant cette époque. Elles n'élèvent point indistinctement leurs faons en tout lieu; elles les cachent avec soin, quand ils sont petits encore, sous des branches épaisses, ou sous des herbes, et du pied les poussent pour qu'ils se cachent. Quand ils sont assez forts pour courir, elles leur enseignent l'art de la fuite, et les accoutument à franchir, en bondissant, des endroits escarpés. Quand les cerfs entendent les aboiements des chiens, ils suivent le vent, afin d'emporter avec eux l'odeur de leurs traces. Ils aiment le son de la flûte. Lorsqu'ils dressent l'oreille, ils entendent très bien ; quand ils la baissent, ils n'entendent plus. Tout les frappe de stupeur : c'est ce qui fait qu'ils se livrent plus facilement aux flèches des chasseurs. S'ils passent les mers, ce n'est pas la vue du rivage, c'est l'odorat qui les dirige : ils placent les plus faibles à la queue de la file, et à tour de rôle ceux qui sont fatigués appuient leur tête sur la croupe de ceux qui les précèdent. De leurs cornes, la droite est douée de propriétés médicales plus efficaces; mais pour mettre en fuite les serpents, on peut indifféremment brûler l'une ou l'autre; cette odeur de corne brûlée fait en outre connaître les personnes sujettes à l'épilepsie. Leur bois croît proportionnellement à leur âge. Cet accroissement continue jusqu'à la sixième année; puis les andouillers, sans pouvoir devenir plus nombreux, peuvent devenir plus gros. La castration empêche et la renaissance et la chute du bois. On reconnaît qu'un cerf est vieux par le petit nombre ou par l'absence des dents. Ils avalent les serpents, que, par la force de leur respiration, ils font sortir du fond de leurs trous. Ce sont eux qui nous ont fait connaître le dictamne, qu'ils mangent pour faire tomber les traits de leurs blessures. En broutant l'herbe dite cynare, ils neutralisent l'effet des plantes vénéneuses. Un remède merveilleux contre le poison, c'est le sang caillé d'un faon tué dans le ventre de sa mère. Il est prouvé qu'ils ne ressentent jamais la fièvre : aussi la graisse extraite de leur moelle est-elle propre à calmer la chaleur brûlante des fébricitants. On dit que bien des personnes, qui avaient l'habitude de manger le matin de la chair de cerf, sont parvenues, sans fièvre, à un âge avancé; mais cette chair n'a cette vertu que si l'animal a été tué d'un seul coup. Pour connaître la durée de la vie du cerf, Alexandre le Grand attacha des colliers au cou de plusieurs cerfs, qui, pris cent ans après, n'annonçaient pas encore la vieillesse. De l'espèce du cerf sont des animaux que l'on nomme tragélaphes, et que l'on ne trouve qu'aux environs du Phase. Ils ne diffèrent des cerfs qu'en ce qu'ils ont les épaules couvertes d'un long poil et le menton hérissé d'une barbe épaisse.