valent le mieux Mais l'envie est un sentiment que l'on n'avoue point. Si l'on en est accusé on met en avant mille prétextes, soit la colère, soit la crainte, soit la haine. On déguise l'envie sous le nom de la première passion venue. On la cache, comme étant la seule maladie de l'âme qui doive être dissimulée. 6. Il semblerait que ces deux passions, comme des plantes de même espèce, dussent nécessairement se nourrir, se fortifier, se développer par les mêmes causes. La nature le veut autrement2. Si nous avons plus de haine contre ceux qui s'engagent plus avant dans les voies de la pervers sité, d'autre part nous portons plus d'envie à ceux qui nous paraissent faire plus de progrès dans la vertu. Aussi Thémistocle disait-il, étant encore jeune homme : a qu'il n'avait jusqu'alors rien fait de notable, puisque personne ne lui portait envie. n De même que les cantharides s'attachent de preférence au blé vigoureux et aux roses bien épanouies, de même l'envieux s'attaque surtout aux plus irréprochables, à ceux qui croissent en vertu et en gloire sous le rapport des moeurs et du rôle à jouera. Au contraire les perversités extrêmes rendent plus intenses les haines qui les poursui- vent. Ainsi les calomniateurs de Socrate, qui étaient allés jusqu'aux dernières limites de la méchanceté, se firent dé- tester au delà de ce que l'on peut dire et devinrent l'objet d'une aversion inexprimable. On leur refusait du feu ; on ne répondait pas à leurs questions; on ne voulait pas se bai- gner dans l'eau où ils s'étaient lavés, et l'on obligeait les garçons de bain à jeter cette eau comme étant impure'. Cette réprobation dura jusqu'au moment où, ne pouvant supporter une telle haine, ils s'étranglèrent eux-mêmes. Il est vrai que la supériorité et l'éclat des succès éteignent quelquefois l'envie. Selon toute vraisemblance , personne ne fut jamais jaloux d'Alexandre ou de Cyrus lorsqu'ils eurent triomphé de l'univers entier et qu'ils en furent de- venus les maîtres. De même que quand de ses feux ver- ticaux le soleil domine une position et qu'il la couvre en- tièrement de sa lumière, les objets n'y font pas d'ombre ou du moins en produisent très-peu; de même quand la prospérité est parvenue au plus haut point d'élévation et que de là elle plane au-dessus de l'envie, elle annihile cette passion au point de la faire disparaître en l'inondant de son lumineux éclat. Au contraire la haine ne perd rien de sa violence devant la supériorité de fortune ou de pouvoir. Ainsi Alexandre n'eut pas un seul envieux à la vérité, mais il compta un grand nombre d'ennemis, sous les embûches desquels il finit par succomber. Par la même raison l'ad- versité fait cesser l'envie, mais elle ne désarme pas non plus la haine. On déteste ses ennemis, même tombés; on ne porte plus envie au malheureux. Un sophiste de notre temps a dit : a Que les envieux sont bien aises d'avoir à faire preuve de pitié. » Rien n'est plus vrai. Ce qui établit donc encore une dissimilitude entre ces deux passions, c'est qu'il n'est pas dans la nature de la haine de se calmer, quelle que soit la bonne ou la mauvaise fortune de celui que l'on hait, au lieu que l'envie renonce devant l'excès de la pros- périté ou des désastres. 7. Faisons apprécier encore mieux cette différence au moyen des contraires. On cesse de détester ou de haïr, soit quand on acquiert la preuve qu'on n'a éprouvé aucun dom- mage, soit quand on a reconnu la probité de ceux que l'on haïssait comme méchants, soit, en troisième lieu, quand on a reçu d'eux quelque bienfait. Car le service rendu en. dernier, dit Thucydide', fût-il moindre que l'offense, peut, s'il est conféré à propos, racheter une injure antérieure, même plus considérable. De ces trois motifs de haine, le premier n'étouffe pas l'envie. C'est sans avoir besoin de croire à aucun dommage reçu, qu'un homme est envieux. Les deux autres motifs ne font qu'augmenter encore cette