[2,25] CHAPITRE XXV. Les exemples d'Ézéchias, d'Achab et des Ninivites prouvent qu'un argument tiré d'un signe n'est pas nécessaire et que les choses qui sont signifiées peuvent être changées. Mais peut-être que la vérité parlant à les disciples, vous demandera que vous importe s'il a voulu réserver cette prérogative à des étrangers, à savoir aux mathématiciens ? Je le veux, si toutefois un esprit éclairé de la foi peut consentir à cette proposition mais voyons un peu quelle est la certitude des signes. Je suis d'accord que les astres nous menacent de quelque nouveauté "quand ils quittent leurs rangs ordinaires" {Lucain, La guerre civile, I, 664}, je ne dispute pas que les grandes aventures ne soient prévenues quelquefois par des avertissements extraordinaires, parce que Dieu m'a appris que le soleil, la lune, les éléments et leurs composés ont cette vertu de signifier l'avenir. Mais au reste l'autorité des plus grands personnages et la raison m'ont persuadé qu'il n'y avait point d'art, lequel peut répondre sur les demandes du futur ou que, s'il y en avait, on ne le savait pas encore, si je ne vous le puis persuader à cause des objections que vous me faites continuellement touchant le destin et la providence ; et pour les exemples que vous avez tirées de diverses histoires pour me combattre, je me suis bien persuadé nonobstant vos fausses raisons de n'approuver jamais cette vanité; parce que je ne pense pas que la connexion des signes et des signifiés soit si grande que l'un suive nécessairement de l'autre; je vous en dirai la raison si vous n'êtes pas préoccupé de toutes les erreurs qui entretiennent les courtisans. Le roi Ézéchias fut malade à la mort. Croyez-vous que le prince n'eût point trouvé de médecin, qui par le jugement du pouls et des autres pronostiques pût connaître la grandeur de sa maladie? et puis il avait peut-être reçu de sa propre disposition une réponse qui le condamnait â mort, puisqu'il n'espérait plus vivre davantage. En dernier lieu le saint Esprit lui annonçait que la mort était à sa porte. Voulez-vous quelque signe plus certain? Qu'y a-il de plus assuré, pour ne point parler des autres ? si vous doutez qu'il en eût témoignage du s. Esprit, me nierez-vous qu'Isaïe lui ait prophétisée : "Tu mourras et ne vivras plus". {Isaïe, XXXVIII,1} Il vécut néanmoins et ne mourut pas, celui qui tient les événements du futur en sa puissance ajouta quinze années à sa vie, et la miséricorde de Dieu qui l'avait intimidé chassa la mort, à qui peut-être la défaillance des forces naturelles l'allait abandonner, et le fit vivre, parce qu'il mourut à la coulpe par le moyen de la pénitence. Achab roi très impie n'attendait que la mort dont Dieu le menaçait, sa femme Jézabel, bien moins conjointe avec lui par le mariage que par la cruauté, avait envahi la vigne du saint homme Naboth par un assassinat. Si vous doutez que Dieu lui eût prédit sa ruine écoutez Hélie : {Livre III des Rois, XXI, 17 sqq.} "Le Seigneur dit ces choses, tu as assassiné et possédé, mais dans le même lieu où les chiens ont lêché le sang de Naboth, ils lêcheront le tien, les chiens mangeront Jézabel devant les murs d'Israël. Ce qu'ayant entendu Achab, il déchira ses vêtements, mit un sac sur sa chair et jeûna, et coucha dans le cilice, et la parole du Seigneur fut faite à Hélie, disant, parce qu'Achab a révéré ma face je n'induirai point de mal en ses jours". La pénitence fait que la peine due à la personne de ce roi est remise sur sa postérité mais Jézabel persévérant dans son crime demeure condamnée par ce jugement: le même arrêt, qui exposait le sang d'Achab et celui de Jézabel aux chiens, est en partie réformé et en partie demeuré valable, ainsi qu'il plaît au père des temps d'en disposer, Ainsi les Ninivites se délivrèrent de la ruine présente, et fléchirent la sentence de mort par la pénitence qu'ils firent en obéissant à l'édit de leur roi, après la prédication de Jonas. Les arrêts de Jupiter et de Mars vous semblent ils plus véritables que ceux de leur créateur? Vous ne serez pas de l'avis de Plaute, si vous attribuez tant de crédit aux planètes. Car Mandrogère répond au Sycophante qui lui demandait s'il lui fallait apaiser les planètes : "Qui roulent l'univers avec leurs mouvements." {Plaute ?, Querolus (Le râleur)} Qu'il n'était ni faciles à voir, ni à aborder pour parler, ajoutant encore : "Que ces hâbleurs qui des atomes causent, Qui du destin et des astres disposent, En soumettant le ciel à leur raison, Ne savent pas mettre ordre à leur maison." Vous voyez par là que ce poète joue assez plaisamment ceux qui jettent toujours leur vue sur des corps qui la fuient tant qu'ils peuvent, et qui consultent ceux qui dédaignent de leur parler, et comme ces faiseurs d'horoscope ont toujours des points dans la bouche, il est à craindre que s'il leur en tombe quelqu'un ils ne se mécontent grandement à recevoir la sentence des astres. Que l'autorité des corps célestes soit considérée, pourvu que celle du Souverain n'en soit point intéressée. Certes, Monsieur, quoique votre Mars ou votre Jupiter vous prédisent, Dieu est toujours véritable, et lorsque vous ajoutez plus de foi à leurs influences qu'à la parole de Dieu ; vous êtes de pernicieux menteurs, les astres sont des mensonges devant lui. Il a trouvé du défaut dans les plus parfaits de ses anges, mais à vous dire la vérité ce ne sont pas les astres qui vous mentent, prenez vous en à vous-même qui voulez être trompés ; qui vous a contraints d'avoir une fausse croyance, qui vous a persuadé que les aventures que vous tirez si nécessairement de vos signes soient immuables ? vous laissez-vous duper à ce que dit Figulus dans Lucain : {Lucain, La guerre civile, I, 643 sqq.} "Ou ce monde et les cieux errent à l'aventure, Ou si quelque destin gouverne la Nature, Un désastre prochain menace l'Univers". Il parle un peu après encore plus clairement : {Lucain, La guerre civile, I, 669 sqq.} "Que te sert donc ô malheureuse Ville De souhaiter la fin de la guerre civile, Les Dieux ne te sauraient assister désormais, Sens avoir un Seigneur tu n'auras pas la paix, Souhaite que toujours ce désordre demeure, Puisqu'il faut avec lui que ta liberté meure". Mais sans doute que la multitude de tes Dieux, pauvre Ville abusée, ne pouvait empêcher cette guerre civile, parce qu'étant plusieurs en nombre, ils ne sont aucuns en effet: Ton salut était en la puissance d'un seul Dieu souverain absolu de l'Univers, qui change ses arrêts quand l'homme veut avec le secours de la grâce réformer les méchancetés de ta vie: en cette sorte Nabuchodonosor rachetant ses péchés par aumônes, et ses iniquités par les miséricordes envers les pauvres, esquiva pour un temps le supplice qui lui pendait sur la tête, jusqu'à tant que son orgueil qui l'emporta de dire en présence de sa cour, "Est-ce pas ici cette grande Babylone que j'ai bâtie en maison de roi, en force de courage et en la gloire de mon nom?" rappela la sentence que Dieu allait rétracter.