[0] L'ETNA. [1] L'Etna, les flammes qui jaillissent de ses profondes cavernes, les causes de ces violents embrasements qui portent, avec un bruit sourd et effrayant, la désolation et le ravage dans les régions voisines, tel sera le sujet de mes vers. Apollon , soit que vous habitiez dans la ville de Xanthe, soit que vous ayez préféré le séjour de Délos ou celui de Delphes, secondez-moi, inspirez-moi vos chants divins : venez, et que les Muses, favorables à mon entreprise, accourent avec vous de la fontaine de Piérie. Sous la conduite d'Apollon, on marche bien plus sûrement dans des routes inconnues. Quel mortel ne connaît pas les merveilles de l'âge d'or, et le règne pacifique de Saturne? [10] Siècle heureux, où il n'était pas besoin d'ensemencer la terre, ni d'empêcher les mauvaises herbes de nuire au bon grain! Les greniers s'emplissaient tous les ans de moissons abondantes; le vin coulait de lui-même du fruit de la vigne; l'huile, de l'olivier; et le miel, des feuilles des arbres. Les hommes, charmés du séjour de la campagne, ne pensaient pas à se rassembler dans les villes. Personne aujourd'hui ne sait mieux l'histoire de son siècle que celle de ces temps reculés. Qui n'a pas chanté l'antique expédition des Argonautes dans la Colchide? qui n'a pas déploré le sort de Troie réduite en cendres par les Grecs, la triste destinée d'Hécube et la mort de ses enfants ? [20] Qui ignore le crime devant lequel recula l'astre du jour, l'histoire des dents semées par Cadmus, la perfidie et les parjures de Thésée; les plaintes d'Ariadne abandonnée sur un rivage désert; enfin tout ce que la fable a publié des antiques forfaits? Une nouvelle carrière s'ouvre devant moi, et je ne crains pas d'y entrer. Je vais chanter les formidables agitations de l'Etna, la source des flammes qui sortent sans cesse de son sein , la cause qui lui fait vomir, avec un horrible bruit; des masses embrasées, lesquelles portent des torrents de feu dans tous les environs. Tel est le dessein de ce poème. D'abord ne nous laissons pas séduire par les fictions des poètes, [30] qui prétendent que l'Etna est la demeure d'une divinité, que le feu qui sort avec impétuosité de ses abîmes est le feu même de Vulcain, et que c'est ce dieu qui fait retentir les cavernes de la montagne, quand il travaille avec ardeur à quelque ouvrage. De si basses occupations sont indignes des dieux; tranquilles dans l'Olympe où ils règnent, ils ne s'amusent pas à exercer les vils métiers de nos artisans. Une autre fable des poètes fait de cette montagne la forge des Cyclopes, qui, d'un bras vigoureux frappant leurs enclumes en cadence, y fabriquaient à grands coups de marteau la foudre destinée au bras de Jupiter. [40] Toute fiction sans fondement est indigne de la poésie. Une autre fable, aussi téméraire, attribue l'éternel embrasement de l'Etna à l'audacieuse entreprise de Phlégra : des géants, pleins d'une audace criminelle, voulurent chasser les dieux du ciel, détrôner Jupiter, se saisir de lui, et donner des lois à l'Olympe. Semblables aux autres hommes par la partie supérieure de leur corps, ces monstres avaient une queue de serpent couverte d'écailles, et qui formait des replis tortueux. Ils entassent montagne sur montagne, Ossa sur Pélion, Olympe sur Ossa, afin de pouvoir porter la guerre jusque dans le ciel même, [50] qu'ils s'efforcent d'escalader à l'aide, de ces montagnes amoncelées. Ces guerriers sacrilèges menacent de près les astres étonnés. Jupiter appelle au com- bat tous les dieux du ciel, et sa main, armée de la foudre, dissipe en un moment les ténèbres, en .y faisant briller la. flamme des éclairs. Les géants s'avancent en poussant de grands cris. Le père des dieux et des.hommes fait retentir son ton- nerre, dont le bruit est encore augmenté par ce- lui des vents furieux qui se. livrent un combat acharné. La foudre fend à chaque instant les nues épouvantées. Toutes les puissances célestes cou- rent aux armes; Mars et tous les dieux sont trans- portés de fureur; la crainte est répandue par- tout. Jupiter lance ses armes terribles, et, d'une, main victorieuse, renverse les montagnes; ces remparts formidables, élevés contre, la puissance céleste, tombent, et, dans. leur chute entraînent les ennemis, que la Terre, leur mère, cherche en vain à ranimer. Cette victoire rend la paix à l'univers; Bacchus revient triomphant dans le ciel, si,glorieusementdéfendu.parlesimmortels. Jupiter, précipite. sous le mont EtnaEncelade, ex- pirant dans la mer de Sicile. C'est là qu'accablé sous le poids, énorme. de cette montagne, il vo- mit de sa bouche enflammée des torrents de feu. Telle, est la liberté que se sont donnée les poëtes dans leurs fictions: c'est par ces mensonges qu'ils ont cherché à se rendre célèbres. La plupart des sujets qu'ils chantent n'ont pas plus de réalité que ceux qu'on voit représentés sur la scène : ils ont vu les enfers et les ombres errantes dans le sombre royaume de Pluton. Ils ont imaginé un fleuve du Styx, et -un chien à trois têtes. Ils ont étendu Tityus sur un espace de sept arpents; ils vous font souffrir, ô Tantale, une soif ardente au, milieu d'un étang plein d'eau. Ils chantent aussi la justice que vous rendez aux enfers, ô Minos; et vous aussi, Éaque. Ils font tourner la roue d'Ixion, et peuplent la terre de cboses. qu'elle sait bien ne point contenir dans ses entrailles. Pour eux, ce n'est pas assez de ces lieux,souter- rains; ils élèvent leurs fictions.jusqu'aiix divini- tés célestes, et ils ne craignent pas de porter leurs, regards curieux jusque dans le ciel, si éloigné de nous. Ils connaissent les guerres des _dieux , ils pénètrent le mystère de leurs intrigues amou- reuses ; ils savent. combien ils ont emprunté de formes diverses.epour satisfaire leurs désirs; ils ont vu Jupiter enlever Europe sous la forme. d'un taureau, tromper Léda sous celle d'un cygne, et séduire Danaé sous l'image d'une pluie d'or. On doit pardonner cette licence aux poëtes. Mais moi, renfermé dans les bornes de la vérité, je m'attacherai à découvrir la cause des incendies (lu mont Etna, et la source des feux toujours nouveaux qui l'embrasent. Le globe terrestre, à le considérer dans cette vaste étendue que baignent les ;eaux de la mer, n'est point partout également solide; la terre a des ouvertures de toutes parts; elle est pleine de cavités; de petits canaux sillonnent ce vaste corps, comme les veines celui des animaux. Les eaux, qui lui tiennent lieu de sang, circulent dans ses conduits souterrains, et il s'y forme aussi des vents qui s'y distribuent de la même manière. La vaste matière dont est fait le monde n'a cer- tes pas été autrefois divisée en mer, en terre et en ciel, de telle sorte que le ciel ait occupé le lieu le plus élevé, la mer la seconde place, et la terre le lieu le plus bas; mais cette matière , plus pe- sante, forma de nombreuses cavités; et comme (les pierres inégales qu'on jette au hasard ne se touchent pas dans toutes leurs parties, ainsi la terre, ait sein de laquelle il est resté des vides, se trouve coupée par de petits canaux, qui l'em- pêchent de se rejoindre et de se resserrer. Soit qu'il en ait toujours été ainsi dès l'origine du globe, ou que l'air, se trouvant enfermé dans son sein, se soit ouvert des routes pour s'en échapper; soit que l'eau qui y coule continuelle- ment fait miné peu à peu, et en ait creusé les parties qui s'opposaient à son passage; ou qu'en- fin la matière solide ait été consumée par le feu emprisonné dans la terre, et qu'ainsi il se soit fait jour pour en sortir, ou que tout ce qu'elle contient ait été dans une guerre continuelle; ce n'est point ici le lieu d'en chercher la cause; il suffit que l'effet soit certain. Qui pourrait douter qu'il n'y ait de ces sortes de cavités dans la terre, puisqu'on voit sortir de ses gouffres des fontai- nes et des torrents, qui certainement ne sont point formés de petits ruisseaux, ni de quelques gout- tes d'eau éparses çà et là, mais qui ont dû né- cessairement trouver leur source dans un amas considérable d'eau? Car il y a de grands fleuves qui, après avoir coulé sur la terre, ont entière- ment disparu et furent engloutis dans ses abîmes, ou qui, après y avoir séjourné longtemps, sont venus reparaître dans des régions lointaines, on l'on ne s'attendait tas à les revoir. Que si la terre a des cavernes qui contiennent des fleuves ca- chés dans son sein, il est constant aussi qu'elle a plusieurs canaux par où sortent les ruisseaux et les fontaines : elle n'est donc pas partout éga- lement solide; et s'il y a des fleuves qui se pré- cipitent dans des gouffres et qui reparaissent ensuite, si même il en sort dont on n¢avait pas jusque-là soupçonné l'existence, il n'est pas sur- prenant que la terre ait aussi comme des sou- piraux destinés à faire sortir l'air qui est ren- fermé dans ses abîmes. Quiconque voudra se eon. vaincre de ces vérités n'a qu'à parcourir la terre des yeux; elle en fournit des preuves certaines. Dans beaucoup d'endroits, il y a de grands gouf- fres où plusieurs arpents du sol sont engloutis ; et quand on les considère de loin, l'on ne voit que de vastes ouvertures d'une profondeur et d'une obscurité immenses. On trouve de même dans tes forêts des antres très-profonds, que les bêtes féroces découvrent en se creusant des retraites; on n'en connaît point les issues, et l'eau qui y coule ne les remplit jamais : preuve certaine qu'il y a des souterrains qu'on ne connaît point. C'est ainsi qu'il faut saisir par le raisonnement ce qui ne tombe pas sous les sens, et établi; la vérité des choses cachées par l'évidence de celles qu'on connaît. En effet, plus le feu. est naturelle- ment vif et léger, plus il a d'impétuosité lorsqu'il est enfermé, et plus il donne de violentes se- cousses pour briser ses liens et rompre les di- gues qui le retiennent. Toutefois il ne cherche pas à se faire jour par les voies les plus diffici- les, mais il se détourne vers celles où, la résis- tance est moindre, et la flamme en serpentant s'ouvre un passage du côté le, plus facile à péné- trer. De là ces tremblements du. globe, qui arri- vent lorsque l'air resserré dans ses cavités l'é- branle, et met en mouvement la matière qui était auparavant immobile. Si la terre était par- tout solide, et qu'elle ne renfermât point de gouffres, elle ne nous donnerait le spectacle d'au- cun de ces prodiges qui nous étonnent, et elle demeurerait comme une lourde masse, assise sur une base inébranlable. Croire que ces merveilles de la nature s'opè- rent dans des cavités voisines de la superficie de la terre, et que là s'alimentent ces feux qui en sortent avec tant de violence, c'est se trom- per, et n'en avoir pas encore pénétré la véritable cause. En effet, dès que les gouffres qui fou- client à la superficie du sol ont des ouvertures, le feu et les vents y sont tranquilles et sans. au- cun mouvement. Car telie.est la nature du vent ; dès qu'il a un libre cours, et qu'il ne se trouve point emprisonné dans des antres souterrains, il ne produit aucun effet, aucune de ces secousses si redoutables. Pour qu'il arrive un tremblement de terre, il faut que le vent soit comprimé dans des cavernes sans issue. Mais lorsqu'il se trouve ainsi pressé, il s'agite, il frémit, et, de concert avec les autres vents qui se glissent dans ces cavités par les ouvertures qui sont à la surface, il produit ces grandes secousses qui- menacent d'une ruine prochaine les fondements de la terre et les villes ébranlées : aussi, si l'on peut croire que le monde doit jamais rentrer dans le chaos , ce ne peut être que par de semblables catastro- phes. Telle est donc la nature de la terre, qu'elle est entrecoupée d'abîmes et de veines profondes. L'Etna en est une preuve, et rend cette vérité tout à fait vraisemblable. Les: causes de tout ce qui arrive de merveilleux dans cette montagne ne resteront point cachées, si l'on veut me sui- vre : elles frapperont tous les yeux, et prouveront la vérité de ce que j'ai dit. Elle présente de tous, côtés de larges et d'effrayantes ouvertures, et de vastes abîmes. Là elle se resserre elle-même, et absorbe, pour ainsi dire, le terrain qui s'élève. Ailleurs un nombre infini de rochers s'opposent - à l'action des feux souterrains, et causent un . fracas épouvantable dans l'intérieur de la mon- tagne : les.uns sont attachés et comme enchaf~ nés au milieu des autres; une partie de ces ro- chers paraît avoir été vaincue par les flammes, et l'autre avoir servi d'appui et de passage au feu; en sorte qu'il semble que l'Etna n'es plein de cavités que pour nous présenter au dehors un spectacle plus imposant et plus beau. Tel est le thëàtre de tant de prodiges surprenants : prodi- ges qui enflamment maintenant celui qui les re- trace du désir d'en rechercher la véritable cause, bien éloignée de ces causes frivoles et fabuleu- ses. Les feux qui s'élancent de tous côtés nous forceront de reconnaître les vérités qu'ils ensei- gnent : on serait même tenté de considérer de près les phénomènes de cette montagne, si l'on pouvait en approcher. Mais les flammes , qui sont comme les gardiennes de l'Etna, en défendent l'accès; et la main divine qui produit ces mer-. veilles ne veut point de témoins. Elle ne nous permet de les voir que de loin. Nous ne saurions douter, en effet, que quelqu'un ne gouverne l'Etna dans ses abîmes, ou qu'un ouvrier admirable ne préside à des effets si sur- prenants. L'Etna vomit des tourbillons de sable brûlé; des masses enflammées en sortent avec fu- reur; il est bouleversé jusque dans ses fonde- ments; tantôt toute la montagne retentit d'un bruit effroyable , tantôt les flammes en sont mè- lées d'une matière noire qui les obscurcit. Jupi- ter lui-même admire de loin ces embrasements;; et, craignant que les géants ne songent à recom- mencer une guerre déjà éteinte, ou que Pluton, mécontent de son partage, ne veuille échanger les enfers contre le ciel, il retient la terre com- primée sous sa main. Des monceaux de rochers mêlés de sable, qui ne se soulèveraient pas d'eux- mêmes, et qui tombent si quelque force ne les tient suspendus, se détachent de la montagne, et roulés au fond de l'abîme par les tourbillons du vent, y tournent sur eux-mêmes, et y causent cep embrasements dont l'explosion est attendue. Le vent, en ranimant l'air et le feu., leur donne une activité qu'ils n'avaient pas. Car le feu West pas toujours actif ni violent au même duré; sa pro- priété est d'être rapide et dans, un mouvement perpétuel; mais il a besoin de secours pour écla, ter,, et pousser dehors les corps qui sont dans la terre. C'est te vent qui lui donne cette violence à laquelle il obéit, et qu'il n'a pas naturellement;, c'est sous ce chef puissant qu'il combat, qu'il est grand et souverain. Après avoir montré les causes des incendies de, l'Etna et fait connaître la composition de cette montagne, de quelle manière le vent s'y intro-_ duit, et quels, sont les aliments de la flamme qui en sort, je vais dire pourquoi ces feux cessent tout d'un coup, et comment un profond silence succède à des mugissements effroyables. Cette. oeuvre est immense, mais féconde, et un prix digne de ce travail récompensera les efforts qu'il aura coûtés, C'est pour l'homme un grand avan- tage de ne pas voir seulement des yeux,, comme: les animaux, lesmerveilles de lanature; de n'être. point comme eux courbé vers la, terre, et occupé du seul soin du corps; mais de pouvoir pénétrer les causes de ce qui arrive, d'en approfondir les. plus cachées; de s'attacher aux objets les plus. sublimes, de porter la vue. jusque dans le ciel, de connaître. la nature et le nombre des éléments, et de savoir si leur dissolution n'entraînera pas la ruine entière de Nunivers, si le cours des siècles dit toujours durer, si les liens, qui font subsister la machine du monde seront éternels; quel est le mouvement du soleil; de combicii, l'orbite de la lune est plus petit que celui de cet astre; pourquoi celle-ci se hâte de parcourir la terre douze fois en un an, pendant que le soleil ne la parcourt qu'une seule fois; quelles sont les étoiles qui tournent d'un mouvement régulier, et celles qui errent dans le ciel; dans quel.ordre le soleil et la lune parcourent les douze signes du zodiaque , et quelles lois ils suivent dans ce mou- vement; pourquoi la lune, quand on la voit pâlir au sein des nuages qui l'environnent, an- nonce la pluie ; quelle cause la fait parfois rou- gir, et comment le soleil perd de son éclat; pour- quoi l'année est divisée en plusieurs saisons, pourquoi le printemps fait place à l'été, l'été à l'au- tomne, et l'automne à l'hiver, qui recommence un nouveau cercle de saisons se succédant l'une à l'autre; de connaître la constellation de l'ourse, et les comètes qui présagent toujours quelque triste événement; de quel feu brillent l'étoile du soir, l'étoile du matin et celle du bouvier; comment la planète de Saturne est l'indice de la lenteur, et celledeMarsde l'humeur guerrière; de connaître la saison et l'art de la navigation; de prédire les mouvements célestes, ce qu'an- nonce le lever d'Orion , et le coucher de la ca- nicule. Enfin c'est un plaisir vraiment divin d'é- tudier les merveillesdu monde, de les distinguer toutes par leurs propriétés, et de ne pas les lais- ser confondues et comme ensevelies dans la masse commune. Mais le premier soin de l'homme doit être d'étudier la terre, et de remar- quer ce que la nature y a mis de plus digne de notre admiration; la terre nous intéresse bien plus que la connaissance des astres. Quelle espé- rance, en effet, peuvent avoir les hommes de connaître le ciel ? Qu'y a-t-il de plus insensé que de vouloir parcourir le royaume de Jupiter, dont on ne connaît point les routes, et de nér.- gliger, par une paresse condamnable, les mer- veilles que nous avons sous nos yeux? Nous nous. tourmentons, malheureux que nous sommes, pour des bagatelles, et nous en faisons un sujet de travail, afin de nous payer ainsi de nos peines; et les arts qui nous coQduisent à la connaissance du vrai sont négligés honteusement, comme quelque chose de vil!, et dont on ne peut atten- dre aucun profit. Les laboureurs ne se donnent point de relâche dans la culture (le leurs champs; ils s'endurcissent à ce travail; l'expérience leur apprend à quel usage chaque terre est bonnet l'une convient mieux au blé, et l'autre à la vigr:e ;. celle-ci est plus propre à produire des platanes;, et celle-là des herbes; les pâturages viennent, mieux ici, et là les forêts; il faut planter les oli-_ viers dans un terrain aride; l'orme se plait dans, un terrain moins sec et plus vigoureux : ils se tourmentent l'esprit et le corps clans l'unique soin de recueillir de riches moissons, de faire des vendanges abondantes , et de remplir leurs gre- niers d'un énorme amas de foin. C'est ainsi que, toujours avides, nous nous livrons encore à d'an- tres travaux, qui nous paraissent plus lucratifs que ceux-là;- nous fouillons les entrailles des montagnes, pour y trouver des mines d'or ou d'argent; nous appliquons le fer et le feu à la terre pour en arracher ce métal : libres de ces soins frivoles, nous devrions, au contraire, con- sacrer cette ardeur à acquérir des connaissances plus dignes de l'homme; ce sont là les fruits dont l'espritdoitse nourrir; une belle récompense paye nos efforts, c'est de savoir ce que la terre a de caché dans son sein , de ne rien ignorer (le tout ee qui s'y fait, de pouvoir rendre raison des frémissements de l'Etna,, de connaître le principe de ses agitations , du ne plus, pâlir, au bruit imprévu qui retentit dans, ses flancs, de ne plus croire que les dieux ont transporté du ciel dans ses abîmes les marques de leur courroux; de connaître enfin ce qui retient les vents dans le sein de la montagne, ce qui nourrit ses feux éternels, comment un long et profond silence y succède tout à coup à d'effroyables mugisse- ments; pourquoi de nouvelles forces renaissent dans ses abîmes, soit qu'elles se raniment dans ses entrailles mêmes, ou qu'elles viennent des vents que la terre attire dans ses profondeurs par de petits soupiraux. Cela arrive surtout sur le sommet hérissé de l'Etna : en butte à tous les vents, il les reçoit de toutes parts, dans des cavernes; et ces vents con- traires, introduits dans ses antres,, deviennent plus furieux, par leur union, soit que les nuées et le vent du midi les poussent en dedans, soit que, prêts à sortir, quelque autre obstacle les oblige à rentrer. L'eau de la mer, qui s'y glisse avec bruit par des cavités intérieures, chasse ces vents enflammés, et resserre les corps qu'et le ren- contre à son passage. De même que,,dans la trom- pette appelée triton, l'eau qu'on ,y pousse avec violence chasse l'air, et produit, selon l'art de ce- lui qui fait jouer l'instrument, un son qui fait retentir la voûte du théâtre; de même les torrents d'eau qui coulent dans les cavernes de l'Etna, refoulent l'air, qui, ainsi comprimé, s'efforce de. sortir, et fait entendre de longs mugissements. On doit croire, en effet, que la cause des vents qui se forment dans cette montagne est la même que la cause des vents qui seforment sur,la surface de la terre; et que, lorsque plusieurs matières se trouvent pressées dans le, sein de l'Etna, les unes, comprimées par le poids des autres, tombent dans ses Cavernes et entraînent avec elles celles, qui étaient déjà prêtes, à se détacher de. la masse, jusqu'à ce qu'elles aient trouvé des obstacles qui les arrêtent. Que si lion n'est pas tout à fait de mon avis, et qu'on, donne d'autres causes à ces vents, du moins on ne peut disconvenir que des rochers et des cavernes ne s'écroulent quelque- fois avec un grand fracas, et que leur chute ne refoule l'air qui se trouve aux environs, et ne le contraigne de s'échapper de toutes parts : par la même raison, on voit les vents refoulés dans l'air par des nuées même peu épaisses, ce qui arrive d'ordinaire dans les campagnes qui sont arrosées par quelque fleuve. En effet, c'est de ces contrées que sort une vapeur qui forme le vent. On voit régner sur les petites rivières même un faible vent, auquel ces vapeurs impriment une grande agitation. Or, si les vents ont tant de . force en plein air, il faut nécessairement qu'ils en aient davantage, et qu'ils produisent des effets bien plus violents, lorsqu'ils sont enfermés. Ces- vents, formés de la même manière dans des cavi- tés, sont mis en mouvement par les mêmes cau- ses; ils s'agitent dans ces conduits étroits; l'un s'efforce de s'ouvrir un passage que ferme l'autre; de même que, sur la mer, lorsqu'elle est agitée par la violence des vents, les flots s'élèvent et se- poussent réciproquement; l'air, ainsi pressé dans les cavernes de l'Etna, et tirant de cette pression même une nouvelle force, s'échappe aussitôt par tous les endroits où il trouve une issue, et fait tourbillonner les matières qu'il rencontre, jus- qu'à ce qu'étant devenues liquides par la chaleur que leur donne ce mouvement, elles sortent elles- mêmes, comme un fleuve de feu vomi par l'Etna furieux. Que si l'on croit que les vents s'introdui- sent dans l'Etna par les mêmes ouvertures qui leur servent d'issue, la simple inspection des lieux convaincra du contraire. Car, dans le temps même due le ciel est le plus pur et que le soleil brille de tout son éclat, l'on aperçoit toujours au-dessus de la montagne un nuage épais et obscur, qu'aucune agitation ne saurait dissiper; il suit, à la vérité, l'impulsion du vent qui l'agite, mais il revient ensuite à la même place. On doit juger de ce qui se passe au dedans de la montagne par ce que l'on en voit au dehors. On peut voir encore sur le sommet de l'Etna, et à l'entrée même des plus grandes cavernes dont l'ceil ne saurait sonder la profondeur, des gens qui apaisent par des sacri- fices les divinités célestes, pourvu qu'en ce mo- ment rien ne ranime les flammes, principe de tant (le merveilles, et que l'intérieur de la montagne soit tranquille. Ici vous vous demandez peut-être ce qui fait que ce vent impétueux, qui engloutit les masses de terre et les rochers, et qui lance tics feux avec tant de fureur, retient ses forces et met tout à coup un frein à sa violence; sur- tout pourquoi il n'emporte jamais les corps que leur propre poids fait pencher vers leur ruine, et qu'il no renverse pas les voûtes des cavernes. En voici la raison, si je ne me trompe : le mou- vement de la flamme est si rapide et si léger, qu'il échapperait souvent à notre vue, quand même nous pourrions porter nos regards jusqu'au fond de la montagne, et ces corps ont un certain poids : le vent ne fait donc que les battre et les ébranler. La flamme de la torche sacrée que le prêtre agite de sa main mouillée d'eau lustrale fouette le visage, et imprime une secousse au corps qui semble s'avancer au devant, tant il suffit d'une petite cause pour mettre en mouvement une grande force; et toutefois le vent de cette flamme n'emporte ni la cendre, ni la paille légère, ni l'herbe sèche, et ne brûle pas les plantes les,plus voisines : la fumée s'élève dans les airs au-dessus des autels parfumés, tant cette flamme est inof- fensive, et respecte même ce qu'elle touche. Que ce soit l'air du dehors, ou celui qui se, trouve enfermé dans l'Etna, qui le mette en, mouvement; il est certain que c'est cet air agile qui produit toute l'impétuosité du feu, et c'est ce, feu (lui lui fait vomir ces torrents de sable noir et- ces roches embrasées qui en sortent avec le. fracas de la foudre. C'est ainsi qu'on a vu quel- quefois des forêts entières s'enflammer par l'ex- trême agitation que le vent donne aux branche,;, (les arbres , qui, s'entre-choquent mutuellement.. N'adoptez pas cette erreur du vulgaire igno- rant , qui s'imagine que l'Etna cesse de vomir des feux parce que ses cavernes sont épuisées, et que les intervalles que cette montagne met entre ses incendies sont nécessaires pour réparer ses forces abattues, et permettre à l'eau et au feu d'y recommencer de nouveaux combats; re- poussez cette opinion également fausse, et inju- rieuse à la divinité. Les dieux ne sont pas réduits à une disette si honteuse, qu'ils manquent de ma- tière pour faire subsister des feux qu'ils ont aldoses. L'Etna ne va point solliciter de faibles secours ou des. souffles légers; il a toujours des légions de verrats prêts à produire ses merveilles. Mais la cause, qui empêche le feu de sortir, et qui en arrête le cours, n'est pas bien connue. Les entrées des caverikos sont souvent remplies par l'éboulement de quelque partie de la montagne, qui, fermant le passage aux vents, arrête les ef- forts qu'ils font dans l'intérieur pour s'échapper les voûtes écroulées n'ont plus aucun mouvement. L'Etna, comme fatigué de son travail, semble alors se reposer; et las vents eux-mêmes se. reti- rent. Mais, quand leur fureur a été quelque. temps suspendue, lis pressent et poussent avec plus de violence ces masses énormes qui les tenaient comme,enchaînés; ils rompent les digues qui: les arrêtaient, ils renversent tout ee qui se trouve sur leur passage; et les obstacles redoublant encore cette impétuosité,, ces feux, nourris par les ma- tières combustibles de la montagne, sortent avec violence, et se répandent dans les Campagnes voisines. Dès que les vents s'apaisent, cette mon- tagne n'offre plus à l'homme aucun spectacle. Toutefois ce n'est pas qu'elle manque de ma- tière; la terre lui en fournit sans cesse pour de nouveaux embrasements: que les vents soufflent, et aussitôt s'altumeront les matières combustibles qui servent d'aliment au feu. Car l'Etna est rem- pli: de soufre liquéfié; un sue épais y coule comme un fleuve intarissable; il contient une grande quantité de bitume, ainsi que tout: ce qui est pcopreà s'enflammer. Telle est lanaturede l'Etna. .;'odeur qu'exhalent les sources qui sortent du pied de cette montagne ne permettent pas de dou. ter qu'il n'y ait dans ses entrailles de ces torrent%, de soufre et de bitume. On peut aisément voir qu'une partie de la, montagne est composée de pierres dures, dont le suc gras entretient les incendies: it y a aussi de certaines pierres, qui n'ont point de nom, qui se fondent et coulent comme des torrents, lorsque la montagne est embrasée; la nature les: a rendues très-propres à conserver le feu qu'elles, contiennent. Mais c'est surtout la pierre à meula qui entretient les feux de l'Etna : de cette pierre se compose la plus grande partie de cette monta- gne : si par hasard on la tient dans., la main , et~ qu'on en examine laforce, on se persuadera qu'elle, n'est point propre à conserver le feu, ni à le com- muniquer à d'autres matières; mais dès qu'on la, frappe avec du fer, on en voit sortir des étincelles. Si on la jette dans un feu bien ardent, on la, vait changer aussitôt, perdre sa dureté, et se fondre en aussi peu de temps que le fer; elle channe d'aspect et s'altère au contact du feu. Quand elle est une fois enflammée, il n'y a rien qui conserves plus longtemps et avec plus d'opiniâtreté le feu ,. qui semble dompté par elle et en recevoir la loi. elle perd rarement sa vertu , et ns laisse guère échapper le feu qu'elle renferme : son tissu dur et serré fait qu'elle retient longtempsle feu qu'elle a reçu par des pores étroits; et comme il ne s'y est introduit qu'avec peine et avec lenteur, il n'en sort qu'avec là même difficulté. Cette pierre dont est formé en grande partie l'Etna n'est pourtant pas la seule cause de ses embrasements, comme je l'ai déjà remarqué; mais ce qu'elle a de merveilleux, c'est la propriété de conserver le lieu. Toute autre matière combustible s'éteint pour jamais dès qu'elle a été une fois brûlée : il ne lui reste plus aucune qualité qui lui permette de s'enflammer de nouveau; elle est réduite en cendres, ou en une terre morte sans sue et sans vertu. Celle-ci, au contraire, ne s'allume pas une seule fois, mais mille; elle renouvelle tou- jours ses forces, et ne cesse d'entretenir le feu, .jusqu'à ce que, toute sa substance étant enfin con- sumée, elle soit entièrement calcinée et devienne de la pierre-ponce, qui tombe en cendres et en poussière. On peut voir ailleurs des montagnes autrefois embrasées, et qui contenaient même une plus grande quantité de matière combustible. nla:s on peut juger sûrement, par la couleur même des pierres deces montagnes, qu'elles n'ont 'fourni aucun aliment au feu, au milieu duquel elles sont sans action. On connaît, à certaines imarques, que l'île de Pithécuse a jeté autrefois ,du feu; mais elle est aujourd'hui refroidie et silencieuse. Il .y a aussi entre Cumes et Naples un endroit où l'on ne voit aucun vestige de feu depuis plusieurs aimées, quoique le terrain gras ;y produise continuellement du soufre, que l'on ramasse pour le vendre. Il y a encore une île qui tire son nom de sa forme ronde, et où cette matière abonde bien plus que dans Plana. La . uperticie de cette île est composée de soufre, et la terre n'y contient aucune cavité; il s'y forme même une espèce de pierre propre à cou- server le feu : d'elle=même cette île jette rare- ment des flammes; elle brûle à peine lorsqu'elle est allumée, parce que la matière combustible qu'elle contient n'a pas assez de consistance pour entretenir longtemps le feu. Une autre île con- sacrée à Vulcain, dont elle tire son nom, brûle encore aujourd'hui; cependant la plus gr1nd;~ partie de cette île enflammée est éteinte, et les vaisseaux agités sur la mer trouvent un asile dans son port, qui les met à l'abri de la tempête. L'au- tre partie qui jette encore des feux est la mole- dre; elle est assez abondante en matière combus- tible, mais les feux n'en sont pas comparables à ceux de fÉtna : il n'y en resterait même plus depuis longtemps, si le suc de la terre n'y pro- duisait peu à peu, dans des cavités souterraines, une nouvelle matière, et si différents vents ne s'agitaient dans des canaux étroits, n'allu.naient cette matière, et ne perpétuaient l'embrasement. Mais on connaît mieux l'Etna par lui-même; il fournit des preuves convaincantes de ses in- cendies. II n'en tient point la cause cachée dans le fond de ses cavernes, puisqu'il jette sur les flancs et jusqu'au pied même de la montagne des pierres brûlées, et qu'on en trouve partout mêlées avec la terre; en sorte qu'on ne peut douter que la pierre à meule n'entretienne ses feux, et qu'elle ne soit la principale matière de ses em- brasements, qui sont plus ou moins considéra- bles, selon qu'elle est plus où moins abondante. Dès que cette pierre est assez embrasée pour s'allumer, elle se détache, et, tombant sur d'au- tres matières, elle les enflamme et les fait fondre. 11 n'est pas surprenant de voir cesser au dehors les agitations de l'Etna; pendant ce temps-là, le feu se nourrit en dedans avec plus d'avidité; la pierre à meule embrase une plus grande quantité de nouvelles matières, et annonce, par des signes certains, les flammes que le mont va bientôt vo- mir. Dès que les vents commencent à souffler et apportent la menace d'un grand ravage, les carrières se fendent, la terre tremble, les ouver- tures qui s'y font laissent' entendre un bruit con- fus, et donnent un libre passage à l'incendie. C'est alors que, saisi de crainte, il faut prendre la fuite et s'éloigner, pour aller considérer cette scène de désolation 'du haut de quelque colline. Car alors l'Etna ne manque jamais de donner des spectacles effrayants; il s'enflamme et lance des rochers embrasés : on voit s'écrouler des monceaux de la montagne arrachés par les flam- mes; et des nuées d'un sable noir et brûlé sont accompagnées, en sortant de ces abîmes, d'un épouvantable fracas. Ensuite rEtna, comme fati- gué, semble prendre du repos; les flammes qu'il a lancées n'y rentrent point, et plus il en a vomi, plus il est tranquille. On voit alors les matières qu'il a rejetées éparses et sans aucun mouve- ment, comme on voit, après la défaite d'une ar- mée, les troupes taillées en pièces sur le champ de bataille. Il reste aux pierres qui ont cédé à la fureur des flammes, une surface plus rude et plus inégale qu'auparavant; elles ressemblent à l'écume que jette le fer lorsqu'on le purifie dans le feu. Car les pierres à meule, cuites et brûlées dans l'Etna comme dans une fournaise, perdent tout leur feu et deviennent de la pierre-ponce, laquelle est sans vertu et d'une extrême légèreté; dans cet état, elles s'élèvent facilement des caver- nes du mont Etna, et s'échappent par les issues de la montagne: comme la matière fondue que ces pierres ont fournie est aussi en mouvement par la chaleur qui l'a rendue liquide, elle s'élance aussi et coule par les mêmes issues; c'est d'abord comme un fleuve tranquille; tombant ensuite du haut de la montagne, elle va quelquefois se répandre jusqu'à douze milles au milieu des campagnes voisines,' sans que rien puisse l'ar- rêter, sans qu'aucune digue soit capable de s'op poser à sa violence: forêts, rochers, elle dévore tout ce qu'elle rencontre. Ce fleuve de feu prend de nouvelles forces dans la nature même du ter- rain qu'il parcourt, et qui devient liquid- comme lui. Si par hasard il vient à couler dans un endroit creux (car les lieux par lesquels il passe sont fort inégaux,) alors, comme ses flots y tombent avec p.us de rapidité, son impétuosité redouble, et il pousse avec violence ses premiers flots, qui étaient presque sans mouvement. C'est ainsi qu'on voit sur la mer, lorsqu'elle commence à être agitée, les premières vagues, quoique d'un moindre volume, pousser avec violence de plus grandes masses d'eau, s'étendre, et être ensuite repoussées elles-mêmes. Si cette matière fondue rencontre de l'eau sur son passage, le froid la resserre, et cette masse en s'endurcissant jette de la fumée. Quelquefois, entraînée par son pro- pre poids, elle roule avec un grand bruit : si elle tombe d'un endroit élevé sur un rocher, elle le brise avec éclat; l'endroit où il a été brisé parait tout enfeu; il petille, et la flamme en sort. Si on regarde ce spectacle d'un lieu éloigné , on voit le feu se propager de tous côtés avec une extrême vitesse. Si cette matière liquide vient à rouler dans quelque fleuve, elle se gèle et s'endurcit, de sorte qu'on peut à peine l'ébranler avec des le- viers; et l'on emploie fort souvent plusieurs jours pour la tirer de l'eau où elle s'est. précipitée. En vain j'entreprendrais de vous donner des raisons de tous ces phénomènes et de vous en dé- velopper les causes, si vous vous arrêtez encore aux fables des poëtes, ou si vous croyez qu'une autre matière, fondue par lés feux de l'Etna, se mêlant avec la pierrre à meule, lui communique ses propriétés, et que le soufre joint au bitume produit seul ces embrasements. Une preuve qu'il n'y à point ce mélange dé matières, c'est que la montagne, après avoir jeté de la pierre à meule, vomit séparément de la craie brûlée aussi voit-on, dans le voisinage, des ouvriers en argile, lesquels emploient' cette craie, qui, con- densée ensuite par le froid, reprend sa première dureté. 'Ces raisonnements, direz-vous, sont vagues et sans fondement : je vais donc vous don- ner des preuves plus certaines de ce que j'avance. Comme l'airain, avant d'avoir passé par le feu ou après avoir été fondu, conserve sa nature et ne permet pas de douter qu'il ne soit toujours le même métal, de même la pierre à meule, soit après avoir été liquéfiée par les flammes, soit avant qu'elle ait reçu aucune atteinte, jouit tou- jours des mêmes propriétés, et l'on voit à sa sur- face des marques du feu qu'elle contient. D'ail- leurs la violence de l'incendie ne lui ôte rien à l'extérieur; elle ne perd ni sa couleur, ni son odeur, ni son poids; et quoique fragile alors, elle a ton- jours 'les mêmes qualités et présente aux yeux le même aspect. Je conviens cependant qu'il y a d'autres pierres qui sont de nature à s'embraser par le feu qu'elles renferment: c'est leur propriété particulière. Les Siciliens ont donné à ces pierres le nom de polissoires. Ils veulent aussi faire en- tendre par ce nom même qu'elles ont la propriété de se fondre. Elles ne se fondent pourtant jamais, quoiqu'elles contiennent une grande quantité de suc, à moins qu'elles ne se trouvent mêlées dans des veines de la pierre à meule. Si quelqu'un est surpris de la propriété qu'a cette pierre de se fondre, qu'il lise un traité an- cien, plein de vérités, quoique obscur, et il ap- prendra que rien ne résiste à la force du feu, qui est le premier principe de toutes choses. Au fond, cela ne doit pas paraître si surprenant, puisque les corps les plus denses et les moins poreux sont dissous par le feu. Ne voit-on pas la dureté du bronze céder à la violence des flammes et le feu liquéfier même le fer, plus dur 'encore que tout cela? Lorsque les pierres les plus dures, dans les veines desquelles se trouve de l'or, sont mises dans un fourneau, n'en voit-on pas couler ce précieux métal? Il y a peut-être d'autres pierres cachées dans le sein de la terre giron ne connaît point, et qui ont la même propriété. Il n'est pas nécessaire d'employer ici les subtilités du rai- sonnement; les yeux seuls suffisent pour s'ins- truire. En effet, cette pierre, naturellement très- dure, résiste lorsqu'on veut la brûler à l'air et à un petit feu. Mais qu'on l'enferme dans une four- naise ardente, elle ne se roidit plus contre le feu , et elle cède à sa violence jusqu'à s'amollir et deve- nir enfin liquide. Croyez-vous qu'on puisse aug- menter par quelque nouvelle invention la vio- lence de ce feu, pour la rendre égale à celui des fournaises de l'Etna, que tiennent allumées des flammes éternelles? Ce feu a bien plus de véhé- mence que celui qui sert à notre usage; il tient de la nature des feux célestes, ou de celui de la foudre dont Jupiter est armé. Le souffle d'un grand veut, resserré dans des canaux étroits, ajoute encore à sa violence; comme des forge- rons, qui travaillent des barres de fer à coups de marteau redoublés; donnentplus d'activité au feu de leurs forges à l'aide des soufflets qu'ils agitent violemment. Pour tout dire en un mot, telle est la véritable cause des incendies du fameux Etna. La terre attire dans son sein des vents qui, pres- sés dans des cavités étroites, deviennent si impé- tueux, qu'ils peuvent embraser d'immenses ro- chers. On va voir avec empressement des bâtiments magnifiques, des temples ornés des richesses des hommes, des statues de marbre, ou des monu- ments antiques; on traverse, dans ce but, et la terre et les mers; on court vers des ruines qui vont disparaître, tant nous respectons lafabuleuse antiquité! Tantôt l'on se plaît à visiter les mu- railles de Thèbes, dont Ogygès fut le premier roi, et les tombeaux des deux frères, dont l'un fut berger, et dont l'autre, si habile à jouer de la lyre, a transmis à là postérité son nom et celui de son frère, à cause des murs de Thèbes qu'il fonda. On assiste avec bonheur à ces scènes d'un autre âge; on voit avec étonnement les pierres qui, attirées par l'harmonie des vers et de la lyre d'Amphion, se placèrent elles-mêmes de manière à former les murs de cette fameuse ville; nous considérons avec le même étonnement la flamme qui, en consumant les corps des frères ennemis, se divisa en deux parties. Nous admirons l'his- toire des sept capitaines, et de celui que la terre engloutit. La Laconie et les lois de Lycurgue ar- rêtent à Sparte notre curiosité: là nous admirons ces armées des Lacédémoniens qui observaient avec tant d'exactitude la discipline militaire. Ici Athènes, cette fameuse ville que plusieurs poètes ont rendue illustre, et qui se glorifie encore de la protection de la victorieuse Minerve, oecupo notre esprit. C'est là, perfide Thésée, que tu ou- blias de mettre des voiles blanches à ton vaisseau, pour rassurer un père plein de tendresse. Quant à toi, Érigone, qui attiras sur Athènes le mal- heur dont elle fut affligée, tu es maintenant un astre éclatant. Ta postérité, ô Philomèle; fait sort séjour ordinaire dans les forêts, qui retentissent de ses chants; ta sueur habite sous les toits des maisons, et le barbare Térée est errant dans les déserts. Nous allons visiter les ruines de Troie et ses forteresses, qui contèrent tant de larmes aux vaincus, après la perte d'Hector, dont nous voyons le tombeau, peu digne d'un si grand ca- pitaine : celui d'Achille n'est pas loin de là, ni celui du vengeur d'Hector. Les statues et les ta- bleaux des peintres de la Grèce charment encore nos regards : ici l'art nous représente Vénus sor- tant de l'onde : là de petits enfants qui rouent sous le glaive de Médée : c'est tantôt Agamem- non le visage couvert d'un voile, et tous les gé- néraux de (armée des Grecs accablés de tristesse devant l'autel de Diane, avant que la Triche ent été envoyée; nous admirons enfin la vache de Myron, qui passa pour vivante, et qui lui acquit tant de gloire. Non-seulement la beauté, mais aussi le nombre de ces ouvrages, arrêtent les yeux des spectateurs. Vous vous croyez obligés d'aller voir toutes ces choses, malgré les dangers du voyage et sur terre et sur mer : considérez legrand ouvrage de la nature dans les phénomènes du mont Etna, et vous ne verrez nulle part de spectacle sembla- ble; surtout si vous le regardez vers le temps du lever de la canicule. Ce qu'on en raconte est encore plus surprenant , et il faut que ses flam- mes aient autant de respect pour la piété, qu'el- les ont de fureur et d'éclat. Un jour, le feu de cette montagne, après avoir renversé tous les obstacles et brisé toutes les digues qui s'oppo- saient à son passage, sortait avec violence et se répandait de tous côtés. Ce torrent, aussi prompt que la foudre, quand Jupiter en courroux la lance à travers les nuages qui obscurcissent le ciel, portait partout le ravage et la désolation. Les moissons et tous les lieux cultivés d'alentour, les maisons, les forêts, et les collines couvertes de verdure, tout était la proie de ce terrible fléau. Les flammes avaient à peine commencé à se répandre, que Catane se sentit agitée d'un violent tremblement de terre, et que l'incendie avait déjà pénétré dans la ville. Chacun tàche alors, selon ses forces et son courage, d'arra- cher ses richesses à la fureur du feu. L'un gé- mit sous le pesant fardeau de son argent; l'au- tre est si troublé qu'il prend ses armes , comme s'il voulait combattre un tel ennemi. Celui-ci, accablé sous le poids de ses richesses, peut-ëtre acquises par ses crimes, ne peut avancer, tan- dis que le pauvre, chargé d'un fardeau plus lé- ger, court avec une extrême vitesse; enfin cha- cun fuit, chacun emporte ce qu'il a de plus précieux; mais tous ne peuvent pas également le sauver. Le feu dévore les plus lents, et ceux qu'une sordide avarice a retenus trop longtemps; tel qui croit avoir échappé à la fureur (le l'incen- dii~ en est atteint, et perd en un moment ses ri- chesses et le fruit de ses peines. Ces précieuses dé- pouilles deviennent la proie des flammes , dont la fureur épargne seulement ceux que la piété anime, tels qu'Amphinomus et son frère, qui portaient tous deux avec un courage égal un bien précieux fardeau. Comme le feu gagnait déjà les maisons voisines, ils aperçoivent leur père et leur mère, accablés de vieillesse et d'infirmités et se sou- tenant à peine, à la porte de leur maison, où ils s'étaient trainés; ces deux enfants courent à eux , les prennent , et se partagent ce fardeau , sous lequel ils sentent augmenter leurs forces. Foule avare, épargne-toi la peine d'emporter tes trésors! jette les yeux sur ces deux frères, qui ne connaissent d'autres richessesque leurpère et leur mère. Ils enlèvent ce trésor et marchentà travers les flammes, comme si le feu leur avait promis de les épargner. Oui, la piété filiale est la plus grande de toutes les vertus, et celle qui doit être la plus chère aux hommes! les flammes la res- pectent dans ces jeunes gens, et, de quelque côté qu'ils tournent leurs pas, elles se retirent. Jour heu reux, terre fortunée ! quoique l'incendie exerce: (le tous côtés sa fureur, les deux frères traversent les flammes comme en triomphe. Ils échappent l'un et l'autre, sous ce pieux fardeau, à la vio- lence du feu, qui modère sa rage autour d'eux. Enfin ils arrivent, avec leurs dieux tutélaires, en un lieu sûr, sans avoir éprouvé aucun mal. Les poëtes ont chanté leurs louanges. Après leur mort, Pluton, voulant que leur mémoire fùt à ja- mais célébrée, ne les confondit point parmi les ombres: ce saint couple de frères ne subit pas la destinéedu commun des hommes; ils jouissent de bienheureux séjour réservé à la piété filiale.