CHAPITRE XXI. Charité singulière d'Acace Évêque d'Amide, envers les prisonniers Perses. Agace Evêque d'Amide fit en ce temps-là une action qui releva merveilleusement l'éclat de la vertu. Ayant vu avec une extrême douleur que sept mille Perses, que les Romains avaient pris prisonniers, lorsqu'ils avaient ravagé l'Azazène, mouraient de faim, assembla ses Ecclésiastiques, et leur dit : Dieu n'a besoin, ni de plats, ni de pots, puisqu'il ne boit, ni ne mange. Il est donc juste de vendre quantité de vases d'or et d'argent que l'Eglise possède par la libéralité des Fidèles, et d'en employer le prix à racheter, et à nourrir les prisonniers. Ayant donc fait fondre tous ces vases, il paya aux soldats la rançon des prisonniers, les nourrit quelque temps et les renvoya avec de l'argent pour la dépense de leur voyage. Une action aussi extraordinaire que celle-là donna de l'étonnement au Roi de Perse, et lui fit avouer que les Romains le surpassaient autant en magnificence durant la paix, qu'en valeur durant la guerre. On dit même qu'il souhaita de voir un si grand homme, et que l'Empereur Théodose lui permit d'aller trouver ce Prince. Après que Dieu eut accordé une si glorieuse victoire aux Romains , le plus éloquents du siècle prononcèrent des Panégyriques en l'honneur de l'Empereur. L'Impératrice même, qui était fille de Léonce, Sophiste Athénien, composa un Poème en vers héroïques. Atticus la baptisa un peu avant que l'Empereur l'épousât, et la nomma Eudoxie, au lieu qu'elle s'appelait auparavant Athénaïs. Ces Orateurs entreprirent ces ouvrages, pour acquérir de la réputation, et pour se taire connaître du Prince. CHAPITRE XXII. Vertus de l'Empereur Théodose. Bien que je ne cherche, ni à être connu du Prince, ni à acquérir de la réputation par mes discours, je ne laisserai pas de représenter les vertus de Théodose ; parce que je suis persuadé que ce serait faire tort à la postérité, que de les passer sous silence. Il a été élevé dans la souveraine autorité, sans être élevé dans la mollesse. Il a fait paraître dès sa jeunesse la prudence d'un âge plus avancé. Il s'est accoutumé de bonne heure à souffrir le chaud et le froid, et à observer les jeûnes prescrits par l'Eglise. Il a établi dans son Palais une manière de vivre aussi exacte, et aussi réglée que celle des Monastères. Il récitait tous les matins des Hymnes avec ses sœurs, et apprenait par cœur la sainte Ecriture. Il en conférait souvent avec les Évêques, et en pénétrait les sens les plus cachés, comme aurait pu faire un Ecclésiastique qui aurait employé toute sa vie à cette étude. Il prit un plus grand soin d'en amasser les Versions et les Interprètes, que ne fit jamais Ptolémée. Il surpassa en douceur, et en clémence tous les Princes de l'antiquité. Julien tout Philosophe qu'il était ne pût retenir les mouvements de sa colère, lorsqu'il fut raillé par les habitants d'Antioche, mais fit souffrir à Théodose de cruels supplices. Théodose ne se vantait pas comme lui d'être savant en Philosophie. Il ne s'était point mis en peine d'apprendre les vaines subtilités des arguments d'Aristote. Mais il vivait en vrai Philosophe ; parce qu'il commandait à ses passions, et qu'il ne s'abandonnait, ni au plaisir, ni à la douleur. Jamais il n'a vengé les injures qu'il a reçues, et jamais on ne l'a vu en colère. Quelqu'un lui ayant un jour demandé comment il n'avait jamais condamné à la mort aucun de ceux qui l'avaient offensé, il lui répondit, bien loin de les condamner à la mort, je voudrais leur pouvoir rendre la vie. Une autre fois il fit cette autre réponse. Il est aisé de faire mourir un homme : mais il n'y a que Dieu qui le puisse ressusciter. Il avait contracté une si forte habitude de clémence, que jamais personne ne fut exécuté à mort sous son règne ; et que ceux qui furent condamnés reçurent leur grâce, avant que d'avoir été conduits hors de la Ville, jusques au lieu du supplice. Comme il donnait un jour un combat de bêtes dans Constantinople, le peuple demanda qu'on fit combattre un homme contre une de ces bêtes : Et il répondit, Ne savez-vous pas qu'il n'y a rien de cruel, ni d'inhumain dans les spectacles où nous avons accoutumé d'assister ; et par cette parole, il fit oublier au peuple les divertissements barbares. Il avait un singulier respect pour les Ecclésiastiques ; mais principalement pour ceux qui excellaient en sainteté. L'Évêque de Chébrone étant mort à Constantinople, il désira d'avoir son sayon, et bien qu'il fût fort mauvais, il s'en servit au lieu de manteau, dans la créance qu'il lui communiquerait la piété de ce saint Evêque. Une tempête extraordinaire s'étant élevée au milieu des jeux, il fit dire au peuple par un Héraut, il vaut mieux nous mettre en prières que de chercher notre divertissement, et à l'heure-même, faisant comme une Eglise de toute Ville, il commença les Hymnes, et apaisa la tempête par les prières, de sorte que l'année fut fort fertile. Lorsqu'il s'élevait une guerre, il avait recours, à l'imitation de David, au Dieu des armées, et obtenait la victoire par sa piété. Je crois devoir rapporter celle que Dieu lui accorda sur le Tyran Jean, le quinzième jour du mois d'Août, sous le Consulat d'Asclépiodote, et de Marinien, après la mort de l'Empereur Honorius ; parce qu'elle est extrêmement remarquable, et qu'elle contient quelque chose de fort semblable au miracle que Dieu fit autrefois, pour faire passer la mer rouge aux Juifs, sous la conduite de Moïse. Je ne la représenterai néanmoins, qu'en peu de paroles, sans entreprendre d'en remarquer toutes les circonstances, qui demanderaient un grand Ouvrage. CHAPITRE XXIII. Mort de Jean, qui avait voulu usurper l'autorité Souveraine. Théodose ayant appris la mort d'Honorius, la tint la plus secrète qu'il lui fut possible, et envoya des troupes à Salone, Ville de Dalmatie, pour apaiser les troubles qui pourraient s'élever en Occident. Quand il eut donné les ordres nécessaires, il déclara la mort d'Honorius son oncle. Sur ces entrefaites, Jean Primecier des Secrétaires d'Etat, ne pouvant se contenter de sa Charge, entreprit de se rendre maître de l'autorité Souveraine ; et envoya prier Théodose de l'associer à l'Empire. Au lieu de rendre réponse à ses Ambassadeurs, il commanda de les arrêter, et fit partir Ardabure, qui peu auparavant avait glorieusement terminé la guerre des Perses. II alla d'abord à Salone, et de là se mit sur mer pour passer à Aquilée ; mais il eut le malheur d'être jeté par un vent contraire, entre les mains de ses ennemis; et ce malheur-là même fut la cause de la victoire que les Romains remportèrent. La prise du Maître de la milice, fit espérer à l'usurpateur d'être associé à l'Empire, et appréhender à l'Empereur que le Maître de la milice ne souffrit un rigoureux traitement. Aspar, fils d'Ardabure, ne savait à quoi se rejoindre, quand il considérait d'un côté que son père était en la puissance des barbares, et que de l'autre, leur parti se fortifiait de jour en jour. Mais la piété de Théodose surmonta ces difficultés. Un Ange parut à Aspar sous la forme d'un paysan, et lui montra un endroit par où il pouvait passer un étang proche de Ravenne, que personne n'avait jamais passé. Ayant donc passé à travers cet étang, avec la même facilité que s'il eut marché sur la terre, il arriva à Ravenne, en trouva les portes ouvertes, et y prit Jean. Théodose reçut la nouvelle de sa prise et de sa mort dans l'Hippodrome, où il assistait aux jeux publics, et à l'heure-même il dit au peuple : Quittons les divertissements de ces spectacles, pour aller rendre à Dieu des actions de grâces. Toute la Ville marcha en procession vers l'Église, et passa tout le jour en prières. CHAPITRE XXIV. Valentinien est déclaré Empereur. Après la mort de Jean, Théodose songea à établir un Empereur en Occident, et choisit Valentinien son cousin, fils de Placidie sa tante, et qui était sœur d'Arcadius et d'Honorius, et de Constance, qui avait été associé par Honorius à l'Empire. Il lui donna donc le titre de César, et l'envoya en Occident avec Placidie sa mère, pour gouverner durant son bas âge. Il avait dessein, et d'aller lui-même en Occident pour le déclarer Empereur, et pour maintenir les peuples dans l'obéissance. Mais étant tombé malade à Thessalonique, il lui envoya le diadème par Hélion Patrice, et retourna à Constantinople. CHAPITRE XXV. Eloge d'Atticus Evêque de Constantinople. Atticus gouvernait cependant l'Eglise de Constantinople avec une merveilleuse prudence. Comme les Joannites s'assemblaient à part, il ordonna de faire commémoration de Jean dans les prières publiques, de même que des autres Evêques qui étaient morts dans la communion des fidèles, et réunit par ce moyen un grand nombre de personnes à l'Eglise. Sa charité se répandit jusques sur les autres Diocèses, et il envoya. trois cents pièces d'or à Calliopius Evêque avec cette Lettre. Atticus à Calliopius, Salut en notre Seigneur. J'ai appris qu'il y a dans votre Ville un grand nombre de personnes qui ont besoin du discours des gens de bien. Ayant donc reçu quelque argent de la main de celui qui donne libéralement aux sages dispensateurs, je vous envoie trois cents pièces d'or, pour les distribuer selon votre prudence, à ceux qui sont dans la nécessité. Je ne doute point que vous ne choisissiez ceux que la honte empêche de demander, plutôt que ceux qui ne demandent que pour se nourrir dans l'oisiveté. En faisant ces aumônes, n'ayez point d'égard aux différends touchant la Religion, et soulagés ceux qui ne sont pas de notre sentiment, si vous reconnaisse qu'ils soient pressés par la faim et par la misère. Voila de quelle manière Atticus pourvut aux besoins des pauvres les plus éloignés. Il prit un grand soin d'abolir la superstition. Ayant appris que ceux qui avaient faits schisme entre les Novatiens, au sujet de la célébration de la Fête de Pâques, avaient fait apporter le corps de Sabbatius de l'île de Rhodes, et qu'ils faisaient la nuit des prières à son tombeau, il le fit déterrer, et cacher en un autre endroit. Ces superstitieux n'ayant plus trouvé le tombeau, cessèrent de s'assembler. II appela ?e?ate?a?, c'est-à-dire ministère ou office, un Havre qui est à l'embouchure du Pont-Euxin; au lieu qu'on l'appelait auparavant fa?µa????, c'est-à-dire empoisonneur ; de peur que le lieu où se faisaient les assemblées de l'Eglise, ne fût déshonoré par ce vilain nom. Il donna aussi le nom d'ArgyropoIe à un Faubourg de Constantinople, par l'occasion que je dirai. Il y a à la tête du Bosphore un ancien Havre nomme Chrysopole, dont Strabon, Nicolas de Damas, et Xénophon font mention. Ce dernier Auteur dit dans le premier Livre de son Histoire, qu'Alcibiade l'ayant fait fermer de murailles, y établit un impôt, que payaient ceux qui naviguaient sur le Pont- Euxin. Atticus ayant considéré que ce premier lieu dont j'ai parlé, qui est vis-à-vis de Chrysopole, était d'une aspect fort agréable, le nomma Argyropole. Quelques-uns lu ayant dit qu'il ne fallait pas permettre que les Novatiens fissent leurs assemblées dans les Villes : Vous ne savez pas, leur répondit-il, combien ils ont souffert de mauvais traitements avec nous sous le règne de Constance, et de Valens ; et bien qu'ils se soient séparés de nous, ils n'ont rien changé dans la foi. Etant allé à Nicée pour y sacrer un Évêque, il y vit Asclépiade Évêque des Novatiens, et lui demanda combien il y avait de temps qu'il exerçait cette Charge. Asclépiade lui ayant répondu qu'il y avait cinquate ans : Vous êtes heureux, lui répliqua-t-il, d'avoir passé un si longtemps dans une si sainte fonction. Il lui dit une autre fois : Je loue Novat, mais je n'approuve pas les Novatiens. Asclépiade ayant paru étonné de cette parole, et lui en ayant demandé la raison, il lui dit: Je loue Novat de n'avoir pas voulu admettre à la communion ceux qui avaient sacrifié aux Idoles, et je ne les aurais pas admis non plus que lui; mais je ne saurais souffrir que les Novatiens en retranchent les Laïques pour des fautes assez légères. Asclepiade lui répondit: Outre l'Idolatrie, il y a plusieurs autres péchés à la mort, comme parle la sainte Ecriture, pour lesquels vous retrancher les Clercs de la communion, et pour lesquels nous en retranchons aussi les Laïques, réservant à Dieu le pouvoir de leur pardonner. Au reste Atticus prédit le temps de sa mort. Car en partant de Nicée il dit à Calliopius, si vous voulez me voir, venez à Constantinople avant l'Automne, car si vous venez plus tard, vous ne me trouverez plus en vie. Sa prédiction fut accomplie, il mourut le dixième jour du mois d'Octobre, en la vingtième année de son Pontificat sous l'onzième Consulat de Théodose, et le premier de Valentinien. L'Empereur Théodose retourna de Thessalonique à Constantinople, le lendemain du jour auquel cet Évêque avait été enterré. On reçut bientôt après la nouvelle que Valentinien avait été proclamé Empereur le treizième jour du mois d'Octobre. CHAPITRE XXVI. Sisinnius est choisi pour succéder à Atticus. Après la mort d'Atticus.il s'éleva une grande contestation dans la Ville de Constantinople, pour l'élection d'un autre Évêque. Les uns demandaient Philippe, les autres Proclus , mais le plus grand nombre souhaitait avec passion Sisannius. Il était Prêtre comme les deux autres, et n'avait néanmoins qu'une Eglise dans le Faubourg d'Elée, où le peuple s'assemblait tous les ans pour célébrer la Fête de l'Ascension du Sauveur. La réputation de sa piété, et le soin qu'il prenait du soulagement des pauvres, le faisait désirer par les Laïques avec une ardeur incroyable. Il fut donc ordonné le dernier jour du mois de Février, sous le douzième Consulat de Théodose, et le second de Valentinien. Philippe irrité de ce qu'un autre lui avait été préféré, trouva beaucoup de choses à redire dans cette élection, qu'il eut la témérité d'insérer dans son Histoire des Chrétiens. Comme je ne puis approuver ce qu'il a écrit contre Sisinnius, contre ceux qui lui avaient imposé les mains, et principalement contre les Laïques qui l'avaient souhaité pour Évêque, je n'ai garde de le répéter. Je dirai pourtant quelque chose de ses Ouvrages. CHAPITRE XXVII. Des Ouvrages de Philippe. Il était natif de Side Ville de Pamphile, d'où était aussi le Sophiste Troïle, dont il tenait à grand honneur d'être parent. Lorsqu'il n'était que Diacre, il avait eu habitude particulière avec Jean Evêque de Constantinople. Il amassa quantité de Livres de toute sorte de sciences, et en composa quantité, d'un style Asiatique. Il réfuta Julien fit l'Histoire des Chrétiens, et la divisa en trente six Livres, dont chacun est encore divisé en plusieurs Tomes. On lit à la tête de ces Tomes, des arguments aussi longs, et aussi étendus que les Tomes mêmes. Il a donné à cet Ouvrage le titre d'Histoire des Chrétiens, au lieu de lui donner le titre d'Histoire de l'Eglise. Il y a mêlé quantité de questions de Philosophie, et de Théorèmes de Géométrie, d'Arithmétique et de Musique pour faire paraître son érudition. Il y a fait force descriptions d'îles, de montagnes, et de forêts; ce qui a rendu son Histoire trop diffuse, et également inutile, selon mon opinion, aux savants, et aux ignorants; ceux-ci n'étant pas capables d'en connaître es beautés, et ceux-là n'en pouvant approuver les redites. Que chacun en juge pourtant comme il lui plaira. Pour moi je trouve qu'il confond l'ordre des temps. Car après avoir rapporté ce qui s'est passé sous le règne de Théodose , il remonte aux affaires d'Athanase Evêque d'Alexandrie, et en use fort souvent de cette manière. Voila ce que j'avais à dire de Philippe Voyons maintenant ce qui arriva sous le Pontificat de Sisinnius. CHAPITRE XXVIII. Proclus est sacré Évêque de Cyzique par Sisinnius. L'Évêque de Cyzique étant mort, Sisinnius sacra Proclus pour lui succéder. Mais avant qu'il fût arrivé en cette Ville-là, les habitants élurent un Moine nommé Dalmatius, au préjudice du Canon, par lequel il est ordonné, que nul ne soit fait Evêque, sans le consentement de l'Evêque de Constantinople ; et ils prétendirent que ce privilège n'avait été accordé qu'à la personne d'Atticus. Ainsi Proclus fut obligé de demeurer à Constantinople, où il se rendit fort célèbre par ses Prédications. Nous parlerons encore de lui dans son lieu. Cependant Sisinnius mourut le quatorzième jour du mois de Décembre, sous le Consulat de Hiérie, et d'Ardabure, avant que d'avoir gouverné deux ans entiers son Eglise. C'était un homme fort recommandable par l'austérité de sa vie, par la sainteté de ses mœurs, et par sa charité envers les pauvres. La douceur de son naturel, et l'amour qu'il avait pour le repos déplaisait aux personnes inquiètes, et entreprenantes, et le faisait accuser de paresse et d'oisiveté. CHAPITRE XXIX. Nestorius est tiré de l'Eglise d'Antioche, et élu sur le Siège de celle de Constantinople. L'ambition que les Ecclésiastiques de Constantinople avaient de parvenir au gouvernement de cette Eglise, fit résoudre l'Empereur de ne plus permettre qu'aucun d'entre eux eu fût élu Évêque, et de faire élire un Ecclésiastique d'une autre Eglise, malgré les brigues que quelques- uns faisaient pour Philippe, et d'autres pour Proclus. On convint donc de faire venir d'Antioche Nestorius natif de Germanie, homme éloquent et célèbre Prédicateur. Il arriva trois mois après, et acquit grande imputation par l'austérité de sa vie.. Au reste son premier Sermon fit reconnaitre aux personnes intelligentes le caractère de son esprit, et de ses mœurs. Car ayant été sacré le dixième jour du mois d'Avril, sous le Consulat de Félix et de Taurus. Il dit à l'Empereur en présence de tout le peuple cette parole si remarquable : purgez la terre des hérétiques, et je vous donnerai le Ciel en récompense, faites-leur sa guerre avec moi, et je la ferai avec vous aux Perses. Bien que l'aversion que plusieurs personnes du peuple avoient pour les hérétiques leur fit approuver ce discours, les plus éclairés en condamnèrent la vanité, et la violence, et s'étonnèrent de voir un homme qui, avant que d'avoir goûté, comme on. dit, de l'eau de la Ville, déclarait qu'il voulait persécuter ceux qui n'étaient pas de son sentiment. Cinq jours après qu'il eut été sacré, il entreprit d'abattre l'Eglise où les Ariens faisaient secrètement leurs assemblées, et les réduisit à tel désespoir, qu'ils y mirent le feu, qui après l'avoir consumée s'étendit aux maisons voisines. Cet embrasement excita un désordre extraordinaire, que l'ardeur dont les Ariens brûlaient de le venger, aurait augmenté, si Dieu n'avait eu la bonté de l'assoupir. Depuis ce temps-là Nestorius fut toujours appelé incendiaire, non seulement par les hérétiques, mais aussi par ceux de sa communion. Il n'en devint pas pour cela plus modéré envers les premiers, mais continua à les attaquer, et à troubler la tranquillité publique. Il fit tout ce qu'il pût pour tourmenter les Novatiens par jalousie contre Paul leur Évêque, dont tout le monde respectait la sainteté. Mais les Empereurs arrêtèrent un peu ses emportements. Je crois devoir passer sous silence les rigueurs qu'il exerça contre les peuples d'Asie, de Lydie, et de Carie, qui célèbrent la Fête de Pâques le quatorzième jour de et la Lune, et les meurtres qui furent commis pour ce sujet à Milète et à Sardes. Nous verrons en son lieu comment il fut châtié de ces violences, et de sa trop grande liberté de parler. CHAPITRE XXX. Les Bourguignons embrassent la Religion Chrétienne. Je rapporterai ici un événement fort remarquable qui arriva en ce temps-là. Les Bourguignons habitent au delà du Rhin, et mènent une vie fort tranquille. Ils travaillent en Menuiserie, et se nourrissent de leurs ouvrages. Les Huns ayant fait irruption en leur pays, et en ayant tué un grand nombre, ceux qui restèrent eurent recours à Dieu au lieu d'avoir recours aux hommes, et ayant reconnu que celui que les Romains adorent protège puissamment ceux qui le servent avec une crainte religieuse : ils résolurent de faire profession de la foi de Jésus Christ ; et pour cet effet ils allèrent trouver un Évêque des Gaules, et lui demandèrent le Baptême. Cet Évêque les ayant instruits des vérités de la Religion, et les ayant fait jeûner sept jours, leur donna le Baptême, et les renvoya. Ils attaquèrent ensuite les Huns avec une généreuse confiance. Optar Roi de ces peuples ayant été étouffé une nuit par la quantité des viandes qu'il avait mangées, les Bourguignons les attaquèrent dans le temps qu'ils n'avaient plus de Chef, et bien qu'ils ne fussent que trois mille, ils en défirent dix mille. Ils sont demeurés depuis fort attachés à la Religion Chrétienne. Barbas Evêque des Ariens étant mort le quatorzième jour du mois de Juin, sous le treizième Consulat de Théodose et le troisième de Valentinien, Sabbatius fut choisi pour remplir sa place. CHAPITRE XXXI. Persécution excitée par Nestorius contre les Macédoniens. Bien que la conduite que tenait Nestorius fût fort contraire à l'esprit de l'Eglise, elle ne laissa pas d'être suivie en quelques endroits, comme il paraîtra par le récit que je ferai en cet endroit. Antoine Évêque de Germe Ville de l'Hellespont persécuta avec fureur les Macédoniens, sous prétexte qu'il agissait en cela selon les intentions, et les ordres du Patriarche. Les Macédoniens ne pouvant souffrir la dureté des traitement qu'il leur faisait, se portèrent à un extrême désespoir que de suborner deux hommes qui l'assassinèrent. Ce meurtre donna sujet à Nestorius de continuer ses violences contre eux, et de persuader à l'Empereur de leur ôter les Eglises dont ils jouissaient. On leur ôta celle qu'ils avaient à Constantinople, vis-à-vis des vieilles murailles, celle de Cyzique, et quantité d'autres dans les Bourgs de l'Hellespont. Plusieurs d'entre eux changèrent de créance, et firent profession de la Consubstantialité du Fils de Dieu. Mais les ivrognes ne manquent jamais de vin, comme porte le proverbe ni les querelleurs de sujets de contester. Il arriva donc que Nestorius qui chassait les autres de l'Eglise, en fut lui-même chassé. CHAPITRE XXXII. Nestorius est engagé par un Prêtre nommé Anastase à soutenir que la Vierge ne doit point être appelée Mère de Dieu. Nestorius avait amené d'Antioche un Prêtre nommé Anastasa pour lequel il avait une estime particulière, et dont il se servait dans toutes les affaires les plus importantes. Cet Anastase prêchant un jour dans L'Eglise dit que personne n'appelle Marie, Mère de Dieu. Marie a été une femme, et Dieu ne saurait naître d'une femme. Cette parole scandalisa plusieurs personnes du Clergé, et du peuple qui avaient appris à faire profession de la Divinité de Jésus Christ, suivant ce que l'Apôtre dit : Bien que nous ayons connu Jésus Christ selon la chair, nous ne l'y connaissons plus maintenant, et en un autre endroit : Laissons ce discours touchant Jésus Christ, et tâchons d'arriver à la perfection. La proposition d'Anastase ayant donc excité, comme j'ai dit, un grand scandale, Nestorius qui ne trouvait pas bon qu'on accusât d'impiété un Prêtre pour lequel il avait une estime particulière, entreprit de le défendre, agita la question dans l'Eglise avec beaucoup d'opiniâtreté, et rejeta toujours constamment la qualité de Mère de Dieu. Chacun ayant conçu la question en sa manière, il s'émut une contestation semblable aux combats qui se donnent dans l'obscurité, sans que personne fût fort ferme, ni fort confiant dans son sentiment. Plusieurs croyaient que Nestorius avait dessein d'introduire l'erreur de Paul de Samosate, et de Photin, et d'assurer que notre Seigneur n'est qu'un pur homme. Cette question fut agitée avec tant de chaleur, qu'on ne la pût jamais terminer sans assembler un Concile général Pour moi ayant lu les livres de Nestorius, j'ai trouvé que ce n'était qu'un ignorant. Je dirai la vérité telle quelle est, et comme ce n'a été par aucune aversion pour sa personne que j'ai parlé de ses défauts, je ne rabaisserai point ses bonnes qualité par aucune complaisance pour ses ennemis. Il me semble qu'il n'est point tombé dans l'erreur de Paul de Samosate, ni de Photin, et qu'il n'a point cru que notre Seigneur n'était qu'un pur homme. Il a été épouvanté du mot de Mère de Dieu, comme d'un fantôme , et cette épouvante n'a procédé que de son ignorance. La facilité qu'il avait de parler le faisait paraître savant, bien qu'il ne le fût point. Il n'avait point lu les Livres des anciens Interprètes ; et c'était l'orgueil que son éloquence lui avait donné qui l'empêchait de les lire, parce qu'il s'estimait si fort, qu'il méprisait tous les autres. Il ne savait pas que ces paroles te trouvent écrites dans les anciens exemplaires de l'Epître Catholique de saint Jean : Tout esprit qui sépare Jésus Christ de Dieu, n'est pas de Dieu. Car ces paroles ont été effacées par ceux qui ont nié la Divinité de Jésus Christ, comme il a été remarqué par les anciens Interprètes. L'humanité est jointe à la Divinité dans le Sauveur, et il n'y a qu'une personne. Les anciens s'étant appuyés sur ce passage n'ont point fait de difficulté d'appeler Marie Mère de Dieu. Eusèbe surnommé Pamphile, écrit ce qui suit dans le troisième livre de la vie de Constantin : Emanuel, c'est à-dire, Dieu avec nous, a bien voulu naître pour l'amour de nous, et le lieu où il est né a été appelé Bethléem par les Juifs. C'est pourquoi, l'Impératrice Hélène a eu la piété d'honorer par des riches ornements, le lieu où la Vierge a mis le Sauveur au monde. Origène explique la manière dont la Vierge est appelée Mère de Dieu, et traite la question fort amplement dans le troisième Livre de ses Commentaires, sur l'Epître de saint Paul aux Romains. Il est donc clair que Nestorius ne savait rien des Ouvrages des anciens, et c'est pour cela qu'il n'attaque, comme je l'ai dit, que le mot de Mère de Dieu : car il paraît assez par les Homélies qu'il a publiées, qu'il n'a jamais tenu, comme Photius et Paul de Samosate, que notre Seigneur n'a été qu'un pur homme, puisqu'il n'y nie jamais la personne du Verbe, comme non seulement ces hérétiques que je viens de nommer; mais encore les Manichéens, et les Montanistes ont osé faire. J'ai reconnu tant par la lecture des Livres de Nestorius, que par les conversations que j'ai eues avec ceux qui soutenaient ses intérêts, que c'était là son véritable sentiment. Cependant l'impertinence avec laquelle il a agité cette question a étrangement troublé la paix de l'Eglise. CHAPITRE XXXIII. Meurtre commis dans l'Eglise. L'Eglise fut profanée dans le même temps par un horrible sacrilège. Les esclaves d'un étranger de grande qualité s'y étant réfugiés pour éviter la cruauté de leur maître, s'avancèrent jusques à l'Autel l'épée à la main, et au lieu de déférer aux prières qu'on leur faisait de se retirer, ils s'obstinèrent à y demeurer durant plusieurs jours, ayant toujours l'épée nue. Enfin après avoir tué un ecclésiastique ; et en avoir blessé un autre, ils se tuèrent eux-mêmes. Un homme qui était présent, dit que cette profanation ne présageait que des malheurs, et cita sur ce sujet ces deux vers d'un ancien Poète. Les Temples profanes sont, à l'avis des sages, De funestes malheurs les plus certains présages . II ne le trompait pas. Car la profanation présageait la division du peuple, et la déposition de l'auteur de la division. CHAPITRE XXXIV. Concile assemblé à Ephèse contre Nestorius. L'empereur fit publier bientôt après un Edit pour assembler un Concile à Ephèse. Nestorius y arriva suivi d'une multitude prodigieuse de peuple, incontinent après la Fête de Pâques, et y trouva plusieurs Evêques. Cyrille Evêque d'Alexandrie tarda un peu davantage, et n'arriva que vers la Fête de la Pentecôte. Juvénal Evêque de Jérusalem, arriva cinq jours après cette Fête. Comme Jean Evêque d'Antioche, différait trop son voyage, les autres Evêques commencèrent à agiter la question. Cyrille ouvrit la dispute, et fit comme une escarmouche de paroles, avant le combat, à dessein d'embarrasser Nestorius, qu'il n'aimait pas. Comme plusieurs contestaient que Jésus Christ est Dieu, Nestorius dit : Je ne saurais appeler Dieu, celui qui a été un enfant de deux, ou de trois mois ; c'est pourquoi je suis innocent de votre sang, et je ne me trouverai plus dorénavant avec vous. Il s'assembla depuis avec les Évêques qui suivaient son sentiment. Ceux qui demeurèrent dans le Concile avec Cyrille, citèrent Nestorius. Mais il différa de comparaître jusques à ce que Jean Evêque d'Antioche fut arrivé. Cyrille, et les autres, ayant examiné les Sermons où Nestorius avait traité la question, et ayant jugé qu'ils contenaient des impiétés et des blasphèmes contre Jésus Christ, ils le déposèrent. Les Évêques du parti de Nestonus s'étant assemblés à part, déposèrent de même Cyrille, et Memnon Évêque d'Ephèse. Jean Évêque d'Antioche étant arrivé bientôt après, fut fâché contre Cyrille, et l'accusa d'avoir causé le désordre par la précipitation avec laquelle il avait déposé Nestonus. Cyrille se joignit à Juvénal, pour se venger de Jean, et le déposa. Quand Nestorius vit que la dispute avait passé si avant, qu'elle était allée jusques au schisme, il eut regret de tout ce qui s'était passé, et dit : que l'on appelle, si l'on veut, Marie Mère de Dieu, et que la contestation cesse. Mais bien qu'il eût changé de sentiment, personne ne le voulut recevoir, et il fut relégué à Oasis, où il est encore. Voila le succès du Concile, qui fut terminé le dix-huitième jour du mois de Juin, sous le Consulat de Bassus, et d'Antiochus. Lorsque Jean fut retourné à Antioche, il assembla plusieurs Évêques, et déposa Cyrille, qui était aussi retourné à Alexandrie. Mais s'étant depuis accordés, ils se rétablirent réciproquement chacun dans leur Siège. La déposition de Nestorius mit le trouble et la confusion dans l'Eglise de Constantinople, dont le peuple était partagé. Les Ecclésiastiques prononcèrent anathème contre lui. C'est ainsi que nous appelons les sentences qui sont prononcées contre ceux qui avancent des impiétés et des blasphèmes, et qui sont exposées en public, afin qu'elles fussent vues de tout le monde. CHAPITRE XXXV. Maximien est élu Évêque de Constantinople. On commença ensuite à parler d'élire un Evêque de Constantinople. Philippe et Proclus, dont nous avons déjà parlé, eurent chacun plusieurs voix. L'avis de ceux qui nommaient Proclus eut prévalu, si quelques-uns des plus considérables ne s'y fussent opposés, en disant qu'il/y avait des Canons, par lesquels les translations d'un Evêché à un autre, étaient défendues. Le peuple s'étant donc un peu apaisé, Maximien fut élu, quatre mois après que Nestorius avait été déposé. Il faisait profession de la vie Religieuse, bien qu'il eût été élevé à l'honneur du Sacerdoce ; et avait acquis une grande réputation par la générosité qu'il avait eue, de faire bâtir à ses dépens, des tombeaux pour les Moines. Il parlait mal, et n'était point du tout propre aux affaires. CHAPITRE XXXVI. Des translations d'un Évêché à un autre. Je dirai ici quelque chose des translations des Évêques, à l'occasion du Canon dont se servirent ceux qui empêchèrent que Proclus fut transféré de l'Eglise de Cyzique à celle de Constantinople. Il me semble qu'ils ne parlaient que par jalousie contre Proclus, sans savoir ni les Canons, ni l'usage de l'Eglise. Eusèbe surnommé Pamphile, rapporte dans le sixième Livre de son Histoire, qu'Alexandre Evêque d'une certaine Ville de Cappadoce, étant allé à Jérusalem pour y faire sa prière, il y fut retenu par le peuple, pour succéder à Narcisse, et qu'il y demeura tout le reste de sa vie. Ainsi il est clair, que les anciens ne faisaient point de difficulté de transférer un Evêque d'une Ville à une autre, lorsqu'ils le jugeaient nécessaire. Mais pour faire voir que ceux qui s'opposaient à l'ordination de Proclus, citaient mal à propos le Canon contre lui, j'en rapporterai les propres termes. Les voici : Si un Evêque après avoir été ordonné, ne va point à son Eglise, non par sa faute, mais parce que le peuple refuse de le recevoir, et par quelqu'autre raison qui ne lui puisse être imputée, qu'il conserve son rang et ses fonctions, pourvu qu'il n'apporte aucun trouble dans l'Eglise, où il aura été reçu. Il doit toutefois se soumettre à tout ce que le Concile de la Province trouvera à propos d'ordonner à son égard. Voilà les termes du Canon. Mais s'il est besoin de justifier encore davantage que le bien de l'Église rend quelquefois les translations nécessaires, je rapporterai les noms de plusieurs Évêques, qui ont été transférés. Périgéne ayant été ordonné Evêque de Patras, et les habitants de cette Ville ayant refusé de le recevoir, il fut établi Evêque de l'Eglise Métropolitaine de Corinthe, par l'ordre de l'Evêque de Rome, et y demeura jusqu'à la fin de sa vie. Grégoire fut Evêque de Sasimes Ville de Cappadoce, et ensuite de Naziance. Méléce gouverna l'Eglise de Sébaste, avant que de gouverner celle d'Antioche. Alexandre Evêque d'Antioche, transféra Dosithée de la Ville de Séleucie à celle de Tarse. Révérentius fut transféré d'Arce à Tyr, et Jean de Gordo de la Ville de Lydie, à la Proconnèse. Palladius fut transféré d'Helénopole à Aspune, et Alexandre de la même Ville d'Helénopole, à Adriane. Théophile fut transféré d'Apamée Ville d'Asie, à Eudoxiopole, qu'on appelait autrefois Sélérabrie. Polycarpe fut transféré d'une Ville de Bulgarie nommée Séxantapristi, à Nicopole en Thrace. Hiérophile fut transféré de Trapezopole à Plotinopole. Optime d'Agiamie, à Antioche et Silvain de Philippopole à Troade. Voila un nombre consïdèrable d'Évêques, qui ont passé d'un Siège à un autre. J'ajouterai ici quelque chose du dernier. CHAPITRE XXXVII. Miracle fait par Sylvain. Sylvain étudia en Rhétorique des sa jeunesse, dans l'école du Sophiste Troïle. Mais parce qu'il aspirait à la perfection de l'Évangile, et qu'il voulait faire profession de la vie Religieuse, il refusa de porter le manteau que portaient les Orateurs. Atticus Evêque de Constantinople l'ayant ordonné Evêque de Philippopole, il y demeura trois ans; mais ne pouvant supporter le froid du pays, à cause de la délicatesse de son tempérament, il pria Atticus d'en mettre un autre en sa place. Ainsi il revint à Constantinople, où il vécut dans une grande austérité, qu'il marchait souvent au milieu de la Ville avec des sandales de paille. Les habitants de Troade y étant venus bientôt après, pour demander un Evêque, Atticus dit à Silvain, qui l'était venu visiter : Vous n'avez plus maintenant d'excuse pour vous exempter de la charge pastorale. Il ne fait point trop froid à Troade, allez-y, mon cher frère, et gouvernez cette Ville en qualité d'Évêque. Silvain y étant allé, y fit un miracle. On y avait bâti un grand vaisseau pour porter des colonnes ; mais il était si pesant, que quelque effort qu'on eût fait pour le mettre en mer, on n'avait pu le remuer; de sorte que plusieurs croyaient qu'il était arrête par le démon. Le peuple alla donc trouver Silvain, et le supplia de s'approcher du bord de la mer, et d'y faire sa prière. Il répondit avec sa modestie ordinaire, qu'il n'était qu'un pécheur, et qu'il n'appartenait qu'à un homme de bien d'obtenir de Dieu la grâce qu'ils demandaient. S'étant néanmoins rendu sur le rivage à leurs instantes prières, il fit son oraison, prit un des câbles par la main, et leur commanda de pousser le vaisseau, qui à l'heure-même fut porté en mer, sans peine. Ce miracle fit admirer la puissance de Dieu. La vertu de Silvain ne parut pas seulement dans cette action, mais elle éclata dans tout le cours de la vie. Ayant reconnu que les Ecclésiastiques tiraient de l'argent des procès, il n'en nomma plus jamais aucun pour être Juge : mais prenant les papiers des parties, il les mit entre les mains de quelque Laïque, dont il connaissait la probité, et lui donna charge de terminer le différend. Il acquit par ce moyen une très grande réputation. Bien que cette digression que j'ai faite soit un peu longue, j'espère pourtant qu'elle ne sera pas inutile. Retournons cependant à notre sujet. CHAPITRE XXXVIII. Plusieurs Juifs de l'île de Crète font profession de la Religion Chrétienne. Toutes les contestations cessèrent à Constantinople, dès que Maximien en eut été ordonné Evêque, sous le Consulat de Bassus, et d'Antiochus. Dans le même temps plusieurs Juifs, qui demeuraient dans l'île de Crète embrassèrent la Religion Chrétienne. Un imposteur eut l'insolence de dire qu'il était Moïse, et qu'il avait été envoyé de Dieu pour tirer de l'île habitants de sa Religion, et pour leur faire passer la mer à pied sec, comme il avait autrefois fait passer la mer rouge aux Israélites. Il parcourut toute l'île en un an, et persuada aux Juifs d'abandonner leurs héritages, de se mettre sous sa conduite, et de le suivre à une terre promise, où il les assurait de les mener. Les Juifs trompés par les artifices, renoncèrent à la possession de leurs biens, et les laissèrent à ceux qui voulurent s'en emparer. Lorsque le jour qu'il leur avait marqué pour leur départ, fut arrivé, il se mit à la tête d'une multitude incroyable d'hommes, de femmes et d'enfants, et les mena a un Promontoire qui s'avance dans la mer, d'où il leur commanda de se jeter. Les premiers s'étant jetés, les uns furent brisés contre les rochers, et les autres ensevelis sous les flots, et tous les autres seraient péris de la même sorte, s'ils n'avaient été préservés d'un si extrême danger, par des pêcheurs et des marchands, qui en retirèrent quelques-uns de la mer, et empêchèrent le reste de s'y précipiter. Les Juifs condamnèrent l'imprudence avec laquelle ils avaient ajouté foi aux paroles de cet Imposteur, et le cherchèrent pour le faire mourir. Mais il disparut, sans qu'on en pût savoir de nouvelle, ce qui fit croire à quelques-uns, que c'était un démon, qui avait pris la figure d'un homme pour les perdre. Plusieurs renoncèrent à leur Religion pour recevoir le Baptême. CHAPITRE XXXIX. L'Eglise des Novatiens préservée d'un incendie. Paul Evêque des Novatiens devint en ce temps-là plus célèbre que jamais. Car le feu ayant pris à Constantinople, et ayant consumé une partie très considérable tant des édifices publics, que des maisons particulières, il s'approcha enfin de l'Eglise des Novatiens. A l'heure même Paul se jeta au pied de l'Autel, et recommanda à Dieu la conservation de l'Eglise et de la Ville. Sa prière fut exaucée; car bien que le feu entrât dans l'Eglise par la porte et par les fenêtres, il n'y fit aucun dommage, et l'épargna, pendant qu'il réduisait en cendre tous les bâtiments d'alentour. L'embrasement dura deux jours et deux nuits, et s'éteignit enfin, sans avoir seulement noirci les murailles de l'Eglise. Cet accident arriva le dix-septième jour du mois d'Août, sous le quatorzième Consulat de Théodose, et le premier de Maxime. Les Novatiens font tous les ans une fête en ce jour-là en mémoire de la conservation de leur Eglise, et elle est depuis en vénération, non seulement aux Chrétiens, mais aux infidèles. CHAPITRE XL. Proclus succède à Maximien au gouvernement de l'Eglise de Constantinople. Maximien mourut le dixième jour du mois d'Avril sous le Consulat d'Aréobinde, et d'Aspar, après avoir gouverné paisiblement durant deux ans et cinq mois l'Eglise de Constantinople. Ce jour-là même était le cinquième de la semaine où l'on jeûne immédiatement avant la fête de Pâques. L'Empereur Théodose voulant prévenir les contestations qui auraient pu arriver dans une élection, envoya dire aux Evêques qu'ils missent Proclus en possession de la dignité Episcopale, avant même que le corps de Maximien eut été enterré. Célestin Evêque de Rome avait écrit à Cyrille Évêque d'Alexandrie, à Jean Evêque d'Antioche, et à Rufus Evêque de Thessalonique sur le même sujet, et avait déclaré qu'il n'y a point d'inconvénient qu'un Evêque élu, nommé, ou intronisé quitte une Eglise pour en prendre une autre. Proclus ayant donc pris possession de l'Eglise, fit les funérailles de Maximien son prédécesseur. CHAPITRE XLI. Belles qualités de Proclus. Proclus fut lecteur dès sa jeunesse. Il s'adonna fort à l'étude de l'éloquence. Quand il fut parvenu à âge d'homme il s'attacha à Atticus Evêque de Constantinople qui le fit son Secrétaire, et le promut depuis à l'ordre de Diacre. Ayant ensuite été élevé à la dignité du Sacerdoce, il fut enfin ordonné Évêque par Sisinnius, comme nous l'avons dit. Après la mort de Maximien il fut placé sur le Siège de l'Eglise de Constantinople. C'était un aussi homme de bien qu'aucun autre ait jamais été. Il imita toutes les bonnes qualités d'Atticus son maître. Mais il le surpassa en patience. Car au lieu que celui-ci se rendait quelquefois redoutable aux hérétiques, Proclus se faisait aimer de tout le monde ; parce qu'il savait qu'il le gagnerait bien plutôt par la douceur que par la force. Il ne voulut jamais persécuter aucune secte, et conserva à l'Eglise toute sa douceur. Il ressembla en ce point à Théodose, et comme ce Prince n'usa jamais de son pouvoir pour punir les coupables, Proclus n'entreprit aussi jamais d'inquiéter ceux qui étaient d'un autre sentiment que lui, sur le sujet de la Divinité. CHAPITRE XLII. Eloge de l'Empereur Théodose. Théodose louait extrêmement la douceur de Proclus. Car il ressemblait parfaitement aux véritables Évêques, et ne pouvait approuver la conduite de ceux qui excitaient des persécutions. Je n'appréhenderai point de dire qu'il surpassait tous les Prêtres en douceur, et j'avancerai hardiment qu'il mérite d'être appelé le plus doux de tous les hommes, comme Moïse l'a été, dans le Livre des Nombres. C'a été à cette douceur extraordinaire que Dieu a accordé la prise de Jean, cet usurpateur injuste de l'autorité Souveraine, sans que pour le prendre, il ait fallu courir le risque d'aucun combat, et en récompense de laquelle il a permis la défaite des nations étrangères. Car il est très véritable que Dieu lui a fait en notre temps les mêmes grâces qu'il avait faites autrefois aux plus grands Saints. Ce n'est point la flatterie qui me fait parler de la sorte, et la vérité de ce que j'avance sera confirmée par la narration qui va suivre. CHAPITRE XLIII. Malheurs arrivés aux Barbares qui avaient favorisé le parti du Tyran. L''empereur ayant appris que les étrangers dont le Tyran avait imploré le secours, se préparaient après sa mort à faire irruption sur nos terres, il eut recours à Dieu selon la coutume, et en obtint à l'heure-même ce qu'il désirait. Robas. Chef des Barbares fut frappé de la foudre. La maladie contagieuse enleva la plus grande partie des soldats qui avaient suivi ses enseignes. Le feu du Ciel consuma ceux que la maladie avait épargnés. Ainsi ces peuples furent saisis d'épouvante, et de frayeur, et redoutèrent non tant la valeur des Romains, que la puissance de Dieu qui les protégeait. Proclus fit dans un Sermon une application de la Prophétie d'Ezéchiel, à la conservation miraculeuse de l'Empire, et cette application fut reçue avec un merveilleux applaudissement de son auditoire. Voici les paroles de la Prophétie. Et vous Fils de l'homme prophétisez sur Gog, Rhos, Misoch, et Thubal. Je le condamnerai à la mort, au sang, et je châtierai par la pluie et par la grêle. Je répandrai sur lui, et sur les nations qui le suivent le feu, et le souffre. Je serai glorifié en présence de plusieurs peuples, et ils sauront que je suis le Seigneur. Cette application, comme je viens de dire, fut fort bien reçue, et donna beaucoup de réputation à Proclus. La clémence dont Théodose usait en toutes rencontres fut récompensée par un grand nombre de faveurs qu'il reçut du Ciel, et entre autres par celle dont je vais parler. CHAPITRE XLIV. Mariage de l'empereur Valentinien et d'Eudoxie, fille de Théodose. Il avait eu de l'Impératrice Eudocie sa femme, une fille, nommée Eudoxie, que Valentinien son cousin, à qui il avait donné l'Empire d'Occident, lui demanda en mariage. Théodose la lui ayant promise, ils convinrent de se trouver sur les frontières des deux Empires pour faire la cérémonie des noces ; et choisirent pour cet effet la Ville de Thessalonique. Mais Valentinien écrivit depuis à Théodose, qu'il ne prît point la peine de s'y rendre, et qu'il l'irait trouver à Constantinople. Il y alla en effet, après avoir laissé des troupes pour garder la frontière, y épousa Eudoxie, sous le Consulat d'Isidore, et de Sénator, et s'en retourna avec elle en Occident. CHAPITRE XLV. Translation du corps de Jean, Évêque de Constantinople. Proclus réunit en ce temps-là à l'Eglise, ceux qui s'en étaient autrefois séparés, à cause de la déposition de Jean. Ayant obtenu permission de l'Empereur de transporter son corps de Comanes, où il y avait trente cinq ans qu'il avait été enterré, il le fit apporter à Constantinople avec une pompe fort solennelle, et le déposa dans l'Eglise des saints Apôtres, le dix-septième jour du mois de Janvier, sous le seizième Consulat de Théodose. Ceux qui avaient évité à son sujet la communion des autres Fidèles y rentrèrent à l'heure-même. Je me suis quelquefois étonné que l'envie qui a persécuté Origène ait épargné Jean : et que l'un ait été excommunié deux cents ans après sa mort, et l'autre rétabli dans la communion et trente-cinq ans après la sienne. Cela procède sans doute de la différence des mœurs de Théophile, et de Proclus, de laquelle ceux qui connaissent un peu le génie, et l'inclination des hommes, ne seront jamais fort surpris. CHAPITRE XLVI. Mort de Paul Evêque des Novatiens. Ordination de Marcien. Paul Évêque des Novatiens mourut bientôt après la translation de Jean, l'onzième jour du mois de Juillet, sous le même Consulat. Il réunit en quelque sorte toutes les sectes à sa mort,, et la réputation de sa piété les fit accourir en foule à ses funérailles, et chanter des Psaumes ensemble jusques à ce que son corps eût été mis dans le tombeau. Je ne dirai point que durant sa maladie, il ne se relâcha en rien de l'austérité de la vie Monastique, ni qu'il n'interrompît jamais ses prières, de peur que si je m'arrêtais à ces circonstances elles n'obscurcissent une action plus éclatante, dont ceux qui prendront la peine de lire mon Histoire, pourront tirer un grand fruit. Quand il se vit proche de sa fin, il assembla les Prêtres de toutes les Eglises qui étaient sous sa conduite,. et leur dit, élisez un Évêque pendant que je vis encore, de peur que la paix de l'Eglise ne soit troublée après ma mort. Ces Prêtres lui ayant répondu qu'il n'était pas à propos de leur laisser la liberté de de l'élection ; parce qu'il était difficile qu'ils se pussent accorder, et qu'il valait mieux qu'il nommât lui-même son successeur: Il leur dit, promettez-moi donc par écrit de recevoir celui que j'aurai choisi Les Prêtres ayant écrit et signé la promesse qu'il souhaitait, il écrivit le nom de Marcien Prêtre, qui avait appris sous lui les exercices de la vie Religieuse, et qui était alors absent. Il signa ensuite l'écrit, le fit signer aux plus considérables d'entre les Prêtres, le donna à Marc, Évêque des Novatiens de Scythie, et lui dit : Si Dieu me laisse en.vie, vous me rendrez cet écrit ; mais, s'il m'appelle à lui vous l'ouvrirez, et vous y trouverez le nom de celui que j'ai choisi pour être mon successeur. Il mourut bientôt après. L'écrit ayant été ouvert trois jours après la mort, tous s'écrièrent que Marcien était très digne d'être Evêque, et l'envoyèrent chercher. Il fut trouvé à Tibériopole Ville de Phrygie, et ayant été amené par adresse, il fut sacré l'onzième jour du mois d'Août, et mis sur la chaire de l'Eglise. CHAPITRE XLVII,. L'Impératrice Eudocie va à Jérusalem. L'Empereur Théodose rendit à Dieu des actions de grâces pour les bienfaits qu'il avait reçus de sa bonté. Il envoyai l'Impératrice Eudocie sa femme à Jérusalem où elle avait fait vœu d'aller quand sa fille serait mariée. Elle fît quantité dé présents, tant aux Eglises de Jérusalem, qu'à celles des autres Eglises d'Orient. CHAPITRE XLVIII. Thalassius est ordonné Évêque de Césarée en et Cappadoce. Proclus fit sous le dix-septième Consulat de Théodose, une action dont l'antiquité n'avait jamais vu aucun exemple. Les habitants de Césarée en Cappadoce, étaient venus à Constantinople, pour demander un Évêque, en la place de Firmus qui était mort. Comme Proclus était en peine d'en choisir un. Les Sénateurs le visitèrent, et entre autres Thalassius, à qui l'Empereur avait autrefois donné le gouvernement d'Illyrie, et à qui il était prêt de donner celui d'Orient. Mais Proclus l'ayant choisi, le fit Evêque de Césarée. Voila quel était a/ors l'état l'Eglise. Etant prêt de finir mon Histoire, je souhaite de tout mon cœur, que l'Eglise et l'Etat jouissent d'une paix profonde, et que ceux qui voudraient écrire n'aient plus de matière. Je n'en aurais point eu moi-même,, très-religieux Théodore, et je n'aurais pu achever ces sept Livres, comme j'ai fait à votre prière., si ceux qui ont excité des contestations et des différents, avaient voulu se tenir en repos. Ce septième Livre contient ce qui s'est passé l'espace de trente-deux ans. Et les sept Livres contiennent ce qui s'est passé l'espace de cent quarante ; car ayant commencé à la première année de la deux cents soixante et onzième Olympiade, en laquelle Constantin fut proclamé Empereur, ils finissent à la seconde année de la trois cents cinquième Olympiade, en laquelle Théodose était Consul pour la dix-septième fois.