[5,0] LIVRE V. Fin de la guerre du Péloponnèse. Les trente tyrans et leur expulsion par Thrasybule. Expédition de Cyrus, et retraite des dix mille. [5,1] I. Nous avons vu les Athéniens combattre deux années en Sicile avec plus d'ambition que de succès. Cependant l'auteur de la guerre, le chef de l'expédition, Alcibiade, est accusé à Athènes, en son absence, d'avoir révélé le mystère de Cérès, dont le silence était la loi la plus sainte. Rappelé de l'armée pour paraître devant ses juges, et cédant soit à son indignation, sait aux reproches de sa conscience, il s'exila volontairement en Élide. Bientôt, condamné par les juges, frappé même par tous les pontifes des anathèmes les plus terribles, il se rendit à Lacédémone, et y engagea le roi à attaquer les Athéniens, abattus par les revers qu'ils venaient d'essuyer en Sicile. Aussitôt les peuples de la Grèce vinrent à l'envi se joindre aux Spartiates, comme pour éteindre un incendie qui les menaçait tous ; tant les Athéniens s'étaient rendus odieux par leur domination tyrannique ! Le roi de Perse lui-même, Darius, héritier de la haine qui avait armé contre Athènes son père et son aïeul, s'unit avec Lacédémone par les intrigues de Tissapherne, satrape de Lydie, et se chargea des frais de la guerre. Sa haine peur les Athéniens n'était cependant que le prétexte de son alliance avec les Grecs : il craignit que, vainqueurs d'Athènes, les Spartiates ne tournassent leurs armes contre lui. Faut-il donc s'étonner que la puissance d'Athènes ait succombé, lorsque toutes les forces de l'Orient conjuré s'étaient réunies contre elle seule ? Mais sa résistance ne fut pas sans gloire, et sa défaite coûta des flots de sang : elle lutta jusqu'au dernier soupir, et, souvent victorieuse, elle fut plutôt épuisée par les caprices de la fortune, que vaincue par la force. La guerre commençait à peine, que ses alliés même l'avaient déjà trahie : tel est l'usage des hommes, toujours fidèles au parti que semble favoriser le sort. [5,2] II. Alcibiade déploya, dans la guerre qu'il avait allumée contre sa patrie, non le courage d'un simple soldat, mais les talents d'un grand capitaine. A la tête de cinq vaisseaux, il fit voile vers l'Asie, et souleva, par l'ascendant de son nom, les villes tributaires des Athéniens : on savait qu'il s'était illustré dans sa patrie, et l'exil, aux yeux des peuples, n'avait pont obscurci sa gloire : on voyait en lui un général donné aux Spartiates, plutôt qu'enlevé aux Athéniens, et son pouvoir nouveau semblait égaler celui qu'il avait perdu. Mais son mérite excita à Lacédémone plus d'envie que de bienveillance ; les principaux citoyens dressèrent des embûches à ce dangereux rival : Alcibiade, instruit de leurs complots par la femme du roi Agis, qu'il avait séduite, se réfugia près de Tissapherne, satrape de Darius. Il sut bientôt gagner son amitié, par l'affabilité de son langage et sa complaisance officieuse : aux grâces de la jeunesse, à la beauté majestueuse de ses traits, il joignait une éloquence qu'Athènes même avait admirée : mais comme des vices étaient cachés sous ce talent, il savait mieux acquérir que conserver des amis. Il engagea donc Tissapherne "à ne pas fournir tant d'argent à la flotte de Sparte ; à faire peser une partie de ce fardeau sur les Ioniens, puisque la guerre devait les affranchir du tribut qu'ils payaient à Athènes ; à ne pas même prodiguer ses secours aux Spartiates, qui voulaient vaincre pour eux, et non pour lui ; à leur fournir les moyens de poursuivre, non de terminer la guerre. Il ajoute que, dans les dissensions des Grecs, le roi de Perse, arbitre de la guerre et de la paix, soumettra par leurs propres armes ceux que ses forces n'auraient pu dompter ; mais que, dès la fin de la guerre, il aura les vainqueurs à combattre : qu'il faut donc épuiser la Grèce par des divisions intestines, pour la détourner de toute conquête étrangère, rendre les forces égales, et venir à l'appui du plus fable ; que les Spartiates ne sont pas disposés à rentrer dans le repos après la victoire, puisqu'ils se sont déclarés hautement les vengeurs de la liberté grecque." Tissapherne approuva ces conseils ; il n'envoya aux Lacédémoniens que des sommes assez faibles, et une partie de la flotte royale, ne voulant ni leur assurer la victoire, ni les contraindre à renoncer à la guerre. [5,3] III. Cependant Alcibiade vantait à ses concitoyens le service qu'il leur avait rendu ; il accueille leurs députés, et leur promet l'amitié du roi, s'ils consentent à faire passer du peule au sénat le gouvernement de la république : il espérait se faire ainsi rappeler, soit à la tête des troupes par les deux ordres réunis, soit au secours de l'un des partis si la discorde éclatait dans l'état. Athènes menacée d’une guerre dangereuse sacrifia sa gloire à son salut, et, du consentement du peuple, le sénat recouvra le pouvoir. Mais ses membres, égarés par la fierté naturelle aux nobles, devinrent bientôt pour le peuple autant d'oppresseurs et de tyrans ; et Alcibiade, rappelé par les soldats, reçut le commandement de la flotte. Il mande aussitôt à Athènes "qu'il va s'y rendre, à la tête d'une armée, pour arracher aux Quatre-Cents un pouvoir ravi au peuple, s'ils ne s'en dépouillent eux-mêmes." Effrayés de ces menaces, les grands, après une tentative inutile pour livrer la ville aux Spartiates, s'exilèrent volontairement. Alcibiade, ayant délivré sa patrie de ces dissensions intestines, équipa une puissante flotte, à la tête de laquelle il se dirigea contre les Lacédémoniens. [5,4] IV. Mindare et Pharnabaze, chefs de la flotte ennemie, l'attendaient à Sestos, en ordre de bataille. La victoire resta aux Athéniens ; elle coûta aux Spartiates le plus grand nombre de leurs soldats, presque tous leurs généraux, et quatre-vingts navres. Peu de jours après, les Spartiates, ayant quitté leur flotte pour combattre sur terre, sont une seconde fois vaincus : épuisés par ces désastres, ils demandèrent la paix ; mais les intrigues de ceux qui voulaient la guerre les empêchèrent de réussir. Enfin, l'invasion des Carthaginois dans la Sicile rappela les troupes syracusaines à la défense de leur patrie, et Alcibiade, voyant les Spartiates accablés de tant de pertes, alla ravager l'Asie avec sa flotte victorieuse. Il livre de nombreux combats, rentre en triomphe dans toutes les villes révoltées, en soumet plusieurs autres, et étend, par ses nouvelles conquêtes, la puissance de son pays, rend à la marine athénienne son ancienne gloire, s'illustre même par plusieurs victoires sur terre, et retourne vers le peuple, qui l'appelait de ses voeux. Il était suivi de deux cents vaisseaux enlevés à l'ennemi, et chargés d'un immense butin. A son approche, une foule innombrable sort de la ville, et accourt au devant de l'armée victorieuse. On admire tous ces guerriers, mais surtout Alcibiade ; partout, les yeux étonnés se fixent sur lui : on le contemple comme un génie tutélaire, comme le dieu de la victoire : on vante les bienfaits dont il a comblé sa patrie : on admire jusqu'aux talents qu'il a déployés contre elle ; il avait cédé, disait-on, au ressentiment d'un injuste exil. On s'étonne qu'un seul homme ait été assez puissant pour renverser un si grand empire et le relever ensuite ; pour traîner, dans chaque parti, la victoire sur ses pas, et maîtriser à son gré la fortune. C'est peu que lui décerner les récompenses accordées aux héros, on lui prodigue encore les honneurs qui ne sont dus qu'aux dieux ; tous s'efforcent à l’envi d'effacer, par l'éclat de son rappel, l'opprobre de son exil. Ils portent au devant de lui, pour rendre hommage à ses triomphes, les images de ces mêmes dieux dont ils avaient imploré contre lui la vengeance, et semblent vouloir placer au rang des immortels cet homme qu'ils ont naguère privé de tout secours humain. Les honneurs succèdent aux outrages, les présents aux confiscations, les voeux publics aux malédictions de la haine. On ne parle pas des revers de la Sicile, mais des victoires remportées dans la Grèce ; on ne songe pas aux flottes qu’il a perdues, mais à celles qu'il vient de conquérir ; on oublie Syracuse, pour ne se souvenir que de l'Hellespont et de l'Ionie. C'est ainsi qu'Alcibiade, dans la faveur ou dans la disgrâce, inspira toujours à ses concitoyens des sentiments extrêmes. [5,5] V. Cependant les Spartiates confient à Lysandre le commandement de leur flotte et la conduite de la guerre. Cyrus, fils de Darius, roi de Perse, substitué à Tissapherne dans le gouvernement de l'Ionie et de la Lydie, leur prodigua ses trésors, ses secours, et leur rendu l’espoir et le courage. Avec ces nouvelles forces, ils firent voile vers l'Asie, où Alcibiade venait de passer à la tête de cent vaisseaux ; et tandis que ses soldats épars, entraînés par l'appât du butin, pillent sans crainte des campagnes qu'une longue paix avait enrichies, l'ennemi surprend, écrase leurs bataillons dispersés. Les Athéniens perdirent dans cette seule défaite plus qu'ils n'avaient gagné par tant de victoires ; et, dans leur désespoir, attribuant ce désastre, non au caprice de la fortune, mais à la trahison de leur chef, en qui d'anciens ressentiments avaient prévalu sans doute sur le souvenir de leurs derniers bienfaits, ils déposent sur-le-champ Alcibiade, pour lui substituer Conon. Le premier n'avait, disaient-ils, remporté quelques succès que pour montrer à l'ennemi quel général il avait dédaigné, et lui vendre à plus haut prix la victoire. On pouvait tout croire, en effet, d'un homme aussi habile et aussi corrompu qu'Alcibiade. Craignant la fureur du peuple, il s'exila pour la seconde fois. [5,6] VI. Conon, animé par l'idée toujours présente des talents de son prédécesseur, travaille avec ardeur à équiper une flotte : mais l'élite de l'armée venait de périr en Asie, et ses vaisseaux manquaient de soldats. En vain on appelle aux armes les vieillards et les enfants ; l'armée devient plus nombreuse et reste aussi faible. De tels combattants ne soutinrent pas longtemps le choc de l'ennemi : ils tombent pêle-mêle sous le glaive ou dans les mains du vainqueur : , et tel fut le nombre des prisonniers et des morts, que l'empire et le nom même d'Athènes paraissaient près de s'éteindre. Épuisée par ce dernier revers et ne trouvant plus de soldats, elle reçoit les étrangers au nombre de ses citoyens ; elle donne la liberté aux esclaves, l'impunité aux criminels ; de ce ramas d'hommes, elle forme une armée naguère maîtresse de toute la Grèce, elle peut à peine défendre sa liberté. Cependant elle se décide à tenter encore une fois la fortune de la mer, assez hardie pour espérer la victoire, alors même qu'elle venait de désespérer de son salut. Mais ce n'était point avec de tels soldats qu'Athènes pouvait défendre son nom ; ce n'était point à de tels appuis qu'elle avait dû tant de victoires : quels talents militaires lui promettaient des hommes habitués à vivre dans les fers, et non dans les camps ? aussi presque tous furent pris ou tués ; et Conon, échappé seul au carnage, redoutant la vengeance des Athéniens, se réfugia avec huit vaisseaux près d'Evagoras, roi de Chypre. [5,7] VII. Enivré de tant de succès, le général spartiate insulte aux malheurs des vaincus : il envoie en triomphe dans sa patrie, chargés d'ornements et de dépouilles, les vaisseaux dont il s'est rendu maître. Les villes tributaires d'Athènes, que l'incertitude d u sort des armes avait contenues dans le devoir, se livrent volontairement à lui, et toute la puissance d'Athènes est renfermée dans ses murailles. A ces tristes nouvelles, tous les habitants quittent leurs maisons, et courent épouvantés de rue en rue : ils s'interrogent l'un l'autre ; ils cherchent l'auteur de ce bruit fatal. Vieillards, femmes, enfants, tous se répandent dans la ville ; un si horrible désastre frappe à la fois tous les coeurs. On se réunit sur la place publique ; on y passe la nuit à verser des larmes sur l'infortune d'Athènes : l'un pleure un frère, un fils ou un père ; l'autre des proches, ou des amis plus chers encore, et, unissant dans leurs plaintes les pertes particulières et les désastres publics, ils s'écrient qu'ils vont périr, et la patrie avec eux ; que les citoyens morts dans le combat sont heureux et dignes d'envie. Chacun se retrace les horreurs d'un siège, les souffrances de la famine, les cruautés du vainqueur ; la ville anéantie par le fer et la flamme ; ses citoyens captifs et traînés en esclavage : autrefois du moins les murs d'Athènes étaient seuls tombés, sans écraser sous leurs débris les enfants et les pères ; mais aujourd'hui ils n'avaient ni flotte qui pût leur servir d'asile, ni armée qui pût tes défendre et relever un jour une ville plus vaste et plus belle. [5,8] VIII. Dans cet abattement général, l'ennemi paraît devant les murs, et presse les assiégés par la famine. Il savait que les vivres qu'on y avait reçus touchaient à leur fin, et il fermait l'accès de la ville à de nouveaux convois. Epuisée par une longue disette et la perte de tant de citoyens, Athènes demanda la paix. Alors s'éleva une longue discussion parmi les Lacédémoniens et leurs alliés : les uns disaient "qu'il fallait brûler les murs et anéantir le nom d'Athènes ; mais les Spartiates, ayant déclaré "qu'ils n'arracheraient point l'un des deux yeux de la Grèce," promirent la paix aux vaincus, s'ils consentaient "à renverser les murailles qui unissaient la ville au Pirée, à livrer le reste de leurs vaisseaux, à recevoir trente gouverneurs choisis par Lacédémone."La ville se rendit sous ces conditions, et le gouvernement en fut confié à Lysandre. Cette année, signalée par la prise d’Athènes, le fut aussi par la mort de Darius, roi de Perse, et par l'exil de Denys, tyran de Sicile. Avec l'état de la république, changea bientôt le sort de ses citoyens : les trente magistrats nommés pour la gouverner s'érigent en tyrans ; ils s'entourent d'abord de trois mille satellites, garde plus nombreuse peut-être que les citoyens échappés à tant de désastres ; et, trouvant cette armée trop faible pour contenir la ville, ils obtiennent encore des vainqueurs sept cents soldats. Bientôt ils commencent leurs massacres ; et, craignant qu'Alcibiade ne se rendît de nouveau maître d'Athènes, sous prétexte de briser ses fers, ils le choisissent pour première victime. Il se rendait vers Artaxerxe, roi de Perse, lorsque des meurtriers, envoyés à la hâte à sa poursuite, l'atteignirent, et, n'osant l'attaquer à force ouverte, le brûlèrent vif dans la maison où il reposait. [5,9] IX. Délivrés de l'ennemi dont ils redoutaient la vengeance, les tyrans, par leur cruauté et leurs rapines, épuisent les faibles débris d'une si belle nation. Théramène, l'un de leurs collègues, désapprouvait leurs violences : sa mort répandit partout l'épouvante. Les citoyens s'empressent de quitter la ville, et la Grèce se remplit d'Athéniens fugitifs. Privés même de cette dernière ressource par l'édit des Spartiates, qui défendait aux villes grecques de donner asile aux exilés, ils se réfugièrent à Argos et à Thèbes ; ils y trouvèrent non seulement un refuge, mais aussi l'espoir de recouvrer leur patrie. Au nombre des exilés était Thrasybule, homme d'une naissance illustre et d'un esprit entreprenant, qui résolut d'affronter la mort pour la patrie et pour le salut commun. A la tête de ses compagnons d'exil, il s'empara de Phylé, château situé sur les frontières de l'Attique : plusieurs villes, touchées de tant de malheurs, lui prêtèrent quelques secours. Isménias, le premier citoyen de Thèbes, ne pouvant disposer en leur faveur des forces de sa patrie, les aidait en secret de ses propres secours, et l'orateur Lysias, alors exilé de Syracuse, leva à ses frais cinq cents soldats destinés à délivrer la mère commune de l'éloquence. La première bataille fut sanglante ; mais les uns combattaient avec plus d'ardeur peur le salut de leur patrie, que les autres pour le maintien d'une domination étrangère. Les tyrans furent vaincus et se réfugièrent dans la ville, pour y désarmer le peu de citoyens dont ils avaient épargné la vie. Bientôt même, craignant une trahison, ils chassent de la ville tous les Athéniens, leur assignent pour demeure l'espace compas entre les murailles qu'on avait abattues, et confient à des soldats étrangers la défense de leur pouvoir. Ils essayèrent ensuite de séduire Thrasybule, en promettant de l'associer à leur puissance ; mais, n'ayant pas réussi, ils firent venir des troupes de Lacédémone, et livrèrent une seconde bataille, où périrent Critias et Hippolochus, les plus cruels d'entre eux. [5,10] X. Les autres furent également vaincus, et Thrasybule, voyant fuir leurs soldats, presque tous Athéniens, leur demande à grands cris, "pourquoi ils fuient devant lui, comme des vaincus, au lieu de l'aider à venger leur liberté commune ? Il leur rappelle qu'il est leur concitoyen, non leur ennemi ; qu'il n'a pas pris les armes pour les dépouiller, mais pour leur rendre les biens qu'ils ont perdus ; qu'il fait la guerre, non à la patrie, mais à ses tyrans." Il leur rappelle qu'issus du même sang, soumis aux mêmes lois, au même culte, ils ont longtemps combattu pour la même cause ; que si eux-mêmes supportent patiemment l'esclavage, "ils aient du moins pitié de leurs concitoyens exilés ; qu'ils rendent une patrie à ceux qui leur apportent la liberté." Telle fut la puissance de ces discours, que l'armée à son retour dans la ville, relégua les tyrans à Éleusis, et confia le gouvernement à dix magistrats nouveaux ; mais, insensibles à l'exemple menaçant de leurs devanciers, ceux-ci marchèrent sur leurs traces et se souillèrent des mêmes crimes. Cependant les Spartiates, instruits de ce soulèvement, envoient pour le réprimer le roi Pausanias, qui, touché des malheurs de ce peuple banni, lui rend enfin sa patrie, et exile à Éleusis les dix nouveaux tyrans. Le calme semblait rétabli : mais quelque temps après, également indignés et du retour des bannis, et de leur propre exil, se croyant esclaves parce que leurs concitoyens étaient libres, les tyrans prennent les armes. Séduits par l'espoir de recouvrer leur empire, ils se laissent attirer à des conférences où ils sont saisis, et cimentent de leur sang le rétablissement de la paix : les citoyens proscrits par eux sont rappelés dans la ville. C'est ainsi que les membres dispersés d'Athènes se réunirent enfin en un seul corps ; et, pour prévenir les ressentiments et les vengeances, tous s'engagèrent, par serment, à l'oubli des discordes passées. Cependant Thèbes et Corinthe envoient des députés aux Spartiates, pour demander leur part dans le butin d'une guerre dont elles avaient partagé les périls. Cette demande est rejetée, et les deux républiques, sans se déclarer ouvertement ennemies, montrent assez, par leur colère à peine retenue, que la concorde est près de se rompre. [5,11] XI. Vers cette époque mourut Darius, roi de Perse ; ce prince laissa deux fils, Artaxerxe et Cyrus : il légua l'empire au premier, et ne laissa au second que les villes dont il était gouverneur . Cyrus trouvait ce partage injuste, et se préparait en secret à la guerre. Instruit de ses complots, Artaxerxe l'appela près de lui, et, malgré ses protestations de soumission et d'innocence, il le fit charger de chaînes d'or, et lui eût ôté la vie, si sa mère ne l'avait sauvé. Cyrus, à peine en liberté, continue ses préparatifs, non plus en secret, mais ouvertement ; et, déclarant hautement ses projets, il réunit de toutes parts des soldats. Les Spartiates, qui, dans la guerre du Péloponèse, avaient reçu de lui de puissants secours, feignent d'ignorer le but de ses préparatifs, et promettent de lui envoyer des troupes dès qu'il en aura besoin : par là, ils cherchaient à se ménager à la fois et l'amitié de Cyrus, et une excuse près d'Artaxerxe, s'il était vainqueur, puisqu'ils n'auraient rien arrêté directement contre lui. Les deux frères s'étant rencontrés dans la mêlée, Artaxerxe fut le premier blessé par Cyrus ; mais la vitesse de son cheval le tira du danger, et son rival fut tué par ses gardes. Vainqueur, il resta maître des dépouilles et de l'armée de son frère. Dix mille Grecs, auxiliaires de Cyrus, furent vainqueurs à l'aile où ils avaient combattu : même après la mort de ce prince, la nombreuse armée qui les entourait ne put ni les écraser par la force, ni les surprendre par la ruse ; et, à travers tant de peuples barbares et de nations ennemies, ces braves guerriers surent, par leur courage, se frayer dans ces immenses contrées une route jusqu'à leur patrie.