[6,0] LIVRE VI. MAI. [6,1] Du panic, du millet et du foin. I. Semez, de la manière que j'ai prescrite, le panic et le millet au mois de mai, dans les pays froids et humides. A cette époque, presque toutes les semences sont en fleur, et le cultivateur ne doit pas y toucher. Voici comment s'opère la floraison. Les blés et l'orge, ainsi que les semences simples, fleurissent pendant huit jours et grandissent pendant quarante, lorsqu'elles ont perdu leur fleur, jusqu'à ce qu'elles parviennent à maturité; tandis que les semences doubles, comme les fèves, le pois et les autres légumes, fleurissent pendant quarante jours, et mettent le même temps à grandir. Vous couperez, ce mois-ci, les foins dans les pays secs, chauds ou voisins de la mer, sans attendre qu'ils soient desséchés. S'ils sont mouillés par la pluie, ne les retournez pas avant que le dessus soit sec. [6,2] Des sarments nouveaux et de l'épamprement. II. Maintenant examinez les pousses des jeunes vignes; ne leur en laissez qu'un petit nombre qui soient vigoureuses, et soutenez-les avec des appuis jusqu'à ce que les sarments se durcissent. Une jeune vigne taillée et qui repousse, ne devra pas conserver plus de deux ou trois jets, que vous attacherez pour les garantir du vent. Je dis qu'il faut lui laisser trois jets, parce que, si on en laissait moins d'abord, le vent les briserait, et il n'en resterait aucun. C’est le mois où l'on épampre; mais l'épamprement n'est avantageux qu'autant que les tendres rameaux se rompent sans difficulté sous les doigts: il fait grossir les grappes et en prépare la maturité en laissant pénétrer le soleil. [6,3] Du labourage. III. Labourez aussi maintenant les champs gras et fertiles en herbes. Mais si vous voulez remuer des terres incultes, examinez si elles sont sèches ou humides, couvertes de bois ou de gazon, d'arbrisseaux ou de fougère. Si elles sont humides, desséchez-les en les entrecoupant partout de tranchées. On connaît les tranchées apparentes; voici comment on fait celles qui sont cachées. Traversez un champ de tranchées qui aient trois pieds de profondeur; ensuite remplissez-les à moitié de petites pierres ou de gravier, et remettez de niveau avec la terre enlevée. L'extrémité de ces tranchées aboutira par un plan incliné à une tranchée apparente: l'eau s'écoulera ainsi, et il n'y aura pas de terrain perdu. Si vous manquez de pierres, étendez au fond de la paille, des sarments ou toutes sortes de broussailles. Si le sol est couvert de bois, il faudra, pour le cultiver, déraciner les arbres, ou n'en laisser qu'un petit nombre. S'il est rempli de pierres, vous pourrez l'en débarrasser en les faisant ramasser pour en construire des murs qui le protégeront. Les joncs, les herbes et la fougère disparaîtront par de fréquents labours. Quant à la fougère, vous la détruirez promptement en semant souvent des fèves ou des lupins, et en la coupant avec le haut de la faux à mesure qu'elle repousse. [6,4] Des vignes et des arbres qu'il faut couvrir de terre, des branches à couper, des lupins. IV. C'est maintenant qu'il est à propos de herser, c'est-à-dire de recouvrir de terre les vignes et les arbres déchaussés. Coupez dans les forêts le bois propre à faire des fagots à présent qu'elles sont garnies de toutes leurs feuilles. Voici la mesure de ce qu'un homme pourra couper: si c'est un bon ouvrier il devra abattre un médius de bois de haute futaie; un ouvrier médiocre en coupera un tiers de moins. C'est aussi à cette époque qu'on fouit constamment les pépinières, qu'on taille les oliviers dans les climats trop frais et pluvieux, et qu'on en ratisse la mousse. Quiconque sème des lupins pour fumer son champ, doit le retourner maintenant avec la charrue. [6,5] Des jardins. v. Façonnez à présent la partie des jardins que vous voulez couvrir en automne de semences ou de pieds d'arbres. L'ache se sème bien dans ce mois, comme nous l'avons déjà dit. Vous pourrez encore semer la coriandre, les melons, les courges, l'artichaut, les raiforts et la rue. Vous transplanterez aussi le poireau pour en activer la croissance par des arrosements. [6,6] Des arbres fruitiers. VI. Les grenadiers commencent à fleurir maintenant dans les pays chauds. Si l'on renferme, comme le dit Martialis, une branche de grenadier avec sa fleur dans un vase d'argile enterré près de l'arbre, en attachant cette branche à un pieu pour qu'elle ne s'échappe point, elle donnera en automne un fruit qui remplira le vase. On peut également écussonner, ce mois-ci, le pêcher dans les pays chauds. On greffe à présent le citronnier dans les pays froids, en observant la méthode que j'ai prescrite. On plante, à cette époque, le jujubier dans les pays froids, et l'on greffe le figuier. C'est aussi dans ce mois qu'on plante les pieds de palmiers. [6,7] De la castration des bœufs. VII. Voici l'époque où, suivant Magon, on doit châtrer les veaux, tandis qu'ils sont jeunes, en leur comprimant les testicules avec une férule fendue, et en les froissant peu à peu pour les détacher. Mais il veut qu'on ne fasse cette opération qu'au déclin de la lune, au printemps ou en automne. D'autres attachent le veau à un travail, et saisissent entre deux étroites règles d'étain, comme entre des tenailles, les muscles que les Grecs appellent crémasters; ensuite ils enlèvent avec le fer les testicules ainsi tendus, en ayant soin de laisser intacte une portion de l'extrémité des muscles. Cette opération arrête la perte trop considérable du sang, et n'énerve pas complètement les jeunes bœufs en leur faisant perdre la puissance de la reproduction. Gardez-vous de les contraindre, comme la plupart le font, à s'accoupler immédiatement après la castration. Ils produiraient sans doute, mais périraient des suites d'une hémorragie. Frottez les plaies faites par la castration avec de la cendre de sarment et de l'écume d'argent. Empêchez l'animal châtré de boire, et mettez-le au régime, en lui donnant, dans les trois jours qui suivent l'opération, de tendres cimes d'arbres, des branches délicates, et une douce verdure légèrement humectée de rosée ou d'eau de rivière. Il faudra aussi oindre avec soin les plaies, au bout des trois jours, avec de la poix liquide mêlée de cendre et d'un peu d'huile. Mais l'expérience a fait découvrir une manière de châtrer préférable aux anciennes. La voici. Après avoir attaché et renversé les bouvillons, on refoule les testicules dans le scrotum; puis, en les comprimant à l'aide d'une règle de bois, on les coupe, soit avec des haches brûlantes, soit avec des couteaux à démembrer les victimes, ou mieux avec un instrument façonné comme un glaive, et fait pour cet usage. Le tranchant du fer rouge appliqué près de la règle même, abrège ainsi la douleur par la promptitude de l'opération qui se fait d'un seul coup, et, d'un autre côté, en brûlant les veines et les bourses dont la tension arrête la perte du sang, il préserve la plaie de tout accident par la cicatrice qu'il forme, pour ainsi dire, en même temps qu'elle. [6,8] De la tonte des brebis. VIII. Occupez-vous, à cette époque, de la tonte des brebis dans les climats tempérés. Dès qu'elle sera faite, frottez les brebis d'une décoction de lupin, de lie de vin vieux et de marc d'huile à doses égales. Trois jours après, si la mer est voisine, baignez-les sur le bord; si les pâturages sont dans l'intérieur des terres, lorsque vos brebis auront été tondues et frottées, lavez-les en plein air dans de l'eau de pluie légèrement bouillie avec du sel. Elles seront ainsi, dit-on, préservées de la gale pendant toute l'année, et leur laine deviendra longue et moelleuse. [6,9] De la manière de faire le fromage. IX. On fait, ce mois-ci, du fromage, en mettant dans du lait pur, pour qu'il prenne, soit de la présure d'agneau ou de chevreau, soit cette membrane qui est communément adhérente au ventre des animaux nouveau-nés, soit des fleurs d'artichaut sauvage, soit du lait de figuier; il faut retirer du fromage tout le petit-lait, et le presser en le chargeant de poids. Quand il commencera à être ferme, vous le mettrez dans un lieu sombre ou frais; puis, après l'avoir comprimé en y ajoutant graduellement de nouveaux poids pour le durcir, vous le saupoudrerez de sel égrugé et passé au feu, et vous le presserez davantage pour le rendre plus compacte. A quelques jours de là, les pains de fromage étant bien durcis, vous les disposerez sur des claies sans qu'ils se touchent. Vous les placerez dans un lieu clos, à l'abri de l'air, pour qu'ils se conservent frais et gras. Un bon fromage ne doit être ni sec ni spongieux; c'est le défaut qu'il contracte lorsqu'il n'a pas été suffisamment pressé, et qu'il est trop salé ou desséché par la chaleur du soleil. Quelques-uns, en préparant le fromage, broient des pignons verts et les mêlent au lait avant de le faire cailler. D'autres y mêlent une infusion de thym broyé et passé plusieurs fois. On peut donner au fromage le goût qu'on veut, en y ajoutant tel ou tel assaisonnement, comme du poivre ou toute autre espèce d'épices. [6,10] Des abeilles. X. C'est dans ce mois que commencent à se peupler les essaims, et qu'aux extrémités des rayons naissent de grandes abeilles que quelques-uns prennent pour les rois des ruches. Les Grecs les appellent taons, et conseillent de les tuer, parce qu'elles troublent le repos des essaims. On voit à présent des nuées de papillons. Vous les anéantirez de la manière que j'ai indiquée. [6,11] Du pavé des plates-formes. XI. On fait maintenant, vers la fin du mois, le pavé des plates-formes. Dans les pays froids et couverts de frimas, la gelée l'écaille et le détruit. Posez, si vous voulez, deux rangées de planches croisées, sur lesquelles vous étendrez de la paille ou de la fougère que vous nivellerez avec une pierre dont la grosseur puisse remplir la main. Mettez par dessus un pied de mortier de gravois, que vous tasserez à coups de masse. Ensuite, avant que le mortier soit sec, assemblez des briques de deux pieds, ayant sur leurs quatre côtés dès cannelures d'un doigt de profondeur; vous les joindrez ensemble en remplissant d'un mastic de chaux vive et d'huile les cannelures qui doivent se lier ensemble, et couvrez-en toute la couche de mortier, afin que, lorsqu'il sera sec, il forme un tout impénétrable à l'humidité. Puis étendez sur ce pavé six doigts de terre cuite, que vous battrez fréquemment avec des verges, afin qu'il ne s'y forme point de crevasses; puis revêtez le mortier de larges carreaux de brique, ou de mosaïques en marbre, ou de pierres carrées, et rien n'altèrera ce genre de construction. [6,12] De la confection des briques. XII. Faites, ce mois-ci, des briques de terre blanche, d'argile ou de terre rouge; car celles qu'on façonne en été, subitement saisies par la chaleur, se dessèchent à la surface, et restent humides en dedans : c'est pourquoi elles se fendent. Voici la manière de les fabriquer: Passez l'argile avec soin, et purgez-la de tout ce qui pourrait la rendre rude au toucher. Ensuite, après l'avoir mêlée avec de la paille, faites-la tremper longtemps, et remplissez-en des moules de la forme d'une brique; puis laissez-la sécher au soleil, en la retournant de temps en temps. Les briques doivent avoir deux pieds de long sur un de large, et quatre pouces d'épaisseur. [6,13] Du vin rosat. XIII. Jetez cinq livres de roses, effeuillées la veille, dans dix setiers de vin vieux; ajoutez-y, trente jours après, dix livres de miel écumé, et réservez ce vin pour l'usage. [6,14] De l'huile de lis. XIV. Mettez dix lis par livre d'huile, et exposez durant quarante jours à l'air le bocal de verre qui les contient. [6,15] De l'huile de roses. XV. Mettez par livre d'huile une once de roses effeuillées, et exposez-les, durant sept jours, aux rayons du soleil et au clair de la lune. [6,16] Du miel rosat. XVI. Mêlez une livre de miel avec un setier d'essence de roses, et tenez-les durant quarante jours suspendus au soleil. [6,17] De la manière de conserver des roses fraîches, XVII. Pour conserver des boutons de rose, fendez un roseau vert sur pied, mettez-les dedans, et laissez la fente se refermer; vous couperez ensuite le roseau, quand vous voudrez avoir des roses fraîches. Quelques-uns les déposent dans une marmite neuve, bien close, au grand air, et les conservent en les garantissant ainsi de tout ce qui pourrait leur nuire. [6,18] Des heures. XVIII. Le mois de mai répond à celui d'août pour la durée des heures. Ie et XIe heures XXIII pieds. IIe et Xe heures XIII pieds. IIIe et IXe heures IX pieds. IVe et VIIIe heures VI pieds. Ve·et VIIe heures IV pieds. VIe heure III pieds.