[1] I. D'un pauvre matelot de Gaète. Le peuple de Gaéte vit de la navigation. Un patron de barque de cet endroit, homme fort pauvre, quitta sa femme et son humble logis pour chercher fortune ; il revint au bout de cinq ans. Son premier soin fut d'aller voir sa femme, qui, désespérant du retour de son mari, avait lié connaissance avec un autre. II fut surpris de trouver sa maison toute réparée et fort agrandie. « Comment, dit il, a pu se faire tout cela? » Elle répondit incontinent que Dieu, qui aide à tout le monde, y avait répandu sa grâce. «Dieu soit béni qui nous a fait tant de bien!» reprit le matelot. Voyant alors la chambre à coucher, un lit et des meubles d'une élégance au-dessus de la condition de sa femme, il demanda d'où venait tout cela. Elle répondit encore que c'était de la bonté et grâce de Dieu. Le mari remercia encore le ciel, et tandis qu'il regardait beaucoup d'autres choses qui lui semblaient nouvelles dans son ménage, voici venir un petit enfant bien joli qui avait plus de trois ans et qui caressa sa mère comme c'est la coutume des enfants. Le mari regarde et demande à qui il appartient. La femme répond qu'il est à elle et que la grâce de Dieu lui a aidé à l'acquérir. « Ah ! pour le coup, dit-il, c'est trop de grâce de me donner des enfants en mon absence! » [2] II. D'un médecin qui guérissait les fous. Plusieurs s'entretenaient du vain souci, pour ne pas dire de la sottise, de ceux qui nourrissent des chiens ou des éperviers pour la chasse aux oiseaux. Alors Paul de Florence : "De ceux-là s'est bien moqué un fou de Milan." Comme nous demandions l'histoire : « Il y avait, dit-il, à Milan, un médecin qui entreprenait de guérir les fous en un certain espace de temps. Voici quelle était sa méthode : Il avait dans sa matson une cour et dans cette cour une mare d'eau fétide et sale dans laquelle il liait à un pieu, tout nus, ceux qu'on lui amenait comme fous, les uns jusqu'aux genoux, les autres jusqu'à l'aine, quelques-uns plus haut encore, selon le genre de démence, et il les macérait ainsi par l'eau et par la diète jusqu'à ce qu'ils donnassent des marques de raison. Un jour on lui en amena un qu'il mit dans l'eau jusqu'aux cuisses. Quand il eut été là quinze jours, il pria le médecin de l'en tirer, ce qu'il obtint à condition qu'il ne sortirait pas de la cour. Le malade obéit et reçut bientôt la permission de se promener dans toute la maison. Un jour il se tenait sur le seuil, qu'il ne dépassait pas, de crainte de la mare, lorsqu'il vit un jeune gentilhomme à cheval avec un épervier et deux chiens, de ceux qu'on appelle limiers. Comme le fou ne se souvenait plus de ce qu'il avait vu pendant sa démence : « Apprenez-moi, je vous prie, dit-il au cavalier, sur quoi vous êtes monté et à quel usage vous sert cette monture ? — Je monte un cheval et je vais à la chasse. — Ce que vous tenez sur le poing, comment l'appelle-t-on et qu'en faites-vous? — C'est un épervier pour prendre des perdrix. — Et qu'est-ce que vous avez autour de vous ? — Ce sont des chiens pour faire partir le gibier. — Mais combien vous revient-il par an de ce gibier, pour la capture duquel il faut tant de préparatifs ? — Fort peu de chose, dit le chasseur, peut-être six ducats.— Et la dépense du cheval, des oiseaux et des chiens, à quoi monte-t- elle? — A cinquante. — Holà ! dit alors le fou, allez-vous en avant que le médecin ne rentre ; car s'il vous entendait, il vous mettrait dans la mare jusqu'au menton. » Ce fou montra que la chasse au vol était une grande folie si elle n'avait lieu seulement de temps en temps et si elle n'était pratiquée par des gens riches, en guise d'exercice. [3] III. D'un Gascon qui se levait tard. Lorsque nous séjournions à Constance, il y avait avec nous un jeune homme facétieux, nommé Bonac, Gascon d'origine, qui se levait tous les jours fort tard. Comme ses compagnons lui reprochaient sa paresse et lui demandaient ce qu'il faisait si tard au lit, il répondit en souriant : « J'écoute des plaideurs. En effet, lorsque je m'éveille, il y a devant moi deux dames, l'Activité et la Paresse; l'une m'exhorte à me lever et à faire quelque chose, l'autre, gourmandant sa voisine, dit qu'il faut se reposer, goûter la chaleur du lit et ne pas toujours vaquer au travail. La première soutient ses raisons, et pendant qu'elles se disputent ainsi, moi, en juge équitable, sans pencher d'aucun côté, j'écoute les plaidoyers et attends que les parties soient d'accord, et c'est ce qui fait que je suis si longtemps au lit. » [4] {sans correspondance} [5] {sans correspondance} [6] {sans correspondance} [7] {sans correspondance} [8] {sans correspondance} [9] IX. D'un juge. Certain juge désigné pour résider à Florence, le jour où il entra dans la ville, prononça, selon la coutume, dans la cathédrale, en face des autorités, un discours long et ennuyeux. Pour se recommander, il commença par dire qu'il avait été sénateur romain et raconta avec emphase tout ce qui avait été dit et fait en son honneur. Après cela, il rendit compte de son voyage, comment il était parti de Rome et par qui il avait été accompagné à son départ; puis il dit que la première journée il était arrivé à Sutri et raconta tout ce qu'il y avait fait. Il s'était déjà passé plusieurs heures sans que sa narration l'eût conduit à Sienne. Un des auditeurs, ennuyé comme tout le reste de la compagnie de la longueur d'un discours insipide, lui dit à l'oreille : "Seigneur, l'heure s'avance, hâtez votre voyage, car si vous n'entrez aujourdhui à Florence, ce jour vous ayant été fixé, vous perdrez votre emploi." Le bavard annonça alors qu'il était arrivé à Florence. [10] X. Tromperie de femme. Pietro, mon parent, me raconta jadis une histoire plaisante et qui peint bien l'astuce féminine. Il avait affaire avec une femme mariée à un paysan peu malin et qui pernoctait souvent dehors, à cause d'une somme qu'il devait. Une fois que l'amant était chez la belle, le mari rentra soudain à la brune. La femme met l'amant sous le lit et puis reproche vivement au mari son retour, ajoutant que des recors étaient venus pour le mener en prison, et que, sur l'affirmation qu'il avait coutume de coucher aux champs, ils avaient menacé de revenir bientôt. Notre homme, terrifié, cherchait un moyen de s'en aller, mais les portes de la ville étaient fermées. Alors la femme: « Que fais-tu, malheureux? si tu es pris, c'en est fait de toi! » Le mari demande conseil en tremblant. « Monte au colombier, reprend la femme, tu y passeras la nuit, je fermerai la porte et enlèverai les échelles pour qu'on ne t'y soupçonne pas. » Le mari obéit, la femme ferme la porte, enlève les échelles, puis rappelle le galant, qui fit comme si les recors étaient dans la maison, remua les meubles et frappa d'épouvante le mari en sa cachette. Quand le tumulte fut apaisé, les amoureux se couchèrent et sacrifièrent à Vénus; le mari resta caché parmi le fumier et les pigeons. [11] XI. D'un curé qui ignorait la solennité des Rameaux. Dans nos montagnes de l'Apennin il y a une petite ville passablement rustique. Il y résidait un curé plus rude et plus ignorant que ses paroissiens. Etant venu à Terra-Nova, au marché, le samedi avant les Rameaux, et voyant les prêtres qui faisaient provision de branches d'olivier et de palmier, il s'aperçut qu'il n'avait point fait observer le carême à ses paroissiens. Il acheta des rameaux à son tour, puis il réunit le peuple : « Aujourd'hui, dit-il, c'est la fête de Pâques fleuries, et dans huit jours ce sera celle de la Résurrection. Cependant il faut faire pénitence toute cette semaine, et on ne jeûnera pas plus longtemps cette année. Apprenez-en la cause : Le carnaval, cette année, fut tardif et lent à venir; le froid et les difficultés de la route l'empêchaient de traverser nos montagnes ; c'est pourquoi le carême a été, à son tour, tardif et lent, si lent même qu'il n'a plus qu'une semaine, car il a laissé les autres en route. Ainsi, pendant le peu d'intervalle qu'il restera ici, confessez-vous et faites tous pénitence. [12] XII. Des paysans qui achetèrent un crucifix. Quelques-uns des paroissiens du mème curé furent envoyés à Arezzo acheter un crucifix de bois pour mettre dans leur église. L'ouvrier auquel ils s'adressèrent, voyant en eux des gens stupides, leur demanda s'ils voulaient un crucifix vivant on mort. Les bonnes gens, ayant délibéré entre eux, répondirent qu'ils en aimaient mieux un vivant, parce que, s'il n'agréait pas à la paroisse, on pourrait toujours le tuer. [13] XIII. Réponse d'un maître queux au duc de Milan. L'ancien duc de Milan, ce prince si recherché en toutes choses, avait un maître queux qu'il avait envoyé exprès en France pour s'instruire dans son art. Pendant la guerre opiniâtre qu'il eut avec les Florentins, il reçut un jour une fâcheuse nouvelle qui le jeta dans un profond chagrin. A table, il trouva à redire au goût de certains mets, d'autres lui parurent mal accommodés, enfin il fit des reproches à son cuisinier comme s'il ne savait rien. Alors celui-ci, qui n'avait pas l'habitude de se contraindre : « Si les Florentins, dit-il, vous ôtent le goût et l'appétit, y a-t-il de ma faute? mes plats sont bien faits, ils ont du goût, mais les Florentins vous échauffent la bile. » Le duc, bon enfant, se mit à rire de la liberté facétieuse de son maître queux. [14] {sans correspondance} [15] {sans correspondance} [16] {sans correspondance} [17] XVII. Du tailleur de J. Galéaz. Le pape Martin V avait chargé Antonio Lusco de rédiger une lettre; après l'avoir parcourue, il voulut qu'elle fût soumise à l'examen d'un de mes amis en qui il avait beaucoup de confiance. Mais il arriva que le jour où cette lettre fut présentée à notre examinateur, il avait le cerveau troublé par les vapeurs du vin ; aussi la jugea-t-il si mal rédigée qu'il pria Lusco de la recommencer. Celui-ci dit alors à Bartholomeo de Bardi, qui se trouvait là présent : « Je vais faire à ma lettre le changement que le tailleur de Galéaz faisait à son habit. » Et pour expliquer son énigme : « Galéaz, dit-il, le père de l'ancien duc de Milan, était un homme grand, gras et corpulent. Lorsqu'il s'était rempli le ventre d'une masse de nourriture et avait bien bu avant de se coucher, il faisait venir son tailleur, puis lui reprochait amèrement de lui faire des vêtements trop étroits, et lui ordonnait de les élargir pour qu'il se trouvât à son aise. « Ce sera fait, disait le tailleur; demain Votre Altesse sera contente. » Disant ces mots, il emportait le justaucorps et le jetait sur un bâton sans y rien changer. Quand on lui demandait pourquoi il agissait ainsi « Demain, disait-il, quand Monseigneur aura digéré et vidé son ventre, l'habit sera assez large. » De grand matin, le tailleur rapportait l'habit, Galéaz le mettait et trouvait que l'habit ne le gênait plus. Pareillement Antonio promit de faire agréer sa lettre quand l'examinateur aurait cuvé son vin. [18] XVIII. D'une plainte faite à Facino Cane. Quelqu'un se plaignait à Facino Cane, homme cruel qui commanda en chef, d'avoir été dépouillé de son manteau par un de ses soldats. Facino, observant que cet homme était vétu d'un bon habit, lui demanda s'il le portait lorsqu'il avait été dépouillé. L'autre ayant répondu oui : « Va, reprit Facino, celui que tu accuses de t'avoir dépouillé n'est pas de mes soldats, car aucun de ceux qui sont à ma suite ne t'aurait laissé un pareil habit.» [19] XIX. D'une exhortation cardinalice. Le cardinal d'Espagne, dans la guerre qui fut faite à son instigation, dans la marche d'Ancône, contre les ennemis du pape, le jour d'une bataille où il s'agissait de vaincre ou de mourir, exhorta les soldats à montrer du courage, leur affirmant que ceux qui succomberaient dîneraient avec Dieu et les anges et recevraient rémission de leurs péchés. « Pourquoi, dit alors un des soldats, ne venez-vous pas dîner avec nous ? — Ce n'est pas le temps de mon dîner, répondit le cardinal, je n'ai pas encore faim. » [20] {sans correspondance}