[4,0] LIVRE IV. DE LA VRAIE SAGESSE ET DE LA VRAIE RELIGION. [4,1] I. Quand je considère, empereur Constantin, l'état des premiers temps, et que je vois que la folie d'un siècle a répandu de si épaisses ténèbres sur l'esprit des hommes qui ont vécu dans les siècles suivants, qu'ils se sont oubliés eux-mêmes jusqu'à chercher sur la terre l'objet de leur culte et de leur bonheur, au lieu de le chercher dans le ciel, je n'en conçois pas moins d'indignation que d'étonnement : ce monstrueux dérèglement a changé leur félicité en disgrâce, lorsque abandonnant Dieu, l'auteur de toutes les créatures, ils ont commencé à adorer les ouvrages de leurs mains. En se détournant du souverain bien, sous prétexte qu'il ne peut être vu, touché ni compris, et en s'éloignant de la pratique des vertus par lesquelles ils le pouvaient posséder, ils ont recherché des dieux corruptibles et fragiles, et, n'ayant soin que des choses qui peuvent servir à parer, à nourrir et à réjouir le corps, ils sont tombés dans une mort éternelle. Leur superstition a été accompagnée d'injustice et d'impiété; car ayant tourné leur esprit aussi bien que leur visage vers la terre au lieu de les tourner vers le ciel, ils se sont attachés à des religions et à des biens qui n'ont rien que de terrestre. C'est de là que sont venues les querelles et les guerres, la mauvaise foi, et tous les crimes que la mauvaise foi traîne après elle. Les hommes ont méprisé les biens éternels et incorruptibles, pour jouir des biens temporels et périssables, et ont préféré le mal présent au bien à venir. Voilà comment, après a voir joui de la lumière, ils ont été enveloppés de ténèbres, et ce qui est plus étonnant, voilà comment ils ont commencé à se faire appeler sages aussitôt qu'ils ont perdu la sagesse. Personne ne s'attribuait ce nom au temps auquel tout le monde le méritait. Plut à Dieu que, maintenant qu'il est si rare, au lieu qu'autrefois il était si commun, ceux qui le prennent sussent ce qu'il signifie ! ils pourraient peut-être, par leur esprit, par leur autorité et par leurs conseils, retirer le peuple des erreurs et des vices où il est engagé. Mais ils sont tous fort éloignés de la sagesse, et la vanité avec laquelle ils en prennent le nom ne montre que trop qu'ils n'en ont pas l'effet. Avant néanmoins que la philosophie commune dont on parle tant fût inventée, on dit qu'il y a eu sept hommes qui, pour avoir recherché les premiers les secrets de la nature, ont mérité d'être appelés sages. Oh ! le malheureux siècle où il ne s'est trouvé que sept hommes ! car nul n'est homme s'il n'est sage. Si tous les autres ont été fous, ces sept-là n'ont pas été sages, parce que pour l'être en effet, il ne le faut pas être selon le jugement des fous. Tant s'en faut qu'ils aient été sages, que, dans les siècles suivants, où les sciences ont fait de notables progrès et où elles ont été cultivées par d'excellents esprits, la vérité n'a pu être découverte! Depuis le temps de ces sept sages, les Grecs ont brûlé d'un désir incroyable d'apprendre, et au lieu néanmoins de s'attribuer le nom superbe de sages, ils se sont contentés de celui d'amateurs de la sagesse. Ainsi ils ont couronné la folie et l'orgueil des autres, et ont reconnu en même temps leur propre ignorance; car toutes les fois qu'ils ont trouvé de l'obscurité dans les questions qu'ils traitaient, et qu'ils ont vu que la nature se couvrait comme d'un voile pour les empêcher de pénétrer ses secrets, ils ont avoué franchement qu'ils ne voyaient rien ; en quoi ils ont sans doute été plus sages, en reconnaissant leur peu de lumières et de suffisance, que ceux qui se sont persuadés eux-mêmes de l'être. [4,2] II. Si les premiers qui ont pris le nom de sages ne l'ont pas été en effet, et si les seconds qui n'ont point fait difficulté d'avouer qu'ils ne l'étaient pas, ne l'étaient pas en effet, il s'ensuit nécessairement qu'il faut chercher ailleurs la sagesse. D'où vient que tant d'excellents esprits qui l'ont cherchée avec tant de soin, durant tant de siècles, ne l'ont put trouver, si ce n'est qu'ils l'ont cherchée hors des limites où elle se renferme? Ils ont fait divers voyages pour découvrir le pays où elle s'était retirée; elle est cependant quelque part, et il est évident que Dieu, par un ordre incompréhensible, a caché ce trésor sous l'apparence de la folie. Je me suis souvent étonné de ce que Pythagore et Platon, qui sont allés jusqu'en Egypte et en Perse pour apprendre les cérémonies et les mystères de la religion de ces pays-là, sous lesquels ils se doutaient que la sagesse était cachée, ne sont pas allés dans la Judée qui était plus proche d'eux et où ils pouvaient uniquement trouver la sagesse. Je me persuade qu'ils en furent détournés par la divine providence, de peur qu'ils ne connussent la vérité, parce que la justice de Dieu et la véritable religion devaient encore alors être cachées aux étrangers. Dieu avait résolu d'envoyer dans les derniers temps un grand maître, qui ôtât la vérité à la nation ingrate et perfide des Juifs pour la révéler aux autres. C'est ce que je me propose de faire voir dans ce livre-ci, après néanmoins que j'aurai montré la liaison directe qu'il y a entre la religion et la sagesse. [4,3] III. Le culte des dieux n'est nullement conforme à la sagesse, comme je l'ai fait voir dans le premier livre, non seulement parce qu'il abaisse au-dessous des créatures les plus terrestres l'homme, qui est descendu du ciel, mais aussi parce qu'il ne contient aucunes maximes qui servent à la réforme des mœurs et à la conduite de la vie; et qu'au lieu de se rapporter à la connaissance de la vérité, il ne se termine qu'à un ministère purement extérieur. Il n'appartient point à la véritable religion, parce qu'il ne donne aucun précepte de vertu et de justice, et ne nous rend point meilleurs. La philosophie ne nous conduisant pas à la religion, n'a garde de contenir la sagesse. Dieu, qui gouverne le monde et qui comble continuellement les hommes de ses bienfaits, veut qu'ils lui en rendent des actions de grâces: aussi n'y a-t-il ni piété, ni sagesse sans reconnaissance. La philosophie et la religion sont séparées parmi les païens ; ceux qui font profession de s'adonner à l'étude de la sagesse ne s'ingèrent point du service des dieux, et ceux qui sont employés au ministère des temples n'entreprennent point d'enseigner la sagesse. Il paraît par là qu'ils n'ont point de vraie sagesse ni de vraie religion. Voilà pourquoi leur philosophie n'a pu comprendre la vérité, et pourquoi leur religion n'a pu rendre raison de son culte, parce qu'il n'en a en effet aucune. Quand la sagesse et la religion sont unies, elles sont toutes deux véritables. Notre religion doit être éclairée; parce que nous sommes obligés de connaître ce que nous adorons ; mais notre connaissance doit aussi être agissante, c'est-à-dire qu'elle nous doit faire pratiquer le bien que nous connaissons. Mais où est-ce que la sagesse et la religion sont unies, si ce n'est où l'on n'adore qu'un Dieu, et où les prêtres qui lui offrent des sacrifices enseignent la sagesse ? Que personne ne doute de la vérité de ce que je dis, sous prétexte qu'il se peut faire, et qu'il est même peut-être arrivé, que les philosophes ont été prêtres des dieux. Alors la philosophie a été oisive durant l'exercice de la religion, et la religion est demeurée muette pendant que la philosophie a parlé. Cette religion-là est en effet muette, non seulement parce que les idoles qu'elle révère le sont, mais aussi parce que tout son exercice consiste dans les mains et non dans la langue ni dans le cœur comme celui de la notre. La sagesse est parmi nous dans la religion, et la religion dans la sagesse : elles ne se séparent point. Etre sage n'est autre chose que de rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Pour ce qui est du culte de plusieurs dieux, il est contraire à la nature, comme il est aisé de le prouver par cet argument. Dans les prières que l'homme fait à Dieu, il l'appelle père, et il en doit user ainsi non seulement par honneur, mais par raison, parce que Dieu est supérieur à l'homme, et qu'il lui donne la vie et les aliments qui la conservent. C'est donc pour cela que Jupiter, Saturne, Janus, Bacchus et les autres, sont appelés pères par ceux qui les prient, ce dont Lucilius se moque dans l'assemblée des dieux, comme d'une extravagance qui rendrait les dieux les pères communs de tous les hommes et tous les hommes les enfants communs de tous les dieux. Que s'il est contre la nature qu'un homme ait plusieurs pères, il est contre la nature et contre la piété qu'il adore plusieurs dieux; Il ne doit adorer que celui qu'il peut appeler véritablement son père et son seigneur. Dieu est père parce qu'il répand sur nous les biens en abondance; il est seigneur parce qu'il a un pouvoir absolu de nous châtier. Tout père est seigneur par le droit civil ; il ne pourrait élever ses enfants s'il n'avait sur eux un pouvoir absolu. C'est pour cela qu'on appelle père de famille ceux mêmes qui n'ont point d'enfants. Le nom de père s'étend jusqu'aux esclaves, et le nom de famille s'étend jusqu'aux enfants. Le même homme est le père de ses esclaves et le seigneur de ses enfants; il affranchit son fils de sa puissance aussi bien que ses esclaves, et un esclave affranchi prend le nom de son patron, de la même manière qu'un fils prend le nom de son père. On l'appelle père de famille pour marquer le double pouvoir qu'il a entre les mains, et pour l'avertir d'user quelquefois de l'indulgence d'un père, et quelquefois aussi de la rigueur d'un maître. L'esclave est comme le fils de son maître, et le maître est comme le père de son esclave. Comme par l'ordre de la nature on ne peut avoir qu'un père, on ne peut aussi avoir qu'un maître. Que ferait un serviteur qui aurait plusieurs maîtres, desquels il recevrait en même temps des commandements différents? Le culte de plusieurs dieux est donc également contraire à la raison et à la nature, puisque les dieux doivent être appelés et nos pères et nos seigneurs, et qu'il est impossible que nous en ayons plusieurs. L'homme ne peut arriver à la connaissance de la vérité, quand il a l'esprit partagé et qu'il obéit à plusieurs pères et à plusieurs maîtres. Une religion qui n'a point de demeure stable et certaine ne peut subsister. Le culte qui nous soumet à plusieurs dieux ne peut être véritable, non plus que le mariage qui lierait une femme à plusieurs hommes. Ce ne serait pas une femme légitime, ce serait ou une adultère ou une prostituée qui n'aurait ni pudeur, ni chasteté, ni fidélité, ni vertu. Ainsi la religion qui sert plusieurs dieux est une impudique et une infâme, qui n'a point de fidélité et qui ne leur rend point d'honneur certain ni solide. [4,4] IV. Ce que je viens de dire fait voir fort clairement, si je ne me trompe, combien la sagesse et la religion sont étroitement unies. La sagesse regarde les enfants et exige d'eux de l'amour. La religion regarde les serviteurs et exige d'eux de la crainte. Les premiers doivent avoir de l'amour pour leur père, et les seconds de la crainte pour leur maître. Nous devons de la crainte et de l'amour à Dieu, parce qu'il est tout ensemble et notre maître et notre père. Ce qui rend la sagesse et la religion inséparables, c'est que la sagesse fait connaître Dieu et que la religion le fait honorer. La sagesse précède, parce qu'il faut connaître Dieu avant que de lui pouvoir rendre l'honneur qui lui est dû. La sagesse et la religion, ne sont qu'une même chose, bien qu'elles paraissent différentes: l'une consiste dans la connaissance et l'autre dans l'action. Ce sont comme deux ruisseaux qui procèdent de Dieu comme d'une même source, et qui ne peuvent être séparés de lui sans être en même temps desséchés. Les hommes qui ont le malheur d'être séparés de lui par leur ignorance, n'ont ni sagesse, ni piété. Les philosophes qui adorent plusieurs dieux sont semblables à des enfants abdiqués qui n'aiment plus leur père, et à ces esclaves fugitifs qui ne servent plus leur maître. Mais comme ces enfants qui ont été abdiqués n'ont plus de part à la succession et que les esclaves qui se sont échappés ne sont pas assurés pour cela de l'impunité, ainsi ces philosophes n'ont point de part à l'immortalité, qui est en effet le souverain bien qu'ils recherchent et la succession que Dieu donne à ses enfants dans son royaume, et ne seront point exempts du châtiment éternel dont il punit l'infidélité et l'insolence de ceux qui refusent de lui rendre le service et le culte qu'ils lui doivent. Ceux qui ont adoré plusieurs dieux, et ceux même qui ont fait profession de sagesse, n'ont connu Dieu ni en qualité de père, ni en qualité de maître; les uns ont cru qu'il ne fallait rien adorer ; les autres ont suivi la religion du peuple. Ceux qui ont reconnu l'unité de Dieu, comme Platon qui a déclaré qu'il n'y a qu'un Dieu qui a fait le monde, et comme Cicéron qui a dit que Dieu a produit l'homme d'une manière particulière, ne lui ont pas rendu le culte qu'ils lui devaient comme à leur père et comme à leur maître, non seulement la pluralité des dieux fait voir, comme je l'ai déjà dit, qu'ils ne peuvent être ni nos pères, ni nos maîtres, mais la raison en peut convaincre avec une entière évidence, parce qu'il ne paraît point que les dieux aient fuit l'homme, ni qu'ils aient été avant le temps auquel il a été fait. Il est certain qu'il y avait des hommes sur la terre avant que Vulcain, que Bacchus, qu'Apollon et que Jupiter fussent nés. On n'a pas même la coutume d'attribuer ni à Saturne, ni à Cœlus son père, la formation de l'homme. Que si nul de ceux que l'on adore n'a formé l'homme, nul ne peut être appelé ni son père, ni son Dieu. Il n'est donc point permis de révérer ceux qui n'ont pu faire l'homme, qui n'a pu être fait que par un seul, et il ne faut révérer que celui qui a précédé Jupiter et Saturne, et qui est avant le ciel et la terre. Il n'y a que celui-là qui ait pu faire l'homme. Il n'y a que lui qui doive être appelé son père et son maître ; il n'y a que lui qui le gouverne avec un droit absolu de vie et de mort. Quiconque ne l'adore pas est un esclave insensé, qui ne connaît pas son maître et qui s'est échappé d'entre ses mains, ou un fils impie qui fuit en la présence de son père. [4,5] V. Il est temps de traiter de la religion et de la sagesse, après avoir montré, comme j'ai fait, qu'elles ne peuvent se séparer. Je n'ignore pas combien il est difficile de parler des choses du ciel. Il faut néanmoins entreprendre d'éclaircir la vérité, afin que ceux qui la méprisent et qui la rejettent, parce qu'elle leur paraît pleine de folie, soient délivrés de l'erreur et évitent le danger où ils sont de périr. Mais, avant que de parler de Dieu et de ses ouvrages, je suis obligé de dire quelque chose des prophètes, dont je ne puis me dispenser de rapporter ici les témoignages, comme je m'en suis dispensé dans les livres précédents. Quiconque désire s'instruire de la vérité doit non seulement s'efforcer de pénétrer le sens de leurs paroles, mais encore examiner avec soin le temps qu'ils ont vécu, pour savoir ce qu'ils ont prédit et combien d'années se sont écoulées depuis leurs prédictions jusqu'à l'accomplissement qui les a suivies. Il n'y a pas grande difficulté à distinguer les temps de la sorte, parce que chaque prophète a marqué le règne sous lequel il a été inspiré par l'esprit de Dieu. On a outre cela entre les mains une quantité de livres, de chroniques qui commencent au temps de Moïse, qui a vécu près de neuf cents ans avant la guerre de Troie. Il gouverna durant quarante années le peuple Juif et eut pour successeur Josué, qui le gouverna vingt autres années. Ce peuple fut ensuite sous la conduite de juges pendant trois cents soixante-dix ans. Ils changèrent après cela la forme de leur gouvernement et obéirent à des rois. Ils vécurent de la sorte l'espace de quatre cent soixante ans, jusqu'au règne de Sédéchias, sous lequel ils furent emmenés captifs à Babylone où ils demeurèrent soixante-dix ans, jusqu'à ce que Cyrus, qui régnait parmi les Perses au même temps que Tarquin le Superbe régnait parmi les Romains, daigna les rétablir dans leur pays. Ainsi il est aisé de trouver dans les histoires des Juifs, des Grecs et des Romains la suite des temps, et de marquer précisément celui de chaque prophète. Il est constant que Zacharie, le dernier de tous, a écrit ses prophéties au huitième mois de la seconde année du règne de Darius ; et partant, les prophètes sont plus anciens que tous les auteurs grecs. Je dis tout ceci à dessein de faire en sorte que ceux qui, ne sachant point l'origine de notre religion, ont la témérité de mépriser l'Écriture sainte, comme si elle était fort nouvelle, reviennent de leur égarement. Je ne doute point que quiconque prendra la peine de faire un calcul exact des temps ne reconnaisse la vérité et ne renonce à l'erreur. [4,6] VI. Avant que Dieu commençât à travailler au merveilleux ouvrage de l'univers, il engendra un esprit saint, incorruptible et irrépréhensible, qu'il appela son fils. Bien qu'il ait créé depuis quantité d'autres esprits, que nous appelons des anges, il n'a donné le nom de Dieu qu'à ce premier-né, qui lui est égal en grandeur et en puissance, non seulement les prophètes s'accordent à publier que Dieu a un fils qui possède un pouvoir infini, mais Trismégiste et les sibylles le témoignent. Voici comment Trismégiste en parle dans un livre qui a pour titre : Discours parfait. « Le Seigneur et le Créateur de l'univers, que nous avons coutume d'appeler Dieu, a fait un Dieu visible et sensible. Quand je l'appelle visible et sensible, je n'ai pas l'intention de faire croire qu'il tombe sous les sens, je veux seulement marquer que c'est de lui que procède le sentiment et l'intelligence. Dieu l'a produit le premier comme son Fils unique; il l'a fait paraître comme le plus grand de tous les biens, et l'a aimé comme sa chère production. » La sibylle Erythrée l'appelle le chef et le général des hommes, le conducteur et le gardien des fidèles. Une autre sibylle enseigne qu'il n'y a rien de si nécessaire que de le connaître comme Dieu, et comme Fils naturel et légitime de Dieu. C'est le même Fils de Dieu qui, parlant par la bouche de Salomon, le plus sage de tous les rois, et rempli du Saint-Esprit, a rendu de lui-même ce témoignage : « Le Seigneur m'a possédé au commencement de ses voies; avant qu'il créât aucune chose, j'étais dès lors. J'ai été établi dès l'éternité et dès le commencement, avant que la terre fût créée; les abîmes n'étaient point encore, lorsque j'étais déjà conçu; les fontaines n'étaient point encore sorties de la terre; la pesante masse des montagnes n'était pas encore formée; j'étais enfanté avant les collines. Il n'avait pas encore créé la terre, ni affermi le monde sur ses pôles. Lorsqu'il préparait les cieux, j'étais présent ; lorsqu'il environnait les abîmes de leurs bornes, et qu'il leur prescrivait une loi inviolable; lorsqu'il affermissait l'air au-dessus de la terre, et qu'il dispensait dans leur équilibre les eaux des fontaines; lorsqu'il renfermait la mer dans ses limites, qu'il imposait une loi aux eaux, afin qu'elles ne passassent point leurs bornes ; lorsqu'il posait les fondements de la terre, j'étais avec lui, et je réglais toutes choses. J'étais chaque jour dans les délices, me jouant sans cesse devant lui, me jouant dans le monde. » Trismégiste l'a appelé l'ouvrier, et la sibylle l'a appelé le conseiller de Dieu, parce qu'il a reçu une si grande sagesse et une si grande puissance de son père, qu'il s'est servi et de son conseil et de ses mains quand il a voulu faire le monde. [4,7] VII. Quelqu'un demandera peut-être en cet endroit le nom de ce fils, si puissant et si chéri de Dieu, qui non seulement est avant le monde, mais qui l'a créé par sa force infinie, et en a rangé les parties en ordre par sa sagesse. La première leçon que nous devons apprendre à cet égard, est que son nom n'est connu que de lui et de Dieu son père, et qu'il ne l'est point des anges qui sont dans le ciel, et qu'il ne sera point déclaré, selon que l'Écriture le témoigne, que les desseins de Dieu n'aient été entièrement accomplis. Trismégiste assure que ce nom-là ne peut être prononcé par la bouche d'un homme ; voici ses paroles : « La volonté de ce bien divin est le principe de ce principe; c'est elle qui a produit un Dieu dont le nom ne peut être prononcé par la bouche d'un homme. » Et, un peu après, il ajoute ce qui suit : « On ne saurait expliquer, ô mon fils ! la sagesse de Dieu ; son nom est au-dessus de toutes les paroles des hommes, » Mais quoique le nom que le père lui a donné dès le commencement ne soit point connu, il en a néanmoins un autre parmi les anges, et un autre parmi les hommes. Il a parmi les hommes le nom de Jésus ; celui de Christ n'est pas un nom propre, c'est une marque de puissance et de royauté, et c'est ainsi que les Juifs appellent leurs rois. Je crois devoir l'expliquer, à cause de ceux qui le corrompent par ignorance, et qui, en changeant une lettre, disent Chrest au lieu de Christ. Les Juifs avaient reçu ordre de faire un baume pour sacrer ceux qui étaient élevés à la dignité soit sacerdotale, soit royale. Ce sacre était autrefois parmi eux une marque de la souveraine puissance, comme la pourpre en est une aujourd'hui parmi les Romains. Les anciens Grecs se servaient du verbe g-chriesthai, pour signifier l'onction du sacre, comme leurs descendants se sont servis depuis de celui d'g-aleiphesthai. Homère en rend témoignage, en exprimant dans ses poésies la manière dont cette cérémonie s'observait. C'est pour cela que nous appelons le Fils de Dieu Christ, c'est-à-dire oint, et en hébreu Messie. On trouve g-ehleimenos dans quelques livres grecs mal traduits de l'hébreu. De quelque mot que l'on se serve, il est certain que l'on ne désigne point qu'il soit roi de la terre, parce que le temps de prendre possession de ce royaume-là n'est pas encore arrivé ; mais on marque qu'il est roi d'un royaume céleste et éternel, dont je parlerai dans le dernier livre de cet ouvrage. Maintenant je dirai quelque chose de sa première naissance. [4,8] VIII. Nous déclarons d'abord qu'il a deux naissances, l'une spirituelle et l'autre corporelle. C'est pour cela que le prophète Jérémie a dit ces paroles : « Je vous connaissais avant que de vous avoir formé dans mon sein; » et ces autres: « Il était heureux avant que d'être né. » Il est certain que ni les unes ni les autres ne peuvent convenir à d'autre qu'à Jésus-Christ qui, étant Fils de Dieu dès le commencement, a reçu dans le temps une seconde naissance selon la chair. La confusion que plusieurs ont faite de ces deux naissances les a extrêmement embarrassés, bien qu'ils eussent été instruits de nos mystères. Je les distinguerai si clairement que personne ne pourra plus s'y tromper. Quiconque entend nommer le Fils de Dieu, ne doit pas s'imaginer qu'il l'ait engendré avec une femme à la manière des animaux. Dieu étant seul ne pouvait se joindre à personne, et étant tout-puissant il n'avait besoin ni de compagnie ni de secours pour produire un fils. Croirons-nous avec Orphée qu'il était tout ensemble et mâle et femelle, et que s'il n'avait eu les deux sexes il n'aurait pu engendrer son semblable? Trismégiste semble avoir été dans ce même sentiment, quand il a appelé Dieu père et mère de soi-même. Si cela était véritable, les prophètes n'auraient pas manqué de l'appeler mère, comme ils n'ont pas manqué de l'appeler père. Comment est-ce donc qu'il a engendré son fils. Il faut avouer d'abord que les œuvres de Dieu ne peuvent être ni comprises ni expliquées. L'Écriture nous enseigne pourtant que le Fils de Dieu est son verbe, et que les anges sont son esprit et son souffle. Le Verbe est un souffle mêlé avec des paroles qui signifient quelque chose. Mais parce que le souffle sort du nez, et que la parole sort de la bouche, il y a grande différence entre le Fils de Dieu et les anges. Les anges sont sortis de Dieu comme un souffle sans qu'il ait prononcé aucune parole, parce qu'ils n'étaient destinés qu'à l'exécution de ses ordres, et non à la publication de sa doctrine. Mais le fils est sorti de la bouche de son père, et comme un souffle, parce qu'il est pur esprit, et comme une parole, parce qu'il devait faire entendre aux hommes les volontés de Dieu, et leur révéler les mystères. C'est pour cela qu'on l'appelle et parole et verbe; c'est un souffle mêlé de voix que Dieu a conçu non dans son sein, mais dans son esprit, et qu'il a poussé de sa bouche tout rempli et tout animé de la grandeur et de la majesté de sa sagesse et de sa puissance. Il a aussi fait, comme je l'ai dit, les anges de son souffle. Le souffle des hommes se dissipe en un moment, parce que les hommes sont sujets à la mort ; mais le souffle de Dieu subsiste et conserve la vie et le sentiment, parce que Dieu est immortel et qu'il donne le sentiment et la vie. Bien que nos paroles se dissipent et se perdent en l'air lorsque nous les prononçons, elles se conservent néanmoins par l'écriture quand nous les attachons à des caractères sensibles. Il y a beaucoup plus de sujet de croire que la parole de Dieu demeure éternellement, et qu'elle conserve toujours le sentiment et la force qu'elle a reçue de lui, comme un ruisseau reçoit son eau de sa source. Que si quelqu'un s'étonne qu'un Dieu ait engendré un Dieu, en poussant son souffle et en prononçant sa parole, il cessera de s'étonner quand il aura lu les livres des prophètes. Peut-être que plusieurs personnes qui n'ont jamais rien lu de l'Écriture ne laissent pas de savoir que David et Salomon son fils ont été deux puissants rois, qui ont joint à la souveraine puissance le don de la prophétie. Le dernier a vécu cent quarante ans avant la ruine de la ville de Troie. David son père dit dans le psaume trente-deuxième ce qui suit : « Les cieux ont été formés par sa parole, et toute leur beauté par le souffle de sa bouche. » Et dans le psaume quarante-quatrième, il dit : « Mon cœur, dans l'ardeur qu'il ressent, prononce une bonne parole; et c'est pour la gloire du Roi que je compose ce cantique". Il témoigne par ces paroles que les œuvres de Dieu ne sont connues à nul autre qu'a son fils, qui est son verbe et qui régnera éternellement. Salomon déclare que le verbe a travaillé à la création du monde quand il dit : « Je suis sorti avant toute créature de la bouche du très Haut. J'ai fait lever dans le ciel une lumière qui luit toujours. J'ai enveloppé la terre d'un nuage. J'ai habité dans les lieux hauts, et j'ai mis mon trône sur une colonne de nuée. » Saint Jean l'évangéliste en parle aussi en ces termes; « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu. Il était au commencement en Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui. » [4,9] IX. Les Grecs l'appellent g-logon et ce terme-là est plus propre que celui de parole ou de verbe dont nous nous servons, parce qu'il signifie non seulement la parole, mais aussi la raison. Or le Fils de Dieu est la raison et la sagesse de son père, aussi bien que sa parole. Cette parole divine n'a pas été tout à fait inconnue aux philosophes. Zénon dit qu'elle a créé l'univers et rangé en ordre les parties qui le composent. Il l'appelle destinée, nécessité de Dieu, et esprit de Jupiter. Mais il ne faut point faire de difficulté sur les termes, puisque le sens est conforme à la vérité. Ce qu'il appelle l'esprit de Jupiter, c'est l'esprit de Dieu. Trismégiste qui a découvert, je ne sais comment, presque toutes les vérités, a décrit en plusieurs endroits la force et la majesté du Verbe, comme il paraît par le passage que j'ai cité, où il déclare que c'est une parole qui ne peut être expliquée par la bouche des hommes. J'ai parlé le plus brièvement et le mieux qu'il m'a été possible de la première naissance du Fils de Dieu. Je parlerai maintenant un peu plus au long de la seconde, touchant laquelle de notables difficultés existent, et je tâcherai de porter la lumière devant ceux qui cherchent la vérité. [4,10] X. Il n'est permis à personne d'ignorer le décret que Dieu a porté dès le commencement, d'envoyer vers la fin des siècles son verbe sur la terre, afin qu'il y élevât un temple, et qu'il y enseignât la justice, et de l'envoyer non avec la force et avec le pouvoir d'un ange, mais sous la figure d'un homme, et dans un corps mortel, afin qu'après qu'il aurait publié sa doctrine, il fût livré aux impies, il souffrit la mort, il en triomphât, et que par sa résurrection il donnât l'espérance de l'immortalité aux hommes dont il avait pris la nature. Pour faire connaître à tout le monde cet ordre merveilleux des desseins de Dieu, je montrerai que tout ce qui a été accompli par Jésus-Christ avait été prédit par les prophètes. Que personne n'ajoute foi à mes paroles, qu'après que j'aurai prouvé, d'une manière invincible, que les prophètes avaient prédit que le Fils de Dieu naîtrait comme un homme, qu'il ferait des miracles, qu'il établirait le culte de son père sur toute la terre, qu'il serait crucifié, et qu'il ressusciterait trois jours après. Quand j'aurai prouvé toutes ces choses par les livres de ceux-là mêmes qui ont outragé leur propre Dieu couvert d'un corps mortel, ne sera-t-il pas évident que la véritable sagesse ne se trouve que dans la religion que nous pratiquons? Je suis obligé d'expliquer ici ce mystère, et de le reprendre dès son origine. Nos ancêtres, les chefs des Hébreux, étant pressés de la famine et d'une disette de vivres allèrent en Egypte pour y acheter du blé, et y gémirent longtemps sous le joug d'une insupportable servitude, jusqu'à ce que Dieu, ayant pitié de leur misère, les en délivra après trois cent trente ans par le ministère de Moïse, dont il se servit encore pour leur donner la loi. Dieu fit éclater dans cette délivrance sa majesté et sa grandeur, en envoyant un ange qui sépara la mer et fit passer le peuple à travers, de sorte que l'on pouvait dire alors, plus véritablement que le poète n'a dit en une autre occasion, que : "Les eaux s'étaient élevées et étaient escarpées comme une montagne". Le roi d'Egypte ayant eu la témérité de les poursuivre, fut enseveli avec son armée sous les flots qui avaient repris leur place. Les Hébreux virent dans le désert des miracles fort surprenants. Moïse, frappant une roche avec sa baguette, en fit sortir une source d'eau qui désaltéra tout le peuple : Dieu fit pleuvoir une manne miraculeuse qui le rassasia ; et pour le traiter avec pus de délicatesse et plus de magnificence, il lui envoya sur les ailes des vents des cailles jusque dans son camp. Mais, au lieu de reconnaître ses bienfaits et de lui en rendre de très humbles actions de grâce, dès qu'ils furent délivrés de la captivité, de la soif et de la faim, ils s'abandonnèrent à la débauche, et tombèrent dans les superstitions et dans les impiétés des Égyptiens. Pendant que Moïse était sur la montagne où il demeura quarante jours, ils élevèrent la tête du veau qu'ils appelèrent Apis, pour la porter devant eux. Dieu punit très rigoureusement leur impiété et leur ingratitude, et les assujettit à l'observation de la loi qu'il leur donna par le ministère de Moïse. Lorsqu'ils se furent établis dans une partie déserte de la Syrie, ils quittèrent le nom d'Hébreux pour prendre celui de Juifs, du nom de Judas l'un de leurs chefs. Ils furent d'abord gouvernés par des juges, qui ne changeaient pas chaque année comme les consuls de Rome, mais qui exerçaient cette fonction leur vie durant. Le peuple tomba plusieurs fois dans l'idolâtrie durant ces temps-là, et fut réduit sous la puissance de ses ennemis, jusqu'à ce qu'ayant conçu un sérieux repentir de ses crimes, Dieu eut la bonté de le remettre en liberté. Lorsque ensuite ils furent commandés par les rois, ils s'attirèrent des guerres, et ils furent vaincus et menés captifs à Babylone, où ils souffrirent tous les mauvais traitements que méritait leur impiété, jusqu'à ce que Cyrus, étant monté sur le trône de Perse, daigna les rétablir. Ils furent après cela gouvernés par des tétrarques jusqu'à Hérode, qui vécut au temps du règne de Tibère, en la quinzième année duquel les Juifs crucifièrent Jésus-Christ sous le consulat des deux Geminius, le vingt-deuxième jour du mois de mars. Voilà l'ordre des temps, tel que l'Écriture sainte le décrit. Maintenant, pour découvrir le fondement de notre religion, je dirai le sujet pour lequel le Fils de Dieu est descendu sur la terre. [4,11] XI. Pendant que les Juifs méprisaient les commandements de Dieu et qu'ils violaient sa loi en se prosternant devant les idoles des étrangers, il choisissait d'excellents hommes dont il animait le zèle et dont il remuait la langue, pour faire qu'ils reprochassent à ce peuple son ingratitude, qu'ils l'exhortassent à l'expier par une sérieuse pénitence, et qu'ils le menaçassent que, s'il n'apaisait promptement sa colère, il changerait son testament, c'est-à-dire qu'il donnerait la succession de la vie immortelle et bienheureuse à une autre nation plus fidèle qu'il assemblerait d'entre les païens. Les Juifs ne se contentèrent pas de mépriser les avertissements des prophètes, ils s'offensèrent de la généreuse liberté avec laquelle ils reprenaient leurs crimes, et inventèrent de nouveaux supplices pour les faire mourir, comme les livres sacrés le témoignent. « Je vous ai envoyé les prophètes mes serviteurs, dit Dieu par la bouche du prophète Jérémie, je vous les ai envoyés avant le jour, et vous ne les avez pas écoutés. Vous bouchiez vos oreilles, lorsque je vous disais : que chacun de vous se convertisse en quittant ses mauvaises voies, et en renonçant à ses inclinations corrompues, et vous habiterez dans cette terre que je vous ai donnée à vous et à vos pères jusqu'à la fin des siècles. Ne courez pas après des dieux étrangers, et ne m'excitez pas, par le culte que vous rendez à l'ouvrage de vos mains, à vous châtier et à vous perdre. » Le prophète Esdras, qui a vécu au temps de Cyrus, qui permit aux Juifs de retourner en leur pays, parle de cette sorte : « Ils se sont éloignés de vous; ils ont rejeté votre loi et tué vos prophètes qui les conjuraient de revenir à vous. » Elie s'écrie dans le troisième livre des Rois : « Je suis transporté du zèle du Seigneur tout-puissant, parce que les enfants d'Israël vous ont abandonné, qu'ils ont abattu vos autels, et qu'ils ont fait mourir vos prophètes, tellement que je suis demeuré seul, et qu'ils me cherchent encore pour me mettre à mort. » Dieu, ayant réprouvé les Juifs en punition de ces impiétés, et ayant cessé de leur envoyer des prophètes, a fait descendre du ciel son premier-né, son fidèle conseiller, qui a travaille à la création de l'univers, afin qu'il portât la religion aux nations, qu'il fit connaître Dieu à ceux qui ne le connaissaient point, et qu'il leur enseignât la justice que le peuple ingrat et perfide des Juifs avait rejetée. Dieu les avait avertis auparavant qu'il les traiterait avec cette rigueur, et le prophète Malachie l'avait marqué très clairement par ces paroles : » Vous ne m'êtes point agréables, dit le Seigneur, et je ne recevrai point de sacrifice de vos mains ; mon nom sera glorifié parmi les nations depuis l'orient jusqu'à l'occident. » Le prophète David dit encore dans le psaume seizième: « Vous m'établirez comme chef des nations; le peuple que je ne connaissais pas me servira. » Isaïe dit: « Je viens pour recueillir toutes leurs œuvres et toutes leurs pensées, et pour les assembler avec tous les peuples de quelque pays et de quelque langue qu'ils puissent être. Ils comparaîtront tous devant moi et ils verront ma gloire. Dieu ayant donc résolu d'envoyer sur la terre celui qui devait tracer le plan de son temple, ne voulut pas l'envoyer environné de puissance et de gloire, afin que le peuple qui, par son ingratitude, s'était éloigné de son Seigneur et de son Dieu, tombât dans l'erreur, et portât le châtiment qu'il méritait. Les prophètes avaient prédit beaucoup auparavant que cela devait arriver. Isaïe, qui fut scié et mis à mort par les Juifs, en parle de cette sorte : « Cieux, écoutez, et toi, terre, prête l'oreille, car c'est le Seigneur qui a parlé. J'ai nourri des enfants, et je les ai élevés; et après cela ils m'ont méprisé. Le bœuf connaît celui à qui il est, et l'âne l'étable de son maître ; mais Israël ne m'a point connu, et mon peuple a été sans entendement. » Jérémie en parle dans le même sens : « La tourterelle, dit-il, sait son temps, l'hirondelle et les passereaux de la campagne observent les saisons ; mais mon peuple n'a point connu le jugement du Seigneur. Comment dites-vous : Nous sommes sages, et la loi du Seigneur est avec nous? C'est en vain que l'on a pris de fausses mesures. Les docteurs de la loi ont été confondus; les sages ont tremblé et ont été trompés, parce qu'ils ont rejeté la parole du Seigneur. » Dieu, ayant donc résolu, comme je l'ai dit, d'envoyer aux hommes le docteur de la vertu, ordonna qu'il eût une naissance temporelle, et qu'il devînt semblable à l'homme à qui il devait servir de compagnon, de chef et de maître. Comme il a néanmoins une bonté et une clémence infinies, il l'envoya à ceux-mêmes qui le haïssaient pour ne leur pas ôter la voie du salut, mais pour leur laisser la liberté de suivre Dieu, et pour leur donner une récompense éternelle, au cas qu'ils le suivissent, comme plusieurs le suivirent en effet, et pour faire en sorte que ceux qui s'éloigneraient de lui n'encourussent que par leur faute un châtiment éternel. Il voulut qu'il naquît parmi eux, et de leur nation, de peur que s'il avait été étranger ils n'eussent trouvé dans leur loi une excuse raisonnable de ne l'avoir point reçu, et afin aussi qu'il n'y eût aucun peuple sur la terre qui ne pût espérer de parvenir à l'immortalité. [4,12] XII. L'esprit de Dieu étant descendu du ciel, choisit une vierge dans le sein de laquelle il se répandit ; elle conçut aussitôt sans avoir jamais connu aucun homme. Que personne ne s'étonne de ce que nous disons qu'une vierge est devenue enceinte par l'opération de l'esprit de Dieu, à qui tout ce qu'il veut faire est aisé, puisque quelques animaux ont la coutume de concevoir de l'air ou du vent. Cela pourrait néanmoins paraître incroyable, s'il n'eût été prédit longtemps auparavant par les prophètes. Salomon dit dans le dix-neuvième cantique : « Le sein de la Vierge a reçu la fécondité et le fruit; la Vierge est devenue mère par une grande miséricorde ? » Le prophète Isaïe dit : « C'est pourquoi le Seigneur vous donnera un signe ; une vierge concevra, et elle enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel. » Que peut-on dire de plus clair ? Les Juifs, qui ne l'ont point voulu reconnaître, ont lu ces prophéties. Si quelqu'un s'imagine que nous les avons faites a plaisir, qu'il les leur demande, et qu'il consulte leurs livres: il n'y a point de si fort témoignage pour établir la vérité que celui que l'on tire de ses propres ennemis. Il n'a jamais été appelé Emmanuel, mais Jésus, qui signifie salutaire ou sauveur parce qu'il est venu sauver tous les peuples. Le prophète a seulement eu l'intention de marquer, par ce terme d'Emmanuel, que Dieu devait prendre un corps et converser avec les hommes; car Emmanuel signifie : Dieu est avec nous. Depuis en effet que Dieu était né d'une vierge, les hommes devaient reconnaître qu'il était avec eux, qu'il vivait sur la terre et dans une chair mortelle : c'est sur ce sujet que David a dit : « La vérité germera de la terre. » Dieu dans qui la vérité est renfermée, a tiré un corps de la terre pour montrer le chemin du salut aux hommes qui sont sur la terre. Isaïe en parle en ces termes: « Ils ont irrité sa colère; ils ont affligé l'Esprit saint; il est devenu leur ennemi, et il les a lui-même détruits. Il s'est souvenu des siècles anciens, et a suscité le pasteur de son troupeau. » Il déclare en un autre endroit quel est ce pasteur, en disant: "Cieux, envoyez d'en haut votre rosée, et que les nuées fassent descendre le juste comme une pluie; que la terre s'ouvre et qu'elle germe le Sauveur, et que la justice naisse en même temps ; je suis le Seigneur qui l'ai créé. » Le sauveur, c'est Jésus, comme je l'ai déjà dit. Le même prophète a parlé dans un autre endroit de cette manière: " Un petit enfant nous est né, et un fils nous a été donné ; il portera sur son épaule la marque de sa principauté, et il sera appelé l'ange du grand conseil. Il a été envoyé par son père, pour révéler à toutes les nations qui sont sous le ciel le mystère et l'unité d'un Dieu, qui a été celé au peuple perfide et ingrat qui s'est rendu si souvent criminel. » Daniel a prédit quelque chose de semblable: « J'avais, dit-il, une vision durant la nuit, et je voyais sur les nuées du ciel comme le Fils de l'homme qui s'avançait, et il arriva jusqu'à l'ancien des jours. Ceux qui étaient présents le lui présentèrent; et l'honneur, le royaume et l'empire lui furent donnés; et tous les peuples, toutes les langues et toutes les tribus le suivirent. Sa puissance sera éternelle et ne passera point; son règne n'aura point de fin. » Comment est-ce que les Juifs avouent qu'il y aura un oint ou seigneur, et comment est-ce qu'ils espèrent qu'il viendra, puisqu'ils ont refusé de le reconnaître pour Messie, sous prétexte qu'il était né d'une femme? Dieu, ayant résolu que le Messie descendrait deux fois sur la terre, une fois pour annoncer son nom aux nations, et une autre fois pour les gouverner avec une autorité absolue, pourquoi croient-ils le second avènement, et ne croient-ils pas le premier? Le prophète a marqué les deux avènements en peu de paroles, quand il a dit : « Qu'il s'avancerait sur les nuées non comme le Fils de Dieu, mais comme le Fils de l'homme. « Il a dit qu'il devait prendre sur la terre la forme et la condition d'un homme, afin d'enseigner la justice aux hommes, pour subir la mort, descendre aux enfers, les ouvrir, ressusciter, s'élever au-dessus des nues, et retourner à son père. Quand le prophète a dit qu'il est parvenu jusqu'à l'ancien des jours, et qu'il lui a été offert, il a entendu par l'ancien des jours, Dieu qui est seul avant tous les siècles, et qui sera éternellement. Le prophète David déclare expressément dans le psaume cent neuvième : qu'après que le Christ aura souffert la mort et qu'il sera ressuscité, il montera à son père. Voici ses paroles : « Le Seigneur a dit à mon seigneur, asseyez-vous à ma droite jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis à être foulés sous vos pieds. » David, qui était roi, aurait-il pu appeler son seigneur un autre que le Christ et que le Fils de Dieu, qui est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs ? Isaïe en parle encore plus clairement: « Voici, dit-il, ce que dit le Seigneur au seigneur qui est mon Christ, que j'ai pris par la main pour lui assujettir les nations, pour mettre les rois en fuite, pour ouvrir devant lui toutes les portes sans qu'aucune lui soit fermée. Je marcherai devant vous, j'humilierai les grands de la terre, je romprai les portes d'airain, et je briserai les gonds de fer, je vous donnerai les trésors cachés et les richesses secrètes et inconnues, afin que vous sachiez que je suis le Seigneur, le Dieu d'Israël qui vous a appelé par votre nom. Enfin l'honneur et l'empire lui ont été donnés en vue de la puissance et de la félicité que Dieu a fait paraître sur la terre, et toutes les tribus, et toutes les langues le serviront; son pouvoir ne passera point et son règne n'aura point de fin. » Ces paroles peuvent être entendues de deux manières : l'une est que Jésus-Christ possède un grand pouvoir dès ce temps-ci, puisque tous les peuples révèrent son nom, reconnaissent sa grandeur, suivent sa doctrine, et imitent sa vertu. Il jouit déjà de l'honneur et de l'empire, puisque toutes les tribus obéissent à ses commandements. L'autre manière d'expliquer ces paroles est de dire qu'il possédera véritablement l'empire de l'univers, lorsqu'il viendra une seconde fois environné de gloire et de majesté pour réduire tous les peuples à son obéissance, pour juger tous les hommes et pour ressusciter tous les justes. Toute sorte de mal étant alors ôté de dessus la terre, on verra un siècle d'or, comme disent les poètes, c'est-à-dire un temps où la justice et la paix régneront. J'expliquerai toutes ces choses plus au long dans le dernier livre de cet ouvrage où je parlerai du second avènement du Messie ; mais j'achèverai maintenant ce que j'avais commencé à dire touchant le premier. [4,13] XIII. Lorsque l'unique Dieu et le commun père des hommes eut résolu de leur révéler la véritable piété, il fit descendre du ciel le Docteur de la justice, et par son ministère donna une nouvelle loi à des observateurs nouveaux. Il ne la donna pas par un homme, comme il avait fait la première fois, mais par son Fils qu'il fît naître sur la terre comme un homme, afin qu'il fût tout à fait semblable à lui. Dieu le père est le principe et l'origine de toutes choses; il n'a point été produit, et Trismégiste a eu raison de dire qu'il était sans père et sans mère. Il a fallu que son fils pour lui être semblable eût deux naissances, et qu'il fût en quelque sorte et sans père et sans mère. Il a été sans mère dans sa première naissance, qui est une naissance toute spirituelle qu'il a tirée de son père seul. Il a été sans père dans la seconde, qui est une naissance corporelle qu'il a tirée d'une vierge; ainsi il a réuni en sa personne la nature divine et la nature humaine pour rendre cette dernière immortelle. Il a été fait Fils de Dieu par l'esprit et fils de l'homme par la chair, et ainsi il est Dieu et homme tout ensemble. La puissance de Dieu a paru dans les miracles qu'il a opérés, et la faiblesse de l'homme dans la mort qu'il a soufferte. Je dirai les raisons pour lesquelles il s'y est soumis; mais il faut citer auparavant ici les témoignages des prophètes qui nous assurent qu'il était Dieu et homme tout ensemble. Voici les paroles par lesquelles Isaïe proteste qu'il était Dieu. « L'Egypte avec tous ses travaux, l'Ethiopie avec son trafic, et Saba avec ses hommes d'une haute taille, tous ces peuples passeront vers vous, ô Israël ; ils seront à vous, ils marcheront après vous, ils viendront les fers aux mains, ils se prosterneront devant vous, et il n'y aura point d'autre Dieu que le vôtre. Vous êtes vraiment le Dieu caché, le Dieu d'Israël et le Sauveur. » Jérémie en parle de cette sorte: « Celui-ci est votre Dieu, et il n'y en a point d'autre que lui, qui a trouvé toute prudence, et l'a donnée à Jacob son fils, et à Israël son bien-aimé. Il a depuis paru sur la terre et a conversé avec les hommes. » Voici encore ce que David en dit dans le psaume quarante-quatrième: « Votre trône, ô Dieu, sera un trône éternel, et le sceptre de votre empire sera un sceptre d'équité et de justice. Vous aimerez la justice et haïrez l'iniquité; c'est pourquoi le Seigneur votre Dieu vous oindra d'une huile de joie, en une manière plus excellente que tous ceux qui participeront à votre gloire. » Par le mot d'onction, il désigne son nom de Christ. Le prophète Jérémie déclare qu'il est homme, quand il dit: « Il est homme, et qui est-ce qui l'a connu? » Isaïe dit : » Dieu leur enverra un homme et les sauvera, et il les guérira en les jugeant. » Moïse dit dans le livre des Nombres: « Une étoile se lèvera de Jacob, et un homme sortira d'Israël. » Quelqu'un ayant consulté Apollon de Milet, et lui ayant demandé si Jésus-Christ était Dieu ou homme, il répondit de cette sorte: « Il était sujet à la mort selon sa nature d'homme, mais il faisait des miracles par sa puissance divine. » Il fut arrêté par le commandement des princes et des juges des Juifs, condamné et exécuté à mort. Il dit la vérité dans les premières paroles; mais dans la suite, il trompe par une subtilité celui qui le consultait et qui ne savait rien du mystère de la vérité. Il semble nier qu'il soit Dieu ; mais puisqu'il confesse que selon la chair il est sujet à la mort, comme nous le disons aussi, pour parler conséquemment, il doit reconnaître avec nous que selon l'esprit il est Dieu ; car qu'était-il besoin de parler de la chair ? C'était assez de dire qu'il était sujet à la mort ; mais étant pressé par la vérité, il n'a pu s'empêcher de déclarer la chose telle qu'elle est, non plus qu'il n'a pu se dispenser d'avouer qu'il était sage. Que dites-vous à cela, Apollon? S'il est sage, sa doctrine est la sagesse et ses disciples sont les sages ; et il n'y a point d'autre sagesse que sa doctrine, ni d'autres sages que ses disciples. Pourquoi nous prend-on d'ordinaire pour des imprudents et pour des insensés, nous qui suivons un maître qui, par le propre aveu des dieux est fort sage ? Quand il dit qu'il a fait des actions miraculeuses, par lesquelles sa divinité a éclaté, il semble être d'accord avec nous; mais à l'heure même il se reprend être retourné à ses ruses diaboliques. Il semblerait s'être trahi lui-même et les autres dieux, s'il n'avait altéré, par le mélange de diverses faussetés, ce que la vérité avait tiré, malgré lui, de sa bouche. Il dit qu'il a fait des œuvres merveilleuses; mais qu'au lieu de les faire par la puissance de Dieu, il les a faites par magie. Faut-il s'étonner qu'Apollon ait fait croire ce mensonge à ceux qui ignoraient la vérité, puisque les Juifs qui adoraient le vrai Dieu ont été prévenus de la même erreur ? Ils ont vu ces miracles de leurs propres yeux, et n'ont pu croire que celui à qui ils les voyaient faire était Dieu. David, dont ils lisent plus souvent les prophéties que celles des autres, les condamne pour ce sujet, par ces paroles du psaume vingt-septième: « Rendez-leur ce qu'ils méritent, puisqu'ils ne reconnaissent point les ouvrages du Seigneur. » David et les autres prophètes ont prédit que le Messie descendrait, selon la chair, de la maison de David ; voici le témoignage qu'en rend Isaïe : « En ce jour-là le rejeton de Jessé sera exposé comme un étendard devant tous les peuples; les nations viendront lui offrir leurs prières, et son sépulcre sera glorieux. » Il dit dans un autre endroit: « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine, et l'esprit du Seigneur se reposera sur lui, l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété, et il sera rempli de l'esprit de la crainte du Seigneur. » Jessé fut le père de David, et c'est de sa tige qu'il a été prédit que la fleur sortirait. C'est de cette même fleur que la sibylle a dit, qu'une fleur pure fleurira. Il est rapporté dans le second livre des Rois que Nathan fut envoyé à David, au temps auquel ce prince méditait de faire bâtir un temple. Dieu dit à Nathan: « Va, et dis à David mon serviteur : Voici ce que dit le Seigneur tout-puissant: Vous ne me bâtirez point une maison pour demeurer, mais lorsque vos jours auront été accomplis, et que vous vous serez endormi avec vos pères, je vous susciterai un fils après vous, et je préparerai son royaume ; il élèvera une maison en mon nom ; et j'élèverai son royaume. Je serai son père, et il sera mon fils, et il aura la foi, lui et sa maison, durant tous les siècles. » Comme les Juifs n'entendaient pas ce passage, Salomon, fils de David, a élevé un temple en l'honneur de Dieu, et fondé une ville qu'il a appelée Jérusalem, de son nom. Cela a été cause que les Juifs ont cru que ces prophéties avaient été accomplies en sa personne. Cependant Salomon a succédé à David son père, au lieu que celui dont les prophètes ont parlé ne devait naître que depuis que David serait endormi avec ses pères ; de plus, le règne de Salomon n'a duré que quarante ans. Salomon n'a jamais été appelé le fils de Dieu, il n'a été appelé que le fils de David. La maison que Salomon a fait bâtir n'a pas eu la foi comme l'Église, qui est le véritable temple de Dieu, qui est bâti non sur la terre avec des pierres, mais dans le cœur par la foi. Le temple de Salomon a été ruiné parce qu'il avait été bâti par la main des hommes. Enfin, Dieu a parlé de cette sorte des ouvrages de son fils dans le psaume cent vingt-sept : « Si le Seigneur n'édifie lui-même une maison, en vain travaillent ceux qui s'efforcent de l'édifier; si le Seigneur ne garde lui-même une ville, c'est en vain que veille celui qui la garde. » [4,14] XIV. Il paraît, par le témoignage de ces prophètes, que Jésus-Christ devait naître, selon la chair, de la race de David ; qu'il devait élever en l'honneur de Dieu un temple éternel, qui est l'église, et qu'il devait y assembler toutes les nations pour y faire profession de la véritable religion. C'est la maison fidèle et le temple éternel, où celui qui ne sacrifiera pas ne remportera jamais le prix de l'immortalité. Jésus-Christ doit nécessairement être le prêtre de ce temple éternel dont il a été l'architecte. On ne peut obtenir l'entrée de ce temple, ni être admis à la vue de Dieu que par lui, comme David l'enseigne par ces paroles du psaume 109 : « Je vous ai engendré dans mon sein avant l'aurore. Le Seigneur a juré, et son serment demeurera immuable, que vous serez le prêtre éternel selon l'ordre et l'exemple de Melchisédech. » Il a été écrit dans le premier livre des Rois: » Je susciterai pour moi un prêtre fidèle, qui agira selon mon cœur et selon mon âme. Je lui établirai une maison stable, et il marchera toujours devant mon Christ. » Zacharie a désigné clairement celui à qui Dieu promet un sacerdoce éternel; car voici comme il le nomme : » Le Seigneur, dit-il, m'a montré Jésus le grand prêtre, qui était debout en présence de l'ange du Seigneur, et le diable était debout à la droite, à dessein de s'opposer à lui; et le Seigneur dit au diable : que le Seigneur, qui a choisi Jérusalem, vous commande. Et à l'heure même le tison fut jeté hors du feu, et Jésus était vêtu d'un habit fort sale, et il était debout en présence de l'ange; et l'ange dit en sa présence à ceux qui étaient autour de lui: Otez-lui ses vêtements sales, et revêtez-le d'une tunique qui lui tombe jusque sur les talons, et mettez-lui sur la tête une tiare éclatante. Et à l'heure même on le revêtît d'un habit, et on lui mit sur la tête une tiare éclatante. Et l'ange du Seigneur était debout, et disait à Jésus avec solennité : Voici ce que dit le Seigneur tout-puissant : Si vous marchez dans mes voies, et que vous gardiez mes préceptes, vous jugerez ma maison, et je vous donnerai ceux qui se convertiront d'entre ceux qui sont ici debout. Écoutez ceci, ô Jésus ! grand prêtre. » Qui ne croira que les Juifs avaient perdu l'esprit, quand, après avoir lu et entendu ces paroles, ils attentèrent à la vie du Sauveur? On compte près de cinq cents ans depuis le temps où vivait Zacharie, jusqu'à la quinzième année de l'empire de Tibère, en laquelle Jésus fut crucifié. Ce prophète était dans la fleur de son âge au temps de Darius et d'Alexandre, qui vécurent peu de temps après que Tarquin le Superbe eut été chassé de Rome. Les Juifs se sont trompés en expliquant ces passages, ou de Jésus fils de Navé, Sauveur de Moïse, ou de Jésus prêtre fils de Josedech ; bien que nulle des circonstances qui ont été marquées par les prophètes ne leur puisse convenir. Jamais ils n'ont été couverts d'ordures, l'un ayant été prince, et l'autre prêtre. Jamais ils n'ont souffert de traitement injurieux pour être comparé à un tison tiré du feu. Jamais ils n'ont été debout en présence de Dieu et des anges, et, s'ils y avaient été, le prophète aurait parlé du passé au lieu de prédire l'avenir. Il a parlé du premier avènement de Jésus, fils de Dieu, qui devait paraître dans un état d'humilité et de bassesse sous un corps mortel. C'est ce qui est marqué par le vêtement couvert d'ordures dont il s'était revêtu, pour préparer un temple au Seigneur, et par le tison tiré du feu, qui est comme une image de ses souffrances et de sa mort ; car, en langage populaire, on appelle tison un morceau de bois tiré du feu et éteint. L'esprit de Dieu a déclaré, par la bouche du prophète, les commandements qu'il devait recevoir lorsqu'il serait envoyé sur la terre, afin qu'après avoir fidèlement exécuté les ordres du père, il reçût en récompense le pouvoir de juger, et un empire éternel. « Si vous marchez, dit-il, dans mes voies, et que vous gardiez mes commandements, vous jugerez ma maison, » Il est aisé de savoir quelles sont ces voies et ces préceptes. Quand Dieu vit que l'idolâtrie et les autres crimes avaient inondé de telle sorte toute la terre, que son nom n'y était presque plus connu, et que les Juifs, auxquels seuls il avait révélé ses mystères, s'étant laissé tromper par les démons, adoraient les idoles, et n'écoutaient plus la voix des prophètes qui les rappelaient à la véritable religion, il envoya son fils, comme son premier ambassadeur, aux hommes, afin qu'il les retirât de la superstition et de l'impiété, qu'il leur enseignât la justice, et qu'il leur inspirât la sagesse. Voilà les voies qu'il lui ordonna de tenir, et les préceptes qu'il lui commanda d'observer. Il a gardé la fidélité à son père, en enseignant qu'il est le seul Dieu qu'il faut adorer, et en ne se nommant jamais Dieu lui-même. Il aurait aussi manqué de fidélité, si, ayant été envoyé pour détruire la pluralité des dieux, il en avait prêché plus d'un. Il n'aurait plus prouvé la gloire d'un seul Dieu qui l'avait envoyé ; il aurait recherché ses propres avantages, et se serait séparé des intérêts de celui dont devait publier la grandeur et la majesté. Mais parce que, sans s'attribuer aucun honneur, il a suivi avec une parfaite fidélité les ordres de celui qui l'avait envoyé, il a reçu en récompense la dignité de prêtre, la puissance de roi, la qualité déjuge, et le nom de Dieu. [4,15] XV. Après avoir parlé de la seconde naissance, par laquelle le Fils de Dieu s'est rendu visible aux hommes dans un corps mortel, parlons maintenant de ses actions merveilleuses, qui, bien qu'elles fussent des preuves de sa puissance divine, n'ont pas laissé d'être prises par les Juifs pour des effets de l'art magique. Dès sa jeunesse il fut baptisé par le prophète Jean, dans le fleuve du Jourdain, pour effacer, par une eau spirituelle, non ses propres péchés, car il n'en avait point, mais les péchés de la nature qu'il avait prise, et pour sauver les gentils par le baptême, comme il avait sauvé les Juifs par la circoncision. On entendit alors une voix du ciel qui disait : « Vous êtes mon fils, je vous ai aujourd'hui engendré. » Ce sont des paroles qui avaient été prédites auparavant par le prophète David. L'Esprit-Saint descendit à l'heure même sur lui en forme de colombe. Il commença aussitôt à faire des miracles, non par l'art magique qui n'a que des illusions, mais par la puissance divine, comme les prophètes l'avaient prédit. Le nombre de ces miracles est si grand, qu'à peine un livre entier les pourrait-il contenir. Je me contenterai de les marquer en termes généraux, sans exprimer les circonstances des lieux ni des personnes, pour faire ensuite le récit de ses souffrances et de sa mort, sujet dont j'ai impatience de traiter. Apollon a appelé ses opérations prodigieuses, parce qu'en passant dans quelque lieu que ce fût, il guérissait en un moment et d'une seule parole toute sorte de maladies, si bien que des paralytiques qui avaient perdu l'usage de tous leurs membres le recouvraient en un moment, et remportaient les lits sur lesquels on les avait apportés eux-mêmes. Il rendait aux boiteux non seulement le pouvoir de marcher, mais aussi la force de courir ; il rendait la jouissance de la lumière à des yeux qui semblaient être condamnés à de perpétuelles ténèbres; il rendait la parole aux muets, l'ouïe aux sourds. Il purifiait ceux qui étaient tachés de la lèpre, et faisait toutes ces merveilles par sa seule parole, comme la sibylle l'avait marqué, quand elle avait dit que pour chasser les maladies il ne se servait que de sa voix. Il ne faut pas s'étonner de ce qu'il faisait des merveilles par sa parole, puisqu'il était la parole de Dieu, soutenue par une force toute-puissante. Mais ce n'était pas assez qu'il eût rendu la force aux paralytiques et la santé aux malades, il fallait qu'il rendit encore la vie aux morts. Quand les Juifs voyaient toutes ces merveilles, ils les attribuaient à la puissance du démon, bien qu'il y eût dans leurs livres des prophéties par lesquelles ces circonstances étaient marquées. Ils avaient ces livres-là entre les mains; ils les lisaient continuellement, et surtout ces paroles d'Isaïe : « Fortifiez les mains languissantes et soutenez les genoux tremblants. Dites à ceux qui ont le cœur abattu : Prenez courage, ne craignez point ; voici votre Dieu qui vient vous venger, et rendre aux hommes ce qu'ils méritent. Dieu viendra lui-même, et il vous sauvera : alors les yeux des aveugles verront le jour, et les oreilles des sourds seront ouvertes. Le boiteux bondira comme le cerf, et la langue des muets sera déliée, parce que des sources d'eau sortiront de terre dans le désert, et que des torrents couleront dans la solitude. » La sibylle a renfermé la même prédiction dans les paroles qui suivent : "Les morts sortiront du tombeau, les huileux marcheront d'un pas ferme et assuré, les sourds entendront la voix des autres hommes et entreront en conversation arec eux, les aveugles verront le jour et la lumière, et les muets reprendront l'usage de la langue". Comme le nombre et la grandeur de ses miracles attiraient autour de lui une foule incroyable de personnes qui imploraient son secours, il monta un jour sur une montagne à dessein d'y adorer, et, après y être demeuré trois jours durant lesquels le peuple qui l'avait suivi était pressé par la faim, il appela ses disciples et leur demanda quelles provisions et quelles vivres ils avaient. Quand ils lui eurent dit qu'ils n'avaient que cinq pains et deux poissons, il commanda qu'on les lui apportât et que l'on rangeât le peuple par troupes, dont chacune fut de cinquante personnes, et qu'on les fît asseoir. Pendant que ses disciples exécutaient ses ordres, il rompit les pains et les poissons par morceaux qui croissaient et se multipliaient entre les mains. Cinq mille hommes en furent rassasiés, et il se trouva encore des restes pour remplir douze corbeilles. Que peut-on faire et que peut-on jamais dire de si surprenant? La sibylle avait parlé de cette merveilleuse multiplication, quand elle avait dit : "qu'avec cinq pains et deux poissons il apaiserait la faim dont cinq mille personnes seraient pressées dans le désert, et que les restes seraient encore si abondants, qu'ils rempliraient douze corbeilles, et suffiraient au besoin d'une nombreuse multitude". Je voudrais bien que l'on me dit ce qu'aurait pu faire en cette occasion l'art magique dont on sait que tous les effets se terminent à tromper les sens et à éblouir les yeux? En se retirant un jour sur une montagne pour y faire la prière selon sa coutume, il commanda à ses disciples de prendre une barque et d'aller devant lui. Ils partirent sur le soir, et eurent le vent contraire. Comme ils étaient environ au milieu du détroit qu'ils voulaient traverser, il marcha à pied sur les eaux, et non de la manière que les poètes feignent qu'Orion marcha sur la mer, ayant une partie du corps caché sous les flots et l'autre dehors. Il s'endormit ensuite dans le vaisseau ; et une tempête s'étant élevée durant son sommeil et ayant épouvanté ceux qui étaient avec lui, il s'éveilla, commanda aux vents et aux flots de s'apaiser, et rétablit le calme. On dira peut-être que l'Écriture en impose, quand elle témoigne que la mer, les vents, les maladies, la mort et le tombeau obéissaient à sa voix. Mais que dira-t-on de ce que la sibylle a rendu le même témoignage à son avantage ? Celle dont nous avons ci-dessus parlé a prédit clairement qu'il adresserait sa parole aux vents, et que les vents lui obéiraient et arrêteraient leur violence ; qu'il abaisserait l'orgueil des vagues, et qu'après les avoir rendues aussi unies qu'un marbre poli, il marcherait dessus avec les pieds de la foi. Une autre a assuré qu'il marcherait sur les eaux, qu'il rendrait la santé aux malades, la vie aux morts, et qu'il rassasierait ceux qui seraient pressés de la faim. Quelques-uns ne sachant que répondre à des témoignages si formels, ont recours à une défaite, qui consiste à dire que ces vers-là n'ont pas été composés par les sibylles, mais qu'ils ont été faits à plaisir par quelques-uns de notre religion. Mais quiconque aura lu Cicéron, Varron et les autres anciens qui étaient morts avant que le Sauveur naquit, et qui ont parlé et de la sibylle Erythrée et des autres dont nous avons rapporté quelques passages, ne se persuadera jamais que ce soient des ouvrages supposés. Je ne doute pas néanmoins que ces poésies-là n'aient été prises pour des rêveries dans les premiers temps où personne ne les entendait. Elles ne contenaient que des miracles fort extraordinaires, sans marquer ni leur auteur, ni la manière, ni le temps auquel ils devaient être faits. Enfin, la sibylle Erythrée a prédit d'elle-même que plusieurs croiraient qu'elle avait perdu l'esprit, et qu'elle n'avançait que des impostures. "Je ne doute point, dit-elle, que ceux qui verront mes prédictions ne m'accusent d'avoir dessein d'en imposer et de triompher; mais ceux qui en verront l'accomplissement, reconnaîtront que j'ai reçu, par l'inspiration de Dieu, la connaissance des choses les plus secrètes". Ce sont des mystères qui, après avoir été cachés durant plusieurs siècles, n'ont été enfin révélés qu'au temps de la vie et de la mort du Sauveur ; de même que les prédictions des prophètes; qui ont été lues par les Juifs l'espace de plus de quinze cents ans, n'ont pourtant été entendues que depuis que notre maitre les a expliquées par ses paroles et par ses actions. Il est vrai que les prophètes l'annonçaient; mais ce qu'ils disaient ne pouvait être entendu avant qu'il eût été accompli. [4,16] XVI. Je crois devoir parler maintenant de la passion du Sauveur, qu'on nous reproche, comme si ce nous était une chose fort honteuse de révérer un homme qui a souffert le dernier supplice. Je montrerai au contraire qu'il l'a souffert pour d'importantes raisons, et que ses souffrances contiennent des preuves convaincantes de sa sagesse et de sa puissance, et de la vérité de la doctrine qu'il a enseignée. S'il avait été heureux durant toute sa vie, nul homme sage ne l'aurait reconnu pour un Dieu et ne lui aurait rendu les honneurs divins. Ce qui est fort opposé à la pratique de ceux qui, n'ayant aucune teinture de la véritable religion, admirent les richesses et la puissance, et révèrent la mémoire de ceux qui leur ont fait du bien; au lieu que tout ce qu'il y a de gens éclairés et habiles ne daignent pas seulement estimer leurs personnes durant leur vie. Il n'y a rien, en effet, qui mérite nos respects, parce qu'il n'y a rien qui soit digne du ciel. Il n'y a que la vertu et la justice, que nous devions considérer comme un bien stable et solide, qui ne peut nous être ni donné ni ôté par personne. Le Sauveur est descendu sur la terre avec cette vertu et cette justice dont je parle. Il a lui-même la justice et la vertu, et il est venu pour les enseigner aux hommes. Il s'est excellemment acquitté de cette fonction, et a prêché et pratiqué la vertu d'une manière qui l'a rendu digne d'être adoré comme un Dieu par les peuples de l'univers. Comme la sainteté de sa doctrine et l'éclat de ses miracles attiraient autour de lui une foule incroyable de personnes de toute condition, les principaux des Juifs et des prêtres, émus de colère de ce qu'il leur reprochait leurs crimes, dévorés de jalousie de ce que le peuple les méprisait et les abandonnait pour le suivre, aveuglés par l'ignorance qui avait effacé de leur mémoire les commandements de la loi et les prédictions des prophètes, s'assemblèrent contre lui et formèrent le dessein impie de lui faire souffrir la mort. David ayant prévu par la lumière de l'esprit de Dieu l'énormité de cet attentat, s'écrie dès le commencement de ses psaumes : « Heureux est l'homme qui ne se laisse point aller aux conseils des méchants. » Salomon a décrit le même conseil dans le livre de la Sagesse. Voici ses paroles : « Faisons tomber le juste dans nos pièges, parce qu'il nous est incommode, qu'il est contraire à notre manière de vivre, qu'il nous reproche les violations de la loi, et qu'il nous déshonore en décriant les fautes de notre conduite. » Il assure qu'il a la science de Dieu et qu'il s'appelle le Fils de Dieu. Il est devenu le censeur de nos pensées même; sa seule vue nous est insupportable, parce que sa vie n'est point semblable à celle des autres, et qu'il suit une conduite toute différente. Il nous considère comme des gens qui ne s'occupent que de niaiseries ; il s'abstient de notre manière de vivre comme d'une chose impure; il préfère ce que les justes attendent à la mort, et se glorifie d'avoir Dieu pour père. Voyons donc si ses paroles sont véritables. Eprouvons ce qui lui arrivera, et nous verrons quelle sera sa fin ; car s'il est véritablement Fils de Dieu, Dieu prendra sa défense et le délivrera des mains de ses ennemis. Interrogeons-le par les outrages et par les tourments, afin que nous reconnaissions quelle est sa douceur, et que nous fassions l'épreuve de sa patience. Condamnons-le à la mort la plus infâme, car Dieu prendra soin de lui, si ses paroles sont véritables. Ils ont eu ces pensées, et ils se sont égarés, parce que leur propre malice les a aveuglés, et qu'ils ont ignoré les secrets de Dieu. Salomon n'a-t-il pas fait une aussi fidèle description de ce conseil tenu par les impies contre Dieu, que s'il y eut assisté ? Cependant mille et dix ans se sont écoulés depuis le temps où Salomon a fait cette prophétie, jusqu'à celui où l'on en a vu l'accomplissement. Je n'invente rien, je n'ajoute rien. Les Juifs qui ont commis cet attentat avaient entre les mains le livre où la prédiction est contenue. Ceux-là mêmes contre qui elle a été faite la lisaient. Leurs successeurs, qui portent leur nom et qui imitent leur crime, ont chaque jour le même livre entre les mains, et répètent la condamnation prononcée contre eux par la bouche des prophètes, sans y faire jamais d'attention, ce qui est un des plus terribles effets de la condamnation même. Les Juifs se portèrent donc à faire mourir Jésus-Christ en haine de la liberté avec laquelle il leur reprochait leurs crimes, et de dépit d'être méprisés et abandonnés par le peuple. Il est vrai que l'état de bassesse où il paraissait leur donna la hardiesse de commettre cet attentat; car quand ils lisaient d'un côté que le fils de Dieu devait descendre du ciel environné d'éclat et de gloire et plein de puissance et de majesté, et que de l'autre ils ne voyaient rien dans Jésus-Christ qui ne fut bas, sale et difforme, ils ne pouvaient se persuader qu'il fut le Messie. Ils ne savaient pas que les prophètes avaient prédit qu'il devait venir deux fois : que la première, il paraîtrait dans l'obscurité et dans la faiblesse de la chair, et la seconde, dans l'éclat et dans la force de la divinité. David parle de ce premier avènement dans le psaume soixante-onzième. « Il descendra, dit-il, comme la pluie tombe sur la toison, et comme l'eau du ciel qui arrose la terre ; car comme la pluie tombe sur la toison sans faire de bruit, ainsi le Sauveur est descendu sans bruit et sans être aperçu de personne, lorsqu'il est venu enseigner la justice et la paix. » Le prophète Isaïe en parle aussi de cette sorte: « Qui a cru à notre parole, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé? Il s'élèvera devant le Seigneur comme un arbrisseau, et comme un rejeton qui sort d'une terre sèche. Il est sans beauté et sans éclat. Nous l'avons vu, et il n'avait rien qui attirait l'œil, et nous l'avons méconnu. Il nous a paru un objet de mépris, le dernier des hommes, un homme de douleurs qui sait ce que c'est que souffrir. Son visage était comme caché, il paraissait méprisable, et nous ne l'avons point reconnu. Il a pris véritablement nos langueurs sur lui, et il s'est chargé lui-même de nos douleurs. Nous l'avons considéré comme un lépreux, comme un homme frappé de Dieu et humilié ; et cependant il a été percé de plaies pour nos iniquités, il a été brisé pour nos crimes. Le châtiment qui nous devait procurer la paix est tombé sur lui, et nous avons été guéris par ses meurtrissures. Nous nous étions tous égarés comme des brebis errantes : chacun s'était détourné pour suivre sa propre voie ; et Dieu l'a chargé lui seul de l'iniquité de nous tous. » La sibylle a décrit d'une manière fort semblable l'état où le Sauveur devait paraître. "Il sera dans la difformité et dans l'infamie, mais il ne laissera pas de soutenir encore alors l'espérance de ceux qui seront dans l'affliction". La bassesse de cet état ayant mis sur les yeux des Juifs comme un bandeau qui les empêchait de reconnaître leur Dieu, ils ont condamné a la mort celui qui était venu pour leur apporter la vie. [4,17] XVII. La colère et la jalousie dont les Juifs étaient animés contre le Sauveur leur firent chercher des prétextes pour le mettre à mort avec quelque apparence de justice, et le plus spécieux qu'ils trouvèrent fut de l'accuser de violer la loi donnée par Moïse, c'est-à-dire de travailler le jour du sabbat, en guérissant des malades, d'abolir la circoncision, et de permettre de manger de la chair de porc. C'était dans l'observation et dans l'abstinence de ces choses que consistait principalement la religion des Juifs. Ceux du peuple qui n'avaient pas suivi Jésus-Christ furent excités par les Juifs à le condamner comme un impie et comme un transgresseur de la loi, bien qu'il ne fit rien que de conforme à la volonté de Dieu et aux prédictions des prophètes. Michée avait prédit la publication d'une loi nouvelle. « La loi, avait-il dit, sortira de Sion, et la parole de Dieu de Jérusalem, et elle jugera plusieurs peuples. » La loi de Moïse a été donnée sur la montagne d'Oreb et non sur celle de Sion, et la sibylle a prédit qu'elle serait abolie par le Fils de Dieu, en disant "qu'après que tout ce qu'elle avait expliqué aurait été accompli, alors la loi sérail abolie". Moïse même, dont les Juifs, défendent la loi avec une opiniâtreté si aveugle qu'elle les porte jusqu'à méconnaître Dieu, avait prédit que Dieu enverrait un grand prophète, qui serait au-dessus de la loi et qui enseignerait la volonté de Dieu aux hommes. Voici ce qu'il en a laissé par écrit dans le Deutéronome: « Le Seigneur m'a dit : Je leur susciterai un prophète d'entre leurs frères, comme je vous ai suscité ; je mettrai ma parole dans sa bouche. Il leur dira ce que je lui aurai commandé, et quiconque n'aura pas écouté ce que ce prophète aura dit en mon nom sera châtié. » Voilà comment le Seigneur a déclaré, par le ministère du législateur ancien, qu'il enverrait son Fils comme une loi vivante pour abolir l'ancienne, et pour en donner une qui serait éternelle. Isaïe a prédit en ces termes que la circoncision serait abolie : « Voici ce que dit le Seigneur aux hommes de Juda qui habitent dans Jérusalem : Rappelez parmi vous la nouveauté et ne semez point sur des épines; circoncisez-vous au Seigneur votre Dieu, et circoncisez le prépuce de votre cœur, de peur que ma colère ne s'allume comme un feu, et que personne ne la puisse éteindre. » Moïse dit aussi : « Dans les derniers jours le Seigneur fera la circoncision de votre cœur, afin que vous l'aimiez. » Jésus Navé, successeur de Moïse, a parlé de cette manière du même sujet : « Le Seigneur a dit à Jésus : Faites des couteaux de pierre fort tranchants, asseyez-vous et circoncisez une seconde fois les enfants d'Israël. » Il a dit qu'il y aurait une seconde circoncision ; mais il n'a pas dit que ce serait une circoncision de la chair, comme la première que les Juifs observent encore aujourd'hui, parce que ce devait être une circoncision du cœur et de l'esprit. Le Sauveur qui l'a apportée est le véritable Jésus ; car le prophète n'a pas dit : « Le Seigneur m'a dit, » mais : « il a dit à Jésus, » pour montrer qu'il parlait non de lui-même, mais de Jésus-Christ dont il n'était que la figure. Moïse, qui connaissait l'avenir par la lumière de la prophétie, ordonna qu'au lieu qu'il changeât son nom d'Anses en celui de Jésus, afin qu'ayant été choisi pour aller à Amalech qui avait attaqué les enfants d’Israël, il le vainquît par la force du nom de celui dont il était la figure, et mit le peuple en possession de la terre qui lui avait été promise. Il fut aussi choisi pour succéder à Moïse, afin de faire voir que la loi que donnerait Jésus, dont il portait le nom et dont il était la figure, succéderait à celle que Moïse avait donnée. La circoncision de la chair n'avait pas été ordonnée sans raison. Dieu aurait pu créer l'homme sans prépuce, s'il l'avait jugé à propos. Il l'a créé avec un prépuce, afin que la circoncision qui en serait faite fût la figure d'une seconde circoncision par laquelle le cœur est découvert. La partie qui est retranchée par la circoncision, est une partie qui est honteuse et qui a du rapport avec le cœur. La cérémonie par laquelle on le retranche nous apprend que nous devons avoir le cœur découvert, et ne cacher rien de honteux dans les replis de nos consciences. Voilà la circoncision du cœur qui a été prédite par les prophètes, transférée par le Sauveur du corps à l'âme, et qui durera toujours; car ayant eu la bonté de vouloir procurer notre salut, il nous a proposé cette seconde circoncision comme une pénitence, afin que si nous découvrons notre cœur par une confession sincère de nos péchés et que nous apaisions la colère de Dieu par une rigoureuse satisfaction, nous obtenions le pardon que n'obtiennent point les désobéissants elles rebelles, qui cachent leurs crimes comme s'ils pouvaient tromper celui qui regarde non le visage comme font les hommes, mais le cœur. La défense de manger de la chair de porc tendait à la même fin. Le principal dessein que Dieu a eu quand il l'a faite, a été de faire entendre qu'il se faut abstenir du péché et se préserver de toute sorte d'ordures. Le porc est un animal immonde, qui ne regarde jamais le ciel et qui est toujours attaché à la terre pour y chercher de quoi se remplir. Il ne peut rendre aucun service, comme font d'autres animaux qui portent l'homme, ou qui traînent des chariots, ou qui labourent la terre, ou qui fournissent du lait, ou des matières pour faire des étoffes et des habits, ou qui gardent les maisons. Quand Dieu a défendu d'imiter la vie de ces animaux, qu'on ne nourrit que pour les tuer, il a défendu de rechercher les plaisirs du corps, de peur de devenir incapable de faire le bien et d'encourir ainsi la mort. Il a défendu de se plonger dans la débauche, comme le porc se vautre dans la boue, et d'adorer des statues qui ne sont que de terre et de limon. C'est en effet se salir de boue que de révérer des dieux qui ne sont que de la boue. Les autres commandements de la loi judaïque ont, aussi bien que celui-ci, un sens caché qui se rapporte à l'observation de la justice, et qui, sous une figure grossière et sensible, cache des biens spirituels et éternels. [4,18] XVIII. Les Juifs irrités de la fidélité avec laquelle Jésus-Christ observait ce que Dieu lui avait ordonné et ce qu'il avait prédit longtemps auparavant par ses prophètes, et ne sachant rien des mystères qui étaient contenus dans l'Écriture, s'assemblèrent à dessein de condamner leur Dieu. Bien qu'il n'ignorât rien de ce qui lui devait arriver, qu'il eût souvent déclaré qu'il était nécessaire qu'il souffrît et qu'il fût mis à mort pour le salut de plusieurs, il se retira néanmoins avec ses disciples, non pour éviter ce qu'il était obligé d'endurer, mais pour montrer la conduite que nous devons tenir, lorsqu'il s'élève quelques persécutions contre nous, et pour nous apprendre à ne pas l'attirer par notre imprudence. Il prédit aussi qu'il serait trahi par un de ses disciples. Judas se laissa en effet gagner par argent, et le livra aux Juifs. Ils se saisirent de lui et le menèrent devant Ponce-Pilate, gouverneur de Syrie. Ils l'accusèrent d'avoir dit qu'il était Fils de Dieu et roi des Juifs. Ils l'accusèrent encore d'avoir dit : « Si vous abattez ce temple qui n'a été bâti qu'en quarante-six ans, je le rebâtirai en trois jours, sans mains d'hommes, » marquant par là la mort que les Juifs lui feraient bientôt souffrir et sa résurrection qui arriverait trois jours après. Il était en effet le véritable temple de Dieu. Les Juifs s'élevèrent néanmoins à cette parole, comme si c'eût été un blasphème. Quand Pilate eut écouté l'accusation, et qu'il eut vu que Jésus ne répondait rien pour sa justification, il prononça qu'il ne trouvait aucune raison de le condamner; mais ses très injustes accusateurs s'écrièrent confusément avec le peuple qu'ils avaient soulevé, et demandèrent qu'il fût crucifié. Pilate se rendit alors à leurs clameurs et aux sollicitations d'Hérode le tétrarque, qui appréhendait d'être chassé de son royaume. Il ne jugea point néanmoins le Sauveur; mais il le mit entre les mains des Juifs, afin qu'ils le jugeassent selon leur loi. Ils le fustigèrent et lui firent cent affronts ; ils le revêtirent d'une robe de pourpre, le couronnèrent d'une couronne d'épines, le saluèrent par raillerie en qualité de roi, lui donnèrent du fiel à manger et du vinaigre à boire; ils lui crachèrent au visage, lui donnèrent des soufflets; tirèrent sa tunique et son manteau au sort, pour décider la contestation qu'ils avaient eue à ce sujet. Il ne parla non plus durant ces mauvais traitements que s'il eût été muet. Ils le crucifièrent après cela entre deux criminels qui avaient été condamnés a mort pour vol. Ou trouverai-je des paroles pour déplorer un si funeste malheur et pour me plaindre d'un si cruel attentat? Je n'ai pas ici à faire la description du supplice de Gavius Consanus, où Cicéron employa autrefois toutes les forces de son éloquence et de son esprit, déclamant avec une véhémence tout extraordinaire, et criant que c'était un crime atroce d'avoir crucifié un citoyen romain contre toutes sortes de lois. Quoique ce Consanus fût innocent et qu'il n'eut point mérité ce supplice, il était pourtant sujet à la mort, et il n'y fut condamne que par un scélérat qui ne savait rien de la manière dont on doit rendre la justice. Mais que dirai-je de l'indignité du supplice, que des gens attachés par leur loi au culte de Dieu firent souffrir à un Dieu? Qui aurait une assez grande abondance de pensées et de paroles pour déplorer, autant qu'elle le mérite, une mort qui a été pleurée par toute la nature et par les éléments les plus insensibles? Cependant les circonstances principales de cette mort avaient été marquées dans les livres des prophètes et dans les vers des sibylles. Voici ce qui est écrit dans les prophéties d'Isaïe : « Le Seigneur mon Dieu m'a souvent ouvert l'oreille, et je ne lui ai point contredit ; je ne me suis point retiré en arrière. J'ai abandonné mon corps à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient le poil et la barbe; je n'ai point détourné mon visage de ceux qui me couvraient d'injures et de crachats. » David en parle de la sorte dans le psaume trente-quatre : « Les hommes vils se sont assemblés contre moi sans que j'en susse le sujet. Ils m'ont déchiré et n'ont point cessé de médire de moi. Ils ont frémi des dents contre moi avec des hypocrites qui font les bouffons dans les festins. » La sibylle a prédit la même chose : "Dieu tombera, dit-elle, entre les mains des Injustes et des infidèles. Ils lui donneront des soufflets avec leurs mains impies, et lui cracheront au visage avec leurs bouches exécrable. Ils déchargeront les coups de leur fureur sur ses épaules saintes et innocentes", Isaïe a prédit le silence qu'il a gardé jusqu'à la mort : « Il sera mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger. Il demeurera dans le silence comme un agneau est muet devant celui qui le tond. » La même sibylle l'avait aussi prédit par ces paroles : "Pendant qu'on lui donnera des soufflets, il gardera le silence, de sorte que personne n'entendra la moindre parole de sa bouche. Il sera couronné d'une couronne d'épines". David parle, dans le psaume soixante-douze, de ce que les Juifs lui présentèrent à boire et à manger avant de rattacher à la croix : « Ils m'ont donné pour mets du fiel très amer, et lorsque j'ai eu soif ils m'ont donné du vinaigre à boire. » La sibylle avait dit : "Ils lui prépareront des repas désagréables ; lui donneront du fiel à manger et du vinaigre a boire". Une autre sibylle a reproché aux Juifs leur ingratitude et leur cruauté en ces termes : "Nation folle et insensée, tu ne reconnais pas le Dieu que tu dois adorer. Au contraire, tu lui mets sur la tête une couronne d'épines, et tu lui présentes l'amertume du fiel". Plusieurs prophètes avaient prédit que les Juifs se saisiraient de leur Dieu et le mettraient à mort. Voici ce qu'il y a dans Esdras. Esdras a dit au peuple : « Cette pâque est notre salut et notre refuge. Songez bien que nous devons l'humilier par le bois, et après cela nous espérerons en lui, afin que ce lieu-ci ne soit point abandonné pour toujours. Voilà ce que dit le Seigneur Dieu des vertus ; si vous ne le croyez et que vous n'écoutiez sa parole, vous serez exposés à la risée des nations. » Il paraît par ce passage que les Juifs n'ont aucune espérance de salut, à moins qu'ils ne se lavent du sang dont ils se sont souillés, et qu'ils n'invoquent celui-là même auquel ils ont renoncé. Isaïe explique leur attentat en ces termes : « Il est mort au milieu des douleurs, ayant été condamné des juges. Qui racontera sa génération ? Car il a été retranché de la terre des vivants. Je l'ai frappé à cause des crimes de mon peuple, et il donnera les impies pour le prix de sa sépulture, et les riches pour la récompense de sa mort, parce qu'il n'a point commis d'iniquités, et que le mensonge n'a jamais été dans sa bouche. Mais le Seigneur l'a voulu briser dans son infirmité. S'il livre son âme pour le péché, il verra sa race durer longtemps, et la volonté de Dieu s'exécutera heureusement par sa conduite. » Voici ce que David en dit dans le psaume quatre-vingt-treize : « Ils ont conspiré contre la vie du juste, ils ont condamné le sang innocent; mais le Seigneur a été ma forteresse : mon Dieu a été le rocher où j'ai mis ma confiance. » Jérémie en parle aussi de cette sorte : « Révélez-moi la vérité, Seigneur, et je la saurai. Alors j'ai vu leurs pensées. J'ai été mené au sacrifice comme un agneau sans tache. Ils ont formé de mauvais desseins contre moi, et ont dit : Venez mettons du bois dans son pain, et effaçons sa vie de dessus la terre, et que l'on perde la mémoire de son nom. » Le bois signifie sa croix et le pain signifie son corps, parce qu'il est l'aliment et la vie de ceux qui croient au corps qu'il a porté, et à la croix à laquelle il a été attaché. Mais il a parlé encore plus clairement dans le Deutéronome, de cette croix et de cette mort. « Votre vie, dit-il, sera comme suspendue devant vos yeux; vous appréhenderez le jour et la nuit, et ne serez point assuré de votre vie. » Il a encore dit ceci dans le livre des Nombres : « Le Seigneur n'est point attaché à la croix comme un homme, et ne souffrira point de menaces comme un fils de l'homme. » Zacharie a dit aussi : « Ils me regarderont, moi qu'ils ont percé. » David a exprimé la même chose par ces paroles du psaume vingt-un : « Ils ont percé mes mains et mes pieds. On pourrait compter mes os. Ils ont pris plaisir à me considérer. Ils ont partagé mes vêtements, et ils ont jeté au sort à qui aurait ma robe. Il est certain que David ne parlait pas de soi-même parce qu'il était roi, et qu'il n'a jamais souffert ces mauvais traitements. L'esprit de Dieu parlait par sa bouche, au sujet de ce Dieu qui devait souffrir ces traitements mille cinquante ans après. Ceux qui ont fait ce calcul ont en effet trouvé ce nombre-là depuis le règne de Darius jusqu'au temps auquel le Sauveur a été crucifié. Salomon, fils de David, fit bâtir la ville de Jérusalem, et prédit qu'elle serait détruite en punition du crime des Juifs qui crucifieraient le Sauveur : « Que si vous vous détournez de moi, dit le Seigneur, et que vous ne gardiez pas ma vérité, je chasserai Israël de la terre que je lui ai donnée, et je ruinerai la maison que je lui ai édifiée en mon nom. Israël sera ruiné et couvert d'opprobres, et cette maison sera déserte, et quiconque passera auprès, dira avec étonnement : Pourquoi le Seigneur a-t-il fait ce mauvais traitement à cette terre et à cette maison? Et on lui répondra : C'est par ce qu'ils ont abandonne le Seigneur leur Dieu, qu'ils ont persécuté leur roi très chéri de Dieu, et qu'ils l'ont tourmenté d'une manière très humiliante. Voilà pourquoi Dieu leur a envoyé ces maux-là. » [4,19] XIX. Que peut-on dire après cela des Juifs, si ce n'est qu'ils ont été aveuglés et transportés d'une folie incurable qui les empêchait d'entendre ces prophéties qu’ils lisaient tous les jours, et d'éviter le crime qu'ils ont commis ? Le Sauveur étant donc attaché à la croix cria à haute voix et rendit l'esprit. A l'heure même la terre fut ébranlée par un tremblement, le voile du temple qui séparait les deux tabernacles fut rompu, le soleil s'éclipsa, et la terre fut couverte de ténèbres depuis six heures jusqu'à neuf. Le prophète Amos a rendu témoignage de toutes ces choses. « Voici ce qui arrivera en ce jour-là, dit le Seigneur : le soleil se couchera en plein midi, et le jour disparaîtra, et je changerai vos fêtes en deuil et vos cantiques en lamentations. » Le prophète Jérémie en rend un semblable témoignage : « Celle qui enfante, dit-il, a été épouvantée et saisie de tristesse et de déplaisir. Le soleil s'est couché pour elle au milieu du jour; elle a été chargée de honte et de malédictions. Je ferai passer le reste de ses enfants par le tranchant de l'épée de leurs ennemis. » La sibylle avertit que "le voile du temple sera rompu depuis le haut jusqu'au bas, et que, pendant trois heures, l'air sera couvert d'obscurité et de ténèbres". Les Juifs ne purent reconnaître leur crime par tant de prodiges qui paraissaient au ciel et sur la terre. Comme le Sauveur avait prédit qu'il ressusciterait trois jours après sa mort, ils appréhendèrent que ses disciples n'enlevassent son corps et ne fissent croire qu'il était ressuscité, et qu'ainsi ils n'excitassent un plus grand trouble parmi le peuple qu'auparavant ; et pour l'empêcher, ils le détachèrent de la croix et le mirent dans un tombeau qu'ils firent garder par des soldats. Cependant le troisième jour, avant le lever du soleil, la terre ayant été ébranlée, le tombeau ouvert, les gardes épouvantés, le Seigneur en sortit sain et entier, et alla chercher ses disciples en Galilée. On ne trouva dans le sépulcre que les linceuls où le corps avait été enseveli. Or les prophètes avaient prédit qu'il ne demeurerait pas dans le tombeau et qu'il ressusciterait le troisième jour. Voici ce que David en dit dans le psaume quinzième : « Vous ne laisserez point une âme dans les enfers, et vous ne permettrez point que votre saint éprouve la corruption. » Et dans le psaume troisième il dit encore ces paroles : « Je me suis couché et me suis endormi, je me suis levé parce que le Seigneur m'a soutenu. » Osée, le premier des douze prophètes, a rendu ce témoignage de la résurrection du Sauveur ; « Celui-ci est mon fils; il ne résistera point dans l'affliction de ses enfants. Je le retirerai d'entre les mains de la mort. Maintenant, ô mort, où est ton jugement ? où est ton aiguillon? » Et dans un autre endroit, il dit : « Et deux jours après, il nous vivifiera dans le troisième jour. » C'est pour cela que la sibylle a dit qu'après trois jours de sommeil il mettrait des bornes à la mort. "Il demeurera endormi pendant trois jours du sommeil de la mort; mais après ce temps, il se réveillera et sortira du sein des ténèbres pour jouir de la lumière, et te fera le premier et le chef des ressuscités". Le Sauveur nous a acquis la vie par la victoire qu'il a remportée sur la mort; nous ne saurions espérer obtenir l'immortalité qu'en croyant en lui et en nous chargeant de sa croix. [4,20] XX. Le Sauveur étant donc allé en Galilée, car il ne voulut pas se montrer aux Juifs de peur de les attirer à la pénitence et de les guérir de leur impiété, il assembla ses disciples et leur expliqua l'Écriture qu'ils n'avaient pu entendre avant sa passion, parce qu'elle parlait de cette passion même. Voila pourquoi Moïse et les autres prophètes ont donné le nom de Testament à la loi que les Juifs avaient reçue ; car le testament n'est confirmé que par la mort du testateur ; il demeure scellé et secret, et on ne sait point ce qu'il contient jusqu'à ce que cette mort soit arrivée. Avant la mort de Jésus-Christ, le Testament ne pouvait être ouvert; c'est à-dire que le mystère de Dieu ne pouvait être révélé. Toute l'Écriture se divise en deux Testaments: l'Ancien contient la loi et les prophètes, et tout ce qui a précédé la naissance et la passion du Sauveur; le Nouveau contient ce qui a été écrit depuis sa résurrection. Les Juifs se servent du premier et nous du second. Ce ne sont pas cependant deux testaments différents, parce que le dernier n'est que l'accomplissement et l'exécution de l'autre. Ils ont tous deux été faits par le même testateur, qui est mort pour nous et qui nous a laissés héritiers de son royaume dont il a privé les Juifs, selon le témoignage que Jérémie en rend en ces termes : « Voilà que le temps arrive, dit le Seigneur, auquel je ferai nu nouveau testament pour la maison d'Israël et pour la maison de Juda; ce ne sera pas le même que je fis en faveur de leurs pères, lorsque je les pris par la main pour les tirer de l'Egypte, parce qu'ils n'ont pas persévéré dans mon testament ; et c'est pour cela que je les ai négligés, dit le Seigneur. » Et dans un autre endroit, il dit ce qui suit: « J'ai abandonné ma maison; j'ai partagé ma succession et l'ai mise entre les mains de mes ennemis. Mon héritage est devenu a mon égard comme un lion dans une forêt ; il a levé la voix contre moi, et pour cela je l'ai en aversion. » Il entend par son héritage qu'il a en aversion, non le royaume du ciel, mais ses héritiers qui ont été ingrats et impies envers lui. « Mon héritage, dit-il, est devenu à mon égard comme un lion. » C'est-à-dire, je suis devenu la proie et la pâture de mes héritiers qui m'ont tué comme on immole une bête. « Il a élevé sa voix contre moi. « C'est-à-dire, mes héritiers ont prononcé contre moi un arrêt de mort ; ils m'ont condamné à être crucifié. Quant à ce qu'il avait dit auparavant « Qu'il ferait un nouveau testament pour la maison de Juda, » c'était à dessein de marquer que l'Ancien Testament qui avait été donné par Moïse n'était pas parfait, au lieu que celui qui devait être donne par Jésus-Christ le serait. « Par la maison d'Israël et de Juda, » il n'entend pas les Juifs qu'il avait rejetés, mais il nous entend nous autres qu'il avait assemblés d'entre les nations et adoptés en la place des Juifs, comme la sibylle le témoigne quand elle assure que "la nation juive est une nation heureuse, qui descend du ciel, et qui est chère à Dieu sur toutes les autres". Isaïe nous apprend quelle est cette nation, quand il met ces paroles dans la bouche de Dieu le père: « Je suis le Seigneur qui vous ai appelé dans la justice, qui vous ai pris par la main et vous ai conservé, qui vous ai établi pour être le réconciliateur du peuple et la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour tirer des fers ceux qui étaient enchaînés, et pour faire sortir de prison ceux qui étaient assis dans les ténèbres. » Nous étions assis comme des aveugles dans les ténèbres, et enfermés dans la prison de notre propre folie avant que nous eussions été instruits par celui qui nous a adoptés par son testament, qui a brisé nos fers, qui nous a éclairés de la lumière de la sagesse, et mis en possession de son royaume. [4,21] XXI. Après que le Sauveur eut ordonné à ses disciples de publier son Évangile, il s'éleva au ciel et fut environné d'une nuée, quarante jours après qu'il eut souffert la mort, comme Daniel l'avait prédit par ces paroles : « Il vient comme le Fils de l'homme sur les nuées et arrive jusqu'à l'Ancien des jours. » Ses disciples s'étant répandus aussitôt dans les provinces, y fondèrent des églises et firent des miracles incroyables en son nom et par la puissance qu'il leur en avait donnée, afin que la vérité de leur prédication fût confirmée par leurs œuvres. Avant que de monter au ciel il leur prédit tout ce qui devait arriver; et Pierre et Paul le publièrent à Rome, et ce qu'ils publièrent a été conservé par écrit. Parmi les autres merveilles qu'ils découvrirent aux Romains, ils leur déclarèrent que Dieu enverrait bientôt un de leurs empereurs qui entrerait à main armée sur les terres des Juifs, qui raserait leur ville et assiégerait la capitale ; qu'ils seraient pressés de la faim et de la soif, et réduits à se manger les uns les autres; qu'ils tomberaient entre les mains de leurs ennemis ; qu'ils verraient prostituer leurs femmes, violer leurs filles, écraser leurs enfants, mettre leur pays à feu et à sang, et qu'enfin ils en seraient arrachés eux-mêmes en punition de l'attentat qu'ils avaient commis contre le bien-aimé fils de Dieu. La prédiction de Pierre et de Paul fut accomplie après leur mort; et quelque temps après que Néron la leur eut fait souffrir, Vespasien extermina la nation des Juifs, avec toutes les circonstances que ces saints apôtres avaient marquées. [4,22] XXII. J'ai établi fort solidement, si je ne me trompe, tout ce qui paraît incroyable et éloigné de la vérité à ceux qui ne sont pas instruits de la doctrine du ciel. Il ne reste plus qu'à répondre aux arguments de ceux qui, pour vouloir avoir trop de subtilité, n'ont point de foi, et de les convaincre par eux-mêmes que les mystères ont dû être accomplis de la manière dont j'ai prouvé qu'ils l'ont été en effet. Bien que ce soit assez, devant des juges équitables, de produire des témoignages sans apporter de raisons, ou d'apporter des raisons sans produire de témoignages, nous ne séparerons point, en cette occasion, ces deux moyens de soutenir la vérité, et ainsi nous ôterons à ceux qui usent mal de leur esprit tout prétexte ou de ne la pas reconnaître ou de la combattre. Ils disent qu'une nature immortelle, telle qu'est celle de Dieu, n'a jamais pu souffrir de diminution, ni se dégrader en quelque sorte elle-même; qu'il était indigne de la majesté d'un Dieu de se faire homme et de se charger d'un corps pour devenir sujet aux souffrances, aux douleurs et à la mort, puisqu'il lui était aisé de paraître sans prendre toutes ces faiblesses et d'enseigner la justice avec toute l'autorité que la manifestation de sa grandeur lui aurait donnée; que personne n'aurait osé violer des commandements qui auraient été soutenus par une puissance infinie. « Pourquoi donc, ajoutent-ils, n'est-il pas venu entouré de tout l'éclat de sa gloire? Pourquoi s'est-il rendu méprisable par la bassesse et par la faiblesse dont il s'est couvert? Pourquoi a-t-il souffert tous les outrages que des hommes mortels lui ont voulu faire? Pourquoi ne les a-t-il pas ou évités par sa providence, ou repoussés par sa force ? Pourquoi n'a-t-il pas découvert sa majesté, au moins au temps de sa mort ? Et pourquoi a-t-il été mené devant des juges comme un homme qui n'est pas le plus fort, condamné comme un coupable, exécuté comme un mortel? » Je répondrai si exactement à ces objections et les ruinerai de telle sorte, que personne ne pourra plus demeurer dans l'erreur. Toutes ces choses ont été faites par des raisons si merveilleuses que quiconque les aura une fois comprises, non seulement cessera de s'étonner que Dieu ait voulu subir les tourments que les hommes lui ont fait souffrir, mais avouera qu'il n'aurait pu être reconnu pour Dieu s'il ne les eût soufferts. [4,23] XXIII. Je voudrais bien que l'on me dise si ceux qui donnent des préceptes aux autres pour la conduite de leur vie et de leurs mœurs, sont obligés de les observer eux-mêmes. S'ils ne les observent pas, les voilà absolument abolis; car si ces préceptes sont utiles et qu'ils puissent servir à régler notre conduite, celui qui les donne ne se doit pas distinguer des autres, en tenant une manière de vivre différente de celle qu'il enseigne ; autrement il démentira sa doctrine par ses actions, et perdra toute sorte de créance. Tout le monde est jaloux de sa liberté; il n'y a personne qui aime qu'on lui commande, ni qu'on lui impose la nécessité d'obéir. Il y aura donc sans doute quelqu'un qui dira au législateur : « Je ne saurais exécuter ce que vous me commandez, parce qu'en effet cela est impossible. Vous me défendez de me mettre en colère, de souhaiter de devenir riche, d'être touché du plaisir, de fuir l'occasion de souffrir, et d'appréhender la mort: ce que vous me défendez de faire est si conforme à la nature, que tous les animaux s'y portent par l'instinct qu'elle leur a donné. Que si vous prétendez que cette inclination puisse être surmontée, convainquez-m'en par votre exemple. Tant que vous ne ferez rien de ce que vous ordonnerez, j'aurai droit de soutenir que c'est une manière d'agir trop impérieuse, que de vouloir donner à des hommes libres des lois de l'observation desquelles vous vous dispensez. Apprenez ce que vous voulez enseigner aux autres, et réformez-vous avant que d'entreprendre de les réformer. » Qui peut douter que cette réponse ne soit fort juste et fort raisonnable? Ne la pourrait-on pas faire à un législateur qui n'observerait rien de ce qu'il commande, et ne pourrait-on pas se moquer de lui, comme il semble qu'il aurait voulu se moquer des autres? Enfin comment ôterait-il à des esprits désobéissants et rebelles le prétexte de mépriser ses lois, si ce n'est en faisant voir par ses propres actions qu'il n'est pas impossible de les observer. C'est pour cela que les préceptes des philosophes sont si généralement méprisés. On aime mieux des exemples que des paroles. Aussi est il aisé de parler, au lieu qu'il est malaisé d'agir. Plût à Dieu qu'il y eut autant de personnes capables de bien agir, qu'il y en a de capables de bien parler! Quiconque ne fait rien de ce qu'il ordonne ne peut trouver aucune créance. Si c'est un homme, on le méprise comme un esprit léger ; si c'est un Dieu, on lui apportera l'excuse ordinaire tirée de la fragilité humaine. Il faut donc confirmer les paroles par des actions, ce que les philosophes ne sauraient faire. Ils succombent aux passions qu'ils disent qu'il faut surmonter; ils n'inspirent à personne la vertu qu'ils enseignent mal, et ils avouent aussi qu'il n'y a jamais eu de sage parfait, c'est-à-dire qui possédât la science, la vertu et la justice, dans un degré fort éminent. Cela était très véritable; car depuis que le monde est créé, il n'y a jamais eu que Jésus-Christ qui ait enseigné la véritable sagesse et qui ait soutenu la vérité de sa doctrine par les efforts merveilleux de sa puissance. [4,24] XXIV. Considérons maintenant s'il est possible qu'un docteur descendu du ciel ne soit pas parfait. Je ne parle point ici de celui que les infidèles ne veulent pas reconnaître comme envoyé de Dieu. Je suppose qu'il y en ait un qui doive être envoyé pour instruire les hommes et pour leur apprendre à garder la justice ; personne ne doute qu'un docteur descendu du ciel ne doive être parfait en science et en vertu, parce qu'autrement il ne serait pas fort différent d'un docteur de la terre. L'homme ne saurait être savant de lui-même. Un esprit engagé avec le corps et accablé sous la pesanteur de la matière ne comprendra jamais la vérité sans que quelqu'un la lui enseigne. Quand il la pourrait comprendre, il ne pourrait acquérir une vertu parfaite, ni résister à quantité d'erreurs dont il a le principe au milieu de soi. Un docteur descendu du ciel étant d'une nature divine et éternelle, possède au contraire l'éminence de la science et de la vertu, et a tout ce qui est nécessaire pour enseigner parfaitement. Il ne peut pourtant s'acquitter de ce devoir sans prendre un corps mortel ; et la raison en est évidente. S'il paraît comme Dieu, des yeux aussi faibles que les nôtres ne seront pas capables de soutenir l'éclat de sa majesté. De plus, il n'enseignera pas la vertu parce qu'il ne la pratiquera pas; et ainsi il manquera quelque chose à sa doctrine. C'est une vertu de souffrir la douleur pour la défense de la justice, de mépriser les menaces de la mort, et même de la subir. Un docteur, pour être parfait, doit non seulement faire ces commandements-là, mais aussi les confirmer par son exemple. Quiconque donne des préceptes, doit ôter toute sorte d'excuses de ne les point observer. Il faut qu'il impose la nécessité d'obéir, non par aucune violence, mais par une honnête preuve qui ne détruise point la liberté, et qui n'empêche point que ceux qui obéissent ne reçoivent leur récompense, parce qu'ils pourraient ne pas obéir, et que ceux qui n'obéissent pas ne reçoivent leur châtiment parce qu'ils pouvaient obéir s'ils avaient voulu. Il faut donc que celui qui veut enseigner fasse ce qu'il enseigne ; qu'il marche le premier, et qu'il tienne par la main celui qui le suit. Mais comment pourra-t-il faire ce qu'il enseigne, s'il n'est pas semblable à celui qu'il enseigne? Si celui qui enseigne est exempt de passions, celui qu'il enseigne lui pourra répondre : « Je voudrais bien ne point pêcher, mais je succombe à la tentation. Je suis environné d'une chair faible et fragile qui forme de mauvais désirs, qui entre en colère, qui se laisse abattre par la douleur, qui appréhende la mort. Je suis entraîné malgré moi, et je pèche par contrainte plutôt que par choix. Je sais fort bien que je fais mal, mais je ne saurais surmonter ma mauvaise inclination. » Que répondra le docteur de la justice, et comment montrera-t-il que l'excuse tirée de l'infirmité de la chair est une excuse vaine et frivole, s'il n'a lui-même une chair, et qu'il ne fasse voir par son exemple qu'elle n'est point incapable de vertu ? L'expérience est le meilleur de tous les moyens pour confondre les esprits désobéissants et rebelles. Jamais vous ne ferez recevoir votre doctrine si vous ne la pratiquez le premier. Les hommes sont portés d'eux-mêmes au vice, et quand ils le commettent, ils tâchent de faire croire non seulement qu'ils ont des excuses qui méritent le pardon, mais encore qu'ils ont des raisons auxquelles on ne saurait refuser des louanges. Il est donc nécessaire que celui qui entreprend d'enseigner la vertu soit semblable à l'homme, afin qu'en surmontant le péché il fasse voir par son exemple que le péché n'est pas insurmontable. S'il est immortel, jamais il ne servira d'exemple. Il se trouvera toujours des esprits rebelles et opiniâtres qui lui diront: « Vous ne faites point de mal, parce que vous n'avez point de corps. Vous ne désirez rien, parce qu'étant immortel vous n'avez aucun besoin. Mais moi, j’ai besoin de beaucoup de choses pour conserver ma vie. Vous n'appréhendez point la mort, parce qu'elle n'a pas de pouvoir sur vous. Vous méprisez ta douleur, parce que vous êtes au-dessus de toutes les violences qui peuvent venir de dehors. Mais j'appréhende la douleur et la mort, parce qu'elles sont très sensibles à une chair aussi faible que la mienne. « Celui qui voulait enseigner la justice, a dû ôter cette excuse, par laquelle les hommes prétendaient que, quand ils faisaient mal, c'était plutôt par nécessité que par leur faute. Il faut que, pour être un docteur parfait, son disciple n'ait rien à lui reprocher, et que s'il lui objecte que ce qu'il commande est impossible, il lui puisse répondre : « Cela n'est pas impossible puisque je l'accomplis. » S'il lui dit : « Je suis revêtu d'un corps auquel le péché semble propre et comme naturel ; » qu'il lui réponde: « Je suis aussi revêtu d'un corps semblable, et cependant le péché ne domine point en moi. » S'il lui dit : « il ne m'est pas aisé de mépriser les richesses, parce que l'on ne saurait se nourrir à moins que d'avoir du bien ; » qu'il répande : « J'ai un corps à nourrir, et je combats pourtant contre les désirs des biens de la terre. » S'il dit : « Je suis trop faible pour supporter la douleur et la mort pour l'intérêt de la justice; » qu'il lui réponde : « La mort et la douleur ont le même pouvoir sur moi que sur vous, et cependant je les surmonte pour vous apprendre à les surmonter. Si je me contentais de commander, vous auriez quelque prétexte de désobéir ; mais puisque je marche le premier, vous ne sauriez vous dispenser de me suivre. » Ainsi l'homme n'a plus d'excuse. Il est obligé d'avouer que s'il est injuste, c'est par sa faute, et qu'il n'est pas moins coupable d'avoir méprisé les exemples que d'avoir violé les lois. Il paraît, par tout ce que je viens de dire, combien un docteur mortel qui peut servir de modèle est meilleur qu'un immortel qui n'en peut servir, et qui, étant exempt de toute sorte de maux, ne saurait enseigner la patience avec laquelle on les souffre. Je ne prétends pas par là préférer l'homme à Dieu ; je prétends seulement montrer deux choses: l'une, qu'un homme ne saurait être docteur parfait, s'il n'est aussi Dieu et s'il n'a une autorité divine pour se faire obéir ; l'autre, que Dieu ne le saurait être non plus, s'il ne se revêt d'un corps, afin d'obliger les hommes par son exemple à l'observation de ses lois. Il est donc clair que celui qui veut enseigner la justice doit avoir un corps, et que sans cela jamais sa doctrine ne pourrait s'établir solidement parmi les hommes. Ce corps, tout faible qu'il est, le rend capable de pratiquer les vertus qu'il conseille, en l'assujettissant à la douleur et à la mort, ou lui fournit la matière de la patience et des autres vertus, dont il ne saurait persuader la pratique autrement qu'en faisant voir par ses actions qu'elle n'est pas impossible. [4,25] XXV. Que les hommes tâchent donc de comprendre la raison que Dieu a eue, en envoyant son ambassadeur sur la terre pour y enseigner la justice : de vouloir qu'il fût revêtu d'un corps passible, et qu'il souffrit en effet les tourments et la mort. Au temps où il n'y avait point de justice sur la terre, il y a envoyé un docteur, afin qu'il fût comme une loi vivante qui élevât un temple nouveau, et qui, par ses paroles et par ses actions, établit un culte véritable. Néanmoins, afin que les hommes fussent assurés qu'il avait été envoyé de Dieu, il ne fallait pas qu'il naquit comme les autres et par la voie de la génération ordinaire. Il était né sans père, afin que l'on sût que, bien qu'il eût pris une humanité, il ne laissait pas d'être Dieu: il avait Dieu pour père; et comme Dieu lui avait donné sans mère la naissance spirituelle, la Vierge lui avait donné, étant pure, la naissance corporelle. Il était Dieu et homme, médiateur entre l'homme et Dieu, pour conduire l'homme à une vie immortelle. S'il n'avait été que Dieu, il n'aurait pu donner des exemples; s'il n'avait été qu'homme, il n'aurait point eu l'autorité nécessaire pour obliger les désobéissants à l'observation de ses lois. L'homme est composé de corps et d'âme. Cette dernière ne peut mériter l'immortalité que par de bonnes actions. Cependant elle est attachée à un corps terrestre qui l'entraîne par son poids vers la mort. Un esprit dégagé du corps n'aurait pu conduire l'homme à la vie éternelle, parce que le corps retient l'esprit et l'empêche de suivre Dieu. Le corps est faible et sujet au péché, et le péché est la proie de la mort. Le médiateur est venu ; c'est-à-dire que Dieu s'est revêtu d'un corps, afin que le corps le pût suivre, et que ceux qui prendraient empire sur leur corps fussent délivrés de la mort. Il a pris un corps pour dompter les désirs du corps, et pour faire voir que ceux qui pèchent, pèchent par un effet de leur volonté, et sans aucune nécessité. Nous avons un combat continuel à livrer au corps, qui presse l'âme par une infinité de mauvais désirs, et qui, l'empêchant de retenir l'empire qu'elle doit avoir sur les plaisirs, la fait tomber dans la mort. Voilà pourquoi Dieu nous a montré le moyen de vaincre le corps par une vertu parfaite, qui mérite une couronne qui ne se flétrisse point. [4,26] XXVI. J'ai rapporté les raisons pour lesquelles Dieu a voulu prendre un corps faible et passible ; je dirai maintenant celles pour lesquelles il a subi le supplice de la croix, et je découvrirai la puissance qui est cachée sous l'apparence, de la faiblesse de sa mort. Il n'a rien souffert en vain. Toutes ses souffrances ont leur mystère et sont des signes de quelque vérité importante. Sa passion a ce rapport et cette conformité avec ses actions que, bien qu'elles aient produit sur-le-champ de fort notables effets, elles ont présagé de plus rares événements qui devaient arriver en un autre temps. Il a rendu la vue aux aveugles par sa puissance ; mais en la leur rendant, il a marqué qu'il rendait celle du cœur aux nations qui étaient ensevelies dans l'aveuglement et l'erreur. Il a rendu l'ouïe aux sourds; mais sa puissance ne s'est pas arrêtée là; il a marqué qu'il ferait bien retentir la voix du ciel à l'oreille intérieure de ceux qui n'avaient jamais entendu parler de la vérité. Il a rendu la parole aux muets ; c'était sans doute un merveilleux effet de sa puissance ; mais cet effet-là même n'était qu'un signe d'un changement plus surprenant, qui devait être bientôt accompli en ceux qui, ayant vécu jusque alors dans une profonde ignorance des choses de Dieu, en devaient être instruits tout d'un coup et en parler avec une rare éloquence. Le plus fameux orateur du monde n'est qu'un muet quand il ne sait rien des mystères ; mais dès qu'il apprend à parler de la grandeur et de la majesté de Dieu, il commence à faire l'usage qu'il doit de sa langue. Quand elle ne dit que des faussetés, elle ne fait pas la fonction qui lui est propre, et quiconque ne sait pas parler des choses de Dieu est comme un enfant qui ne fait que bégayer, Quand le Seigneur a redressé les boiteux, il a sans doute donné une preuve évidente de sa puissance infinie; mais il a donné en même temps une figure d'un plus grand miracle, qu'il a depuis accompli en ceux qu'il a retirés des égarements de la vie du siècle et qu'il a mis dans le chemin de la vérité, afin qu'en le suivant ils arrivassent heureusement à la grâce. Les véritables boiteux sont ceux qui, étant embarrassés par leur propre ignorance, ne font que de faux pas dans le chemin de la mort. Le Sauveur a effacé les taches de la lèpre : c'était certainement un effet sensible du pouvoir absolu qu'il exerçait sur les maladies les plus malignes; mais c'était aussi un signe de la force que sa doctrine aurait d'effacer les taches du péché et de guérir les véritables lépreux qui, étant plonges par leur cupidité dans les plaisirs les plus infâmes, sont tout couverts de taches qui font autant de honte que d'horreur. Le Sauveur a rendu la vie aux malades, et les appelant par leur nom, il les a retirés du tombeau et de la corruption. Il n'y a point de miracle si convenable à la grandeur de Dieu, ni si digne de l'admiration de tous les siècles, que de rendre la vie à ceux qui l'uni une fois perdue, que d'ajouter des années à d'autres années dont le nombre semblait limité, que de révéler le secret de la mort. Mais cette puissance, tout inexprimable qu'elle est, n'est que l'image d'une autre plus grande que sa doctrine devait avoir ; d'appeler à la lumière de la vie une infinité de peuples qui étaient ensevelis sous les ténèbres de la mort. En effet, y a-t-il des morts plus déplorables que ceux qui ne connaissent point Dieu, qui est le principe de la vie, et qui au lieu de s'élever vers le ciel, qui est le lieu de leur origine, s'abaissent vers la terre qui n'est qu'une région de mort. Ainsi les actions les plus merveilleuses du Sauveur étaient des figures de l'avenir. Les miracles qu'il a faits pour guérir les corps étaient des images de ceux qu'il devait faire pour guérir les âmes, et des preuves non seulement du pouvoir qu'il exerçait sur la nature, mais de celui qu'il avait de communiquer les dons célestes de sa grâce. Sa passion, n'a pas été moins mystérieuse que ses actions : elle n'a rien, ni de fortuit ni d'inutile. Comme les actions miraculeuses qu'il a faites en faveur des corps ont signifié celles qu'il ferait en faveur des âmes; ainsi les tourments qu'il a soufferts par la cruauté des Juifs, signifiaient les persécutions que ceux qui seraient animés de l'esprit de la sagesse souffriraient par l'injustice des juges et par la violence des peines. Le vinaigre qu'on lui a donné à boire, le fiel qu'on lui a donné à manger, ne promettaient que de l'aigreur et de l'amertume durant tout le cours de cette vie à ceux qui auraient le courage de soutenir la vérité. Ses souffrances, qui d'elles-mêmes étaient fâcheuses et amères, nous représentaient les peines et les afflictions auxquelles la vertu est exposée sur la terre. Ce mets et ce breuvage mis dans la bouche de notre maître, nous apprennent combien ceux qui défendent la vérité doivent supporter de misères ; car la vérité est odieuse à ceux qui vivent dans les plaisirs. La couronne d'épines qui fut mise sur sa tête, signifie qu'il assemblerait autour de soi un peuple innocent qu'il avait choisi parmi des coupables. On appelle couronne une assemblée de peuple qui est disposé en rond. Avant que nous connussions Dieu, nous n'étions que des épines, c'est-à-dire des injustes et des coupables. Nous étions éloignés de toutes sortes de bonnes œuvres et capables seulement de faire le mal. Nous avons été cueillis sur les buissons et sur les ronces, et mis sur la tête de notre Dieu, c'est-à-dire que nous sommes assemblés autour de lui, que nous l'écoutons comme notre maître, que nous le respectons comme notre roi. Pour ce qui est de la croix, elle renferme une puissance admirable que je tâcherai d'expliquer. Dieu ayant résolu de délivrer les hommes de la servitude du péché sous laquelle ils gémissaient, envoya sur la terre un excellent docteur pour leur enseigner la route et pour leur montrer le chemin de la justice par où ils pourraient arriver à la vie éternelle. Il se revêtit d'un corps pour pouvoir donner à l'homme l'exemple des vertus qu'il lui voulait enseigner. Il s'acquitta, dans le cours de sa vie, de tous les devoirs de la justice ; mais pour enseigner aux hommes la patience dans la douleur et le mépris de la mort qui consomme la perfection et la vertu, il voulut bien tomber entre les mains d'une nation impie, bien qu'il lui fût aisé ou de les éviter par la connaissance qu'il avait de l'avenir, ou d'en échapper par la force qu'il avait de faire des miracles. Il souffrit les coups, les tourments, la couronne d'épines, afin que l'homme, suivant son exemple, triomphât de la mort et des tourments qui l'environnent. Dieu le père a eu d'importantes raisons pour choisir principalement ce genre de mort. Quelqu'un dira peut-être : « S'il était Dieu et s'il voulait mourir, que ne mourait-il d'un genre de mort qui fût plus honorable ? Pourquoi est-il mort d'un supplice aussi infâme qu'est celui de la croix, et si indigne d'un homme libre, quand même il serait criminel? » C'est qu'étant venu dans un état de faiblesse et de bassesse, pour secourir les hommes qui n'avaient rien que de faible et de bas, et pour leur faire voir qu'il n'y en avait aucun qui ne dût avoir part à l'espérance du salut, il choisit le genre de mort que l'on faisait souffrir aux personnes les plus viles et les plus méprisables, il eut encore une autre raison, qui fut : de conserver son corps entier, parce que trois jours après il le devait tirer du tombeau. Personne ne doit ignorer qu'il avait prédit, bien avant sa passion, qu'il avait le pouvoir de rendre son esprit et de le reprendre quand il lui plairait. Quand il eut rendu l'esprit sur la croix, les bourreaux ne crurent pas qu'il fût nécessaire de lui casser les os, comme ils avaient accoutumé de les casser aux autres crucifiés, mais ils se contentèrent de lui percer le coté. Ainsi, son corps fut détaché entier de la croix, et enfermé dans le tombeau, afin qu'il fût plus disposé à ressusciter. Il y a encore une autre raison pour laquelle il a préféré la croix aux autres supplices : c'est qu'elle le devait élever, et comme l'exposer a la vue de toutes les nations. Ceux qui sont attachés à une croix sont vus de tout le monde. Le Sauveur y a été attaché pour marquer qu'il serait un jour si fort élevé et dans un état si éclatant que les peuples les plus éloignés viendraient en foule le reconnaître et l'adorer. Il n'y en a point aussi de si reculé ni de si barbare qu'il ne sache quelle a été sa passion, et quelle est la gloire dont il jouit. Il étendit les mains sur la croix et embrassa en quelque sorte tout le monde, pour montrer qu'une multitude prodigieuse, dans laquelle il se trouverait des peuples de toutes sortes de langues et de toutes sortes de tribus, viendrait d'Orient et d'Occident s'assembler sous ses bras et recevoir son signe au front. On a une figure de cette merveille dans une cérémonie que les Juifs pratiquent encore aujourd'hui, quand ils marquent le seuil de leur porte avec le sang de l'agneau. Quand Dieu voulut frapper de mort les Égyptiens et préserver les Hébreux de ce fléau, il leur commanda d'immoler un agneau sans tache et de faire une marque sur le seuil de leurs portes avec son sang. Ainsi tous les premiers nés des Égyptiens furent tués en une nuit sans que les enfants des hébreux souffrissent aucun mal. Ce n'est pas que le sang d'une bête eût la force de les sauver; mais c'est que l'agneau que les Juifs immolèrent alors était la figure de Jésus-Christ, qui est l'agneau sans tâche, innocent, juste et saint, qui, ayant été immolé par les Juifs, sauve tous ceux qui mettent sur leur front le signe de son sang, c'est-à-dire le signe de la croix sur laquelle il l'a répandu. Le front est comme le seuil de l'homme. Le bois marqué avec du sang est une image de la croix. Le sacrifice de l'agneau est appelé pâque, c'est-à-dire passion. Quand il a été célébré de la manière que Dieu l'avait ordonné par le ministère de Moïse, il a servi à préserver les enfants des Hébreux de la mort du corps, mais il a été une figure de la force qu'aurait le sacrifice de Jésus-Christ pour sauver tout son peuple. J'expliquerai dans le dernier livre de cet ouvrage de quelle façon seront préservés ceux qui auront sur la partie la plus haute et la plus apparente de leur corps le signe du sang d'un Dieu. [4,27] XXVII. Je me contenterai de faire voir en ce lieu la grandeur et la puissance de la croix. Ceux qui ont vu de quelle manière les démons abandonnent les corps qu'ils possédaient dès qu'on les conjure au nom de Jésus-Christ, savent quelle est la force de ce signe. Comme le Seigneur chassait les démons par sa parole durant sa vie, et qu'il rendait la raison et le bon sens aux esprits qu'ils avaient troublés par leur violence ; ainsi ses disciples mettent en fuite les mêmes démons par le nom de leur maître, et par le signe de la passion. La preuve en est fort aisée, car les païens ne sauraient ni offrir leurs sacrifices, ni tirer aucune réponse de leurs oracles en présence d'une personne qui ait le front marqué de la marque du Sauveur. C'est de là que les méchants princes ont pris le plus souvent prétexte de nous persécuter; des chrétiens, qui avaient des charges à la cour des empereurs et des rois, et qui, par la nécessité de leurs fonctions, assistaient aux sacrifices que faisaient ces princes, ont souvent dissipé les démons par la force du signe qu'ils avaient sur le front, et empêché qu'ils ne fissent paraître dans les entrailles des victimes aucun présage de l'avenir. Les augures, excités par les démons dont ils étaient les ministres, se plaignirent qu'il y avait des profanes qui troublaient les sacrifices, et excitèrent une si furieuse colère dans le cœur de leurs princes, qu'ils attaquèrent le temple de Dieu, et commirent des sacrilèges, qui ont depuis été suivis de rigoureux châtiments. Cependant les païens ont été assez aveugles pour ne pas reconnaître que notre religion, qui remporte de si glorieuses victoires, est véritable, et que la leur qui n'ose ni combattre ni même paraître, est fausse. Ils disent que c'est par haine et non par crainte que les dieux se retirent en notre présence. On n'a de la haine que pour ceux qui nuisent ou qui peuvent nuire ; mais puisque les dieux avaient de la haine pour les chrétiens, ils auraient eu une conduite plus digne de leur grandeur si, au lieu de s'enfuir, ils les eussent punis sur-le-champ. Ils ne pourraient s'approcher de ceux sur le front desquels ils voient le sceau de Dieu, ni leur faire de mal, parce que ce sceau est comme un rempart qui les couvre, et pour cela ils les persécutent par la main des hommes. Si ces hommes-là confessent qu'ils sont les ministres des démons, nous avons remporté la victoire; car il faut nécessairement qu'une religion qui découvre les ruses des démons, qui repousse leur violence, qui les dompte par des armes spirituelles, soit la religion véritable; s'ils le nient, il sera aisé de les confondre par les témoignages des poètes et des philosophes. S'ils avouent qu'il y a des démons, et que ces démons sont de méchants esprits, il faut qu'ils mettent quelque différence entre les démons et leurs dieux. Qu'ils nous expliquent donc quelle est cette différence, afin que nous sachions quels sont ceux que nous devons haïr et ceux que nous devons adorer; s'ils ont quelque habitude entre eux, ou s'ils n'en ont pas et qu'ils soient ennemis. S'ils ont des liaisons, comment les discernerons-nous, pour, éviter de rendre aux uns les respects que nous n'avons intention de rendre qu'aux autres? Si au lieu d'avoir quelque liaison entre eux, ils n'ont que de l'inimitié et de la haine, d'où vient que les démons n'appréhendent point les dieux, et que les dieux ne mettent point les démons en fuite? S'il se trouve quelqu'un qui, étant agité par les démons, ait perdu l'usage de la raison, menons-le au temple de Jupiter dont la grandeur est égale à la bonté, ou plutôt, comme Jupiter n'a pas le pouvoir de guérir les maladies, menons-le à celui d'Esculape ou d'Apollon : le prêtre de l'un ou de l'autre de ces dieux commandera à cet esprit impur et criminel de sortir du corps qu'il possède, et il ne sera point obéi. Où est la puissance des dieux, si les démons n'y sont point assujettis? Cependant ces mêmes démons s'enfuient dès qu'ils sont conjurés au nom de Dieu. D'où vient qu'ils appréhendent Jésus-Christ et qu'ils n'appréhendent point Jupiter, si ce n'est que les démons et ceux que le peuple prend pour des dieux sont les mêmes? Enfin, si l'on mettait d'un côté ces possédés du démon et de l'autre une prêtresse d'Apollon de Delphes, l'un et l'autre redouteront également le nom de Dieu ; et dès qu'on l'aura prononcé la prêtresse sera abandonnée par Apollon et réduite au silence, et le possédé sera délivré du démon. Il est donc clair que les démons, que vous avouez être dignes d'exécration et d'horreur, sont les mêmes que les dieux auxquels vous rendez un souverain culte. Si vous ne nous en croyez pas, croyez-en Homère qui met Jupiter au rang des démons; croyez-en les autres poètes et philosophes qui les appellent tantôt démons et tantôt dieux; en quoi ils s'approchent en partie de la vérité et en partie s'en éloignent. Quand ces abominables esprits sont conjurés, ils confessent qu'ils ne sont que des démons. Quand ils sont adorés par les païens, ils supposent faussement qu'ils sont des dieux pour les engager dans l'erreur, afin de les détourner de la connaissance du vrai Dieu, par laquelle seule ils pourraient éviter la mort éternelle. Ce sont eux qui, pour perdre les hommes, ont inventé divers moyens de se faire adorer par les peuples sous le nom des princes anciens. Il n'y a rien de si aisé que de découvrir ces artifices et cette imposture. Il n'y a pour cela qu'à assembler ceux qui font profession de rappeler les âmes des enfers ; qu'ils rappellent Jupiter, Neptune, Vulcain, Mercure, Apollon, et Saturne qui est plus ancien et le père de tous les autres; ils viendront, ils répondront, ils déclareront la vérité. Que ces mêmes personnes appellent Jésus-Christ, et qu'ils tachent de l'évoquer, il ne paraîtra point, parce qu'il n'a été que deux jours dans les enfers. Il n'y a point de preuve plus certaine que celle-là. Je ne doute pas que Trismégiste n'en ait eu quelque connaissance, quand il a dit de Dieu le père, tout ce que l'on en peut dire, et qu'il a dit beaucoup de choses du Fils, fort conformes à ce que nos mystères nous en enseignent. [4,28] XXVIII. Ces vérités étant aussi incontestables que nous l'avons fait voir, l'unique espérance de l'homme consiste à renoncer à l'erreur, à connaître Dieu et à le servir ; le plus important et le plus nécessaire de tous nos devoirs, est de nous instruire des règles de la justice et des préceptes de la véritable religion. Nous n'avons été mis au monde qu'à condition que nous rendrions nos hommages à Dieu qui nous y a mis ; c'est une obligation étroite et indispensable par le lien de laquelle nous sommes attachés à Dieu, et c'est de là même que vient le mot de religion. Il ne vient pas du verbe "relegere" comme Cicéron l'a prétendu dans les livres de la Nature des dieux, où il parle de cette sorte : « Ce ne sont pas seulement les philosophes qui ont mis une grande différence entre la superstition et la religion, ce sont généralement tous les anciens. On a appelé superstitieux ceux qui passent des jours entiers à faire des prières et à offrir des sacrifices pour obtenir que leurs enfants leur survivent. On appelle religieux ceux qui relisent et repassent dans leur esprit ce qui regarde le culte des dieux. On a fait le nom de religieux du verbe "relegere", comme on a fait celui d'élégant du verbe "eligere", celui de déligent du verbe "deligere", celui d'intelligent du verbe "intelligere". Tous ces mots sont sortis du verbe "legere", comme de leur racine. Ainsi l'usage a voulu que l'on ait introduit les noms de superstitieux et de religieux, dont l'un ne marque qu'un vice et l'autre exprime une vertu. » Les choses mêmes dont Cicéron parle en cet endroit font voir clairement combien cette étymologie et cette explication sont ineptes. La superstition et la religion ont, selon son sentiment, le même objet, qui est de rendre aux dieux le culte qui leur est dû ; et ainsi il n'y a point de différence, ou il y en a peu. Quelle raison m'apporterait-il pour montrer que ce soit un acte de religion de prier une fois les dieux pour la conservation de la vie des enfants, et que ce soit un acte de superstition de prier dix fois pour le même sujet? Si c'est bien fait de prier une fois pour obtenir cette grâce, c'est encore mieux fait de prier plusieurs fois. Si c'est bien fait de prier une heure, c'est encore mieux fait de prier tout le jour; si une victime apaisé la colère des dieux et les rend favorables, plusieurs victimes les rendront encore plus favorables : des vœux redoublés plaisent plutôt qu'ils n'offensent ; bien loin de haïr les serviteurs qui sont assidus à leur devoir, on les aime. Quelle raison y aurait-il de blâmer ceux qui chérissent plus tendrement leurs enfants que ne font les autres, et ceux qui rendent aux dieux des devoirs plus fréquents, et de louer ceux qui tiennent une conduite différente ? On peut encore proposer le même argument de cette sorte : si c'est un crime d'employer tout le jour à faire des prières et à offrir des sacrifices, c'en est un d'y employer un seul moment ; si c'est une superstition de demander souvent que vos enfants vous survivent, c'en est une de le demander rarement. Mais pourquoi donne-t-on le nom de religieux à ceux qui relisent et qui étudient ce qui concerne le culte des dieux? Ceux qui le relisent plusieurs fois en un seul jour, et avec plus de soin et plus d'application que les autres, doivent-ils perdre ce nom? où est donc la différence? La différence est en ce que la religion a la vérité pour objet, au lieu que la superstition n'a pour objet que la fausseté et le mensonge : il importe davantage de savoir ce que vous adorez, que d'examiner la manière dont vous l'adorez. Ceux qui adorent les dieux croient avoir de la religion, bien qu'ils n'aient que de la superstition : leur erreur procède de ce qu'ils ne connaissent pas la force de ces deux termes, et qu'ils ne savent pas la différence des choses qu'ils signifient. Le nom de religion vient du lien dont nous sommes attachés à Dieu : la piété nous tient comme liés à lui, et nous oblige à le servir comme notre maître et de lui obéir comme à notre père. Lucrèce l'a mieux expliqué, quand il a dit qu'il dénouait les nœuds de la religion. Les superstitieux sont ceux non qui souhaitent que leurs enfants leur survivent, car tous les pères le souhaitent, mais ceux qui révèrent la mémoire des morts, et ceux qui ayant survécu à leurs parents gardent leurs images dans leurs maisons et les vénèrent comme des dieux domestiques » Ceux qui ont inventé de nouvelles cérémonies en l'honneur des hommes qu'ils s'imaginaient avoir été reçus dans le ciel et admis au rang des dieux, ont été appelés superstitieux, au lieu que ceeux qui conservaient le culte qui avait été introduit par l'antiquité et autorisé par l'usage public étaient appelés religieux ; c'est pour cela que Virgile a dit que "La vaine superstition ne connaît point les anciens dieux". Les plus anciens d'entre les dieux n'ayant été consacrés que depuis leur mort, ceux qui les adorent sont des superstitieux, et il n'y a que nous, qui servons l'unique et le véritable Dieu, qui nous acquittons des devoirs de la religion et de la piété. [4,29] XXIX. Quelqu'un demandera peut-être en cet endroit, d'où vient que, n'adorant qu'un seul Dieu, nous ne laissons pas de dire qu'il y en a deux ; savoir, le père et le fils. Cette difficulté a extrêmement embarrassé plusieurs personnes qui, trouvant fort probable le reste de notre doctrine, se persuadent que nous nous trompons, en ce que nous confessons d'un côté que Dieu est éternel et de l'autre qu'il est mort. J'ai assez parlé de la mort du Sauveur; je dirai maintenant quelque chose de l'unité de Dieu. Quand nous disons que le père est Dieu et que le Fils est Dieu, nous ne les séparons point, et nous n'admettons point deux dieux. Le père ne saurait être sans le fils, ni le fils sans le père. Le père et le fils ont un rapport réciproque ensemble. Le père est le principe du fils, et le fils est le terme du père. Ils n'ont tous deux qu'une âme, qu'un esprit et qu'une substance. Le père est comme une fontaine qui répand ses eaux avec abondance, le fils est comme un ruisseau qui en coule. Le père est comme le soleil, et le fils comme rayon. Le fils est fidèle à son père et est chéri de lui, et n'en peut non plus être séparé que ruisseau de la source, que le rayon du soleil, que la voix de la bouche, que la main du corps. Le fils est appelé par les prophètes la main du père, sa forme, sa parole. Il ne peut donc être séparé de lui, parce que c'est de la bouche que sort la parole, et que c'est de la main que vient là force. On peut se servir encore d'un autre exemple, qui est plus familier et plus propre à exprimer cette pensée. Quand un père a dans sa maison et sous sa puissance un fils qu'il chérit uniquement, on ne reconnaît, selon la disposition du droit civil, qu'une maison et qu'un maître. Le monde est la maison de Dieu. Le père et le fils qui y habitent ne sont qu'un, ils sont l’un l'autre. Le père est dans le fils, parce que le fils obéit si fidèlement à la volonté du père, qu'il n'a jamais rien fait que ce qu'il lui a commandé. Le fils est dans le père, parce qu'il est aimé de lui. Je vous prouve, par l'exemple que j'ai rappelé ci-dessus, que le père et le fils ne sont qu'un Dieu, quand il dit : « Ils se prosternèrent devant vous, et ils vous prièrent avec soumission ; et ils dirent : il n'y a de Dieu que parmi vous, et il n'y a point d'autre Dieu que le vôtre. » Il dit encore en un autre endroit « Voici ce que dit le Seigneur, le roi d'Israël, et son rédempteur le seigneur des années : Je suis le premier et le dernier, et il n'y a de Dieu que moi seul. » Après que ce prophète a proposé deux personnes, savoir : Dieu qu'il appelle roi, c'est-à-dire Jésus-Christ, et Dieu qu'il appelle le Père, qui a tiré son fils des enfers, comme Osée le témoigne par ces paroles: a Je l'arracherai d'entre les mains de l'enfer; » il conclut au singulier. « Il n'y a point d'autre Dieu que moi, » et ne conclut pas au pluriel en disant : « Il n'y a point d'autres dieux que nous, » parce qu'il n'est pas permis de faire cette différence ni cette séparation. Il n'y a qu'un Dieu, qui est libre, indépendant, souverain et éternel, qui n'a point d'origine, qui est l'origine de toutes choses, et qui comprend et son fils et toutes choses. L'esprit et la volonté de l'un, sont l'esprit et la volonté de l'autre ; ou plutôt le même esprit et la même volonté sont dans l'un et dans l'autre, et tous deux ensemble ne sont qu'un Dieu, parce que le père n'a rien qu'il ne communique a son fils, et que le fils n'a rien qu'il ne rapporte à son père. Le père ne peut être adoré ni honoré qu'au nom du fils. Quiconque se propose de n'adorer que le père, n'adore ni l'un ni l'autre. Mais quiconque adore le fils, adore aussi le père, parce que le fils est l'ambassadeur du père, la porte du temple, le chemin de la lumière, le guide du salut, l'entrée de la vie. [4,30] XXX. Comme il y a des erreurs et des hérésies et que la malice du démon a mis la division parmi le peuple de Dieu, il est à propos de décrire en peu de paroles le lieu où se trouve la vérité, afin que ceux qui désirent boire de l'eau qui donne la vie éternelle, la puisent dans la source qui est Dieu même, au lieu de la puiser dans des lacs où elle ne conserve point sa pureté. Il faut savoir avant toutes choses, que le Sauveur et les apôtres ont prédit qu'il s'élèverait des sectes et des hérésies, qui rompraient l'union du corps des fidèles, et nous ont avertis d'éviter les pièges que nous dresse l'ennemi contre lequel nous sommes obligés de combattre, sans nous laisser jamais tromper par ses ruses. Plusieurs, au lieu de suivre ces avis si salutaires, ont pris des chemins écartés et bordés de précipices où ils ont traîné une foule de personnes simples et ignorantes jusqu'à la mort éternelle. Les ailleurs d'une si funeste division ont été des hommes qui, n'étant pas assez fermes dans leur foi, assez solides dans leur doctrine, assez prudents dans leur conduite, ont brûlé d'un désir ardent de posséder des richesses, et de jouir des honneurs, et ont porté leur ambition sacrilège jusqu'à la dignité la plus sacrée, qui est celle du sacerdoce ; en ayant été exclus par d'autres qui en étaient plus dignes qu'eux, ils ont mieux aimé se retirer avec ceux de leur parti que de se soumettre a ceux qui leur avaient été préférés. D'autres n'étant pas assez instruits de la science de l'Église, pour répondre aux ennemis de la vérité qui leur objectaient qu'il était impossible qu'un Dieu se fût enfermé dans le sein d'une femme, qu'il se fût exposé au mépris, aux railleries, et aux outrages, qu'il eût souffert les tourments les plus cruels et la mort la plus infâme, et que toutes ces faiblesses et ces misères ne convenaient nullement à l'excellence ni à la grandeur de sa nature; et n'ayant jamais compris les véritables raisons de ces mystères, ils se sont éloignés du bon chemin, ont corrompu l'Écriture, et ont inventé une doctrine qui n'a aucun fondement. Quelques-uns, trompés par de faux prophètes, selon que les véritables prophètes l'avaient prédit, ont renoncé à la doctrine du Sauveur et à la tradition de son Église. Toutes ces personnes étant malheureusement tombées dans les pièges du démon, qu'elles devaient éviter, ont perdu le nom de chrétiens. En effet, quand on les appelle phrygiens, novatiens, valentiniens, marcionites, anthropiens, ariens, ou de tout autre nom particulier autre que celui de chrétiens, on marque très clairement qu'ils sont retranchés de la société des fidèles. Il n'y a qu'une Église catholique qui conserve le vrai culte: c'est la source de la vérité, le domicile de la foi, le temple de Dieu, où quiconque n'entrera pas, et d'où quiconque sortira sera privé de l'espérance du salut éternel. Que personne ne se flatte dans l'opiniâtreté avec laquelle il soutient ses sentiments. Il s'agit de la vie éternelle et du salut, on ne saurait avoir trop de soin de les conserver. Il n'y a point cependant d'assemblée hérétique, qui ne donne à ceux qui la composent la qualité de chrétien, et qui ne croie être l'Église catholique. La véritable est celle où se trouve la confession et la pénitence, par laquelle les péchés, qui sont les blessures de l'âme, sont guéris. J'ai bien voulu donner cet avis, comme en passant, et pour que ceux qui souhaitent d'éviter l'erreur n'y tombent pas par ignorance. Je réfuterai plus au long et dans la suite les mensonges et les impostures de toutes les sectes. Maintenant, après avoir parlé de la véritable religion et de la véritable sagesse, je m'en vais parler de la justice.