[2,28] CHAPITRE XXVIII. Des Devins sur les miroirs. Que les esprits malins connaissent quelquefois l'avenir par la subtilité de leur nature, par la longue expérience, par la révélation des puissances supérieures qu'ils trompent bien souvent, parce qu'ils veulent tromper ou qu'ils sont trompés eux-mêmes, et que la fin des Devins est infailliblement malheureuse. Ceux qui devinent sur les miroirs se flattent en vain de ce qu'ils n'immolent rien et n'apportent aucun dommage à personne, mais plutôt de grandes utilités, quand ils nettoient le monde de mal-faits, découvrent les larcin et ne recherchent la vérité qu'en tant qu'elle est profitable et nécessaire. "Vous vous trompez impies, vous vous trompez, qui n'amasse pas avec moi, répand, et qui n'est pas avec moi est contre moi", dit le Seigneur {Luc, XI, 23}. Les impies qui exercent un si malheureux art, nonobstant la défense de Dieu, que font-ils autre chose que de se révolter contre celui qui le défend ? Certes c'est trop de closes que ce qu'immole celui qui chasse le Saint esprit de son âme pour la prostituer à l’idôlatrie : c'est trop de choses que ce qu'immole celui qui sollicite les oreilles polluées des démons avec des paroles consacrées à Dieu : c'est trop de choses que ce qu'immole celui qui accommode les mouvements de son corps à l'exécution d'un détestable sacrilège. Que réserve à son créateur celui qui fait offrande aux démons de sa langue, de son esprit et de son corps ? N'est-ce pas faire injure à la vérité que de la chercher, entière et sincère qu'elle est, dans une si grande corruption? Personne en pareil cas ne peut être excusé par l'ignorance. Tous savent généralement ou le doivent savoir que cette ignominie de la foi a été condamnée par anathème. Le soldat n'en est point excepté en faveur du serment ni le pupille par le bas âge, ni la femme à cause de l'infirmité de son sexe, ni le laboureur en considération du travail de l'agriculture qui est utile au public. Car quoique dans les affaires temporelles l’ignorance du droit puisse excuser ces gens-là, néanmoins elle ne sert de rien à ceux qui chopent dans les matières de la foi. Cette règle demeure toujours en sa valeur que celui qui ignore soit ignoré, et que celui qui par sottise fait un crime soit instruit par la peine, qui n'a pas voulu entendre à bien faire sera sagement puni. Car qui peut dire n'avoir pas eu le loisir de délaisser sans aucune peine une si grande peine, pour apprendre avec une pénible étude une erreur encore plus pénible; je vois bien ce que c'est, un homme qui peut employer une telle peine d'esprit avec le travail du corps pour se retirer de la foi, ne saurait qu'avec peine se tenir en repos dans la foi, puisque sans doute celui qui se laisse aller à ces méchancetés a renié sa foi, s'étant rendu pire de beaucoup qu'un infidèle et bien que de parole il confesse Dieu, il le désavoue par l'iniquité de ses actions. Il n'est pas plus aisé qu'un homme de cette sorte soit fidèle que de trouver un juge courant après les présents, après les récompenses, qui soit incorruptible. Peut-être que les esprits simples seront touchés de voir que cet art déclare les secrets de l'avenir, qui ne peuvent être révélés que par la vertu de celui qui tient les temps et les moments dans sa puissance : mais ce n'est pas là le noeud de la question. Car bien que Dieu, Seigneur de toutes choses, soit le seul arbitre du futur, les hommes pourtant le connaissent d'aucune fois par des signes. Ce n'est donc pas grande merveille, si les esprits qui sont d'une nature subtile et qui sont instruits par la longue expérience du temps, et quelque fois avertis par la révélation des puissances supérieures peuvent en savoir quelque chose, si nos esprits chargés de la pesanteur du corps, embourbés dans cette masse de chair et de boue, et dont la pointe est émoussée par la corruption des sens troublés et trompeurs, conjecturent les événements futurs par les choses précédentes, ou par d'autres indices ; qui empêche que les esprits, qui ne sont embarrassés d'aucun corps et qui ne sont point retardés dans leurs opérations par cette charge terrestre qui nous oppresse, ne compassent le succès des choses prêtes à arriver, ou même de celles qui ne s'accompliront qu'après une longue suite d'années. Si celui, qui par manière de dire ne naquit qu'avant hier pour mourir après demain, dès le milieu de sa vie, infère les semblables de leurs semblables et raisonne pour l'avenir des causes qu'il a connues en ce peu de temps. Cet ancien routier qui a tant vu de révolutions, et qui fut dès le commencement rempli de sagesse et embelli de tant de perfections, ne le pourra-t-il pas faire plus aisément ? Qui serait l'esprit si stupide et si pesant, qui par une si longue suite de temps ne s'éveillât, et n'apprît â deviner une partie des choses futures. En outre, les bons anges, qui servent continuellement le Seigneur des sciences dans une parfaite charité et dans une dévote obéissance, peuvent leur révéler les choses cachées et l'on croit qu'ils le font quelquefois. Néanmoins les démons ne prédisent pas toujours vrai, mais ils se hâtent d'annoncer ce qu'ils soupçonnent ou ce qu'ils craignent afin qu'on estime qu'ils participent aux secrets. Ainsi un peu avant la naissance de Jésus-Christ ils prédisaient leur départ et la désolation des temples d'Égypte où ils se faisaient adorer. D'où vient ce que dit Trismégiste de l'extermination de l'idôlatrie : "Égypte, Égypte un jour viendra auquel il ne restera de ta religion que des sables seulement" {Hermès Trismégiste, Corpus hermeticum, livre II : Asclépius, traités XIII-XVIII}. Ils font semblant de faire de leur bon gré ce qu'ils font par nécessité et par contrainte, et de se mettre. en colère contre les hommes auxquels ils se disent ennemis. Ils mentent bien souvent ou parce qu'ils veulent tromper, ou parce qu'ils sont trompés eux- mêmes. Mais quoiqu'ils annoncent des choses vraies, il les faut réprimer ou les éviter. C'est pourquoi le Deutéronome commande : "S'il se lève un Prophète au milieu de vous, ou que quelqu'un dise avoir vu un songe, et qu'il prédise un signe et un augure et que prophétie arrive, qu'il vous dise allons et suivons les Dieux étrangers que vous ignorez et leur servons, n'écoutez pas les paroles de ce Prophète, parce que le Seigneur votre Dieu vous tente, afin qu'il apparaisse si vous l'aimez ou non". {Deutéronome, XIII, 1-3} Vous entendez par là, que bien que les prédictions des devins qui ne sont point de la part de Dieu arrivent quelquefois, il ne les faut pas prendre de la sorte qu'on fasse ce qu'ils ordonnent et qu'on adore ce qu'ils adorent. On lit dans les Actes que l'apôtre ne pardonna pas à un esprit immonde, quoiqu'il eut dans une femme ventriloque porté témoignage de la vérité aux apôtres et à leur prédication. Il n'est point de plus salutaire remède contre cette peste que de lui refuser l'oreille. Je rends grâces à mon Dieu, qui me couvrit du bouclier du sa bonté, contre les embûches de cet esprit malin dès lors que j'étais encore en enfance, car ayant été mis, dés mon bas âge, pour apprendre les psaumes chez un prêtre, qui par malheur exerçait la magie séculaire, il me fit un jour assoir à ses pieds avec un de mes compagnons, qui était un peu plus âgé que moi, ayant fait auparavant certains enchantements, pour se servir de nous à ces profanes mystères, afin que nous lui déclarassions ce qu'il demandait, en regardant dans nos ongles qu'il avait frottés, je ne sais si c'était d'huile ou de crème sacré, ou dans un bassin bien poli et bien luisant. Après que ce prêtre eut proféré d'étranges noms, qui me semblaient être ceux de quelques démons, par la seule horreur que j'en avais, et qu'il eut marmotté quelques adjurations au nom de Dieu, mon compagnon lui rapporta qu'Il avait vu je ne sais quelles images déliées en forme de nuages, mais pour moi je fus tellement aveugle pour ces choses-là, que je ne vis rien que mes ongles et le bassin et ce qui paraissait à mes yeux dès auparavant. Dès l'heure je fus estimé inutile pour ces divinations, et l'on me défendit de n'en approcher plus, parce que j’ernpêchais l'effet de leurs sacrilèges et toutes les fois qu'ils avaient délibéré d'exercer ce mystère, ils me bannissaient comme l'obstacle de leur divination. Ainsi Dieu me favorisa dès mon enfance, et depuis ce jour- là l'horreur que j'avais conçue pour cette méchanceté a toujours cru avec mon âge. Et la malheureuse fin de plusieurs de ces devins que je connaissais pour lors, me l'a plus fort imprimée dans l'âme. Car je n'en ai vu pas un qui n'ait péri avant terme, ou par quelque maladie extraordinaire, ou par la main de ses ennemis ; car je ne parle point des autres misères dont la vengeance du ciel les a tous abattus par terre, ou mis en déroute devant mes yeux, excepté deux dont l'un était ce prêtre dont j'ai parlé, et l'autre est un diacre, lesquels épouvantés par la calamité des spéculaires s'enfuirent l'un dans un chapitre de chanoine, l'autre dans le port d'une cellule de Clugny, prenant les habits de religion. Et j'ai depuis eu compassion de ces deux pauvres hommes, qui ont souffert beaucoup d'adversités au prix des autres de leur congrégation. Certes si l'abondance de raisons et l'autorité de église ne suffisaient pas pour convaincre cette impiété, l'exemple des maux qui la persécutent devrait être capable de l'exterminer, or ainsi que personne ne saurait boire le calice de Dieu et celui des démons, ni servir à deux maîtres à Dieu et à Mammone, de même n'est pas possible qu'un homme acquière la grâce de Dieu et cette maudite science. Mais quoi, je ne sais que picquotter à coups d'alêne par manière de dire une impiété contraire à la foi et mortelle ennemie des bonnes moeurs, que je pourrais outre-percer de la pointe de l'esprit, en lui donnant de l'épée jusques aux gardes. Qu'elle soit donc frappée une bonne fois, et qu'elle reçoive un grand coup par le bras de celui qui divisa la mer Rouge en plusieurs gouffres pour submerger les Égyptiens ; il ne sera plus besoin de redoubler, car il n'y a personne qui se puisse sauver d'entre ses mains. Que Moïse tire l'épée, qu'il tranche toutes les abominations d'Égypte et qu'il les cache dans le sable de leur stérilité, afin qu'elles ne paraissent plus aux yeux des fidèles; qu'il profère la parole, qu'il prononce la sentence de condamnation contre les erreurs que nous avons taché longtemps de bannir de votre maison. La parole divine est un glaive coupant des deux côtés, doublement acéré, vif et efficace, plus pénétrant que tout glaive à deux tranchants, qui atteint jusqu'à la division de l'âme et de 1'esprit, des ligaments et des moëlles, et qui discerne les pensées. Quiconque ne tremble pas quand il est menacé de ce glaive a tout à fait perdu le sentiment. Et voilà qu'a la face de l'église, à la vue de tous il est levé pour frapper et qu'il s'adresse à tout te monde. Écoutez donc : "Quand tu seras entré dans la terre que le Seigneur ton Dieu te donnera, prend garde que tu ne veuilles imiter les abominations des Gentils. Ne souffre -pas qu'il se trouve parmi toi aucun qui lustre son fils ou sa fille, la passant par le feu, ou qui interroge les Arioles, et qui observe les songes et les augures; qu'il n'y ait aucun sorcier ni enchanteur, que personne ne consulte les Pythons et les devins, ni ne demande la vérité aux morts : car le Seigneur abomine toutes ces choses et à cause de ces forfaits le Seigneur effacera ces peuples à ton entrée, et tu seras parfait et sans tache devant le Seigneur ton Dieu; les nations dont tu vas posséder la terre écoutent les augures et les devins, mais toi tu as été autrement institué du Seigneur ton Dieu". {Deutéronome XVIII, 9-14} Qui doutera donc que toutes ces inventions qui non seulement rendent la foi languissante, mais encore l'exterminent tout à fait, ne soient criminelles, puisque l'esprit du prophète, ou plutôt celui de Dieu, les condamne. Dieu les nomme abominations, et l'homme croit être devenu plus qu'homme quand il en a acquis la science. Les nations ont été exterminées pour ces crimes, et l'orgueil humain pense s'agrandir en les commettant.