[CLXXXl] Plaisant propos d'une jeune femme en couche. Une jeune femme de Florence, assez niaise, sur le point d'accoucher, depuis assez longtemps déjà, souffrait de vives douleurs, et la sage-femme, une chandelle à la main, examinait la place, pour voir si l'enfant n'allait pas bientôt se présenter. — « Regardez donc aussi de l'autre côté, lui dit l'idiote, car mon mari a quelquefois travaillé par là ». [CLXXXIl] Grand éloge d' un jeune Romain. Un jeune Romain, d'une grande beauté, aussi honnête que lettré, était chaleureusement loué par l'un de nous pour sa rare élégance et ses bonnes mœurs. Ne sachant comment exprimer son enthousiasme et mettre le comble à ses paroles élogieuses. notre confrère ajouta : — « Je crois qu'à son âge Jésus-Christ devait lui ressembler, je ne me le figure pas autrement ». Magnifique appréciation de la beauté ! Ni Cicéron, ni Démosthènes n'ont, en ce genre, rien dit de plus exquis. [CLXXXIIl] Voeux différents. A Florence, plusieurs personnes ayant lié conversation, chacun formait pour son bonheur un vœu particulier ; c'est assez l'ordinaire. — « Je voudrais être Souverain-Pontife », disait l'un, « Moi Roi » s'exclamait un autre ; un troisième désirait autre chose. Un gamin, tant soit peu bavard qui écoutait, dit : — « Moi, je voudrais être melon ». — « Et pourquoi ça » ? lui demanda- t-on. — « C'est parce que tout le monde me sentirait le derrière », répondit-il; souvent, en effet, les personnes qui désirent acheter un melon le flairent en dessous. [CLXXXIV] D'un marchand qui faisait l'éloge de sa femme. Certain marchand faisant l'éloge de sa femme, en présence d'un seigneur dont il dépendait, affirma, entre autres choses, que jamais elle n'avait fait un pet. L'étonnement du seigneur qui ne peut croire la chose: — «Je te parie un bon diner, dit-il, qu'avant trois mois cela arrivera bien des fois. » Le lendemain, le seigneur fit demander au marchand de lui prêter cinq cents ducats d'or, promettant de solder son emprunt dans la huitaine. La somme paraissait bien forte au pauvre diable et ce ne fut qu'à regret qu'il consentit à remettre l'argent. Le jour impatiemment attendu de l'échéance étant venu, le préteur alla réclamer ses écus. Le seigneur, simulant une grande gène, et disant qu'il était obligé de faire face à des engagements urgents, sollicita du marchand un nouveau prêt, en promettant de rendre le tout avant la fin du mois. Le bonhomme ne céda pas de suite, allégua sa pauvreté, mais à la fin, craignant de perdre le montant de son premier prêt, il compta, en soupirant, cinq cents autres ducats. Rentré chez lui très triste, la tête à l'envers, en proie à toutes sortes de préoccupations et d'inquiétudes, il passait les nuits sans sommeil. Pendant ces veilles, il entendit maintes fois sa femme se soulager en dormant. Le mois étant écoulé, le seigneur fil venir le marchand : — « Eh bien, dit-il, peux-tu prétendre maintenant que tu n'as jamais entendu péter ta femme » — « Hélas! avoua le marchand, en confessant son erreur, cela est arrivé tant de fois, que ce n'est pas un diner, mais tout mon patrimoine qui y passerait. » Là-dessus, l'argent ayant été rendu, le repas fut payé. Bien des choses échappent à ceux qui ont le sommeil lourd. [CLXXXV] Sage réponse à un détracteur. Louis de Marsilio, de l'Ordre des Augustins, qui habitait il y a peu de temps Florence, était un religieux d'une grande intelligence et d'une profonde doctrine. Devenu vieux, il avait élevé et initié aux belles lettres un jeune homme sans fortune, nommé Jean, son compatriote. Nous l'avons connu, il était très instruit. Certain Florentin, son condisciple (quelques étudiants assistaient aux leçons du maître), poussé par la jalousie, se mit à décrier sournoisement Jean auprès du vieillard. Cette délation se répétant souvent, Louis de Marsilio, véritable modèle de sagesse, demanda au calomniateur depuis quand il connaissait son camarade : — « Depuis un an, » répondit-il. — « Je m'étonne, répliqua le vénérable maître, que tu te croies assez habile, ou que tu me juges assez dépourvu de raison, pour affirmer que tu as connu, en un an, la nature et le caractère d'un jeune homme, mieux que je n ai pu le faire depuis dix ans qu'il vit avec moi.» Sage réponse qui, en flétrissant la méchanceté du calomniateur, rehaussait le mérite du calomnié. Si cet exemple était suivi, les envieux et les détracteurs seraient plus circonspects. [CLXXXVI] Plaisante réponse à l'usage de plusieurs évêques. Un ami ayant questionné le même Louis de Marsilio, sur la signification qu'avaient les deux pointes dont sont terminées les mitres : — « L'une symbolise l'Ancien Testament, répondit-il, et l'autre le Nouveau que les évêques devraient savoir par cœur. » L'interrogateur ajouta : — « Que veulent dire les deux espèces de bandelettes qui retombent de la mitre sur les reins? » « Cela indique, répliqua Marsilio, qu'ils ne possèdent complètement, ni l'un, ni l'autre. » Plaisante réponse, s'appliquant à certains prélats. [CLXXXVII] Un bon mot sur François Philelphe. Au palais Apostolique, au cercle des secrétaires, un jour qu'il se trouvait, comme d'habitude, beaucoup de doctes personnages, la conversation tomba sur la vie ignoble et crapuleuse du misérable François Philelphe. Comme on l'accusait de tous les crimes, quelqu'un demanda s'il était d'origine noble. Un de ses confrères, homme charmant et quelque peu farceur, dit avec un air grave : — « Certainement et sa noblesse est même des plus illustres, car son père mettait chaque matin des vêtements de soie. » Voulant dire par là qu'il était fils de prêtre, parce que les prêtres ont en effet la coutume d'employer des vêtements de soie quand ils officient. [CLXXXVIII] Plaisanterie sur le même. Un autre non moins plaisant ajouta : « Il n'y a là rien d'étonnant si ce descendant de Jupiter a essayé de marcher sur les traces de ses ancêtres, en enlevant une nouvelle Europe et un autre Ganymède. » Cet homme voulait dire par là que Philelphe avait amené en Italie une jeune vierge grecque, fille de Jean Chrysoloras, qu'il avait séduite, et que, par contre, il avait pour ses charmes emmené en Grèce un jeune garçon de Padoue. [CLXXXIX] Le notaire devenu maquereau. Il y avait à Avignon un notaire français, très connu de la curie romaine qui, s'étant amouraché d'une fille publique, abandonna son étude et se fît maquereau. Aux calendes de janvier, c'est-à-dire le premier de l'an, il endossa un nouveau costume sur la manche duquel il avait mis cette inscription en latin et en français : "De bene in melius". De bien en mieux. Apparemment qu'il trouvait le métier de maquereau plus honorable que son ancienne profession. [CXC] Plaisante manière de débarasser un hôpital. Le cardinal de Bari - d'origine napolitaine, possédait à Verceil, dans la Gaule Citérieure, un hospice qui lui donnait peu de revenus, tant étaient grandes les dépenses qu'on y faisait pour soigner les pauvres. Un jour, il envoya un de ses gens, nommé Petrillo, pour toucher ses rentes. Celui-ci, ayant trouvé l'hôpital encombré d'infirmes et surtout de fainéants qui épuisaient les ressources de l'établissement, s'affubla de la robe d'un médecin, fit assembler les malades, visita leurs plaies : — « Je ne vois, dit-il alors, qu'un onguent de graisse humaine qui soit susceptible de guérir des ulcères de cette nature. Aujourd'hui même, je vais, en conséquence, tirer au sort celui d'entre vous qui sera plongé vivant dans l'eau bouillante et cuit pour le salut de tous. » Saisis d'épouvante, en entendant ces paroles, tous se hâtèrent de déguerpir, dans la crainte d'être désignés par le sort. Tel fut le procédé qu'employa Petrillo pour débarrasser l'hospice de l'entretien de tous les malades peu intéressants. [CXCI] Plaisante histoire d'un précepteur qui abusa de toute une famille. Un habitant de Florence avait chez lui un jeune homme pour faire l'instruction de ses fils. Celui-ci, suivant l'habitude, abusa de la servante, puis de la nourrice, puis de la maîtresse de la maison, enfin de ses élèves. Le père, qui était un homme assez spirituel, ayant su la chose, fit venir en secret le jeune précepteur dans sa chambre et lui dit : — « Maintenant que tu as abusé de tout le monde ici (grand bien te fasse!), je ne veux pas qu'il y ait d'exception, et j'entends y passer tout comme les autres.» [CXCII] Le plus agréable des bruits. Sous le pontificat de Boniface IX, certaines personnes discutaient la question de savoir quel était le plus flatteur et le plus agréable de tous les bruits. On n'était pas d'accord. Lito d'Imola, secrétaire du cardinal de Florence, du vrai cardinal, émit l'avis qu'aucun bruit ne flattait plus avantageusement les oreilles d'un affamé que celui d'une cloche. Il est d'usage, effectivement, chez les Cardinaux d'annoncer aux familiers le dîner et le souper, en sonnant la cloche. Elle ne se fait certes pas entendre aussi promptement que le désireraient certains appétits féroces, mais aussi, lorsqu'on l'entend, son bruit procure par avance aux affamés une délectable satisfaction. Toute l'assistance se rangea à l'avis de Lito, ceux surtout dont l'expérience en ce point, s'était formée à la suite d'une attente parfois bien longue. [CXCIII] Du fils d'un Prince, muet par ordre de son père à cause de sa méchante langue. Un jeune homme, fils d'un prince d'Espagne, avait une langue tellement méchante, tellement enfielée et qui lui avait attiré de nombreuses haines, que son père lui ordonna de garder un perpétuel silence, auquel le jeune homme se soumit. Sur ces entrefaites, ayant été conviés tous deux à un festin donné par le roi et auquel la reine assistait, le jeune homme absolument muet servit fort adroitement son père. La Reine (qui était impudique) crût qu'il était réellement sourd-muet: pensant en tirer profit, elle pria le père de lui accorder son fils pour son service personnel. L'ayant obtenu, elle l'employa à ses affaires les plus secrètes, de sorte qu'il fut souvent témoin de son inconduite. Au bout de deux ans, le père se trouva dans un semblable festin pendant lequel le fils du prince servit la Reine. Le Roi, qui avait vu fréquemment le jeune homme que tout le monde croyait sourd-muet, demanda au père si son fils était sourd-muet de naissance ou par accident. Le père répondit que ce n'était ni l'un ni l'autre, mais bien par ordre, à cause de sa mauvaise langue. Le roi demanda alors que la parole lui fut rendue. Le père résista très lontemps, disant qu'il redoutait un scandale, mais le roi ayant insisté, le père finit par ordonner à son lils de parler si cela lui faisait plaisir. Aussitôt, se tournant vers le roi, le jeune homme lui dit : — « Vous avez une femme plus effrontée, plus impudique que la dernière des putains. » Le Roi l'empêcha de parler davantage. Il arrive que des gens qui ont rarement l'occasion de parler, ne peuvent cependant pas s'empêcher de mal parler. [CXCIV] Histoire d'un tuteur. Daccono degli Ardinghelli, citoyen de Florence, ayant été nommé tuteur, administra longtemps la fortune de son pupille, finalement la dilapida par ses excès dans le boire et le manger. Lorsque le moment de rendre compte de sa gestion fut arrivé, le juge l'invita à présenter ses livres d'entrée et de sortie; ce sont les termes d'usace. Daccono, montrant alors sa bouche et son cul, dit : — « Je n'ai pas d'autres livres, voici pour rentrée, voilà pour la sortie. » [CXCV] D'un Frère qui abusa d'une femme par le moyen d'une ruse malicieuse. Certain Frère mendiant avait jeté les yeux sur une jeune commère fort appétissante, et se mourait d'amour pour elle. Comme il n'osait pas lui faire de proposition déshonnête, il imagina une ruse pour arriver à ses fins. Pendant plusieurs jours, il s'enveloppa l'index de linge et fit mine de souffrir atrocement. Voyant qu'il souffrait depuis si longtemps, la commère lui demanda s'il avait essayé des remèdes : — « Beaucoup, lui répondit le frère, mais rien n'y fait; il y en a un cependant qu'un médecin ma indiqué, mais il est de telle nature que je ne puis en user et qu'on ne peut y penser sans rougir. La femme l'ayant engagé à parler sans crainte, puisqu'il s'agissait de soulager un tel mal, le frère lui dit avec un air pudibond qu'il lui faudrait se faire couper le doigt s'il ne pouvait l'introduire et le maintenir quelque temps dans certain pertuis secret, pour que la chaleur fasse mûrir l'abcès, mais que par pudeur il n'oserait jamais faire pareille demande à une femme. La commère, mue de compassion, s'offrit pour l'opération. Le frère lui dit que, par pudeur, il voulait que cela se fit en un lieu obscur, car il n'oserait jamais en plein jour, profiter d'un tel service. La commère n'y voyant aucun mal y consentit. Etant donc entré en un lieu sombre et la femme s'étant couchée, le frère introduisit dans ledit pertuis, le doigt de sa main, d'abord, puis il lui substitua celui de Priape ; cela fait, il s'écria : — « L'abcès est crevé, il a jeté son pus. » Et voilà comment le doigt fut guéri. [CXCVI] Plaisanterie à propos d'un caidinal grec portant une longue barbe. Un cardinal romain, Angelotto, personnage très jovial, voyant un cardinal grec venir à la curie avec une longue barbe, et entendant beaucoup de personnes manifester leur étonnement de ce qu'il ne la fit point raser pour se conformer à la coutume générale, dit : — " Ma raison d'agir ainsi; au milieu de tant de chèvres, ne faut-il pas un bouc ? » [CXCVII] A propos d'un cavalier corpulent. Certain cavalier, pourvu d"un ventre proéminant, entrait à Pérouse. Quelques habitants (ils aiment à plaisanter en cette ville), lui demandèrent, histoire de rire, pourquoi il avait, contre l'habitude, sa valise devant lui. — « Pouvais-je faire autrement, repartit le jovial compère, dans une ville remplie de brigands et de voleurs ? » [CXCVIII] Plaisant propos d'un juge à un avocat. On plaidait à Venise, devant un tribunal séculier, une cause relative à un testament. Les avocats des parties étaient là, défendant chacun les intérêts de son client. L'un d'eux était prêtre; il cita à l'appui de sa plaidoirie la Clémentine et la Novelle, dont il lut quelques passages. Alors un des juges, fort âgé, ne connaissant pas ces noms là (il n'avait avec Salomon qu'un commerce fort restreint), interpella, d'un air furibond, l'avocat : — « Que diable, s'écria-t-il, n'avez-vous pas honte d'invoquer devant nous le témoignage de femmes impudiques et débauchées. Croyez-vous que leur sentiment fera foi dans cette enceinte ? » Ce magistrat ignorant s'était figuré que la Clémentine et la Novelle étaient, non pas des titres de lois, mais le nom de personnes avec lesquelles l'avocat vivait en concubinage. [CXCIX] Remède contre le froid. Un de mes camarades, alors qu'il était étudiant, habitué à se vider le ventre après le repas, il s'en abstenait cependant parfois et prétendait que les matières, ainsi retenues, entretenaient, pendant la nuit, la chaleur de son corps. » Ce remède est tombé en désuétude. [CC] D'un prédicateur. Le jour de la fête de Saint Christophe, un prédicateur prononçait le panégirique de ce saint devant une nombreuse assistance. Il l'exaltait surtout d'avoir porté le Christ sur ses épaules, répétant à chaque instant : — «A qui est jamais échu sur la terre, l'insigne privilège de porter le Sauveur ? » Comme il répétait à satiété sa question: — «Qui a jamais obtenu une telle faveur ? » — « L'âne qui porta le fils et la mère, » répondit un plaisant obsédé, à la fin, de cette continuelle interrogation.