HYMNE I. Allons, lyre harmonieuse ! Jadis tu redisais les chansons du poète de Téos et les vers passionnés de la Lesbienne :[1] aujourd’hui, sur un ton plus grave, fais entendre des hymnes qui ne célèbrent ni le doux sourire des jeunes vierges, ni les charmes séducteurs des adolescents. Obéissant aux pures inspirations de la divine sagesse, c’est pour de pieux cantiques que je fais résonner les cordes de mon luth : je fuis la douceur empoisonnée des terrestres amours. La force, la beauté, la fortune, la renommée, l’éclat de la royauté, qu’est-ce que tout cela, au prix de la méditation qui recherche Dieu? Qu’un autre soit habile à diriger un coursier ou à tendre l’arc; qu’un autre amasse des richesses et veille sur des monceaux d’or; qu’un autre, fier de sa chevelure qui, flotte sur ses épaules, soit vanté pour ses attraits parmi les jeunes gens et les jeunes filles. Pour moi, qu’il me soit donné de couler en paix des jours obscurs! Qu’ignoré du reste des hommes je connaisse les choses de Dieu! Que j’aie pour compagne la sagesse : précieuse dans le jeune âge, précieuse dans les vieux ans, elle l’emporte sur la richesse. La sagesse, en souriant, me fera supporter aisément la pauvreté, inaccessible aux amers soucis de la vie. Puissé-je seulement avoir assez pour n’aller rien demander à la chaumière du voisin, pour n’être pas courbé, dans la détresse, sous le poids des cruelles inquiétudes. Écoute le chant de la cigale qui boit la rosée du matin. Voici que les cordes de ma lyre retentissent d’elles-mêmes. Autour de moi vole une voix divine : quel chant va donc enfanter en moi la céleste parole? Celui qui est à lui-même son principe, le Père, le maître de toutes choses, éternel, couronné d’une gloire immortelle, Dieu repose inébranlable dans les hauteurs sublimes du ciel. Unité par excellence entre toutes les unités, monade première des monades, il a produit, il a mis au jour, par un ineffable enfantement, les pures et sublimes essences. Ainsi, ne se renfermant plus en elle-même, l’Unité, par une mystérieuse émanation, avec le concours du premier-né, sorti de son sein, s’est changée en une Trinité glorieuse. La source suprême se couronne de la beauté des enfants, qui, échappés du centre, retournent vers le centre.[2] Arrête, lyre audacieuse, arrête ! Ne révèle pas au vulgaire les secrets qu’il doit ignorer. Dis plutôt les choses des sphères inférieures, et que le silence recouvre les merveilles d’en haut. L’Intelligence ne prend soin que des mondes intellectuels. C’est d’elle qu’est venu le souffle précieux qui anime, tout en restant indivisible, les divers corps mortels. Quoique tombée dans la matière, l’Ame, toujours impérissable, est une parcelle de ses divins auteurs, parcelle bien faible, il est vrai, mais qui n’en a pas moins cette céleste origine. Tout entière et une en tous lieux, répandue tout entière dans le grand tout, elle fait tourner la voûte des cieux. Présidant à la conservation de cet univers, sous des formes diverses elle est partout présente. Une partie de cette Ame dirige le cours des astres; une autre régit les chœurs des anges; une autre, courbée sous des chaînes pesantes, a revêtu la forme terrestre. Séparée de ses parents, elle a bu le triste oubli; dans ses préoccupations insensées, elle admire ce misérable séjour, et, malgré sa divine origine, n’a plus de regards que pour la terre. Il reste cependant, il reste quelque lumière dans ses yeux voilés; il reste, chez ceux qui sont tombés ici-bas, une force qui les ramène vers le ciel, lorsque, échappés des flots de la vie et libres de tout souci, ils entrent dans la route sacrée qui conduit au palais du Père. Heureux celui qui, fuyant les aboiements de la vorace matière et se dégageant de la terre, monte d’un essor rapide vers Dieu! heureux celui qui, après les soins et les travaux, après les cruelles inquiétudes d’ici-bas, s’élançant sur la route de l’Ame, a vu la profondeur du ciel resplendissant d’une divine lumière! Efforçons-nous pour que nos cœurs soient emportés sur les ailes des célestes désirs. Pour toi soutiens le vol qui t’élève vers les choses intellectuelles: le Père se montrera de plus près à toi et te tendra la main. Un rayon précurseur éclairera ton chemin, et te conduira dans les champs de l’idéal, à la source de toute beauté. Courage donc, ô mon âme; désaltère- toi à ces eaux pures; prie le Père; monte vers lui, monte toujours. Laisse à la terre les choses de la terre. Bientôt unie à ton auteur, et Dieu dans Dieu même, tu jouiras de la suprême félicité. HYMNE II. Voici encore la lumière, voici l’aurore, voici le jour qui brille après les sombres ténèbres. Chante encore, ô mon âme, dans un hymne matinal, ce Dieu qui adonné au jour la lumière, qui a donné à la nuit les étoiles, chœur magnifique se déroulant autour du monde. Voilant la surface de la matière toujours en mouvement, l’éther s’étend jusqu’à la région du feu, jusqu’au bord le plus rapproché de la route que parcourt la lune argentée. Au-dessus du huitième cercle des constellations, une sphère, dépeuplée d’étoiles fixes, agitant dans son sein des astres errants qui courent en sens contraires, se meut autour de la grande intelligence, dont les blanches ailes débordent sur les extrémités du monde céleste. Au delà l’auguste Silence enveloppe les essences intelligentes et intelligibles, unies et séparées tout à la fois. D’une seule source, d’un seul principe jaillit radieuse une triple personne. Là où est la profondeur du Père, là est aussi la puissance du Fils, sorti de son sein, Sagesse créatrice du monde; là encore resplendit la lumière de l’Esprit-Saint qui les unit. D’une seule source, d’un seul principe découlent des biens sans nombre : une fécondité puissante multiplie les êtres divins et les esprits bienheureux qui brillent d’un pur éclat. C’est de là que vient le chœur des ministres immortels, qui, placés dans le monde, célèbrent en des hymnes célestes la gloire du Père et de son premier-né. Auprès de ses créateurs bienveillants, la troupe des anges, toujours jeunes, tantôt, contemplant l’Intelligence, se repaît du spectacle de la beauté idéale; tantôt, regardant les sphères, dirige l’immensité du monde, et fait pénétrer la lumière d’en haut jusqu’aux confins de la matière, où la nature affaissée enfante les démons, race tumultueuse et perfide. C’est de l’Unité que naissent et le Fils et l’Esprit, qui, répandu autour de la terre, en a vivifié toutes les parties et leur donne des formes diverses. Tout dépend de ta volonté. Tu es le principe du passé, du présent, du futur, du possible. Tu es le père, tu es la mère; tu es le mâle, tu es la femelle; tu es la voix, tu es le silence; tu es la nature féconde de la nature; tu es le roi, l’éternité de l’éternité. Autant que ma bouche peut le proclamer, gloire à toi, racine de l’univers; gloire à toi, centre des êtres, monade des nombres éternels, immatérielles puissances ! Gloire à toi, gloire à toi, car c’est en Dieu que réside la gloire! Prête une oreille favorable à l’allégresse de mes chants. Éclaire-moi de la lumière de ta sagesse; donne-moi un bonheur sans mélange; donne-moi les douces joies d’une vie paisible; éloigne de moi l’indigence et le terrestre fléau des richesses; écarte de moi les maladies du corps, la folle ardeur des passions; préserve mes jours des soucis rongeurs. Fais que la terre n’appesantisse point les ailes de mon âme, mais que prenant un libre essor je puisse m’élancer dans les ineffables secrets de ton Fils. HYMNE III. Allons, ô mon âme, entonne des cantiques sacrés, assoupis les ardeurs qu’enfante la matière; excite les rapides élans de l’intelligence. C’est pour le roi des dieux que nous tressons une couronne : nous lui offrons un sacrifice pur de sang; des chants sont nos libations. C’est toi que je célèbre et sur la mer, et dans les îles, et sur le continent, et dans les cités, et sur les âpres montagnes, et dans les plaines riantes; c’est toi que je célèbre partout où je porte mes pas, ô bienheureux père du monde! La nuit m’amène vers toi pour te louer, ô Tout-Puissant! Au commencement, au milieu, à la fin du jour, c’est à toi que j’adresse mes hymnes. J’ai pour témoins les étoiles à la douce lumière, la lune errante, et l’auguste soleil, modérateur des astres sacrés, arbitre saint des âmes pures. Pour m’élever jusqu’à tes parvis et dans ton sein, je m’élance loin de la matière en secouant mes ailes. Joyeux d’arriver à ton vestibule, je vais en suppliant, tantôt vers les temples où se célèbrent les saints mystères, tantôt sur la cime des hautes montagnes, tantôt dans les profondes vallées de la déserte Libye, lieu où règne le Notus, et que jamais ne souille un souffle impie, que jamais ne foule le pied des hommes qui vivent dans les agitations des villes. Là, mon âme, pure de passions, délivrée de désirs, exempte de travaux, exempte de tristesses, de colères, de haines, rejetant loin d’elle tout ce qui naît en nous de mauvais, d’une voix chaste et d’une pensée pieuse t’adressera l’hymne qui t’est dû. Paix dans le ciel et sur la terre ! Que l’océan se calme, que l’air se taise ! Arrêtez- vous, ô souffles des vents; arrêtez-vous, vagues impétueuses, fleuves rapides, sources jaillissantes! Que le monde tout entier fasse silence, tandis que j’offre les hymnes saints en sacrifice. Qu’ils fuient sous la terre les tortueux reptiles; qu’il fuie sous La terre le serpent ailé, ce démon de la matière, qui obscurcit les âmes, qui aime les fantômes, et qui excite contre nos prières sa meute aboyante. O Père, ô bienheureux, protège, contre ces monstres dévorants, mon esprit, et ma prière, et ma vie, et mes œuvres! Que l’offrande de mon cœur te soit portée par tes augustes ministres, pieux messagers des hymnes saints. Voici que j’entre dans la carrière des chants sacrés; voici qu’une voix divine retentit dans mon âme. O bienheureux, prends pitié de moi; ô Père, prends pitié de moi, si j’ose, indigne et profane, toucher à tes mystères. Quel est l’œil assez ferme, assez perçant, pour voir tes splendeurs sans être ébloui? Les immortels mêmes ne peuvent soutenir d’un regard fixe ton éclat. Mais si l’esprit succombe, impuissant à te contempler dans ton essence, il s’arrête à ce qui t’environne; il essaie de pénétrer l’impénétrable, de considérer la lumière qui brille dans ton immense profondeur; puis, descendant encore de ces hauteurs inaccessibles, il considère la beauté de tes œuvres, et pour te louer il jette, comme des fleurs, ces hymnes au souffle des vents, et te rend tout ce qui t’appartient.[3] Eh! qui est-ce qui n’est pas à toi? O roi, ô le père de tous les pères, père de toi- même, le premier père, toi qui n’as pas de père, fils de toi-même, unité antérieure à l’unité, germe des êtres, centre de tout, esprit éternel et sans substance, racine des mondes, lumière resplendissante des choses premières, vérité sage, source de sagesse, esprit voilé de ton propre éclat, œil de toi-même, maître de la foudre, père des siècles, vie des siècles! Supérieur aux dieux, supérieur aux intelligences, tu les régis à ton gré. Esprit père des esprits, origine des dieux, créateur de l’âme, nourricier de la vie, source des sources, principe des principes, racine des racines, tu es l’unité des unités, le nombre des nombres, l’unité et le nombre; l’intelligence, l’être Intelligent, l’être intelligible, antérieur à l’intelligible ; un et tout, un en toutes choses, un avant toutes choses; germe de tout, racine et branche, nature parmi les intelligences, mâle et femelle. Voilà ce que dit de toi l’âme initiée à tes mystères, et qui se meut autour de ton ineffable profondeur. Tu es ce qui enfante, tu es ce qui est enfanté; tu es ce qui éclaire, tu es ce qui est éclairé; tu es ce qui paraît, tu es ce qui est caché; lumière cachée dans ton propre éclat, un et tout, un en toi-même et en toutes choses. Par effusion, ô paternité indicible, tu as produit le Fils, Sagesse suprême et créatrice; mais malgré cette effusion tu restes un, et tu enfantes par une indivisible division. Je te chante, ô Unité; je te chante, ô Trinité, Unité quoique Trinité, Trinité quoique Unité. Dans cette intellectuelle division, ce qui a été séparé demeure inséparable. A la naissance du Fils a participé la souveraine Volonté, la Volonté qui a paru pour être l’intermédiaire entre le Père et le Fils, essence au-dessus de toute parole, être antérieur à tous les êtres. Il n’est pas permis de dire qu’il y ait un second sorti de toi, il n’est pas permis de dire qu’il y ait un troisième sorti du premier. Enfantement sacré, génération mystérieuse! En toi se touchent les deux natures, et celle qui donne la naissance, et celle qui la reçoit. Je respecte le secret des choses intellectuelles. Il existe un intermédiaire qui n’a pas été produit par effusion. Fils ineffable d’un Père ineffable, tu as été enfanté par toi-même; c’est par cet enfantement que tu es apparu; et cependant tu as paru en même temps que le Père, en même temps que la Volonté du Père; tu es aussi la Volonté qui réside toujours dans le Père. Le temps, dans l’immensité de son cours, n’a pas connu le mystère de ta naissance; les siècles antiques ont ignoré cette éternelle génération. Il a paru en même temps que le Père, le Fils déjà né et qui devait naître. Qui donc est assez hardi pour se flatter de comprendre ce que la langue ne saurait exprimer? Bien impie est l’audace des aveugles mortels qui discourent sur toutes choses. Toi seul tu donnes la lumière, la lumière qui éclaire les intelligences. Tu détournes les âmes pieuses des voies obliques de l’erreur, tu les empêches de se perdre dans les ténèbres de la matière. C’est toi, père des mondes, père des siècles, créateur des dieux, que nous devons louer; c’est toi que chantent les purs esprits, ô roi; c’est toi, souverain maître, que célèbrent ces ministres, au regard brillant, qui gouvernent le monde, qui animent les astres, et autour desquels se meut le vaste univers. C’est toi que chantent et le chœur des bienheureux, qui dans le monde, autour du monde, dans les zones, hors des zones, dirigent, sages gardiens, les diverses parties du monde, à côté des glorieux pilotes sortis de la troupe des anges; et la race illustre des héros qui interviennent, par des voies secrètes, dans les œuvres des mortels, œuvres mortelles elles-mêmes. C’est toi que chantent et l’âme qui reste ferme et droite, et l’âme qui s’abaisse vers les épaisses ténèbres de la terre, et la féconde nature, et tout ce qu’enfante la nature: car c’est de tes canaux que sort et se répand sur le monde le souffle vital qui lui donne le mouvement. Modérateur des mondes incorruptibles, tu es la nature des natures; tu échauffes la nature, génératrice des êtres mortels, image de la nature immortelle; c’est par toi que jusqu’aux extrémités les plus reculées de la création circule ce courant de vie universelle. Sans doute il ne fallait pas que la lie terrestre pût usurper la première place; mais rien de ce qui a été rangé dans le chœur des êtres ne doit plus périr; et, dépendant mutuellement les unes des autres, toutes les choses créées forment, dans leur existence, une chaîne continue. Cet ensemble éternel d’objets périssables, vivifié par ton souffle, élève de toutes parts des concerts vers toi. Elles disent ta gloire ces productions aux riches couleurs, aux vertus diverses, qu’enfante la terre. Tous d’accord dans la variété de leurs langages, les animaux te célèbrent en chœur. Tous les êtres t’envoient des louanges sans fin, l’aurore et la nuit, les foudres, les neiges, le ciel, l’éther, les profondeurs de la terre, l’eau, l’air, tous les corps, tous les esprits, les semences, les fruits, les plantes et les gazons, les racines, les herbes, les animaux des champs, les oiseaux du ciel et le peuple des poissons. Vois aussi cette âme, faible et défaillante: du fond de la Libye, au milieu de tes fêtes sacrées, elle t’adresse ses prières, tout enveloppée qu’elle soit des nuages de la matière. Ton œil, ô Père, peut percer ces nuages. Maintenant mon cœur déborde d’hymnes en ton honneur, et de brûlants transports agitent mon âme. Fais briller, ô souverain maître, la lumière d’en haut pour qu’elle attire mes regards. Fais que mon Aine, dégagée des liens du corps, n’aille plus se plonger dans la fange terrestre. Tant que je demeure retenu dans les chaînes de la vie matérielle, puisse la fortune m’être douce ! Qu’un souffle ennemi ne vienne pas flétrir mes jours; que je ne sois pas rongé par les soucis, que je puisse toujours m’occuper des choses divines; que je n’aille plus me rouler dans cette boue d’où je me suis échappé, grâce à toi. Et maintenant je viens te tresser une couronne avec les fleurs des saintes prairies; je t’apporte ce tribut de louanges, à toi, souverain des mondes incorruptibles, et à ton Fils, la pure Sagesse, produit de ton sein ineffable. Résidant toujours en toi, il est sorti de toi; il régit toutes choses de son souffle; il gouverne l’immensité des siècles, il gouverne toutes les parties du monde, jusque dans les plus profonds abimes de la terre; il éclaire de sa lumière les âmes pures; il délivre de leurs peines et de leurs soucis les mortels toujours agités; il donne les biens, il dissipe les douleurs : eh! faut-il s’étonner si le Dieu, créateur du monde, éloigne le mal de ses œuvres? O roi du vaste univers, je viens m’acquitter du vœu que j’ai fait en Thrace, où pendant trois ans j’ai habité près de la royale demeure qui commande à la terre. Infortuné ! que de fatigues, que de tourments j’ai endurés, quand je portais sur mes épaules tout le poids de la patrie qui m’a donné la naissance ! Chaque jour, dans les luttes que je soutenais, la terre était arrosée de la sueur de mon corps; chaque nuit ma couche était inondée des ruisseaux de larmes qui coulaient de mes yeux. Les temples élevés à ta gloire et pour ton culte, ô Tout-Puissant, je les ai tous visités. Suppliant, je me prosternais, je mouillais le sol de mes pleurs; je conjurais les esprits immortels, tes serviteurs, de ne point permettre que j’eusse entrepris en vain ce voyage. Et ceux qui protègent les régions fécondes de la Thrace, et ceux qui sur le rivage opposé régissent les champs chalcédoniens, je les implorais tous, ces anges que tu as couronnés de rayons, et dont tu as fait, ô roi, tes ministres sacrés. Ces êtres bienheureux ont accueilli mes prières, ils me sont venus en aide dans mes maux. Jusqu’alors la vie ne m’était point douce, à cause des souffrances qu’endurait ma patrie: mais tu l’as affranchie de ses douleurs, ô toi que ne peut atteindre la vieillesse, souverain maître du monde ! Mon âme était défaillante, mes membres languissants : c’est toi qui as ranimé la vigueur de mon corps, et rendu à mon âme affligée une force nouvelle. Dans ta bonté, exauçant mes vœux, tu as mis un terme à mes fatigues; après de longues peines tu m’as donné le repos. Conserve, ô bienheureux, tes faveurs aux habitants de la Libye, pendant une longue suite de jours, pour la reconnaissance que je garde de tes bienfaits, et pour tous les maux que j’ai eu à supporter. Je t’en supplie, fais que mon existence soit tranquille; préserve-moi des chagrins, préserve-moi des maladies, préserve-moi des soucis rongeurs; accorde à ton serviteur une vie intellectuelle; ne répands sur moi le flot de la richesse terrestre, qui pourrait me détourner du soin des choses divines; ne permets pas non plus que la triste indigence, entrant dans ma demeure, abaisse vers la terre mon esprit et mon cœur: toutes deux, la richesse et l’indigence, entraînent l’âme vers les basses préoccupations; toutes deux amènent l’oubli des nobles pensées, quand tu ne viens pas, ô bienheureux, nous prêter des forces. Oui, ô Père, source de la pure sagesse, fais briller en moi un rayon de ta lumière; que la sagesse qui vient de toi éclaire mon cœur. Ouvre-moi la route sacrée qui conduit vers toi; donne-moi une promesse, un gage de ta bonté, en écartant de ma vie et de mes prières les démons de la matière qui tourmentent les âmes. Conserve à mon corps la santé; chasse bien loin les cruelles souffrances; préserve, ô roi, mon esprit de toute souillure. Maintenant je porte, empreinte sur moi, la tache honteuse de la matière; les liens terrestres des passions me retiennent asservi. Mais c’est toi qui délivres, c’est toi qui purifies: affranchis-moi des maux, affranchis-moi des maladies, affranchis-moi des entraves. Tu as déposé dans mon sein un germe précieux, une étincelle de l’esprit divin, cachée dans la profondeur de la matière. Car tu as mis dans le monde un esprit, et par cet esprit tu as fait naître une âme dans mon corps, ô roi ! Prends pitié de ta fille, ô bienheureux! Je suis descendue de ta demeure pour être la servante de la terre; de servante je suis devenue esclave. La matière m’a captivée par ses séductions magiques. Cependant la lumière qui est en moi n’est pas encore tout à fuit éteinte; elle n’a pas encore perdu tout son éclat: mais autour d’elle sont répandues des ombres épaisses qui l’obscurcissent et qui m’empêchent de voir Dieu. Prends pitié, ô Père, de ta fille suppliante : elle essaie de s’élever, d’un élan spirituel, jusques à toi; mais les charmes de la matière me retiennent. Fais briller, ô roi, les clartés d’en haut; qu’elles attirent mes regards. Allume un feu, un incendie avec la faible étincelle que je porte en moi. O Père, place-moi au milieu de la lumière salutaire, là où la nature ne porte pas la main, et d’où ne peuvent m’arracher ni la terre ni la fatale nécessité du destin. Loin, bien loin de ton serviteur la vie inquiète d’ici-bas; qu’entre le tumulte de la terre et moi s’élève un mur de feu. Donne-moi, donne à ton serviteur de pouvoir déployer les ailes de l’intelligence. Que mon âme suppliante porte l’empreinte de ton sceau paternel: épouvantail des démons ennemis qui s’élancent des abîmes de la terre pour souffler aux mortels des pensées impies, ce signe me fera reconnaître de tes saints ministres, qui, sur les brillants sommets de l’univers, tiennent les clefs des portes de l’empyrée, et ils m’introduiront dans le séjour de la lumière. Mais tandis que je rampe encore sur la terre, fais que mon cœur n’appartienne pas à la terre; que mes œuvres, qui tendront vers toi, soient attestées même ici-bas par leurs fruits: qu’elles produisent en moi des paroles de vérité, et tous les sentiments qui réchauffent dans les âmes la douce espérance. Cette vie terrestre m’est à charge. Arrière, fléaux des impies mortels, luxe des cités; arrière, flatteuses erreurs, faux plaisirs avec lesquels la terre retient l’âme en servitude ! Dans son égarement, cette âme boit l’oubli des vrais biens, jusqu’à ce qu’elle tombe sur la mauvaise part. Car la matière présente deux parts pour nous séduire. Le convive qui, dans un festin, a mis la main sur les aliments les plus doux, gémira s’il se voit ensuite contraint de goûter des mets amers. Telle est la loi de l’humaine nécessité : elle verse de deux coupes la vie aux mortels. Le breuvage pur et sans mélange, c’est Dieu ou les choses de Dieu. Après m’être enivré de la douce coupe, j’ai touché aux choses mauvaises; je suis tombé dans le piège ; j’ai éprouvé le malheur d’Epiméthée. Je hais cependant les lois changeantes. Me hâtant vers les tranquilles prairies du Père, je précipite mes pas fugitifs pour échapper aux séductions de la matière. Tourne sur moi tes regards, arbitre de la vie intellectuelle; vois sur la terre cette âme suppliante qui s’efforce de monter vers toi. Eclaire, ô roi, mes yeux qui se dirigent vers le ciel; donne-moi des ailes légères; coupe les chaînes de ces passions à l’aide desquelles la trompeuse nature courbe les âmes vers la terre. Donne-moi de fuir les dangers du corps, de m’élancer d’un rapide essor tians ton palais et (tans ton sein, d’où l’âme tire son origine. Goutte céleste, j’ai été répandue sur la terre : rends-moi à la source d’où je suis sortie fugitive et vagabonde. Laisse-moi m’unir à la lumière créatrice ; permets que, soumise à tes lois, je t’offre pieusement, avec le chœur des esprits divins, des hymnes spirituels. Permets, ô Père, qu’unie à la lumière je n’aille plus désormais me plonger dans la fange terrestre. Et pendant que je demeure enchaînée à cette vie matérielle, puissé-je jouir d’une paisible destinée! HYMNE IV. Quand l’aube paraît, quand la lumière croît, quand le jour est à son midi, quand il touche à son déclin, quand vient la nuit brillante, c’est toi, toujours toi que je célèbre, ô Père ! Médecin des âmes, médecin des corps, dispensateur de la sagesse, tu éloignes les maladies, tu donnes une douce existence que ne troublent point les terrestres inquiétudes, mères des douleurs, mères des souffrances. Daigne garder ma vie exempte de soucis, afin que je puisse chanter dans mes hymnes la source mystérieuse de toutes choses, et que jamais les péchés ne viennent m’entraîner loin de Dieu. C’est toi que je glorifie, ô bienheureux souverain du monde! Que la terre se taise. Quand vers toi s’élèvent les cantiques et les prières, silence dans tout cet univers, qui est ton ouvrage. Qu’ils ne se fassent plus entendre, le souffle des vents, le murmure des arbres, le cri des oiseaux. Paix dans l’éther, paix dans les airs; qu’ils écoutent mes chants; et sur la terre que toutes les eaux, devenues muettes, s’arrêtent dans leur cours. Que ceux qui troublent les hymnes sacrés, ces démons, amis des ténèbres, habitants des tombeaux, fuient mes saintes prières. Mais pour ces bienheureux ministres du céleste créateur, qui résident dans les profondeurs et aux extrémités de l’univers, qu’ils entendent avec bienveillance mes chants en l’honneur du Père, et qu’avec bienveillance aussi ils lui portent mes supplications. Unité des unités, père des pères, principe des principes, source des sources, racine des racines, bien des biens, astre des astres, monde des mondes, idée des idées, abîme de beauté, mystérieuse semence, père des siècles, père des mondes intellectuels qui sont au-dessus de toute parole, et desquels émane un souffle divin qui, flottant sur la masse de la matière, l’anime et en fait un autre monde, ô bienheureux! je te célèbre par ma voix, je te célèbre par mon silence; car si tu entends la voix, tu entends aussi le silence de l’âme. Je chante encore ton Fils, le premier-né, la première lumière. Fils glorieux du Père ineffable, je t’unis dans mes hymnes au Père suprême, et à celui qu’en vue de toi le Père a enfanté, au principe médiateur, Esprit saint, Volonté féconde, centre du Père, centre du Fils. Cette Volonté, elle est la mère, elle est la sœur, elle est la fille tout à la fois.[4] Elle a aidé le Principe suprême dans l’enfantement mystérieux du Fils. Pour que du Père naquit le Fils par une divine effusion, l’Esprit, qui devait concourir à celle effusion, a été produit. Dieu, sorti de Dieu, il a servi d’intermédiaire: par lui, et par cette sublime effusion du Père immortel, le Fils à son tour a été produit. Tu es Unité en même temps que Trinité, toujours Unité et toujours Trinité. Dans cette intellectuelle division ce qui est séparé demeure inséparable. Le Fils réside dans le Père, quoiqu’il en soit distinct; il régit au dehors tout ce qui est du Père; il répand sur le monde les flots de la vie puisée à la source d’où lui-même tire sa propre vie. O Verbe, toi qui es l’objet de mes chants en même temps que le Père suprême, c’est l’ineffable pensée du Père qui t’enfante; tu es le Verbe conçu du Père. C’est toi qui le premier es sorti de la première racine; tu es la racine de tout ce qui a été créé après ta glorieuse naissance. L’ineffable Unité, l’auteur de toutes choses, t’a produit, toi, l’auteur de toutes choses. Tu es en tout. C’est par toi que la nature, à tous ses degrés, jouit des dons précieux de Dieu le Père, d’une vie féconde. C’est pour toi que l’univers, qui ne vieillit pas, accomplit son infatigable révolution. C’est toi qui diriges les sept planètes emportées par un mouvement contraire à celui que décrit la voûte céleste.[5] Si des étoiles sans nombre décorent le monde, c’est que tu le veux, ô Fils glorieux! Tu visites la profondeur des cieux, et tu modères le cours indissoluble des siècles. Ce sont tes saintes lois, ô bienheureux, qui dans les hauteurs immenses de l’éther régissent le chœur glorieux des astres. C’est toi qui assignes leur liche aux habitants du ciel, et de l’air, et de la terre, et des enfers, et qui leur distribues la vie. Tu es le maître de l’intelligence, et tu la dispenses aux êtres divins, et à ceux des êtres mortels qui ont reçu quelques gouttes de la pensée. Tu donnes l’âme à ceux dont la vie, dont l’activité ne se soutiennent que par la présence de l’âme. Les créatures que n’éclaire pas la lumière de l’âme dépendent aussi de toi; tous les êtres dépourvus d’intelligence puisent dans ton sein la force qui les empêche de se dissoudre; et cette force, que ta puissance leur communique, toi-même tu la tires du sein ineffable du Père, la monade mystérieuse. C’est de là que s’échappe le ruisseau de vie qui, passant à travers ces mondes intellectuels que notre pensée ne peut comprendre, est répandu par toi jusque sur la terre. Ainsi d’en haut descend la source des biens que reçoit ce monde visible, image du monde intellectuel. Comme second auteur du jour qui l’éclaire, reflet de la lumière divine, ce monde a le soleil. Cet astre au regard brillant, dont l’empire s’étend sur la matière qui naît et qui meurt, a reçu l’être du soleil intellectuel; il en est la représentation sensible, il produit tous les biens qui naissent sur cette terre: vous le voulez ainsi, ô Fils glorieux ! ô Père incompréhensible, ô Père ineffable ! incompréhensible, car la pensée ne peut te saisir; ineffable, car la parole ne peut t’exprimer. Tu es l’intelligence de l’intelligence, l’âme des âmes, la nature des natures. Regarde, je fléchis le genou, moi, ton serviteur; je me prosterne contre terre, et je te supplie, parce que je suis privé de la clarté ! Toi qui es le dispensateur de la lumière intellectuelle, prends pitié, ô bienheureux, d’une âme suppliante; chasse les maladies, chasse les soucis dévorants ; le monstre importun de l’enfer, le démon de la terre, chasse-le loin de mon âme, loin de mes prières, loin de ma vie, loin de mes actions. Qu’il habite, ce démon, hors de mon corps, hors de mon esprit, hors de tout ce qui m’appartient; qu’il me laisse, qu’il me fuie, ce démon de la matière, lui qui excite les passions, lui qui ferme la route du ciel et qui arrête les élans vers Dieu. Donne-moi pour ami, pour compagnon, ô roi, l’ange saint de la force sainte, l’ange de la divine prière, aimable dispensateur des biens, gardien de l’âme, gardien de la vie, protecteur des prières, protecteur des actions qu’il conserve mon corps pur de maladies, qu’il conserve mon esprit pur de souillures, et qu’il apporte à mon âme l’oubli des passions. Qu’ainsi, même pendant que j’habite ici-bas, les hymnes que je chante à ta louange donnent plus de force aux ailes de mon âme; qu’ainsi, quand j’aurai achevé ma destinée, quand je serai affranchi des terrestres liens, je puisse mener une vie dégagée de la matière, dans tes palais, dans ton sein, d’où s’échappe la source de l’âme. Tends-moi donc la main; rappelle à toi, ô bienheureux, arrache à la matière une âme suppliante. HYMNE V.[6] Offrons, à la source sacrée, née d’elle-même, et placée au-dessus des ineffables unités, offrons aussi au Dieu, Fils glorieux du Dieu immortel, Fils unique du Père unique, nos hymnes comme les plus belles couronnes. Mystérieusement produite par le Père, la Volonté a fait sortir le Fils du sein profond du Père; elle a manifesté la fécondité du Père, et en la manifestant elle s’est manifestée elle-même comme Esprit médiateur. Mais ce qui est sorti de la source n’en reste pas moins dans la source. Sagesse de l’esprit du Père, splendeur de beauté, après t’avoir enfantée le Père t’a permis d’enfanter: tu es la puissance cachée par laquelle le Père crée toutes choses; car il a fait de toi le principe du monde: tu disposes et tu formes la matière d’après les types intellectuels; tu règles le mouvement harmonieux du ciel; tu diriges sans cesse le chœur des astres; tu commandes aux légions des anges, à l’armée des esprits divins; ta puissance embrasse toute la nature périssable; tu divises entre toutes les parties de la terre ton souffle indivisible; et ce qui est sorti de la source, tu le rends à la source, en affranchissant les mortels de la nécessité de mourir. Prête une oreille favorable aux hymnes que je chante en ton honneur; accorde à ton poète une vie tranquille; apaise les turbulentes agitations du cœur; calme les funestes orages de la matière; éloigne les maladies de l’âme et du corps; assoupis l’ardeur pernicieuse des passions. Préserve-moi des soucis de la richesse et de l’indigence; donne à mes travaux une noble illustration; fais que mon nom soit honoré parmi les peuples; que sur mes lèvres réside la douce persuasion, afin que mon esprit jouisse d’un paisible loisir, que je n’aie pas à gémir sous le poids des inquiétudes de la terre; mais qu’allant puiser à les sources élevées, je puisse abreuver mon âme des eaux fécondes de la sagesse. HYMNE VI.[7] Chantons le fils de l’épouse, de l’épouse qui n’a pas été soumise aux conditions d’une union mortelle. C’est par les ineffables conseils du Père que s’est opérée la naissance du Christ. Des flancs d’une vierge est sorti, enfantement sacré! celui qui se revêtant de la forme humaine venait apporter au monde la pure lumière. Ta mystérieuse naissance remonte à l’origine des siècles ; tu es la primitive lumière, le rayon qui brille avec le Père; tu dissipes les ténèbres de la matière, et tu éclaires les âmes saintes. Tu as créé le monde; tu as façonné le globe étincelant des astres; tu as établi la terre sur ses fondements; tu es le sauveur des hommes. C’est pour t’obéir que le soleil, du haut de son char, verse le jour, sans s’épuiser jamais, et que la lune au croissant argenté chasse l’obscurité des nuits. Pour t’obéir aussi la terre produit les fruits et nourrit les troupeaux. De tes ineffables trésors tu tires la vie et la splendeur dont tu inondes l’univers. De ton sein sont sorties et la lumière, et l’intelligence, et l’âme. Aie pitié de ta fille, retenue captive dans un corps mortel, et soumise aux lois d’une terrestre destinée. Éloigne de moi les maladies, conserve à mes membres la vigueur et la santé. Donne la persuasion à mes discours, donne la gloire à nos actions; que nous puissions briller de l’antique éclat de Cyrène et de Sparte. Que mon âme soit inaccessible aux douleurs; que je puisse mener une vie douce et fortunée, dans la contemplation de ta splendeur, afin que purifié de la matière, et m’avançant vers toi d’un pas ferme, je fuie les soucis de cette vie, pour aller me réunir à la source de l’âme. Qu’ainsi des jours exempts de souillure me soient accordés, à moi, ton poète, car j’élève mes cantiques vers toi ; je célèbre la gloire suprême du Père qui t’a donné la naissance, et l’Esprit assis sur le même trône que vous deux, entre la racine et la tige. Je chante la puissance du Père, et dans les hymnes que je t’adresse je laisse déborder les nobles pensées qui remplissent mon âme. Salut, ô source du Fils ! Salut, ô image du Père ! Salut, ô base du Fils ! Salut, ô ressemblance du Père ! Salut, ô puissance du Fils! Salut, ô beauté du Père ! Salut aussi, ô Esprit pur, centre du Fils et du Père ! Qu’envoyé par toi, ô Fils, et par ton Père, il vienne, cet Esprit, rafraîchir les ailes de mon âme, et m’apporter les divins présents ! HYMNE VII.[8] Aux accords doriens de ma lyre d’ivoire je vais mêler des chants harmonieux pour te célébrer, ô bienheureux immortel, glorieux fils d’une vierge ! Toi, préserve ma vie de tout mal, ô roi, qu’elle soit inaccessible aux chagrins, et le jour et la nuit. Éclaire mon âme d’un rayon de la lumière intellectuelle; donne la force à mes membres, la gloire aux travaux de ma jeunesse; prolonge le cours heureux de mes années jusqu’à une douce vieillesse, en me comblant des dons précieux de la prudence et de la santé. Conserve-moi le frère que naguère, ô immortel, lorsqu’il touchait déjà aux portes du tombeau, tu as ramené à la vie: tu as ainsi mis fin à mes inquiétudes, à mes gémissements, à mes larmes, aux cruelles angoisses de mon âme. Tu l’as ressuscité, lorsqu’il appartenait déjà à la mort; tu as écouté, ô Père, mes supplications. Conserve ma sœur et mes deux enfants. Etends ta main protectrice sur ma paisible demeure. Et la compagne de ma couche nuptiale, préserve-la des maladies et des chagrins; qu’elle me reste chère et fidèle, qu’elle ne connaisse jamais les furtives amours; qu’elle garde le lit conjugal inviolable, pur, sans tache, inaccessible aux désirs illégitimes. Puisse mon âme, affranchie par loi des entraves de cette vie terrestre, échapper aux souffrances et aux tristes douleurs! Permets-moi de m’unir aux chœurs des justes, pour célébrer par des cantiques la gloire de ton père et ta puissance, é bienheureux! Bientôt j’élèverai encore vers toi mes hymnes, j’accorderai encore ma lyre. HYMNE VIII.[9] Le premier j’ai trouvé des chants pour toi, ô bienheureux, ô immortel, ô noble fils d’une vierge, Jésus de Solyme, et ma lyre a rendu des accords nouveaux. Mais sois- moi propice, ô roi, et accueille l’harmonie de ces chants religieux. Je veux célébrer un Dieu puissant et immortel, le Fils de Dieu, le Fils créateur du monde, engendré par le Père créateur des siècles. En lui se mêlent les deux natures : il est la sagesse infinie, Dieu pour les habitants du ciel, mortel pour les habitants des enfers. Lorsque tu parus sur la terre, sorti des flancs d’une femme, la science des mages fut étonnée à la vue d’un astre nouveau: quel était cet enfant qui naissait? quel était ce Dieu caché? Etait- ce un Dieu, un mortel, ou un roi? Allons, apportez vos dons, la myrrhe expiatoire, l’or précieux, et l’encens suave. Tu es Dieu, reçois l’encens; je t’offre de l’or comme à un roi; la myrrhe doit servir pour ta sépulture.[10] Tu as purifié la terre, les flots de la mer, les routes que parcourent les démons, les plaines de l’air et les sombres demeures, Dieu descendu dans les enfers pour aller secourir les morts. Mais sois-moi propice, ô roi, et accueille l’harmonie de ces chants religieux. HYMNE IX. Aimable, illustre et bienheureux fils de la vierge de Solyme, c’est toi que je chante, toi qui as chassé des vastes jardins du Père cet insidieux ennemi, l’infernal serpent, qui perdit le premier homme, en lui offrant une nourriture défendue, le fruit de l’arbre de la science. O glorieux vainqueur, Dieu, fils de la vierge de Solyme, c’est toi que je chante. Tu es descendu sur la terre revêtu d’un corps mortel pour habiter parmi les hommes qui ne vivent qu’un jour; tu es descendu dans les enfers où la mort retenait des milliers d’âmes. L’antique Adès frissonna d’horreur, et le chien vorace s’éloigna du seuil. Après avoir arraché aux souffrances les âmes des justes, entouré de cette foule sacrée, tu adressas des hymnes au Père. O glorieux vainqueur, Dieu, fils de la vierge de Solyme, c’est toi que je chante. Lorsque tu remontais vers les cieux, ô roi, la troupe innombrable des démons répandus dans les airs frémit de crainte, et le chœur immortel des astres saints fut saisi d’étonnement. L’Éther brilla plus pur: auguste père de l’harmonie, sur les sept cordes de sa lyre il fit entendre des chants de triomphe. On vit sourire l’étoile du matin, messagère du jour, et l’étoile radieuse du soir, astre de Cythérée. La lune au disque lumineux s’avançait la première, guidant les dieux de la nuit. Le soleil étendit devant tes pas ineffables sa chevelure éclatante: il reconnut le Fils de Dieu, l’intelligence créatrice, la source où il puise ses propres feux. Toi, déployant tes ailes, tu t’élevas vers la voûte azurée, et tu t’arrêtas dans les sphères intelligentes et pures où est le principe de tout bien, le ciel enveloppé de silence. Là n’habitent ni le temps infatigable, entraînent dans son cours rapide tout ce qui est sorti de la terre, ni les soucis rongeurs qui naissent en foule de la matière. C’est le séjour de l’Eternité : antique et toujours nouvelle, jeune et vieille tout à la fois, elle donne aux dieux leurs perpétuelles demeures. HYMNE X. Souviens-toi, ô Christ, fils du Dieu souverain, souviens-toi de ton serviteur, malheureux pécheur qui a écrit ces hymnes. Affranchis-moi du joug des funestes passions qui s’attachent à mon âme et la souillent. Donne-moi de voir, ô sauveur Jésus, ta divine splendeur. Quand je paraîtrai devant toi, je chanterai les louanges du médecin des âmes, du médecin des corps, du Père suprême et de l’Esprit saint.