[5,2,0] CINQUIÈME ENNÉADE. LIVRE DEUXIEME. DE LA GÉNÉRATION ET DE L'ORDRE DES CHOSES QUI SONT APRÈS LE PREMIER. [5,2,1] L'Un est toutes choses et n'est aucune de ces choses. Le principe de toutes choses ne peut pas être toutes choses; il est toutes choses seulement en ce sens que toutes choses coexistent en lui; mais, en lui, elles ne sont pas encore, elles seront. Comment donc de l'Un, qui est simple, identique, qui ne renferme aucune diversité ni dualité, la pluralité des êtres a-t-elle pu sortir? C'est parce qu'il n'y a rien en lui que tout peut en venir. Pour que l'Être fût, il fallait que l'Un ne fût pas l'Être, qu'il fût le père de l'Être, que l'Être fût son premier-né. Comme l'Un est parfait, qu'il n'acquiert rien, qu'il n'a ni besoin, ni désir, il a surabondé pour ainsi dire, et cette surabondance a produit une nature différente. Cette nature différente de l'Un s'est tournée vers lui, et par sa conversion, elle est arrivée à la plénitude {de l'Être}. Puis, elle a eu la puissance de se contempler elle-même, et elle s'est ainsi déterminée comme Intelligence. Donc, en se reposant auprès de l'Un, elle est devenue l'Être, et en se contemplant elle-même, l’intelligence. Enfin, en se fixant en elle-même pour se contempler, elle est devenue l'Être et l’intelligence à la fois. De même que l'Un, l'intelligence a, par l’effusion de sa puissance, engendré une chose semblable à elle-même. De l'Intelligence a émané ainsi une image, comme de l’Un a émané l'Intelligence. L'acte qui procède de l'Être {et de l’intelligence} est l'Ame universelle. Elle naît de l'Intelligence et elle se détermine sans que l’intelligence sorte d'elle-même, comme l’intelligence elle-même a procédé de l'Un sans que l'Un sortit de son repos. Quant à l'Ame universelle, elle ne reste pas en repos, elle entre en mouvement pour engendrer une image d'elle-même. D'un côté, en contemplant le principe dont elle procède, elle arrive à la plénitude ; d'un autre côté, en s'avançant dans une voie différente et opposée {à la contemplation de l'Intelligence}, elle engendre une image d'elle-même, la Sensation et la Nature végétative. Rien cependant n'est détaché ni séparé du principe supérieur qui l'engendre. Ainsi, l'âme humaine paraît descendre jusque dans le végétal; elle y descend en tant que le végétal tient d'elle la vie. Cependant l'âme ne passe pas tout entière dans le végétal. Elle n'y est présente qu'autant qu'elle descend vers la région inférieure, qu'elle produit une autre substance en vertu de sa procession, qu'elle s'abaisse à prendre soin des choses qui sont au-dessous d'elle. Mais la partie supérieure de l'âme, celle qui dépend de l'intelligence, laisse l'intelligence demeurer en soi-même. {Que fait donc l'âme qui est dans la plante? N'engendre-t-elle rien? Elle engendre la plante dans laquelle elle réside. C'est ce qu'il faut examiner en prenant un autre point de départ.} [5,2,2] Il y a, disons-nous, procession du premier au dernier, et dans cette procession chacun occupe la place qui lui est propre. L'être engendré est subordonné à l'être générateur. D'un autre côté, il devient semblable à la chose à laquelle il s'attache, aussi longtemps qu'il y reste attaché. Quand l'âme passe dans le végétal, il y a une de ses parties qui s'unit à lui {c'est la puissance végétative}; il n'y a d'ailleurs que la partie de l'âme la plus audacieuse et la plus insensée qui descende aussi bas. Quand l'âme passe dans la brute, c'est qu'elle y est entraînée par la prédominance de la puissance sensitive. Si elle passe dans l'homme, elle y est conduite soit par l'exercice de la raison discursive, soit par le mouvement par lequel elle procède de l'Intelligence, parce que l'âme a une puissance intellectuelle qui lui est propre, qu'elle a par conséquent le pouvoir de se déterminer par elle-même à penser et en général à agir. Maintenant, revenons sur nos pas. Quand on coupe les rejetons ou les rameaux d'un arbre, où va l'âme végétative qui s'y trouvait? Elle retourne à son principe: car nulle distance locale ne l'en sépare. Si l'on coupe, si l'on brûle la racine, où va la puissance végétative qui y était présente? Elle retourne à la Puissance végétative de l'Ame universelle, qui ne change pas de lieu, ne cesse pas d'être où elle était. Elle ne cesse d'être où elle était que si elle remonte à son principe ; sinon, elle passe dans une autre plante : car elle n'est pas obligée de se contracter, de se retirer en elle-même. Remonte-t-elle au contraire, elle va dans le sein de la puissance supérieure {c'est-à-dire dans la Puissance principale de l'Ame universelle}. Où celle-ci réside-t-elle à son tour? Dans le sein de l'Intelligence, sans changer de lieu : car l'Ame n'est pas dans un lieu et l'Intelligence y est encore moins. Ainsi, l'Ame n'est nulle part ; elle est dans un principe qui n'étant nulle part est partout {c'est-à-dire elle est dans l'Intelligence}. Si, remontant aux régions supérieures, l'âme s'arrête avant d'avoir atteint celle qui est la plus élevée, elle mène une vie d'une nature intermédiaire {entre la vie céleste et la vie terrestre}. Toutes ces choses {l'Ame universelle et ses images} sont l'Intelligence et nulle d'elles n'est l’intelligence. Elles sont l'Intelligence, sous ce rapport qu'elles en procèdent. Elles ne sont pas l'Intelligence, en ce sens que c'est en demeurant en elle-même que l'Intelligence leur a donné naissance. Ainsi, dans l'univers la vie ressemble à une ligne immense où chaque être occupe un point, engendrant l'être qui suit, engendré par celui qui précède, et toujours distinct, mais non séparé de l'être générateur et de l'être engendré dans lequel il passe sans s'absorber.