[1,0] HISTOIRE de l'ÉGLISE : LIVRE I. [1,1] CHAPITRE PREMIER. Dessein de l'Auteur. EUSEBE surnommé Pamphile a écrit en dix livres l'Histoire de l'Eglise, et l'a finie au règne de Constantin, auquel cessa la persécution, qui avait été excitée par Dioclétien contre les Chrétiens. Il n'a touché dans les livres de la Vie de Constantin que légèrement, ce qui regarde Arius, parce qu'il avait plutôt dessein de faire l'éloge de ce Prince, que de laisser à la Postérité un récit fidèle des choses qui étaient arrivées en ce temps-là. Pour nous qui avons résolu de représenter exactement ce qui est arrivé depuis dans l'Eglise, nous commencerons par ce qu'il a omis, et sans rechercher les vains ornements du discours, nous rapporterons, tant ce que nous avons trouvé dans les livres des anciens, que ce que nous avons appris de la bouche de ceux qui avaient été témoins de ce qu'ils nous ont raconté. Et parce qu'il est fort important de savoir de quelle manière Constantin a embrassé la Religion Chrétienne, nous en dirons d'abord quelque chose. [1,2] CHAPITRE II. De quelle manière l'Empereur Constantin embrasse. la Religion Chrétienne. JE commencerai par le temps auquel Dioclétien et Maximien surnommé Herculius convinrent de renoncer à l'autorité souveraine, et de se réduire à une condition privée. Maximien surnommé Galerius, qui avait possédé avec eux l'Empire, alla alors en Italie, où il fit deux Césars, Maximin pour l'Orient, et Sévère pour l'Occident. En même temps Constantin fut proclamé Empereur en Angleterre, après la mort de Constance son père, arrivée en la première année de la deux cent soixante et onzième Olympiade, le vingt-cinquième jour du mois de Juillet. Enfin Maxence fils de Maximien Herculius fut élevé à Rome sur le trône, comme un tyran, plutôt que comme un Empereur, par les suffrages des soldats des Gardes. Ce qui fut cause qu'Herculius, qui désirait de se remettre en possession de l'Empire, tâcha de tuer son fils, ce qu'il eût fait, sans les soldats qui l'en empêchèrent. Etant venu bientôt après à Tarse, Ville de Cilicie, il y mourut. Sévère ayant été envoyé par Maximien Galérius à Rome, pour s'y saisir de Maxence, y fut tué par la perfidie de ses soldats. Enfin ce Maximien mourut dans le temps qu'il gouvernait seul l'Empire, après avoir communiqué la souveraine puissance à Licinius natif de Dace, son ancien ami. Cependant Maxence exerçant à Rome une domination tyrannique, violant les femmes des Sénateurs, et faisant mourir sans sujet les personnes de la première qualité, Constantin commença à chercher dans son esprit les moyens de délivrer les sujets de l'Empire de ces violences. Il douta d'abord de quel Dieu il devait implorer la protection, et fit cette réflexion, que Dioclétien n'avait tiré aucun secours des Idoles, au culte desquelles il avait été merveilleusement attaché, au lieu que Constance son père, qui avait toujours eu de l'éloignement de la superstition des Païens, avait joui d'une plus grande prospérité. Son esprit étant partagé de la sorte, il eut une merveilleuse vision, comme il marchait à la tête de ses troupes. Il vit en l'air sur le soir une croix de lumière sur laquelle ces mots étaient écrits. VAINQUEZ PAR CECI. L'étonnement dont il était surpris, l'empêchant d'ajouter foi au rapport de les yeux, il demanda à ceux qui étaient présents, s'ils avaient vu le même signe. Quand ils lui eurent répondu qu'oui, il fut confirmé par leur témoignage dans la créance de la vérité. La nuit suivante il vit Jésus-Christ en songe qui lui commanda de faire un étendard sur le modèle de celui qui lui avait paru en l'air, et de s'en servir contre ses ennemis. Suivant cet oracle, il fit faire un Etendard en forme de croix, lequel on conserve encore aujourd'hui dans le Palais des Empereurs. Etant rempli de la confiance que lui donnaient de si avantageuses promesses, il marcha contre Maxence, et l'ayant combattu, il remporta la victoire. Maxence étant tombé dans le fleuve, et s'étant noyé. Pendant que Licinius beau-frère de Constantin et son Collègue à l'Empire, demeurait en Orient. Il témoigna à Dieu sa reconnaissance de la victoire qu'il lui avait accordée, en arrêtant le cours de la persécution contre les Chrétiens, en rappelant les exilés, en rendant la liberté aux prisonniers, en remettant les proscrits en possession de leur bien, en relevant les Eglises. Dans le même temps mourut Dioclétien, qui, comme nous avons dit, s'était démis de la souveraine puissance. [1,3] CHAPITRE III. De la persécution que Licinius excita contre les Chrétiens, dans le temps même que Constantin les favorisait de tout son pouvoir. L'EMPEREUR Constantin étant persuadé des vérités de notre Religion, agissait conformément à sa croyance, bâtissait des Eglises pour les Chrétiens, les enrichissait de divers ornements, faisait ou fermer, ou abattre les temples des Païens, et vendre les statues de leurs Dieux. Au contraire Licinius son Collègue étant engagé dans l'erreur et dans la superstition, avait aversion des Chrétiens, et bien qu'il ne les osât persécuter ouvertement, de peur de déplaire à Constantin, il ne laissait pas de leur dresser secrètement des pièges. Il se résolut pourtant de se déclarer, et de les persécuter dans les pays de son obéissance. Les violences, qu'il exerça contre eux, furent trop publiques pour être inconnues à Constantin. Appréhendant donc les effets de sa colère, il tâcha de l'apaiser par des caresses, et par les promesses. qu'il lui fit de ne plus rien entreprendre, ni contre ses intérêts, ni contre le repos des Chrétiens. Mais il viola en même temps ses promesses, en continuant toujours de lui tendre des pièges, et de troubler la paix de l'Eglise. Il défendit aux Evêques d'entrer dans les maisons des Païens, de peur qu'ils ne les convertissent à la foi, et que notre Religion ne s'accrût. Ainsi cette persécution était tout ensemble et publique et secrète, parce que si d'un côté elle était défavorisée par ceux-mêmes qui l'exerçaient, de l'autre les Fidèles souffraient les plus cruelles vexations en leur personne et en leurs biens. [1,4] CHAPITRE IV. Guerre entre Constantin et Licinius à l'occasion des Chrétiens. CONSTANTIN ne pouvant dissimuler l'indignation que lui donnait cette perfidie, ils rompirent la fausse amitié, par laquelle ils semblaient unis, prirent les armes, et en étant venus plusieurs fois aux mains, tant sur mer que sur terre, Licinius fut défait proche de Chrysopole qui est le Port de Calcédoine, et contraint de le rendre à Constantin. Ce Prince au lieu de le punir, comme il méritait, lui permit de demeurer en repos à Thessalonique. Mais au lieu de cela il amassa secrètement des soldats, pour réparer les pertes, dont Constantin ayant eu avis, il commanda de le faire mourir. S'étant mis de la sorte en possession de tout l'Empire, il s'appliqua à favoriser la Religion Chrétienne, et à lui procurer une profonde paix. Mais cette paix fut troublée par une guerre qui s'émut entre les Chrétiens. Je dirai ici de quelle manière cela arriva. [1,5] CHAPITRE V. Contestation entre Arius, et Alexandre Evêque d'Alexandrie. ACHILLAS ayant été élevé sur le Siège de l'Eglise d'Alexandrie, après que Pierre, qui l'avait occupé avant lui, eut souffert le martyre sous le règne de Dioclétien, il eut Alexandre pour successeur, qui à la faveur de la paix que Dieu avait rendue aux Chrétiens, conduisait sans aucun trouble le troupeau, qui lui avait été confié. Disputant un jour de la Trinité avec un trop grand désir de faire paraître sa science en présence des Prêtres et des autres Ecclésiastiques de son Clergé, il dit que dans la Trinité il y avait Unité. Ce qui ayant fait croire à Arius, Prêtre de son Eglise, homme habile en l'art de raisonner, qu'il suivait l'erreur de Sabellius de Libye, il soutint par un trop grand désir de contester une autre erreur directement opposée, et réfuta son Evêque avec trop d'aigreur en disputant de cette sorte. Si le Père a engendré son Fils, le Fils a eu un commencement. D'où il s'ensuit clairement, qu'il y a eu un temps, auquel il n'était pas, et que sa substance a été tirée du néant. [1,6] CHAPITRE VI. Progrès de la dispute. Alexandre dépose Arius et ses Sectateurs. PAR ce nouveau raisonnement il excita plusieurs personnes à agiter la question, et avec cette étincelle il alluma un grand feu. Le mal s'étant élevé dans l'Eglise d'Alexandrie, courut l'Egypte, la Libye, la Thébaïde, et se répandit sur un grand nombre de villes et de Provinces. Plusieurs favorisèrent l'opinion d'Arius. Eusèbe, non l'Evêque de Césarée, mais l'Evêque de Béryte, qui s'était emparé de l'Evêché de Nicomédie en Bithynie, la soutint plus fortement que nul autre; donc, Alexandre Evêque d'Alexandrie, étant entré en grande colère, il assembla un Concile, dans lequel il déposa Arius, et ses Sectateurs, et écrivit aux autres Evêques en ces termes : Lettre d'Alexandre Evêque d'Alexandrie. « A Nos très chers et très honorés Collègues dans le ministère de l'Eglise Catholique, Alexandre salut en notre Seigneur. Puisque l'Eglise Catholique ne fait qu'un corps, et qu'il nous est ordonné dans l'Ecriture sainte de conserver avec soin le bien de la concorde et de la paix, il est juste que nous nous avertissions réciproquement de ce qui arrive dans chaque Diocèse afin que si l'un des membres est dans la douleur, ou dans la joie, les autres s'affligent, ou se réjouissent avec lui. De méchants hommes et ennemis du Sauveur, se sont élevés depuis peu de temps dans nôtre Diocèse, et ont enseigné à se séparer par un schisme, qui est une disposition à l'arrivée de l'Antéchrist. J'avais dessein d'ensevelir ce désordre sous le silence, afin qu'étant étouffé dans la personne de ces Apostats, il ne s'étendît point plus loin, et ne souillât point les oreilles des personnes amples. Mais puisqu'Eusèbe qui depuis qu'il a quitté impunément le Siège de Béryte, pour usurper celui de Nicomédie prétend que les affaires de l'Eglise dépendent uniquement de son jugement, a pris la protection de ces Apostats, et a écrit de tous cotés en leur faveur, j'ai cru devoir rompre le silence pour vous avertir de cette nouvelle erreur, et pour vous empêcher d'ajouter foi aux lettres qu'Eusèbe pourrait vous avoir écrites. Il renouvelle à l'occasion de ces Apostats son ancienne malignité que le temps semblait avoir effacée, et bien qu'il n'écrive en apparence qu'en leur faveur, il écrit en effet pour leurs intérêts. Au reste voici les noms de ceux qui se sont séparés de l'Eglise : Arius, Achillas, Aithalès, Carponés, un autre Arius, Sarmatés, Euzoius, Lucius, Julien, Menas, Helladius, Gaius, et de plus Secundus et Théonas, qui ont autrefois été appelés Evêques. Ce qu'ils avancent avec la dernière témérité, et sans le pouvoir appuyer par l'autorité de la sainte Ecriture, est qu'ils disent que Dieu n'a point toujours été Père, mais il y a eu un temps auquel il ne l'était point. Le Verbe de Dieu n'a point toujours été, mais il a été tiré du néant. Dieu qui est, l'a créé, lui qui n'était point, de ce qui n'est point. Ainsi il y a eu un temps, auquel il n'était point, puisque le Fils est la Créature et l'Ouvrage de son Père. II n'est point semblable au Père selon sa substance, ni le véritable Verbe de Dieu, ni sa véritable sagesse. Il n'est que l'un de ses Ouvrages, et l'une de ses Créatures, et ce n'est que par abus, que l'on l'appelle Verbe et Sagesse, en tant qu'il a été créé par le Verbe et par la Sagesse, qui sont en Dieu, et par lesquels tous ses autres Ouvrages ont été créés. De là vient que de sa Nature il est sujet au changement comme les autres créatures raisonnables. Le Verbe est éloigné et séparé de la substance de Dieu. Le Père est invisible et ineffable au Fils ; car le Fils ne le connaît point parfaitement, et ne le saurait voir. Le Fils ne conçoit point sa propre substance, parce qu'il n'a été fait que pour nous, et pour servir à son Père, comme d'un instrument, pour nous créer, et si Dieu n'avait eu dessein de nous créer, le Fils n'aurait jamais été. Quelqu'un leur ayant demandé si le Verbe de Dieu peut changer, comme le diable a changé, ils n'ont point eu honte de répondre, il le peut très certainement. Car il est d'une nature sujette au changement, puisqu'il peut être engendré, et être créé. Nous étant assemblés avec près de cent Evêques tant d'Egypte que de la Libye, nous avons prononcé anathème contre Arius qui avançait toutes ces choses avec la dernière impudence, et contre ceux qui ont suivi les erreurs. Mais Eusèbe les a reçus, en s'efforçant de mêler l'impie avec la piété, et le mensonge avec la vérité. Mais il ne remportera point l'avantage, parce que la vérité est toujours victorieuse, et qu'il ne peut y avoir de société entre la lumière et les ténèbres, entre Jésus-Christ et le démon. Qui a jamais rien entendu de pareil, ou qui le peut entendre sans être surpris d'étonnement, et sans boucher ses oreilles, de peur qu'elles ne soient souillées de tant d'ordures ? Y a-t-il quelqu'un qui entendant dire à saint Jean, "Au commencement était le Verbe", ne condamne pas ceux qui assurent qu'il y a eu un temps auquel il n'était point ? Ou bien y a-t-il quelqu'un qui entendant ces paroles de l'Evangile, le Fils unique, et toutes choses ont été faites par lui, ne ressente pas de l'aversion contre ceux qui disent que le Fils n'est qu'une créature ? En effet comment pourrait-il n'être qu'une des créatures qui ont été faites par lui? Comment pourrait-il être le Fils unique s'il n'était qu'au rang des créatures ? Comment est-il sorti du néant, puisque le Père dit, Mon cœur a produit un bon Verbe : et en un autre endroit, Je vous ai engendré de mon sein, avant l'aurore ; Comment est-il d'une substance dissemblable à son Père, puisqu'il est sa parfaite image et la splendeur de sa gloire, et qu'il dit lui-même, "Quiconque me voit, voit mon Père" ? Si le Fils est la raison et la sagesse du Père, comment y a-t-il eu un temps auquel il n'était point ? C'est comme s'ils disaient qu'il y a eu un temps auquel Dieu a été sans raison, et sans sagesse. Comment serait-il sujet au changement, puisqu'il dit de soi-même, "je suis en mon Père, et mon Père est en moi", et ailleurs, "mon Père et moi ne sommes qu'un", et que dès auparavant il avait dit par son Prophète, Voyez que je suis, et que je ne change point. Car bien que l'on puisse prétendre que cette parole doit être entendue du Père, il est pourtant plus à propos de l'entendre du Fils, parce qu'il n'a point changé en se faisant homme, et que, comme dit saint Paul, Il est le même aujourd'hui qu'il était hier, il sera le même durant tous les siècles. Mais qui les a portés à avancer qu'il a été fait pour nous, puisque l'Apôtre assure que toutes choses ont été faites pour lui, et par lui ? Le blasphème par lequel ils osent dire que le Père n'est point connu parfaitement par le Fils ne doit étonner personne. Car depuis qu'ils ont déclaré la guerre à Jésus-Christ, ils méprisent la parole, par laquelle il dit : "Comme mon Père me connaît, je connais mon Père". Ainsi si le Père ne connait qu'imparfaitement le Fils, le Fils ne connait qu'imparfaitement le Père. Que si cela ne se peut avancer sans crime, et si le Père connait parfaitement le Fils qui est son Verbe, il est clair que le Fils connait parfaitement son Père. Nous les convainquons souvent par ces témoignages de la sainte Ecriture. Mais ils changent aussi souvent de langage, que le caméléon change de couleur, et font voir que ces paroles de l'Ecriture leur conviennent parfaitement. Lorsque l'Impie est venu au plus profond des péchés, il méprise tout. Il y a eu avant eux plusieurs hérésies dont l'extravagance a été extrême. Mais en combattant la Divinité du Verbe, ils ont justifié ces hérésies, autant qu'il a été en leur pouvoir, parce qu'ils se sont approchés davantage de l'impiété de l'Antéchrist. C'est le suet pour lequel ils ont été retranchés de l'Eglise, et frappés d'anathème. Il est vrai que leur perte nous cause une sensible douleur, et nous sommes fâchés de leur voir rejeter la doctrine de l'Eglise qu'ils avaient autrefois reçue. Nous en sommes pourtant d'autant moins étonnés que nous savons que le même malheur arriva autrefois à Hyménée, à Philéte et à Judas, qui après avoir été disciple du Sauveur, ne laissa pas de l'abandonner, et de le trahir. De plus nous avions eu des prédictions de leur apostasie, puisque le Seigneur nous avait dit, "Prenez-garde que personne ne vous séduise, parce que plusieurs viendront en mon Nom, disant : Je suis le Christ", et ils en séduiront plusieurs. Ne les suivez pas. Et saint Paul qui avait été instruit dans l'école du Fils de Dieu, dit : Dans les temps à venir quelques-uns abandonneront la foi, en suivant des esprits d'erreur et des doctrines diaboliques. Le Seigneur nous ayant laissé lui-même ce précepte, et nous ayant donné cet avis par la bouche de son Apôtre, nous avons eu raison de prononcer anathème contre ces hommes, de l'impiété desquels nous avons été témoins, et de les déclarer retranchés du corps de l'Eglise Catholique. Nous vous en avertissons, nos très chers frères, et les bien aimés compagnons de notre ministère, de peur que vous ne les receviez, s'ils vous vont trouver, ou que vous n'ajoutiez foi aux lettres d'Eusèbe, s'il vous écrit. Car nous tous qui faisons profession d'être Chrétiens, sommes obligés d'éviter, comme des ennemis de Dieu, et des corrupteurs des âmes, ceux qui tiennent des discours et des sentiments contraires à Jésus-Christ, et de ne pas même les saluer, de peur d'avoir part à leurs crimes, ainsi que saint Jean nous le commande. Saluez de notre part nos Frères qui sont avec vous, ceux qui sont avec nous vous saluent. » Cette lettre ayant été envoyée par Alexandre dans toutes les Villes, elle ne servit qu'à accroître le mal, et à exciter la dispute entre les Evêques. Quelques-uns l'approuvèrent par leur signature. D'autres l'improuvèrent. Eusèbe Evêque de Nicomédie s'y opposa plus fortement que nul autre, en haine de ce qu'elle contenait quelques paroles qui lui étaient désavantageuses. Il était alors en grand crédit, parce que l'Empereur demeurait à Nicomédie où peu auparavant Dioclétien avait fait bâtir un magnifique Palais. Cela était cause que plusieurs Evêques, suivaient son sentiment. Il écrivait sans cesse tantôt à Alexandre, pour le supplier de renoncer à toute sorte de dispute, et de recevoir Arius dans sa communion, tantôt aux autres Evêques, pour les détourner de se joindre à Alexandre. Ce qui remplit l'Eglise de désordre et de confusion. Car on ne voyait pas seulement les Evêques contester entre eux avec une chaleur incroyable, mais les peuples et diviser, et se déclarer pour les uns ou pour les autres. L'affaire fut portée à une si horrible extrémité, que notre Religion devint un sujet de raillerie, et la matière du divertissement des Païens dans les théâtres. Le différend était plus échauffé à Alexandrie qu'ailleurs. Chaque parti écrivait aux Evêques des autres Villes, et en gagnait de son côté quelques-uns. Les Méléciens, qui peu auparavant avaient été retranchés de l'Eglise, se joignirent aux Ariens. Je dirai ici quelque chose de leur secte. Méléce était un Evêque d'Egypte, qui avait été déposé pour plusieurs raisons par Pierre Evêque d'Alexandrie, qui avait souffert le martyre sous le règne de Dioclétien ; mais principalement pour avoir renoncé à la foi durant la persécution, et sacrifié aux Idoles. Ayant été de la sorte privé de l'honneur du Sacerdoce, il se fit Chef d'une hérésie que l'on appelé encore aujourd'hui en Egypte l'hérésie des Méléciens. Bien qu'il n'eût eu aucune raison de se séparer de l'Eglise, il prétendit qu'on lui avait fait injustice, et tâchait de noircir Pierre Evêque d'Alexandrie par des médisances. Ce Pierre ayant remporté la couronne du martyre durant la persécution, Méléce répandit le venin de ses calomnies sur Achillas, qui lui avait succédé, et depuis sur Alexandre qui avait succédé à Achillas. Le différend d'Arius étant survenu, il suivit son parti et l'appuya de tout son pouvoir contre l'Evêque. Au reste ceux à qui l'opinion d'Arius paraissait fausse et déraisonnable, approuvèrent la sentence qu'Alexandre avait prononcée contre lui. Mais Eusèbe Evêque de Nicomédie, et ceux qui soutenaient le sentiment d'Arius, écrivirent à Alexandre qu'il levât l'excommunication qu'il avait prononcée contre lui, parce que sa doctrine était orthodoxe. Plusieurs lettres ayant été écrites de la sorte de part et d'autre, Alexandre et Arius amassèrent chacun celles qui leur étaient favorables, et en firent chacun un volume. Elles sont aujourd'hui la principale défense des sectes des Ariens, des Eunomiens et des Macédoniens, et leur fournissent les plus forts témoignages dont elles se servent. [1,7] CHAPITRE VII. L'Empereur Constantin envoie Osius à Alexandrie, pour exhorter Arius à rentrer dans la Communion de l'Eglise. L'empereur ayant conçu un sensible déplaisir de cette contestation, tâcha de l'apaiser dans sa naissance, et écrivit pour cet effet à Alexandre, et à Arius par Osius Evêque de Cordoue en Espagne, homme très recommandable par la pureté de sa foi, pour lequel il avait une estime et une vénération singulière. Je ne transcrirai ici qu'une partie de cette lettre, parce qu'Eusèbe l'a insérée toute entière dans les livres de la vie de Constantin. Constantin Vainqueur, très Grand, Auguste à Alexandre et à Arius, « J'APPRENDS que tel a été le commencement de votre contestation. Vous Alexandre ayant demandé à vos Prêtres, ce que chacun d'eux tenait touchant un certain passage de la Loi, ou plutôt leur ayant fait une question fort inutile; et vous, Arius, ayant inconsidérément avancé ce qui ne devait jamais entrer dans votre esprit, et encore moins sortir de votre bouche, la division s'est mise parmi vous, la communion a été refusée, et le très saint Peuple s'est partagé, et a rompu l'unité. C'est pourquoi pardonnez-vous réciproquement l'un à l'autre, et suivez le conseil que vous donne votre Collègue. Quel est ce conseil ? C'est que dès le commencement, il ne fallait point agiter les questions que vous avez agitées, ni y faire de réponse. Car bien que ces questions qui ne sont point prescrites par la loi, et qui naissent de l'oisiveté servent à exercer l'esprit, elles doivent être tenues secrètes, sans être jamais proposées devant le peuple. En effet combien ya-t-il peu de personnes qui soient capables de comprendre une matière si difficile, ou de l'expliquer dignement ? Quand quelqu'un la pourrait comprendre, et l'expliquer, espérerait-il de la faire entendre au peuple, et ne se mettrait-il pas en danger de tomber dans l'erreur en voulant pénétrer des difficultés si obscures ? Ainsi il faut garder le silence sur ces questions, de peur que n'ayant pas assez d'éloquence pour les expliquer, ou le peuple assez de lumière pour les entendre, il ne tombe dans le blasphème, ou dans le schisme. Vous devez donc vous pardonner réciproquement l'imprudence de vos demandes, et la témérité de vos réponses. Vous n'avez aucun différend touchant les préceptes de la loi, et vous n'avez introduit aucun nouveau dogme touchant le culte de Dieu. Vous êtes tous deux dans le même sentiment, et il vous est aisé de rentrer dans la même communion. Il n'est ni juste, ni honnête, que contestant avec opiniâtreté sur une affaire de très petite importance, vous abusiez de l'autorité que vous avez sur le peuple, pour l'engager dans vos disputes. S'il m'est permis de me servir d'un petit exemple pour vous avertir de votre devoir, vous savez que bien que les Philosophes fassent tous profession de rechercher la vérité, ils ne sont pas d'accord entre eux, touchant plusieurs points. Les différends qu'ils ont ensemble, n'empêchent pas qu'ils ne soient unis dans la poursuite du même dessein. N'est-il pas plus juste que vous qui êtes les Ministres de Dieu, demeuriez unis dans la profession de la même Religion ? Examinons, je vous prie, avec une attention encore plus particulière ce que j'ai dit, est-il juste que les frères se rangent contre les frères pour un vain combat de paroles où vous vous êtes engagés, et que la sainte assemblée des fidèles soit partagée pour de légères disputes? C'est une imprudence basse et puérile, et fort éloignée de la gravité, et de la sagesse que doivent avoir des Prêtres, Evitons de nous-mêmes les tentations du démon. Dieu qui est notre Maître, et notre Sauveur, nous a communiqué sa lumière à tous. Permettez que je termine cette affaire par l'ordre de sa Providence, et que je parle à son peuple pour le ramener à l'unité. Car puisque vous n'avez que la même foi, et le même sentiment touchant la Religion ; puisque vous convenez dans l'observation de la même Loi, il ne faut pas que le différend qui s'est ému entre vous sur un point non essentiel à la foi apporte de division, ni de schisme. Je ne dis point ceci pour vous obliger à tenir le même sentiment touchant cette question, ou vaine, ou telle qu'elle puisse être que vous avez agitée. Car vous pouvez conserver l'union bien que vous ne soyez point d'accord touchant un article de très légère importance. Tous les hommes ne sont pas de même inclination, ni de même avis. Ayez tous la même foi touchant la Providence, et touchant le culte de Dieu. Mais quant à ces vaines questions que vous agitez entre vous avec trop de subtilité, vous devez renfermer vos opinions dans le secret de votre cœur. Conservez entre vous la sincérité de l'amnistié, la vérité de la foi, l'observation de la Loi de Dieu. Ayez recours à la charité, et remettez le peuple dans l'union. Purifiez vos âmes, et vous reconnaissez vous-mêmes. L'amitié est plus agréable que jamais lorsqu'on s'est réconcilié, et qu'on a renoncé à la haine. Rendez-moî la tranquillité du jour, le repos de la nuit, et la joie de la vie. Sinon, je gémirai dans la tristesse, et serai consumé par la douleur. Car comment pourrais-je demeurer en repos, pendant que le peuple de Dieu qui adore le même Maître que moi est déchiré par une funeste division. Pour comprendre l'excès de ma douleur, je vous prie de faire attention à ce que je vais dire. Etant allé depuis peu à Nicomédie à dessein de passer en Orient, la nouvelle de votre différend me fit changer de résolution, et je ne pus m'exposer à voir des contestations dont je ne pouvais souffrir le récit. Ouvrez-moi donc par votre accord le chemin que vous m'avez fermé par vos disputes. Faites en sorte que je vous puisse voir tous dans une parfaite intelligence, et que j'en puisse rendre à Dieu des actions de grâces. » [1,8] CHAPITRE VIII. Du Concile qui fut tenu à Nicée en Bithynie, et de la décision qui y fut faite. VOILA le sage conseil que Constantin leur donna par sa lettre. Mais le mal était trop grand pour céder ni à l'autorité de l'Empereur, ni aux raisons de celui qu'il avait envoyé. Alexandre ni Arius ne purent se laisser fléchir, et la dispute et le tumulte s'accrurent parmi le peuple. L'Eglise était troublée d'ailleurs par un autre mal, savoir par le différend qui était en Orient touchant le jour auquel on doit célébrer la fête de Pâque, les uns la célébrant à la façon des Juifs, et les autres suivant la coutume du reste des Chrétiens qui sont répandus par tout le monde. Au reste bien qu'ils ne fussent point d'accord entre eux touchant le jour auquel on doit célébrer cette fête, ils ne s'abstenaient pas pour cela de la communion les uns des autres. Cependant la splendeur de la fête était comme obscurcie par le nuage de ce différend. L'Empereur voyant donc que le repos de l'Eglise était ébranlé par ces deux maux, assembla un Concile Général à Nicée, Ville de Bithynie, où il invita tous les Evêques de se trouver. Il s'y fit un concours merveilleux d'Evêques qui s'y rendirent de diverses Villes et de diverses Provinces, comme Eusèbe le témoigne en ces termes dans le livre troisième de la vie de Constantin. Les plus considérables d'entre les sacrés ministres de Dieu, s'assemblèrent de toutes les Eglises qui sont répandues en Europe, en Afrique, et en Asie, et le même Temple, comme si Dieu l'eût agrandi par un miracle, renferma dans son enceinte des Prélats de Syrie, de Cilicie, de Phénicie, d'Arabie, de Palestine, d'Egypte, de Thèbes, de Libye, de Mésopotamie. Il y en eut un qui vint de Perse, et un autre de Scythie. Le Pont, la Galatie, la Pamphylie, la Cappadoce, l'Asie et la Phrygie fournirent ce qu'elles avaient de plus éminent en science, et en vertu. Il y en eut quelques-uns qui vinrent de Thrace, de Macédoine, d'Epire et des autres pays plus éloignés. Osïus cet Evêque si célèbre vint d'Espagne et prit sa place avec les autres. L'Évêque de la ville Impériale ne s'y trouva point, mais des Prêtres de son Eglise s'y trouvèrent en sa place. L'Empereur Constantin ayant été si heureux que de faire sous son règne cette grande assemblée, qui était comme une image de celle des Apôtres et des Disciples, il en composa comme une couronne attachée par le lien de la paix, qu'il présenta au Sauveur en reconnaissance des victoires qu'il lui avait accordées sur ses ennemis. Car il est rapporté qu'au temps des Apôtres, des personnes religieuses s'assemblèrent de toutes Nations qui sont sous le Ciel, des Parthes, des Mèdes, des Elamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont, et l'Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l'Egypte, et la Lybie qui est: proche de Cyréne, et ceux qui étaient venus de Rome Juifs et Prosélytes, Crétois et Arabes. Mais il y a cette différence qu'au lieu que parmi toutes ces personnes il y en avait peu qui fussent élevés au saint Ministère, il y avait ici plus de trois cents Évêques, et un si grand nombre de Prêtres, de Diacres et d'Acolytes, qu'il était difficile de les compter. Parmi ces sacrés Ministres, les uns excellaient par l'éminence de leur sagesse, les autres par la gravité de leurs mœurs, les autres par leur patience dans le travail, les autres par leur modestie, et par leur douceur. Quelques-uns étaient vénérables par leur âge, et quelques autres étaient recommandables par la vigueur de leur jeunesse. Quelques-uns avaient été élevés depuis peu de temps au saint Ministère, et commençaient à en exercer les fonctions. L'Empereur leur faisait fournir tout ce qui était nécessaire pour leur subsistance. Voila de quelle manière Eusèbe parle de ces Evêques qui s'étaient assemblés à Nicée. L'Empereur ayant ordonné des jeux solennels, pour la victoire qu'il avait remportée sur Licinius se rendit à Nicée ville de Bithynie. Parmi les Evêques, il y en avait deux fort célèbres Paphnuce de la haute Thébaïde, et Spyridion de Chypre. Je dirai dans la suite la raison pour laquelle je les nomme plutôt que les autres. Il y avait, aussi plusieurs Laïques savant en l'art de raisonner, et fort bien préparés à défendre leur sentiment. Eusèbe Evêque de Nicomédie, Théognis Évêque de Nicée, et Maris Evêque de Calcédoine en Bithynie soutenaient l'opinion d'Arius. Athanase Diacre d'Alexandrie, qui était fort estimé par Alexandre son Evêque et qui pour ce sujet, fut exposé aux traits de l'envie, les combattait fortement, comme nous verrons ci-après. Avant que les Evêques se fussent assemblés, ceux qui étaient savants dans l'art du raisonnement, commencèrent à agiter les questions. Un Laïque de bon sens, qui avait eu le courage de confesser le nom de Jésus-Christ durant la persécution, voyant qu'ils attiraient beaucoup de monde par l'élégance de leurs discours, entreprit de les réfuter de cette sorte. « Le Sauveur ni les Apôtres nous ont enseigné non les règles de la Logique, ni de vaines subtilités, mais la vérité qui se conserve par la foi, et par les bonnes œuvres. » Tous ceux qui étaient présents, l'écoutèrent avec admiration, et approuvèrent ce qu'il avait dit. Les Logiciens mêmes en devinrent plus modérés, et le bruit que leur dispute avait excité, cessa. Le jour suivant tous les Evêques s'assemblèrent dans le même lieu. L'Empereur arriva après eux, et se tint debout jusques à ce qu'ils lui eussent fait signe de s'asseoir, tant il avait de respect pour leur dignité. Etant tous demeurés dans le silence, l'Empereur commença à parler de sa place pour les exhorter de renoncer à leurs contestations particulières, et à rentrer ensemble dans une parfaite intelligence. Car ils formaient les uns contre les autres diverses accusations, et quelques-uns avaient présenté le jour précédent des mémoires à l'Empereur. Il les exhorta à travailler plutôt à l'affaire pour laquelle, ils étaient assemblés, et commanda de brûler leurs mémoires, n'ajoutant que cette parole. Jésus Christ a commandé que quiconque veut obtenir le pardon, pardonne lui-même à ses frères. Les ayant portés de la sorte à entretenir la paix parmi eux, il leur permit d'examiner les matières de doctrine, et les différends de la Religion. Il est à propos de voir ce qu'Eusèbe en rapporte dans le troisième livre de la Vie de ce Prince. Voici ses paroles. Plusieurs choses ayant été proposées d'abord de part et d'autre, et les contestations s'étant échauffées, l'Empereur qui n'avait tout écouté avec une patience singulière, reprit leurs raisons, et tâcha de les accorder. Il parla en Grec, et se fit admirer par sa modération et par sa sagesse. Il réduisit les uns à son sentiment par la force de ses raisons, il fléchit les autres par la douceur de ses prières, il loua la prudence de ceux qui avaient parlé à propos, et les porta tous à la paix. Ils ne convinrent pas seulement de la vérité de la foi, mais aussi de l'unité du jour, auquel on doit célébrer la fête de Pâque. La résolution fut rédigée par écrit, et confirmée par la signature de ceux qui étaient présents. J'ai inséré à dessein dans mon Histoire, le récit qu'Eusèbe nous a laissé de ce Concile, afin que si quelqu'un veut prétendre que cette sainte assemblée a erré en la foi, on ne l'écoute point, et que l'on ne croie point Sabin Macédonien, qui appelle ceux qui y assistèrent des simples et des ignorants. Ce Sabin qui était Evêque d'Héraclée ville de Thrace, a fait un recueil de divers Conciles, dans lequel il se moque des Pères de celui de Nicée, comme de personnes simples et ignorantes, sans prendre garde qu'il accuse d'ignorance Eusèbe, qui après un long et mûr examen, embrassa la décision de foi, qui y avait été faite. Il omet certaines choses à dessein, il en altère d'autres ; et les tourne toutes selon ses intentions, et ses intérêts. Il parle d'Eusèbe, comme d'un témoin très digne de foi. Il donne aussi de grandes louanges à l'Empereur, comme à un Prince très bien instruit des vérités de la Religion Chrétienne. Mais à l'égard de la foi qui a été exposée dans le Concile, il la reprend comme l'ouvrage de gens simples, et qui ne savaient rien. Il est si imprudent que de mépriser les paroles d'un homme, dont il loue la sagesse, et dont il reçoit le témoignage. Car Eusèbe assure expressément que parmi les sacrés Ministres quiassistèrent au Concile de Nicée, les uns excellaient par l'éminence de leurs sagesse, et les autres par la fermeté de leur courage, et que l'Empereur qui était présent, les mit d'accord, et les réunit tous dans le même sentiment. Nous parlerons encore de ce Sabin, lorsqu'il sera nécessaire. Au reste, voici quelle est la foi qui fut publiée dans le grand Concile de Nicée « Nous croyons en un Dieu Père tout-puissant, qui a fait le Ciel et la terre, et toutes les choses visibles et invisibles. Et en un seul Seigneur Jésus Christ Fils unique de Dieu, et né du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu du vrai Dieu, qui n'a pas été fait mais engendré : qui n'a qu'une même substance que le Père, consubstantiel au Père, et par qui toutes choses ont été faites. Qui est descendu des Cieux pour nous hommes misérables, et pour notre salut, et ayant pris chair de la Vierge Marie, par l'opération du saint Esprit, a été fait Homme. Qui a souffert. Qui est ressuscité le troisième jour. Qui est monté au Ciel. Qui viendra juger les vivants et les morts. Nous croyons aussi au saint Esprit. Quant à ceux qui disent : il y a eu un temps auquel le Fils n'était point, ou il n'était point, avant que d'avoir été engendré, où il a été fait de ce qui n'était point, et qui disent qu'il est d'une autre nature et d'une autre substance que son Père, qu'il est créé, et sujet au changement, la sainte Eglise, Catholique, et Apostolique, les frappe d'anathème. » Cette foi fut approuvée, et comme Eusèbe le témoigne signée par trois-cent dix-huit Evêques, II n'y en en eut que cinq qui refusèrent de la recevoir, parce qu'ils n'approuvaient point le terme de consubstantiel. Ces cinq étaient Eusèbe Evêque de Nicodémie, Thèognis Évêque de Nicée, Maris Évêque de Calcédoine, Théonas Évêque de Marmarique, et Secundus Évêque de Ptolemaïde. Comme ils disaient que consubstantiel est ce qui procède d'un autre ou par division comme une tasse d'or de la masse du même métal, ou par écoulement comme les enfants de leurs pères, ou par saillies comme les plantes de leurs racines, ils soutenaient que le Fils ne procède d'aucune de ces manières de son Père, et que par cette raison ils ne pouvaient recevoir la décision du Concile, et se moquant du mot de consubstantiel, ils refusèrent de souscrire à la condamnation d'Arius. Ce qui fut cause que les Evêques assemblés prononcèrent Anathème contre Arius et contre ceux qui suivaient son opinion, et leur défendit d'entrer dans Alexandrie. L'Empereur condamna Arius, Eusèbe et Théognis au bannissement. Peu de temps après qu'Eusèbe et Théognis furent arrivés au lieu de leur exil, ils présentèrent leur rétractation, et demeurèrent d'accord que le Fils est consubstantiel au Père, comme nous l'expliquerons plus amplement dans la suite. Mais lors Eusèbe surnommé Pamphile Évêque de Césarée en Palestine, après avoir douté dans le Concile, et avoir longtemps délibéré s'il devait recevoir la formule de foi, il y consentit enfin et la signa comme les autres. Il l'envoya signée aux fidèles de son Eglise, et leur expliqua le terme de consubstanciel de peur que la difficulté qu'il avait faite d'abord de signer, ne leur donnât occasion de concevoir quelque défiance de la pureté de la foi. Voici la manière dont il leur écrivit. « Il y a apparence, mes très chers frères que vous avez appris par une autre voie ce qui a été agité touchant la foi dans le grand Concile de Nicée. Car la renommée a accoutumé de prévenir les relations les plus particulierres, et les plus exactes. Or de peur que cette renommée ne vous rapporte les choses d'une autre manière qu'elles ne sont passées, j'ai cru vous devoir envoyer la formule de foi telle que je l'ai proposée et ensuite les additions avec lesquelles les Evêques ont jugé à propos de la publier. Voici la nôtre, telle qu'elle a été lue en présence de l'Empereur, et approuvée généralement par tout le monde; telle que nous l'avons reçue des Evêques nos prédécesseurs, telle que nous l'avons apprise dans notre jeunesse, lorsque nous avons reçu le Baptême ; telle qu'elle est contenue dans l'Ecriture sainte; telle enfin que nous l'avons enseignée tant dans l'ordre de Prêtrise, que dans la dignité Episcopale, et que nous la tenons encore aujourd'hui. « Nous croyons en un Dieu Père Tout-puissant qui a créé toutes les choses visibles et invisibles, et en un seul Seigneur Jésus Christ Verbe de Dieu, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vie de vie, Fils unique, premier né de toutes les créatures, engendré de Dieu le Père avant tous les siècles, par qui toutes choses ont été faites, qui a pris chair pour notre salut, et a conversé parmi les hommes, qui a souffert et est ressuscité le troisième jour ; qui est monté à son Père, et qui viendra de nouveau plein de gloire pour juger les vivants et les morts. Nous croyons aussi en un saint Esprit. Nous croyons l'existence, et la subsistance de chacun d'eux, que le Père est vraiment Père, que le Fils est vraiment Fils, et que le saint Esprit est vraiment saint Esprit : comme notre Seigneur le déclara lorsqu'il envoya ses Apôtres prêcher l'Evangile en leur disant : Allez et enseignez tous les peuples les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. Nous protestons que nous tenons cette foi, que nous l'avons toujours tenue, et que nous la tiendrons constamment jusques à la mort, en condamnant l'impiété de toutes les hérésies. Nous attestons en présence de Dieu tout-puissant, et de notre Seigneur Jésus Christ, que nous avons tenu sincèrement et de cœur toutes ces choses depuis que nous avons été capables de nous connaître, et de faire quelque réflexion sur nous-mêmes. Et nous sommes prêts de faire voir par des preuves très certaines, et de vous convaincre que nous avons toujours été dans cette créance, et que nous l'avons toujours prêchée. Lorsque nous proposâmes cette formule de notre foi, on n'y trouva rien à redire. Notre Empereur très chéri de Dieu témoigna le premier qu'elle était fort bien conçue et qu'il la tenait, et exhorta tous les autres à la signer, en y ajoutant seulement le terme de consubstantiel. Il expliqua ce terme en disant qu'il ne l'entendait point selon les propriétés du corps, et qu'il ne croyait point que le Fils subsistât du Père par division, ni par section. Parce qu'une nature incorporelle et intellectuelle ne peut avoir de propriété corporelle, et que cela se doit entendre d'une manière spirituelle et divine. Voila comment ce très sage et très religieux Prince s'expliqua. Les Evêques prenant occasion de ce terme de consubstantiel dressèrent la formule qui suit. Symbole. « Nous croyons en un Dieu Père tout-puissant, qui a créé toutes les choses visibles, et invisibles ; et en un seul Seigneur Jésus-Christ Fils unique de Dieu, engendré par le Père, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu du vrai Dieu, qui n'a pas été fait, mais engendré, qui n'a qu'une même substance que le Père, consubstantiel au Père, et par qui toutes les choses qui sont dans le ciel et sur la terre ont été faites ; qui est descendu des cieux pour nous hommes misérables, et pour notre salut, qui s'est incarné, s'est fait homme, et a souffert, qui est ressuscité le troisième jour, qui est monté au ciel, d'où il viendra pour juger les vivants, et les morts. Nous croyons aussi au S. Esprit. Quant à ceux qui disent, il y a eu un temps auquel il n'était pas et il n'était pas avant qu'il eût été engendré, il a été fait de ce qui n'était point auparavant, il est d'une autre nature, et d'une autre substance que le Père, il est créé, et sujet au changement, la sainte Église Catholique, et Apostolique prononce contre eux anathème. « Quand ils eurent dicté cette formule de foi, nous ne laissâmes pas passer sans examen ce qu'ils avaient dit que le Fils est de la substance du Père, et consubstantiel au Père. On fit plusieurs questions et plusieurs réponses pour rechercher le sens de ces termes. Ils avouèrent que le sens est que le Fils est du Père, mais non comme une de ses parties. Nous crûmes qu'il était juste de recevoir ce sens, parce que c'est une saine doctrine de dire que le Fils est du Père, non toutefois comme une partie de sa substance. Nous recevons cette idée, et ne rejetions pas même le terme de consubstantiel pour le bien de la paix, et de peur de nous éloigner de la vérité. Nous avons approuvé par la même raison ces autres termes engendré, et non pas fait. Car ils disaient que le terme de fait, est un terme commun à toutes les créatures qui ont été faites par le Fils, et auxquelles il n'est point semblable, étant d'une nature plus relevée ; qu'il tire sa substance du Père, selon que l'Ecriture l'enseigne, par une génération secrète qu'aucun esprit créé ne saurait comprendre, ni aucun discours exprimer. Cette manière dont le Fils est consubstantiel au Père ayant été examinée, on demeura d'accord qu'elle est différente de celle des corps, parce que ce n'est point par division de substance, ni par retranchement, ni par changement de la nature et de la vertu du Père. Que quand on dit que le Fils est consubstantiel au Père on n'entend rien autre chose, sinon que le Fils de Dieu n'a aucune ressemblance avec les créatures qui ont été faites par lui, mais qu'il a une parfaite ressemblance avec son Père, par qui il a été engendré, Qu'il est du Père et non d'une autre hypostase, ni d'une autre substance. Cette doctrine ayant été expliquée de la sorte, nous avons cru la devoir approuver parce que nous avons trouvé que d'anciens Evêques et de savants Ecrivains se sont servi du terme de consubstantiel, pour expliquer la Divinité du Père et du Fils. Voila ce que j'avais à vous dire touchant la foi qui a été proposée dans le Concile de Nicée, et à laquelle nous avons tous consenti, non inconsidérément et sans avoir murement délibéré, mais après avoir examiné en présence du très religieux Empereur les sens que je viens de rapporter, et les avoir approuvés pour les raisons que j'ai dites. Nous avons aussi consenti sans peine à l'anathème qu'ils ont prononcé, après la Formule de foi, parce qu'il défend de se servir de termes étrangers et éloignés de ceux dont l'Ecriture sainte se sert ; étant certain que c'est de ces termes-là que sont venus tous les différends et les troubles de l'Eglise. L'Ecriture inspirée par le saint Esprit ne s'étant donc jamais servie de ces termes, de ce qui n'est point ; et il y a eu autrefois un temps où il n'était point, ni d'autres semblables qui sont rapportés dans le même endroit, nous n'avons pas cru qu'il fût raisonnable de les employer, ni de les enseigner. Nous nous sommes encore soumis d'autant plus volontiers en ce point, au décret du Concile, que nous n'avions point accoutumé de nous servir de ces termes. Nous avons cru mes très chers frères, vous devoir représenter exactement toutes ces choses pour vous faire voir avec combien de prudence et de maturité nous avons ou, suspendu ou donné notre contentement, et pour vous faire connaître combien nous avons eu de raison de résister presque jusques à la fin, pendant que nous étions choqués de certains termes, qui avaient été rédigés par écrit. Mais enfin nous avons reçu sans contestation ce qui ne nous choquait plus, depuis que par l'examen du sens, nous avons trouvé qu'il était conforme à la foi, dont nous avons toujours fait profession. » Eusèbe envoya cette lettre à Césarée de Palestine. Le Concile écrivit à l'Eglise d'Alexandrie, et aux autres Eglises d'Egypte, de Libye, et de Pentapole. Voici sa lettre. [1,9] CHAPITRE IX. De ce qui fut ordonné dans le Concile, et de la déposition d'Arius, et de ses Sectateurs. « A La sainte, par la grâce de Dieu, et à la grande Église d'Alexandrie, et à nos très chers frères, qui sont établis en Egypte, en Libye, et à Pentapole, les Evêques assemblés à Nicée, et qui y ont tenu le saint et le grand Concile: Salut en notre Seigneur. Puisqu'ayant été assemblés de diverses Villes et de diverses Provinces, par la volonté de Dieu, dont la, puissance est égale à la bonté, et par l'ordre de l'Empereur Constantin qui lui est très cher, nous avons tenu le grand et le saint Concile de Nicée, nous avons cru qu'il était absolument nécessaire de vous écrire, pour vous informer de ce qui y a été proposé, examiné, résolu, et décidé. On a traité d'abord en présence du très Religieux Empereur Constantin, de l'impiété d'Arius et de ses compagnons, et d'un commun consentement on est demeuré d'accord, de prononcer anathème contre son opinion impie, et contre les blasphèmes qu'il avance en disant que le Fils de Dieu est venu de rien, qu'il y a eu un temps auquel il n'était pas, qu'il se pouvait porter par son libre arbitre au vice ou à la vertu, et en l'appelant créature. Le saint Concile ne pouvant souffrir l'impiété ni l'extravagance de ces sentiments, les a condamnés. Vous apprendrez bientôt ce qui a été fait contre lui, si vous ne l'avez déjà appris et nous ne le dirons point ici, de peur qu'il ne semble que nous voulions insulter à un homme, qui a reçu le châtiment qu'il méritait. Le poison de son erreur a été si contagieux qu'il a infecté Théonas Evêque de Marmarique, et Secundus Évêque de Ptolemaïde, qui ont été condamnés à la même peine que lui. Mais puisque par la miséricorde de Dieu tout puissant, vous êtes délivrés de l'impiété et de la contagion de cette erreur et de ces blasphèmes, et de ces hommes inquiets qui ont osé troubler par leurs contestations la paix des Fidèles. La désobéissance de Méléce, et de ceux qui ont reçu les ordres de lui restait encore, nous voulons-bien vous faire savoir ce que le Concile a résolu à leur égard. Il a usé d'indulgence envers Méléce ; car à la rigueur il ne méritait point de pardon. Il lui a permis de demeurer dans sa ville, sans néanmoins avoir droit d'imposer les mains, ni sans avoir de voix aux Elections, sans qu'il puisse paraître en aucune ville, ni en aucun bourg pour cet effet, et à la charge qu'il ne conservera que l'honneur de son rang. Quant à ceux qu'il a ordonnés, qu'ils soient admis à la charge qu'ils conserveront leur rang, et qu'ils exerceront leurs fonctions, et que toutefois ils ne seront jamais qu'après ceux qui auront été ordonnés et établis dans chaque Paroisse et dans chaque Eglise par Alexandre notre très cher Collègue. A la charge aussi qu'ils n'auront aucun droit d'élire, ni de proposer qui que ce soit, ni de faire aucune chose sans le consentement de l'Evêque de l'Eglise Catholique soumis à Alexandre. Quant à ceux qui ayant été soutenus par la grâce de Dieu, et assistés de vos prières n'ont jamais eu de part au schisme, et qui sont demeurés dans l'Église Catholique et Apostolique, sans avoir jamais été flétris d'aucune tache, qu'ils ont droit d'élire, et de proposer les noms de ceux qui méritent d'être admis dans le Clergé, et de tout faire selon les lois et les règles de l'Eglise. Que s'il arrive que quelqu'un de ceux qui font dans les Dignités sacrées, meure, on pourra mettre en leur place un de ceux qui ont été reçus depuis peu, pourvu qu'il en soit jugé digne, qu'il soit élu par le peuple, et que l'élection soit confirmée par l'autorité d'Alexandre Evêque d'Alexandrie. Et cela est accordé de la même sorte à tous les autres. On a néanmoins jugé à propos d'en ordonner autrement touchant Méléce, à cause de l'opiniâtreté de sa désobéissance, et des emportements auxquels il est sujet de son naturel, de peur que si l'on lui remettait l'autorité entre les mains, il n'en abusât pour exciter de nouveaux troubles. Voila ce qui concerne l'Egypte et la très sainte Eglise d'Alexandrie. Que si outre ceci, il y a eu quelque chose d'ordonné et de défini en présence d'Alexandre notre très cher frère et Collègue il vous en informera, puisqu'il y aura eu la principale part. Nous vous avertissons aussi que le différend touchant le jour auquel la fête de Pâque doit être célébrée, a été heureusement terminé par le secours de vos prières, et que tous nos frères qui dont en Orient, et qui célébraient autrefois la fête de Pâque le même jour que les Juifs, la célébreront à l'avenir le même jour que les Romains, et que les autres qui la célèbrent de tout temps avec nous. Recevez donc Alexandre notre Collègue et votre Evêque, qui nous a fort réjouis par sa présence, et qui dans un âge fort avancé, a supporté des travaux incroyables pour vous procurer la paix, recevez-le, disons-nous avec de plus grands témoignages de joie que jamais, et avec les marques d'un plus profond respect et d'une plus sincère affection. Priez pour nous Dieu tout-puissant, notre Seigneur Jésus Christ, et le saint Esprit, à qui gloire soit rendue durant tous les siècles, que ce qui a été décidé et ordonné, demeure ferme et. immuable et pour l'heureux succès de ces grandes affaires, pour le rétablissement de la paix et de la concorde, et pour la destruction de l'erreur. » Il est clair par la lecture de cette lettre, que le Concile n'avait pas seulement condamné Arius et ses Sectateurs, mais qu'il avait aussi prononcé anathème contre les termes, dont ils se servaient, pour expliquer leur erreur. Que les Evêques s'étant accordés touchant le jour auquel on célébrerait la fête de Pâque, ils reçurent dans leur communion Méléce, bien qu'il eût été auteur de secte, permirent qu'il conservât le rang de sa dignité, sans lui laisser néanmoins la liberté d'en exercer aucune fonction. Je crois que la raison pour laquelle les Méléciens sont encore séparés aujourd'hui de l'Eglise en Egypte, est que le Concile avait ôté à Méléce le pouvoir d'exercer aucune fonction Ecclésiastique. Au reste Arius composa un livre pour défendre son opinion, et lui donna le nom de Thalie. Le style en est lâche et semblable à celui des vers de Sotade. Il fut condamné en même temps par les Évêques. Le Concile n'eut pas seul le soin d'écrire aux Eglises pour les avertir de la paix qui avait été rétablie par ses décisions. L'Empereur Constantin voulut aussi en écrire en ces termes à l'Eglise d'Alexandrie. Lettre de l'Empereur Constantin. Constantin Auguste à l'Eglise d'Alexandrie. « Je vous salue, mes très chers frères. La divine Providence nous a fait une grande miséricorde, en nous délivrant de l'erreur, et nous réunissant dans la même foi. Le démon n'aura désormais aucun pouvoir contre nous puisque les machines qu'il préparait pour nous battre, sont entièrement ruinées. La vérité a apaisé nos différends et nos tumultes, sa force a surmonté la malignité de nos inimitiés et de nos discordes. Nous croyons et adorons tous le même Dieu. Pour parvenir à un si grand bien, j'ai assemblé par son secours à Nicée, un grand nombre d'Evêques, avec lesquels moi qui ne suis qu'un d'entre vous, et qui tiens à honneur de servir avec vous le même Dieu, j'ai examiné la vérité. On a considéré très exactement tout ce qui pouvait servir de matière aux contestations et aux disputes. Je prie Dieu de pardonner à quelques uns l'impudence et l'énormité des blasphèmes, qu'ils ont vomi contre l'honneur du Sauveur, contre l'espérance de notre salut, contre l'autorité de la sainte Ecriture, et contre la vente de notre foi. Plus de trois cent Evêques, tous considérables par l'éminence de leur science, et par la modération de leur esprit, étant convenus de la vérité de la foi qui ne peut être qu'une, selon la sainte Ecriture, il s'est trouvé qu'Arius, qui ayant été surpris par la ruse du démon a répandu l'erreur parmi nous, et ensuite parmi d'autres. Recevons la doctrine que Dieu tout puissant nous a donnée. Retournons à nos frères, de la société desquels cet impudent ministre du diable nous a séparés. Hâtons-nous de nous rejoindre à notre corps et à nos membres. La prudence, la religion et la sainteté dont vous faites profession, vous obligent de recourir à la grâce, après avoir reconnu l'erreur de celui qui est certainement ennemi de la vérité. La doctrine dont les trois cent Evêques sont convenus, ne peut être que la doctrine de Dieu, et il n'est pas permis de douter que l'Esprit saint qui les remplit, et qui les anime, ne leur ait découvert sa volonté. Qu'aucun de vous ne doute, qu'aucun ne diffère. Revenez tous promptement à la voie de la vérité, afin que quand je vous irai trouver, je puisse rendre grâces à Dieu, de vous avoir réunis dans la vérité de la foi par le lien de la charité. Que Dieu vous conserve mes très chers frères. » Voila ce que l'Empereur écrivit au peuple d'Alexandrie pour rassurer que la décision de foi n'avait point été faite légèrement ni inconsidérément dans le Concile, mais après un examen très exact: ; que l'on n'y avait rien dissimulé ni omis, et que l'on y avait proposé tout ce qui pouvait servir à l'éclaircissement de la vérité, de sorte qu'il ne restait plus aucun sujet de contestation ni de dispute. Enfin pour tout dire en peu de paroles, il appelle le sentiment des Évêques qui s'étaient assemblés à Nicée, le sentiment et la volonté de Dieu; et ne doute point que leur union et leur bonne intelligence n'ait été produite par le saint Esprit. Cependant Sabin chef de la secte des Macédoniens, s'oppose volontairement à un témoignage si avantageux et si authentique, en appelant les Evêques de ce Concile des hommes simples, et sans science. Peu s'en faut qu'il n'accuse d'ignorance Eusèbe de Césarée. Il ne fait point réflexion que quand ces Evêques auraient été simples et ignorants, ils n'auraient pas laissé d'être éclairés de la lumière de la grâce, et qu'ainsi ils n'auraient pu s'éloigner de la vérité. Voyons ce que le même Empereur a ordonné dans une autre lettre contre Arius et ses Sectateurs. Constantin Vainqueur, très Grand, Auguste : Aux Evêques, et au Peuple. Arius ayant imité les impies et les méchants, mérite d'être couvert de la même infamie qu'eux. Comme Porphyre ennemi de le véritable piété, a composé de méchants livres contre la Religion Chrétienne, que son nom est odieux parmi les gens de bien, et que ses livres sont supprimés, nous avons trouvé à propos qu'Arius et ses Sectateurs soient appelés à l'avenir Porphyriens, afin qu'ils soient déshonorés par le nom de celui dont ils ont imité l'impiété. Que s'il se trouve quelque livre d'Arius, nous voulons qu'il soit brûlé, afin que sa détestable doctrine soit abolie, et qu'il ne passe aucun monument de lui à la postérité. Quiconque aura été convaincu d'avoir caché un livre d' Arius, au lieu de le brûler, sera puni de mort. Je prie Dieu qu'il vous conserve. » Autre lettre de Constantin. Constantin Auguste : Aux Eglises. « LA prospérité dont joui l'Empire, m'étant une preuve certaine de la bonté de Dieu envers nous, je me suis tenu obligé de travailler pour faire en sorte que le saint Peuple de l'Eglise Catholique fût uni par la profession de la foi, par le lien de la charité, et par l'exercice de la même Religion. Mais parce qu'il n'était pas possible de parvenir à la possession d'un si grand bien, sans que tous les Evêques ou presque tous s'assemblassent, je les ai assemblés, et me suis trouvé avec beaucoup de joie, comme un de vos conserviteurs, dans leur assemblée, où les matières ont été examinées jusques à ce que le sentiment approuvé de Dieu, ait produit la paix, de sorte qu'il ne reste aucun sujet de contestation ni de dispute. La question touchant la fête de Pâque y ayant été agitée, tous sont demeurés d'accord d'un commun consentement de la célébrer le même jour. Car qu'y a-t-il de si beau et de si honnête que de garder tous le même usage, dans la solennité de cette fête, en laquelle nous avons reçu l'espérance d'une vie immortelle et glorieuse ? Tous ont jugé que c'était une chose indigne, de suivre en ce point la coutume des Juifs, qui s'étant souillés par le plus criminel de tous les parricides ne doivent être considérés que comme des impurs et des aveugles. Nous devons rejeter leur coutume, puisque nous en avons une meilleure que nous avons observée depuis la passion du Sauveur, et que nous transmettrons aux siècles suivants. N'ayons donc rien de commun avec cette nation ennemie. Suivons la voie que le Sauveur nous a enseignée. Tenons le droit chemin de notre sainte Religion. Ce qu'ils ont la vanité de publier, est tout-à-fait ridicule, que nous ne pouvons savoir le jour auquel on doit célébrer la fête de Pâque, s'ils ne nous l'enseignent. Que peuvent-ils savoir eux, qui depuis qu'ils ont fait mourir le Sauveur, ont perdu le sens et, la raison, et n'ont plus agi que par passion et par fureur ? Ils sont si fort éloignés de la vérité, même en ce point, qu'ils célèbrent deux fois la fête de Pâque en une année. Pourrions-nous les suivre dans leur égarement, et célébrer deux fois la même fête en une année ? Mais quand vous n'auriez pas ces raisons-là, il serait toujours de votre prudence, de n'avoir rien de commun dans vos coutumes, ni dans l'observation de vos fêtes avec cette nation criminelle. De plus il faut considérer, qu'il ne se doit trouver aucune diversité dans la célébration de la fête la plus solennelle de notre Religion. Le Sauveur ne nous a laissé qu'un jour de la fête de notre délivrance, qui est le jour de sa passion, et a voulu qu'il n'y eût qu'une Eglise, dont les membres, bien que répandus en divers lieux, ne laissent pas d'être animés par le même esprit. Considérez combien il est contraire à la bienséance, que dans les mêmes jours les uns observent le jeûne, et les autres fassent des festins. Je crois que vous jugez bien que la Divine Providence veut ôter cette diversité et mettre l'uniformité. Ainsi cet abus devant être corrigé afin que nous n'eussions plus rien de commun avec les parricides qui ont fait mourir notre Maître, et la coutume observée par toutes les Eglises de Midi, de Septentrion et d'Occident, et par quelques-unes même d'Orient, étant très raisonnable, tous ont jugé qu'elle devait être généralement reçue, et j'ai promis que vous-vous y soumettriez. Embrassez donc volontairement l'usage, qui est établi à Rome, en Italie, en Afrique, en Egypte, en Espagne, en Gaule, en Angleterre, en Achaïe, dans le Diocèse d'Asie et de Pont, et en Cilicie. Considérez non seulement que le nombre de ces Eglises-là est plus grand que celui des autres, mais encore que leur usage est appuyé sur de solides raisons, et que nous ne devons rien avoir de commun avec le parjure des Juifs. Je vous dirai pour employer moins de paroles, que tous les Évêques ont été d'avis de célébrer la fête de Pâque au même jour. Il ne doit point y avoir de différentes pratiques dans une si grande solennité, et le plus sûr est de suivre l'usage, qui éloigne de la société de l'erreur et du crime. Ce qui étant ainsi , obéissez avec joie à cet ordre. Car ce qui est ordonné par les saints Evêques dans les Conciles, n'est ordonné que par la volonté de Dieu. Lorsque vous aurez fait savoir à nos très chers frères ce que je vous écris, vous résoudrez ensemble d'observer la très sainte fête de Pâque au même jour, afin que quand je vous irai trouver, comme je le souhaite avec passion depuis longtemps, je la puisse célébrer avec vous, et me réjouir de ce que la cruauté du diable a été surmontée par la puissance de Dieu, et de ce que la paix et la vérité de notre Religion règnent par toute la terre. Je prie Dieu, mes très chers frères, qu'il vous conserve. » Autre lettre à Eusèbe. Constantin Vainqueur, très Grand, Auguste : à Eusèbe. « Je me persuade, mon très cher frère, que les serviteurs du Sauveur, ayant été jusques à ce jour exposés à l'injustice et à la violence de la persécution, les Eglises sont tombées en ruine, pour avoir été négligées, ou au moins qu'elles n'ont point été entretenues avec le soin qui était nécessaire. Mais maintenant que la liberté est rendue à l'Eglise, et que le dragon a été privé de la puissance souveraine par l'ordre de la Providence, et par la force de mes armes, je crois que la grandeur de Dieu est connue de tout le monde, et que ceux qui ont manqué autrefois, ou par passion, ou par infidélité, embrasseront volontairement son culte. Travaillez donc avec toute l'application dont vous êtes capable, au rétablissement des Eglises soumises à votre conduite, et avertissez les Evêques, les Prêtres et les Diacres des autres lieux, de travailler avec la même application pour réparer les Edifices qui subsistent encore, pour les accroître, ou pour en faire de nouveaux. Demandez, vous et les autres Évêques aux Gouverneurs des Provinces, et au Préfet du Prétoire, tout ce qui sera nécessaire pour cet effet. Car ils ont reçu ordre, par écrit d'obéir à tout ce que votre Sainteté leur commandera. Je prie Dieu, mon très cher frère, qu'il vous conserve. » Voila ce que cet Empereur écrivit aux Évêques de toutes les Provinces pour le rétablissement des Eglises. Nous allons voir par ce qu'il manda à Eusèbe Évêque de Césarée, combien il prit de soin de faire écrire quantité d'exemplaires des Livres de la sainte Ecriture. Constantin Vainqueur, très Grand, Auguste : à Eusèbe Evêque de Césarée. « UNE très-grande multitude de personnes ont par la miséricorde du Sauveur fait profession de la Religion Chrétienne dans la ville à laquelle nous avons donné notre nom. Il est juste que les Eglises y soient accrues, à proportion du reste de toutes les autres choses qui y reçoivent de jour en jour un nouvel accroissement, permettez donc que je vous déclare le dessein que j'ai conçu. Je suis d'avis que vous fassiez écrire un beau parchemin, cinquante exemplaires de la sainte Ecriture, dont vous savez que l'usage est très nécessaire dans l'Eglise, et que vous choisissiez des personnes capables, de sorte que ces exemplaires-là soient aisés à lire, et qu'ils puissent être transportés commodément. J'ai mandé au Logothète du Diocèse, qu'il ait soin de fournir ce qui fera nécessaire pour cette dépense. Il sera de votre diligence de pourvoir à ce que ces copies soient achevées en peu de temps. Lorsqu'elles le seront, prenez, en vertu de cette lettre, deux voitures publiques pour me les envoyer, et choisissez pour cet effet un de vos Diacres, que je recevrai favorablement. Que Dieu vous conserve, mon très cher frère. » Autre lettre à Macaire Evêque de Jérusalem. Constantin Vainqueur, très Grand, Auguste : à Macaire Evêque de Jérusalem. « LA grâce que le Sauveur nous fait, est si extraordinaire et si admirable, qu'il n'y a point de paroles qui la puissent dignement exprimer. En effet qu'y a-t-il de si admirable que l'ordre de la Providence, par lequel il a caché sous terre durant un si long espace de temps le monument de sa passion jusques à ce que l'ennemi de la piété eût été vaincu, et que ses Serviteurs eussent été mis en liberté ? Il me semble que quand on assemblerait tout ce qu'il y a de Savants et d'Orateurs dans le monde, ils ne pourraient jamais rien dire qui approchât de la grandeur de ce miracle, parce qu'il est autant au dessus de toute créance, que la Sagesse éternelle est au dessus de la raison. C'est pourquoi je me propose d'exciter tous les peuples à embrasser la véritable Religion avec une ardeur égale à l'éclat des événements merveilleux par lesquels la vérité de la foi est confirmée de jour en jour. Je ne doute point que comme ce dessein-là que j'ai, est connu de tout le monde, vous ne soyez très persuadé que je n'ai point de plus forte passion, que d'embellir par de magnifiques bâtiments ce lieu qui étant déjà saint, a été encore sanctifié par les marques de la passion du Sauveur, et qui a été déchargé par la volonté de Dieu et par mes soins du poids d'une Idole dont il avait été chargé. Je remets à votre prudence, de prendre les soins nécessaires, pour faire en sorte que les édifices surpassent en grandeur et en beauté tout ce qu'il y a de beau et de grand au reste du monde. J'ai donné charge à notre très cher Dracilien, Vicaire des Préfets du Prétoire, et Gouverneur de la Province, d'employer suivant vos ordres les plus excellents Ouvriers à élever les murailles. Mandez-moi quels marbres et quelles colonnes vous désirez, afin que je les fasse conduire. Je serai bien aise de savoir, si vous jugez que l'Eglise doive être lambrissée ou non. Car si elle doit être lambrissée, en y pourra y mettre de l'or. Faites savoir au plutôt aux Officiers que je vous ai nommés le nombre des Ouvriers, et les sommes d'argent qui seront nécessaires, et les marbres, les colonnes et les ornements qui seront les plus beaux et les plus riches, afin que j'en sois promptement informé. Je prie Dieu, mon très cher frère, qu'il vous, conserve. » Il écrivit encore à toutes les villes d'autres lettres en forme de discours contre Arius et ses Sectateurs, qu'il raille agréablement, il en écrivit aussi une aux habitants de Nicomédie contre Eusèbe et Théognis, dans laquelle il reprend le premier, non seulement d'avoir favorisé l'erreur d'Arius, mais de plus d'avoir appuyé le parti du Tyran, et exhorte d'élire un autre Evêque en sa place. Ces lettres-là sont trop longues pour être transcrites ici. Ceux qui désireront de les voir, les pourront chercher ailleurs. [1,10] CHAPITRE X. Acèse, Evêque des Novatiens, est mandé au Concile par l'Empereur. JE ne dois pas omettre un autre soin que l'Empereur prit d'établir la paix de l'Eglise en mandant au Concile, Acèse, Evêque des Novatiens. Lorsque la formule de foi eut été dressée et signée par tous les autres, il lui demanda s'il y consentait, et s'il demeurait d'accord de ce qui avait été ordonné touchant la célébration de la fête de Pâque. Le Concile n'a rien défini de nouveau, répondit Acèse, et j'ai appris de l'ancienne tradition qui s'est conservée jusques à nous depuis le temps ces Apôtres, la même définition de foi, et la même coutume de célébrer la fête de Pâque. Pourquoi donc, repartit l'Empereur, vous séparez-vous de la communion des autres? Alors Acèse rapporta ce qui était arrivé durant la persécution excitée sous le règne de Dèce, et la loi rigoureuse par laquelle il avait été ordonné que ceux qui avaient commis depuis leur baptême un des péchés que l'Ecriture sainte appelé péchés à la mort, ne seraient point admis à la participation des saints mystères, mais seulement invités à faire pénitence ; sans qu'ils pussent en espérer le pardon des Prêtres, ni d'autres que de Dieu qui a seul droit de remettre les péchés. Acèse ayant fait cette réponse, l'Empereur lui dit, prenez une échelle et montez seul au ciel. Cette histoire n'a été rapportée ni par Eusèbe surnommé Pamphile, ni par aucun autre Ecrivain. Je l'ai apprise d'un homme digne de foi, et qui racontait dans un âge fort avancé ce qu'il avait vu lui-même dans le Concile. Ce qui me fait juger que ceux qui ont supprimé ce fait, l'ont supprimé par un motif semblable à celui par lequel plusieurs Historiens ont passé sous silence des choses fort importantes, soit par aversion de quelques personnes, ou par le désir d'en favoriser d'autres. [1,11] CHAPITRE XI. De Paphnuce. JE m'acquitterai en cet endroit, de la promesse que j'ai faite de parler de Paphnuce et de Spyridion. Paphnuce était Evêque d'une Ville de la haute Thébaïde. Il avait une si rare piété qu'il faisait des miracles. Il avait eu un œil crevé durant la persécution. L'Empereur avait une singulière vénération pour lui, le faisait souvent venir dans son Palais, et baisait l'œil qu'on lui avait crevé. Voila ce que j'avais à remarquer de sa personne. J'ajouterai maintenant ce qui fut ordonné par son avis, pour le bien de l'Eglise, et pour l'honneur du Clergé. Les Evêques ayant été d'avis de faire une nouvelle loi, par laquelle il serait ordonné que les Evêques, les Prêtres et les Diacres se sépareraient des femmes qu'ils avaient épousées, lorsqu'ils n'étaient que Laïques; comme l'on prenait les avis, Paphnuce se leva au milieu des autres Evêques; et élevant sa voix, dit qu'il ne fallait point imposer un pesant joug aux Clercs, ni aux Prêtres ; que le mariage est honorable, et que le lit nuptial est sans tache: qu'une trop grande sévérité pourrait être nuisible à l'Eglise, que tout le monde n'est pas capable d'une continence si parfaite ; et que les femmes ne garderaient peut-être pas la chasteté. Il appelait chasteté l'usage du mariage contracté selon les lois, qu'il suffisait que ceux qui avaient été admis dans le Clergé, ne se mariassent plus, selon l'ancienne tradition de l'Eglise ; sans que l'on obligeât ceux qui s'étaient mariés étant Laïques, à quitter leurs femmes. Paphnuce soutint cet avis, bien que non seulement il n'eût jamais été marié, mais qu'il n'eût jamais eu connaissance d'aucune femme, ayant été élevé dés son enfance dans un Monastère, et s'y étant fait admirer par sa singulière chasteté. Tous les Evêques se rendirent à son sentiment, et sans délibérer davantage, laissèrent l'affaire en la liberté de ceux qui étaient mariés. Voila ce que j'avais à dire de Paphnuce. Parlons maintenant de Spyridion. [1,12] CHAPITRE XII. De Spyridion Évêque de Chypre. Il avait une si admirable sainteté dès le temps qu'il n'était que Pasteur de brebis, qu'il mérita d'être fait Pasteur d'hommes, et Évêque de Trimunthis, Ville de l'île de Chypre. Il conserva une si grande modestie dans sa dignité, qu'il continua de mener paître son troupeau, comme auparavant. On raconte de lui plusieurs choses. Mais je n'en remarquerai qu'une ou deux, de peur de m'éloigner trop de mon sujet. Des voleurs étant entrés durant la nuit dans sa bergerie, tâchèrent d'en emmener des moutons. Spyridion y étant allé à la pointe du jour, vit les voleurs qui avaient les mains liées derrière le dos, et reconnut ce qui leur était arrivé ; puis il se mit en prières, les délia, les exhorta à vivre de leur travail plutôt que de brigandage , leur donna un bélier, et leur dit en riant, qu'il le leur donnait, de peur qu'ils n'eussent veillé inutilement toute la nuit, et les renvoya. Voila un de ses miracles. Encore un autre. Il avait une fille nommée Irène, qui s'efforçait autant qu'il lui était possible, d'imiter sa piété. Un homme lui ayant donné un ornement de prix à garder, elle le mit en terre, pour le garder plus sûrement, et mourut bientôt après. Celui qui le lui avait donné en garde, ne l'ayant plus trouvée, s'adressa à son Père, l'accusant tantôt d'avoir détourné son dépôt, et le conjurant tantôt de le lui rendre. Spyridion à qui la perte de ce dépôt n'était pas moins sensible que s'il l'eût faite lui-même, alla au tombeau de sa fille, et pria Dieu de lui accorder sa résurrection, comme par anticipation., et avant le temps ordinaire. A l'heure-même sa fille lui parut en vie, et après qu'elle lui eut déclaré l'endroit, où elle avait caché le dépôt, elle mourut une seconde fois. Voila les Evêques qui fleurissaient sous le règne de Constantin. J'ai appris cette Histoire-là de plusieurs habitants de l'île de Chypre, et je l'ai lue dans un livre écrit en latin par Rufin Prêtre, d'où j'ai tiré encore d'autres choses que je rapporterai dans la suite. [1,13] CHAPITRE XIII. D'Eutychien, Moine. J'AI trouvé qu'un très saint Homme nommé Eutychien, vivait dans le même temps. Bien qu'il fût de l'Eglise des Novatiens, il a fait, au grand etonnement de tout le monde, plusieurs miracles semblables à celui que je viens de raconter. Je ne dissimulerai point de qui j'ai appris ce que je dirai de lui, bien que je sache que j'exciterai par là la haine de plusieurs personnes. Un vieux Prêtre de l'Eglise des Novatiens nommé Auxanon, qui étant fort jeune, alla au Concile de Nicée avec Acèse, m'a raconté ce que j'en ai rapporté. Ayant vécu jusques sous le règne du jeune Théodose, il m'a aussi appris dans ma jeunesse beaucoup de choses touchant Eutychien, et touchant les merveilleux dons qu'il avait reçus de Dieu, mais il ne m'en a rien appris de si considérable qu'un fait qui arriva sous le règne de Constantin. Un des Gardes, que l'on appelle Domestiques, ayant été soupçonné d'avoir conspiré contre l'Empereur, crut ne pouvoir mieux faire que de s'enfuir. L'Empereur transporté de colère, commanda de l'exécuter à mort en quelque lieu qu'il fût trouvé. Ce Garde ayant été arrête en Bithynie vers le mont Olympe, et assez proche de l'endroit où Eutychien vivait dans une sainte solitude, et guérissait les maladies du corps et de l'âme de plusieurs personnes, il fut chargé de chaînes et mis en prison. Auxanon était alors fort jeune, et commençait à s'accoutumer aux exercices de la vie monastique sous la conduite d'Eutychien. Plusieurs personnes étant venu supplier ce saint Solitaire d'avoir la bonté de demander la grâce de ce prisonnier à l'Empereur, qui avait entendu parler de ses miracles, il promit de le faire. Mais sur ce que ceux qui parlaient en sa faveur, lui remontrèrent que la rigueur de ses chaînes le mettait en danger de la vie, et que s'il n'en était promptement déchargé, il mourrait sous leur pesanteur, avant que l'Empereur l'eût fait exécuter à mort, ou lui eût accordé sa grâce, il envoya prier les Gardes, de le soulager. Les Gardes ayant répondu qu'ils se mettraient eux-mêmes en peine, s'ils laissaient le prisonnier en liberté, Eutychien alla avec Auxanon à la prison, dont les Gardes ayant refusé d'ouvrir les portes, elles s'ouvrirent d'elles-mêmes, et aussitôt qu'Eutychien et Auxanon y furent entrés, les chaînes du prisonnier tombèrent à terre, au grand étonnement de tous ceux qui étaient présents. Eutychien alla ensuite avec Auxanon à Constantinople, que l'on appelait auparavant Byzance, ou ayant été introduit devant l'Empereur, il obtint de lui la grâce du prisonnier. Cela arriva un peu avant le temps dont j'écris maintenant l'Histoire. Les Evêques qui s'étaient assemblez à Nicée, ayant fait divers Canons, retournèrent chacun en leur Eglise. Je crois que ceux qui prendront la peine de lire mon ouvrage, seront bien aises de savoir leurs noms, les Villes d'où ils étaient Evêques, et le temps auquel ils on: tenu le Concile. Voici ce que j'en ai pu apprendre. Osius était Évêque de Cordoue en Espagne, comme je crois, et comme je l'ai dit ci-devant. Viton et Vincent Prêtres de la Ville de Rome, Alexandre Évêque d'Egypte, Eustate de la grande Antioche, Macaire de Jérusalem, Harpocration de Cynopole. Les noms des autres sont rapportés dans le Livre des Synodes, composé par Athanase Evêque d'Alexandrie. Le Concile commença sous le Consulat de Paulin Je Julien, le vingtième jour du mois de Mai, six cent trente-six ans depuis le règne d'Alexandre de Macédoine. Le Concile ayant été terminé de la sorte, l'Empereur alla en Occident. [1,14] CHAPITRE XIV. Eusèbe Evêque de Nicodémie, et Théogis Evêque de Nicée donnent leur rétractation, et sont rétablis dans leur Siège. APRES qu'Eusèbe et Théognis eurent envoyé leur rétractation, aux principaux d'entre les Évêques, ils furent rappelés par l'ordre de l'Empereur du lieu de leur exil, et rétablis dans leurs Sièges, d'où ceux qui avaient été ordonnés en leur place, furent chassés, savoir Amphion en la place d'Eusèbe, et Chreste en la place de Théognis. Leur rétractation était conçue en ces termes. « Nous avons été condamnés par votre piété, sans connaissance de cause, et nous devons souffrir en paix et dans le silence le jugement que vous avez rendu. Mais parce qu'il n'est pas juste d'autoriser la calomnie contre moi-même par son silence, nous déclarons que nous sommes d'accord avec vous touchant la foi, et qu'après avoir examiné très exactement le terme de Consubstantiel, nous avons embrassé la paix de tout notre cœur, sans avoir jamais tenu aucune hérésie. Ayant représenté pour la paix et pour la sûreté de l'Eglise les pensées qui nous étaient entrées dans l'esprit, et ayant confirmé ceux à qui nous étions obligés de rendre ce devoir, nous avons souscrit à la définition de foi, sans avoir voulu souscrire à l'anathème ; non que nous trouvassions aucune chose à redire à la définition de foi, mais parce que nous n'étions pas persuadés que l'accusé fût tel qu'on le disait, et que les lettres qu'il nous avait écrites, les discours qu'il avait faits en notre présence, nous donnaient une autre opinion de lui. Bien loin de nous opposer à ce que vous avez défini dans le saint Concile, nous y consentons par cet acte, et nous le confirmons ; non pour être ennuyés de vivre en exil, mais pour éviter d'être soupçonnés d'hérésie. Car si vous nous faites la grâce de nous permettre de vous aller trouver, vous reconnaîtrez que nous sommes d'accord avec vous, et que nous sommes très attachés à la foi que vous avez définie, puisque vous avez eu même la bonté de traiter l'accusé avec douceur, et de le faire rappeler de son exil. Au reste ce serait une chose fort ridicule, que nous demeurassions dans le silence, et que nous donnassions lieu contre nous à des soupçons, depuis que l'accusé s'est justifié et qu'il a été rétabli. Ayez donc la bonté de présenter nos prières à l'Empereur très chéri de Dieu, selon que la charité vous y oblige, et d'ordonner à nôtre égard ce que la justice demande. » Voila la rétractation d'Eusèbe et de Théognis, d'où je juge qu'ils avaient souscrit à la définition de foi faite dans le Concile, mais qu'ils n'avaient pas voulu souscrire à la condamnation d'Arius, et qu'il fut rappelé de de son exil avant eux. Mais bien que cela soit vrai, il est constant néanmoins qu'on ne lui permît point de rentrer dans Alexandrie, et qu'il ne l'obtint que depuis, en faisant semblant d'avoir changé de sentiment, comme nous le dirons dans son lieu. [1,15] CHAPITRE XV. Athanase est fait Evêque d'Alexandrie. Alexandre Evêque d'Alexandrie, étant mort bientôt après, Athanase fut élevé sur son Siège. Rufin raconte, qu'étant enfant, il joua le jour de la fête de Pierre Evêque et Martyr avec d'autres enfants, à un jeu qui était une imitation de ce qui est fait par le Clergé dans l'Eglise. Athanase faisait l'Evêque, un autre enfant faisait le Prêtre, et un autre le Diacre. Alexandre Evêque d'Alexandrie étant passé par hasard, et ayant considéré le jeu de ces enfants, les appela, et les ayant interrogés, crut que leur jeu était un présage de ce qui leur devait un jour arriver, et les fit élever dans le Clergé. Il prit un plus grand soin d'Athanase que des autres ; l'ordonna Diacre, lorsqu'il fut arrivé à âge d'homme, et le mena au Concile de Nicée. Voila ce que rapporte Rufin, et cela n'est pas incroyable, parce qu'il y en a plusieurs exemples. [1,16] CHAPITRE XVI. L'Empereur fait bâtir la Ville de Byzance et lui donne son nom. L'empereur après avoir célébré le Concile, s'adonna aux divertissements, et aux réjouissances publiques; donna les jeux solennels, et s'appliqua au rétablissement des Eglises. Il accrut aussi l'enceinte de la Ville de Byzance, l'embellit de quantité de bâtiments, lui donna son nom, et ordonna qu'elle serait appelée à l'avenir la nouvelle Rome, par une loi qui fut gravée sur une colonne de pierre proche de sa statue à cheval. Il éleva dans la même Ville deux magnifiques Eglises, l'une sous le nom d'Irène, et l'autre sous celui des Apôtres. Il ne se contenta pas d'agrandir notre religion, il abattit la superstition païenne. Il fit servir les statues des Dieux à l'embellissement de la Ville, et exposa les trépieds d'Apollon dans l'hippodrome. Il est inutile de faire le récit de toutes ces choses, puisque tout le monde en a été témoin. Eusèbe surnommé Pamphile les a relevées par des paroles fort avantageuses. Je ne laisserai pas néanmoins d'en remarquer une partie. [1,17] CHAPITRE XVII. Hélène mère de l'Empereur trouve la Croix du Sauveur à Jérusalem, et y fait bâtir une Eglise. Helene mère de l'Empereur, en faveur de laquelle il avait élève le bourg de Drépan à la dignité de Ville et l'avait fait appeler Helénopole, alla à Jérusalem par l'ordre que Dieu lui en avait donné en songe. Ayant trouvé cette Ville aussi déserte qu'un monceau de pierres, suivant la prédiction du Prophète, elle y chercha avec soin le tombeau où le Sauveur avait été mis, et d'où il était ressuscité. Elle eut beaucoup de peine à le trouver. Mais elle le trouva enfin, par la grâce de Dieu. Je dirai d'où procéda cette peine. Le tombeau du Sauveur fut en grande vénération après sa mort à ceux qui avaient embrassé la foi. Les ennemis de cette foi le comblèrent de terre, et pour en abolir la mémoire, élevèrent au dessus un temple en l'honneur de Vénus, et y consacrèrent la statue de cette Déesse. Cet artifice leur réussit durant quelque temps ; mais il fut enfin découvert par la mère de l'Empereur. Car ayant fait abattre la statue, et creuser la terre, elle trouva trois Croix, savoir celle où le Sauveur avait été attaché, et les deux autres où étaient morts les deux larrons qui avaient été crucifiés avec lui. Elle trouva aussi l'écriteau, où Pilate avait fait mettre en plusieurs langues le nom du Sauveur. Mais, dans l'incertitude où l'on était de savoir laquelle de ces trois croix était celle que l'on cherchait, Hélène sentait une cuisante douleur, que Macaire Evêque de Jérusalem apaisa, en demandant et en obtenant de Dieu un signe et une marque pour la reconnaître. Voici le signe qu'il demanda : iI y avait alors à Jérusalem une femme tourmentée d'une longue maladie et réduite à l'extrémité. Il commanda de lui faire toucher ces trois croix, dans la créance que celle du Sauveur lui rendrait la santé. Il ne se trompa pas. Car quand on eut fait toucher à cette femme les croix des deux larrons, elle demeura dans le même danger que devant. Mais aussitôt qu'on lui eut fait toucher celle du Sauveur, elle fut entièrement guérie. La vraie Croix ayant été reconnue de la sorte, la mère de l'Empereur fit élever une magnifique Eglise au dessus du tombeau du Sauveur, et lui donna le nom de nouvelle Jérusalem comme pour l'opposer à l'ancienne qui était demeurée déserte. Elle laissa en ce même lieu une portion de la croix, enfermée dans une boîte d'argent, afin qu'elle pût être vue de tout le monde, et en envoya une autre portion à Constantin, qui dans la créance que la Ville où un si précieux dépôt était conservé, demeurerait invincible, la mit au bas de la statue, qui est au haut d'une grande colonne de Porphyre, dans la place qui porte son nom. J'ai appris cette histoire de plusieurs personnes et les habitants de Constantinople assurent qu'elle est véritable. Hélène envoya aussi à Constantin les clous, dont les mains du Sauveur avaient été percées, et ce Prince en fit faire un mors et un casque, dont il se servit depuis, lorsqu'il alla à la guerre. Il fournit libéralement tout ce qui était nécessaire pour la construction des Eglises, et manda à Macaire Evêque de Jérusalem d'y faire travailler avec toute la diligence qui serait possible. Après qu'Hélène mère de l'Empereur eut achevé la nouvelle Ville de Jérusalem, elle fit bâtir à Bethléem dans le lieu même où le Sauveur naquit autrefois, selon la chair, une Eglise aussi magnifique que celle de Jérusalem. Elle en fit bâtir encore une autre sur la montagne d'où le Seigneur monta au Ciel. Elle avait une piété si sincère et une dévotion si humble, qu'elle faisait ses prières avec les autres femmes, et qu'elle mettait à sa table les pauvres filles de l'Eglise, les servait elle-même, et distribuait libéralement son bien pour le soulagement de ceux qui étaient dans le besoin. Enfin après avoir vécu dans un exercice continuel de toute sorte de vertus, elle mourut à l'âge de quatre-vingt ans. Son corps fut porté à la nouvelle Rome, et mis dans le tombeau des Empereurs. [1,18] CHAPITRE XVIII. L'Empereur Constantin abolit les superstitions du paganisme, et fait bâtir plusieurs Eglises. L'empereur étant plus attaché que jamais à la Religion Chrétienne, témoigna aussi plus d'aversion qu'auparavant de toutes les superstitions des Païens. Il abolit entièrement les combats des gladiateurs, mit ses statues dans les temples de Dieux. Et comme les Païens disaient que Sérapis attirait le Nil, dont l'inondation fait la fertilité de l'Egypte, et que pour cette raison on avait accoutumé de porter la mesure du Nil au temple de Sérapis, il commanda à Alexandre de la porter à l'Eglise des Chrétiens ; et bien que les Païens publiaient alors que le Nil n'inonderait plus leurs terres, parce que le Dieu Sérapis était irrité, il ne laissa pas de les inonder cette année-la, comme il les a toujours inondées depuis. Ce qui fait voir clairement qu'il les inonde par l'ordre de la providence, sans que cette superstition païenne y contribue rien. Les Goths et les Sarmates ayant couru sous son règne les terres des Romains, il ne se relâcha en rien de l'ardeur avec laquelle il travaillait au rétablissement des Eglises ; mais partageant ses soins pour veiller à tout avec l'application nécessaire, il défit ces barbares à la faveur du trophée des Chrétiens, leur ôta le tribut que les Empereurs précédents avaient accoutumé de leur passer, et les étonna de telle sorte qu'ils embrassèrent la Religion, à laquelle ils voyaient que Constantin était redevable de la victoire. Il fit bâtir une autre Eglise proche du chêne de Mambré, où l'Ecriture sainte témoigne que les Anges furent reçus par Abraham. Car ayant appris que l'on avait élevé un autel sous ce chêne, et que l'on y offrait des Sacrifices profanes, il en reprit rudement Eusèbe Evêque de Césarée, commanda d'abattre l'autel, et d'élever une Eglise. Il fit bâtir une autre Église à Héliopole par l'occasion que je vais dire. Je ne sais qui fut autrefois le Législateur de cette Ville de Phénicie, ni quelles furent les mœurs, bien que l'on en puisse juger en quelque sorte par les lois qu'il leur a laissées. Ces lois ordonnent que toutes les femmes seront communes, et qu'il n'y aura parmi eux aucune distinction de pères ni d'enfants. Quand des étrangers venaient chez eux, ils leur donnaient leurs filles à violer. L'Empereur entreprit d'abolir cette honteuse coutume, qui s'était fortifiée par un long espace de temps, et ayant établi les mariages, il apprit aux familles à se reconnaître. Il eut soin de faire bâtir une Eglise dans cette Ville, d'y faire sacrer un Evêque, et établir un Clergé ; et abolit par ce moyen la corruption de leurs mœurs. Il fit démolir de la même sorte un temple de Vénus, qui était sur le mont Liban, et arrêta le cours des sacrilèges qui s'y commettaient. Que dirai-je du pouvoir qu'il eut de châtier un démon hors de Cilicie, en abatant la maison où il s'était caché ? Il avait un zèle si ardent pour la Religion Chrétienne, qu'étant prêt d'entreprendre la guerre contre les Perses, il fit bâtir une Chapelle portative, comme Moïse avait fait bâtir autrefois le Tabernacle dans le désert, afin de pouvoir célébrer les saints mystères dans les pays les plus éloignés, et dans les solitudes les plus affreuses. Mais cette guerre fut éteinte dans sa naissance, par la seule terreur de ses armes. Je ne crois pas que ce soit ici le lieu de rapporter le soin qu'il prit de bâtir de nouvelles Villes, comme celle à laquelle il donna le nom d'Hélène sa mère, ou celle à laquelle il donna le nom de Constantie sa sœur, parce que je ne me suis proposé que de parler de ce qu'il a fait à l'avantage de la Religion, et à la gloire de l'Eglise. Ses autres actions demandent un Ouvrage exprès ; et ne manqueront pas d'être célébrées par d'autres Ecrivains. J'aurais moi-même gardé le silence, si l'Eglise avait toujours été dans la paix, parce que l'on n'entreprend point d'écrire quand on n'a point de matière. Mais la doctrine de la foi ayant été attaquée par de vaines subtilités, j'ai été obligé d'en traiter, de peur qu'elle ne fût ensevelie dans l'oubli, et que ceux qui n'en seraient pas instruits, ne flottassent dans l'incertitude, lorsqu'ils étaient battus par les vents de la nouveauté. [1,19] CHAPITRE XIX. La Foi est portée aux Indes. Parlons maintenant de l'accroissement que la Religion Chrétienne reçut sous le règne de ce Prince. Les peuples les plus reculés des Indes et les Ibères reçurent alors la foi. Je dis les peuples les plus reculés des Indes, parce que quand les Apôtres partagèrent entre eux les Nations pour leur aller prêcher l'Evangile, le pays des Parthes échût à Thomas, l'Ethiopie à Mathieu; la partie des Indes, qui touche à l'Ethiopie à Barthelemy ; mais la partie la plus éloignée et habitée par divers peuples qui parlent diverses langues, n'échût a aucun Apôtre, et ne fut point éclairée par la lumière de la foi, avant le temps de Constantin. Voici l'occasion, par laquelle ils embrassèrent alors la Religion Chrétienne. Un Philosophe nommé Métope, natif de Tyr, ayant résolu de faire voyage aux Indes, à l'imitation de Métrodore autre Philosophe qui y avait été un peu auparavant, partit avec deux jeunes hommes de ses amis, qui savaient assez bien la langue grecque. Lorsqu'il y eut considéré attentivement tout ce qui pouvait contenter sa curiosité, il se retira à un lieu où il y avait un Port fort sûr, à dessein d'y apprêter ce qui lui était nécessaire pour manger. La paix d'entre les Romains et les Indiens, ayant été rompue peu auparavant, leur vaisseau fut pris, et ceux qui étaient dedans tués, à la réserve des deux jeunes hommes, qui par quelque sorte de compassion de leur âge furent gardés et donnés au Roi. Ce Prince les ayant trouvés bien faits, en choisit un nommé Edèse, pour être son Echanson, et l'autre nommé Frumentius, pour être son Secrétaire. Etant mort bientôt après, il les affranchit par son testament, et laissa son royaume à sa femme, et à son fils qui était encore enfant. La Reine pria ces deux jeunes hommes, d'avoir soin de son fils jusques à ce qu'il fût grand. Ils commencèrent donc à prendre soin des affaires. Mais la principale autorité était entre les mains de Frumentius. Il s'informa si parmi les Romains qui trafiquaient aux Indes, il y en avait qui fussent Chrétiens, et en ayant trouvé, il se découvrit à eux, et les exhorta à s'assembler pour faire exercice de notre Religion. Il éleva par la suite du temps une Eglise et y reçut quelques Indiens qu'il fit instruire de nos mystères. Lorsque le jeune Roi fut parvenu à âge d'homme, Frumentius lui remit entre les mains le gouvernement des affaires, dont et s'était très fidèlement acquitté, et lui demanda permission de s'en retourner en son pays. Le Roi et la Reine sa mère le conjurèrent de demeurer avec eux, mais ne l'ayant pu retenir, il partit avec Edèse. Celui-ci revint à Tyr, pour y revoir sa maison et ses parents. L'autre alla à Alexandrie, où il fit une relation fidèle de son voyage à Athanase, qui peu auparavant avait été élevé sur le Siège de l'Eglise de cette ville, et l'exhorta à envoyer un Evêque et des Ecclésiastiques aux Indes, pour établir la foi dans ces pays-là, dont les peuples étaient fort disposés à la recevoir. Athanase après une sérieuse réflexion, lui déclara qu'il n'avait personne plus propre que lui pour envoyer aux Indes, en qualité d'Evêque, et lui imposa les mains. Y étant donc retourné, il y prêcha l'Evangile, y fonda des Eglises, et étant soutenu de la grâce de Dieu, y fit des miracles, et y guérit une multitude innombrable de personnes, des maladies de leurs corps et de leurs âmes. Rufin rapporte toutes ces choses, et assure les avoir apprises d'Edèse, qui fut depuis Prêtre de l'Eglise de Tyr. [1,20] CHAPITRE XX. Les Ibères se convertissent à la foi. VOYONS maintenant de quelle manière les Ibères se convertirent dans le même temps à la foi. Une femme d'une vertu exemplaire, fut prise par les Ibères qui habitent aux environs du Pont-Euxin, et qui sont une Colonie de ceux qui habitent en Espagne. Quand elle fut entre leurs mains, elle y vécut d'une manière admirable. Car outre qu'elle gardait très exactement la continence, elle y passait les jours dans les jeûnes et dans les prières. Le Fils du Roi ayant été attaqué dans le même temps d'une maladie, la Reine l'envoya selon la coutume du pays aux femmes; afin qu'elles le soulageassent par les remèdes, que l'expérience leur aurait appris. Sa nourrice l'ayant porté inutilement à plusieurs femmes, le porta aussi à celle-ci qui était captive. Elle ne lui donna aucun remède, parce qu'elle n'en savait aucun. Mais l'ayant mis sur un lit fait de poil, en présence de plusieurs autres femmes, elle dit : Jésus qui a guéri plusieurs autres malades, guérira cet enfant. Ayant fait ensuite sa prière, l'enfant fut guéri, et se porta bien depuis. Le bruit de cette guérison s'étant répandu parmi toutes les autres femmes, et étant venu jusques aux oreilles de la Reine, mit cette étrangère en grande réputation. La Reine étant tombée malade bientôt après, l'envoya quérir. Mais sur ce qu'elle s'excusa par modestie de l'aller trouver, elle se fit porter chez elle, et fut guérie de la même sorte que son fils l'avait été. Comme cette Princesse la remerciait : Vôtre guérison, lui répondit-elle, ne vient point de moi, mais de Jésus-Christ Fils de Dieu Créateur du monde, que je vous exhorte de tout mon cœur de reconnaitre et d'adorer. Le Roi surpris d'une guérison si prompte et si miraculeuse, voulut récompenser cette étrangère. Mais elle répondit qu'elle n'avait point besoin de bien que la piété lui tenait lieu de richesses, et que si elle avait quelque récompense à souhaiter, ce serait qu'il adorât le Dieu qu'elle adorait. Après avoir fait cette réponse, elle renvoya au Roi ses présents. Il conserva dans le fond de son cœur cette réponse, et étant allé à la chasse, le jour suivant, le bois où il chassait, fut couvert tout d'un coup d'un épais nuage, et l'air rempli d'éclairs et de tonnerres : tellement que ne sachant que faire, il eut recours à ses Dieux, mais ayant imploré inutilement leurs secours, il implora celui du Dieu que l'étrangère adorait, et le nuage ayant été dissipé à l'heure-même, il revint fort joyeux en sa maison, où ayant raconté à la Reine sa femme, tout ce qui lui était arrivé, il envoya quérir cette étrangère, et lui demanda qui était le Dieu qu'elle adorait. Elle fit tant, que de Prince Païen, elle le rendit Prédicateur de l'Evangile. Car ayant assemblé ses sujets, il leur fit un récit exact de la guérison de la Reine sa femme, et de son fils, et au miracle qui lui était arrivé à la chasse, et les exhorta à adorer le Dieu de cette étrangère. Ainsi il commença à prêcher la foi aux hommes, pendant que la Reine la prêchait de son côté aux femmes. Il apprit de cette prisonnière de quelle manière les Romains bâtissaient leurs Eglises, et à l'heure-même il commanda d'apprêter ce qui serait nécessaire, pour en faire une sur le même modèle. Comme les Ouvriers s'efforçaient d'élever des colonnes, la providence usa d'un stratagème, qui servit à attirer ces peuples à la foi. Une de ces colonnes étant demeurée tellement immobile, que les Ouvriers s'étaient retirés, après avoir rompu leurs câbles et leurs machines sans l'avoir pu remuer, la sainte femme alla seule sur le lieu durant la nuit ; et quand elle l'eut passée en prières, la colonne commença à être levée comme par la main, de la providence, et dès qu'elle fut au dessus de la base, elle y demeura comme suspendue, sans la toucher. Le Roi qui entendait l'Architecture, étant allé visiter l'ouvrage à la pointe du jour suivant, s'étonna comme tous les autres assistants, que la colonne fût suspendue de la sorte. Elle s'abaissa incontinent après sur sa base, et s'y reposa en présence de tout le peuple, qui ne pouvait se lasser d'admirer la fermeté de la foi du Roi, et la puissance du Dieu que l'étrangère adorait. Ayant tous embrassé avec joie la même créance, ils élevèrent sans peine les autres colonnes, et achevèrent l'ouvrage en très peu de temps. Ils envoyèrent ensuite une ambassade à l'Empereur, pour faire alliance avec lui, et pour le supplier de leur donner un Evêque et un Clergé, puisqu'ils avaient embrassé sa Religion. Rufin rapporte cette histoire, et assure l'avoir apprise de Pacurius, qui après avoir possédé durant quelque temps l'autorité absolue parmi les Ibères, passa dans le parti des Romains ; où il fut d'abord employé à garder les frontières de Palestine, et depuis ayant été fait Maître de la Milice, il servit très fidèlement l'Empereur Théodose contre le Tyran Maxime. Voila comment les Ibères se soumirent à la foi sous le règne de Constantin. [1,21] CHAPITRE XXI. D'Antoine Solitaire. Il est inutile que je représente ici, combien Antoine, Moine d'un désert d'Egypte, se rendit célèbre en ce temps-là par la guerre ouverte qu'il déclara aux démons, par l'adresse qu'il eut de découvrir leurs ruses et leur manière de combattre, et par les miracles qu'il fit, puisqu'Athanase Evêque d'Alexandrie m'a prévenu dans ce dessein, et en a fait un livre exprès, Enfin cela sert à faire reconnaître la prospérité du règne de Constantin, et l'abondance des grâces dont Dieu favorisait son siècle. [1,22] CHAPITRE XXI. De Manès, Chef des Manichéens. L'IVRAIE ne cessa pas de croître en ce temps-là parmi le froment, parce que le démon ne manque jamais de porter envie au bonheur des hommes. Un Christianisme de Philosophes s'éleva avant le règne de Constantin, parmi le Christianisme des fidèles, comme les faux Prophètes et les faux Apôtres s'étaient autrefois élevés parmi les Prophètes et les Apôtres véritables. Manès s'efforça d'introduire la doctrine d'Empédocle dans notre Religion. Eusèbe surnommé Pamphile en a parlé dans le septième livre de son Histoire. Mais parce qu'il n'en a pas parlé assez exactement, je crois devoir rapporter ce qu'il a omis et faire voir le commencement de Manès, et le progrès de son insolence. Un nommé Scythien, Sarrasin de nation, ayant épousé une esclave de la haute Thébaïde, fit un voyage en Egypte, où il apprit la doctrine des Egyptiens et introduisit ensuite dans notre Religion l'opinion de Pythagore et d'Empédocle, assurant comme ce dernier, qu'il y a deux natures; une mauvaise qu'il appelait discorde, et une bonne qu'il appelait amitié. Ce Scythien eut pour disciple Buddas, qui s'appelait auparavant Térébinte. Buddas étant allé à Babylone, Ville de Perse, y publia de soi-même des extravagances monstrueuses ; qu'il était né d'une Vierge, et qu'il avait été élevé sur les montagnes. Il composa après cela quatre livres ; au premier desquels il donna le titre de mystères; au second d'Evangile , au troisième de Trésor ; et au quatrième de Chapitres. Un jour qu'il faisait semblant de célébrer certains sacrifices secrets, il fut jeté par le démon dans un précipice; et étant mort de sa chute, il fut enterré par une femme chez qui il avait logé. Cette femme ayant profité de son bien acheta un enfant de sept ans nommé Cubrique, qu'elle affranchit et fit élever. Elle mourut bientôt après, et en mourant, lui laissa par testament le bien de Buddas et les livres qu'il avait composés suivant la doctrine qu'il avait apprise de Scythien. Cubrique étant allé en Perse, changea de nom, et se fit appeler Manès. Il amassa des disciples, auxquels il donna les livres de Buddas, comme s'ils eussent été de lui. Ces livres contiennent en apparence les vérités de la Religion Chrétienne ; mais quand on les examine de près, on trouve qu'ils sont remplis de la superstition des Païens. En effet Manès enseigne qu'il faut reconnaître plusieurs Dieux, et adorer le Soleil. Il introduit la destinée et ôte la liberté. Il assure que les corps sont changés les uns dans les autres ; en quoi il suit manifestement les imaginations ridicules d'Empédocle, de Pythagore, et des Egyptiens. Il nie la vérité du corps du Sauveur, prétendant qu'il n'avait qu'un corps fantastique. Il rejette la Loi, et les Prophètes, et s'appelé Paraclet, ce qui est constamment contraire à la foi de l'Eglise Catholique. Il a eu même l'insolence de prendre dans ses lettres le titre d'Apôtre. Il reçut aussi dans la suite le châtiment que méritait son impiété. Le fils du Roi de Perse étant tombé malade, ce Prince n'omit aucun soin pour lui rendre la santé, et comme il avait entendu parler des miracles de Manès, il l'envoya quérir comme un Apôtre, dans l'espérance qu'il guérirait son fils. Manès se chargea du soin de l'enfant, mais au lieu de guérir entre ses mains, il y mourut. Le Roi trèsfâché de la mort de son fils, commanda de charger de chaînes cet imposteur, à dessein de le faire exécuter à mort bientôt après. Mais ayant rompu ses chaînes, il s'enfuit en Mésopotamie. Le Roi l'ayant fait chercher, commanda de l'écorcher vif, de remplir sa peau de paille, et de la pendre à la porte de la Ville. Ce n'est pas là une histoire que j'aie inventée. Je l'ai lue dans la dispute d'Archélaüs Evêques de Cascase Ville de Mésopotamie. Cet Archélaüs témoigne qu'il avait conféré avec Manès, et rapporte ce que je viens de dire de la vie et de sa mort. L'envie s'attache comme j'ai dit, au bonheur et à la prospérité des hommes. C'est une question fort longue et fort difficile, de savoir pourquoi Dieu, dont la bonté est infinie, le permet; si c'est pour faire éclater davantage la pureté de la doctrine de l'Eglise, pour réprimer l'orgueil qui s'élève parmi les Fidèles, ou pour quelque autre raison, et je n'entreprendrai pas maintenant de la décider. Car je n'ai dessein ni d'examiner la vérité de la doctrine ; ni de pénétrer les secrets de la providence, mais seulement de faire le récit des choses qui sont arrivées dans l'Eglise. Je ne dirai rien davantage de la naissance de l'erreur des Manichéens, et je reprendrai la suite de mon sujet. [1,23] CHAPITRE XXIII. Eusèbe et Théognis combattent la définition de foi, faite au Concile de Nicée, et dressent des pièges à Athanase. EUSEBE et Théognis étant revenus de leur exil reprirent possession de leurs Eglises, et en chassèrent ceux qui s'en étaient emparés. L'Empereur leur rendant de grands honneurs, dans la créance qu'ils avaient renoncé à l'erreur, et s'étaient soumis à la vérité de la foi. Mais abusant de cet honneur, ils excitèrent de plus grands troubles qu'auparavant, tant par le désir d'appuyer l'opinion d'Arius, dont ils étaient infectés depuis longtemps, que par la haine dont ils étaient animés contre Athanase, à cause de la fermeté, avec laquelle il s'était opposé à leur sentiment dans le Concile, lorsque les questions y avaient été agitées. Ils commencèrent à condamner son ordination, comme s'il eût été indigne d'être ordonné, et qu'il n'eût été élu que par des personnes incapables. Lorsqu'il eut vaincu la calomnie, et que jouissant paisiblement de la chaire de l'Eglise d'Alexandrie, il défendait fortement la foi du Concile de Nicée, Eusèbe lui dressa des pièges, et fit ses efforts pour rétablir Arius dans la Ville, dans la créance qu'il n'y avait point de meilleur moyen pour ruiner le terme de Consubstantiel, et d'introduire l'hérésie. Il écrivit à Athanase pour le supplier de recevoir Arius et ses compagnons à la communion Ecclésiastique, et usa cependant de menaces en public. N'ayant pu ébranler la fermeté à Athanase, il tâcha de persuader à l'Empereur de permettre qu'Arius le vînt trouver, et qu'il retournât ensuite à Alexandrie. Je dirai en son lieu par quel moyen il obtint cette grâce. Mais avant que cela arrivât, l'Eglise fut agitée de nouvelles tempêtes, et sa paix fut troublée par ses propres enfants. Eusèbe surnommé Pamphile, dit qu'incontinent après la célébration du Concile, il s'émut des contestations et des disputes parmi les Egyptiens ; mais il en dissimule le sujet, ce qui l'a fait soupçonner par quelques-uns, de mauvaise foi, et leur a donné lieu de croire que cette dissimulation ne procédait que de la résolution qu'il avait prise, de ne point consentir à ce qui avait été décidé dans le Concile. Le terme de Consubstantiel faisait de la peine à quelques-uns, comme il paraît par les lettres que les Évêques s'écrivirent les uns aux autres. La subtilité avec laquelle ils examinèrent ce terme, excita entre eux des combats semblables à ceux qui se donnent durant la nuit, parce que l'obscurité de la matière les empêchait de voir qu'ils se déchiraient sans sujet par des injures atroces. Ceux qui improuvaient le terme de Consubstantiel, croyaient qu'il autorisait l'erreur de Sabellius, et de Montan; et appelaient impies ceux qui s'en servaient, comme, s'ils eussent ruiné l'existence du Fils de Dieu. Au contraire ceux qui soutenaient ce terme, accusaient leurs adversaires d'introduire le culte de plusieurs Dieux, et les évitaient comme des Païens. Eustate Evêque d'Antioche accuse Eusèbe surnommé Pamphile, de corrompre la foi du Concile de Nicée. Eusèbe soutient de son côté qu'il ne s'éloigne point du tout de cette foi, et accuse Eustate de favoriser l'erreur de Sabellius. Voila quel fut le sujet des contestations des Evêques et des livres qu'ils composèrent les uns contre les autres. Bien que les uns et les autres avouassent que le Fils de Dieu a sa personne et son existence, et qu'ils reconnaissent trois personnes en un seul Dieu, ils ne purent néanmoins s'accorder, ni demeurer en repos. [1,24] CHAPITRE XXIV. Concile d'Antioche. Déposition d'Eustate. Sédition. LES Evêques s'étant assemblés à Antioche, déposèrent Eustate, Evêque de cette Ville, comme favorisant le dogme de Sabellius, au lieu de suivre la définition du Concile de Nicée. Quelques-uns assurent qu'il fut déposé pour d'autres raisons moins honnêtes, qu'ils ne disent point. Car les Evêques ont accoutumé de parler désavantageusement de ceux qu'ils déposent ; et de les accuser d'impiété, sans dire de quelle impiété ils sont coupables. George Evêque de Laodicée, Ville de Syrie, assure dans l'éloge qu'il a fait d'Eusèbe, Évêque d'Emèse, qu'Eustate fut déposé sur l'accusation de Cyr, Evêque de Bérée, pour avoir favorisé l'erreur de Sabellius. Nous parlerons de cet Eusèbe Evêque d'Emèse en un autre lieu. Il semble qu'il y a de la contradiction dans ce que George dit touchant Eustate, car après avoir dit qu'il fut accusé par Cyr, de favoriser l'erreur de Sabellius, il ajoute que Cyr même fut déposé pour l'avoir favorisée. Il y a donc apparence que ce fut pour une autre raison qu'Eustate fut déposé. Sa déposition fut suivie d'une sédition furieuse et quand on procéda à l'élection il s'éleva un grand feu de contestations et de querelles, qui divisèrent la Ville en deux partis, dont l'un s'efforçait de transférer Eusèbe surnommé Pamphile de Césarée à Antioche, et l'autre prétendait rétablir Eustate. Il n'y eut personne dans la Ville qui ne se déclarât pour l'un ou pour l'autre de ces partis. Les gens de guerre avaient pris les armes, et en seraient venus aux mains, si leur emportement n'avait été arrêté par l'ordre de la Providence et par l'appréhension de la justice de l'Empereur. Ce Prince écrivit pour réprimer la sédition, et Eusèbe refusa d'être transfère à Antioche, ce qui plût si fort à Constantin, qu'il lui en donna de grandes louanges, et lui témoigna par des lettres qu'il le tenait tort heureux devoir été jugé digne d'être Evêque non d'une Ville, mais de tout le monde. On dit que le siège de l'Eglise d'Antioche vaqua l'espace de huit ans, après lesquels Eufrone y fut élevé par les soins de ceux qui s'efforçaient de renverser la foi du Concile de Nicée. Voila ce que j'avais à dire du Concile tenu à Antioche pour la déposition d'Eustate. Eusèbe qui avait quitté l'Eglise de Béryte pour s'emparer de celle de Nicomédie, brassa bientôt après une trame avec ceux de son parti, pour rétablir Arius. II est tenu de parler des moyens qu'ils emploierait pour cet effet. [1,25] CHAPITRE XXV. D'un Prêtre qui ménagea le rétablissement d'Arius dans Alexandrie. Constantin avait une sœur nommée Constancie, qui avait autrefois été mariée à Licinius, qui après avoir possédé avec Constantin une partie de l'Empire fut tué pour l'injustice de son ambition, et pour la cruauté de son gouvernement. Elle avait dans son Palais un Prêtre Arien, qu'elle honorait de son amitié. Comme il avait souvent l'occasion de l'entretenir, il lui parla d'Arius à la sollicitation d'Eusèbe et de quelques autres de la même faction ; que le Concile lui avait fait injustice, et qu'il ne tenait pas les sentiments dont on l'accusait. Constancie ajouta foi aux discours du Prêtre. Mais elle n'osa les rapporter à l'Empereur. Elle tomba bientôt après dans une dangereuse maladie, durant laquelle l'Empereur la visitait très souvent. Comme la maladie croissait si fort de jour en jour qu'elle n'éspérait plus de guérir, elle recommanda ce Prêtre à l'Empereur son frère, et l'assura qu'il était fort homme de bien, et fort affectionné à son service. Constancie étant morte bientôt après, ce Prêtre entra bien avant dans l'amitié de l'Empereur, et lui répéta les mêmes choses qu'il avait dites à Constancie ; qu'Arius ne tenait rien de contraire à ce qui avait été décidé par le Concile, et que s'il lui voulait faire la grâce de lui donner un moment d'audience, il reconnaîtrait son innocence, et l'injustice de ses accusateurs. L'Empereur fort étonné de ce discours, lui dit : Si Arius se soumet à la définition du Concile, et la signe je le recevrai avec joie, et le renverrai avec honneur à Alexandrie; et à l'heure-même lui écrivit en ces termes. Constantin Vainqueur, très Grand, Auguste à Arius. « IL y a déjà longtemps que vous avez reçu ordre de venir à la Cour, pour y jouir de ma présence. Je m'étonne que vous n'y ayez pas satisfait. Prenez donc une voiture publique, afin que vous puissiez ressentir les effets de ma clémence, et retourner en votre pays. Je prie Dieu, mon très cher frère, qu'il vous conserve. » Cette lettre fut écrite le vingt-cinquiéme jour de Novembre. Elle est une preuve manifeste de l'ardeur du zèle, dont l'Empereur brûlait pour la Religion. Car il paraît qu'il avait plusîeurs fois exhorté Arius à changer de sentiment, et qu'il avait négligé d'obéir. Mais alors il vint à Constantinople avec Euzoius, qu'Alexandre avait déposé du diaconat, en déposant Arius et ses sectateurs. L'Empereur leur demanda s'ils consentaient à la définition du Concile ; et quand ils lui eurent répondu que oui, il leur demanda leur profession de foi par écrit. [1,26] CHAPITRE XXVI. Arius donne sa rétractation, et fait semblant de se soumettre à la définition du Concile. ILS donnèrent leur déclaration conçue en ces termes. « A Constantin très pieux, et très religieux Empereur, Arius et Euzoius. Nous vous déclarons notre foi, comme votre piété nous l'a commandé, et nous protestons devant Dieu, que nous la tenons tous telle qu'elle suit. Nous croyons en un seul Dieu Père tout-puissant, et en Jésus Christ son Fils notre Seigneur, Dieu et Verbe qui est fait de lui avant tous les siècles, par qui toutes les choses qui sont dans le Ciel et sur la terre ont été faites; qui est descendu du ciel, a pris chair, a souffert et est ressuscité et monté au ciel, d'où il viendra juger les vivants et les morts. Nous croyons le saint Esprit, la Résurrection de la chair, la vie du siècle à venir, le royaume des cieux, et une Eglise Catholique répandue par toute la terre. Nous avons appris cette foi de l'Evangile, où le Seigneur dit à ses Apôtres ; Allez donc, et enseignez tous les peuples, les bâtissant au Nom du Père, du Fils et du saint Esprit. Si nous ne sommes pas dans cette créance, et si nous ne recevons pas véritablement le Père, le Fils et le saint Esprit, comme l'Eglise Catholique et l'Ecriture sainte l'enseignent, que Dieu nous juge dans ce siècle-ci, et dans le siècle à venir. C'est pourquoi nous supplions votre piété, Empereur très chéri de Dieu qu'ayant l'honneur d'avoir place dans le Clergé, et qu'étant très attachés à la foi de l'Eglise, et au sens de l'Ecriture, vous ayez la bonté de nous réunir au Corps de cette Eglise qui est notre mère, afin que les questions inutiles étant retranchées, nous entreprenions la paix, et nous fassions tous ensemble des prières à Dieu pour la prospérité de votre règne, et pour la conservation de famille. » [1,27] CHAPITRE XXVII. Athanase refuse de recevoir Arius. Il est calomnié auprès de l'Empereur. Arius ayant ainsi persuadé l'Empereur de la sincérité de sa foi, retourna à Alexandrie. Mais son artifice ne pût ni cacher, ni vaincre la vérité. Athanase bien loin de le recevoir, l'ayant rejeté, comme une peste publique, il commença à troubler la paix de la Ville, en publiant son erreur. Eusèbe, Évêque de Nicomédie, écrivit alors à l'Empereur, et lui persuada de commander qu'Arius et ses compagnons fussent admis à la communion de l'Eglise. Mais Athanase au lieu de déférer à son ordre, lui fit réponse qu'il n'était pas possible de recevoir dans la communion des personnes qui avaient violé la foi, et qui avaient été frappées d'anathème. L'Empereur irrité de cette réponse, menaça Athanase en ces termes., « Puisque vous avez appris mon intention, laissez l'entrée de l'Eglise libre à tous ceux qui désireront de s'y assembler. Car si j'apprends que vous l'ayez fermée à aucun de ceux qui désireront d'y entrer, j'enverrai quelqu'un qui exécutera mes ordres, qui vous déposera, et vous châtiera, hors de votre pays. » Voila ce que l'Empereur écrivit à Athanase, à dessein de procurer le bien public, et d'empêcher la division de l'Eglise ; car il n'avait point de si forte passion, que de la voir dans une parfaite union. Alors les partisans d'Eusèbe crurent devoir se servir de la colère du Prince pour satisfaire à la haine, dont ils étaient animés contre Athanase, et pour le châtier de son Siège où ils savaient que tant qu'il serait assis, il s'opposerait si fortement à l'opinion d'Arius, que jamais elle ne remporterait aucun avantage. Eusèbe, Evêque de Nicomédie, Théognis, Evêque de Nicée, Maris, Evêque de Calcédoine, Ursace, Evêque de Singidon, Ville de la haute Mésie, et Valens, Evêque de Mursa, Ville de la haute Pannonie conspirèrent contre lui, et corrompirent par argent des Méléciens pour le charger de diverses accusations, Ision, Eudémon et Callinique Méliciens, l'accusèrent d'abord d'avoir voulu obliger les Egyptiens de fournir des vestes de lin à l'Eglise d'Alexandrie. Mais Alipe et Macaire Prêtres de cette Eglise, qui se trouvèrent alors à Nicomédie, dissipèrent l'accusation ; si bien que l'Empereur blâma les accusateurs, et exhorta Athanase à le venir trouver. Mais avant qu'il fut arrivé, les partisans d'Eusèbe lui suscitèrent une autre accusation, et le firent charger d'un crime plus atroce que le premier, qui était d'avoir conjuré contre l'Empereur, et d'avoir envoyé pour cet effet une cassette pleine d'or à un nommé Philuméne. L'Empereur ayant pris connaissance de cette accusation à Psamatie, qui est un faubourg de Nicomédie, et ayant reconnu qu'Athanase était innocent, le renvoya à Alexandrie, et écrivit aux habitants, que leur Evêque avait été injustement accusé. Il semble que pour l'intérêt de l'Eglise, les entreprises que les partisans d'Eusèbe, firent ensuite contre lui, devraient être supprimées, de peur que les Païens n'en prennent occasion de la déshonorer. Mais puisqu'elles ont déjà été écrites, et qu'elles sont venues à la connaissance de tout le monde, je ne saurais me dispenser de les rapporter en peu de paroles. Il y a aux environs d'Alexandrie un pays nommé Maréote, qui est fort peuplé, et rempli de plusieurs Eglises, qui dépendent de l'Evêque de la Ville. Un homme de ce pays, nommé Ischyras, se porta à un crime qui mérite d'être expié de plus d'une mort. IL eut la hardiesse de prendre la qualité de Prêtre, et d'en faire les fonctions, bien qu'il n'eût jamais été ordonné. Son crime ayant été découvert, il se réfugia à Nicomédie, et implora la protection d'Eusèbe, qui non content de le recevoir comme Prêtre, lui promit de le faire Évêque, s'il voulait intenter une accusation contre Athanase. Cette accusation était fondée sur ce qu'Ischyras supposait faussement, que Macaire avait renversé l'Autel de l'Eglise, rompu un Calice, et brûlé les livres saints. Les partisans d'Eusèbe lui promirent la dignité Episcopale, pour la récompense de sa calomnie, dans l'espérance que, si l'accusation contre Macaire réussissait, elle retomberait sur Athanase, par qui Macaire avait été envoyé, et de qui il n'avait fait que suivre les ordres. Mais avant que d'intenter cette accusation, ils en intentèrent une autre fort maligne et fort envenimée, dont je fuis obligé de parler pour suivre l'ordre du temps. Ayant trouvé je ne sais où, la main d'un homme, soit qu'ils l'eussent tué pour la lui couper, ou qu'ils l'eussent coupée d'un corps mort, Dieu le sait, et ceux qui ont commis un crime si horrible, le savent aussi ; ils la montrèrent comme la main d'Ariane Evêque de la secte des Méléciens, qu'ils tenaient cependant caché, et assurèrent qu'Athanase l'avait eue par les secrets de la magie. Cette accusation qui était sans doute la plus atroce, ayant été proposé contre Athanase, tous ceux qui ne l'aimaient pas, le chargèrent à l'heure-même de divers autres crimes. Ce qui obligea l'Empereur de mander à Dalmatius Censeur, son Neveu, qui était alors à Antioche, d'envoyer quérir les accusés, et de les punir s'ils étaient coupables. Il donna aussi ordre Eusèbe, et à Théognis de s'y trouver. Quand Athanase se vit cité devant Dalmatius, il envoya chercher Arsène en Egypte, sans le pouvoir trouver, parce qu'il changeait souvent de demeure, et se cachait tantôt en un lieu, et tantôt en un autre. [1,28] CHAPITRE XXVIII. L'Empereur assemble un Concile à Tyr, pour juger les accusations intentées contre Athanase. Cependant l'Empereur arrêta par l'occasion que je vais dire, les procédures qui avaient été commencées devant Dalmatius. Il avait ordonné à plusieurs Evêques de le trouver à Jérusalem, pour la Dédicace de l'Eglise qu'il y avait fait bâtir. Avant qu'ils y fussent arrivés, il les assembla à Tyr, et les chargea d'examiner les accusations qui avaient été intentées contre Athanase, afin que toutes ces contestations si fâcheuses étant assoupies, ils pussent célébrer avec plus de joie la fête de la Dédicace. Soixante Evêques furent assemblés à Tyr, en la trentième année du règne de Constantin, par Denys Gouverneur de la Province. Macaire y fut conduit d'Alexandrie, chargé de chaînes. Athanase n'avait point dessein d'y aller, non qu'il appréhendât d'être convaincu, parce qu'il étai assuré de son innocence, mais de peur que l'on n'introduisît quelque nouveauté contre ce qui avait été décidé dans le Concile de Nicée. Il fut pourtant contraint par les menaces de l'Empereur d'y aller. Car ce Prince lui avait mandé que s'il n'y allait volontairement, on l'y ferait aller de force. [1,29] CHAPITRE XXIX. De l'Évêque Arsène. LA providence mena Arsène comme par la main à Tyr. Car sans se soucier de l'ordre que les calomniateurs, dont il avait reçu l'argent, lui avaient donné de se cacher, il eut la curiosité d'aller en cette Ville, pour être témoin de ce qui s'y passerait. Il arriva dans le même temps, que les domestiques d'Archélaüs Gouverneur de la Province, ouïrent dire à quelques personnes dans un cabaret, qu'Arsène, qu'on disait avoir été tué, était caché dans la maison d'un citoyen, et le rapportèrent à leur maître ; qui ayant aussitôt fait chercher Arsène, et l'ayant trouvé, en donna avis à Athanase pour relever son courage par une si heureuse nouvelle. Arsène nia d'abord que ce fût lui. Mais il fut convaincu par Paul, Evêque de Tyr, qui le connaissait depuis longtemps. Les choses ayant été ainsi disposées pas l'ordre de la providence, Athanase fut cité au Concile. Quand il y fut entré, les accusateurs s'avancèrent et produisent la main. L'accusé se conduisit fort prudemment. Car il demanda tant aux accusateurs qu'aux autres, qui étaient présents, s'ils connaissaient Arsène, et plusieurs ayant répondu qu'ils le connaissaient fort bien, il commanda qu'on le fît entrer, ayant les deux mains cachées sous son manteau. Quand il fut entré il leur demanda encore une fois, est-ce là cet Arsène qui a une main coupée ? Tous furent surpris d'un extrême étonnement, à la réserve de ceux qui n'ignoraient pas d'où venait la main car les autres croyaient qu'Athanase se défendrait d'une autre manière. Il leva ensuite un côté du manteau d'Arsène, et montra une de ses mains, et comme quelques-uns se doutaient que c'était l'autre main qui était coupée, il s'arrêta un peu, et les laissa dans le doute, puis il leva l'autre côté du manteau, et dit, Arsène a deux mains comme vous voyez. C'est aux accusateurs à nous dire, d'où vient la troisième qu'ils produisent. [1,30] CHAPITRE XXX. Evasion des accusateurs LA conviction de cette imposture si honteuse et si criminelle, fut un sujet de désespoir pour ceux qui l'avaient inventée. Acab, ou Jean l'un des accusateurs, se sauva au milieu du tumulte. [1,31] CHAPITRE XXXI. Athanase implore la justice de l'Empereur. ATHANASE dissipa cette première accusation par la seule présence d'Arsène sans employer d'autre défense. Mais à l'égard des crimes dont on chargeait Macaire, il proposa des exceptions fort pertinentes. Il récusa d'abord Eusèbe et ses compagnons, en disant que nul ne doit être jugé par ses ennemis. Il prétendit ensuite, qu'on devait prouver qu'lschyras eût été en effet élevé à la dignité du sacerdoce. Les Juges examinèrent pourtant l'affaire de Macaire, sans avoir égard à ces exceptions. Mais parce que les accusateurs manquaient de preuves, on remit la décision à un autre temps, jusques à ce que l'on eût été informé de la vérité dans la Maréote. Athanase voyant que l'on commettait pour informer, Théognis, Maris, Théodore, Macédonius, Valena et Ursace, qui étaient les mêmes qu'il avait récusés, s'écria que c'était une tromperie, et une illusion, et qu'il n'était pas juste que pendant que Macaire était sous les fers, l'accusateur allât informer avec les Juges. Mais ayant inutilement protesté contre cette injustice, en présence tant des Évêques, que de Denys Gouverneur de la Province, sans que personne écoutât ses protestations il se retira secrètement. Ceux qui avaient été envoyés à la Maréote, y dressèrent des informations assez conformes à l'intention des accusateurs, et les apportèrent à Tyr. [1,32] CHAPITRE XXXII. Déposition d'Athanase. Athanase se réfugia vers l'Empereur, et fut condamné par le Concile pour s'être retiré, lorsque les informations eurent été apportées de la Maréote, ils le déposèrent, et le noircirent par la sentence de déposition, sans parler de la calomnie, dont les accusateurs avaient été convaincus touchant la mort d'Arsène. Ils reçurent dans leur communion Arsène, qu'on disait avoir été tué. Il avait autrefois été Evêque de la secte des Méléciens, et il souscrivit alors à la déposition d'Athanase en qualité d'Evêque de la Ville des Hypselites. Ainsi par une merveilleuse rencontre, cet homme qu'on disait avoir été mis à mort par Athanase, se trouva vivant pour le déposer. [1,33] CHAPITRE XXXIII. Les Evêques vont de Tyr à Jérusalem, et y reçoivent Arius dans leur communion. LES Evêques assemblés à Tyr, ayant reçu ordre de l'Empereur de se rendre à Jérusalem, y allèrent en diligence, et après y avoir célébré la dédicace dé la nouvelle Eglise, reçurent Arius en leur communion, suivant, à ce qu'ils disaient, l'intention de l'Empereur, qui leur avait mandé qu'il était très assuré de la sincérité, de sa foi, et de celle d'Euzoius son compagnon. Ils écrivirent aux Fidèles d'Alexandrie, que l'envie ayant été bannie, l'Eglise jouissait d'une parfaite tranquillité, qu'Arius ayant reconnu là vérité, ils l'avaient admis à leur communion. Ils leur marquèrent qu'Athanase était déposé, en disant que l'envie était bannie. Ils informèrent l'Empereur des mêmes faits. Pendant qu'ils écrivaient cette lettre, ils en reçurent une de Constantin, par laquelle il leur mandait de venir à Constantinople, pour y éliminer de nouveau l'affaire d'Athanase, qui avait imploré sa protection, [1,34] CHAPITRE XXXIV. Lettre de l'Empereur. Constantin Vainqueur, très Grand, Auguste : aux Évêques assemblés dans la Ville de Tyr. « JE ne sais ce que vous avez jugé dans votre Concile, d'une manière turbulente et tempestative. Mais ces troubles et ces tempêtes que vous excitez par un désir indomptable de disputer, sans avoir aucun égard à la volonté de Dieu, apporte très grand préjudice à la vérité. Mais la divine providence apaisera un jour ces disputes, et nous fera clairement reconnaître avec combien de sincérité vous avez recherché la vérité, et avec combien de soin vous avez évite de juger ou par faveur, ou par haine. Venez me trouver, pour me rendre raison de tout ce qui s'est fait parmi vous. Vous apprendrez par le récit qui suit, les motifs de cet ordre que je vous donne. Comme je rentrais à cheval dans cette Ville heureuse qui porte mon nom, et que je regarde comme ma patrie, l'Evêque Athanase parut si inopinément avec quelques Ecclésiastiques au milieu du peuple, que je ne l'aurais pas reconnu si quelques-uns de ma suite ne m'avaient dit qui il était, et représenté l'injustice qu'il avait soufferte. Je ne pus alors l'entretenir, et comme il demandait audience, je la lui réfutai, et peu s'en fallut que je ne commandasse que l'on le fit retirer. Il s'écria alors avec une plus grande hardiesse qu'auparavant qu'il ne demandait rien autre chose, sinon que vous vinssiez ici, afin qu'il pût déplorer les violences qu'il avait souffertes. Sa demande m'ayant paru raisonnable, et conforme à la douceur de mon règne, j'ai résolu de vous mander à vous tous, qui avez tenu le Concile de Tyr, de vous rendre auprès de moi, pour y faire voir en ma présence la justice du jugement, que vous avez rendu : Auprès de moi, dis-je, que vous ne sauriez nier que je ne sois fidèle serviteur de Dieu. Le culte que je lui rends, a rétabli la paix de l'Eglise par toute la terre, et a fait respecter son nom à des peuples éloignés qui n'avaient jamais eu aucune connaissance de la vérité. Or quiconque ne connaît point la vérité, ne connaît point Dieu. Les barbares ont commencé à connaître Dieu par mon moyen, de moi, dis-je, qui suis son serviteur, et lui ont rendu leurs respects, quand ils ont vu qu'il me protégeait. La crainte qu'ils ont du pouvoir que me donne sa protection, les a attirés à son culte. Nous, cependant, je ne dirai pas qui gardons religieusement les saints mystères, mais qui faisons profession de les tenir, nous ne faisons rien qui ne tende à la discorde, à la haine, à la ruine du genre humain. Venez donc ici en diligence, et soyez bien persuadés que je ferai tous mes efforts pour conserver la loi de Dieu, et pour empêcher qu'elle ne reçoive aucune tache, et que je dissiperai ses ennemis qui sous pretexce.de piété, disent des blasphèmes. » [1,35] CHAPITRE XXXV. Athanase est relégué dans les Gaules, sur une nouvelle accusation. CETTE lettre mit en peine les Evêques du Concile, si bien que plusieurs, au lieu d'obéir à l'Empereur, s'en retournèrent en leurs Eglises. Eusèbe, Théognis, Maris, Patrophise, Ursace et Valens allèrent à Constantinople, où sans parler de l'affaire de Macaire, de l'Autel renversé, ni du Calice rompu, ils débitèrent une autre calomnie contre Athanase, et firent accroire à l'Empereur qu'il avait menacé d'arrêter le blé que l'on apportait chaque année d'Alexandrie à Constantinople ; et qu'il en avait menacé en présence de quatre Evêques, savoir Adamantius, Anubion, Arbétion, et Pierre. La calomnie est extrêmement puissante, quand celui qui la publie, paraît digne de foi. L'Empereur trompé et mis en colère par cet artifice, relégua Athanase à Trêves, Ville des Gaules. Quelques-uns assurent qu'il ne le relégua qu'à dessein de procurer la réunion de l'Eglise, et parce qu'il refusait d'entretenir aucune communion avec Arius et les sectateurs. [1,36] CHAPITRE XXXVI. De Marcel, Evêque d'Ancyre, et d'Asterius Sophiste. LES Evêques qui s'étaient assemblés à Constantinople. déposèrent Marcel, Evêque d'Ancyre, Ville de la petite Galatie, pour le sujet que je vais dire. Un homme qui enseignait la Rhétorique en Cappadoce, nommé Asterius, ayant quitté sa profession, pour embrasser la Religion Chrétienne, fit des livres. dans lesquels il défendit l'opinion d'Arius, et soutint que Jésus-Christ est la vertu de Dieu, de la même sorte que les sauterelles sont appelées par Moïse la vertu de Dieu. Il était souvent avec les Évêques, et principalement avec ceux qui n'étaient pas trop contraires à Arius, entrait dans leurs assemblées et cherchait les moyens de s'élever à leur rang. Il ne pût néanmoins obtenir l'ordre de Prêtrise parce qu'il avait sacrifié aux Idoles durant la persécution. En traversant la Syrie, il y lut les ouvrages qu'il avait composés. Marcel ayant voulu combattre son erreur tomba, par un trop grand désir de contredire, dans une autre toute contraire, et eut la hardiesse d'avancer, comme Paul de Samosate, que Jésus-Christ n'était qu'un homme. Les Évêques, qui étaient alors assemblés à Jérusalem, ayant entendu parler de cette contestation, ne prononcèrent rien contre Asterius, parce qu'il n'était pas élevé à la dignité du Sacerdoce, mais ils obligèrent Marcel à rendre raison de la doctrine contenue dans son livre. Et quand ils eurent reconnu qu'il tenait les erreurs de Paul de Samosate, ils lui ordonnèrent de les rétracter. La honte qu'il eut d'être condamné de la sorte, le porta à promettre de brûler son livre. Mais le Concile ayant été rompu avec précipitation par l'ordre que les Evêques avaient reçu de se rendre à Constantinople, les partisans d'Eusèbe qui s'y rendirent, y examinèrent une seconde fois l'affaire de Marcel ; et parce qu'il refusa de brûler son livre , ils le déposèrent, et mirent Basile en sa place. Eusèbe, Evêque de Césarée, composa trois livres pour réfuter ses erreurs. Marcel fut rétabli depuis sur son Siège par le Concile de Sardique, sur ce qu'il assura que son livre n'avait point été entendu par ceux qui l'avaient condamné, et qu'ils avaient faussement supposé, qu'il tenait les erreurs de Paul de Samosate. [1,37] CHAPITRE XXXVII. Troubles excités par Arius à Constantinople. La fin de la trentième année du règne de Constantin approchait, lorsque les habitants de la Ville d'Alexandrie furent sensiblement affligés du retour d'Arius, et du bannissement d'Athanase. L'Empereur ayant appris qu'Arius avait dé mauvaises intentions, le manda pour rendre raison des troubles qu'il excitait. L'Eglise de Constantinople était alors gouvernée par Alexandre, qui avait succédé depuis longtemps à Métrophane. La guerre qu'il déclara a Arius, fit voir clairement qu'il était rempli de la charité de Dieu. Il eut un extrême déplaisir de voir son peuple divisé, et d'entendre que les uns soutenaient qu'il n'était pas permis de rien changer à ce qui avait été défini dans le Concile de Nicée, pendant que les autres assuraient que l'opinion d'Arius était véritable. Les menaces que lui faisait Eusèbe de Nicomédie, de le chasser de son Siège, s'il ne recevait dans sa communion Arius et ses sectateurs, lui causaient encore de fâcheuses inquiétudes. Ce n'est pas qu'il souhaitât avec beaucoup de passion de conserver sa dignité. Mais c'est qu'il n'appréhendait rien tant que la moindre altération de la doctrine de la foi, et que le violement des Canons du Concile de Nicée, dont il croyait devoir être le gardien et le défendeur. Dans une si grande perplexité, il méprisa le secours de la Logique, et n'eut recours qu'à Dieu, implorant sa grâce par des jeûnes et par des prières continuelles. Il ne communiqua son dessein à personne, et s'enferma seul dans l'Eglise d'Irène, se prosterna contre terre sous l'autel, et demanda à Dieu, durant plusieurs jours et plusieurs nuits, qu'il ne vît point le jour qui avait été arrêté pour la dispute, si Arius tenait la vérité ; mais que s'il était dans l'erreur, il fut puni du scandale qu'il avait excité. [1,38] CHAPITRE XXXVIII. Mort d'Arius. L'empereur voulant reconnaître les sentiments d'Arius, l'envoya quérir, et lui demanda s'il consentait à ce qui avait été défini dans le Concile de Nicée. Il répondit qu'oui, sans hésiter, et signa à l'heure même la définition, bien qu'en effet il prétendît l'éluder. L'Empereur étonné de la promptitude avec laquelle il avait signé, lui demanda qu'il confirmât sa signature par un serment. Il jura sur le champ; mais jura de mauvaise foi, et voici la fraude dont on dit qu'il usa. Il avait caché sous son bras son opinion écrite de sa main ; et quand il jura qu'il tenait ce qu'il avait écrit, il entendait son sentiment particulier, et non la décision du Concile. Je ne sais ce fait-là que pour l'avoir ouï publier. Mais j'ai appris par la lecture des lettres de Constantin, qu'il confirma sa signature par son serment. L'Empereur étant persuadé de la sincérité de la foi d'Arius, envoya ordre à Alexandre Evêque de Constantinople, de l'admettre à sa communion. Ce fut un Samedi que cet ordre fut donné. Arius espérait assister le jour suivant à l'assemblée des Fidèles. Mais la justice divine était toute prête d'arrêter le cours de ses criminelles entreprises. Etant sorti du Palais de l'Empereur, entouré d'une foule de partisans d'Eusèbe, qui lui servaient de Gardes, et marchant avec fierté au milieu de la Ville en présence de tout le peuple, lorsqu'il fut arrivé à la place de Constantin et proche de sa statue de Porphyre, il sentit sa conscience troublée par les remords de ses crimes, et à l'heure-même ses entrailles tourmentées d'une violente colique. Il demanda où étaient les lieux, et ayant appris qu'ils étaient derrière la place de Constantin, il y alla. Il n'y fut pas sitôt entré, que les forces lui manquèrent, que les intestins lui tombèrent avec les excréments, qu'il perdit une quantité incroyable de sang, jeta une partie de son foie et de sa rate, et rendit l'âme. On montre encore ces lieux-là, comme un monument public d'un genre de mort fort extraordinaire. La renommée porta par toute la terre le bruit d'un si étrange accident, et il saisit de frayeur et accabla de tristesse les partisans d'Eusèbe Evêque de Nicomédie. L'Empereur voyant que la foi du Concile de Nicée était confirmée par un témoignage si authentique, et par un miracle si évident que Dieu avait fait en sa faveur, s'y attacha plus étroitement que jamais, et conçut une joie incroyable de tout ce qui était arrivé. Il en avait pourtant une plus tendre et plus sensible, de ce qu'en divers temps il avait déclaré ses trois fils Césars, savoir Constantin qu'il avait fait Gouverneur d'Occident, en la dixième année de son règne, Constance qu'il avait fait Gouverneur d'Orient en la vingtième ; et Constant en la trentième. [1,39] CHAPITRE XXXIX. Mort de l'Empereur Constantin. L'EMPEREUR Constantin tomba bientôt après dans une fâcheuse maladie, à l'âge de soixante et cinq ans. Etant parti de Constantinople, il alla par mer à Helénopole, pour prendre le bain des eaux chaudes qui sont aux environs de cette Ville. Mais la maladie s'étant augmentée, il différa d'user du bain, et partit d'Helénopole pour aller à Nicomédie. Quand il fut dans un des faubourgs, il y reçut le baptême. Il fit ensuite son testament, par lequel il laissa l'Empire à ses enfants, et leur en assigna à chacun une partie, comme il avait déjà fait avant sa maladie. Il accorda de grands privilèges aux villes de Rome et de Constantinople. Il mit son testament entre les mains du Prêtre duquel nous avons parlé, et par les soins duquel nous avons dit qu'Arius avait été rétabli, et le chargea de le remettre entre celles de Constance son fils, à qui il avait donné l'Empire d'Orient. II ne survécut que peu de jours, et mourut en l'absence de tous ses fils. On dépêcha un courrier pour porter à Constance la nouvelle de sa mort.. [1,40] CHAPITRE XL. Sépulture de l'Empereur Constantin. SON corps fut mis dans un cercueil d'or, porté par ses proches à Constantinople, placé sur un lieu élevé dans son Palais, entouré de Gardes, et servi comme s'il eût été vivant, jusques à ce qu'un de ses Fils fût venu. Dès que Constance fut arrivé d'Orient, il fut porté, dans l'Eglise des Apôtres, ou il avait fait bâtir de magnifiques tombeaux pour les Empereurs et les Prélats, afin qu'ils reçussent un honneur peu éloigné de celui qu'ont reçu les corps des saints Apôtres. Constantin a vécu soixante et cinq ans, et en a régné trente et un. II est mort sous le Consulat de Félicien et de Tatien, le vingt-deuxième jour du mois de Mai, en la seconde année de la deux cent soixante et dix-huitième Olympiade. Au reste ce premier livre contient l'Histoire de trente et un an.