[CCLXI] Amusante réponse d'une femme dont l'encrier était vide. Une dame de notre connaissance, femme des plus honnêtes, fit cette réponse à un messager qui lui demandait si elle n'avait pas de lettres pour son mari qui était absent depuis longtemps en qualité d'ambassadeur de la République. — « Comment voulez-vous que j'écrive, mon mari a emporté la plume avec lui, en laissant l'encrier vide ». Facétieuse et décente réponse. [CCLXII] Sur le petit nombre des amis de Dieu. Un de nos concitoyens, personnage caustique, souffrait depuis longtemps d'une cruelle maladie. Un religieux vint le visiter et lui dit des paroles réconfortantes. Entre autres, il lui rappela que Dieu infligeait toutes sortes de maux à ceux qu'il aime, afin de les corriger et de les purifier. — «Il n’est donc pas étonnant, répondit le malade, qu'il ait si peu d'amis; en les traitant de telle sorte, il devrait même en avoir encore moins. » [CCLXIII] Le moine quêteur, le laïc et le loup. Un frère quêteur, religieux de l'Ordre de Saint-Antoine, ayant reçu une certaine quantité de blé d'un cultivateur, lui promit que ses affaires prospéreraient cette année-là, et que surtout ses brebis seraient saines et sauves. Confiant dans ces paroles, le paysan laissa errer ses brebis à l'aventure et le loup en mangea quelques-unes. Notre homme en fut fort contrarié, et quand, l'année suivante, le prêcheur redemanda du grain, notre homme lui refusa net et se plaignit de l'inanité de ses promesses. Le religieux ayant demandé une explication. — « Le loup, répondit le cultivateur, m'a fait disparaître plusieurs brebis. » — « Le loup, s'écria le religieux, est une méchante bête, sans foi aucune, prends garde à elle. Elle serait de force à tromper non seulement Saint-Antoine, mais Jésus-Christ même, si cela était possible. » C'est le propre d'un imbécile de mettre sa confiance dans les gens qui font profession de tromper. [CCLXIV] Compensation. Un individu vint, soit sérieusement, soit pour s'amuser, trouver un prêtre et lui dit qu'il voulait confesser ses péchés. Le prêtre l’invita à dire ce dont il se souvenait, il déclara avoir volé je ne sais quoi à un autre, lequel autre l'avait bien davantage volé lui-même. Le prêtre dit : — « Voleur, voleur, vous vous êtes rendu la pareille ; — il y a compensation ». L'homme s'accusa ensuite de s'être battu avec un autre qui l'avait aussi battu. Le prêtre déclara que la faute et le châtiment se trouvaient égalisés de part et d'autre. Le pénitent raconta plusieurs faits de même nature et le prêtre disait toujours qu’il y avait compensation l'un par l'autre. Alors cet individu lui dit : — « Il me reste maintenant un péché si gros que je rougis et que je n'ose avouer surtout parce qu'il vous intéresse énormément ». Le prêtre l'exhorta à mettre toute honte de côté et à avouer franchement son crime, celui-ci, après s'y être longtemps refusé, cédant enfin aux bonnes paroles du confesseur, lui dit : — « J'ai couché avec votre sœur. — Et moi, riposta le prêtre, j'ai plus souvent couché avec ta mère ; comme précédemment, il y a compensation ». Ainsi donc la parité des péchés fait l'absolution des pécheurs. [CCLXV] Mots pleins de sel de deux jeunes Florentins. Un jeune homme de Florence descendait à l'Arno en portant un de ces filets dans lesquels on lave la laine, en chemin, il rencontra un gamin bavard qui, pour se moquer, lui dit : — « A quelle chasse vas-tu donc ? » L'autre répliqua : — « Je vais au débouché du Lupanard prendre ta mère dans mon filet. » — Eh bien ! riposta le gamin, cherche bien, car tu dois y trouver sûrement la tienne ». Ces mots sont l'un et l'autre pleins de sel. [CCLXVI] D'un jeune homme qui pissa sur la table. Un jeune seigneur hongrois invité à diner par un très noble Magnat un peu son allié, s'y rendit à cheval avec ses laquais, car il avait un assez long trajet à faire. A sa descente de cheval, tout le monde, hommes, femmes, enfants accoururent auprès de lui et comme il était tard on le conduisit aussitôt à la salle à manger où le festin était disposé. Ses mains lavées, on plaça le jeune homme entre deux très jolies demoiselles, filles de son hôte. Tourmenté par un besoin d'uriner, que par pudeur il n'avait pas manifesté, et qu'il n'avait eu la possibilité de satisfaire à la dérobée, le pauvre garçon souffrait tellement qu'il ne pouvait ni manger ni boire. Tout le monde remarquant son air préoccupé et son indifférence à goûter aux mets, on l'exhortait à manger. A la fin, n'y tenant plus, il glissa sa main droite sous la table et s'arrangeait de façon à se soulager dans ses bottes, lorsqu'au même instant sa voisine de droite lui dit : — « Allons, voyons mangez donc !» — et lui saisissant le bras, elle attira la main avec ce qu'elle tenait et la table fut toute arrosée d'urine. A ce spectacle insolite tout le monde s'esclaffa de rire et le jeune homme fut tout couvert de confusion. [CCLXVII] A propos d'une Florentine prise en flagrant délit. La femme d'un aubergiste des environs de Florence, femme très libre de mœurs, était au lit avec son amant habituel, lorsqu'un autre survint dans l'escalier. La femme se précipita au-devant de lui, s'opposant avec véhémence et gros mots à ce qu'il alla plus loin, lui déclarant qu'elle ne pouvait le satisfaire pour l'instant et le priant de s'éloigner. L'homme insistait et la querelle se prolongeait, lorsque le mari apparut tout à coup qui s'informa de ce qui se passait. La femme toujours prompte à la ruse lui dit : — « C'est celui-là qui est en colère et qui veut entrer pour battre cet autre, qui s'est réfugié chez nous, et je tâche de l'empêcher de commettre un crime. » Celui qui était caché dans la chambre entendant cela, reprit courage et se mit à son tour à proférer des injures auxquelles répondait le second feignant vouloir entrer de force. Le mari par trop bête demanda de quoi il s'agissait, et se mit en devoir d'arranger l'affaire; parla aux deux adversaires, rétablit la paix et leur offrit à boire, de sorte qu'à l'adultère de sa femme il ajouta le prix de son vin. Les femmes prises sur le fait ne sont jamais embarrassées pour trouver quelque ruse. [CCLXVIII] Le mort qui parle. Il y avait à Florence une espèce de sot, nommé Nigniaca, pas trop fou cependant et d'assez belle humeur. Quelques jeunes gens s'entendirent un jour pour lui faire une farce; ils imaginèrent de lui persuader qu'il était gravement malade. L'un d'eux le rencontrant le matin, au moment de sa sortie, lui demanda s'il souffrait, car il était tout pâle et bien changé. — « Pas le moins du monde », répondit-il. Un peu plus loin, un autre, ainsi que cela était convenu, s'enquit s'il n'avait pas la fièvre, sa figure émaciée, couverte de sueur dénotant la maladie. Notre pauvre garçon commençait à douter de lui. ne s'imaginant pas qu'on le bernait; il avançait à pas lents et timidement, quand un troisième compère arrive, l'examine et après l'avoir bien regardé lui dit : — « Ton visage indique une fiévr violente, une maladie sérieuse. » Nigniaca prit peur alors, s'arrêta, se demandant avec anxiété s'il n'a pas réellement la fièvre. Un quatrième complice survenant, aflirme que le cas est très grave et manifeste son étonnement de ne pas le voir au lit, l'engage à regagner promptement sa demeure, s'offrant de le reconduire et de le soigner comme un frère. Le pauvre diable rebrousse alors chemin, comme courbé sous son mal et regagne sa couchette, avec l'attitude d'un homme qui va expirer. Les compères accourent aussitôt, lui disent qu'il a bien fait de se mettre au lit, puis l'un d'eux se faisant passer pour médecin, lui tâte le pouls et déclare la mort imminente. Alors, tous ceux qui entouraient le grabat se mettent à dire : « La mort vient, les pieds se refroidissent, la langue balbutie, les yeux se voilent, il expire ! Fermons lui donc les yeux, joignons lui les mains, ensevelissons-le. Quelle grande perte que celle de ce bon garçon, notre ami! » Puis ils firent semblant d'échanger entre eux des consolations. Pendant ce temps, Nigniaca ne soufflait mot, ainsi qu'il convient à un trépassé, il se croyait mort véritablement. On le plaça dans un cercueil, et les jeunes gens suivirent le convoi à travers la ville. A ceux qui s'informaient du nom du défunt, on répondait. « C est Nigniaca qu'on porte en terre. » — A mesure qu'on avançait, beaucoup de gens vinrent pour rire, se joindre au cortège, et on allait répétant toujours : — « C'est Nigniaca qui est mort et qu'on porte au cimetière. » — Un cabaretier en entendant cela, s'écria : — « Quelle mauvaise bête, quel adroit voleur vous emportez-là! Il méritait de finir suspendu au bout d'une corde, » Alors l'imbécile entendant ce propos, leva la tête : — « Si j'étais aussi bien vivant que je suis mort, je te prouverais, pendard, que tu en as menti par la gueule. » Les porteurs éclatant de rire, abandonnèrent l'homme dans sa bière. [CCLXIX] Un problème embarrassant. Tout en se promenant, deux amis se demandaient lequel était plus agréable : faire l'amour ou se lâcher le ventre. Tout à coup, apercevant une femme qui n'avait jamais refusé ses faveurs aux hommes, l'un dit: — « Interrogeons-la, elle est experte en l'une et l'autre matière. — Point du tout, fit l'autre, elle ne jugerait pas équitablement, car elle a plus souvent fait l'amour qu'elle n'a chié. » [CCLXX] D'un meunier trompé par sa femme qui lui donna cinq oeufs à manger. Voici encore une histoire bien connue à Mantoue. Il y a, près du pont de la ville, un moulin dont le maître s'appelait Cornicola. Un jour, on était en été, celui-ci, étant assis près du pont, vit passer une paysanne jeune et à point qui semblait errante. Comme il se faisait tard, que le soleil se couchait, le meunier engagea cette fille à aller trouver sa femme. Celle-ci ayant accepté, il appela son domestique et lui dit de conduire cette fille à sa femme, de lui faire donner une chambre après l'avoir fait souper. Le valet étant parti, la meunière qui avait compris que son mari avait des intentions sur la jeune tille, la fit coucher dans son propre lit et s'alla coucher elle-même dans la chambre désignée pour la voyageuse. Le mari, après avoir veillé assez longtemps, estimant que son épouse dormait, entra furtivement au moulin et alla dans la chambre où, ignorant la fraude, il besogna sa femme qui ne soufflait mot. En sortant, il dit à son domestique ce qu'il avait fait, l'engageant à l'imiter; celui-ci profita de l'avis et besogna avec la femme de son patron pendant que Cornicula venait se mettre dans son lit doucement de peur de réveiller sa femme qu'il y croyait couchée. Le matin de bonne heure, il se leva sans rien dire, persuadé qu'il avait possédé la jeune fille. Lorsqu'il revint à l'heure du déjeuner, sa femme lui servit d'abord cinq œufs frais. Tout surpris de la nouveauté, il lui demanda la raison de cette amabilité ; elle lui répondit avec un air joyeux qu'elle lui offrait un œuf pour chaque mille qu'il avait parcouru dans la nuit. Le bonhomme comprit qu'il avait été pris dans ses propres filets, aussi fit-il semblant d'être le travailleur unique, et goba les cinq œufs. La plupart du temps les pervers tombent dans leurs propres pièges. [CCLXXI] De la façon de nier la beauté. Dans une rue de Florence, deux amis se promenaient en causant. L'un de haute taille, obèse et brun de visage, apercevant une jeune tille qui passait avec sa mère; dit : — « Voilà une belle et gracieuse jeunesse. » — « On ne pourrait pas en dire autant de vous, repartit la demoiselle que le propos avait vexée. — Assurément si, répliqua le promeneur, si l'on voulait mentir comme je viens de le faire. » [CCLXXII] Réponse plaisante mais peu honnête d'une femme. J'ai cru devoir consigner ici le propos un peu salé d'une femme et que m'a rapporté un Espagnol de mes amis. Un homme déjà sur le retour avait épousé une veuve, la première nuit, en s'acquittant de ses devoirs matrimoniaux, il remarqua que sa femme avait un logis infiniment plus grand qu'il ne présumait. « — Ma femme, lui dit-il, ta bergerie est vraiment trop vaste pour le nombre de mes moutons ». Celle-ci répliqua : — « C'est ta faute ! car mon défunt mari (Dieu ait pitié de son âme !) non seulement remplissait la bergerie, mais même les béliers étaient souvent obligés de rester à la porte ». — Réponse spirituelle et charmante. [CCLXXIII] Tout ce qui branle ne tombe pas. Un vieil évêque de ma connaissance avait perdu quelques dents et d'autres menaçaient de tomber, ce dont il se lamentait. Un de ses familiers lui dit : — « Ne craignez rien pour vos dents ». L'évêque lui ayant demandé pourquoi, il répondit : — « Parce que mes grelots branlent depuis quarante ans de la même façon, et cependant ils ne sont jamais tombés. » [CCLXXIV] Conclusion. Il me semble bon d'ajouter à ces menus propos quelques indications sur le lieu, sur la scène pour ainsi parler, où ils furent contés. C'est notre Bugiale, véritable officine en mensonges, créée par les secrétaires du Pape pour se distraire entre eux. Jusqu'au pontificat de Martin V, en effet, nous avions l'habitude de nous retirer dans une salle commune de la Cour. On y apportait les nouvelles, on s'entretenait de toutes sortes de sujets, le plus souvent pour se distraire, mais quelquefois aussi pour traiter des choses sérieuses. On n'épargnait personne, nous ne ménagions pas ceux qui nous déplaisaient, en commençant souvent par le Souverain Pontife lui-même. Il arrivait ceci, que plusieurs vinrent dans nos réunions de peur d'être les premiers raillés. Au premier rang des causeurs se trouvait Razello, de Bologne, dont j'ai rapporté certains traits dans ce livre. J'ai parlé plusieurs fois aussi d'Antonio Lusco, esprit vif et pénétrant, et du Romain Cencio, très enclin à la plaisanterie. Enfin, j'ai à mon tour conté quelques bonnes histoires. Actuellement, mes collègues sont morts, la Bugiale n'existe plus; soit par la faute des hommes, soit par celle du temps; la bonne habitude de rire et de causer est aujourd'hui perdue. FIN.