[16,0] SATIRE XVI. 1-6. Qui pourrait faire le compte, Gallus, de tous les privilèges que donne, si l'on y a de la chance, le métier des armes ? Si je suis admis dans un camp favorisé des dieux, puissé-je, nouvelle et timide recrue, en passer la porte sous une heureuse étoile ! Car l'heure qui promet bonne destinée est encore plus utile qu'une lettre de recommandation de Vénus à Mars, ou même de sa mère, la déesse qui se plaît aux rivages de Samos. 7-34. D'abord, les prérogatives communes à tous les soldats. L'une des moindres n'est pas la crainte qu'un civil éprouvera toujours à frapper un militaire. Si même le civil a reçu des coups, il ne s'en vante point, il se garde bien d'aller montrer au préteur ses dents sautées, son noir visage meurtri et boursouflé, l'oeil qui lui reste et sur lequel le médecin ne se prononce pas. Veut-il se venger ? il aura pour juges des bottes, de puissants mollets et un corps de géant, selon l'antique loi des camps et l'usage établi par Camille, lesquels défendent à un soldat d'avoir procès hors du retranchement et loin de ses drapeaux. - " Que les centurions aient le privilège des affaires militaires, parfait ! et ils me donneront satisfaction si ma plainte est légitime. " Oui, mais tu auras la rancune unanime de la cohorte, tous les camarades du soldat feront bloc pour que sa punition soit légère et la vengeance plus lourde que l'affront. Il faut un discoureur comme Vagellius, aussi entêté qu'un mulet, pour aller, quand on n'a que ses deux jambes, se frotter à tant de bottes et à des milliers de clous. Et puis, qui voudrait courir si loin de Rome ? Quel Pylade aurais-tu pour ami, s'il osait franchir les terrassements ? Vite, séchons nos larmes et n'allons pas solliciter des amis qui ne manqueraient pas de prétextes pour s'excuser. - " Produis tes témoins ", dira le juge. Des témoins ! Si celui-là même qui a vu donner les coups osait venir dire : " J'ai vu ", je le déclarerais digne de la barbe, digne des cheveux de nos aïeux. Produire un faux témoin contre un pauvre bougre de civil est moins risqué que d'en produire un authentique contre la fortune et l'honneur d'un soldat. 35-50. Il y a d'autres privilèges, d'autres avantages attachés au serment militaire. Un voisin malhonnête s'approprie quelque vallon de mon domaine familial ; il arrache la borne sacrée à laquelle je faisais chaque année l'offrande d'une bouillie et d'une galette ; un débiteur refuse de me rendre de l'argent emprunté, il désavoue sa signature sur le billet : pour de telles affaires, il faut attendre la saison où s'ouvre la série des procès vulgaires. Alors même, que d'ennuis, que de retards ! Bien des fois déjà l'on a disposé les sièges du tribunal ; l'éloquent Cédicius vient d'ôter son manteau et Fuscus est en train de pisser, nous sommes prêts : et soudain l'on nous renvoie ! On lutte au forum comme sur un sable mouvant. Mais ceux qui portent les armes et ceignent le baudrier, ont le choix de la date pour plaider : [16,50] ces gens-là ne se ruinent pas en longs procès. 51-60. Un autre privilège encore des soldats est leur droit de tester du vivant de leur père. La loi déclare que le pécule acquis au service n'entre point dans le patrimoine que le chef de famille a tout entier à sa disposition. C'est pourquoi Coranus, qui est sous les drapeaux et touche sa solde, se voit choyé par son père qui est un vieillard flageolant sur ses jambes. Une juste faveur pousse Coranus et récompense son beau zèle. C'est assurément l'intérêt du général que les plus braves soldats soient aussi les plus satisfaits et que joyeux de leurs phalères et de leurs colliers, tous...