[1,2] CHAPITRE II. Combien grand soin il saut avoir du cerveau, du coeur, de l'estomac et de l'esprit. Premièrement autant que les cou'reurs ont de soin des jambes, les lutteurs des bras les musiciens de la voix, il faut que les studieux des lettres aient pour le moins autant de soin et d'égard à leur cerveau, leur coeur, leur foie et leur estomac, mais le doivent avoir d'autant plus grand comme ces membres sont beaucoup plus excellents que ne sont ceux-là et que ceux-ci se servent de ces membres pour choses plus dignes que ceux-là ne font des autres. D'avantage tout bon ouvrier et artisan garde soigneusement et avec toute diligence les outils de son métier, comme le peintre ses pinceaux, le maréchal ses marteaux et ses enclumes, l'homme d'armes ses chevaux et son harnois, le veneur ou fauconnier ses chiens et ses oiseaux, le harpeur sa harpe et des autres pareillement. Mais les seuls prêtres des Muses, les seuls rechercheurs du bien et de la vérité, sont helas! tant négligés et tant infortunés qu'ils semblent du tout mépriser l'ïnstrument duquel ils peuvent en quelque sorte mesurer et cornprendre le monde universel. Cet instrument est l'esprit qui est défini par les médecins être une vapeur et une fumée du sang pur, subtil, chaud et luisant. Lequel par la chaleur du coeur étant engendré, du sang plus subtil s'envole au cerveau, et de celui-ci l'âme se sert continuellement pour exercer tant les sens intérieurs qu'extérieurs. Par quoi le sens sert à l'esprit, l'esprit au sens et finalement les sens à la raison. Or est fait le sens par la vertu naturelle qui a vigeur au foie et en l'estomac. La partie plus subtile et déliée du sang coule en la fontaine du coeur où reside vigoureuse la vertu vitale. De là les esprits engendrés montent au cerveau (et pour dire ainsi) au dongeon de Pallas, auquel la puissance animale, c'est-à-dire la force de sentir et rnouvoir, préside et commande. C'est pourquoi la contemplation presque toujours est telle quel est le service et obéissance du sens. Et tel est le sens quel est l'esprit, et l'esprit tel quel est le sang et ces trois vertus que nous avons dites, à savoir la naturelle, la vitale et l'animale telles que sont celles desquelles par lesquelles et auxquelles les esprits sont conçus, nés, nourris et entretenus.