[2,19] CHAPITRE XIX. La différence de la Mathématique scientieuse et de la Mathématique reprouvée: de la doctrine des mathématiciens et de leurs erreurs. Mais puisqu'il y a bien de l'apparence que les corps célestes ont quelque vertu, et qu'il ne s'engendre rien sur terre qui ne reçoive de la main du souverain ouvrier quelque effet utile à cet univers. Les plus curieux recherchent la puissance des causes supérieures et tâchent de rendre raison des effets qui se passent dans ce monde sublunaire. L'astrologie sera toujours une science excellente et noble, pourvu que ses professeurs se tiennent dans les bornes de la modération, au-delà desquelles ils rencontreront plutôt des pièges tendus par l'impiété que des vérités de philosophie. Et certes la vraie mathématique, et la mathématique judiciaire ont beaucoup de choses communes mais la judiciaire qui s'emporte par sa propre suffisance au-delà de ses limites, au lieu d'instruire celui qui la professe, le précipite dans l'ignorance. L'un et l'autre divisent le monde en cinq zones et en parallèles, découvrent le zodiaque oblique avec tous ses signes, posent des colures autour du monde, mesurent le cours des planètes et ne mettent aucun mouvement errant dans le firmament, établissent un essieu du pôle arctique à l'antarctique, coupent les signes en degrés et en points et savent le temps du lever et du coucher des astres et la distance des uns d'avec les autres. Toutes deux s'accordent avec les physiciens, en ce qu'elles ne pensent pas que les corps célestes soient réellement coupés d'aucuns cercles ni divisés par des lignes. Elles posent aussi toutes deux le Soleil pour auteur de la chaleur et veulent que le mouvement de la lune soit cause de l'accroissement et de la diminution des humeurs, comme l'expérience nous le prouve. Au reste, la mathèse, qui promet un jugement de l'avenir, tire bien son origine de la philosophie, mais elle passe au-delà et suivant les mouvements de sa témérité empiète sur la prérogative de celui qui conte les étoiles. "Et qui plein de lumière a dans sa connaissance Leurs chemins et leurs noms, leurs lieux et leur puissance". {Sedulius Scotus, Carmen paschale, I, 66-67} L'astrologue qui s'ose promettre cet avantage de sa science, s'éloigne d'autant plus du chemin de la vérité qu'il veut y arriver avec plus de suffisance. Expliquant donc la nature des signes célestes comme ils l'entendent et, se trouvant bien empêchés à donner divers noms à des choses semblables, ils en font de mâles et de femelles, qui peut-être auraient multiplié leur lignée, si ce n'est qu'en étant séparés par de si grandes distances, ils ne se peuvent assembler pour jouir de leur amour. Ils remarquent aussi soigneusement les conseils des planètes qu'ils estiment être les gouverneurs du monde et les pensent trouver dans leur position, dans leur mouvement, dans leur conjonction et par leurs maisons. Saturne parce qu'il est froid et vieillard est incommode et nuisible, ayant contracté de sa nature une malignité et de son âge un fâcheux chagrin qui le rend si cruel ennemi de tout le monde qu'il épargne à peine ses écoliers. Jupiter qui est au-dessous veut paraître salutaire et propice et se montre si bénigne envers tous que ni la malice de son père, ni la farouche humeur de Mars, son prochain voisin, ne lui font offenser personne, si peut-être au grand dommage de l'orbe d'au-dessous il ne devient stationnaire, ou rétrograde et qu'il endure un pitoyable incendie. Mais le sanglant et indomptable persécute tous les hommes hormis ses favoris, il est quelquefois adouci par les approches de Jupiter et de sa belle Venus, dont les influences sont plus bénignes et plus propices. Mercure esr tel que le veulent ses voisins, car il est d'une nature changeante et s'accommode avec les plus puissants. D'où vient que plusieurs l'établissent pour présider à l'éloquence, qui apporte d'aussi grands biens quand elle se joint avec la sagesse, qu'elle cause de furieux désordres quand elle se met du parti de la méchanceté. Lucain a touché en passant les abus de cette secte, bien qu'il ne les ait pas enseignés, lorsqu'il décrit la crainte de Rome et qu'il annonce la guerre civile par les arguments infaillibles de l'astrologie. Car ce très savant poète (s'il faut néanmoins appeler poète celui qui s'est plutôt rangé avec les Historiens en faisant une véritable narration) remarque en passant que la maligne influence de Mars devait infailliblement causer de grands désordres, puisqu'il dominait seul dans le trône de son domicile. Et quoi que le judiciaire Ficulus épluche les conseils des Parques et les desseins des étoiles, il n'a encore su nous donner la parfaite connaissance des corps qui se voient. Car toute la bande des mathématiciens n'a su jusques ici déterminer si les étoiles sont composées des éléments ou d'une cinquième essence, comme le veut Aristote. Je ne mets point en avant les questions que leur font les enfants s'ils sont mous ou durs, et d'autres semblables qu'ils dédaignent d'écouter; quoique j'en aie vu des plus fameux du métier et des plus suffisants qui soient de travail à les résoudre. Ils nous prononcent néanmoins les arrêts des destins, les veulent prouver par leurs raisons, et nous apprendre quel effet doit avoir la volonté des astres sur ce bas monde. Que sait-on si les arrêts de Dieu sont valides, si 1'astrologue ne les confirme ? Je rapporterai donc les vers de Lucain à ce propos : {Lucain, La guerre civile, I, 649 sqq.} "Quel étrange accident, quelle triste aventure Préparéz-vous, ô Dieux, pour troubler la nature? Tout ce grand Univers sera donc confondu? Rome, hélas! ton repos sera bientôt perdu: De combien de mortels qui sont dans la carrière, Dedans un même temps tombe l'heure derniere? Si l'Astre infortuné de Saturne ennuyeux Allumait ses brandons dans le plus haut des Cieux, Le Verse-eau sur la terre épandait le déluge, Personne dans les eaux n'eût trouvé de refuge: Et si Phoebus était au signe du Lion La flamme mettrait fin à notre affliction; Mais roi Mars furieux de qui la violence Avec le Scorpion sur nos têtes s'élance, De quel si grand malheur menaces-tu les tiens, Jupiter et Venus qui président les biens N'ont aucune puissance et l'Astre de la guerre Est le seul dont les feux épouvantent la terre: De leurs propres maisons les astres délogés Montrent bien aux mortels qu'ils vont être affligés. Orion je prévois que ta funeste épée Va du sang des Romains être bientôt trempée, Que le Droit désormais avec la Vertu Languira sous le fer dont il sera battu." Voyez comme de la qualité des planètes, de l'apposition des signes et du concours des causes, il s'ensuit manifestement une guerre inévitable. Car il importe beaucoup pour les préceptes de cet art de savoir la naturelle ou l'accidentelle maison des planètes. Car tous, sauf le Soleil et la Lune, qui n'en ont qu'une, ont leur maison naturelle et accidentelle. La maison naturelle de la planète est celle dans laquelle elle fut créée, si pourtant les faiseurs d'Horoscope veulent avouer leur création. La Lune a le Cancer, le Soleil a le Lion, Mercure a la Vierge, Venus a la Balance, Mars a le Scorpion, Jupiter a le Sagittaire, Saturne a le Capricorne, voilà leurs maisons naturelles ; leurs maisons accidentelles sont l'Aquarius pour Saturne, les Poissons pour Jupiter, le bélier pour Mars, le Taureau pour Venus et les Jumeaux pour Mercure. La Lune est véritablement nécessaire, Dieu l'a faite avec les autres étoiles pour présider à la nuit, quoiqu'en puissent dire les astrologues. Car en quels termes parlerai- je du Soleil qui est le capitaine, le prince et le modérateur de toutes les autres lumières? Je n'ai point de crainte d'avouer qu'il est bon et nécessaire malgré tous ces planétaires. Il éclaire tous les mortels, régit le monde, divise les saisons, cause les changements et jouit de mille autres propriétés qu'il serait trop long de raconter. Mais combien que lui et les autres planètes contiennent les causes de plusieurs bons effets, néanmoins la principale et l'unique cause de toutes les bonnes choses, c'est la puissance de la majesté qui les a créées, qui par l'immcnse vertu de sa sagesse a formé et arrangé le monde et qui n'a été induite que par sa seule bonté à lui donner sa substance et sa forme. Mais les astrologues s'abîment dans un précipice d'erreurs et d'impiété lorsqu'ils ont la vanité d'étendre le pouvoir de leur science au-delà du pouvoir de Dieu. Les règles d'aucun art ne s'auraient être bonnes, si elles ne s'arrêtent dans les limites de son espèce, selon la maxime du sage, qui nous apprend qu'il est malaisé de trouver rien d'assuré au-delà de la règle. Toute règle est accommodée à quelque genre de choses, duquel si l'on la transporte à un autre, elle choque la vérité et devient fausse. Si les mathématiciens se contenaient dans les bornes de la bonne mathématique, ils pourraient atteindre la vraie position des astres et de leurs signes, ils pourraient par une modeste doctrine prévoir la disposition du temps à venir, suivant l'ordre de la nature, et tirer par ce moyen un agréable profit de leur spéculation. Mais lors, comme dit Jésus-Christ des Pharisiens, "Qu'ils élargissent leurs phylactères et qu'ils font parade de leurs robes", {Matthieu, XXIII, 5} qu'ils attribuent trop de vertu à leurs planètes, en leur donnant de l'autorité sur les actions humaines, ils font injure â leur créateur. Ils deviennent fous, comme dit l'apôtre, pendant qu'ils n'ont pas de bons sentiments du ciel, que leur curiosité veut fonder de trop près, voyez en quel abîme ils trébuchent du plus haut du ciel, jugez s'ils ne font pas tort à celui qui a fait le ciel et la terre avec tout ce qu'ils contiennent, quand ils reconnaissent leurs astres pour les moteurs de l'univers. Je vous laisse encore à penser s'ils ont raison de dire que la constellation éteint la liberté de l'arbitre par la nécessité qu'elle attache aux hommes. Enfin quelques-uns d'eux se font transportez jusqu'a une telle fureur, qu'ils ont cru qu'on pouvait former une image selon la diverse position des astres, qui, étant faite dans l'observation de certains intervalles et avec quelque rapport à la constellation, recevra l'esprit de vie par l'efficace des étoiles et découvrira les secrets les plus cachés à ceux qui la consulteront. Mais quoique cet esprit commande quelquefois de choses honnêtes et justes, par exemple que l'on le garde dans un lieu bien net et qu'on invoque Dieu seul par prières et par offrandes, quand on le consulte sur quelque doute ; il est néanmoins très certain que c'est une finesse du démon, qui le couvre de ces commandements de justice et d'innocence, afin qu'on ne l'aperçoive pas si facilement mais c'est en vain, puisqu'il n'y a point de bon chrétien qui ne voie bien que c'est une espèce d'idolâtrie. Les astronomes qui défendent par leurs raisons ce qui leur semble probable a la façon des académiciens, ne montent pas au ciel si témérairement. C'est pourquoi quelques-uns s'efforcent de prouver que les planètes ont leur mouvement propre et particulier, indépendant de celui du firmament. Les autres assurent, après Aristote, qu'elles sont emportées avec le même ciel et ni l'une, ni l'autre de ces deux opinions ne fait point de tort aux apparences de l'astrologie comme le témoigne Manilius. Mais les tireurs d'Horoscope, pour s'arrêter trop obstinément à leur science de divination, ont perdu les connaissances des choses célestes et de Dieu même. De tous ces devineurs, ceux qui tâchent de pallier leur erreur, du nombre desquels est Plotin, n'ôtent pas la disposition des choses d'ici bas à la prévoyance divine, mais disent que suivant cette loi qu'elle a une fois établie et qu'aucun effort ne saurait outrepasser, toutes choses doivent arriver comme elle les a disposées et prévues. Stace l'entendait peut-être aussi : "Lors Jupiter de son trône commence, Et tous ces mots si justement balance, Que le Destin emporté par leur poids Suit aussitôt la force de ses lois". {Stace, La Thébaïde, I, 212-213} Plotin auteur de cette opinion attribue des vertus particulières à chaque créature et dit qu'il n'eut pas été juste que les corps célestes eussent été les plus mal partagés, et, qu'ayant plus de noblesse que les autres, ils eussent eu moins de puissance. Que celui, poursuit-il, qui s'est réservé toujours la souveraine autorité, leur en ait donné ce qu'il aura voulu du moins leur a-il attribué l'office de signes. C'est pourquoi, bien qu'ils ne fassent pas souvent les oeuvres des signes, ils rendent quelquefois des services aux hommes selon le témoignage de Dieu même et peut-être c'est pour cela que David a chanté : "Les Cieux racontent la gloire de Dieu et le Firmament annonce les oeuvres de ses mains". {Psaumes XVIII, 2} Cette propriété ne leur est pas extraordinaire, vu que les oiseaux et beaucoup d'autres créatures par institution de dieu et par le bienfait de la nature préviennent le futur par de certains signes. Donc si les corps célestes sont les signes des choses qui doivent nécessairement arriver, puisque la disposition immuable de Dieu les a ainsi préordonnées, qui empêche que l'homme ne puisse savoir ce que les astres annoncent ? qui empêche qu'il ne le communique à un autre? Car les signes ont été donnés à l'homme pour son instruction, et non pas à ceux qui sachant bien tous les secrets du ciel, n'ont que faire de ces avertissements.