[15,0] XV. SECOND PLAIDOYER CONTRE LE JEUNE ALCIBIADE, SUR LE MÊME SUJET. <1> Je vous supplie, Athéniens, de prononcer selon, la justice ; j'exhorte les généraux qui ont bien servi la république dans le reste de leurs fonctions, à montrer pour l'accusateur et l'accusé une impartialité entière ; qu'ils se gardent d'accorder leur protection aux premiers venus, et de témoigner un tel empressement pour vous arracher une sentence injuste. Vous, du moins, ne vous prêtez pas à leurs désirs : <2> songez combien vous auriez lieu d'être indignés si, dans l'examen de l'état des citoyens, les thesmothètes venaient vous prier de prononcer à leur gré pour ou contre tels ou tels. Ne sentez-vous pas qu'il serait révoltant que les magistrats qui donnent action aux accusateurs et qui nomment les juges, les exhortassent à condamner ou à absoudre ceux-ci ou ceux-là ? <3> Quel abus plus criant ou plus honteux pourrait s'introduire dans cette ville, que de voir l'archonte, dans des procès de pupilles, supplier les juges de décider suivant sa volonté ; que de voir le polémarque et les onzedécemvirs les solliciter également dans des causes où ils auraient donné action, comme aujourd'hui les généraux ? <4> Ce sont les sentiments où vous devez être ici par rapport à vous-mêmes ; vous ne devez pas plus être favorables à un particulier qui a suivi le service, que permettre aux généraux de vous solliciter pour le coupable, eux qui vous ont nommés juges. <5> Considérez si ce que je vais dire prouve suffisamment que nul des chefs dans le camp ne protégeait encore Alcibiade. Car, si dès lors ils se fusent réellement intéressés pour lui, ils n'auraient pas manqué, de citer Pamphile devant eux, parce que ôtant le cheval à un citoyen, ils privaient Athènes d'un cavalier ; ils auraient certainement imposé une amende au phylarque, parce que chassant Alcibiade de sa compagnie, il dérangeait l'ordre prescrit par les chefs; enfin ils auraient ordonné au taxiarque de l'effacer du rôle de l'infanterie. <6> Au lieu de cela, ils sont laissé insulter par tous les autres dans le camp, ils ont souffert qu'il servît dans la cavalerie parmi les archers; et pour favoriser des coupables qu'il s'agit de punir, ils viennent nous attester ici que ce sont eux qui les ont placés dans telle milice ! Mais n'est-il pas criant qu'Alcibiade, contre les lois d'Athènes, ose recevoir des généraux une place dans la milice ; tandis que les généraux-mêmes, nommés par le peuple, n'oseraient vous commander avant que d'avoir été examinés selon les lois ? <7> Pour moi, je trouverais étrange que les généraux, n'étant pas maîtres de faire passer dans l'infanterie celui qu'ils veulent des cavaliers quoiqu'ils aient été examinés, s'arrogeassent le pouvoir de transporter dans la cavalerie celui qu'ils voudraient des fantassins qui n'ont subi aucun examen. <8> Si, étant maîtres d'accorder cette grâce, les généraux l'eussent refusée à tous les autres, et n'eussent permis qu'au seul Alcibiade de servir dans la cavalerie, vous ne devriez pas même leur pardonner cette partialité. Mais si, n'étant pas libres de changer à leur gré la milice, ils conviennent de l'avoir fait, rappelez-vous que vous avez promis avec serment de prononcer selon la justice, non de vous conformer à leurs désirs, et qu'enfin vous ne devez préférer à vous-mêmes et à votre serment, aucun de ceux qui vous sollicitent. <9> Si la peine paraît trop rigoureuse, et la loi trop sévère, on se souviendra que vous siégez ici non pour établir des lois, mais pour juger d'après celles qui sont établies ; non pour avoir pitié des coupables, mais pour en faire justice, et pour maintenir les intérêts communs. Comptez que parmi les citoyens il s'en trouve de punis pour leurs manquements au service, la punition rendra tous les autres plus exacts à l'avenir et plus fidèles. [15,10] Comme, donc Alcibiade, sans penser à l'intérêt public, n'a considéré que son propre avantage ; vous de même, sans égard pour Alcibiade, n'examinez dans cette cause que le plus grand bien de l'état; d'autant plus que vous avez prêté serment, et que vous avez-à prononcer sur un homme qui ne manquera pas d'insulter à votre faiblesse, s'il pout réussir à vous séduire. Cet homme qui persécute des amis qui l'ont obligé ouvertement, vous saura-t-il gré du service que vous lui aurez rendu secrètement par vos suffrages ? <11> C'est donc à vous, je le répète, c'est à vous de prononcer selon la justice, sans vous laisser fléchir par les sollicitations des généraux. On vous a démontré qu'Alcibiade, engagé pour servir dans l'infanterie, a quitté cette milice, et que, malgré la défense des lois, il a servi dans la cavalerie sans être approuvé. La loi dit expressément que le pouvoir, ni d'un chef d'infanterie, ni d'un commandant de cavalerie, ni d'aucun autre ne prévaudra sur l'autorité des lois ; et un simple particulier aura pu se permettre d'enfreindre cette ordonnance ! <12> Pour moi, ô Athéniens, jaloux de seconder mon ami Archestratide, et de me venger d'Alcibiade mon ennemi, je vous conjure de prononcer selon la justice.. Et, portant vos suffrages, soyez dans les mêmes dispositions que si. vous étiez à la veille d'aller combattre en bataille rangée.