61. Nulle bonne oeuvre ne saurait donc donner le salut à l'incrédule, et ce ne sont point les oeuvres mauvaises qui le perdent : c'est l'incrédulité seule qui, en corrompant le coeur de l'homme, le jette dans la voie du mal. La foi seule rend l'homme bon; l'incrédulité; seule rend l'homme méchant. Le commencement de l'iniquité, dit la Sagesse, consiste à se détourner de Dieu. « Il faut, dit saint Paul, que celui qui s'approche de Dieu, croie en lui. » Ou faites l'arbre bon, ajoute Jésus-Christ, ou faites l'arbre mauvais, et ses fruits seront mauvais. Qui veut de bons fruits doit commencer à planter un bon arbre ; de même tout homme qui veut faire le bien doit croire afin de devenir bon. 62. Il est vrai que ce sont nos oeuvres qui nous font paraître bons ou mauvais devant les hommes, et que c'est par elles que le monde nous connaît et nous juge, selon cette expression de jésus-Christ : «Vous les connaitrez à leurs fruits. » Trompés par ces dehors et ces apparences, nos docteurs en sont venus à enseigner que les bonnes œuvres justifient, et à passer la foi sous silence. Engagés dans une route oii ils s'égarent, tour à tour séduits et séducteurs, aveugles qui conduisent d'autres aveugles, ils succombent sous la multitude d'oeuvres qu'ils s'imposent et ne parviennent jamais à la véritable justice. C'est d'eux que parle saint Paul quand il dit : "Ils ont bien l'apparence, mais non la réalité de la piété; ils apprennent sans cesse et n'arrivent jamais à la connaissance de la vérité". 63. Que celui qui ne veut pas s'égarer avec ces aveugles, regarde plus loin que leurs enseignements touchant la loi et les oeuvres. Qu'il rentre en lui-même jusqu'à son âme, et qu'il apprenne que seule la Parole de Dieu reçue par la foi, a la puissance de le justicier et de le sauver. Qu'il donne alors gloire à Dieu, dont la miséricorde est notre seule justice et qui sauve l'âme croyante par la Parole de sa grâce. 64. Il devient maintenant facile de comprendre quand une bonne œuvre est utile et quand elle est nuisible, et de porter en général un jugement sur toutes ces doctrines des oeuvres. Faites avec l'intention d'acquérir la justice, dans le dessein trompeur d'obtenir le salut, elles sont mauvaises et damnables, par cela seul qu'elles s'imposent et qu'elles enlèvent à l'âme sa liberté et sa foi. Cette presomption impie, cet orgueil insensé de prétendre gainer un salut que Dieu seul peut accorder, est un outrage à sa sainteté, une entreprise violente contre ses divines prérogatives. 65. Nous ne rejetons donc pas les bonnes oeuvres, nous les enseignons, au contraire, et nous les glorifions. Ce ne sont point elles que nous repoussons, mais la pensée impie d'y chercher le salut. C'est cette pensée qui fait que sous l'apparence du bien, elles deviennent un mal et séduisent les âmes comme le loup ravissant caché sous la peau d'une brebis. 66. Là où la foi manque, cette opinion perverse est insurmontable, elle s'implante au coeur de ceux qui s'adonnent aux œuvres de sainteté ; et elle ne peut étre expulsée que par la foi. La nature seule est impuissante à la détruire, impuissante même à reconnaître qu'elle est dangereuse ; et si la longue coutume s'y joint, si des docteurs aveugles lui donnent crédit par leurs enseignements, le mal devient incurable. Immense est le nombre de ceux qu'elle séduit et qu'elle perd. Certes, il est bon de prècher la pénitence et la confession ; niais si l'on en reste là, si l'on n'en vient pas jusqu'à la foi, on ne donne aux hommes qu'un enseignement trompeur et diabolique. Christ ne disait pas seulement avec Jean-Baptiste : « Faites pénitence », mais il ajoutait cette Parole de la foi : « Et le règne de Dieu s'approchera de vous. » 67. Il faut donc prêcher aux. âmes la Parole de Dieu dans sa plénitude, l'Ancien et le Nouveau Testament, la loi et la grâce : la loi pour effrayer le pécheur, lui donner la connaissance de son iniquité, l'amener à la pénitence, à l'amendement de sa vie. Mais en rester là, c'est blesser et ne point panser la blessure, c'est frapper et ne pas guérir, c'est tuer et ne pas rendre la vie, c'est conduire en. enfer et n'en point retirer, c'est abaisser et ne pas relever. C'est ici que doit intervenir la prédication de la grâce et des promesses de Dieu. Sans elle, c'est vainement qu'on enseigne la loi, la contrition, la pénitence et les oeuvres satisfactoires. 68. Il y a bien encore des prédicateurs qui prêchent et la pénitence et la grâce, mais ils ne montrent pas comment elles se rattachent, l'une à la loi et l'autre aux promesses de Dieu. Or, c'est la loi qui fait naître la pénitence, tandis que la foi et la grâce découlent de la promesse. « La foi., dit saint Paul, vient de ce qu'on entend, et ce qu'on entend vient de la Parole de Dieu.» En d'autres termes, la foi aux promesses divines console et relève l'homme que la loi a abattu et humilié par ses menaces et par la connaissance qu'elle lui a donnée de ses misères. Ainsi s'explique ces paroles du Psaume : "Les pleurs logent le soir et le chant de triomphe survient au matin". 69. Après avoir parlé des oeuvres en général et de la manière dont le chrétien doit se conduire à l'égard de lui-même, il nous reste à dire quelques mots de ses rapports avec le prochain et des devoirs que ces rapports entraînent. L'homme, ici-bas, ne vit pas pour soi même, dit l'apôtre saint Paul. « Qu'il vive ou qu'il. meure, il vit et meurt au Seigneur. » Entouré d'autres hommes, il a des rapports avec eux, il leur parle, il agit sur eux. Plus il les aime, plus il cherche à leur être utile. C'est ainsi que Christ a revêtu la nature humaine, pour agir comme homme au milieu des hommes. 70. Il faut se persuader tout d'abord qu'aucune de ces œuvres n'est nécessaire au salut et à la justice. En tout ce que vous faites n'ayez égard qu'au bien de votre prochain, n'ayez d'autre but que de l'aider et de le servir. L'apôtre nous recommande de travailler de nos mains pour nous nourrir sans doute, mais surtout pour venir en aide à notre prochain. dans ses besoins. Il faut qu'en acquérant les choses de la vie par notre travail nous relevions l'infortuné; que le membre robuste assiste le membre faible, que pleins de sollicitude réciproque nous portions les fardeaux les uns des autres, et qu'enfants de Dieu, nous accomplissions ainsi la loi du Christ.