[7,0] LIVRE VII. [7,1] CHAPITRE PREMIER. Anthème Préfet du Prétoire est chargé du gouvernement de l'Empire. L'empereur Arcadius étant mort le premier jour du mois de Mai, sous le Consulat de Bassus et de Philippe, Honorius son frère continua de gouverner l'Occident, et Anthème Préfet du Prétoire gouverna l'Orient sous l'autorité de Théodose, qui n'avait encore que huit ans. Il était petit-fils de Philippe, qui sous le règne de Constance avait chassé Paul de L'Eglise de Constantinople, et établi Macédonius en sa place. Il fit fermer la Ville de murailles. Il était estimé avec raison un des plus prudents, et des plus habiles de son siècle. Il ne faisait rien sans en avoir mûrement délibéré avec ses amis et surtout avec le Sophiste Troïle, homme très-intelligent dans les affaires. [7,2] CHAPITRE II. Mœurs d'Atticus Évêque de Constantinople. Lorsque l'Empereur Théodose était en la huitième année de son âge, Atticus était en la troisième de son Pontificat. Outre qu'il avait une profonde science, il avait encore une singulière piété et une rare prudence. Ce qui fut cause que l'état de l'Eglise fut fort florissant de son temps. Il ne se fit pas seulement aimer des Fidèles. Il se fit aussi admirer des hérétiques. Il ne voulut jamais les persécuter, et s'il leur donnait quelquefois de la crainte, il les rassurait aussitôt par sa douceur. Il était très assidu à l'étude, et passait les nuits entières à lire les ouvrages des Anciens. Il ne s'étonnait point aussi des arguments des Philosophes, ni des subtilités des Sophistes. Il était agréable dans la conversation, compatissait à la douleur des affligés, et se faisait tout à tous à l'imitation de l'Apôtre. Etant Prêtre il composa des Sermons qu'il apprit par cœur. Mais depuis il prêcha sur le champ. Ses Sermons n'étaient pas toutefois assez excellents pour exciter les applaudissements du peuple, ni pour être rédigés par écrit. Je ne dirai rien ici davantage de son esprit, de son érudition, ni de ses mœurs, mais je continuerai à rapporter ce qui se passa de son temps. [7,3] CHAPITRE III. Théodose Évêque de Synnade persécute les Macédoniens. Agapet s'empare de son Siège. Théodose Évêque de Synnade Ville de la Phrygie Pacatienne, persécutait avec violence les Macédoniens, les chassant non seulement de la Ville, mais aussi de la campagne. Il n'agissait en cela ni selon la coutume de l'Église Catholique, qui n'a point accoutumé de persécuter les hérétiques, ni aussi par le zèle de la Religion, mais par un motif d'avarice, et à dessein de tirer de l'argent de ceux des autres sectes. Il fit aux Macédoniens tous les mauvais traitements dont il se pût imaginer, mit des armes contre eux entre les mains des Ecclésiastiques, et excita les juges séculiers à les inquiéter. Il tourmenta Agapet leur Evêque plus que tous les autres. Les Juges de la Province n'ayant pas une autorité assez absolue à son gré pour exercer ses violences, il vint à Constantinople pour y mander des Edits du Préfet du Prétoire. Durant son absence, Agapet Evêque des Macédoniens prit une résolution fort sage et fort prudente. Ayant assemblé son Clergé et son peuple, il leur proposa de faire profession de la doctrine de la Consubstantialité du fils de Dieu, et à l'heure-même, alla à l'Eglise suivi d'une multitude incroyable, y fit la prière, monta sur la Chaire de Théodose, y prêcha que le Fils de Dieu est de la même nature que son Père, et se rendit maître des Eglises du Diocèse. Théodose qui ne savait rien de tout ce qui était arrivé retourna à Synnade, avec un Edit du Préfet, mais ayant été chassé de L'Eglise, il revint à Constantinople, et se plaignit à Atticus de la violence qu'il avait soufferte. Cet Evêque considérait que ce changement était avantageux à la Religion, consola Théodose le mieux qu'il pût, l'exhorta à se tenir en repos, et à sacrifier ses intérêts à l'utilité de l'Eglise, et écrivit à Agapet qu'il demeurât en possession de la dignité Episcopale sans rien appréhender de la part de Théodose. [7,4] CHAPITRE IV. Atticus guérit un Juif d'une paralysie, en lui conférant le Baptême. Si l'Eglise reçut cet avantage au temps d'Atticus, elle ne fut pas privée du don des miracles. Un Juif qui était retenu dans son lit par une paralysie depuis plusieurs années, sans que l'art des Médecins, ni les prières des autres Juifs lui eussent apporté aucun soulagement, eut enfin recours au Baptême, comme à un souverain remède. Atticus Évêque de Constantinople l'ayant instruit des vérités de notre Religion, le fit porter sur son lit aux fonds, et aussitôt qu'il eut reçu ce Sacrement avec une foi vive, il sortit de l'eau avec une parfaite santé. Dieu a bien voulu faire paraître en notre temps ce miracle de sa puissance par lequel plusieurs Païens furent attirés à la foi, bien que les Juifs qui demandent des miracles ne le fusent point. [7,5] CHAPITRE V. Sabbatius Prêtre des Novatiens se sépare de leur communion. Plusieurs demeurèrent obstinés dans leurs crimes sans être touchés de ce miracle. Non seulement les Juifs n'y ajoutèrent point de foi, mais ceux qui les suivent dans leur discipline les imitèrent encore dans leur infidélité. Sabbatius, dont nous avons parlé ci-devant, ne se contentant pas de l'honneur du Sacerdoce, et aspirant à la dignité Episcopale se sépara en ce temps-là de la communion des Novatiens, sous prétexte de célébrer la Fête de Pâques selon la coutume des Juifs. Comme il faisait des assemblées particulières, et sans la permission de Sisinnius son Évêque, dans un lieu nommé Xèrolophe, où est maintenant le marché d'Arcadius, il se porta à une action fort extraordinaire, et fort dangereuse. En lisant un jour d'assemblée l'endroit de l'Evangile où il est dit, c'était un jour de fête que l'on nomme la Pâques des Juifs, il ajouta de son Chef ces paroles qui n'avaient jamais été ni écrites, ni entendues, malheur à celui qui célébrera la Fête de Pâques en autre temps que celui auquel on ne mange point de levain. Ces paroles s'étant répandues parmi le peuple, les plus simples des Laïques parmi les Novatiens en furent trompés, et le suivirent. Mais la fausseté fut bientôt après découverte. Comme il célébrait la Fête de Pâques avant les Chrétiens, selon l'opinion dont il était prévenu, et qu'il passait la nuit en prières avec une grande multitude de peuple, cette multitude fut saisie tout d'un coup d'une vaine teneur et crut que l'Evêque Sisinnius devait les attaquer à main armée. Ayant l'esprit troublé par cette crainte, ils se pressèrent si fort dans un lieu étroit où ils étaient enfermés, qu'il y en eut soixante et dix écrasés. Cela fut cause que plusieurs quittèrent le parti de Sabbatius. Quelques-uns néanmoins auxquels il avait inspiré les sentiments, demeurèrent avec lui. Nous verrons incontinent comment il parvint à la dignité Episcopale, et viola le serment par lequel il y avait renoncé. [7,6] CHAPITRE VI. Evêques de la secte des Ariens. Dorothée Évêque des Ariens, que nous avons dit ci-devant avoir été transféré par ceux de cette secte d'Antioche à Constantinople, étant moi à l'âge de cent dix-neuf ans, le sixième jour du mois de Novembre, sous le septième Consulat d'Honorius et le second de Théodose, Barbas fut élu pour lui succéder. Les Ariens, eurent en ce temps-là deux Prêtres fort éloquents, dont l'un se nommait Timothée, et l'autre George. Le premier excellait dans les sciences profanes, et le second dans les sacrées. L'un avait toujours entre les mains les Ouvrages d'Aristote et de Platon, et l'autre lisait continuellement Origène, expliquait l'Ecriture, et se servait fort bien de la teinture, quoique légère, qu'il avait acquise de la langue Hébraïque. Timothée avait été autrefois de la secte des Psarysiens, et George avait été ordonné par Barbas. J'ai conféré autrefois avec Timothée et reconnu par expérience combien il était prêt à répondre sur le champ aux plus difficiles questions qu'on lui faisait sur l'Ecriture, et à en expliquer les passages les plus obscurs. Il confirmait toutes ces réponses par l'autorité d'Origène. Je me suis étonné que ces deux hommes, dont l'un lisait toujours Platon, et l'autre citait toujours Origène, soient demeurés dans la secte des Ariens. Car Platon ne dit point que la seconde cause, ni la troisième cause aient eu un commencèrent ; et Origène avoue en quantité d'endroits de ses Livres, que le Fils est éternel comme son Père. Mais étant demeurés dans cette secte, ils en ont reformé un grand nombre d'abus, et ont aboli par leurs Sermons une partie considérable des impiétés et des blasphèmes d'Arius. Sisinnius Evêque des Novatiens étant mort bientôt après sous le même Consulat, Chrysandre, dont nous parlerons dans la suite de nôtre Histoire, fut choisi pour lui succéder. [7,7] CHAPITRE VII. Cyrille succède à Théophile au gouvernement de l'Eglise. Théophile Evêque d'Alexandrie étant bientôt après tombé en léthargie, mourut le quinzième jour du mois d'Octobre, sous le neuvième Consulat d'Honorius, et le cinquième de Théodose. Il y eut contestation pour l'élection d'un successeur, les uns proposant Timothée Archidiacre, et les autres Cyrille neveu de Théophile. Timothée était appuyé par Abondantius Chef des troupes d'Egypte. Mais Cyrille ayant été mis en possession du Siège de Théophile son oncle, le troisième jour d'après sa mort, y exerça un pouvoir plus absolu que lui. Car depuis ce temps-là las Evêques d'Alexandrie s'élevèrent si fort au dessus des Prêtres, qu'ils se rendirent maîtres de toutes les affaires. Voila pourquoi Cyrille fit fermer les Eglises que les Novatiens avaient dans la Ville, qu'il enleva tous leurs vases et leurs ornements, et qu'il dépouilla Théopempte leur Evêque de tout son bien. [7,8] CHAPITRE VIII. La Religion Chrétienne se répand dans la Perse. La Religion Chrétienne fit en ce temps-là des progrès en Perse, à l'occasion des Ambassades fréquentes que les Empereurs y envoyèrent. Marutas Evêque de Mésopotamie dont nous avons déjà parlé, y ayant été envoyé, y fut reçu très civilement par le Roi Isdigerde. Les Mages qui étaient en grand crédit dans le pays, eurent jalousie des honneurs que ce Prince lui rendait, et appréhendèrent qu'il ne le convertît à notre Religion, parce qu'il l'avait guéri par ses prières, d'une maladie dont ils n'avaient pu le soulager. Ayant donc entrepris de le faire chasser, ils usèrent de cet artifice de cacher un homme sous un lieu où l'on entretenait un feu perpétuel, et où le Roi avait accoutumé de l'aller adorer, et de faire crier à cet homme qu'il fallait chasser le Roi comme un impie, qui croyait que le Prêtre des Chrétiens était agréable à Dieu. Le Roi épouvanté par cet oracle avait envie de renvoyer Marutas. Mais ce saint Evêque découvrit dans la prière l'artifice des Mages, et ayant été trouvé le Roi le lui découvrit, et l'assura qu'il le reconnaîtrait s'il avait agréable de faire remuer la terre. Le Roi étant entré selon sa coutume dans le lieu où le feu bûllait toujours, et ayant entendu la même voix, commanda de creuser la terre, trouva l'imposteur, fit décimer les Mages, et permit à Marutas de bâtir des Eglises. Marutas retourna ensuite à Constantinople. Mais ayant fait bientôt après un second voyage en Perse, les Mages inventèrent une nouvelle ruse contre lui, et excitèrent une odeur insupportable dont ils accusèrent les Chrétiens d'être les Auteurs. Le Roi qui se défiait des Mages, reconnut que cette mauvaise odeur était un effet de leurs fourberies, les châtia, et rendit à Marutas de plus grands honneurs que jamais. Cet Evêque ayant depuis délivré avec Abdas Evêque de Perse, par leurs jeûnes et par leurs prières, le fils d'Isdigerde, d'un démon dont il était possédé, peu s'en fallut que ce Roi ne fit profession de la Religion Chrétienne. Mais il fut prévenu par la mort, et Vararane son fils et son successeur, déclara la guerre aux Romains, comme nous le. verrons dans la suite de notre Histoire. [7,9] CHAPITRE IX. Évêques d'Antioche et de Rome. Flavien Evêque d'Antioche étant mort dans le même temps, Porphyre lui succéda, et Alexandre succéda depuis à Porphyre. Damase après avoir gouverné l'Eglise de Rome, l'espace de dix-huit ans, eut Sirice pour successeur, qui l'ayant gouvernée quinze ans, la laissa à Anastase, qui la gouverna trois autres. Innocent son successeur persécuta le premier les Novatiens, qui demeuraient à Rome et leur ôta plusieurs Eglises. [7,10] CHAPITRE X. Prise de Rome par Alaric. La Ville de Rome fut réduite au même temps sous la domination des Etrangers. Alaric allié des Romains qui avait été élevé aux premières charges de l'Empire, en récompense des services qu'il avait rendus à l'Empereur Théodose contre le Tyran Eugène, ne pouvant conserver son bonheur, partit de Constantinople, et bien qu'il ne prît point le titre d'Empereur, il alla faire le dégât en Illyrie. Les Thessaliens s'opposèrent à son passage aux environs de l'embouchure du fleuve Pènée, et lui tuèrent environ trois mille hommes. Les autres étant passés mirent tout à feu et à sang, prirent Rome, la pillèrent, brûlèrent les plus magnifiques bâtiments, partagèrent entre eux le butin, et firent mourir par des cruels supplices les principaux du Sénat. Alaric pour se moquer de la Dignité Impériale, fit vêtir un jour un nommé Artalus en Empereur, lut donna des Gardes, et le lendemain le fit paraître en équipage d'esclave. Il prit incontinent après la fuite, au bruit de l'arrivée d'une armée Romaine. Ce bruit-là n'était pas faux. Car l'armée de Théodose marchait. Mais Alaric ne l'attendit pas. On dit qu'allant vers Rome, il rencontra un Moine, qui l'exhorta à épargner le sang, et à ne point mettre son plaisir dans le meurtre et dans le carnage. Alaric lui fit cette réponse. Je ne vais pas de ce côté-là de moi-même; j'y suis poussé par je ne sais qui, qui me presse tous les jours, en me disant : Va ruiner Rome. [7,11] CHAPITRE XI. Evêques de Rome. Après la mort d'Innocent, Zosime gouverna l'Eglise de Rome l'espace de deux années. Quand Zosime fut mort, Boniface la gouverna trois autres années. Célestin succéda à Boniface, ôta aux Novatiens plusieurs Eglises dans Rome, et obligea Rusticulas leur Evêque de faire ses assemblées dans une maison particulière. Ils avaient été en grande considération à Rome jusqu'en ce temps-là, y avaient possédé d'amples Eglises, et y avaient assemblé une multitude incroyable de peuple. Mais ils furent attaqués par la jalousie, depuis que les Evêques de Rome eurent méprisé, aussi bien que ceux d'Alexandrie, de se tenir dans les bornes de la modestie sacerdotales et eurent commencé à usurper une autorité trop absolue. Voila pourquoi ils ne laissèrent plus la liberté des assemblées publiques à ceux qui n'avaient aucun différend avec eux touchant la foi, et bien qu'ils louassent la pureté de leurs sentiments, ils ne laissaient pas de leur ôter tout leur bien. Les Evêques de Constantinople ne sont jamais tombés dans ce désordre. Ils ont toujours chéri les Novatiens, et permis leurs assemblées, comme je l'ai déjà dit. [7,12] CHAPITRE XII. Chrysante est ordonné malgré lui, Évêque des Novatiens. Son éloge. Après la mort de Sisinnius, Chrysante fut élevé à la Dignité Episcopale. Il était fils de Marcien, prédécesseur de Sisinnius. Dès sa jeunesse il avait eu une charge dans la maison de l'Empereur. Il avait été depuis Gouverneur d'Italie et Vicaire d'Angleterre, et avait acquis une grande réputation dans ces deux emplois. Il revint dans un âge assez avancé à Constantinople, et dans le temps qu'il sollicitait pour en être Gouverneur, il fut fait Evêque des Novatiens. Sisinnius avait déclaré en mourant qu'il était fort capable de lui succéder, et le peuple qui tenait cette déclaration comme une loi le chercha à l'heure-même pour le faire ordonner. Pendant qu'il s'était caché pour éviter cet honneur, Sabbatius prit l'occasion de se faire imposer les mains par des Evêques inconnus, et entre autres par Hormogène qu'il avait excommunié, à cause de l'impiété, dont ses livres étaient remplis. Mais il ne put réussir dans ce dessein. Car le peuple irrité de ses parjures, et de ses mauvais artifices chercha Chrysante, et l'ayant trouvé en Bithynie, où il s'était caché, l'éleva par force sur le Siège de l'Eglise des Novatiens. Il avait une prudence et une modestie singulière. Il conserva et augmenta par ses soins les Eglises que les Novatiens avaient à Constantinople. Il fut le premier de tous les Évêques, qui fit aux pauvres des aumônes de son propre bien. Il ne recevait du peuple que deux pains tous les Dimanches. Il avait une si forte passion pour l'agrandissement de son Eglise, qu'il tira Ablavius, un des plus éloquents de son siècle, de l'école de Troïle pour l'ordonner Prêtre. On a des Sermons fort élégants de cet Ablavius. Il devint depuis Evêque des Novatiens de Nicée, et enseigna la Rhétorique dans cette Ville. [7,13] CHAPITRE XIII. Combat encre les Chrétiens, et les Juifs d'Alexandrie. Les Juifs furent chassés en ce temps-là d'Alexandrie par Cyrille. Le peuple de cette Ville est plus porté à la sédition que nul autre, et quand il est une fois ému, il ne s'apaise point qu'il n'ait répandu beaucoup de sang. Il ne s'émut alors que pour un sujet fort léger, et pour les spectacles des Bateleurs. Un Bateleur avait accoutumé de danser le samedi, et d'amasser une grande multitude de peuple, parce que les Juifs donnaient ce jour-là a leur divertissement, au lieu de l'employer à la lecture de la loi. Oreste Gouverneur de la Ville avait souvent tâché de réprimer ce désordre. Mais les Juifs qui étaient toujours fort animés contre le parti contraire, témoignèrent en cette occasion plus de chaleur que jamais, pour la défense des Bateleurs. Comme le Gouverneur était au théâtre pour y faire préparer ce qui était nécessaire pour la célébration des jeux, les partisans de Cyrille s'y trouvèrent, et entre autres un Professeur de Grammaire, nommé Hiérax, qui était toujours très assidu à ses Sermons, et qui y faisait plus de bruit par ses applaudissements, que nul autre. Dès que les Juifs l'aperçurent, ils s'écrièrent qu'il n'était venu que pour faire sédition. Il y avait longtemps que le Gouverneur regardait avec jalousie le pouvoir que s'attribuaient les Evêques, et les entreprises qu'ils faisaient sur la juridiction des Gouverneurs de Province, et se persuadant alors que Cyrille avait dessein de le troubler dans l'exercice de sa charge, il commanda que l'on arrêtât Hiérax, et que l'on lui donnât la question. Cyrille en ayant eu avis, envoya quérir les principaux d'entre les Juifs, et les menaça de les châtier, s'ils ne cessaient d'exciter des séditions contre les Chrétiens. Bien loin d'appréhender l'effet de cette menace, ils en devinrent plus furieux, et formèrent une conjuration, pour laquelle ils méritèrent d'être chassés de la Ville. Ils convinrent entre eux à se mettre à leur doigt un anneau d'écorce de Palmier, pour se reconnaître, et de fondre à main armée sur les Chrétiens. Ils envoyèrent plusieurs personnes crier durant la nuit, que le feu était à l'Eglise d'Alexandrie. Les Chrétiens étant accourus pour l'éteindre, les Juifs se jetèrent sur eux, et en tuèrent un grand nombre. A la pointe du jour Cyrille mena une multitude incroyable de peuple à la Synagogue, chassa les Juifs de la Ville, et permit de piller leurs biens. Ce peuple fut exterminé de la sorte d'Alexandrie, où il s'était établi dès le temps d'Alexandre Roi de Macédoine. Adamantius Professeur en Médecine, se réfugia chez Atticus Évêque de Constantinople, et s'étant converti à la Religion Chrétienne, retourna à Alexandrie. Oreste Gouverneur de cette Ville, eut un sensible déplaisir de voir qu'elle eût été privée par un si fâcheux accident, d'un si grand nombre d'habitants, et en écrivit à l'Empereur. Cyrille lui écrivit aussi, pour l'informer de l'insolence des Juifs, et envoya, à la prière du peuple, quelques personnes vers Oreste Gouverneur, pour tâcher de l'adoucir. Oreste ayant refusé de se réconcilier, Cyrille lui présenta le Livre de l'Evangile, pour l'obliger, par le respect de la Religion, à oublier son ressentiment. Mais il n'obtint rien de lui par ce moyen-là. [7,14] CHAPITRE XIV. Sédition excitée par des Moines contre le Gouverneur d'Alexandrie. Quelques Moines des montagnes de Nitrie, qui avaient été autrefois animés pat Théophile contre Dioscore, et ses trois frères, étant alors transportés par un zèle trop ardent, prirent les armes pour la défense de Cyrille. Etant sortis de leur solitude, au nombre d'environ cinq cents, ils allèrent dans Alexandrie, et ayant rencontré le Gouverneur Oreste, que l'on portait dans sa chaise, ils l'appelèrent Païen et Idolâtre. Ce Gouverneur jugeant que c'était un piège qui lui avait été dressé par Cyrille, s'écria qu'il était Chrétien, et qu'il avait été baptisé à Constantinople par Atticus. Les Moines faisant peu d'attention à ses paroles, un d'entre eux, nommé Ammonius, le blessa d'un coup de pierre à la tête, et le mit tout en sang. Ses Gardes appréhendant d'être lapidés, s'enfuirent de côté et d'autre; le peuple accourut au secours du Gouverneur, écarta les Moines, se saisit d'Ammonius, et le mit entre les mains du Gouverneur, qui le fit tourmenter avec tant de violence qu'il en mourut. Il écrivit en même temps aux Empereurs tout ce qui s'était passé. Cyrille leur écrivit aussi, et leur fit une relation fort différente de la sienne. Ayant redemandé le corps d'Ammonius, il le fit enterrer dans une Église, lui donna le nom de Thaumase, et le loua dans ses Sermons comme un Martyr qui avait perdu la vie pour la défense de la piété. Cette action de Cyrille ne fut pas approuvée par tous les Chrétiens, qui savaient qu'Ammonius, bien loin d'avoir perdu la vie pour la foi, n'avait souffert que le juste châtiment de son insolence. Aussi Cyrille s'efforça-t-il d'en ensevelir peu à peu la mémoire dans l'oubli. Mais son inimitié contre Oreste, bien loin de s'assoupir se réveilla par un nouvel accident. [7,15] CHAPITRE XV. Mort de la savante Hypatie. Il y avait dans Alexandrie une femme nommée Hypatie, fille du Philosophe Théon, qui avait fait un si grand progrès dans les sciences qu'elle surpassait tous les Philosophes de son temps, et enseignait dans l'école de Platon et de Plotin, un nombre presque infini de personnes, qui accouraient en foule pour l'écouter. La réputation que sa capacité lui avait acquise, lui donnait la liberté de paraître souvent devant les Juges, ce qu'elle faisait toujours, sans perdre la pudeur, ni la modestie, qui lui attiraient le respect de tout le monde. Sa vertu, toute élevée qu'elle était, ne se trouva pas au dessus de l'envie. Mais parce qu'elle avait amitié particulière avec Oreste, elle fut accusée d'empêcher qu'il ne se réconciliât avec Cyrille. Quelques personnes transportées d'un zèle trop ardent, qui avaient pour chef un Lecteur nommé Pierre, l'attendirent un jour dans les rues, et l'ayant tirée de sa chaise, la menèrent à l'Eglise nommée Césaréon, la dépouiIIèrent, et la tuèrent à coups de pots cassés. Après cela ils hachèrent son corps en pièces, et les brûlèrent dans un lieu appelé Cinaron. Une exécution aussi inhumaine que celle-là couvrit d'infamie non seulement Cyrille, mais toute l'Eglise d'Alexandrie, étant certain qu'il n'y a rien si éloigné de l'esprit du Christianisme que le meurtre et les combats. Cela arriva au mois de Mars durant le Carême, en la quatrième année du Pontificat de Cyrille, sous le dixième Consulat d'Honorius, et le sixième de Théodose. [7,16] CHAPITRE XVI. Meurtre commis par les Juifs. Les Juifs commirent bientôt après des cruautés horribles, dont ils furent punis comme ils méritaient. Comme ils se divertissaient en un lieu nommé Inmestar, assis entre Antioche et la Calcide, lorsqu'ils furent pleins de vin, ils commencèrent à se moquer de Jésus-Christ et des Chrétiens, et pour déshonorer plus outrageusement la Croix, et ceux qui y mettent leur confiance, ils prirent un enfant, l'attachèrent à une Croix, et se mirent à en rire et à s'en divertir. Puis étant transportés de fureur, ils lui donnèrent tant de coups qu'il en mourut. Cette cruelle exécution ayant excité une petite guerre entre les Juifs et les Chrétiens, les Empereurs envoyèrent ordre aux Gouverneurs d'informer contre les coupables, et de les punir. Ainsi les Juifs furent châtiés de cette action barbare qu'ils avaient commise comme en riant. [7,17] CHAPITRE XVII. Miracle arrivé au Baptême d'un Juif. Chrysante Evêque des Novatiens étant mort le seizième jour du mois d'Août, sous le Consulat de Monaxius et de Plinthas, Paul fut élu pour remplir sa place. Il avait enseigné la Rhétorique en Latin, et depuis avait renoncé à cette profession pour mener une vie solitaire, et tout-a-fait semblable à celle qu'Evagre témoigne que mènent les Moines. Il observait comme eux le jeûne, l'abstinence de certaines viandes, et le silence. Il prenait un soin particulier d'assister les pauvres, de visiter les prisonniers, et de solliciter les Juges en leur faveur. Sans m'engager à faire ici son éloge, je me contenterai de rapporter une action digne d'être connue de la postérité. Un Juif faisant semblant d'être Chrétien, avait reçu plusieurs fois le Baptême, et avait amassé beaucoup d'argent par cette détestable imposture. Après avoir trompé les Evêques de plusieurs sectes, et avoir reçu le Baptême de la main des Ariens, et des Macédoniens, il se présenta à Paul, à dessein de le tromper encore de la même sorte. Cet Evêque loua son intention, l'instruisit des vérités de notre Religion, et l'obligea à jeûner durant plusieurs jours. Le Juif ennuyé de la longueur et de l'austérité de ce jeûne, pressait fort qu'on lui donnât le Baptême. Paul ne le voulant pas affliger par trop de remises, lui acheta une robe blanche, fit mettre de l'eau dans les fonds, et l'y mena. L'eau étant disparue, par un effet secret de la puissance divine, Paul et les autres qui étaient présents, crurent quelle s'était écoulée par les canaux, par où elle a accoutumé de s'écouler, et les ayant fait boucher avec plus de soin, on en versa d'autre dans les fonds ; mais elle disparut comme celle qui l'avait été mise auparavant. Alors Paul dit au Juif: Ou vous êtes mal disposé à recevoir le Baptême, ou vous l'avez déjà reçu. Le peuple étant accouru en foule pour voir ce miracle, quelques-uns reconnurent l'imposteur, et découvrirent qu'il avait reçu le Baptême de la main d'Atticus. [7,18] CHAPITRE XVIII. Guerre entre les Perses, et les Romains. Défaite des Perses. Isdigerde Roi de Perse, qui avait toujours été allés favorable aux Chrétiens, étant mort, Vararane son fils et son successeur, les persécuta à la suscitation des Mages, et exerça contre eux une si étrange cruauté, qu'ils furent obligés de se réfugier parmi les Romains. Atticus Évêque de Constantinople les reçut avec beaucoup de charité, et pria l'Empereur Théodose de prendre leur protection. Il survint dans le même temps d'autres sujets de différents entre les Perses et les Romains. Ceux-là ne voulaient point renvoyer à l'Empereur des ouvriers qu'il leur avait prêtés pour travailler aux mines d'or, ni rendre aux marchands les marchandises qu'ils leur avaient prises. Outre cela ils redemandaient les Chrétiens qui avoient abandonné leur état. Les Romains n'avaient garde de les livrer, et ils étaient prêts de tout faire, plutôt que de les abandonner à la cruauté des Perses. La guerre ayant donc été déclarée, l'Empereur envoya une partie de ses troupes sous la conduite d'Ardabure, qui étant entré par l'Arménie dans l'Azazéne, y fit le dégât. Narsès Général des Perses alla au devant de lui, fut vaincu, et mis en fuite. Il entreprit incontinent après, pour se venger de sa défaite, de faire irruption sur les terres des Romains du côte de la Mésopotamie, où il n'y avait point de troupes. Mais Ardabure ayant été averti de son dessein, se hâta de ravager l'Azazène, et étant entré dans la Mésopotamie, l'empêcha d'y faire irruption. Narsès étant allé à Nisibe, Ville assise sur la frontière des deux nations, envoya offrir le combat à Ardabure, et lui demander à quel jour il lui plaisait de le donner. Ardabure lui fit cette réponse ; Sachez que les Romains ne combattront pas quand il vous plaira. L'Empereur ayant considéré que les Perses avaient assemblé toutes leurs forces mit en Dieu son espérance, et envoya des recrues à son armée. Comme les habitants de Constantinople appréhendaient l'événement du combat, des Anges apparurent à quelques personnes en Bithynie, et leur commandèrent de rapporter à la Ville que les Romains remporteraient la victoire, et que Dieu leur avait donné ordre de les défendre. Les habitants furent rassurés par cette promesse, et les soldats en conçurent une nouvelle ardeur. La guerre étant passée d'Arménie en Mésopotamie les Romains assiégèrent les Perses dans Nisibe, approchèrent leurs Tours des murailles, et tuèrent un grand nombre de ceux qui les défendaient. Vararane ayant appris que l'Azazène avait été ruinée par les armes des Romains, et que Nisibe était assiégée, se résolut de matcher lui-même à la tête de ses troupes, et implora le secours des Sarrasins, commandés par Alamondare homme vaillant, qui lui promit de réduire les Romains sous sa puissance, et de reprendre la Ville d'Antioche. Mais ces promesses si magnifiques ne furent suivies d'aucun effet. Car les Sarrasins ayant été surpris d'une terreur panique, s'imaginèrent être poursuivis par les Romains , et se précipitèrent eux- mêmes dans l'Euphrate, bien qu'ils fussent prés de cent mille. Cette prodigieuse multitude étant périe de la sorte, les Romains qui assiégeaient Nisibe apprirent que le Roi de Perse amenait contre eux des Eléphants, et ayant été saisis de peur, ils brûlèrent leurs machines, et s'en retournèrent en leur pays. Je crois devoir omettre les combats qui furent donnés depuis la célèbre victoire que les Romains remportèrent sous la conduite d'Aréobinde, la prise et la mort de sept Capitaines Perses, qui tombèrent entre les mains d'Ardabure, la défaite des Sarrasins par Vitien, de peur de m'éloigner trop de mon sujet. [7,19] CHAPITRE XIX Diligence extraordinaire d'un Courrier nommé Palladius. Bien que toutes ces choses que je viens de raconter se fussent passées fort loin de Constantinople, l'Empereur ne laissa à pas d'en être informé en très peu de temps. Il avait parmi ses sujets un homme d'une extraordinaire force de corps et d'esprit, nommé Palladius, qui courait la poste avec une telle vitesse, qu'en trois jours il allait de Constantinople à la frontière de Perse, et en trois autres jours revenait à Constantinople. II fit plusieurs autres voyages par l'ordre de l'Empereur, et la diligence avec laquelle il s'en acquitta, fut si extraordinaire, qu'un éloquent homme de ce temps-là, dit fort agréablement, que bien que les bornes de l'Empire fussent fort éloignées, il semblait les rapprocher. Le Roi de Perse était lui-même étonné de la manière avec laquelle cet homme se trouvait partout en si peu de temps. [7,20] CHAPITRE XX. Nouvelle défaite des Perses. L''empereur usa avec une si grande modération de la victoire que Dieu lui avait accordée qu'il souhaita de faire la paix, et envoya, pour cet effet Hélion en Perse. Lorsqu'il fut arrivé en Mésopotamie, à l'endroit où les Romains avaient creusé un grand fossé pour leur défense, il envoya devant lui Maximin Assesseur d'Ardabure, Maître de la milice, pour faire les premières propositions. Comme ce Maximin était fort éloquent, il dit au Roi de Perse qu'il avait été envoyé pour faire la paix, non par l'Empereur qui ne savait rien de la guerre ; mais par les Chefs de son armée. Le Roi de Perse était assez disposé à la paix, parce que ses troupes manquaient de vivre. Mais ceux d'entre ses soldats qui sont surnommés Immortels, et qui étaient au nombre de dix mille, lui conseillèrent de ne rien conclure, qu'ils n'eussent attaqué les Romains à l'improviste. Le Roi ayant approuvé leur avis leur permit de faire ce qu'ils jugeraient à propos, et commanda d'enfermer cependant l'Ambassadeur. Les Immortels se divisèrent en deux bandes à dessein de surprendre les Romains. Ceux-ci n'ayant vu qu'une des deux bandes se mirent en devoir de la recevoir. Au même instant d'autres Romains commandés par Procope Maître de la milice ayant aperçu du haut d'une colline, que leurs compagnons étaient en danger, se rendirent pour les défendre, et ayant enveloppé les Perses, les taillèrent en pièces. Ils marchèrent ensuite vers l'autre bande, et la défirent comme la première. Ainsi ces troupes qu'on appelait Immortelles parurent sujettes à la mort. Plusieurs crurent que cette défaite était un juste châtiment, par lequel Dieu vengeait le sang d'un grand nombre de personnes de piété, que ces peuples avaient fait périr par divers genres de supplices. Le Roi de Perse feignit ne savoir rien de la perte de ses armées, et ayant fait venir Maximin devant lui, il lui parla en ces termes. J'accepte la paix, non par l'appréhension de la puissance des Romains, mais par le désir de vous obliger, vous, dis-je, que j'estime comme un des plus prudents de leur nation, et ainsi cette guerre qui avait été entreprise à l'occasion des Chrétiens, qui souffraient persécution en Perse, fut terminée en la quatrième année de la trois centième olympiade, sous le treizième Consulat d'Honorius, et le dixième de Théodose. [7,21] CHAPITRE XXI. Charité singulière d'Acace Évêque d'Amide, envers les prisonniers Perses. Agace Evêque d'Amide fit en ce temps-là une action qui releva merveilleusement l'éclat de la vertu. Ayant vu avec une extrême douleur que sept mille Perses, que les Romains avaient pris prisonniers, lorsqu'ils avaient ravagé l'Azazène, mouraient de faim, assembla ses Ecclésiastiques, et leur dit : Dieu n'a besoin, ni de plats, ni de pots, puisqu'il ne boit, ni ne mange. Il est donc juste de vendre quantité de vases d'or et d'argent que l'Eglise possède par la libéralité des Fidèles, et d'en employer le prix à racheter, et à nourrir les prisonniers. Ayant donc fait fondre tous ces vases, il paya aux soldats la rançon des prisonniers, les nourrit quelque temps et les renvoya avec de l'argent pour la dépense de leur voyage. Une action aussi extraordinaire que celle-là donna de l'étonnement au Roi de Perse, et lui fit avouer que les Romains le surpassaient autant en magnificence durant la paix, qu'en valeur durant la guerre. On dit même qu'il souhaita de voir un si grand homme, et que l'Empereur Théodose lui permit d'aller trouver ce Prince. Après que Dieu eut accordé une si glorieuse victoire aux Romains , le plus éloquents du siècle prononcèrent des Panégyriques en l'honneur de l'Empereur. L'Impératrice même, qui était fille de Léonce, Sophiste Athénien, composa un Poème en vers héroïques. Atticus la baptisa un peu avant que l'Empereur l'épousât, et la nomma Eudoxie, au lieu qu'elle s'appelait auparavant Athénaïs. Ces Orateurs entreprirent ces ouvrages, pour acquérir de la réputation, et pour se taire connaître du Prince. [7,22] CHAPITRE XXII. Vertus de l'Empereur Théodose. Bien que je ne cherche, ni à être connu du Prince, ni à acquérir de la réputation par mes discours, je ne laisserai pas de représenter les vertus de Théodose ; parce que je suis persuadé que ce serait faire tort à la postérité, que de les passer sous silence. Il a été élevé dans la souveraine autorité, sans être élevé dans la mollesse. Il a fait paraître dès sa jeunesse la prudence d'un âge plus avancé. Il s'est accoutumé de bonne heure à souffrir le chaud et le froid, et à observer les jeûnes prescrits par l'Eglise. Il a établi dans son Palais une manière de vivre aussi exacte, et aussi réglée que celle des Monastères. Il récitait tous les matins des Hymnes avec ses sœurs, et apprenait par cœur la sainte Ecriture. Il en conférait souvent avec les Évêques, et en pénétrait les sens les plus cachés, comme aurait pu faire un Ecclésiastique qui aurait employé toute sa vie à cette étude. Il prit un plus grand soin d'en amasser les Versions et les Interprètes, que ne fit jamais Ptolémée. Il surpassa en douceur, et en clémence tous les Princes de l'antiquité. Julien tout Philosophe qu'il était ne pût retenir les mouvements de sa colère, lorsqu'il fut raillé par les habitants d'Antioche, mais fit souffrir à Théodose de cruels supplices. Théodose ne se vantait pas comme lui d'être savant en Philosophie. Il ne s'était point mis en peine d'apprendre les vaines subtilités des arguments d'Aristote. Mais il vivait en vrai Philosophe ; parce qu'il commandait à ses passions, et qu'il ne s'abandonnait, ni au plaisir, ni à la douleur. Jamais il n'a vengé les injures qu'il a reçues, et jamais on ne l'a vu en colère. Quelqu'un lui ayant un jour demandé comment il n'avait jamais condamné à la mort aucun de ceux qui l'avaient offensé, il lui répondit, bien loin de les condamner à la mort, je voudrais leur pouvoir rendre la vie. Une autre fois il fit cette autre réponse. Il est aisé de faire mourir un homme : mais il n'y a que Dieu qui le puisse ressusciter. Il avait contracté une si forte habitude de clémence, que jamais personne ne fut exécuté à mort sous son règne ; et que ceux qui furent condamnés reçurent leur grâce, avant que d'avoir été conduits hors de la Ville, jusques au lieu du supplice. Comme il donnait un jour un combat de bêtes dans Constantinople, le peuple demanda qu'on fit combattre un homme contre une de ces bêtes : Et il répondit, Ne savez-vous pas qu'il n'y a rien de cruel, ni d'inhumain dans les spectacles où nous avons accoutumé d'assister ; et par cette parole, il fit oublier au peuple les divertissements barbares. Il avait un singulier respect pour les Ecclésiastiques ; mais principalement pour ceux qui excellaient en sainteté. L'Évêque de Chébrone étant mort à Constantinople, il désira d'avoir son sayon, et bien qu'il fût fort mauvais, il s'en servit au lieu de manteau, dans la créance qu'il lui communiquerait la piété de ce saint Evêque. Une tempête extraordinaire s'étant élevée au milieu des jeux, il fit dire au peuple par un Héraut, il vaut mieux nous mettre en prières que de chercher notre divertissement, et à l'heure-même, faisant comme une Eglise de toute Ville, il commença les Hymnes, et apaisa la tempête par les prières, de sorte que l'année fut fort fertile. Lorsqu'il s'élevait une guerre, il avait recours, à l'imitation de David, au Dieu des armées, et obtenait la victoire par sa piété. Je crois devoir rapporter celle que Dieu lui accorda sur le Tyran Jean, le quinzième jour du mois d'Août, sous le Consulat d'Asclépiodote, et de Marinien, après la mort de l'Empereur Honorius ; parce qu'elle est extrêmement remarquable, et qu'elle contient quelque chose de fort semblable au miracle que Dieu fit autrefois, pour faire passer la mer rouge aux Juifs, sous la conduite de Moïse. Je ne la représenterai néanmoins, qu'en peu de paroles, sans entreprendre d'en remarquer toutes les circonstances, qui demanderaient un grand Ouvrage. [7,23] CHAPITRE XXIII. Mort de Jean, qui avait voulu usurper l'autorité Souveraine. Théodose ayant appris la mort d'Honorius, la tint la plus secrète qu'il lui fut possible, et envoya des troupes à Salone, Ville de Dalmatie, pour apaiser les troubles qui pourraient s'élever en Occident. Quand il eut donné les ordres nécessaires, il déclara la mort d'Honorius son oncle. Sur ces entrefaites, Jean Primecier des Secrétaires d'Etat, ne pouvant se contenter de sa Charge, entreprit de se rendre maître de l'autorité Souveraine ; et envoya prier Théodose de l'associer à l'Empire. Au lieu de rendre réponse à ses Ambassadeurs, il commanda de les arrêter, et fit partir Ardabure, qui peu auparavant avait glorieusement terminé la guerre des Perses. II alla d'abord à Salone, et de là se mit sur mer pour passer à Aquilée ; mais il eut le malheur d'être jeté par un vent contraire, entre les mains de ses ennemis; et ce malheur-là même fut la cause de la victoire que les Romains remportèrent. La prise du Maître de la milice, fit espérer à l'usurpateur d'être associé à l'Empire, et appréhender à l'Empereur que le Maître de la milice ne souffrit un rigoureux traitement. Aspar, fils d'Ardabure, ne savait à quoi se rejoindre, quand il considérait d'un côté que son père était en la puissance des barbares, et que de l'autre, leur parti se fortifiait de jour en jour. Mais la piété de Théodose surmonta ces difficultés. Un Ange parut à Aspar sous la forme d'un paysan, et lui montra un endroit par où il pouvait passer un étang proche de Ravenne, que personne n'avait jamais passé. Ayant donc passé à travers cet étang, avec la même facilité que s'il eut marché sur la terre, il arriva à Ravenne, en trouva les portes ouvertes, et y prit Jean. Théodose reçut la nouvelle de sa prise et de sa mort dans l'Hippodrome, où il assistait aux jeux publics, et à l'heure-même il dit au peuple : Quittons les divertissements de ces spectacles, pour aller rendre à Dieu des actions de grâces. Toute la Ville marcha en procession vers l'Église, et passa tout le jour en prières. [7,24] CHAPITRE XXIV. Valentinien est déclaré Empereur. Après la mort de Jean, Théodose songea à établir un Empereur en Occident, et choisit Valentinien son cousin, fils de Placidie sa tante, et qui était sœur d'Arcadius et d'Honorius, et de Constance, qui avait été associé par Honorius à l'Empire. Il lui donna donc le titre de César, et l'envoya en Occident avec Placidie sa mère, pour gouverner durant son bas âge. Il avait dessein, et d'aller lui-même en Occident pour le déclarer Empereur, et pour maintenir les peuples dans l'obéissance. Mais étant tombé malade à Thessalonique, il lui envoya le diadème par Hélion Patrice, et retourna à Constantinople. [7,25] CHAPITRE XXV. Eloge d'Atticus Evêque de Constantinople. Atticus gouvernait cependant l'Eglise de Constantinople avec une merveilleuse prudence. Comme les Joannites s'assemblaient à part, il ordonna de faire commémoration de Jean dans les prières publiques, de même que des autres Evêques qui étaient morts dans la communion des fidèles, et réunit par ce moyen un grand nombre de personnes à l'Eglise. Sa charité se répandit jusques sur les autres Diocèses, et il envoya. trois cents pièces d'or à Calliopius Evêque avec cette Lettre. Atticus à Calliopius, Salut en notre Seigneur. J'ai appris qu'il y a dans votre Ville un grand nombre de personnes qui ont besoin du discours des gens de bien. Ayant donc reçu quelque argent de la main de celui qui donne libéralement aux sages dispensateurs, je vous envoie trois cents pièces d'or, pour les distribuer selon votre prudence, à ceux qui sont dans la nécessité. Je ne doute point que vous ne choisissiez ceux que la honte empêche de demander, plutôt que ceux qui ne demandent que pour se nourrir dans l'oisiveté. En faisant ces aumônes, n'ayez point d'égard aux différends touchant la Religion, et soulagéz ceux qui ne sont pas de notre sentiment, si vous reconnaissez qu'ils soient pressés par la faim et par la misère. Voila de quelle manière Atticus pourvut aux besoins des pauvres les plus éloignés. Il prit un grand soin d'abolir la superstition. Ayant appris que ceux qui avaient faits schisme entre les Novatiens, au sujet de la célébration de la Fête de Pâques, avaient fait apporter le corps de Sabbatius de l'île de Rhodes, et qu'ils faisaient la nuit des prières à son tombeau, il le fit déterrer, et cacher en un autre endroit. Ces superstitieux n'ayant plus trouvé le tombeau, cessèrent de s'assembler. II appela g-therapeian, c'est-à-dire ministère ou office, un Havre qui est à l'embouchure du Pont-Euxin; au lieu qu'on l'appelait auparavant g-pharmakous, c'est-à-dire empoisonneur ; de peur que le lieu où se faisaient les assemblées de l'Eglise, ne fût déshonoré par ce vilain nom. Il donna aussi le nom d'ArgyropoIe à un Faubourg de Constantinople, par l'occasion que je dirai. Il y a à la tête du Bosphore un ancien Havre nomme Chrysopole, dont Strabon, Nicolas de Damas, et Xénophon font mention. Ce dernier Auteur dit dans le premier Livre de son Histoire, qu'Alcibiade l'ayant fait fermer de murailles, y établit un impôt, que payaient ceux qui naviguaient sur le Pont-Euxin. Atticus ayant considéré que ce premier lieu dont j'ai parlé, qui est vis-à-vis de Chrysopole, était d'une aspect fort agréable, le nomma Argyropole. Quelques-uns lu ayant dit qu'il ne fallait pas permettre que les Novatiens fissent leurs assemblées dans les Villes : Vous ne savez pas, leur répondit-il, combien ils ont souffert de mauvais traitements avec nous sous le règne de Constance, et de Valens ; et bien qu'ils se soient séparés de nous, ils n'ont rien changé dans la foi. Etant allé à Nicée pour y sacrer un Évêque, il y vit Asclépiade Évêque des Novatiens, et lui demanda combien il y avait de temps qu'il exerçait cette Charge. Asclépiade lui ayant répondu qu'il y avait cinquante ans : Vous êtes heureux, lui répliqua-t-il, d'avoir passé un si longtemps dans une si sainte fonction. Il lui dit une autre fois : Je loue Novat, mais je n'approuve pas les Novatiens. Asclépiade ayant paru étonné de cette parole, et lui en ayant demandé la raison, il lui dit: Je loue Novat de n'avoir pas voulu admettre à la communion ceux qui avaient sacrifié aux Idoles, et je ne les aurais pas admis non plus que lui; mais je ne saurais souffrir que les Novatiens en retranchent les Laïques pour des fautes assez légères. Asclepiade lui répondit: Outre l'Idolatrie, il y a plusieurs autres péchés à la mort, comme parle la sainte Ecriture, pour lesquels vous retrancher les Clercs de la communion, et pour lesquels nous en retranchons aussi les Laïques, réservant à Dieu le pouvoir de leur pardonner. Au reste Atticus prédit le temps de sa mort. Car en partant de Nicée il dit à Calliopius, si vous voulez me voir, venez à Constantinople avant l'Automne, car si vous venez plus tard, vous ne me trouverez plus en vie. Sa prédiction fut accomplie, il mourut le dixième jour du mois d'Octobre, en la vingtième année de son Pontificat sous l'onzième Consulat de Théodose, et le premier de Valentinien. L'Empereur Théodose retourna de Thessalonique à Constantinople, le lendemain du jour auquel cet Évêque avait été enterré. On reçut bientôt après la nouvelle que Valentinien avait été proclamé Empereur le treizième jour du mois d'Octobre. [7,26] CHAPITRE XXVI. Sisinnius est choisi pour succéder à Atticus. Après la mort d'Atticus, il s'éleva une grande contestation dans la Ville de Constantinople, pour l'élection d'un autre Évêque. Les uns demandaient Philippe, les autres Proclus , mais le plus grand nombre souhaitait avec passion Sisannius. Il était Prêtre comme les deux autres, et n'avait néanmoins qu'une Eglise dans le Faubourg d'Elée, où le peuple s'assemblait tous les ans pour célébrer la Fête de l'Ascension du Sauveur. La réputation de sa piété, et le soin qu'il prenait du soulagement des pauvres, le faisait désirer par les Laïques avec une ardeur incroyable. Il fut donc ordonné le dernier jour du mois de Février, sous le douzième Consulat de Théodose, et le second de Valentinien. Philippe irrité de ce qu'un autre lui avait été préféré, trouva beaucoup de choses à redire dans cette élection, qu'il eut la témérité d'insérer dans son Histoire des Chrétiens. Comme je ne puis approuver ce qu'il a écrit contre Sisinnius, contre ceux qui lui avaient imposé les mains, et principalement contre les Laïques qui l'avaient souhaité pour Évêque, je n'ai garde de le répéter. Je dirai pourtant quelque chose de ses Ouvrages. [7,27] CHAPITRE XXVII. Des Ouvrages de Philippe. Il était natif de Side Ville de Pamphile, d'où était aussi le Sophiste Troïle, dont il tenait à grand honneur d'être parent. Lorsqu'il n'était que Diacre, il avait eu habitude particulière avec Jean Evêque de Constantinople. Il amassa quantité de Livres de toute sorte de sciences, et en composa quantité, d'un style Asiatique. Il réfuta Julien, fit l'Histoire des Chrétiens, et la divisa en trente six Livres, dont chacun est encore divisé en plusieurs Tomes. On lit à la tête de ces Tomes, des arguments aussi longs, et aussi étendus que les Tomes mêmes. Il a donné à cet Ouvrage le titre d'Histoire des Chrétiens, au lieu de lui donner le titre d'Histoire de l'Eglise. Il y a mêlé quantité de questions de Philosophie, et de Théorèmes de Géométrie, d'Arithmétique et de Musique pour faire paraître son érudition. Il y a fait force descriptions d'îles, de montagnes, et de forêts; ce qui a rendu son Histoire trop diffuse, et également inutile, selon mon opinion, aux savants, et aux ignorants; ceux-ci n'étant pas capables d'en connaître les beautés, et ceux-là n'en pouvant approuver les redites. Que chacun en juge pourtant comme il lui plaira. Pour moi je trouve qu'il confond l'ordre des temps. Car après avoir rapporté ce qui s'est passé sous le règne de Théodose , il remonte aux affaires d'Athanase Evêque d'Alexandrie, et en use fort souvent de cette manière. Voila ce que j'avais à dire de Philippe Voyons maintenant ce qui arriva sous le Pontificat de Sisinnius. [7,28] CHAPITRE XXVIII. Proclus est sacré Évêque de Cyzique par Sisinnius. L'Évêque de Cyzique étant mort, Sisinnius sacra Proclus pour lui succéder. Mais avant qu'il fût arrivé en cette Ville-là, les habitants élurent un Moine nommé Dalmatius, au préjudice du Canon, par lequel il est ordonné, que nul ne soit fait Evêque, sans le consentement de l'Evêque de Constantinople ; et ils prétendirent que ce privilège n'avait été accordé qu'à la personne d'Atticus. Ainsi Proclus fut obligé de demeurer à Constantinople, où il se rendit fort célèbre par ses Prédications. Nous parlerons encore de lui dans son lieu. Cependant Sisinnius mourut le quatorzième jour du mois de Décembre, sous le Consulat de Hiérie, et d'Ardabure, avant que d'avoir gouverné deux ans entiers son Eglise. C'était un homme fort recommandable par l'austérité de sa vie, par la sainteté de ses mœurs, et par sa charité envers les pauvres. La douceur de son naturel, et l'amour qu'il avait pour le repos déplaisait aux personnes inquiètes, et entreprenantes, et le faisait accuser de paresse et d'oisiveté. [7,29] CHAPITRE XXIX. Nestorius est tiré de l'Eglise d'Antioche, et élu sur le Siège de celle de Constantinople. L'ambition que les Ecclésiastiques de Constantinople avaient de parvenir au gouvernement de cette Eglise, fit résoudre l'Empereur de ne plus permettre qu'aucun d'entre eux eu fût élu Évêque, et de faire élire un Ecclésiastique d'une autre Eglise, malgré les brigues que quelques-uns faisaient pour Philippe, et d'autres pour Proclus. On convint donc de faire venir d'Antioche Nestorius natif de Germanie, homme éloquent et célèbre Prédicateur. Il arriva trois mois après, et acquit grande imputation par l'austérité de sa vie. Au reste son premier Sermon fit reconnaitre aux personnes intelligentes le caractère de son esprit, et de ses mœurs. Car ayant été sacré le dixième jour du mois d'Avril, sous le Consulat de Félix et de Taurus, il dit à l'Empereur en présence de tout le peuple cette parole si remarquable : purgez la terre des hérétiques, et je vous donnerai le Ciel en récompense, faites-leur la guerre avec moi, et je la ferai avec vous aux Perses. Bien que l'aversion que plusieurs personnes du peuple avaient pour les hérétiques leur fit approuver ce discours, les plus éclairés en condamnèrent la vanité, et la violence, et s'étonnèrent de voir un homme qui, avant que d'avoir goûté, comme on dit, de l'eau de la Ville, déclarait qu'il voulait persécuter ceux qui n'étaient pas de son sentiment. Cinq jours après qu'il eut été sacré, il entreprit d'abattre l'Eglise où les Ariens faisaient secrètement leurs assemblées, et les réduisit à tel désespoir, qu'ils y mirent le feu, qui après l'avoir consumée s'étendit aux maisons voisines. Cet embrasement excita un désordre extraordinaire, que l'ardeur dont les Ariens brûlaient de le venger, aurait augmenté, si Dieu n'avait eu la bonté de l'assoupir. Depuis ce temps-là Nestorius fut toujours appelé incendiaire, non seulement par les hérétiques, mais aussi par ceux de sa communion. Il n'en devint pas pour cela plus modéré envers les premiers, mais continua à les attaquer, et à troubler la tranquillité publique. Il fit tout ce qu'il pût pour tourmenter les Novatiens par jalousie contre Paul leur Évêque, dont tout le monde respectait la sainteté. Mais les Empereurs arrêtèrent un peu ses emportements. Je crois devoir passer sous silence les rigueurs qu'il exerça contre les peuples d'Asie, de Lydie, et de Carie, qui célèbrent la Fête de Pâques le quatorzième jour de et la Lune, et les meurtres qui furent commis pour ce sujet à Milète et à Sardes. Nous verrons en son lieu comment il fut châtié de ces violences, et de sa trop grande liberté de parler. [7,30] CHAPITRE XXX. Les Bourguignons embrassent la Religion Chrétienne. Je rapporterai ici un événement fort remarquable qui arriva en ce temps-là. Les Bourguignons habitent au delà du Rhin, et mènent une vie fort tranquille. Ils travaillent en Menuiserie, et se nourrissent de leurs ouvrages. Les Huns ayant fait irruption en leur pays, et en ayant tué un grand nombre, ceux qui restèrent eurent recours à Dieu au lieu d'avoir recours aux hommes, et ayant reconnu que celui que les Romains adorent protège puissamment ceux qui le servent avec une crainte religieuse : ils résolurent de faire profession de la foi de Jésus Christ ; et pour cet effet ils allèrent trouver un Évêque des Gaules, et lui demandèrent le Baptême. Cet Évêque les ayant instruits des vérités de la Religion, et les ayant fait jeûner sept jours, leur donna le Baptême, et les renvoya. Ils attaquèrent ensuite les Huns avec une généreuse confiance. Optar Roi de ces peuples ayant été étouffé une nuit par la quantité des viandes qu'il avait mangées, les Bourguignons les attaquèrent dans le temps qu'ils n'avaient plus de Chef, et bien qu'ils ne fussent que trois mille, ils en défirent dix mille. Ils sont demeurés depuis fort attachés à la Religion Chrétienne. Barbas Evêque des Ariens étant mort le quatorzième jour du mois de Juin, sous le treizième Consulat de Théodose et le troisième de Valentinien, Sabbatius fut choisi pour remplir sa place. [7,31] CHAPITRE XXXI. Persécution excitée par Nestorius contre les Macédoniens. Bien que la conduite que tenait Nestorius fût fort contraire à l'esprit de l'Eglise, elle ne laissa pas d'être suivie en quelques endroits, comme il paraîtra par le récit que je ferai en cet endroit. Antoine Évêque de Germe Ville de l'Hellespont persécuta avec fureur les Macédoniens, sous prétexte qu'il agissait en cela selon les intentions et les ordres du Patriarche. Les Macédoniens ne pouvant souffrir la dureté des traitement qu'il leur faisait, se portèrent à un extrême désespoir que de suborner deux hommes qui l'assassinèrent. Ce meurtre donna sujet à Nestorius de continuer ses violences contre eux, et de persuader à l'Empereur de leur ôter les Eglises dont ils jouissaient. On leur ôta celle qu'ils avaient à Constantinople, vis-à-vis des vieilles murailles, celle de Cyzique, et quantité d'autres dans les Bourgs de l'Hellespont. Plusieurs d'entre eux changèrent de créance, et firent profession de la Consubstantialité du Fils de Dieu. Mais les ivrognes ne manquent jamais de vin, comme porte le proverbe ni les querelleurs de sujets de contester. Il arriva donc que Nestorius qui chassait les autres de l'Eglise, en fut lui-même chassé. [7,32] CHAPITRE XXXII. Nestorius est engagé par un Prêtre nommé Anastase à soutenir que la Vierge ne doit point être appelée Mère de Dieu. Nestorius avait amené d'Antioche un Prêtre nommé Anastase pour lequel il avait une estime particulière, et dont il se servait dans toutes les affaires les plus importantes. Cet Anastase prêchant un jour dans L'Eglise dit que personne n'appelle Marie, Mère de Dieu. Marie a été une femme, et Dieu ne saurait naître d'une femme. Cette parole scandalisa plusieurs personnes du Clergé, et du peuple qui avaient appris à faire profession de la Divinité de Jésus Christ, suivant ce que l'Apôtre dit : Bien que nous ayons connu Jésus Christ selon la chair, nous ne l'y connaissons plus maintenant, et en un autre endroit : Laissons ce discours touchant Jésus Christ, et tâchons d'arriver à la perfection. La proposition d'Anastase ayant donc excité, comme j'ai dit, un grand scandale, Nestorius qui ne trouvait pas bon qu'on accusât d'impiété un Prêtre pour lequel il avait une estime particulière, entreprit de le défendre, agita la question dans l'Eglise avec beaucoup d'opiniâtreté, et rejeta toujours constamment la qualité de Mère de Dieu. Chacun ayant conçu la question en sa manière, il s'émut une contestation semblable aux combats qui se donnent dans l'obscurité, sans que personne fût fort ferme, ni fort confiant dans son sentiment. Plusieurs croyaient que Nestorius avait dessein d'introduire l'erreur de Paul de Samosate, et de Photin, et d'assurer que notre Seigneur n'est qu'un pur homme. Cette question fut agitée avec tant de chaleur, qu'on ne la pût jamais terminer sans assembler un Concile général Pour moi ayant lu les livres de Nestorius, j'ai trouvé que ce n'était qu'un ignorant. Je dirai la vérité telle quelle est, et comme ce n'a été par aucune aversion pour sa personne que j'ai parlé de ses défauts, je ne rabaisserai point ses bonnes qualité par aucune complaisance pour ses ennemis. Il me semble qu'il n'est point tombé dans l'erreur de Paul de Samosate, ni de Photin, et qu'il n'a point cru que notre Seigneur n'était qu'un pur homme. Il a été épouvanté du mot de Mère de Dieu, comme d'un fantôme , et cette épouvante n'a procédé que de son ignorance. La facilité qu'il avait de parler le faisait paraître savant, bien qu'il ne le fût point. Il n'avait point lu les Livres des anciens Interprètes ; et c'était l'orgueil que son éloquence lui avait donné qui l'empêchait de les lire, parce qu'il s'estimait si fort, qu'il méprisait tous les autres. Il ne savait pas que ces paroles se trouvent écrites dans les anciens exemplaires de l'Epître Catholique de saint Jean : Tout esprit qui sépare Jésus Christ de Dieu, n'est pas de Dieu. Car ces paroles ont été effacées par ceux qui ont nié la Divinité de Jésus Christ, comme il a été remarqué par les anciens Interprètes. L'humanité est jointe à la Divinité dans le Sauveur, et il n'y a qu'une personne. Les anciens s'étant appuyés sur ce passage n'ont point fait de difficulté d'appeler Marie Mère de Dieu. Eusèbe surnommé Pamphile, écrit ce qui suit dans le troisième livre de la vie de Constantin : Emanuel, c'est à-dire, Dieu avec nous, a bien voulu naître pour l'amour de nous, et le lieu où il est né a été appelé Bethléem par les Juifs. C'est pourquoi, l'Impératrice Hélène a eu la piété d'honorer par des riches ornements, le lieu où la Vierge a mis le Sauveur au monde. Origène explique la manière dont la Vierge est appelée Mère de Dieu, et traite la question fort amplement dans le troisième Livre de ses Commentaires, sur l'Epître de saint Paul aux Romains. Il est donc clair que Nestorius ne savait rien des Ouvrages des anciens, et c'est pour cela qu'il n'attaque, comme je l'ai dit, que le mot de Mère de Dieu : car il paraît assez par les Homélies qu'il a publiées, qu'il n'a jamais tenu, comme Photius et Paul de Samosate, que notre Seigneur n'a été qu'un pur homme, puisqu'il n'y nie jamais la personne du Verbe, comme non seulement ces hérétiques que je viens de nommer; mais encore les Manichéens, et les Montanistes ont osé faire. J'ai reconnu tant par la lecture des Livres de Nestorius, que par les conversations que j'ai eues avec ceux qui soutenaient ses intérêts, que c'était là son véritable sentiment. Cependant l'impertinence avec laquelle il a agité cette question a étrangement troublé la paix de l'Eglise. [7,33] CHAPITRE XXXIII. Meurtre commis dans l'Eglise. L'Eglise fut profanée dans le même temps par un horrible sacrilège. Les esclaves d'un étranger de grande qualité s'y étant réfugiés pour éviter la cruauté de leur maître, s'avancèrent jusques à l'Autel l'épée à la main, et au lieu de déférer aux prières qu'on leur faisait de se retirer, ils s'obstinèrent à y demeurer durant plusieurs jours, ayant toujours l'épée nue. Enfin après avoir tué un ecclésiastique ; et en avoir blessé un autre, ils se tuèrent eux-mêmes. Un homme qui était présent, dit que cette profanation ne présageait que des malheurs, et cita sur ce sujet ces deux vers d'un ancien Poète. "Les Temples profanes sont, à l'avis des sages, De funestes malheurs les plus certains présages". II ne le trompait pas. Car la profanation présageait la division du peuple, et la déposition de l'auteur de la division. [7,34] CHAPITRE XXXIV. Concile assemblé à Ephèse contre Nestorius. L'empereur fit publier bientôt après un Edit pour assembler un Concile à Ephèse. Nestorius y arriva suivi d'une multitude prodigieuse de peuple, incontinent après la Fête de Pâques, et y trouva plusieurs Evêques. Cyrille Evêque d'Alexandrie tarda un peu davantage, et n'arriva que vers la Fête de la Pentecôte. Juvénal Evêque de Jérusalem, arriva cinq jours après cette Fête. Comme Jean Evêque d'Antioche, différait trop son voyage, les autres Evêques commencèrent à agiter la question. Cyrille ouvrit la dispute, et fit comme une escarmouche de paroles, avant le combat, à dessein d'embarrasser Nestorius, qu'il n'aimait pas. Comme plusieurs contestaient que Jésus Christ est Dieu, Nestorius dit : Je ne saurais appeler Dieu, celui qui a été un enfant de deux, ou de trois mois ; c'est pourquoi je suis innocent de votre sang, et je ne me trouverai plus dorénavant avec vous. Il s'assembla depuis avec les Évêques qui suivaient son sentiment. Ceux qui demeurèrent dans le Concile avec Cyrille, citèrent Nestorius. Mais il différa de comparaître jusques à ce que Jean Evêque d'Antioche fut arrivé. Cyrille, et les autres, ayant examiné les Sermons où Nestorius avait traité la question, et ayant jugé qu'ils contenaient des impiétés et des blasphèmes contre Jésus Christ, ils le déposèrent. Les Évêques du parti de Nestonus s'étant assemblés à part, déposèrent de même Cyrille, et Memnon Évêque d'Ephèse. Jean Évêque d'Antioche étant arrivé bientôt après, fut fâché contre Cyrille, et l'accusa d'avoir causé le désordre par la précipitation avec laquelle il avait déposé Nestonus. Cyrille se joignit à Juvénal, pour se venger de Jean, et le déposa. Quand Nestorius vit que la dispute avait passé si avant, qu'elle était allée jusques au schisme, il eut regret de tout ce qui s'était passé, et dit : que l'on appelle, si l'on veut, Marie Mère de Dieu, et que la contestation cesse. Mais bien qu'il eût changé de sentiment, personne ne le voulut recevoir, et il fut relégué à Oasis, où il est encore. Voila le succès du Concile, qui fut terminé le dix-huitième jour du mois de Juin, sous le Consulat de Bassus, et d'Antiochus. Lorsque Jean fut retourné à Antioche, il assembla plusieurs Évêques, et déposa Cyrille, qui était aussi retourné à Alexandrie. Mais s'étant depuis accordés, ils se rétablirent réciproquement chacun dans leur Siège. La déposition de Nestorius mit le trouble et la confusion dans l'Eglise de Constantinople, dont le peuple était partagé. Les Ecclésiastiques prononcèrent anathème contre lui. C'est ainsi que nous appelons les sentences qui sont prononcées contre ceux qui avancent des impiétés et des blasphèmes, et qui sont exposées en public, afin qu'elles fussent vues de tout le monde. [7,35] CHAPITRE XXXV. Maximien est élu Évêque de Constantinople. On commença ensuite à parler d'élire un Evêque de Constantinople. Philippe et Proclus, dont nous avons déjà parlé, eurent chacun plusieurs voix. L'avis de ceux qui nommaient Proclus eut prévalu, si quelques-uns des plus considérables ne s'y fussent opposés, en disant qu'il y avait des Canons, par lesquels les translations d'un Evêché à un autre, étaient défendues. Le peuple s'étant donc un peu apaisé, Maximien fut élu, quatre mois après que Nestorius avait été déposé. Il faisait profession de la vie Religieuse, bien qu'il eût été élevé à l'honneur du Sacerdoce ; et avait acquis une grande réputation par la générosité qu'il avait eue, de faire bâtir à ses dépens, des tombeaux pour les Moines. Il parlait mal, et n'était point du tout propre aux affaires. [7,36] CHAPITRE XXXVI. Des translations d'un Évêché à un autre. Je dirai ici quelque chose des translations des Évêques, à l'occasion du Canon dont se servirent ceux qui empêchèrent que Proclus fut transféré de l'Eglise de Cyzique à celle de Constantinople. Il me semble qu'ils ne parlaient que par jalousie contre Proclus, sans savoir ni les Canons, ni l'usage de l'Eglise. Eusèbe surnommé Pamphile, rapporte dans le sixième Livre de son Histoire, qu'Alexandre Evêque d'une certaine Ville de Cappadoce, étant allé à Jérusalem pour y faire sa prière, il y fut retenu par le peuple, pour succéder à Narcisse, et qu'il y demeura tout le reste de sa vie. Ainsi il est clair, que les anciens ne faisaient point de difficulté de transférer un Evêque d'une Ville à une autre, lorsqu'ils le jugeaient nécessaire. Mais pour faire voir que ceux qui s'opposaient à l'ordination de Proclus, citaient mal à propos le Canon contre lui, j'en rapporterai les propres termes. Les voici : Si un Evêque après avoir été ordonné, ne va point à son Eglise, non par sa faute, mais parce que le peuple refuse de le recevoir, et par quelqu'autre raison qui ne lui puisse être imputée, qu'il conserve son rang et ses fonctions, pourvu qu'il n'apporte aucun trouble dans l'Eglise, où il aura été reçu. Il doit toutefois se soumettre à tout ce que le Concile de la Province trouvera à propos d'ordonner à son égard. Voilà les termes du Canon. Mais s'il est besoin de justifier encore davantage que le bien de l'Église rend quelquefois les translations nécessaires, je rapporterai les noms de plusieurs Évêques, qui ont été transférés. Périgéne ayant été ordonné Evêque de Patras, et les habitants de cette Ville ayant refusé de le recevoir, il fut établi Evêque de l'Eglise Métropolitaine de Corinthe, par l'ordre de l'Evêque de Rome, et y demeura jusqu'à la fin de sa vie. Grégoire fut Evêque de Sasimes Ville de Cappadoce, et ensuite de Naziance. Méléce gouverna l'Eglise de Sébaste, avant que de gouverner celle d'Antioche. Alexandre Evêque d'Antioche, transféra Dosithée de la Ville de Séleucie à celle de Tarse. Révérentius fut transféré d'Arce à Tyr, et Jean de Gordo de la Ville de Lydie, à la Proconnèse. Palladius fut transféré d'Helénopole à Aspune, et Alexandre de la même Ville d'Helénopole, à Adriane. Théophile fut transféré d'Apamée Ville d'Asie, à Eudoxiopole, qu'on appelait autrefois Sélérabrie. Polycarpe fut transféré d'une Ville de Bulgarie nommée Séxantapristi, à Nicopole en Thrace. Hiérophile fut transféré de Trapezopole à Plotinopole. Optime d'Agiamie, à Antioche et Silvain de Philippopole à Troade. Voila un nombre consïdèrable d'Évêques, qui ont passé d'un Siège à un autre. J'ajouterai ici quelque chose du dernier. [7,37] CHAPITRE XXXVII. Miracle fait par Sylvain. Sylvain étudia en Rhétorique des sa jeunesse, dans l'école du Sophiste Troïle. Mais parce qu'il aspirait à la perfection de l'Évangile, et qu'il voulait faire profession de la vie Religieuse, il refusa de porter le manteau que portaient les Orateurs. Atticus Evêque de Constantinople l'ayant ordonné Evêque de Philippopole, il y demeura trois ans; mais ne pouvant supporter le froid du pays, à cause de la délicatesse de son tempérament, il pria Atticus d'en mettre un autre en sa place. Ainsi il revint à Constantinople, où il vécut dans une grande austérité, qu'il marchait souvent au milieu de la Ville avec des sandales de paille. Les habitants de Troade y étant venus bientôt après, pour demander un Evêque, Atticus dit à Silvain, qui l'était venu visiter : Vous n'avez plus maintenant d'excuse pour vous exempter de la charge pastorale. Il ne fait point trop froid à Troade, allez-y, mon cher frère, et gouvernez cette Ville en qualité d'Évêque. Silvain y étant allé, y fit un miracle. On y avait bâti un grand vaisseau pour porter des colonnes ; mais il était si pesant, que quelque effort qu'on eût fait pour le mettre en mer, on n'avait pu le remuer; de sorte que plusieurs croyaient qu'il était arrête par le démon. Le peuple alla donc trouver Silvain, et le supplia de s'approcher du bord de la mer, et d'y faire sa prière. Il répondit avec sa modestie ordinaire, qu'il n'était qu'un pécheur, et qu'il n'appartenait qu'à un homme de bien d'obtenir de Dieu la grâce qu'ils demandaient. S'étant néanmoins rendu sur le rivage à leurs instantes prières, il fit son oraison, prit un des câbles par la main, et leur commanda de pousser le vaisseau, qui à l'heure-même fut porté en mer, sans peine. Ce miracle fit admirer la puissance de Dieu. La vertu de Silvain ne parut pas seulement dans cette action, mais elle éclata dans tout le cours de la vie. Ayant reconnu que les Ecclésiastiques tiraient de l'argent des procès, il n'en nomma plus jamais aucun pour être Juge : mais prenant les papiers des parties, il les mit entre les mains de quelque Laïque, dont il connaissait la probité, et lui donna charge de terminer le différend. Il acquit par ce moyen une très grande réputation. Bien que cette digression que j'ai faite soit un peu longue, j'espère pourtant qu'elle ne sera pas inutile. Retournons cependant à notre sujet. [7,38] CHAPITRE XXXVIII. Plusieurs Juifs de l'île de Crète font profession de la Religion Chrétienne. Toutes les contestations cessèrent à Constantinople, dès que Maximien en eut été ordonné Evêque, sous le Consulat de Bassus, et d'Antiochus. Dans le même temps plusieurs Juifs, qui demeuraient dans l'île de Crète embrassèrent la Religion Chrétienne. Un imposteur eut l'insolence de dire qu'il était Moïse, et qu'il avait été envoyé de Dieu pour tirer de l'île les habitants de sa Religion, et pour leur faire passer la mer à pied sec, comme il avait autrefois fait passer la mer rouge aux Israélites. Il parcourut toute l'île en un an, et persuada aux Juifs d'abandonner leurs héritages, de se mettre sous sa conduite, et de le suivre à une terre promise, où il les assurait de les mener. Les Juifs trompés par les artifices, renoncèrent à la possession de leurs biens, et les laissèrent à ceux qui voulurent s'en emparer. Lorsque le jour qu'il leur avait marqué pour leur départ, fut arrivé, il se mit à la tête d'une multitude incroyable d'hommes, de femmes et d'enfants, et les mena a un Promontoire qui s'avance dans la mer, d'où il leur commanda de se jeter. Les premiers s'étant jetés, les uns furent brisés contre les rochers, et les autres ensevelis sous les flots, et tous les autres seraient péris de la même sorte, s'ils n'avaient été préservés d'un si extrême danger, par des pêcheurs et des marchands, qui en retirèrent quelques-uns de la mer, et empêchèrent le reste de s'y précipiter. Les Juifs condamnèrent l'imprudence avec laquelle ils avaient ajouté foi aux paroles de cet Imposteur, et le cherchèrent pour le faire mourir. Mais il disparut, sans qu'on en pût savoir de nouvelle, ce qui fit croire à quelques-uns, que c'était un démon, qui avait pris la figure d'un homme pour les perdre. Plusieurs renoncèrent à leur Religion pour recevoir le Baptême. [7,39] CHAPITRE XXXIX. L'Eglise des Novatiens préservée d'un incendie. Paul Evêque des Novatiens devint en ce temps-là plus célèbre que jamais. Car le feu ayant pris à Constantinople, et ayant consumé une partie très considérable tant des édifices publics, que des maisons particulières, il s'approcha enfin de l'Eglise des Novatiens. A l'heure même Paul se jeta au pied de l'Autel, et recommanda à Dieu la conservation de l'Eglise et de la Ville. Sa prière fut exaucée; car bien que le feu entrât dans l'Eglise par la porte et par les fenêtres, il n'y fit aucun dommage, et l'épargna, pendant qu'il réduisait en cendre tous les bâtiments d'alentour. L'embrasement dura deux jours et deux nuits, et s'éteignit enfin, sans avoir seulement noirci les murailles de l'Eglise. Cet accident arriva le dix-septième jour du mois d'Août, sous le quatorzième Consulat de Théodose, et le premier de Maxime. Les Novatiens font tous les ans une fête en ce jour-là en mémoire de la conservation de leur Eglise, et elle est depuis en vénération, non seulement aux Chrétiens, mais aux infidèles. [7,40] CHAPITRE XL. Proclus succède à Maximien au gouvernement de l'Eglise de Constantinople. Maximien mourut le dixième jour du mois d'Avril sous le Consulat d'Aréobinde, et d'Aspar, après avoir gouverné paisiblement durant deux ans et cinq mois l'Eglise de Constantinople. Ce jour-là même était le cinquième de la semaine où l'on jeûne immédiatement avant la fête de Pâques. L'Empereur Théodose voulant prévenir les contestations qui auraient pu arriver dans une élection, envoya dire aux Evêques qu'ils missent Proclus en possession de la dignité Episcopale, avant même que le corps de Maximien eut été enterré. Célestin Evêque de Rome avait écrit à Cyrille Évêque d'Alexandrie, à Jean Evêque d'Antioche, et à Rufus Evêque de Thessalonique sur le même sujet, et avait déclaré qu'il n'y a point d'inconvénient qu'un Evêque élu, nommé, ou intronisé quitte une Eglise pour en prendre une autre. Proclus ayant donc pris possession de l'Eglise, fit les funérailles de Maximien son prédécesseur. [7,41] CHAPITRE XLI. Belles qualités de Proclus. Proclus fut lecteur dès sa jeunesse. Il s'adonna fort à l'étude de l'éloquence. Quand il fut parvenu à âge d'homme il s'attacha à Atticus Evêque de Constantinople qui le fit son Secrétaire, et le promut depuis à l'ordre de Diacre. Ayant ensuite été élevé à la dignité du Sacerdoce, il fut enfin ordonné Évêque par Sisinnius, comme nous l'avons dit. Après la mort de Maximien il fut placé sur le Siège de l'Eglise de Constantinople. C'était un aussi homme de bien qu'aucun autre ait jamais été. Il imita toutes les bonnes qualités d'Atticus son maître. Mais il le surpassa en patience. Car au lieu que celui-ci se rendait quelquefois redoutable aux hérétiques, Proclus se faisait aimer de tout le monde ; parce qu'il savait qu'il le gagnerait bien plutôt par la douceur que par la force. Il ne voulut jamais persécuter aucune secte, et conserva à l'Eglise toute sa douceur. Il ressembla en ce point à Théodose, et comme ce Prince n'usa jamais de son pouvoir pour punir les coupables, Proclus n'entreprit aussi jamais d'inquiéter ceux qui étaient d'un autre sentiment que lui, sur le sujet de la Divinité. [7,42] CHAPITRE XLII. Eloge de l'Empereur Théodose. Théodose louait extrêmement la douceur de Proclus. Car il ressemblait parfaitement aux véritables Évêques, et ne pouvait approuver la conduite de ceux qui excitaient des persécutions. Je n'appréhenderai point de dire qu'il surpassait tous les Prêtres en douceur, et j'avancerai hardiment qu'il mérite d'être appelé le plus doux de tous les hommes, comme Moïse l'a été, dans le Livre des Nombres. C'a été à cette douceur extraordinaire que Dieu a accordé la prise de Jean, cet usurpateur injuste de l'autorité Souveraine, sans que pour le prendre, il ait fallu courir le risque d'aucun combat, et en récompense de laquelle il a permis la défaite des nations étrangères. Car il est très véritable que Dieu lui a fait en notre temps les mêmes grâces qu'il avait faites autrefois aux plus grands Saints. Ce n'est point la flatterie qui me fait parler de la sorte, et la vérité de ce que j'avance sera confirmée par la narration qui va suivre. [7,43] CHAPITRE XLIII. Malheurs arrivés aux Barbares qui avaient favorisé le parti du Tyran. L''empereur ayant appris que les étrangers dont le Tyran avait imploré le secours, se préparaient après sa mort à faire irruption sur nos terres, il eut recours à Dieu selon la coutume, et en obtint à l'heure-même ce qu'il désirait. Robas, Chef des Barbares fut frappé de la foudre. La maladie contagieuse enleva la plus grande partie des soldats qui avaient suivi ses enseignes. Le feu du Ciel consuma ceux que la maladie avait épargnés. Ainsi ces peuples furent saisis d'épouvante, et de frayeur, et redoutèrent non tant la valeur des Romains, que la puissance de Dieu qui les protégeait. Proclus fit dans un Sermon une application de la Prophétie d'Ezéchiel, à la conservation miraculeuse de l'Empire, et cette application fut reçue avec un merveilleux applaudissement de son auditoire. Voici les paroles de la Prophétie. Et vous Fils de l'homme prophétisez sur Gog, Rhos, Misoch, et Thubal. Je le condamnerai à la mort, au sang, et je châtierai par la pluie et par la grêle. Je répandrai sur lui, et sur les nations qui le suivent le feu, et le souffre. Je serai glorifié en présence de plusieurs peuples, et ils sauront que je suis le Seigneur. Cette application, comme je viens de dire, fut fort bien reçue, et donna beaucoup de réputation à Proclus. La clémence dont Théodose usait en toutes rencontres fut récompensée par un grand nombre de faveurs qu'il reçut du Ciel, et entre autres par celle dont je vais parler. [7,44] CHAPITRE XLIV. Mariage de l'empereur Valentinien et d'Eudoxie, fille de Théodose. Il avait eu de l'Impératrice Eudocie sa femme, une fille, nommée Eudoxie, que Valentinien son cousin, à qui il avait donné l'Empire d'Occident, lui demanda en mariage. Théodose la lui ayant promise, ils convinrent de se trouver sur les frontières des deux Empires pour faire la cérémonie des noces ; et choisirent pour cet effet la Ville de Thessalonique. Mais Valentinien écrivit depuis à Théodose, qu'il ne prît point la peine de s'y rendre, et qu'il l'irait trouver à Constantinople. Il y alla en effet, après avoir laissé des troupes pour garder la frontière, y épousa Eudoxie, sous le Consulat d'Isidore, et de Sénator, et s'en retourna avec elle en Occident. [7,45] CHAPITRE XLV. Translation du corps de Jean, Évêque de Constantinople. Proclus réunit en ce temps-là à l'Eglise, ceux qui s'en étaient autrefois séparés, à cause de la déposition de Jean. Ayant obtenu permission de l'Empereur de transporter son corps de Comanes, où il y avait trente cinq ans qu'il avait été enterré, il le fit apporter à Constantinople avec une pompe fort solennelle, et le déposa dans l'Eglise des saints Apôtres, le dix-septième jour du mois de Janvier, sous le seizième Consulat de Théodose. Ceux qui avaient évité à son sujet la communion des autres Fidèles y rentrèrent à l'heure-même. Je me suis quelquefois étonné que l'envie qui a persécuté Origène ait épargné Jean : et que l'un ait été excommunié deux cents ans après sa mort, et l'autre rétabli dans la communion et trente-cinq ans après la sienne. Cela procède sans doute de la différence des mœurs de Théophile, et de Proclus, de laquelle ceux qui connaissent un peu le génie, et l'inclination des hommes, ne seront jamais fort surpris. [7,46] CHAPITRE XLVI. Mort de Paul Evêque des Novatiens. Ordination de Marcien. Paul Évêque des Novatiens mourut bientôt après la translation de Jean, l'onzième jour du mois de Juillet, sous le même Consulat. Il réunit en quelque sorte toutes les sectes à sa mort, et la réputation de sa piété les fit accourir en foule à ses funérailles, et chanter des Psaumes ensemble jusques à ce que son corps eût été mis dans le tombeau. Je ne dirai point que durant sa maladie, il ne se relâcha en rien de l'austérité de la vie Monastique, ni qu'il n'interrompît jamais ses prières, de peur que si je m'arrêtais à ces circonstances elles n'obscurcissent une action plus éclatante, dont ceux qui prendront la peine de lire mon Histoire, pourront tirer un grand fruit. Quand il se vit proche de sa fin, il assembla les Prêtres de toutes les Eglises qui étaient sous sa conduite, et leur dit, élisez un Évêque pendant que je vis encore, de peur que la paix de l'Eglise ne soit troublée après ma mort. Ces Prêtres lui ayant répondu qu'il n'était pas à propos de leur laisser la liberté de de l'élection ; parce qu'il était difficile qu'ils se pussent accorder, et qu'il valait mieux qu'il nommât lui-même son successeur: Il leur dit, promettez-moi donc par écrit de recevoir celui que j'aurai choisi Les Prêtres ayant écrit et signé la promesse qu'il souhaitait, il écrivit le nom de Marcien Prêtre, qui avait appris sous lui les exercices de la vie Religieuse, et qui était alors absent. Il signa ensuite l'écrit, le fit signer aux plus considérables d'entre les Prêtres, le donna à Marc, Évêque des Novatiens de Scythie, et lui dit : Si Dieu me laisse en vie, vous me rendrez cet écrit ; mais, s'il m'appelle à lui vous l'ouvrirez, et vous y trouverez le nom de celui que j'ai choisi pour être mon successeur. Il mourut bientôt après. L'écrit ayant été ouvert trois jours après la mort, tous s'écrièrent que Marcien était très digne d'être Evêque, et l'envoyèrent chercher. Il fut trouvé à Tibériopole Ville de Phrygie, et ayant été amené par adresse, il fut sacré l'onzième jour du mois d'Août, et mis sur la chaire de l'Eglise. [7,47] CHAPITRE XLVII. L'Impératrice Eudocie va à Jérusalem. L'Empereur Théodose rendit à Dieu des actions de grâces pour les bienfaits qu'il avait reçus de sa bonté. Il envoyai l'Impératrice Eudocie sa femme à Jérusalem où elle avait fait vœu d'aller quand sa fille serait mariée. Elle fît quantité dé présents, tant aux Eglises de Jérusalem, qu'à celles des autres Eglises d'Orient. [7,48] CHAPITRE XLVIII. Thalassius est ordonné Évêque de Césarée en et Cappadoce. Proclus fit sous le dix-septième Consulat de Théodose, une action dont l'antiquité n'avait jamais vu aucun exemple. Les habitants de Césarée en Cappadoce, étaient venus à Constantinople, pour demander un Évêque, en la place de Firmus qui était mort. Comme Proclus était en peine d'en choisir un, les Sénateurs le visitèrent, et entre autres Thalassius, à qui l'Empereur avait autrefois donné le gouvernement d'Illyrie, et à qui il était prêt de donner celui d'Orient. Mais Proclus l'ayant choisi, le fit Evêque de Césarée. Voila quel était alors l'état l'Eglise. Etant prêt de finir mon Histoire, je souhaite de tout mon cœur, que l'Eglise et l'Etat jouissent d'une paix profonde, et que ceux qui voudraient écrire n'aient plus de matière. Je n'en aurais point eu moi-même,, très-religieux Théodore, et je n'aurais pu achever ces sept Livres, comme j'ai fait à votre prière, si ceux qui ont excité des contestations et des différents, avaient voulu se tenir en repos. Ce septième Livre contient ce qui s'est passé l'espace de trente-deux ans. Et les sept Livres contiennent ce qui s'est passé l'espace de cent quarante ; car ayant commencé à la première année de la deux cents soixante et onzième Olympiade, en laquelle Constantin fut proclamé Empereur, ils finissent à la seconde année de la trois cents cinquième Olympiade, en laquelle Théodose était Consul pour la dix-septième fois.