lerai ma vieillesse, à l'exemple des serpents. Avec ces avantages, je ne manquerai de rien; car tous les biens des autres seront à moi, puisque je pourrai ouvrir les portes, endormir les gardiens et entrer dans les maisons sans être vu. S'il y a dans les Indes ou les contrées hyper- boréennes quelque spectacle extraordinaire, quelque objet de haut prix, des mets, des boissons délicieuses, je n'en- verrai pas les chercher, j'y volerai moi-même et je jouirai de tout à satiété. Les autres n'ont jamais vu le griffon, ce quadrupède ailé, ni le phénix, cet oiseau des Indes : moi, j'irai les voir. Je serai le seul qui connaîtrai les sources du Nil et les contrées inhabitées de la terre et s'il y a des antipodes qui habitent l'hémisphère austral. Je connaîtrai aussi sans peine la nature des astres, de la lune et du soleil même, puisque je serai insensible au feu, et, chose agréable entre toutes, j'annoncerai le jour même à Babylone qui aura remporté la victoire olympique et, après avoir, s'il se trouve, déjeuné en Syrie, je dînerai en Italie. Si j'ai quelque ennemi, je m'en ven- gerai sans être vu en lui lançant une pierre à la tête, de manière à lui briser le crâne. Par contre, je ferai du bien à mes amis et leur verserai de l'or pendant leur sommeil. Mais si j'aperçois quelque riche orgueilleux, quelque tyran qui outrage l'humanité, je l'enlèverai à vingt stades de hauteur, et je le laisserai tomber sur des rochers. Rien ne m'empêchera de jouir de mes mignons, puisque j'entrerai chez eux sans être vu et que j'endormirai tout le monde, excepté eux seuls. Quel plaisir ce serait encore d'espionner les belligérants en m'élevant au-dessus de la portée des traits, et, quand je le voudrais, de prendre le parti des vaincus, d'endormir les vainqueurs et de donner la victoire aux vaincus revenus de leur déroute. En un mot je me ferais un jeu de la vie des hommes, tout serait à moi et l'on me prendrait pour un dieu. Et le comble de ma félicité, c'est que je ne pourrais la perdre, qu'elle serait à l'abri des embûches et surtout que j'en jouirais en bonne santé pendant une longue vie. 45. Que peux-tu reprocher à mon souhait, Lykinos? LYKINOS Rien, Timolaos; car il ne serait pas trop sûr de contre- dire un homme qui a des ailes et dont la force surpasse celle de dix mille autres. Néanmoins je te demanderai si, parmi tant de nations que tu as survolées, tu n'as pas aperçu certain homme déjà vieux, dont l'esprit bat la cam- pagne, qui voyage dans les airs sur un petit anneau, qui est capable de remuer des montagnes entières du bout de son doigt et qui inspire de l'amour à tout le monde en dépit de sa tête chauve et de son nez camard. Mais dis-moi encore pourquoi un seul anneau n'aurait pas le pouvoir d'opérer toutes ces merveilles. Ne pourras-tu marcher qu'après avoir enfilé toutes ces bagues et en avoir couvert tous les doigts de ta main gauche? Il y en a même trop pour une seule main, et il faudra que la droite lui vienne en aide. Cependant il te manque encore un anneau, et c'est le plus nécessaire, celui qui, si tu le passais à ton doigt, ferait cesser ta folie et enlèverait cette épaisse couche de sottise. Peut-être aussi une potion d'hellébore pur produirait-elle le même effet. TIMOI.AOS 46. Mais il faudra bien, Lykinos, que tu fasses un souhait toi aussi, afin que nous sachions si tu ne deman- deras rien qui donne prise à la censure et aux reproches, toi qui critiques si bien les autres. LYKINOS Moi, je n'ai pas de souhait à former; car nous voilà arrivés au Dipyle et ce brave Samippos, en bataillant en combat singulier à Babylone, et toi, Timolaos, en déjeunant en Syrie et en dînant en Italie, vous avez épuisé les stades qui m'étaient dévolus, et vous avez bien fait. D'ailleurs je ne voudrais pas, pour une fortune éphémère que le vent emporte avec lui, être réduit quelque moment après à manger mon pain sec, comme cela va vous arriver tout à l'heure, quand votre félicité et vos immenses richesses se seront envolées et que vous-